1Pendant longtemps, la politique de développement des pays industrialisés qui, somme toute, ne portait pas atteinte aux mécanismes traditionnels de l’économie mondiale, s’inspirait plus d’un concept de charité — Léopold Sédar Senghor parle de « charité du dimanche » — que du souci réel de parvenir à un partage et à une redistribution plus équitable des richesses. Elle avait un relent de cette rhétorique humanitaire de tribune qui n’a guère éveillé d’enthousiasme au cours des dix dernières années ; l’aide des pays de l’OCDE a, en fait, baissé en termes réels2. Les PVD étaient davantage traités en assistés qu’en partenaires. On pratiquait l’aide par philanthropie et paternalisme, par acquit de conscience et parce qu’il paraissait choquant aux âmes bien-pensantes de voir les 70 % de la population mondiale sombrer dans une misère insupportable et agressive, alors que le tiers restant voyait ses biens fructifier aux dépens bien souvent de ceux-là. A quoi on peut ajouter les incompréhensions de ceux qui, en Europe comme dans les pays du Tiers Monde, recherchent encore dans l’arsenal classique de la coopération, voire de la néocolonisation les solutions aux problèmes posés. Ce déséquilibre des rapports de force, commandé par les économies dominantes, ne permettait pas aux plus pauvres de se faire entendre — sinon de façon stérile — et partant, d’espérer tout au moins une ébauche de solution aux immenses problèmes économiques et sociaux qui étaient et demeurent leur lot quotidien.

2Pourtant une évolution s’est produite dans les esprits. Les pays du Tiers Monde acceptent de moins en moins de subir cette situation, mettant en cause « l’ordre établi » et revendiquant une plus grande participation dans la gestion des affaires mondiales. C’est là une modification intéressante : la question primordiale n’est plus seulement celle d’une amélioration matérielle, mais celle d’une participation aux institutions. Les PVD veulent non seulement posséder un siège et une voix aux Nations Unies, mais être présents également là où les décisions sont prises. C’est un changement d’attitude qui mérite l’attention, car lorsque des revendications substantielles sont institutionnalisées, il faut s’attendre à une intensification des conflits.

3Plusieurs étapes, comportant des éléments conjoncturels et structurels, ont amené cette mutation dans les relations politiques et économiques internationales :

4— d’abord la crise du dollar et l’effondrement de l’ordre monétaire international établi à Bretton Woods ont porté au grand jour l’apparition de nouveaux rapports économiques dans le monde occidental.

5— Les difficultés chroniques d’approvisionnement en certaines ressources indispensables comme l’énergie. La « crise » pétrolière a projeté sur l’avant de la scène des relations internationales des pays certes différents les uns des autres mais qui avaient ceci de commun entre eux, en plus de leur sous-développement, le fait de ne pas être pris « au sérieux » par le monde occidental. Aujourd’hui, le vent a tourné. Ils comptent et ils comptent beaucoup, d’autant plus que le groupe des 77, constitué en 1964 et dont les Grands se disputent l’amitié, a réussi à surmonter ses clivages internes autour d’un programme de revendications économiques et politiques. Certes, ce groupe n’a ni unité géographique, ni unité de régime social, ni à beaucoup d’égards unité d’intérêts. Mais il se réunit là sous le plus petit dénominateur commun, sous la bannière de la lutte contre les dépendances et dominations. Que les motivations divergent est ici moins important que le fait de s’unir pour essayer de décrocher des avantages qui serviront ensuite à chacun selon ses options propres3.

6Le coup de semonce du pétrole a quelque peu réveillé les esprits dans la mesure où l’évolution du prix du brut, en dehors d’un certain nombre d’autres implications, a supprimé un des leviers de la croissance industrielle, à savoir l’énergie à bon marché. Certes, la « détente » actuelle sur le marché pétrolier enlève beaucoup de son urgence à cette considération et elle est sans doute l’une des raisons du blocage des négociations globales. Cependant elle ne doit pas faire oublier la précarité à long terme de l’équilibre entre l’offre et la demande de pétrole ni l’importance des ajustements économiques nécessaires.

7— L’ensemble des pays du Tiers Monde ne sont plus seulement considérés comme les déshérités de la planète mais comme un pôle de croissance indispensable si les économies occidentales veulent continuer à prospérer. C’est en contribuant au développement et à l’émergence des plus démunis que les pays industrialisés, qui en recevraient alors des commandes, sortiraient plus facilement de la crise. Cette redistribution implique néanmoins que les Occidentaux acceptent la concurrence du Tiers Monde au sein d’une nouvelle division planétaire du travail.

8Aussi ne faut-il pas prétendre que la solidarité du Tiers Monde est née du jour au lendemain à l’occasion d’une guerre localisée4. Elle est le produit d’une évolution historique qui conduit de « l’Ordre ancien » conçu par les pays à économie de marché, à un « Ordre nouveau » conçu par les PVD, un ordre à leur mesure, fondé sur la contestation et la revendication de l’équité et de la pleine maîtrise de leurs potentialités nationales. Les événements auxquels nous nous sommes référés plus haut ont servi plutôt de catalyseur à un mouvement qui se préparait de longue date.

9C’est donc sous l’influence conjuguée de ces facteurs, sans oublier les grandes conférences qui, dans le sillage de Bandoung, ont peu à peu abouti à un essai d’organisation du Tiers Monde en lui faisant prendre conscience de sa force et de son pouvoir de négociation5, que la croissance économique exceptionnelle de l’après-guerre s’est vue compromise, que le système s’est détraqué obligeant les pays développés à chercher une autre voie que celle de la domination. La stratégie des PVD s’avéra payante dans la mesure où, au-delà des résultats qu’elle procura aux pays de l’OPEP, elle a mis à nu en même temps la vulnérabilité, la fragilité et l’unilatéralité du système international imposé après la Deuxième Guerre mondiale pendant plus de trente ans par le monde industrialisé dans le domaine économique, monétaire, commercial et industriel. Mais, comme nous l’avons vu, pour déterminer les anciennes puissances coloniales et d’autres pays industrialisés à engager un véritable dialogue avec les PVD, il n’a pas suffi que ceux-ci acquièrent une majorité écrasante à l’ONU ; il a encore fallu qu’ils établissent un rapport de force approprié sur le plan économique.

10Dès lors, il va s’agir de passer d’un système dont les règles et les institutions favorisent de facto les plus forts et les plus riches à un ordre économique international qui prenne mieux en compte l’interdépendance croissante des nations et la nécessité de répartir plus justement les fruits de la croissance. Dès ce moment, une nouvelle concertation politique internationale s’impose aux pays industrialisés face aux PVD devenus partenaires à part entière et possédant des atouts réels et objectifs6.

11Les Etats membres de la Communauté européenne surtout se sentirent menacés dans leurs structures économiques, commerciales et monétaires vitales à cause de leur dépendance et, résolus à éviter à tout prix la confrontation, ils acceptèrent un dialogue nouveau. Par nécessité, la coopération au développement commença à évoluer pour eux d’une aide de solidarité accordée unilatéralement vers une révision profonde et irréversible des relations économiques internationales.

12Le dialogue qui s’est alors engagé au sein de l’ONU avait pour but, aux yeux des pays du Tiers Monde, de faire entériner leurs revendications fondées sur une plus grande équité par l’ensemble de la communauté internationale.

• En 1974 s’est tenue la 6^e session spéciale des Nations Unies sur les matières premières et le développement, à l’issue de laquelle les PVD ont voté une Déclaration et un Programme d’action pour l’instauration d’un Nouvel Ordre économique international (NOEI)7. La Déclaration insiste notamment sur la nécessité de renforcer la coopération économique internationale et met en relief les rapports d’interdépendance entre tous les membres de la planète. Il existe une corrélation étroite entre la prospérité des pays industrialisés et la croissance des PVD. Le développement harmonieux du Nord et du Sud est placé sous le signe de la convergence des intérêts. Notons que ce Nouvel Ordre n’appelle pas à la révolution, mais qu’il se réfère à l’esprit et aux buts des Nations Unies.

• En décembre de la même année, au cours de la 29^e Assemblée générale ordinaire de l’ONU, est adoptée la Charte des droits et devoirs économiques des Etats qui met l’accent sur l’affirmation de la souveraineté et de l’indépendance politique et économique des Etats. A cette session, l’Assemblée générale, par la résolution 3308 (XXIX), exprime son soutien à une nouvelle approche du problème des produits de base en rappelant la résolution 124 (XIV), adoptée par le Conseil du Commerce et du Développement lors de sa session d’août 19748.

• A New York s’ouvre, le 1^er septembre 1975, la 7^e Assemblée spéciale des Nations Unies sur le développement. Le groupe des 77 y présente un catalogue de propositions dans le but d’engager une négociation globale pour aboutir à l’instauration d’un Nouvel Ordre économique international, qui constituerait, en quelque sorte, la traduction politico-juridique de ses aspirations.

13Face à cette remise en question de l’organisation libérale du système économique mondial, assortie de propositions pour un Nouvel Ordre, les pays industrialisés restent singulièrement sur la défensive9. D’ailleurs, il est rare de consentir unilatéralement à renoncer à certains privilèges, la nécessité et les rapports de force commandant seuls les relations internationales. La réalisation de ce « Nouvel Ordre » devra nécessairement passer par un changement dans les esprits et dans le comportement des acteurs économiques et par la création de nouvelles attitudes, avant de penser à modifier le droit. Elle exige une approche plus ambitieuse dans la mesure où, comme le rappelait Léopold Sédar Senghor, « il n’y aura pas de Nouvel Ordre si la dimension culturelle n’est pas prise en compte dans le dialogue Nord-Sud »10.

14Avec la prise de conscience de l’impasse à laquelle conduiraient inévitablement des prises de position trop radicales et trop figées, un matraquage idéologique paralysant l’action, la nécessité d’échanges de vues s’impose progressivement. Ainsi le Tiers Monde a su s’organiser et amener les pays à économie de marché à établir le dialogue. Son objectif est de parvenir à la mise en place d’un Nouvel Ordre économique tel que défini lors de la 6^e session spéciale des Nations Unies, visant non seulement des injections financières mais surtout la restructuration de l’économie mondiale, le système actuel maintenant le Sud dans la dépendance et la pauvreté. Pour les pays industrialisés, en revanche, il s’agit de faire prévaloir l’idée de coopération et d’interdépendance sur celle de confrontation, sans pour autant accepter le principe de ce NOEI, probablement dans l’illusion que l’état actuel des choses peut se perpétuer. Les pays développés n’acceptent pas facilement qu’on les bouscule, encore moins qu’on cherche à leur imposer des solutions, le système fondé sur l’économie de marché leur paraissant intrinsèquement sain et à même d’assurer le développement du Sud11. Mais ils oublient que c’est l’expérience partagée seulement par quelques pays. Aussi jugent-ils sévèrement toute insubordination économique et tout refus de s’insérer dans le système commercial et financier créé par eux. D’où la justesse de cette parole de Tibor Mende :

« Si l’infidélité politique est répréhensible, la révolte contre le système économique global est impardonnable »12.

15En définitive, la situation se présente ainsi :

• d’un côté, le groupe des 77 fermement décidé à ne plus se contenter d’une énième déclaration de principe sur la nécessité d’un NOEI ;

• de l’autre, les principales puissances industrielles aux prises avec leurs difficultés économiques, sociales, politiques voire électorales et peu pressées, en vérité, de s’engager dans la voie de mesures concrètes, autrement dit, d’abandonner une partie de leur pouvoir politico-économique.

16Il y a là une différence d’optique fondamentale qui revient à dire que tous les pays participant au dialogue n’ont pas un intérêt égal à bouleverser leurs relations. On pourrait même parler d’une certaine complicité de la part de quelques élites du Tiers Monde qui s’accommodent fort bien du « désordre » actuel et y trouvent leur compte. Ces élites s’érigent en minorités privilégiées, en bourgeoisies néocoloniales et s’opposent aux revendications des masses qu’elles n’associent guère à la mise en valeur économique et à la gestion politique des Etats. D’où une perte de confiance et une dégradation du consensus entre ces représentants du Tiers Monde et le peuple, motivées de façon constante par la perception des gains réalisés par ces hauts fonctionnaires aux dépens de ce dernier.

17Puisque le dialogue Nord-Sud s’est instauré sous la pression des pays en voie de développement dont la vision réformatrice s’est traduite par une série de revendications présentées aux pays industrialisés, il paraît opportun de procéder à un bref examen des principales demandes jugées prioritaires par les PVD et autour desquelles s’articule leur action. La Communauté européenne qui est devenue une interlocutrice à part entière dans plusieurs domaines — le commerce, les problèmes alimentaires mondiaux, la politique de développement, certains aspects technologiques, etc. — et dont la raison d’être de la politique commerciale commune est précisément le renforcement de son rôle, aura à y répondre ; par conséquent à élaborer et définir ses orientations, ses objectifs, ce qu’elle est en mesure de donner sur la base de ses compétences et ce qu’elle peut attendre de ce dialogue qui constitue un des volets de son activité extérieure. Par ce dialogue, elle pourra acquérir une meilleure compréhension des autres parties et, partant, mieux déterminer sa propre attitude.

18Plusieurs points forts ont été au cœur des débats et continuent de dominer les grandes conférences internationales réunissant riches et pauvres. Pourtant les doléances du Tiers Monde, tout en restant entières, ont perdu quelque peu de leur radicalisme au fil des années. La crise économique internationale oblige à la modération, à des démarches plus empiriques et à des changements limités. Elle appelle au réalisme par-delà la rhétorique et les grands débats sur les idées.

1. Réorganisation du marché international des produits de base

19Elle constitue, en quelque sorte, la pierre de touche du NOEI qui cristallise les espoirs de changement dans le Tiers Monde, même si ces changements demeurent encore lointains. Les matières premières représentant l’essentiel des exportations des PVD et, partant, de leurs ressources, le niveau et la stabilité des prix revêtent une importance toute particulière de même que la participation de ces pays aux activités de transformation, de transport et de commercialisation de leurs produits. Les PVD non-pétroliers n’ont guère d’influence sur les prix des matières premières qui sont déterminés en dehors de chez eux, par la demande et la spéculation dans les pays industrialisés. Ces PVD n’en sont que plus vulnérables. Leurs principaux objectifs se groupent autour des points suivants :

• revalorisation générale du cours des produits de base ;

• élimination des fluctuations de prix ;

• indexation du prix des matières premières sur ceux des produits importés naturels ou fabriqués en provenance des pays industrialisés.

20Le Programme intégré pour les produits de base, initiative lancée lors de la IV^e CNUCED en 1976 et contenue dans la résolution 93 (IV) de la Conférence, répond à ces préoccupations en proposant que des changements majeurs soient apportés à l’organisation du commerce international de ces produits.

21En premier lieu, il envisage la mise au point d’accords entre producteurs et consommateurs pour une vingtaine de produits jouant un rôle primordial dans les exportations des pays en voie de développement. Ces accords auraient pour objet la stabilisation des cours mais aussi la constitution d’instances internationales de négociation où producteurs et consommateurs pourraient fixer à long terme un prix « juste et rémunérateur » pour les uns et « équitable » pour les autres. En second lieu, il prévoit la création d’un Fonds commun, organe central doté de ressources propres et destiné à assurer le financement de stocks régulateurs internationaux pour certains produits. Ces stocks permettraient de stabiliser les cours et de garantir aux consommateurs un approvisionnement régulier. Grâce à son « deuxième guichet », le Fonds aiderait à financer des mesures autres que le stockage, telles que par exemple la recherche/développement, l’amélioration de la productivité, la commercialisation et la diversification. Il pourrait ainsi englober une vaste gamme de produits et réunir un nombre croissant d’intérêts. En troisième lieu, les PVD réclament l’élargissement et l’assouplissement de l’accès aux fonds compensatoires pour les pays dont les recettes d’exportation tombent en dessous d’un certain seuil. En effet, même après avoir stabilisé les prix, les recettes peuvent baisser puisque le volume des exportations suit l’évolution de l’offre et de la demande. Une telle nouvelle facilité s’inscrirait en complément des systèmes actuellement en vigueur : le mécanisme du FMI, étoffé en 1975, et le STABEX européen, mis sur pied dans le cadre de la Convention de Lomé liant la Communauté européenne aux Etats ACP. Enfin, l’application du Programme intégré devrait permettre aux PVD de participer plus activement à l’extraction, à la transformation, au transport et à la commercialisation des produits de base, et à leurs produits manufacturés d’entrer plus facilement sur les marchés des pays industrialisés.

22Les négociations internationales au sein de la CNUCED ont considérablement réduit la substance de ce Programme et les conditions dont il a été assorti rendent difficilement applicable l’essence même de la résolution 93 (IV). Les clauses échappatoires introduites dans le texte par les pays occidentaux leur ont permis d’y souscrire — acceptation qui a surtout été dictée par des considérations d’ordre politique — tout en sauvegardant leurs intérêts nationaux.

2. Accélération de l’industrialisation

23L’accélération du développement industriel, telle qu’elle a été fixée dans la Déclaration de Lima13 et réaffirmée à la Conférence sur la Coopération économique internationale (CCEI), vise à accroître la participation des Etats du Tiers Monde à la production industrielle mondiale. Mais cette industrialisation accélérée suscite aussi des difficultés car, à supposer que les capitaux d’investissement soient trouvés, les débouchés devront encore être conquis. Si le Tiers Monde permet aux pays industrialisés de faire tourner leurs usines en leur fournissant certains facteurs de production, telles l’énergie et les matières premières, ces derniers, pour leur part, détiennent le capital et la technologie, sans oublier la maîtrise des marchés mondiaux. Aussi les mesures préconisées couvrent-elles toute une panoplie de moyens appropriés allant des transferts financiers aux transferts de technologie en passant par l’ouverture des marchés occidentaux aux produits du Tiers Monde.

24Au plan commercial, cet accès privilégié aux marchés des pays importateurs devrait passer par la suppression des obstacles tarifaires et non tarifaires pour tous les produits finis et semi-finis ainsi que par l’extension, sans restriction, du système de préférences généralisées14 et ce, à titre permanent. En outre, pour maximiser le bénéfice d’un abaissement des barrières aux exportations, les PVD revendiquent la reconversion de certains secteurs de la production industrielle dans les pays occidentaux, secteurs que ces PVD jugent antiéconomiques car fortement concurrencés par leurs propres industries. Ceci exigerait donc, de la part du Nord, une politique systématique d’adaptation de ses structures et de ses régions. Enfin, l’obtention de ces avantages serait exempte de réciprocité, ce qui revient à dire que les pays en voie de développement pris globalement, donc quel que soit leur niveau de développement, n’auraient pas l’obligation de consentir à une certaine ouverture de leurs propres marchés, mais au contraire le droit d’introduire certaines mesures de protection pour favoriser l’expansion de leurs industries naissantes.

25Le débat sur l’aspect technique de l’industrialisation qui provoque aussi des discussions particulièrement ardues vise pour l’essentiel l’acceptation, par les Occidentaux, d’une redistribution plus équitable de l’acquis des connaissances scientifiques et techniques et d’un transfert plus rapide des techniques vers les PVD. Ce faisant, il faut aussi tenir compte des besoins et des conditions propres aux PVD et prévoir des modalités qui leur soient favorables. La IV CNUCED a adopté à cet effet plusieurs résolutions dont celle « sur le renforcement de la capacité technologique des PVD ». Il ne suffit pas de transférer des techniques, encore faut-il que les pays receveurs disposent de structures d’accueil adéquates et soient capables d’assimiler ces techniques, de les comprendre et d’en maîtriser les difficultés d’application. Une seconde résolution, relative à la « propriété intellectuelle », insiste sur la nécessité d’introduire des changements à la Convention de Paris de 1883 qui régit la propriété intellectuelle au plan international et de mettre sur pied, à l’intention du Tiers Monde, une loi-type concernant les inventions et brevets. Cette tâche a été confiée à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) en collaboration avec la CNUCED. Une troisième résolution concerne l’élaboration d’un code de conduite pour le transfert de technologie15. La technique s’acquiert par différents moyens fournis principalement par les sociétés transnationales. Ils vont de l’investissement étranger direct à l’achat de la technologie par les entreprises locales privées ou publiques en passant par toutes sortes d’opérations en association et d’accords de coopération entre entreprises. Ce type de transfert n’est pas satisfaisant pour les PVD dans la mesure où il comporte, entre autres, le risque de choix technologiques fondés sur les intérêts des sociétés-mères plutôt que sur ceux des pays hôtes. Par ailleurs, il maintient l’application des techniques hors de la portée des PVD qui souhaiteraient au contraire les intégrer dans leurs programmes de développement. D’où la revendication de ces pays d’établir un système de réglementation et de contrôle international sur le transfert de technologie qui réponde mieux à leurs préoccupations. La négociation sur un code international de conduite a été engagée à la CNUCED il y a plusieurs années. Elle porte avant tout sur les principes, règles et disciplines devant régir l’activité des entreprises privées ou publiques dans leurs rapports avec le Tiers Monde.

3. Le financement du développement

26Deux aspects retiendront notre attention dans ce domaine : d’une part, l’aide publique au développement ; d’autre part, la question de l’endettement extérieur des PVD sur lequel nous reviendrons plus en détail dans notre troisième partie.

27Même si l’on estime que le développement est d’abord l’affaire des pays en voie de développement eux-mêmes16, l’aide octroyée par les pays occidentaux est plus nécessaire que jamais.

28Or, l’objectif de 0, 7 % du PNB, tel qu’il avait été fixé dans la stratégie pour la deuxième Décennie du développement adoptée en 1970, n’a pas été atteint : en 1976, l’aide globale de l’ensemble des pays membres du CAD représentait 0,33 % du PNB et en 1981 0,32 %17. D’où la demande des PVD d’accroître le volume de cette aide demeurée jusqu’alors trop modeste, tout en en assouplissant les conditions d’octroi. Ce faisant, ils mettent l’accent sur le fait que les modalités de l’aide ne devraient pas être dictées par des considérations de politique budgétaire interne ou de balance des paiements des pays donneurs, encore moins être un instrument économique au service de buts politiques à peine cachés. L’élément de libéralité18 des apports doit être accru et maximisé pour les plus démunis. Enfin, ces transferts de ressources ne doivent pas s’effectuer au détriment de ceux prévus au titre d’accords bilatéraux pouvant lier certains donneurs d’aide à certains bénéficiaires.

29La question de l’endettement occupe aussi une place importante dans le cahier de revendications des PVD. Elle a acquis au cours des années une dimension nouvelle, tant par l’ampleur des sommes en cause que par le nombre de pays pris dans les rouages de ce processus.

30Bien que certains changements sur le marché pétrolier soient intervenus avant la crise pétrolière, c’est principalement à la suite de la hausse des prix du pétrole en 1973 que les pays de l’OPEP se sont retrouvés à la tête d’importantes ressources financières. Du côté des pays en développement importateurs, par contre, le déficit de la balance des paiements a fait un bond prodigieux, à telle enseigne qu’en 1975, leur déficit global atteignait environ 40 milliards de dollars et leur dette plus de 170 milliards contre 60 en 1970. En 1982, ce chiffre s’élevait à 630 milliards de dollars. D’où le recours massif de ces pays aux emprunts auprès de banques américaines et sur le marché des euro-dollars. Ce déficit a encore été aggravé par l’introduction de mesures protectionnistes dans les pays développés qui empêchèrent aux produits en provenance du Tiers Monde d’entrer librement sur les marchés du Nord, grevant ainsi lourdement les recettes d’exportation des PVD.

31Préoccupés par des risques de défaut de paiement, les organismes de crédit ont rendu encore plus strictes les conditions imposées aux emprunteurs et se sont déclarés hostiles à tout assouplissement des modalités de remboursement. Les PVD pour lesquels le remboursement de la dette pose de graves problèmes ne disposent que d’un choix limité de solutions :

• accroître leurs exportations pour faire rentrer davantage de devises étrangères et assurer ainsi le service de la dette. Mais puisque les pays industrialisés recourent de plus en plus au protectionnisme, on peut difficilement envisager une augmentation des recettes ;

• diminuer le volume des importations afin d’utiliser les devises jusqu’alors destinées à leur financement pour le remboursement de la dette ;

• obtenir un allégement de la dette grâce à une révision de l’échéance des paiements, voire une annulation ou un moratoire. Dans ce cas, tout dépendra surtout des possibilités et du bon vouloir des débiteurs19 ;

• ne pas honorer les obligations financières ou susciter des défaillances de paiements en cascade. Une telle option aurait des conséquences extrêmement graves pour l’économie des pays industrialisés et, par contrecoup, des pays en développement dont beaucoup ne sauraient assurer l’équilibre de leurs balances des paiements sans recours au crédit externe. De plus, il s’ensuivrait une perte de confiance accordée au pays débiteur, qui rendrait difficile, voire impossible, tout nouvel emprunt.

32Dans le Programme d’action pour l’établissement d’un Nouvel Ordre économique international, adopté à la 6^e session de l’Assemblée générale des Nations Unies en mai 1974, la communauté internationale est appelée à prendre d’urgence des mesures efficaces en matière d’endettement :

• une action immédiate et pertinente en vue d’atténuer les effets négatifs de la charge de la dette des PVD, contractée à des conditions rigoureuses ;

• la renégociation des dettes, cas par cas, en vue de conclure des accords prévoyant l’annulation des dettes, un moratoire, le réaménagement des échéances ou des subventions pour le paiement des intérêts.

33A la 7^e session extraordinaire de l’Assemblée générale, au cours de laquelle est adoptée la résolution 3362 relative au développement et à la coopération économique internationale20, un appel est lancé pour convoquer « aussitôt que faire se pourra une conférence des principaux pays donateurs, créanciers et débiteurs pour étudier les moyens d’alléger » la charge de la dette. Cette conférence est d’autant plus nécessaire, que le fardeau de la dette grève de façon dramatique les programmes de développement des PVD, en particulier des pays les plus gravement touchés, auxquels il faudra accorder une attention particulière.

4. Autres sujets

4.1. Agriculture et alimentation

34La Déclaration sur le Nouvel Ordre s’intéresse également aux questions d’ordre agricole et alimentaire. Sur ce point, les pays en développement insistent moins sur l’opportunité d’une réorganisation de l’agriculture que sur la nécessité pour les pays industrialisés d’accroître leur aide alimentaire trop modeste et d’en améliorer les modalités. En fait, ceci pourrait avoir pour effet d’une part, de décourager le développement de la production agricole locale ; d’autre part, de dégrader l’aide alimentaire à une fonction de déversoir pour les surplus de la production agricole des pays donneurs21. Par ailleurs, ils mettent en question les politiques agricoles des pays occidentaux, notamment celle de la CEE qu’ils jugent trop protectionniste, et demandent la suppression de toute protection aux produits agricoles et autres productions qualifiées « d’antiéconomiques », de façon à assurer à leurs propres produits le libre accès sur les marchés des pays du Nord.

4.2. Infrastructure

35Dépourvus totalement ou en partie d’une infrastructure économique et sociale adéquate, les PVD, particulièrement les plus désavantagés au plan géographique (c.-à-d. sans littoral, insulaires et l’ensemble de l’Afrique), réclament la mobilisation de fonds supplémentaires destinés à favoriser le développement de cette infrastructure. Les lacunes dans ce domaine retardent en effet l’augmentation de la production alimentaire et agricole ainsi que la création de services sociaux qui font défaut aux populations rurales et urbaines. C’est sur cette toile de fond et en réponse au vœu exprimé par la Conférence ministérielle de la Commission économique pour l’Afrique que s’inscrit la promesse d’une « Décennie des transports et des communications en Afrique ». Il reste encore à en définir les objectifs, à en déterminer les voies et moyens pour y parvenir, et ce n’est pas le moindre !

36Elaboré dans l’euphorie des premières victoires de l’OPEP, ce plan d’action représente avant tout un programme de conquête de la puissance politico-économique. Il met en branle un processus cumulatif de radicalisation, de politisation et de globalisation où l’économie est amenée à jouer un rôle prioritaire. A travers ces objectifs et par-delà les slogans, le Tiers Monde vise à substituer aux dépendances inégales, qui se sont traduites en rapports de domination, des liens d’interdépendance acceptés par tous et fondés sur la coopération internationale. Ainsi l’appel pour un NOEI, que l’on a qualifié de « défi intellectuel à l’hégémonie de l’économie libérale »22 est-il l’expression d’une volonté de rééquilibrage des rapports de force au bénéfice du Tiers Monde qui prend peu à peu conscience de son rôle et de son potentiel.

37Depuis dix ans, les conférences internationales se sont multipliées dans le dessein d’approfondir, de préciser ce programme d’action, de dynamiser et de structurer la réflexion sur le réaménagement des relations économiques internationales. Pourtant les résultats obtenus jusqu’à présent n’encouragent guère à l’optimisme. Mis à part certains pays qui parviennent à progresser rapidement dans la voie de l’industrialisation, la grande majorité d’entre eux a vu son développement économique et son pouvoir de négociation stagner ou même régresser. Les exportations de produits manufacturés en provenance des PVD ont, certes, plus que doublé en volume au cours de la dernière décennie mais elles sont assurées à 75 % par une dizaine de pays seulement. Selon le FMI, les PVD non-exportateurs de pétrole ont réduit leurs importations de 11,6 % en 1982 alors que leurs propres recettes d’exportations diminuaient de 5,9 % (—16 % pour l’Afrique ; —8 % pour l’Amérique Latine ; — 1 % pour l’Asie). Quant aux pays pétroliers, ils auraient accusé une baisse de leurs ventes supérieure à 20 %. La chute des cours des matières premières, ajoutée aux mesures d’austérité imposées par le FMI aux pays menacés de banqueroute, a aussi porté un rude coup de frein aux échanges, sensible bien au-delà du Tiers Monde.

38Cet effort de restructuration du système économique est à présent ralenti par la sévérité de la crise qui n’incite guère le Nord à prendre de nouveaux engagements. Soucieux de ne pas casser l’outil, les PVD sont conduits à se démarquer de leur programme d’action et à modérer, voire abandonner certaines de leurs demandes.