Conclusion
Texte intégral
1Cette recherche a permis d’explorer de nombreuses facettes des risques, de la vulnérabilité et de la résilience, puis de les rassembler dans un modèle grâce au concept de régulation sociale des risques. Elle est partie de l’étude des logiques du niveau des foyers et des zones exposés, mettant en évidence, à travers l’ajustement à des conditions adverses, un échec des entitlements1 (Sen, 1981, 1983) ou l’incapacité à s’octroyer une maison sûre, à s’assurer un minimum d’autoprotection et à obtenir une protection sociale (Cannon, 2006) contre les risques de catastrophes. D’un autre côté, l’approche par la résilience et par les logiques des personnes exposées elles-mêmes a mené à un renversement de la perspective traditionnelle (Obrist, Pfeiffer et Henley, 2010), avec la découverte que le risque permet paradoxalement une résilience plus grande à l’ensemble des aléas socio-économiques ou « vagues d’adversité » (Glavovic, Scheyvens et Overton, 2003) auxquels ces individus sont confrontés. Cette recherche contribue ainsi à l’exploration d’une dimension fondamentale, mais encore peu considérée, des risques des catastrophes : leur côté « bénéfique » (Zeigler, Johnson et al., 1983). Celui-ci peut remplir une fonction sociale indispensable dans la régulation sociale générale.
2Le cas de La Paz permet également de comprendre que les capacités d’adaptation des individus exposés (Smit et Wandel, 2006) sont telles qu’ils développent des stratégies de perception des risques grâce auxquelles ils surmontent la peur de l’aléa naturel pour accéder à la propriété coûte que coûte en colonisant des terrains d’une extrême hostilité. Ce résultat fait écho à la préoccupation de Cannon (2008) de comprendre les raisons et les logiques des personnes exposées, dans la mesure où elles participent fortement à la construction sociale des catastrophes.
3Puis l’étude a continué sa progression à travers les niveaux supérieurs (portion de quartier, junta, district, macrodistrict, ladera ouest, ville…) en fournissant des clés d’analyse de la contribution de chaque niveau à la régulation sociale du risque, chacun ayant ses logiques spécifiques, avant de proposer un modèle qui rassemble les éléments les plus pertinents au niveau le plus élevé du terrain étudié, inspiration potentielle pour des recherches dans d’autres contextes. Des concepts apparurent, comme régulation sociale du risque, bien sûr, mais également régime d’accumulation du risque, mode de régulation du risque, ou encore coévolution de l’aléa et des vulnérabilités, ce dernier rejoignant les pistes de recherche ouvertes par Pelling (2003).
4Cette recherche a croisé une approche de microhistoire environnementale approfondie, de compréhension des logiques des acteurs, avec une approche sociologique en termes de structures sociales, et enfin avec une approche systémique. Toutefois, la méthodologie holiste de l’étude environnementale en milieu urbain telle que préconisée par Lavell (1996) comporte une série de limites qui ont essentiellement à voir avec son ambition d’englober tous les éléments pertinents du système social et naturel. De nombreux éléments nécessiteraient d’être approfondis. C’est le cas par exemple de l’analyse de la gestion municipale du risque, ce que Luis Salamanca (2010) a entrepris. L’étude de la vulnérabilité des foyers, si elle fournit des éléments suffisants pour cette étude, gagnerait à être complétée par une méthodologie statistique plus poussée, concernant des milliers de foyers et permettant de faire des analyses de correspondances ou des classes d’individus en fonction de critères multiples. L’analyse des districts 4 et 5 serait nettement renforcée si l’on pouvait la comparer avec ce qui se passe dans d’autres districts exposés aux aléas de la même manière. Le niveau de la ville tout entière, voire du métabolisme urbain, n’a pas pu être approfondi, ce qui enrichirait probablement le modèle proposé. Enfin, cette recherche a permis d’esquisser un modèle de régulation sociale des risques à La Paz, éventuellement applicable à d’autres cas qu’il s’agirait de tester. Cependant, il reste à élaborer des critères d’identification des systèmes socio-écologiques pertinents ainsi que des modes de régulation sociale des risques. Ce peut être l’objet d’une prochaine recherche.
5Deux pistes de recherche sont apparues, l’une implicite, l’autre explicite. La première est celle de l’apparition d’un niveau de régulation sociale des risques ne correspondant pas aux classifications habituelles (socio-hiérarchiques, géographiques ou autres) : celui du système socio-écologique. Ce niveau peut se trouver à différentes échelles, d’une portion de zone ou de bassin-versant jusqu’au système terre. La détermination de ce que constitue un système socio-écologique pertinent – parce qu’il dispose d’une certaine autonomie de fonctionnement, produit de l’interaction entre des éléments sociaux et des aléas naturels à ce niveau – se fait au cours de la recherche empirique. Dans un tel système, une régulation sociale des risques particulière est à l’œuvre. Le concept converge donc d’une façon inattendue avec la vision des chercheurs de Stockholm2 (Gunderson et Holling, 2002 ; Walker, Carpenter et al., 2002 ; Folke, 2006), qui cherchent à conceptualiser les « systèmes sociaux-écologiques » et leur résilience, mais sont davantage focalisés sur la soutenabilité écologique. Dès lors, la question qui se pose est la suivante : comment lier davantage la régulation sociale de petites unités socio-écologiques avec celle d’unités plus grandes ? La question reste – pour l’instant – ouverte.
6La seconde piste, explicitement formulée dans le chapitre final « Modélisation », est l’existence de modes de régulation sociale et du passage graduel d’un mode à un autre : du populaire au public. Ce passage marquerait en même temps une évolution historique majeure dans les quartiers périphériques de La Paz, influencée par les risques et les influençant à son tour. On peut se demander s’il est possible d’identifier d’autres modes de régulation sociale des risques dans d’autres contextes.
7L’examen approfondi d’unités sociospatiales spécifiques a donc conduit, de manière inductive et quelque peu inattendue, à orienter l’étude vers une approche systémique et spatiale. En effet, ses résultats montrent que c’est bien l’évolution conjointe, ou coévolution, des systèmes sociaux et naturels qui est à l’origine de la régulation sociale des risques dans l’espace étudié. Le terrain a mené, de manière graduelle, à ne plus considérer un sous-système social ni un système déterminé uniquement par des limites spatiales naturelles (un bassin-versant par exemple) en tant qu’objet de (micro)étude, mais bien la conjonction de l’occupation de segments de bassin par des agrégats sociaux identifiables. Dès lors, sur un terrain, il devient important d’identifier les systèmes socionaturels pertinents, non définis préalablement, qui ont chacun leur propre régulation sociale des risques. C’est pourquoi il a fallu, dans l’exemple du Janko Kollo, prendre en compte une petite partie de l’occupation des gorges de la rivière, pertinente pour l’analyse de la régulation sociale des risques à cet endroit. Il en est de même dans l’exemple de la zone de Phajchani : analyser cette portion en relation avec le bassin de la rivière éponyme était plus pertinent qu’analyser le risque dans l’ensemble de la junta ou du bassin. Ces systèmes socio-écologiques ne coïncidaient donc pas avec les unités administratives, ni avec le bassin tout entier.
8Le modèle général, lui aussi, est porteur de la vision systémique et propose de considérer l’interaction entre les systèmes sociaux et naturels. De nombreuses études ou cadres conceptuels présents dans la littérature des risques et des catastrophes séparent les réalités sociales et naturelles, comme l’aléa et la vulnérabilité (Wisner et al., 2004), ou l’exposition et les capacités à faire face (Bohle, 2001), reproduisant la division nature/société. Toutefois, quelques chercheurs pionniers dans le champ reconnaissent désormais le caractère intriqué des 2 types de systèmes, voire la nécessité de considérer les rapports entre la nature et la société du point de vue de la symétrie ou de la mutualité (Wilches-Chaux, 1989 ; Van der Leeuw, 2001 ; November, 2002 ; Pigeon, 2005). Dès lors, s’inscrivant dans cette perspective, le modèle proposé permet de penser relationnellement, synchroniquement et diachroniquement, les relations mutuelles entre aléas naturels et systèmes sociaux, comme le conseille Oliver-Smith à propos de l’étude de la vulnérabilité : « La vulnérabilité […] facilite la reconceptualisation des relations nature-société de la dualité vers la mutualité. Comme Ingold (1992) l’affirme, l’histoire environnementale et l’histoire humaine sont inséparables, chacune impliquée dans la vie évolutive de l’autre, et chacune contribuant à la résilience et à la vulnérabilité de l’autre » (Oliver-Smith, 2004, 20 ; notre trad.).
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