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Genre, changements agraires et alimentation

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Christine Verschuur

3. Systèmes agraires, technologies et changements

Femmes et sécurité alimentaire : implications pour la recherche agricole

Louise Fresco
Traduction de Aurélie Cailleaud

Note de l’éditeur

Référence : Fresco, Louise. “Femmes et sécurité alimentaire : implications pour la recherche agricole” in Christine Verschuur, Genre, changements agraires et alimentation, Genève, Cahiers Genre et Développement, n°8, Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2012, pp. 301-312, DOI : 10.4000/books.iheid.5280 – Acheter le .pdf chapitre éditeur.

Texte intégral

1[…] Un nombre croissant d’études portent sur les rôles complexes que jouent les femmes dans la production alimentaire. Il convient ici de souligner que les femmes ne participent pas seulement à la production de subsistance : elles fournissent une part essentielle du revenu du ménage et produisent souvent des surplus commercialisables, ou aident d’autres membres de la famille dans la production de ces surplus.

2En bref, la sécurité alimentaire future exige une augmentation considérable du rendement par unité de surface dans les zones rurales des pays en développement. Un tel accroissement de la productivité nécessitera que l’on prenne des mesures dans de nombreux domaines : dans les politiques de prix, la commercialisation, l’infrastructure, l’approvisionnement en intrants agricoles, la propriété foncière, etc.

3Cela exigera également de nouvelles recherches agricoles pour apporter aux agriculteurs la technologie adéquate, c’est-à-dire les variétés de cultures et les espèces animales, ainsi que les techniques de gestion de la terre et des récoltes, qui modifient les rapports intrants-extrants. Tout en reconnaissant l’impact limité de la recherche agricole en elle-même sur la sécurité alimentaire, il convient de ne pas sous-estimer le rôle de la technologie agricole, comme en témoigne l’augmentation considérable de la production de blé et de riz irrigués dans de nombreuses régions du monde.

Les réponses de la recherche agricole à la nécessité d’augmenter la production alimentaire

La révolution verte

4Depuis la fin des années 1940, un effort important a été fourni pour développer des variétés de cultures alimentaires à haut rendement. En 1971, le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) a été créé pour mettre en place un mécanisme capable de mobiliser un soutien à long terme pour un réseau mondial de 13 centres. Jusqu’à récemment, l’accent a surtout été mis sur le développement de génotypes améliorés, nécessitant de grandes quantités d’intrants pour atteindre leur plein potentiel. Certaines des innovations, communément regroupées sous l’appellation de révolution verte, étaient déjà connues dans les années 1940 (par exemple le maïs hybride ou les hydrocarbures chlorés), mais l’innovation majeure a été l’approche paquet, soit une combinaison définie d’intrants à utiliser pour atteindre le rendement maximum d’une même variété en monoculture. La révolution verte s’est fondée sur les « variétés à haut rendement » (VHR) présentant un niveau accru d’absorption des intrants et une capacité à utiliser efficacement la lumière du soleil, et nécessitant une utilisation extensive de produits biochimiques pour fournir à la plante de grandes quantités de nutriments, un contrôle des nuisibles, des maladies et des mauvaises herbes. La mécanisation peut jouer un rôle important mais elle n’a pas été associée partout à la révolution verte. Pour obtenir de hauts rendements, il a également été nécessaire d’exercer un contrôle strict sur l’environnement de production en utilisant les techniques de culture selon un calendrier et des modalités rigoureux (Pearse 1980). En conséquence, le paquet technologique de la révolution verte a entraîné, pour les ménages agricoles, un besoin accru de main-d’œuvre et l’obligation d’adopter des pratiques plus précises, quand parallèlement les plus hauts rendements ont induit davantage de manutention après récolte et encore accentué le besoin de main-d’œuvre. La diffusion du paquet technologique développé par le CIMMYT (Centre International d’Amélioration du Maïs et du Blé), l’IRRI (Institut International de Recherche sur le Riz) et d’autres instituts, a entraîné une augmentation considérable de la production de céréales, particulièrement en Asie. Toutefois, les progrès les plus importants en volume et en valeur proviennent des zones relativement favorisées, où le potentiel agronomique est le plus important, où les systèmes d’irrigation et les infrastructures existent, et où les intrants techniques comme les engrais et les pesticides sont disponibles.

5Les résultats et les effets indésirables de la révolution verte ont été sévèrement critiqués, en particulier le fait que le paquet technologique n’était pas adapté aux agriculteurs disposant de peu de ressources dans les zones de culture pluviales. En outre, la compétition croissante pour l’obtention de terres de bonne qualité et la concentration de la richesse entre les mains d’une minorité de grands propriétaires terriens ont conduit, dans certaines zones, à des déplacements de population et ont contribué à augmenter le nombre de personnes sans terre contraintes d’acheter leur nourriture. La révolution verte n’a pas non plus apporté de solution pour la zone la plus problématique en matière de production alimentaire : l’Afrique. Les deux cultures principales de la révolution verte – le blé et le riz – qui comptent pour près de la moitié des gains de productivité réalisés en Asie, ne sont pas répandues en Afrique. D’autres hybrides, comme le sorgho, ont connu des échecs essentiellement à cause de la variabilité des chutes de pluie, de la faible fertilité des sols, et de problèmes de maladies (Eicher 1983). Les systèmes de production africains sont extrêmement complexes et variés, ils requièrent des technologies adaptées à leur environnement spécifique.

6Le débat sur les effets du paquet de la révolution verte, et sur les hauts rendements en particulier, a donné naissance à une discussion plus large sur les présupposés souvent implicites de la recherche agricole. Celle-ci considère fréquemment, plus ou moins implicitement, que :

  • l’agriculture est pratiquée dans des exploitations familiales ayant une fonction de production unique, dirigées par les individus de sexe masculin qui contrôlent les ressources des autres membres du foyer ;

  • l’objectif des agriculteurs est de maximiser les revenus bruts de la production agricole ;

  • la technologie agricole et les principes économiques de production sont neutres du point de vue du genre, c’est-à-dire pertinents pour tout agriculteur, homme ou femme ;

  • les contraintes s’exerçant sur la production de l’exploitation sont purement technologiques, et non sociales ou culturelles ;

  • les agriculteurs reçoivent passivement les innovations, et les systèmes de connaissance indigènes sont pour la plupart sans intérêt.

7Jiggins et al. (1981) ont montré que l’augmentation de la production n’implique pas forcément l’utilisation de hautes technologies et de stratégies évoluées d’investissement. Compte tenu des facteurs institutionnels, il est peu probable que les technologies avancées soient utilisées à l’échelle globale, par exemple parce que le manque de devises étrangères empêche d’importer les produits biochimiques, et parce que les pratiques actuelles de gestion des exploitations et les mécanismes d’approvisionnement en intrants limitent leur utilisation.

La recherche sur les systèmes agraires

8L’écart important entre les rendements en laboratoire et ceux réellement observés chez les agriculteurs, les effets secondaires néfastes et inattendus de la diffusion des nouvelles technologies à grande échelle et les faibles niveaux d’utilisation des nouvelles technologies par les agriculteurs ont suscité le développement d’un nouvel axe de recherche. La recherche sur les systèmes agraires (farming systems research, FSR) s’est construite comme une approche de la recherche agricole pertinente à la fois pour le travail sur site et pour le travail hors site, qui se concentre sur les conditions de vie des agriculteurs et sur leurs besoins explicites (Simmonds 1984). Son point de départ est l’exploitation agricole dans son intégralité, en tenant compte du bétail et de l’emploi hors exploitation (c’est-à-dire le système agraire).

9Idéalement, la FSR est une recherche interdisciplinaire, orientée vers l’action, propre au lieu où elle se déroule et qui prend en compte plusieurs productions (voir par exemple Shaner et al. 1982). La FSR cherche à intégrer le fait que les exploitations (et les ménages ruraux) fonctionnent comme des systèmes, ce qui signifie que les agriculteurs ne cherchent pas à atteindre un niveau technologique optimal ou même des rendements optimaux pour une seule entreprise. Elle fait aussi l’hypothèse que les agriculteurs se comportent de façon rationnelle en fonction de leur environnement et de leurs contraintes de ressources. Par exemple, une production inefficace ou une mauvaise gestion peuvent être le reflet de la pauvreté plutôt que de l’ignorance. Les activités de la FSR concernent en général les systèmes (par exemple l’introduction d’un nouveau germoplasme), la révision des systèmes (par exemple l’augmentation de l’intensité culturale) et le remplacement des systèmes de production agraires traditionnels par de nouveaux systèmes (Dillon et Anderson, non daté).

10La FSR a évalué d’une manière nouvelle les techniques traditionnelles, telles que les cultures mixtes, ou l’utilisation combinées de parcelles située dans les hautes terres et dans les vallées, ou encore l’utilisation de variétés traditionnelles de céréales résistantes à la sécheresse (mais habituellement à faible rendement) telles que le jonc des chaisiers ou le mil africain. Elle s’est aussi intéressée à la nécessité de réduire les variations de la production totale des exploitations et d’assurer la sécurité alimentaire des ménages.

11Ainsi, il est possible que la FSR puisse pallier certaines inadéquations de la recherche agricole passée, en particulier en ce qui concerne les femmes. Il ne fait aucun doute que les résultats des recherches affecteront les femmes, directement en tant qu’agricultrices, ou indirectement par l’impact de ces résultats sur la division du travail et l’allocation des ressources dans et entre les ménages. Néanmoins, jusqu’à maintenant, la FSR ne s’est que rarement préoccupée de façon systématique de l’allocation des ressources à l’intérieur du ménage, ou des méthodes permettant de prendre en compte les schémas de production et le savoir agricole des femmes, ou encore d’étudier la technologie pour en évaluer les effets négatifs sur les femmes.

L’impact de la technologie agricole sur les femmes

12Les effets (secondaires) de la révolution verte et des autres paquets technologiques sur les femmes ont fait l’objet d’études approfondies faute d’être nombreuses. Agarwal (1981) montre qu’il est nécessaire de différencier l’Asie de l’Afrique. En Asie, où le ratio travail/terre est élevé et où une forte proportion de ménages ne possèdent pas de terre, les mariages sont en général monogames et les femmes assistent leurs maris dans l’exploitation familiale. En Afrique, en revanche, où le ratio travail/terre est bas et la polygamie fréquente, les hommes et les femmes cultivent des parcelles différentes et produisent parfois des cultures différentes. Contrairement à l’Asie, l’Afrique est caractérisée par une agriculture utilisant peu d’intrants externes. Indubitablement, la technologie agricole affecte les femmes des deux continents de manière différente. En outre, la classe socio-économique contribue à déterminer plus précisément l’impact de la technologie.

13Sans amoindrir les différences fondamentales entre les femmes du tiers-monde, il convient de mettre ici en avant un certain nombre de traits qui semblent communs. À quelques exceptions près, le travail des femmes est essentiel à deux moments du processus de production des petites exploitations : 1) lors du désherbage (et du repiquage dans le cas du riz irrigué) ; 2) lors du traitement après récolte des produits (transformation à petite échelle, stockage, séchage, etc.) et également durant la récolte dans de nombreux cas.

14De plus, les femmes sont universellement confrontées à des contraintes de temps, car leurs rôles de reproductrices au sein de leur ménage, d’agricultrices et, dans certains cas, d’employées hors de l’exploitation agricole, exercent des pressions concurrentes sur leur temps disponible. Les femmes se voient aussi fréquemment confier la responsabilité de s’occuper des petits animaux (de basse-cour).

15Les conséquences des nouvelles technologies sur les femmes dépendent de nombreux facteurs, dont les suivants :

  1. le rôle et la position des femmes dans les systèmes agraires spécifiques, y compris leur accès aux ressources et les schémas intrafamiliaux de répartition des ressources et du revenu.

  2. les facteurs externes influençant la production agricole tels que les prix des produits agricoles et des intrants, les contraintes environnementales, les réglementations gouvernementales.

  3. la nature des technologies, en particulier les caractéristiques suivantes :

    • les technologies qui économisent la terre et requièrent beaucoup de main-d’œuvre (Agarwal 1981), comme les intrants biochimiques, l’irrigation par puits tubulaires et les VHR.

    • les technologies de postproduction et d’après récolte qui réduisent la main-d’œuvre nécessaire, telles que les batteuses, les sécheuses et les moulins.

    • les technologies permettant une extension des surfaces cultivées : les tracteurs, la traction animale.

    • les modifications des techniques de culture, comme les changements de types de cultures et de gestion des cultures (cultures additionnelles, variétés à maturation précoce, etc.)

16L’impact de la technologie sur les femmes doit être évalué en tenant compte de ses effets directs et indirects, mais aussi de ses effets à court et à long terme. Il convient également de distinguer les effets des technologies agricoles en elles-mêmes de ceux résultant de la synergie entre la technologie et les autres mesures décidées, comme cela se produit par exemple dans le cadre des programmes de réinstallation où les titres de propriété des terres et les crédits ne sont alloués qu’aux hommes.

17De nombreuses études (par exemple Staudt 1979) révèlent un écart croissant entre la productivité du travail des hommes et de celui des femmes, car ces dernières ont un accès plus limité aux technologies et des objectifs de gestion différents de ceux des hommes. Évaluer l’impact de la technologie ne devrait pas se faire en isolant les femmes du contexte de leur foyer. En effet, une perception erronée du noyau familial a empêché de nombreux chercheurs de comprendre les cadres de fonctionnement distincts des femmes et des hommes (leurs obligations et leurs intérêts, ainsi que l’influence de la dynamique intrafamiliale sur la productivité agricole – voir par exemple Jones 1983). Les technologies qui ne tiennent pas compte des sources de revenu autonome des femmes, en présumant par exemple que la main-d’œuvre féminine sera à disposition pour atténuer les goulets d’étranglement de la production, risquent d’avoir des effets néfastes sur la santé des femmes et sur leur capacité à assurer, pour les autres membres du foyer, un approvisionnement alimentaire stable.

18Une étude cas peut être utile pour montrer l’impact de la technologie sur les femmes. Dey (1983) a décrit les changements dans la division sexuelle du travail en Gambie, au moment où la production de riz inondé, une culture traditionnellement féminine, a été remplacée par la production de riz irrigué. Alors que les hommes ont pris le contrôle des équipements techniques et des systèmes d’irrigation, les femmes ont vu leur travail devenir essentiel au repiquage, au désherbage et au vannage. Le riz irrigué étant une culture commerciale dont les revenus reviennent aux hommes, les femmes ont dû continuer à produire une récolte de riz inondé de mousson pour la consommation du foyer au lieu de suivre le schéma de doubles cultures censé se mettre en place. Ainsi, la charge de travail des femmes a augmenté car celles-ci ont dû apporter leur aide dans les champs de riz irrigués, sans être rémunérées, ou très peu, les hommes ne pouvant se permettre ni de payer des salaires réalistes ni d’engager de la main-d’œuvre. En outre, le programme de recherche qui a développé les technologies a négligé le savoir traditionnel des femmes sur les types de sols, les problèmes de toxicité et de salinité et la gestion de l’eau.

Les implications pour les stratégies de la recherche agricole

19La production agricole doit indubitablement être intensifiée pour assurer la sécurité alimentaire de toutes les catégories de personnes dans le monde. Une partie considérable de la nourriture devra être produite dans des zones peu favorables avec des possibilités limitées d’irrigation, une infrastructure et un réseau commercial faibles, et des services d’approvisionnement peu nombreux et souvent inadéquats. Les femmes joueront un rôle vital dans cette augmentation de la production. L’approche par les systèmes agraires dans la recherche agricole prône le développement de technologies agricoles basées sur les besoins et les contraintes des agriculteurs. Cependant, de manière générale, la recherche agricole n’a pas bien pris en compte les problèmes spécifiques des productrices, ce qui a souvent abouti à des technologies qui, directement ou indirectement, ont eu des conséquences négatives pour les femmes.

20Dans ces conditions, comment développer ou adapter des technologies agricoles capables de remédier à ces problèmes ?

21Trois sujets seront abordés ici : les présupposés des chercheurs sur les agriculteurs, les priorités techniques de la recherche, les méthodes de recherche.

Les présupposés de la recherche

22Il est urgent de remplacer les présupposés (implicites) sur les agriculteurs et l’agriculture par une vision plus proche de la réalité vécue par les femmes. Cela implique une reconnaissance de la diversité des rôles productifs et reproductifs des femmes. Cela implique également de ne plus considérer l’exploitation comme une entreprise unique placée sous la gestion d’un homme, mais de prendre en compte les multiples objectifs productifs et reproductifs des membres du ménage – et leur variation en fonction du cycle de vie du ménage. De plus, il convient de reconnaître que le transfert des technologies et des innovations entre les membres du ménage (la soi-disant diffusion par « effet de diffusion transversale » entre mari et femme) n’est pas automatique. Une attention particulière doit être portée aux modèles complexes basés sur le genre en matière d’allocation des ressources, de l’information et des avantages à l’intérieur du foyer. L’importance du travail non agricole, réalisé par les hommes et les femmes, ne doit pas être sous-estimée. Toutes les études diagnostiques devraient mentionner explicitement les contraintes de production alimentaire qui pèsent sur les ménages dirigés par les femmes. La disponibilité selon les saisons, la valeur et le rendement de la main-d’œuvre féminine agricole, et l’écart de productivité entre les hommes et les femmes doivent être très attentivement évalués dans une perspective de genre.

23Avant toute autre chose, changer les présupposés sur lesquels se fonde la plus grande partie de la recherche agricole requiert un changement d’attitude des chercheurs (masculins). Mais cela ne sera envisageable que si la pertinence des rôles des femmes est démontrée, ainsi que les coûts associés à leur non prise en compte. Cela signifie également qu’il est nécessaire d’intégrer des chercheurs en sciences sociales dans les équipes de recherche agricole – fait largement reconnu par la FSR (Horton 1984), même si la plupart des chercheurs en sciences sociales rattachés à cette approche n’ont accordé que peu d’attention aux femmes.

24Les études de plus en plus nombreuses sur les rôles joués par les femmes dans la production alimentaire, réalisées par des chercheurs en sciences sociales, par les bureaux des femmes, les universités et les fondations privées, ne sont que rarement mises à la disposition de la recherche agricole. Il est recommandé de créer des banques de données aux niveaux régional et national dans le but de rassembler et de coordonner l’information existante (et les rapports non publiés !) sur les rôles des femmes dans l’agriculture et qui peut être pertinente pour la recherche agricole. Une liste des études disponibles pourrait être publiée annuellement. Il sera sans doute nécessaire d’approfondir la réflexion sur ces études, mais celles-ci pourraient néanmoins constituer un point de départ pour formuler des hypothèses reflétant de manière plus adéquate la réalité des ménages de petits agriculteurs. Il sera nécessaire de développer des méthodes de transposition des résultats de ces études en postulats pertinents pour la recherche agricole. Par ailleurs, des recherches spécifiques sont requises pour décrire l’impact des nouvelles technologies agricoles sur les femmes, en particulier sur leur santé, leur revenu, leur emploi, leur charge de travail et sur la sécurité alimentaire du foyer. Les conséquences des politiques agricoles (prix, produits) doivent également être évaluées.

Les priorités de la recherche

25En ce qui concerne les priorités de la recherche, un certain nombre de points particulièrement – mais pas exclusivement – pertinents pour les femmes peuvent être mentionnés.

26En premier lieu, il est globalement nécessaire que la recherche ne se concentre plus sur l’augmentation de la production en monoculture et s’intéresse plutôt à un plus vaste éventail de cultures et de technologies.

27En second lieu, les technologies économes en main-d’œuvre, ou celles autorisant une réallocation de la main-d’œuvre pour atténuer les goulets d’étranglement pendant les phases de production et d’après récolte, méritent une attention particulière. En conséquence, les programmes de création variétale et d’agronomie générale devraient mettre l’accent sur les variétés végétales qui n’augmentent pas les exigences en main-d’œuvre, ou qui pourraient même les réduire, comme par exemple les variétés adaptées à l’ensemencement en période sèche ou à l’ensemencement tardif, ou celles requérant un travail minimum. Compte tenu des problèmes d’approvisionnement en intrants et les fluctuations de prix, les agriculteurs seront plus enclins à préférer des technologies ne nécessitant pas de grandes quantités d’intrants. Il est nécessaire de maintenir la diversité génétique et de reconnaître le fait que les cultures vivrières croissent au sein d’un mélange polyvariétal. Les cultures marginales (traditionnelles) telles que les légumes, les haricots et parfois les céréales sèches, les racines et les tubercules, qui sont habituellement de la responsabilité des femmes et revêtent un caractère essentiel pour le régime alimentaire du ménage, ne doivent pas être ignorées. Il faut également reconnaître que de nombreuses cultures répondent à de multiples objectifs en dehors de leur rôle alimentaire, et souvent en fonction de la saison. Elles peuvent avoir une fonction d’alimentation animale, de fourrage, de combustible, être utilisée pour faire de l’ombre, et servir de chaume, de légume, d’emballage ou de matériau de construction.

28La recherche devrait se concentrer sur la stabilité des rendements à long terme, en réduisant les variations dans la productivité totale de l’exploitation, annuellement et dans une perspective temporelle longue, plutôt que sur un rendement maximum des cultures. Cela implique avant tout que le socle de ressources naturelles des agriculteurs soit protégé pour diminuer les effets de l’érosion par le vent et par l’eau et prévenir la détérioration de la structure des sols ainsi que la perte de fertilité. Deuxièmement, la stabilité nécessitera des technologies dans les domaines de la diversification des cultures, des cultures en système mixte (en relais ou double), des systèmes agroforestiers (y compris les graminées vivaces et les arbustes), l’intégration du bétail – le gros bétail et les petits ruminants – dans les cultures de façon à développer des systèmes de production équilibrés. Le développement de technologies pour la culture pluviale dans les régions tropicales africaines humides ou semi-arides (par exemple les variétés à maturité précoce et résistantes à la sécheresse) nécessite un effort spécifique. On devrait également accorder plus d’attention à l’amélioration des tâches typiquement allouées aux femmes, comme le désherbage et la transformation des aliments. Les femmes ayant de fortes chances de cultiver des terres moins productives que celles exploitées par les hommes, il serait particulièrement pertinent de développer des technologies pour les sols peu fertiles. Pour de nombreuses cultures, il est certes nécessaire de faire un compromis entre la teneur en protéines et le rendement ; néanmoins, augmenter la teneur en protéines tout en stabilisant les fluctuations du rendement pourrait avoir un effet bénéfique sur la sécurité alimentaire des ménages.

29Ce type de recherches aura des conséquences multiples sur les méthodes de la recherche agricole. Tout d’abord, elles nécessitent une implication à long terme dans une zone donnée, car le développement et la mise à l’essai de systèmes stables incluant des plantes vivaces impliquent une présence sur place pendant de nombreuses saisons. La participation active des agriculteurs durant le processus de recherche sera essentielle. Le modèle « du paysan au paysan », développé au Pérou (Horton 1984) ou spécifiquement pour les femmes (Fresco 1982), illustre la manière dont la participation peut se mettre en place. Le savoir et les compétences traditionnelles des femmes, par exemple sur les types de sols, les mauvaises herbes, des variétés de cultures, devraient être étudiées et utilisées, en particulier pendant les phases de diagnostic, de conception et d’expérimentation. Il conviendrait de porter une attention toute particulière aux critères utilisés par les femmes pour évaluer les technologies : par exemple les propriétés des aliments pour la cuisine, le stockage et le nettoyage, ainsi que les exigences en terme de bois de chauffage et d’eau de toute nouvelle variété de culture, les exigences en main-d’œuvre (selon les saisons), la part des bénéfices qu’elles peuvent espérer recevoir, etc. Les sources de variabilité entre les systèmes de production et les ménages devraient être prises en compte. La communication avec les agricultrices ne devra pas être considérée comme donnée, elle nécessitera souvent l’implication de femmes dans la recherche et/ou la vulgarisation. La formation de l’équipe de recherche dans son ensemble pourra s’avérer utile pour éveiller une conscience des rôles et des contraintes spécifiques aux femmes dans le domaine agricole. Les femmes étant peu nombreuses dans la recherche agricole, il sera nécessaire d’augmenter les possibilités de formation initiale et continue pour les femmes dans la recherche agronomique et les domaines associés, avec comme perspective le développement de l’expertise dans les études des systèmes agricoles.

30Pour résumer, l’ampleur du problème de la sécurité alimentaire nécessitera une approche innovante et ouverte, qui se débarrasse de l’image des femmes censées être de piètres travailleuses et des consommatrices passives. Toute tentative de développer des technologies pour l’augmentation de la production alimentaire dans les pays du tiers-monde se devra d’impliquer les agricultrices en tant que participantes et partenaires.

Source du chapitre : Traduit de l’anglais. Texte original in : Femmes et politiques alimentaires, Actes du Séminaire international sur la place des femmes dans l’autosuffisance et les stratégies alimentaires. ORSTOM – CIE. Paris : Éditions de l’ORSTOM. 14-18 janvier 1985.

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Staudt, K. 1979. Development interventions and differential technology impact between men and women. 3rd Annual Third World Conference. Omaha : University of Nebraska.

Auteur

Agronome, Université d’Amsterdam.

Aurélie Cailleaud (Traducteur)

CC-BY-NC-ND-4.0

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