Économie mondialisée et identités de genre
|Dilemmes des processus de mondialisation économique dans la mise en œuvre des politiques de développement durable et de l'égalité de genre
Table ronde. « Economie mondialisée et identités de genre »
Texte intégral
1Objectifs de la table ronde : Nous attendons des participant-e-s au débat de la table ronde une courte présentation de leur organisation et leurs points de vue et commentaires sur cinq énoncés qui seront introduits par Frans Schuurman.
2Au public : Avant de débattre sur chaque énoncé, nous vous demanderons de vous exprimer par un vote. Après la présentation des divers points de vue des participant-e-s de la table ronde, vous voterez une deuxième fois. Cette interaction nous permettra de voir si les discussions et les différentes visions ont une influence sur vos opinions de départ.
Introduction par Frans Schuurman
Mondialisation : thèmes et pièges
3Dans le débat sur la mondialisation, on peut distinguer différentes prises de position. Il est important de s’y arrêter un instant afin de prendre conscience de quoi on parle en se référant à la mondialisation. Pour simplifier la discussion, je présente cinq types de « mondialistes » :
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Les vrais mondialistes. Ils considèrent la mondialisation comme une époque tout à fait nouvelle qu’il ne faut pas confondre avec la modernité.
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Les cybermondialistes. Ils disent la même chose, mais spécifient que c’est la cybernétique qui en fait une époque à part.
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Les non-mondialistes. Ils défendent que la mondialisation n’est rien de nouveau, que cela a toujours existé. Ils se réfèrent avant tout à l’époque expansionniste entre 1870-1914. Ils voient le processus de mondialisation à partir des années 1985 comme une nouvelle vague de l’expansionnisme capitaliste et impérialiste.
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Les marxistes. Ils considèrent la mondialisation comme l’expansion du capitalisme autour du globe.
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Les postmondialistes. Ils disent que s’il y a eu une période de mondialisation, il n’en est plus rien maintenant. On assiste à un tribalisme néolocal et l’universalisme est sur son retour. Les Etats-nations s’effritent et il y a émergence de nouvelles entités, non modernes et basées sur des identités néotribales.
4On pourra également penser à établir une taxonomie en termes de bien et de mal. Les positivistes pensent que la mondialisation est une chose objective régie par un système extérieur. Ce point de vue est important, car cela implique que l’on ne peut plus l’arrêter, c’est quelque chose – technologie, capitalisme, impérialisme – qui est là et que l’on ne peut influencer. Ils pensent qu’il n’y a pas d’alternative, qu’il ne sert à rien de le combattre, qu’il faut suivre le courant.
5Les antimondialistes disent que la mondialisation est un mal et qu’il est mené par des acteurs. Ce qui signifie qu’il y a des agents au sein du système mondial qui sont responsables des processus de mondialisation. C’est une prise de position diamétralement opposée au point de vue systémique. Quand on dit qu’il y a des responsables, il faut les rendre redevables de ce qui est bien et mal – en notre cas ce qui est mal – dans le processus de mondialisation. Il y a également les réformistes. Ils veulent inventer une sorte de keynésianisme mondial afin de combattre le mal et maintenir les bons éléments de la mondialisation.
6Le débat sur la mondialisation est basé sur un grand nombre d’indicateurs, causes et conséquences. Ils sont souvent interchangeables dans la façon de présenter les réalités. Ce que les uns appellent des indicateurs de la mondialisation sont tenus pour des causes ou des conséquences par d’autres. Il faut donc avoir à l’esprit la variation de types de mondialisation et se demander à chaque fois s’il s’agit d’indicateurs, de causes ou de conséquences.
7A propos de la discussion sur la mondialisation, dans la littérature il semble y avoir un consensus qu’il s’agit de flux monétaires internationaux, de l’expansion mondiale du néolibéralisme, d’une société en réseau et en même temps de la fin des Etats-nations et un rôle plus déterminant des corporations transnationales et de l’occidentalisation/américanisation du monde.
8Quand on parle de l’influence de la mondialisation sur le genre, il peut y avoir l’idée simple que la société en réseau a un impact sur les rapports de genre ou que l’occidentalisation change les rapports de genre. L’idée est trop simple. C’est beaucoup plus complexe, car les changements peuvent être les conséquences de quelque chose d’autre.
9Pour finir, j’aimerais attirer votre attention sur deux types de tautologie. D’une part, il s’agit du jugement de valeur sur la mondialisation. Si vous pensez que la mondialisation est un mal, la définition de départ est négative. Vous pourrez conclure que la mondialisation équivaut au capitalisme de casino, ce qui par définition est mauvais.
10L’autre tautologie est que la mondialisation induit des inégalités. Mais les inégalités sont justement utilisées par le capitalisme pour élargir ses activités. Le capitalisme utilise les différences salariales pour s’installer dans un pays ou dans un autre, cherchant partout au monde des possibilités d’investissements. La mondialisation induit des inégalités, mais les inégalités sont à la base de la mondialisation.
11Cet exposé met en perspective la discussion sur le premier énoncé :
Enoncé 1
12Les inégalités économiques croissantes dans le monde et l’augmentation de la pauvreté sont plutôt dues à des facteurs nationaux que mondiaux.
13Vote : en désaccord : la grande majorité ; d’accord : quelques-un-e-s.
14Les membres Thais Corral (WEDO) et Bernard Kuiten (OMC) vont d’abord commenter cet énoncé.
15Thais Corral
Introduction personnelle : je suis Brésilienne et pendant les seize dernières années, j’ai travaillé dans le domaine du genre. Mon travail consiste à jeter un pont entre les problématiques globales et locales, et inversement. Il y a douze ans, j’ai joint le débat sur la mondialisation grâce à WEDO (Women’s Environment and Development Organization). A la fin des années 1980 et avec la montée de la société civile, un groupe de femmes issues de différents pays, qui avaient été actives dans la politique et dans les communautés, a profité de l’ouverture des Nations unies sur le débat de la limitation de la croissance et l’intégration des questions de l’impact sur le social et le développement, y compris les femmes et l’environnement. Les Nations unies annonçaient vouloir collaborer avec la société civile. Les femmes ont saisi l’occasion et ont essayé de mettre en avant les soi-disant problématiques de femmes (notamment pendant la conférence sur l’environnement à Rio en 1992).
16La perspective sur le développement durable permettait une approche intégrée. Nous avons mis sur pied un mouvement, c’était une plate-forme d’action (l’Agenda des femmes 21). Cet agenda d’action nous a aidées à intégrer différentes perspectives du mouvement des femmes. Depuis lors, j’ai travaillé au Brésil pour des organisations à but non lucratif. L’une s’occupe de la communication et de l’utilisation de la radio pour donner une voix aux femmes et les rendre plus autonomes en leur donnant la possibilité d’exprimer leurs points de vue.
17Au Brésil, nous avons essayé d’appliquer les acquis au niveau global au renforcement des compétences et des politiques nationales. Plus récemment, je fais partie – depuis 1995 – du World Forum 2000 auquel participent des anciens chefs d’Etat. Nous y entamons des dialogues entre les différents acteurs que Frans Schuurman vient de présenter. Au sein du World Forum 2000, un groupe de femmes veille à ce que les problématiques du genre soient intégrées.
18Maintenant passons à ma réaction sur l’énoncé.
19Je l’ai lu plusieurs fois pour me rendre compte de ce que je ressens. Cela a l’air simple. Ma première réaction est que je ne suis pas d’accord. Mais en fait je ne l’aime pas. Un tel énoncé blâme les victimes.
20J’ai trop souvent entendu que les gens qui sont les victimes d’un système, les pauvres, les femmes, sont responsables de ne pas avoir élu un bon gouvernement ou de bons représentants. Mais les processus politiques ont toujours une dimension historique et la situation n’est pas si simple.
21Ma seconde réaction éclaire un autre côté. Prenons le Brésil, je pense que la libéralisation des années 1990 a eu un impact positif. Pendant des années, les inégalités étaient causées par la continuité du pouvoir des oligarchies et les subventions qu’elles recevaient. Cet argent était soustrait à l’investissement social. Ces oligarchies n’envisageaient pas de changer la base inégalitaire de la société. Dans ce sens, la libéralisation a induit une transparence sur la façon dont l’argent de l’Etat était dépensé et que c’était les oligarchies qui en profitaient le plus. Mais dans le cas de l’Argentine qui est en crise, on constatera le contraire. En Argentine, il y avait une classe moyenne importante, mais la libéralisation l’a détruite.
22Bernard Kuiten
Introduction personnelle : Je travaille à la division des relations extérieures de l’OMC. Cette division s’occupe de toute relation de l’OMC avec l’extérieur : ONG, individus, parlementaires, hommes d’affaires, universitaires, etc. Nous sommes trois personnes dans cette division.
23L’OMC est une organisation basée sur les accords légaux entre les 144 pays membres. Les pays membres doivent exécuter les règles et s’ils ne le font pas, ils auront des problèmes. Le secrétariat donne un soutien aux membres lors des négociations, analyses, recherches et dans leurs relations avec l’extérieur.
24J’ai joint l’OMC en 1999 après avoir été négociateur de commerce pour les Pays-Bas et la Commission européenne. L’OMC ne dispose d’aucune compétence sur le lien entre le commerce et le genre. Cela n’a jamais été discuté. Les membres de l’OMC n’ont jamais revendiqué la discussion sur ce lien auprès du secrétariat.
25Quant à l’énoncé, il serait très facile pour moi d’être d’accord. Il s’agit de problèmes nationaux, les questions mondiales n’y ont rien à voir. C’est une combinaison de facteurs économiques et politiques. Je suis partiellement d’accord et partiellement en désaccord avec l’énoncé. On ne peut pas juste dire qu’il y a des inégalités économiques. Il faudra considérer des différents groupes de pays. Il y a eu des changements énormes les dernières années. Il faut donc regarder les différentes régions du monde et les situations particulières. Quels sont les facteurs nationaux : les politiciens, le monde des affaires, les syndicats ? Ne devrait-on pas inclure également des facteurs géographiques et climatiques. Quand il y a un désastre naturel, qui en est responsable, le gouvernement ou les responsables d’un projet ?
26Frans Schuurman
L’énoncé se réfère à des gouvernements corrompus, ou à une élite nationale qui est responsable d’une mauvaise gestion économique, ce sont des filtres au travers desquels les facteurs mondiaux sont censés atteindre les bases d’un pays. C’est l’idée sous-jacente de cet énoncé. J’ai vu des gens qui étaient en faveur de l’énoncé. Quelqu’un veut-il le développer ?
27Fenneke Reysoo
La mondialisation en soi est une abstraction. J’adhère aux théories qui mettent en avant les relations de pouvoir entre acteurs. Le mondial ne peut être observé qu’au niveau local (national, régional ou communautaire). Le niveau national est un révélateur. C’est à ce niveau-là que se discutent et se font les politiques sociales et industrielles. Chaque gouvernement joue un rôle important pour intégrer les problématiques mondiales dans les politiques nationales. Les relations de pouvoir entre acteurs, le lien entre le mondial et le national, s’observent donc là où les acteurs se rencontrent, que ce soit lors des conférences des Nations unies, des négociations de l’OMC, des rencontres ministérielles ou lors d’une réunion des anciens au village.
28Bene Madunagu
Les gouvernements nationaux sont inscrits dans une histoire de colonialisme et d’esclavage. Les gouvernements nationaux nous sont imposés.
29Frans Schuurman
Où est la limite du rôle du colonialisme ? Est-ce que le colonialisme est responsable de la corruption des gouvernements ? Ne glisse-t-on pas vers un déterminisme historique et ne s’éloigne-t-on pas de la capacité d’action des acteurs (agency) ?
30Shahra Razavi
Revenons vers le début des années 1980. On n’a pas besoin de remonter à l’époque du colonialisme. Les pays endettés ont dû se tourner vers le FMI pour demander des prêts. Il y a eu des politiques de conditionnalité liées aux prêts. Les pays étaient forcés d’adopter des politiques qu’ils n’auraient peut-être pas adoptées par eux-mêmes. Dès ce moment, tout ce qui s’ensuit n’est plus vécu comme relevant de la responsabilité des gouvernements, car ils ne se sentent pas responsables de ce qui se passe. Nous savons que ces politiques n’étaient pas un vrai succès dans les secteurs sociaux ou pour l’égalité des genres. Ils n’ont pas non plus été une réussite économique. La question des responsabilités dans le cas des pays endettés qui étaient obligés de demander des prêts doit être abordée avec prudence. Ces pays ont adopté des politiques qui ne relèvent pas de leur seule responsabilité. Et ces processus, on les observe dès les années 1980.
31Ce n’est pas nécessairement parce que les gouvernements étaient corrompus que les pays se sont endettés. Je ne remets pas en question que les problématiques mondiales sont filtrées par les situations nationales. Dans un pays où il y a une oligarchie terrienne, la libéralisation des terres se passera différemment que dans un contexte d’égalité. Bien sûr, la mondialisation passe toujours par des institutions nationales, des histoires nationales et les forces sociales. L’énoncé pose problème, parce qu’on ne peut pas généraliser. En même temps, si les inégalités augmentent dans les trois quarts des pays de notre planète, y compris là où il y a des bonnes institutions nationales, des Etats-providence et des structures de classe relativement égalitaires, il devra y avoir des explications qui vont au-delà des facteurs nationaux. Il doit y avoir quelque chose qu’il n’y avait pas avant et qui doit se passer au-delà des Etats-nations. C’est une suite logique. Alors c’est un argument pour l’explication mondiale.
32Isabel Rauber
Nous sommes prisonnières de concepts qui cachent le monde réel dans lequel nous vivons. Quand on parle de mondialisation dans les pays pauvres, nous parlons du pillage de nos pays et de l’atrophie de nos possibilités. Nos systèmes de production ont été cassés. Et quand on parle de production, on parle de la vie. La mondialisation, l’OMC, le FMI sont derrière. On ne peut parler de tout ceci sans les mentionner. La dichotomie national-mondial est fausse. Nos gouvernements nationaux sont complices de processus plus larges.
33Frans Schuurman
Après ce premier tour de la discussion, je vous prie de revoter. Trois personnes ont changé d’avis, elles étaient d’accord et maintenant en désaccord.
Enoncé 2
34L’économie mondialisée est basée sur les constructions dominantes du genre afin de maximiser les bénéfices. Autrement dit les inégalités de genre sont bénéfiques à l’économie mondialisée.
35Vote : la quasi-majorité est d’accord avec cet énoncé.
36Mascha Madörin et Naoko Otobe vont donner leur avis.
37Mascha Madörin
Introduction personnelle : l’année dernière, je travaillais avec une petite ONG sur les banques suisses dans les pays en voie de développement. Il y avait un lobby pour bloquer les avoirs de Mobutu et un groupe de pression pour questionner le rôle des banques suisses en Afrique du Sud pendant le régime de l’apartheid. Il y a très peu de femmes dans le monde des ONG, du gouvernement ou des mouvements sociaux qui travaillent sur ces thématiques. Le 7 mars 2001, nous avons établi un programme de dix points pour le Secrétariat d’Etat à l’économie (seco). Jusqu’à ce jour, seulement 1 % de nos demandes a été pris en considération. Il nous faut donc continuer à travailler ensemble. Une de nos demandes est d’avoir des personnes qualifiées en genre dans les délégations et organisations suisses à l’étranger. Nous demandons un compte rendu des discussions sur le genre au sein des organisations comme l’OMC, le FMI, etc. On leur demande que leur staff soit compétent et qu’ils rendent public ce qui est connu sur le commerce international du point de vue du genre afin que nos parlementaires, notre gouvernement et un public large soient informés.
38Nous remarquons des limitations intellectuelles. La plupart des gens pensent que le genre concerne des questions culturelles ou sociales, mais ils ne l’associent pas à l’économie. Il est de ce fait très difficile de parler du genre au niveau macroéconomique.
39Ce que je pense de l’énoncé. Méthodologiquement, l’énoncé me pose problème. S’il s’agit d’une prise de position politique, je n’y vois pas de problème. Je peux accepter que l’économie mondialisée est basée sur les constructions dominantes du genre. Mais je ne suis pas d’accord avec la finalité « afin de maximiser les bénéfices ». En même temps, il n’y aurait pas une telle accumulation mondiale, s’il n’y avait pas une économie genrée.
40Les mots « autrement dit » sont additionnels. Les inégalités de genre bénéficient aux élites du marché, ce qui n’est pas la même chose. Je voudrais ajouter une phrase : par conséquent, il est difficile de changer les rapports de genre en faveur des femmes. Laissez-moi m’expliquer.
41Ce matin, lors des exposés il y avait une absence de perspectives théoriques. Ce n’est pas une question d’absence de recherches, mais un problème de manque de théories. Il est urgent d’élaborer une économie politique de la domination masculine. Il faut problématiser l’accumulation, un terme que je n’ai pas entendu ce matin. On parle souvent des femmes et du microcrédit, mais on ne parle jamais de l’accumulation et du contrôle de l’accumulation. Un grand problème du microcrédit est son lien avec le système bancaire formel et mondialisé. Y a-t-il un flux de capitaux vers ce système ? Comment organiser le système des microcrédits de façon à ce que les bénéfices restent entre les mains des femmes. Il faut se poser ce type de questions. Il n’y pas une théorie économique sur les dynamiques de l’a c-cumulation et du genre, de la mondialisation et l’économie des soins (economy of care). Beaucoup de thématiques méritent d’être intégrées dans les catégories et modèles économiques.
42J’ai fait une analyse de l’élite du marché mondial. Les participants au Forum économique mondial à Davos sont au nombre de 90 % d’hommes, dont 90 % viennent des Etats-Unis, de l’Europe et quelques-uns du Japon. Un tout petit pourcentage d’hommes du Sud font partie du groupe des leaders mondiaux et aucune femme, ni de Suisse, ni d’Europe, ni des Etats-Unis. En analysant la composition de la Marche mondiale des femmes, il y a 30 % de femmes des pays du Nord et les autres 70 % sont des femmes du Sud et de l’Est. Les ONG sont donc différemment mondialisées que les élites du marché mondial. Il faut analytiquement tenir compte de ces deux types de mondialisation.
43Frans Schuurman
C’est bien que vous mentionniez le besoin de théorisations. Un autre chiffre est que 25 à 30 % du commerce international a lieu au sein de la même entreprise multinationale. Ce qui veut dire que l’entreprise mère traite avec ses entreprises filles, et que les théories économiques existantes ne rendent pas compte de ce phénomène. Il y a un besoin pressant de nouvelles théories économiques.
44Mascha Madörin
Si vous me permettez de revenir à la première discussion sur les facteurs nationaux et internationaux : si nous regardons ce que le système bancaire suisse fait avec le transfert des prix pour les compagnies étrangères. Nous avons tant d’argent qui devrait se trouver en Afrique, en Asie, en Amérique latine ou dans les pays de l’Est. Il m’est difficile en tant que Suissesse de parler des élites corrompues dans les pays du Sud.
45Naoko Otobe
Introduction personnelle : l’OIT, où je travaille, est une organisation basée sur les droits. Il existe 183 conventions internationales sur le travail, y compris celles concernant l’égalité de genre, la liberté d’association, la négociation collective, la santé et la sécurité professionnelles, bref tout ce qui relève du droit de travail. L’OIT s’adonne à la promotion des normes internationales de travail. Au sein du système des Nations unies, l’OIT est unique dans la mesure où il s’agit d’un partenariat tripartite : les décideurs viennent du patronat, des syndicats et des gouvernements. Les discussions se font au sein de cette structure tripartite. L’OIT a quatre objectifs stratégiques : 1) la promotion des principes et droits de travail, 2) la promotion de l’emploi, pour les hommes et les femmes, 3) les systèmes de protection et de sécurité sociales, 4) la promotion du dialogue social. L’OIT a une politique de mainstreaming du genre, aussi bien quant à la structure que quant au personnel. Il y aussi un programme sur le Travail décent : liberté, équité et dignité. Je travaille depuis plus de dix ans à l’OIT, tout spécialement sur l’impact genré des politiques macro-économiques sur le travail et l’emploi. Plus récemment, j’ai participé à des recherches sur l’impact de la crise économique aux Philippines et autres pays asiatiques.
46Ma réaction à propos de l’énoncé. C’est intéressant de voir que la quasi-majorité est en accord avec la thèse. J’aurais voulu être entièrement d’accord, mais je ne suis pas sûre de pouvoir l’être. De mon point de vue, la construction du genre est un facteur qui influence le système économique. Ce n’est donc pas la même chose que de dire que l’économie est basée sur la construction dominante du genre. Les systèmes économiques actuels essaient d’exploiter les femmes pour maximiser les bénéfices. Il ne s’agit pas seulement des femmes, mais également des groupes minoritaires et des jeunes. Le marché fonctionne selon la loi de l’offre et de la demande et celle-ci est indifférente au genre ou aux problèmes sociaux. Nous essayons de modérer les processus du laisser-faire en promouvant l’égalité des droits au niveau national. Si les employeurs et employés sont plus conscients de la question de l’égalité des droits, cela pourra se traduire en de meilleures opportunités de travail et l’amélioration des conditions de travail. Les salaires des hommes et des femmes seraient égalisés et tous les partis seraient gagnants. Cela peut paraître utopique, mais je trouve exagéré de dire « afin de maximiser les bénéfices » en soi. Bien que dans certains cas, les femmes soient désavantagées à cause de leurs moindres instruction, alphabétisme et compétences. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de promouvoir l’égalité des droits, ce qui pourrait modérer les processus du marché libre.
47Frans Schuurman
Merci beaucoup. Maintenant, la parole est au public.
48Genoveva Tisheva
Le fait que la Banque mondiale et l’OMC ne travaillent pas avec le genre, le fait qu’il existe des stéréotypes et la ségrégation de l’emploi, qu’est-ce que cela signifie ? Les acteurs de la mondialisation ne prennent pas en considération le genre. Cela veut dire que l’on condamne les systèmes plus ou moins égalitaires qui existent déjà dans certains pays. En Bulgarie, par exemple, ils se sont mis d’accord pour condamner la régulation des normes de travail.
49Bernard Kuiten
Je vous prie de ne pas mettre tout le monde dans le même panier. L’OMC ne doit pas être confondue avec le FMI ou la Banque mondiale. L’OMC ne s’occupe pas des questions de genre, parce que aucun pays membre ne les a introduites. Les participants parlent des règles générales des négociations intergouvernementales sur le commerce, ils ne traitent pas des aspects pratiques des projets comme le font le FMI ou la Banque mondiale. Il est imaginable que dans les négociations sur la libéralisation du secteur des services, un pays aimerait protéger ce secteur de l’extérieur pour des raisons de genre. Mais ceci ne sera pas statué dans les documents légaux de l’OMC. Il est théoriquement très difficile d’intégrer un argument se référant au genre dans le contexte légal de l’OMC. Nous discutons de cette thématique avec certaines ONG. Si vous avez un cadre théorique pour l’OMC ou pour les gouvernements, il y aura peut-être une ouverture, mais jusqu’à maintenant un tel cadre légal fait défaut.
50Ewa Charkiewicz
J’aimerais dire quelque chose sur la différence entre l’OMC, la Banque mondiale et le FMI. Lorsque l’OMC a été fondée à Marrakech, il y a eu des accords de cohérence entre les trois. Tout spécialement les pays en voie de développement ont intégré la politique de la libéralisation du commerce dans leurs stratégies pour réduire la pauvreté. Il y a actuellement une nouvelle sorte de colonialisme suite à ces accords de cohérence et ces cadres intégrés. Insister sur leurs différences ne rend pas justice à la réalité. Les pays endettés n’ont pas beaucoup d’espace de manœuvre.
51L’autre chose concerne l’énoncé et la construction dominante du genre. Aujourd’hui nous avons beaucoup parlé des femmes, mais nous oublions de mentionner les hommes. Les masculinités ont été transformées par la mondialisation. D’un côté, il y a l’homme de Davos, et de l’autre côté, l’homme d’El-Qaida. La capacité d’action (agency) exprimée par l’homme d’El-Qaida est proche de la construction masculine des hommes qui vivent un licenciement, qui sont obligés d’accepter un emploi dit féminin – sous-payé – les hommes russes qui n’arrivent pas à l’âge de la retraite ou ceux qui vivent un désarroi identitaire. La mondialisation a une retombée sociale très lourde sur les hommes. Les masculinités sont reconstruites et nous assistons à l’émergence de masculinités, telles que l’homme de Davos. Il est capable d’action dans le contexte de la mondialisation. Il maximise ses bénéfices et accélère les processus de production et de consommation pendant que les coûts sociaux et environnementaux sont déchargés sur les femmes. Quand elles sont déchargées et quand elles ne sont plus partagées, les responsabilités demeurent inégales. Les rapports de genre restent hiérarchiques et un tel type de masculinité dominante ne permet pas de réaliser le partenariat. Qu’il s’agisse de l’homme d’El-Qaida ou de l’homme de Davos, il n’y a pas de partenariat. Une condition préalable pour changer la position des femmes est qu’elles puissent devenir des partenaires.
52On repasse au vote : deux personnes ont changé d’avis.
Enoncé 3
53Les marchés ouverts et le libre commerce, bien qu’ils semblent offrir des opportunités à certaines femmes, marginalisent les gens du pouvoir de décision concernant leurs vies.
54Vote : la majorité est d’accord.
55Jean François Giovannini
Introduction personnelle : jusqu’en juillet 2001, j’étais le directeur suppléant à la Coopération suisse au développement. J’ai participé à la politique internationale et représenté la Suisse à Rio, au Caire et à Copenhague. J’ai été régulièrement membre des délégations suisses. Nous avons toujours essayé de relayer les propositions lorsque des organisations féministes nous en ont présenté. Nous avons travaillé sur une base régulière avec les organisations qui travaillent sur la problématique des femmes. La DDC connaît une politique genre depuis une vingtaine d’années. Cette politique se développe comme elle se développe dans le monde. Au début c’était des interventions en faveur des femmes et par la suite c’était des analyses plus complètes. Nous avons un excellent service genre. La mise en œuvre pratique se heurte à beaucoup de problèmes. D’abord des problèmes de staff, tout le monde est d’accord sur le principe, mais la réalité n’est pas facile. Puis dans les pays dans lesquels nous travaillons, nous rencontrons beaucoup de résistances. Les résultats sont encore très partiaux.
56En ce qui concerne la globalisation, j’aimerais faire une remarque générale. Il est très difficile d’utiliser un langage général pour une réalité aussi complexe. J’adhère plus ou moins à ce qui a été dit ici. Mais il est nécessaire de nuancer. Je pense que nous n’avons pas vraiment le choix, la globalisation est un fait incontournable. Très peu de pays ont vraiment une option. Quelques pays échappent à la globalisation, quelques-uns ont fait un choix d’être hors du système ou on a fait le choix pour eux (l’Iraq, la Corée du Nord, Cuba, la Birmanie, l’Afghanistan). Seuls de très grands pays ont la possibilité de limiter leur insertion dans l’économie globale, comme la Chine ou les Etats-Unis. Les Etats-Unis pourraient quitter le système global. Leur commerce extérieur ne représente pas une grande partie de PNB, leur dépendance n’est grande que pour l’approvisionnement en pétrole. Mais pour un petit pays comme la Suisse, il n’y a pas une option réelle. Nous ne sommes pas autosuffisants. La globalisation est un système qui existe, qu’on ne peut supprimer, mais il est évident qu’il est bien qu’imparfait de par sa nature. Comment pouvons-nous créer un système social pour les plus défavorisé-e-s ?
57A Doha, nous avons entendu certains pays se plaindre. On a promu la libéralisation, mais la résistance est venue surtout des pays du Nord. Ceux-ci ont moins ouvert leurs frontières que les pays du Sud. La Suisse devrait être plus consciente de cette problématique Nord-Sud dans ses négociations prochaines. La réalité politique est que les ONG sont en train de revendiquer un système plus égalitaire, mais en même temps il y a le pouvoir politique et les intérêts économiques. Ceci résulte en des contradictions. Dans le domaine de l’agriculture suisse, par exemple, la Suisse n’est pas prête à ouvrir ses frontières.
58Cela relève de la responsabilité des agences comme la DDC et de celle des personnes comme moi, de renforcer la capacité de dialogue des femmes, renforcer la société civile, des organisations féminines, participer à l’élaboration de systèmes politiques plus démocratiques. L’OIT établit par exemple des règles internationales, nous devons appuyer la lutte contre le travail des enfants, contre la violation des standards internationaux et la coopération économique et environnementale. Cela peut avoir un effet positif sur d’autres pays et sur les groupes marginalisés, y compris les femmes. Au niveau national, nous pouvons canaliser ces efforts.
59Bernard Kuiten
J’ai de la peine à comprendre comment des marchés ouverts ou le libre commerce marginalisent les gens des processus de décision. Je retournerai l’argument : dans quelle mesure les gens sont-ils marginalisés dans la prise de décision sur la libéralisation du commerce ? C’est une bonne question, car elle vaut pour le Nord aussi bien que pour le Sud. Le problème est que les marchés ouverts et le libre commerce sont des choses auxquelles on s’est habitué depuis les cinquante dernières années, dans tous les cas avec le GATT. Plus récemment, le débat s’est porté vers l’évaluation du néolibéralisme et des marchés ouverts. Est-ce qu’ils sont les meilleurs moyens pour induire le progrès économique et le développement durable ?
60Il faut donc se demander dans quelle mesure les gens sont impliqués dans la prise de décisions sur les politiques de commerce par leurs gouvernements. On vient de discuter de la démocratie. L’OMC ne peut qu’accepter la situation actuelle et les prises de position des gouvernements membres. Les réunions de l’OMC se déroulent démocratiquement. Il n’en va pas de même en amont dans chaque pays où il y a des élites dans des positions dominantes.
61Thais Corral
Les institutions internationales ont des positions très ambiguës. Elles ont beaucoup d’influence sur ce que les pays font. Quand les choses ne se font pas comme elles le souhaitent, c’est la faute des pays, quand les choses répondent aux intérêts des organisations, elles ont les outils pour les pousser jusqu’au bout. C’est ambigu et controversé. La Banque mondiale a organisé des écoutes publiques (public hearings) avant d’initier un projet. Ces évaluations étaient très vagues, on ne parlait pas vraiment des vrais problèmes. Il fallait juste respecter la procédure bureaucratique. Ce n’est que récemment que les gens et les communautés concernés ont été capables de s’organiser, de se faire entendre et de comprendre comment influencer les processus de prise de décisions. Actuellement, il n’y a plus d’écoutes publiques. Il y a une responsabilité pour s’assurer de l’implication des gens. Les grandes organisations devraient assumer cette responsabilité, surtout là où il n’y a pas une véritable société civile.
62Une autre chose, l’OMC compte 144 membres, mais il n’y a que 12 femmes représentantes. Ceci n’est plus du tout acceptable pour une organisation mondiale. Après toutes les conférences dans lesquelles l’égalité du genre a été mise en avant. Si les pays ne présentent pas de femmes, il faut les y obliger, comme vous les obligez à faire d’autres choses.
63Christine Verschuur
Je doute du fonctionnement démocratique de l’OMC, il n’y a guère de femmes présentes lors des négociations. Deuxièmement, je pense qu’il nous faudra examiner le type de mondialisation que nous souhaitons. L’Unesco, par exemple, prône une mondialisation à face humaine. Nous sommes tous égaux, mais certains plus que d’autres semble être la devise. Les règles de la mondialisation devraient s’appliquer à tout le monde. On a besoin de règles pour « contrôler » la mondialisation. Troisièmement, il existe tout de même un nombre de théories économiques féministes sur l’économie des soins ou la reproduction sociale. Les Etats devraient en prendre connaissance et les intégrer dans leurs politiques.
64Silvia de Zordo
Au niveau du vécu des femmes, nous voyons qu’elles sont plus mobiles et qu’elles ont des possibilités de travail. Une étude sur les immigrées en Italie, originaires des pays de l’Est ou d’Amérique latine, nous montre qu’il ne s’agit guère de choix. Ces femmes dans le besoin quittent leur famille et leur pays à un âge très jeune. Elles n’ont pas vraiment d’alternative. Que font ces femmes en Italie ? Elles font le travail de reproduction sociale, car l’Etat ne dispense pas tous ces services sociaux. Ces jeunes femmes n’ont pas de droits, elles sont étrangères et souvent elles sont victimes de violence. Cette internationalisation du travail aliène beaucoup de femmes de la prise de décisions sur leurs vies et leurs corps.
65Vote : personne n’a changé d’avis.
66Passons maintenant aux questions concernant la pratique. Que doit-on faire ?
Enoncé 4
67Avec la forme actuelle de la mondialisation, il n’y a plus de rôle pour la coopération au développement.
68Vote : la majorité est en désaccord.
69Jean François Giovannini
Comme représentant d’une agence de coopération au développement, j’ai toujours pensé que la coopération au développement, surtout bilatérale, n’est qu’un pis-aller. Ce n’est pas un bon système. On devrait d’abord avoir un système équitable sur le plan du commerce international, qui permette à tous les pays de gagner honnêtement leur vie au niveau international, ouvrir les marchés, mettre fin aux subventions agricoles, etc. Et peut-être un système des Nations unies pour certaines tâches particulières, par exemple la formation que l’Unesco pourrait dispenser. Malheureusement, la réalité politique est que seule la coopération bilatérale a un appui politique substantiel dans les pays du Nord, et encore, car aux Etats-Unis ce n’est même plus le cas. C’est beaucoup plus difficile d’obtenir un assentiment politique pour des concessions importantes sur le plan commercial.
70Les ONG ont la tâche d’inventorier les contradictions entre ce qui est et ce qui devrait se faire. Elles doivent conscientiser un large public sur le problème et réfléchir sur un système global qui sera avantageux pour tous les pays.
71Mascha Madörin
Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit. Nous devons faire la différence entre les projets de développement locaux et les politiques économiques au niveau international. Les projets de développement sont un travail de renforcement ou un travail social. Le mot coopération internationale au développement est faux. Nous sommes dans une réalité d’aide au développement. Il faudra inventer une nouvelle politique internationale.
72Frans Schuurman
La coopération internationale au développement était soit bilatérale, soit dirigée vers la société civile. Une des essences de la mondialisation est la fin de l’Etat-nation. Les gouvernements nationaux ont de moins en moins de pouvoir de décision sur ce qui se passe sur leur territoire. C’est peu efficace de les élire comme partenaires de la coopération au développement. Les projets dirigés par la société civile ont de plus en plus le caractère de l’aide d’urgence qu’un soutien structurel pour aller de l’avant. Quel rôle peut jouer la coopération internationale ?
73Bene Madunagu
J’aimerais dire que ce n’est pas nécessairement la forme actuelle de la mondialisation qui devrait être la base de la coopération internationale au développement. Il devrait y avoir une coopération entre gouvernements basée sur la transparence, la démocratie et le bienêtre des gens défini par eux-mêmes. Ce n’est pas forcément la forme actuelle qui est la meilleure.
74Wendy Harcourt
Derrière l’énoncé, il y a la crainte de beaucoup d’individus et d’organisations qui savent quels sont les problèmes : pauvreté, inégalité de genre. Ils se rendent comptent qu’ils sont impuissants pour faire quoi que ce soit. Le système des Nations unies et la façon dont il est organisé ne leur permet plus d’être les acteurs principaux. L’OMC, la Banque mondiale, le FMI et les pouvoirs cachés sont les acteurs principaux actuellement. La coopération internationale a vu le jour il y a quarante-cinq ans dans un monde complètement différent. A l’heure actuelle, quelles sont les institutions qui vont réaliser ce que nous souhaiterions tous : égalité, justice sociale… non seulement entre les pays, mais également à l’intérieur de ceux-ci ? Par-dessus le marché, il y a la question du financement du développement. Cela coûte beaucoup d’argent et nous ne disposons pas des cadres pour avoir cet argent. Les personnes réelles qui prennent les décisions sont également impuissantes. Le système ne fonctionne plus, il y a des gens qui se sont dévoués pour la coopération durant toute leur vie. C’est une question difficile à laquelle je n’ai pas de réponse. Est-ce que la solution est Porto Alegre ? Je ne le pense pas, mais on peut en discuter. Toujours est-il que dans tout cela, on ne discute pas du genre. Est-ce que Porto Alegre va mettre en avant les questions de l’égalité du genre ? Nous connaissons l’homme de Da vos qui ne tient pas compte du genre, mais dans le camp de Porto Alegre, il y a autant d’hommes qui n’y accordent pas d’importance.
75Thais Corral
J’aimerais continuer sur ce que Wendy vient de dire. Nous répétons beaucoup de choses. Quel impact a eu la coopération internationale ? Beaucoup d’argent reste à des niveaux intermédiaires et n’arrive pas aux populations dans le besoin. Porto Alegre est une expression de la société civile, mais avec des objectifs contradictoires. Le genre est choisi comme thème transversal cette année – 2002. C’est le résultat du travail en réseau mondial.
76Mascha Madörin
Je travaille avec des réseaux internationaux et sur les politiques économiques internationales. Si je regarde Attac et d’autres mouvements qui voient le jour, j’ai une impression de déjà-vu. C’est comme dans les années 1970 en ce qui concerne les perspectives théoriques. Cela ne dépasse pas le point de vue des hommes qui s’imaginent ce que sont les questions féministes. Il en va de même pour le mouvement anti-mondialisation. Il existe des théories beaucoup plus avancées, mais je ne les entends nulle part. A chaque fois, on réinvente la roue, nous discutons comme dans les années 1970 et à vrai dire cela me fatigue.
77Bernard Kuiten
L’OMC ne gère pas de projets et n’est pas un bailleur de fonds. Les trois dernières années, cependant, et surtout après Doha, beaucoup d’argent a été investi dans l’assistance technique et le renforcement des compétences. Les demandes viennent des pays en voie de développement et les finances des ministères de la coopération des pays développés. Ces derniers ont tendance à attribuer de plus en plus d’argent à l’OMC. Il ne s’agit pas de savoir ici, si c’est bien ou mal. Mais si l’on pense que l’OMC est quelque chose qui incarne le mal, on peut se poser la question pourquoi la coopération internationale au développement s’intéresse à contribuer à l’assistance technique à travers l’OMC ? Toutefois, il ne s’agit pas de sommes d’argent énormes comparées au budget total.
78Naoko Otobe
L’OIT essaie actuellement de promouvoir sa Déclaration sur les principes et les droits fondamentaux du travail (les conventions des droits fondamentaux comprennent l’égalité, l’élimination du travail des enfants, négociations collectives, et liberté d’association). Le Sommet social a mis ces conventions en avant comme étant fondamentales. Ce n’est pas l’OIT qui a décidé qu’elles étaient fondamentales. Actuellement, l’argent est attribué à la réalisation des conventions, telles égalité du genre, travail des enfants, travail forcé. L’OIT veut promouvoir des droits dans le contexte du développement. Par exemple l’OIT veille sur l’application de ces principes et droits fondamentaux dans les projets mis en œuvre dans les zones industrielles pour l’exportation. Il faudra voir quel impact peuvent avoir de tels projets. Je suis en désaccord avec l’énoncé. Nous pouvons continuer de promouvoir l’égalité de genre dans le domaine du travail par l’approche basée sur les droits.
79Frans Schuurman
En fait, l’existence de régimes non démocratiques est favorable à l’aide au développement. Après le changement des régimes dictatoriaux en Argentine et au Chili, les nouveaux gouvernements ne voulaient plus de l’aide au développement de l’Europe. L’absence de démocratie est la raison d’être de la coopération au développement.
80Vote : un changement d’opinion.
Enoncé 5
81Les actions ayant pour intention d’influencer les politiques d’égalité de genre et de développement durable ne devraient plus se limiter aux questions de genre et développement, mais viser les institutions financières internationales et s’étendre aux relations politiques internationales (BM, FMI, OMC).
82Vote : tout le monde est d’accord.
83Mascha Madörin
En Suisse, il y a eu une grande campagne pour savoir si la Suisse allait rejoindre la Banque mondiale et le FMI. Notre réussite a été que la loi sur la coopération au développement doit être appliquée à la Banque mondiale et le FMI. Nous recevons des rapports sur les politiques de la Banque mondiale, mais pas du FMI. Il est certain qu’ils pensent que le genre se réfère aux rapports sociaux ou à des questions locales, mais que ce n’est pas pertinent pour les politiques macroéconomiques. On croit généralement que les affaires financières et bancaires n’ont rien à voir avec le genre. Il faudra évacuer ce préjugé. Le niveau théorique dans les formations universitaires laisse à désirer. Il faut vraiment rendre les études d’économie dans les universités suisses plus sensibles aux questions de genre.
84Frans Schuurman
En effet, il y a un écart énorme entre les universitaires et les opérationnels du développement. En plus, un grand nombre de gens formés en sciences sociales sont cooptés par la Banque mondiale.
85Mascha Madörin
Et en Suisse, il y a aussi un écart entre la politique étrangère et la politique de la coopération au développement. Le débat continue. De même entre économistes et sociologues. L’économie du développement n’est pas prise au sérieux par les économistes. Ne parlons pas de l’économie féministe. C’est un sport professionnel auquel ne participent que 10 % de femmes. Trop peu d’économistes la prennent au sérieux, et ils ne sont pas disposés à l’intégrer dans leur travail. Ces séparations sont de véritables obstacles.
86Jean François Giovannini
J’aimerais introduire l’image de la corrida. Les institutions internationales sont un peu comme le linge rouge qui sert à tromper le taureau. Les vrais décideurs, ce ne sont pas les organisations internationales, ce sont les gouvernements. Et certains gouvernements plus que les autres, car ils ont des positions de pouvoir dans les institutions. Cela les arrange de dire que c’est la faute au FMI ou à la Banque mondiale. Les vrais responsables sont dans le Congrès des Etats-Unis. C’est là que se situe la résistance au changement et c’est là qu’il faudra faire du lobby. Si le Congrès américain prenait des positions plus fortes, ces organisations changeraient facilement. Il ne faut pas blâmer ces institutions, car elles n’existent pas par elles-mêmes.
87Il faut travailler à partir des gouvernements. Nous pouvons continuer d’accuser la Banque mondiale, mais si l’on n’analyse pas où se trouvent les vrais centres de pouvoir, on n’avancera pas. Le vrai pouvoir se trouve à Washington, non pas à la Banque mondiale, mais au Congrès américain.
88Bernard Kuiten
Il n’y a aucune discussion sur le genre au sein de l’OMC. Comment pourra-t-on intégrer des réflexions sur le genre dans les règles légales de l’OMC ? Il en va de même avec le débat sur les droits humains. Il y a deux ans environ, les ONG ont introduit le débat sur le commerce et les droits humains. Comment tient-on compte des droits humains dans les règles légales ? On peut l’introduire dans le préambule, mais ce n’est pas « contraignant ». A Doha, nous avons pour la première fois essayé de jeter un pont entre le commerce et l’environnement. Il a fallu sept ans pour en arriver là.
89Frans Schuurman
Je me demande si c’est de la théorie qu’il faut ou de la volonté politique.
90Silvia Federici
J’ai trop souvent entendu cet argument que la situation est inéquitable et que les relations commerciales sont ce qu’elles sont parce que le Sud le veut. On ne peut soi-disant pas abolir le travail des enfants, parce que les pays ont besoin de cette main-d’œuvre (Inde, Pakistan). Le FMI se plie à ces besoins, ce qui n’est pas approprié. Il faudra analyser pourquoi ces pays ne peuvent pas abolir le travail des enfants. Il en résulte probablement qu’ils sont mains et pieds liés.
91Chrystel Ferret
Il existe un nombre de cadres théoriques élaborés par les économistes féministes, mais ils ne sont pas utilisés. Les budgets genre ne sont pas pris au sérieux par la DDC. C’est partiellement dû à l’ignorance. Nous pourrons en tant que citoyens interpeller le gouvernement. Par la participation aux réseaux internationaux, nous pouvons également organiser le lobby.
92Il y a eu des progrès, mais il faudra un suivi. Il y a des cadres pour les budgets genre ; il faudra attirer l’attention des collègues hommes. Il faut travailler le mainstreaming. Si le gouvernement ne fait pas d’effort, l’OMC ne changera pas. C’est une question politique.
93Fenneke Reysoo
Quelques mots pour clore le débat. S’il y a une ligne conductrice qui revient dans les discussions des cinq énoncés, c’est que la thématique de l’économie mondialisée et son impact sur le développement social et les questions de genre est un sujet très vaste. A chaque reprise, on a insisté qu’il faudra préciser de quels processus on parle. S’agit-il d’indicateurs, de causes ou de conséquences ? Il est important de tenir compte des contextes historiques, politiques et culturels quand on veut analyser l’impact de l’ouverture des marchés et du libre commerce sur le statut et la position des populations défavorisées. Le dilemme de la croissance est apparu à plusieurs moments : bien qu’il y ait un besoin de croissance économique, sur le terrain nous voyons les conséquences négatives sous la forme de dépendances et d’exploitations induites par les forces des marchés nationaux et internationaux qui sont aveugles aux dimensions de la justice sociale et de l’égalité des genres. Les participant-e-s à notre table ronde nous ont fait part de leurs points de vue et la diversité de ceux-ci a permis des échanges intéressants. Nous espérons sincèrement que le débat vous a aidés à affiner vos réflexions. Tout en vous souhaitant bonne continuation dans vos travaux ultérieurs, je vous remercie de votre participation.
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