Introduction
p. 17-19
Texte intégral
1La question du régime juridique des îles du point de vue du droit international de la mer n'a que récemment préoccupé la pratique et la doctrine qui, à l'exception de Gidel1 ne leur avaient consacré que des développements sommaires. Auparavant, les îles posaient, pour le droit international, principalement des problèmes de souveraineté. Sous cet angle, elles furent l'objet de décisions illustres, telles la sentence de Max Huber en l'affaire de l'Île de Palmas2 et l'arrêt de la Cour permanente de Justice internationale en l'affaire du Statut juridique du Groenland oriental.3
2Cet état de choses est dû au fait que ce n'est qu'à partir de la seconde moitié de notre siècle que les Etats prirent conscience de leurs besoins en ressources naturelles maritimes et des possibilités d'exploitation du sol de la mer et de son sous-sol. Les revendications des Etats sur des zones de juridiction nationale de plus en plus vastes firent sortir les îles de leur effacement relatif et conduisirent inéluctablement à une réglementation du régime de leurs zones maritimes et de la délimitation de celles-ci.
3Pendant près d'une décennie, on s'est efforcé, au sein de la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, de concilier les intérêts nationaux des Etats côtiers avec ceux de la communauté internationale.4 Cet effort a abouti à un partage des océans : une partie composée d'espaces maritimes sous juridiction nationale et une autre embrassant le reliquat sous l'appellation de « patrimoine commun de l'humanité ». Ce système tente de concilier l'égoïsme national avec la nécessité d'une exploitation commune rationnelle.
4C'est en tenant compte de ces développements récents qu'il convient d'aborder le régime juridique des îles dans le cadre du droit international de la mer. Les problèmes qui surgissent à ce propos sont de deux ordres. Premièrement, les îles, irrégulièrement parsemées dans toutes les mers et les océans de notre planète, font partie du territoire étatique et, par conséquent, forment une base indépendante pour revendiquer des zones maritimes. La conséquence qui en découle, si l'on admet que les îles ont droit à des espaces maritimes propres, est l'accaparement d'énormes portions de mer au détriment de la Zone internationale. Deuxièmement, leur présence peut rendre problématique la délimitation des espaces maritimes d'autres terres, continentales ou insulaires. Au gré de leur situation géographique, les îles peuvent, si elles sont prises en considération lors de la délimitation, faire infléchir la limite au profit de l'Etat qui les possède.
5Dans un grand nombre de différends actuels en matière de délimitation, les îles sont au centre du litige. Certains de ces différends ont pu être résolus par la voie conventionnelle ou juridictionnelle ; d'autres sont demeurés ouverts ou sont en cours de négociation.5 Ce travail ne consistera toutefois pas en une étude de cas. Il ne vise nullement à proposer des solutions concrètes à chacun des litiges restés ouverts, mais envisage plutôt de donner un aperçu d'ensemble du droit international positif relatif aux îles, aperçu dont des conclusions particulières, adaptées à chaque cas, pourraient par la suite être tirées.
6Notre étude prend en considération tous les types d'îles naturelles, à l'exception de la catégorie des Etats archipels. Ces Etats sont mis au bénéfice d'un régime particulier qui fait l'objet de la Partie IV de la Convention de 1982 sur le droit de la mer.6 Ce régime s'appliquera aux seuls Etats archipels, à l'exclusion des îles ou ensembles d'îles qui, politiquement, appartiennent à un Etat continental.7
7Les deux problèmes évoqués plus haut - les zones maritimes des îles et leur influence lors de la délimitation des espaces maritimes - ne peuvent être compris et analysés qu'à condition de savoir ce que le droit international entend par « île ». La première partie de notre étude sera donc consacrée à des définitions. Une fois le terme « île » défini, une première question surgit, celle de savoir si les îles ont droit à des espaces maritimes propres. Ce problème fera l'objet de la deuxième partie de notre travail.
8C'est après avoir répondu à cette interrogation que nous aborderons, enfin, dans la troisième partie, les problèmes que pose la présence d'îles pour la délimitation des espaces maritimes. Une première sous-partie sera consacrée à l'influence des îles sur le tracé de la limite extérieure de la mer territoriale et des autres zones maritimes sous juridiction nationale de l'Etat côtier. Une seconde sous-partie sera consacrée à un examen détaillé des problèmes dus à la présence d'îles dans le champ de délimitation d'espaces maritimes entre Etats, soit de la question de leur influence sur le tracé de la ligne de délimitation.
9Ces trois aspects du problème constituent l'essentiel du régime juridique des îles dans le cadre du droit international de la mer. Une fois notre examen terminé, nous tirerons des conclusions générales portant sur l'ensemble du sujet de cette étude.
Notes de bas de page
1 Gidel, Gilbert, Le droit international de la mer, vol. iii, La mer territoriale et la zone contiguë, Paris, Sirey, 1934, pp. 665-706.
2 Pour cette sentence, datée du 4 avril 1928, voir Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. ii, pp. 831-871.
3 Cour permanente de Justice internationale, arrêt du 5 avril 1933, série A/B, N° 53, pp. 22-75.
4 Dupuy, René-Jean, L'Océan partagé. Analyse d'une négociation, Paris, Pedone, 1979, p. 31.
5 Pour une liste non exhaustive de ces différends, voir ci-dessous, pp. 128-129.
6 Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, doc. A/CONF.62/122 du 7 octobre 1982. La Convention fut adoptée par la Conférence en date du 30 avril 1982 par 130 voix contre 4, avec 17 abstentions. Elle a été signée à la Jamaïque en décembre 1982.
7 Pour le régime spécial des États archipels, voir Rodgers. Patricia E. J., Midocean Archipelagos and International Law. A Study in the Progressive Development of International Law, New York, Vantage Press, 1981, 243 p.
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