Introduction à la deuxième partie
p. 77-81
Texte intégral
« Les associations de producteurs peuvent devenir, soit des instruments permettant de faire avancer le dialogue dans le contexte d’un nouvel ordre économique international, soit des instruments avec lesquels le Tiers Monde entreprendra une action unilatérale, rendue nécessaire par les exigences de survie et de justice. Le choix est inévitablement entre le dialogue et la confrontation »1.
1Face à la nouvelle situation économique et politique au lendemain de ce qu’une certaine presse avait appelé le « cataclysme pétrolier », deux options s’offraient aux pays industrialisés : ou bien choisir une stratégie d’affrontement, ou bien s’engager délibérément dans une stratégie de concertation et de négociation. Ces deux stratégies seront expérimentées tour à tour puisque dans un premier temps, le groupe B, sous la houlette des Etats-Unis, opte pour la confrontation avec les producteurs de pétrole2, mais c’est finalement la seconde qui prévaudra après de pénibles discussions entre les représentants du Nord et du Sud3. Il semble donc qu’à ce moment-là une certaine forme de concertation, du moins la modération, se soit substituée à la stratégie de l’affrontement qui n’aurait pas été vraisemblablement plus payante. Le Tiers Monde a compris l’inutilité tactique de mesures adoptées contre les pays industrialisés ; les Occidentaux ont reconnu les déséquilibres fondamentaux hypothéquant le développement d’un Tiers Monde qui avait pris conscience du renversement des rapports de force qu’il pouvait opérer par l’union des volontés politiques et le poids du nombre. C’est ce nouvel état d’esprit qui présidera à l’adoption par consensus d’une série de résolutions lors de la 7e session spéciale de l’Assemblée générale.
2Pour la Communauté, la conduite de cette stratégie dépendra de ses préoccupations immédiates en tenant compte de la situation politico-économique internationale et de la place que la CEE occupe dans ce contexte. Il s’agira donc, pour défendre efficacement des intérêts vitaux, de concevoir l’ensemble des relations économiques internationales dans une optique de coopération à long terme, impliquant l’établissement et le développement de liens durables et équilibrés d’interdépendance. Mener ce dialogue à bon terme exigera l’élaboration d’une stratégie à la fois de ce que l’on envisage de faire soi-même et de ce que l’on estime que d’autres doivent concéder. Autrement dit, la définition d’objectifs concrets à partir desquels s’organiseront les actions et mesures à entreprendre. Ignorer les vagues successives dans l’évolution du monde auxquelles résistent mal les structures internationales, en se contentant de discourir aimablement sur la misère pour meubler les débats, serait pour la Communauté contribuer à l’échec ou à l’enlisement d’un dialogue qui lui porterait doublement préjudice, la CEE pouvant se justifier par son action, mais non par sa seule existence :
au plan international d’abord : son image de marque et la consolidation de sa position dans le monde seraient ébranlées ;
au plan interne ensuite : l’absence d’éléments positifs nuirait à la cohésion même de la Communauté amenant, le cas échéant, certains pays membres à agiter la menace d’une réponse individuelle ou à s’aligner sur d’autres positions (américaine pour les uns, suédoise pour les autres). Des actions isolées et divergentes des Etats membres auraient un effet désintégrant, non seulement pour la Communauté elle-même, mais aussi, selon toute probabilité, pour les négociations internationales en cours.
3En s’abritant derrière le constat de ses divergences, en renonçant à poursuivre les objectifs qu’elle s’était fixés dans le dialogue, la Communauté amputerait gravement le crédit politique qu’elle a tiré de sa politique de développement. Telle attitude ne serait pas non plus conforme à ses intérêts économiques dans le Tiers Monde, tant il est vrai que, privée de ses instruments multilatéraux de dialogue et de coopération, la Communauté et ses Etats membres sont en situation de nette infériorité par rapport aux Etats-Unis. En se réfugiant dans l’attentisme, en se perdant dans des querelles de clocher, les Dix donneraient la preuve, une nouvelle fois, qu’un véritable organe communautaire n’existe pas. Ce serait donc un échec pour la diplomatie européenne qui se veut être le creuset d’un renouveau des relations économiques internationales.
4Dans cette seconde partie, nous nous proposons d’examiner les objectifs que poursuit la Communauté dans le dialogue avec le Tiers Monde, tout en rappelant brièvement les premiers jalons d’une politique globale envers les PVD, élaborée au début des années 70. Puis nous analyserons en détail les différentes enceintes de dialogue, leur nature, leurs caractéristiques et leur structure, qui constituent des éléments déterminants dans le choix de la tactique de négociation.
Notes de bas de page
1 Manley, Michael. Extrait du discours prononcé à la Conférence du Commonwealth à Kingston (Jamaïque). Avril 1975.
2 La double exigence des pays en voie de développement — participation plus importante au processus de décision international et reconnaissance par la communauté internationale de la nécessité d’un ordre juridique plus équitable — s’est immanquablement heurtée à de fortes résistances de la part des pays industrialisés. Malgré le consensus formel qui a clôturé les travaux de la 6e session extraordinaire, l’année 1974 a été placée sous le signe de la confrontation. De la même façon, la Charte des droits et devoirs économiques des Etats a été adoptée, à défaut de consensus, majorité contre minorité. Votèrent contre 16 Etats sur 136 qui sont tous membres de l’OCDE et parmi lesquels on trouve les USA, la République fédérale d’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, le Luxembourg, le Danemark, soit 5 pays membres de la Communauté européenne.
3 On convient que cette distinction est un peu trop académique, schématique et que la combinaison des rapports de force, multiples et instables, engendre des contradictions en chaîne. Mais elle sert essentiellement à la clarté de l’exposé. Dans un monde en rupture d’équilibre, un Nouvel Ordre économique mondial tend à s’instaurer au prix de grands bouleversements et d’une modification des rapports de force mettant en présence :
les pays du Nord qui n’ont pas véritablement l’intention de se dessaisir de leur pouvoir politico-économique. Tout au plus proposent-ils l’insertion des PVD dans le système actuel où la puissance de l’Occident serait reconnue et acceptée ;
les pays du Sud qui, ayant pris l’initiative de l’ensemble des opérations de la 6e session spéciale de l’Assemblée générale sont décidés à s’emparer d’une part de ce pouvoir encore aux mains du Nord. La solidarité des PVD s’est d’ailleurs affirmée à ce moment là, de façon tout à fait remarquable, et l’expérience de l’OPEP leur a servi de modèle.

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