3. Les ressources minérales de l'antarctique, mythe ou réalité ?
p. 21-25
Texte intégral
1La spéculation sur les ressources minérales de l'Antarctique n'est pas récente, car elle date en fait de la première période de l'exploration du continent austral.82 Malgré la boutade de l'Américain Gould, qui affirmait en 1960 qu'il ne donnait pas un sou pour toutes les ressources de l'Antarctique,83 il faut souligner que les Etats-Unis aussi bien que l'Union Soviétique ont considéré ces ressources minérales de l'Antarctique comme étant de première importance.84
2La question des ressources minérales de l'Antarctique a été un sujet qui a suscité énormément d'intérêt, notamment depuis les années 1907-1909, pendant lesquelles on découvrit des gisements de charbon. En s'appuyant sur la thèse du Gondwanaland, d'après laquelle l'Antarctique était jadis rattachée à l'Amérique du Sud, à l'Afrique, à l'Australie et à l'Inde,85 formant une masse terrestre connue sous le nom de Gondwana,86 les géologues ont pu affirmer que le continent antarctique devait contenir les mêmes ressources minérales que celles découvertes dans les pays voisins. Ainsi, pense-t-on que dans la péninsule Antarctique, qui était jadis la continuation des Andes, se trouvent des gisements de cuivre similaires à ceux du Pérou ou du Chili. La même analogie a été tentée entre la mer de Ross et l'Est de l'Australie en ce qui concerne les gisements de pétrole, et entre l'Antarctique orientale et l'Afrique du Sud, ce qui a nourri des spéculations sur la présence d'uranium en Antarctique.
3Sans rentrer dans une controverse profonde à ce sujet, il nous semble possible d'affirmer que l'Antarctique est un continent riche en ressources minérales.87 D'après les recherches géologiques et sismiques qui ont été effectuées, il semblerait que l'Antarctique contient aussi bien des ressources minérales métalliques (fer, cuivre, molybdène, or, argent, nickel, cobalt, platine, chrome, manganèse, etc.), que non-métalliques (mica, quartz, graphite, phosphate, etc.), sans oublier, bien sûr, les ressources énergétiques (charbon, gaz, pétrole et uranium).88 A cela il faut ajouter la présence de nodules polymétalliques dans les mers bordant l'Antarctique, nodules qui contiennent des proportions significatives de fer, manganèse, nickel, chrome, cobalt et cuivre.89
4Mais si l'Antarctique est un continent riche en ressources, il faut relever que l'exploitation de celles-ci est difficile dans l'état actuel de la technique90 et que les perspectives d'exploitation avec un minimum de rentabilité semblent pour le moins lointaines.91 En réalité, cette opinion avait déjà été exprimée par les Etats-Unis en 1976 lors d'une réunion spéciale des Parties consultatives à Paris. Dans le rapport présenté par ce pays, il était dit que :
« Interpretation of the geologic and geophysical data so far accumulated indicates a good probability that quantities of oil or gas or both are present in the Antarctic continental shelf. At the same time, these data are insufficient to establish the probabilities of occurrence of economically recoverable deposits of petroleum. The combination of water depth, ice conditions, severe weather, transportation costs, and short annual working time imply production costs of such magnitude that other areas will be more attractive to industrial exploitation for some time, given current assumptions on the economics of hydrocarbon development. »
5Le rapport continue en disant :
« [It] appears that the Antarctic continental shelf could contain potentially recoverable oil on the order of magnitude of tens of millions of barrels, but it is less likely that no potentially recoverable resources occur or that even larger amounts exist. »92
6A ce sujet, le représentant australien (Woolcott) fit, devant la Première Commission des Nations Unies, la déclaration que voici :
« L'Antarctique ne recèle pas une abondance infinie de ressources minérales. Le premier rapport du Secrétaire général93 a indiqué qu'il n'existait pas de ressources minérales dans l'Antarctique en quantité suffisante pour que leur extraction soit économiquement rentable. En outre, dans l'état actuel des techniques et compte tenu des conditions économiques présentes, il est peu probable que les ressources minérales qui existent en Antarctique pourront être exploitées avant que le XXIe siècle soit bien avancé. »94
7Cette déclaration nous semble réaliste. En effet, de toutes les ressources de l'Antarctique, les hydrocarbures sont peut-être les plus attrayantes des ressources non-renouvelables, notamment dans les régions de Weddell, Bellingshausen, de la mer de Ross et, en général, dans tout le plateau continental. Cependant, de grands problèmes techniques95 et d'environnement96 doivent encore être surmontés, et seulement les grands gisements pourront être exploités dans des conditions économiques normales.97
8Mais l'exemple des régions arctiques98 et l'exploitation des hydrocarbures dans la mer du Nord montrent que ces problèmes pourraient éventuellement être résolus si nécessaire. Ainsi, l'exploitation de ressources commercialement non rentables pourrait être entreprise pour des raisons stratégiques99 ou politiques100 qui permettraient à l'exploitant de s'assurer une certaine indépendance. Dans ce cas, à qui appartiendraient ces ressources ? Est-ce que l'Antarctique devrait être un nouvel exemple du triomphe de l'intérêt national ou le symbole d'une coopération multilatérale ? Est-ce que les éventuels avantages à tirer de l'exploitation devraient profiter au pays qui a pris l'initiative, à une minorité de nations (Etats antarctiques) ou à l'ensemble de la Communauté internationale ? Est-ce que le règlement des conflits d'intérêt qui résultent des activités minérales et humaines doit être confié aux Etats eux-mêmes pris individuellement, ou bien doit-il être laissé à une institution de coordination internationale ? La réponse à ces questions constitue aujourd'hui un défi pour l'internationaliste,101 d'où l'intérêt de l'étude que nous entreprenons.
Notes de bas de page
82 Costa (Da) J.F. Souveraineté sur l’Antarctique. Paris, LCDJ, 1958, p. 56.
83 The Antarctic Treaty. Hearings, Committee on Foreign Relations, Senate, 86th Congress, 2nd Session, 1960, p. 75.
84 Cf. Auburn F.M. Antarctic Law and Politics, op. cit. (supra note 60), pp. 61-83 et 241 et ss.
85 D’après les géologues, la séparation de ces continents a pu avoir lieu il y a 180 à 200 millions d’années.
86 La plupart des auteurs qui analysent la question des ressources minérales font allusion à la thèse du Gondwanaland. Cf. Craddock C. « Antarctica and Gondwanaland ». In: M.A. McWhinnie (éd.). Polar Research. Boulder (Colorado), Westview Press, 1978, pp. 63 et ss. Cf. également Auburn F.M. Antarctic Law and Politics, op. cit. (supra note 60), pp. 246-247; Newman P.E. « The Antarctic Mineral Resources Convention... », op. cit. (supra note 50), p. 422; Westermeyer William E. The Politics of Mineral Resource Development in Antarctica. Alternative Regimes for the Future. Boulder (Colorado), West-view Press, 1984, pp. 36-37; et Nations Unies, doc. A/39/583 (Part I), p. 95.
87 Carrol James E. « Of Icebergs, Oilwells and Treaties: Hydrocarbon Exploitation Offshore Antarctica ». Stanford Journal of International Law, 1983, pp. 207 et ss. D’après cet auteur, « [t]he Antarctic region is rich in nearly inaccessible natural resources ». Ibid., p. 209. Cf. également Peterson M.J. « The Antarctica: The Last Great Land Rush on Earth ». International Organization, 1980, pp. 377-403.
88 Ces ressources se trouvent cependant dans des zones peu étendues et isolées ; elles ne présentent pas, actuellement, une grande valeur commerciale. Seuls, peut-être, le charbon et le fer dans les montagnes Transantarctiques pourraient être considérées comme des ressources intéressantes s’ils se situaient sur d’autres continents. Cf. à cet égard Wasserman Ursula. « The Antarctic Treaty and Natural Resources ». Journal of World Trade Law, 1978, pp. 174-179. Voir également Norton Garret John. « The Economic of Antarctic Oil ». In: Antarctic Politics..., op. cit. (supra note 75), pp. 185-190.
89 A ce sujet, cf. Boczek Boleslaw A. « The Soviet Union and the Antarctic Regime ». American Journal of International Law, 1984, pp. 834-858, notamment pp. 850-853; Gjelsvik Tore. « The Mineral Resources of Antarctica: Progress in Their Identification ». In: Antarctic Resources Policy..., op. cit. (supra note 6), pp. 61-76; Tessensohn Franz. « present Knowledge of Non-Living Resources in the Antarctic, Possibilities for their Exploitation and Scientific Perspective ». In: Antarctic Challenge, op. cit. (supra note 6), pp. 189-210; du même auteur, voir également « Antarctic Mineral Resources: Tell Us Where the Riches Are... ». In: Antarctic Challenge II, op. cit. (supra note 3), pp. 19-35; Zumberge James H. « Mineral Resource and Geopolitics in Antarctica ». American Scientist, 1979, pp. 68 et ss.
90 Colson David. « The Antarctic Treaty System: The Mineral Issue ». Law and Policy in International Business, 1980, pp. 841-902. Cf. également Dugger John A. « Exploiting Antarctic Mineral Resources Technology, Economics and the Environment ». University of Miami Law Review, 1978, pp. 315-341.
91 Cette affirmation vaut surtout pour l'exploitation des ressources du sol antarctique. Cf. Handbook of the Antarctic Treaty System, op. cit. (supra note 46), Annexes F1 et F4. Voir également Mitchell Barbara. Frozen Stakes - The Future of Antarctic Minerals. Londres, International Institute for Environment and Development, 1983, p. 7.
92 Cf. Dugger J.A. «Exploiting Antarctic Mineral Resources... », op. cit. (supra note 90), pp. 319-320. Voir également, Carroll J.E. « Of Icebergs, Oilwells and Treaties... », op. cit. (supra note 87), pp. 311-312. La Société Gulf Oil a estimé à plus de 50 milliards de barils de pétrole les réserves qui se trouvent sous la glace des mers de Weddell et de Ross.
93 Cf. Nations Unies, doc. A/39/583 (Part I).
94 Cf. Nations Unies, doc. a/C.1/41/PV.51 du 19 décembre 1986, pp. 13/15.
95 La présence de glace mobile sur le continent et en mer, les conditions climatiques rigoureuses, les difficultés de stockage et l'éloignement des zones industrielles constituent autant d'obstacles pour une exploitation régulière. A cet égard, cf. Carroll J.E. « Of Icebergs, Oilwells and Treaties... », op. cit. (supra note 87), pp. 210-211.
96 A ce sujet, voir le « Report of the Group of Experts on Mineral Exploitation », du 29 septembre 1977. In: Handbook of the Antarctic Treaty System, op. cit. (supra note 46), Annexe F, pp. F11 et ss.
La doctrine s'est largement occupée de ce problème : cf. en particulier J.H. Zumberge (éd.). Possible Environmental Effects of Mineral Exploitation in Antarctica. Cambridge, Scientific Committee on Antarctic Research, 1979, pp. 10 et ss. Voir également, Auburn F.M. « The Antarctic Environment ». Yearbook of World Affairs, 1981, pp. 248-265; Behrendt John C. « Environmental Effects of Development of Antarctic Petroleum and Mineral Resources ». In: Antarctic Challenge II, op. cit. (supra note 3), pp. 42-46; Boczek Boleslav A. « The Protection of the Antarctic Ecosystem: A Study in International Environmental Law ». Ocean Development and International Law, 1983, pp. 347-424; Charney Jonathan I. « Future Strategies for an Antarctic Mineral Resource Regime - Can the Environment Be Protected? » In : The New Nationalism..., op. cit. (supra note 48), pp. 206 et ss. ; Essen (van der) A. « La protection de l'environnement ». Revue belge de droit international, 1984-1985, pp. 617-622; Joyner Christopher C. « protection of the Antarctic Environment: Rethinking the Problems and Prospects ». Cornell International Law Journal, 1986, pp. 259 et ss.; Kappen Ludger. « Ecological Aspects of an Exploitation of the Non-Living Resources of the Antarctic». In: Antarctic Challenge, op. cit. (supra note 6), pp. 211-217 ; Kiss Alexandre C. « Qui assure la conservation de l'environnement dans l'Antarctique ? » Environmental Policy and Law, nos 2/3, 1985, pp. 52-54; Llano George A. « Ecology of the Southern Ocean Region-. University of Miami Law Review, 1978, pp. 357-370.
97 Il est généralement admis que, pour justifier les grands investissements que requiert l'extraction du pétrole dans la région, il faudrait que les gisements puissent produire entre 300.000-400.000 barils par jour. Cf. Holdgate M.W. and Tinker J. Oil and Other Minerals in the Antarctic. Report of a Workshop Sponsored by the Rockfeller Foundation at Bellagio (Italy), 5-8th March 1979, p. 29. Voir également Auburn F.M. « Offshore Oil and Gas in Antarctica ». German Yearbook of International Law, 1977, pp. 139-173; du même auteur, « Legal Implications of Petroleum Resources of the Antarctic Continental Shelf ». Ocean Yearbook (University of Chicago), 1978, pp. 500-515.
98 Dans cette région, le Canada a développé des techniques très avancées. Cf. sur ce point l'étude de Croasdale K.R. « Arctic Offshore Technology and its Relevance to the Antarctic ». In: Antarctic Treaty System..., op. cit. (supra note 54), pp. 245-263.
99 En ce qui concerne l'emplacement des bases soviétiques, on a pu souligner ce qui suit: « Russian bases in the Antarctic are not sited, like everyone else's, at the most convenient points for easy access or economical approach, but are strategically ringed around the Antarctic continent. One is certainly nearly opposite the Cape in South Africa. » Déclaration de Lord Burton, citée par Beck P.J. The International Politics..., op. cit. (supra note 6), p. 72.
Pour une étude sur ces aspects stratégiques, cf. Couteau-Bégarie Hervé. La géostratégie de l'Atlantique Sud. Paris, PUF, 1985, 214 p. Joyner Christopher C. « Security Issues and the Law of the Sea : The Southern Océan ». Ocean Development and International Law, 1985, pp. 171-195 ; Labouz Marie F. « Les aspects stratégiques de l'Antarctique ». Revue générale de droit international public. 1986, pp. 579-595 ; Mitchell Barbara & Kimball Lee. « Conflict over the Cold Continent ». Foreign Policy, 1979, pp. 124-141; Mitchell Barbara. « Resources in Antarctica. Potential for Conflict ». Marine Policy, 1977, pp. 91-101; Moneta Carlos J. « La Antártida y el Atlántico Sur en el sistema internacional : alternativas de conflicto y vías de cooperación ». Revista de Estudios Internacionales, 1987, pp. 837-854. Voir aussi L. Caflisch / F. Tanner (éd.). The Polar Regions and their Strategic Significance. Genève, Programme for Strategic and International Security Studies, 1989, 114 p.
100 Cf. Couteau-Bégarie Hervé. « L'Antarctique, dernière terre à prendre ». Défense nationale (Paris), décembre 1984, pp. 85-98.
101 Cf. par exemple Lagoni R. «Antarctica’s Mineral Resources in International Law », op. cit. (supra note 26), pp. 1-37.

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Cinq types de paix
Une histoire des plans de pacification perpétuelle (XVIIe-XXe siècles)
Bruno Arcidiacono
2011
Les droits fondamentaux au travail
Origines, statut et impact en droit international
Claire La Hovary
2009