Interprétations de la politique étrangère d’Hitler
|Approches de tendance idiographique
Chapitre VII. Les « programmologues »
Texte intégral
1. Le cadre d’analyse
1Le début des années 60 marque une formidable éclosion dans les études de la politique étrangère. Le courant le plus significatif est celui de 1’« école des programmologues ».
2Pour éclairer le contexte dans lequel l’interprétation des « programmologues » s’est développée, il nous faut d’abord rappeler les quelques facteurs qui se sont conjugués, à des niveaux et à des degrés divers, à la fin des années 50.
- 1 Alfred Grosser. L’Allemagne de notre temps, Paris. 1978. pp. 290-291, 328-330 et 611-615.
3Au plan politique international, l’amorce d’une certaine « détente » est-ouest1 permet de se débarrasser quelque peu de l’interprétation totalitariste. Certes, les deux « crises de Berlin » ne décrispent pas totalement l’Allemagne fédérale, mais la peur qui existait, particulièrement à l’époque de la guerre de Corée, s’est un peu estompée. La fin du régime stalinien et la dénonciation de son système de domination arbitraire font apparaître l’Union soviétique sous un jour moins monolithique. Une possibilité s’offre d’étudier la politique de l’Allemagne nationale-socialiste sans essayer d’en dégager les analogies avec celle de l’Union soviétique.
4Au plan intérieur allemand, la société se libéralise, tandis que le parti social-démocrate apparaît peu à peu susceptible de participer aux affaires publiques gouvernementales (abandon des références au marxisme à Bad Godesberg et succès électoraux régionaux). A peu près à la même époque (1965), on assiste à une résurgence du nazisme qui parvient à enregistrer quelques victoires locales. Le besoin d’une explication du national-socialisme est favorisé par la décrispation de la vie politique interne et externe, mais la résurgence de courants néo-nazis nécessite l’élaboration d’interprétations capables de faire taire les nostalgiques du « Troisième Reich ».
5Ayant observé la conjonction des contextes politique et historiographique du début des années 60, on comprend que l’historiographie ait été amenée à formuler de nouvelles approches. Les coups de boutoir assénés par la publication quasi-simultanée de trois thèses révisionnistes banalisant le nazisme, à des degrés divers et avec des intentions différentes, forcent les historiens à formuler de nouvelles réponses.
6Ces interprétations seront fortement marquées par la génération et le climat politique plus détendus des nouveaux historiens allemands. Leurs analyses seront également influencées par un concours de circonstances. En effet, le tournant des années 60 correspond à la découverte du Deuxième Livre de Hitler (1961), du Testament politique du Führer recueilli par Martin Bormann (1959) et du rapatriement de la plupart des archives allemandes emmenées par les alliés. Les deux premiers documents confirment l’argument que Hitler avait pour objectif principal la constitution d’un « Lebensraum » à l’Est, et prouvent sa haine mortelle des Juifs.
2. Hugh Trevor-Roper
- 2 Hugh Trevor-Roper avait été influencé par un de ses maîtres à Oxford. R.C.K. Ensor. Celui-ci avait (...)
7L’historien anglais Hugh Trevor-Roper2 a été un des premiers à comprendre l’importance de ces nouvelles sources dans lesquelles il voit la réponse à toutes les questions : pourquoi Hitler a-t-il attaqué la Russie et ne s’est-il pas contenté de ses victoires spectaculaires ? Quelle a été son attitude vis-à-vis de la Grande-Bretagne et de la France ? Pourquoi a-t-il donné l’impression de tant hésiter avant d’envahir la Pologne ? Le « Corridor » valait-il une guerre mondiale ? Quels liens faut-il établir entre l’attaque italienne contre la Grèce et l’« Opération Barbarossa » ? Pourquoi Hitler ne s’est-il pas emparé de l’Afrique du Nord ? A toutes ces questions, qu’il pose dans le désordre, il apporte une seule réponse :
- 3 Hugh Trevor-Roper. « Préface » du Testament politique de Hitler. Notes recueillies par Martin Horma (...)
« La guerre contre la Russie ne constituait pas une diversion qui, en cas d’insuccès, serait reconnue comme une simple erreur tactique ; c’était pour le Nazisme, le but suprême à atteindre, la fin des fins ».3
8Dans une conférence prononcée à la fin de l’année 1959 et reproduite dans la revue Vierteljahrshefte fur Zeitgeschichte, Hugh Trevor-Roper renforce encore son argumentation :
9L’historien anglais s’en prend déjà à son collègue Alan John Percival Taylor dont il connaît les travaux. L’accusation ne s’embarrasse pas de nuances, en substance : il croit naïvement que Hitler aurait possédé un arsenal d’idées toutes interchangeables qu’il utiliserait suivant ses besoins :
- 5 Ibid., p. 125.
« A.J.P. Taylor, qui ne voudrait pas concéder que Hitler ait eu la moindre action conséquente, est de l’avis que Hitler a possédé une série d’idées de base interchangeables (...) qu’il a extraites de son chapeau selon ses besoins. » 5
10Hugh Trevor-Roper va encore plus loin, puisqu’il n’hésite pas à affirmer :
- 6 « Préface » du Testament politique. Op. cit.. p. 11.
- 7 Ibid., p. 12.
« Quel cerveau que celui de Hitler » 6 (...) « Nous devons reconnaître que le cerveau de Hitler était doué d’une puissance extraordinaire : il pouvait tout aussi bien clarifier que simplifier, illustrer que déformer, façonner l’avenir que défigurer le passé ».7
11L’historien en vient même à ajouter une interprétation qui n’est pas des plus explicites :
12Bien entendu, il faut comprendre cette phrase comme signifiant que Hitler a été l’idéologue et le politicien, le manipulateur suprême des moyens et des fins de son mouvement, qu’il a contrôlé sa révolution dans chaque phase, même au moment de la défaite. Mais il reste que ce genre d’argumentation apporte plus de confusions qu’elle n’éclaire le lecteur. De plus, Hilter n’a inventé ni le social-darwinisme, ni l’antisémitisme, ni la volonté allemande d’occuper la Russie.
- 9 Ibid., p. 12.
- 10 Ibid.. p. 49.
13Cependant Hugh Trevor-Roper ne manque pas d’insulter Hitler : « c’était un esprit vulgaire, violent, grossier, cruel et horrible ».9 Surtout, il s’étonne qu’un « cerveau si puissant » puisse traîner dans son sillage toutes sortes d’immondices ; sa rancœur vulgaire ; son grossier et écœurant verbiage concernant les Juifs, l’Occident pourri (...) » 10 C’est surtout cette cohabitation d’extrêmes aussi opposés que relève Hugh Trevor-Roper. Malgré les excès d’hitléro-centrisme de l’interprétation avancée par Hugh Trevor-Roper, sa conception générale va fournir une base conceptuelle à l’école des « programmologues ».
3. L’« école » d’Andreas Hillgruber
- 11 Andreas Hillgruber est né en 1925 en Prusse-orientale. Il est entré dans l’armée en 1943 et fut d’a (...)
- 12 Andréas Hillgruber adjoint toujours des guillemets au mot programme. Klaus Hildebrand a synthétisé (...)
- 13 « On peut assurer (...)que toutes les aptitudes opportunistes dont Hitler était sans aucun doute po (...)
14La thèse des « programmologues » a été exprimée avec le plus de cohérence et de détails par Andreas Hillgruber.11 II est le premier qui se soit appliqué de manière systématique à montrer que les principales décisions de politique du « Troisième Reich » résultent du « programme » 12 élaboré par Hitler dans les années 20. Andreas Hillgruber propose d’étudier les attitudes opportunistes dont Hitler était pourvu et qui ont marqué son style comme étant subordonnées à certaines « conceptions dogmatiques ».13
- 14 Andréas Hillgruber. Deutschlands Rolle in der Vorgeschichte der beiden Weltkriege. Göttigen. 1967. (...)
15Ce « programme » , Hitler l’a développé entre 1919 et 1928 et l’a appliqué même dans ses conséquences les plus extrêmes jusqu’à son suicide, le 30 avril 1945.14
16Les étapes de ce processus sont les suivantes :
-
Tenir la Grande-Bretagne à l’écart du continent afin de pouvoir entamer une guerre sur le seul front russe.
-
Conquérir un « Lebensraum » en Russie soviétique, y établir des colonies d’agriculteurs allemands et exploiter les matières premières.
-
Exterminer les populations juives et les élites bolchéviques, et réduire les populations slaves à l’esclavage.
-
Préparer l’« Europe nouvelle » à une confrontation militaire avec les Etats-Unis.
L’Allemagne comme première puissance continentale
- 16 Hans-Adolf Jacobsen. Nationalsozialistiche Aussenpolitik, 1933-1938. Frankfurt. 1968. Andreas Hillg (...)
- 17 Hans-Adolf Jacobsen montre dans un tableau exhaustif les cinq organismes parallèles qui ont émis de (...)
17La période 1933-1939 a été laissée à Hans-Adolf Jacobsen. Son ouvrage Nationalsozialistiche Aussenpolitik16 a pour objectif principal d’établir comment Hitler s’est servi tour à tour des différents organismes s’occupant de la politique étrangère17 pour mettre en œuvre son « programme » de renouveau racial et l’anéantissement de l’ennemi judéo-bolchevique.
18Dans une première étape (1933-1936), le dictateur allemand a dissimulé ses objectifs agressifs en utilisant habilement les divisions des autres puissances, en exploitant les faiblesses du système de Paris et en attisant l’esprit revanchard des industriels, des militaires et des diplomates allemands.
19A partir de 1936, le régime national-socialiste dévoilera encore plus clairement ses ambitions hégémoniques et les moyens violents qui lui sont nécessaires : intervention partielle en Espagne, annexion de l’Autriche.
- 18 Hans-Adolf Jacobsen. Op. cit., pp. 445-465.
- 19 Ibid. p. 599.
20La conclusion de Hans-Adolf Jacobsen est que le dictateur a en dernier ressort décidé à la fois des buts immédiats et lointains, et aussi de l’utilisation de la diplomatie ou de la force pour mettre en œuvre l’objectif de « Lebensraum » raciste à l’Est.18 L’historien de Bonn met en relief les divers rouages des organes chargés de la politique étrangère, en faisant apparaître que leurs compétences se superposent. Mais il insiste sur le fait que les décisions ont été prises, en dernier lieu par le seul Hitler. A la question, un tel enchevêtrement de compétences était-il un accident ou une méthode de gouvernement, Hans-Adolf Jacobsen répond sagement.19
- 20 Darmstadt. 1961 ; 764 p.
21Les travaux de Hans-Adolf Jacobsen suscitent quelques légères réserves lorsqu’ils laissent percer une certaine déception que l’Allemagne ait perdu la guerre. Cela apparaît plus particulièrement dans le chapitre au titre significatif :« So ging der Zweite Weltkrieg verloren » de son ouvrage 1939-1945. Der Zweite Weltkrieg in Chronik und Dokumenten.20 On a parfois l’impression que l’analyse clausewitzienne de Hans-Adolf Jacobsen cherche plus à critiquer le fait que Hitler ne se soit pas doté des moyens de sa politique que de viser à remettre en cause les objectifs en eux-mêmes :
- 21 Ibid.. p. 713.
« Une des plus grosses fautes de Hitler a sans doute été d’avoir poussé à une politique de risques et de périls (« Risikopolitik » ). Nous faisons ici pour une fois abstraction du côté moral de sa manière d’agir. Cette « Risikopolitik » impliquait en elle-même la guerre, alors qu’il n’avait pas suffisamment pris en compte ni examiné méthodiquement et rationnellement les aspects politiques, économiques, psychologiques et militaires. Quand la guerre a commencé en 1939, l’Allemagne ne possédait ni un plan de guerre, ni une conception stratégique globale visant à établir une véritable adéquation entre les moyens et les objectifs. » 21
22Dans un article en français, l’historien de Bonn reprend la même analyse et ajoute :
- 22 Hans-Adolf Jacobsen. « Les buts de la politique de guerre de Hitler de 1939 à 1943 » in Revue d’his (...)
« On se trouve ainsi en face d’une coalition de puissances toute différente de celle que Hitler avait imaginée (...). En sorte que Hitler fut contraint d’adopter des plans de circonstance, des expédients provisoires qui devaient le précipiter dans des entreprises politiques et militaires de plus en plus grandioses et de plus en plus insensées avec des effectifs, un matériel et des ressources économiques de plus en plus réduits. Pendant ce temps, ses ennemis, dont le nombre augmentait toujours, poursuivaient avec des ressources inépuisables un but bien déterminé ».22
23Cependant nous ne soulignons ces aspects de la pensée de Hans-Adolf Jacobsen que pour mieux montrer la valeur de ses travaux. Il faut en effet saluer ses capacités à se défaire d’une certaine historiographie allemande plus irritée par l’échec de l’entreprise de Hitler que par les objectifs qu’il s’était fixés. Si parfois l’historien de Bonn donne l’impression d’hésiter dans ses jugements, on lui reconnaîtra néanmoins le mérite d’avoir exposé de manière convaincante qu’il n’y a pas une bonne politique du « troisième Reich » (jusqu’à l’invasion de Prague) et une mauvaise par la suite. Hans-Adolf Jacobsen souligne avec justesse que Hitler s’est tenu à ses objectifs de « Lebensraum » à l’Est et à sa politique raciste de bout en bout. L’apparente modération de ses premières années de pouvoir ne doit pas faire illusion, il a poursuivi ses propres desseins avec constance.
- 23 L’utilisation des modèles de prise de décision en politique étrangère par Hans-Adolf Jacobsen est a (...)
24Un autre apport important de National-Sozialistische Aussenpolitik est d’avoir su tenir compte des analyses sur les processus de décision en politique étrangère afin de les tester sur les institutions concurrentes de l’Allemagne nationale-socialiste. Les résultats de son étude montrent que l’historien de Bonn a réussi à éviter les excès de politologues qui ne savent pas toujours maîtriser leurs instruments d’analyse. La constatation de rivalités bureaucratiques et organisationnelles n’infirme pas nécessairement qu’un seul individu puisse, en dernier ressort, décider de tout.23
Le déclenchement de la guerre européenne
- 24 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle Op. cit., p. 88.
25Andreas Hillgruber a plus particulièrement étudié la politique étrangère allemande à partir de 1939. Il montre que la politique suivie vis-à-vis de la Pologne, de la France et de l’Angleterre ne peut être saisie qu’en fonction des objectifs de conquête raciste d’un « Lebensraum » à l’Est.24
- 25 La Grande-Bretagne a soutenu la Pologne comme contrepoids à la politique expansionniste de l’Allema (...)
26Hitler aurait donc souhaité démembrer la Pologne afin de pouvoir attaquer la France sans que l’Allemagne soit prise entre deux ennemis. Le dictateur allemand se serait peut-être contenté d’une Pologne satellisée, mais le gouvernement de Varsovie a refusé de jouer ce rôle, soutenu en cela par la Grande-Bretagne.25 Dans l’esprit du dictateur allemand, l’attaque contre la Pologne n’aurait pas dû déchaîner une guerre mondiale ni même européenne. Hitler aurait été surpris par les réactions anglaises et aurait été entraîné dans une guerre aux proportions qui le dépassaient à un moment où l’Allemagne n’était pas encore prête. Son « programme » postulait certes une guerre européenne si ce n’est mondiale, mais celle qui éclata en septembre l’entraîna contre son gré.
- 26 Gerhard Weinberg. The Foreign Policy ol Hitlers’s Germany. Chicago. 1980. 2e vol. pp. 628 et 670-67 (...)
27Une des implications de l’interprétation de Andreas Hillgruber est donc de fortement relativiser l’importance de l’attaque allemande contre la Pologne dont Hitler n’aurait pas vraiment mesuré l’enjeu et les risques. Quelques historiens non allemands ont contesté en partie l’analyse de Andreas Hillgruber. Pour Gerhard Weinberg, « Hitler obtient sa guerre » 26 en attaquant la Pologne.
- 27 A ce sujet Eberhard Jäckel. Die deusche Frankreichpolitik in Zweiten Weltkrieg. Stuttgart. 1966 : 3 (...)
- 28 Maurice Baumont. La faillite de la paix, de l’affaire éthiopienne à la guerre (1936-1939). Paris. 1 (...)
28Andreas Hillgruber interprète la politique du « Troisième Reich » vis-à-vis de la France en fonction d’une conception de la stratégie militaire qui consiste à n’attaquer qu’un pays à la fois.27 Le motif déterminant de l’attitude allemande envers la France ne serait pas une haine viscérale ou une volonté de récupérer les territoires perdus en 1918 (Alsace-Lorraine). L’historien de Cologne se démarque ainsi des thèses de beaucoup de spécialistes des relations franco-allemandes qui ont plutôt tendance à situer la politique du « Troisième Reich » dans une perspective bilatérale et centenaire.28
29On remarquera enfin qu’on ne trouve pas en général dans les ouvrages de Andreas Hillgruber d’analyse des aspects spécifiques de la politique menée en Pologne et en France. Les démembrements de ces deux pays, les annexions à l’Allemagne d’une partie de leurs territoires et les pratiques d’« administration » ne peuvent pas être déduites du « programme » par étape tel qu’exposé par l’historien de Cologne.
La politique suivie vis-à-vis de l’Angleterre
30Andreas Hillgruber insiste particulièrement sur l’affirmation que Hitler n’aurait, au fond, jamais voulu affronter la Grande-Bretagne. Depuis ses premiers écrits dans Mein Kampf qui ont été confirmés dans le Deuxième livre, Hitler aurait cherché à associer la puissance insulaire à ses ambitions continentales :
- 29 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle. Op. cit., p. 72.
« A partir de là, une alliance avec la Grande-Bretagne était possible et souhaitable pour la période du combat « pour la stabilité de la patrie » (et pour la période suivante d’extension de l’Allemagne sur le continent). Et c’est en effet ce qui s’est passé sous la forme d’un « grand arrangement » (« grosse Lösung » ) qui incluait la domination de l’Allemagne sur l’ensemble de l’Europe continentale. Ceci est décisif pour la compréhension de la pratique de la politique étrangère de Hitler de 1933 à 1941. » 29
- 30 Ibid., p. 72. La plupart des conceptions développées dans Deutschlands Rolle avaient été mentionnée (...)
31Andreas Hillgruber affirme donc que Hitler a recherché l’alliance de la Grande-Bretagne dans ses guerres européennes. Cette alliance, il l’aurait également souhaitée en vue de son combat contre les Etats-Unis : « (...) avec en vue une grande guerre ultérieure contre l’Amérique (...) et certes si possible en accord avec la Grande-Bretagne (...) » 30
32Avec une certaine constance à prendre beaucoup de déclarations démagogiques de Hitler comme étant des confirmations de son « programme » , Andreas Hillgruber interprète ainsi les « grandioses offres » du 25 août 1939 comme bien plus que de simples manœuvres tactiques :
- 31 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle. Op. cit.. p. 92.
« A côté de la motivation tactique, consistant à tenir l’Angleterre à l’écart pendant la campagne contre la Pologne, la « grandiose » offre de Hitler à l’Angleterre du 25 août 1939 laisse aussi apparaître la continuité de la mise en place de son curieux objectif d’arriver à un « grand arrangement » (« grosse Lösung » ) avec l’Angleterre sur la base de la cession de l’Europe continentale contre la « garantie » de l’Empire britannique. » 31
33Naturellement, Andreas Hillgruber devra reconnaître que Hitler n’a bénéficié ni de l’alliance britannique ni de sa neutralité bienveillante et qu’il n’avait pas exclu, même avant le 3 septembre 1939, qu’une confrontation avec la Grande-Bretagne serait possible :
- 32 Andreas Hillgruber. Endlich genugüber National-Sozialismus und zweiten Weltkrieg? Düsseldorf, 1982. (...)
« Hitler (...) qui, conformément à son « programme » , a cherché à gagner l’Angleterre comme « Junior-partner » dans la politique mondiale, avait pourtant décidé de réaliser ses objectifs programmatiques sur le continent également « sans l’Angleterre » , au besoin « contre l’Angleterre ». » 32
- 33 Le ministre des Affaires étrangères italien, le Comte C’iano ainsi que l’ambassadeur de Rome à Berl (...)
34Hitler n’a-t-il pas songé à anéantir l’Angleterre pendant l’été 1940 ? Comment faut-il comprendre les documents de l’« Auswärtiges Amt » et des responsables italiens33 qui font état de propos de Hitler visant à détruire la Grande-Bretagne ? Pour Andreas Hillgruber. ces témoignages ne doivent pas être interprétés en dehors de leurs contextes ; ces paroles du dictateur allemand n’auraient visé qu’à empêcher l’Italie de participer à ses négociations avec la Grande-Bretagne :
- 34 Ibid., p. 170. Souligné par nous.
« (...) avant tout, il ne voulait pas que l’Italie (avec ses objectifs de guerre exorbitants par rapport à la Grande-Bretagne) participe à son dialogue avec la Grande-Bretagne. » 34
- 35 L’historien américain Norman Rich a été très influencé par les « programmologues » allemands. Néanm (...)
35Toujours dans le même esprit de démonstration de sa thèse, Andréas Hillgruber rejette les innombrables travaux qui montrent que Hitler avait décidé clairement d’envahir l’Angleterre : le 16 juillet 1940, le dictateur allemand avait donné des directives détaillées en vue d’une occupation militaire de la Grande-Bretagne. Hitler s’appuyait sur les plans préparés dès novembre 1939 (Opération « Seelöwe » ) et qu’il avait discutés le 21 mai 1940. Andreas Hillgruber interprète ces plans, dont il doute que Hitler ait connu l’ampleur, comme n’étant que « des manœuvres de camouflage devant servir à influencer psychologiquement l’Angleterre en vue d’un arrangement pacifique ».35
36Klaus Hildebrand reprend et développe les arguments de Andréas Hillgruber. Il arrive à la conclusion étonnante que Hitler s’est doté de gigantesques moyens militaires et diplomatiques pour envahir l’Angleterre, l’a même attaquée... afin de terminer la guerre avec elle et de dissuader les Etats-Unis d’intervenir en Europe :
- 36 Seule cette parenthèse est de notre l’ait. Toutes les autres coupures du texte ainsi que les guille (...)
- 37 Klaus Hildebrand « Hitlers « Programm » und seine Realisierung 1939-1942 ». Op. cit.. p. 76. Le rai (...)
« (...) Par des menaces et par des sanctions, par des ballons d’essai pacifistes et des actions militaires aériennes, Hitler pensait dissuader les USA d’intervenir dans une guerre européenne, « mettre un terme à la guerre contre l’Angleterre qui lui avait été imposée contre son gré » et avoir ensuite enfin des arrières libres (...)36pour se tourner vers l’Est. » 37
37Les interprétations des « programmologues » sont intéressantes, car elles tiennent compte des objectifs politiques de Hitler et ne le considèrent pas uniquement comme un démagogue assoiffé de pouvoir et dénué d’intentions précises. Il reste que, parfois, à trop vouloir démontrer la cohérence de son « programme » , on risque d’arriver à des conclusions qui sont paradoxales.
La conquête d’un « Lebensraum » à l’Est
38Un des apports principaux de Andreas Hillgruber et des « programmologues » concerne leur éclaircissement de la politique hitlérienne vis-à-vis de la Russie Soviétique.
39L’historien de Cologne fait ressortir de manière convaincante que la politique du dictateur allemand était principalement dirigée contre la Russie soviétique. Certes, nous avons cité nombre d’auteurs qui avaient déjà relevé ce point avant les travaux de Andreas Hillgruber. Mais celui-ci souligne la primauté absolue de cet objectif de « Lebensraum » en l’illustrant par des arguments détaillés. Andreas Hillgruber montre surtout que l’attaque dirigée contre la Russie soviétique était avant tout motivée par des convictions sociales-darwinistes racistes.
- 38 Ernst Nolte. Die Krisedes libérale » Systems und die faschistischen Bewegungen. München, 1968. p. 2 (...)
- 39 Les « menaces » soviétiques font l’objet d’une abondante littérature dans les années 1950. Par exem (...)
- 40 Voir le chapitre sur la « théorie » du totalitarisme, infra chapitre VIII.
40Cette thèse va à rencontre de beaucoup de travaux d’historiens qui donnent d’autres motifs comme explication principale du déclenchement de l’Opération Barbarossa : l’anticommunisme,38 les menaces soviétiques,39 ou la logique belliciste de la confrontation de deux systèmes totalitaires.40
- 41 Cette interprétation est souvent reprise par les historiens marxistes, infra, chapitre VIII.
- 42 Francis Hinsley. Hitlers Strategie. Stuttgart. 1952. pp. 180-181. Ce stratège anglais a une vision (...)
- 43 Frit Fischer. « A Comparison of German Aims in the Two World Wars ». Op. cit., pp. 146-147. Voir su (...)
- 44 Hans Mommsen. Adolf Hitler ah « Führer » der Nation. Op. cit.. « La question n’est finalement pas d (...)
41Certains historiens ont plutôt mis l’accent sur d’autres facteurs déterminants : la volonté d’exploiter les peuples et les richesses de l’Union soviétique,41 l’impasse stratégique de la guerre en 194142 ou la nécessité de secourir les peuples « persécutés » par l’Union Soviétique.43 On remarquera aussi que certains historiens ne cherchent plus à expliciter l’attaque allemande contre la Russie soviétique.44
42Andreas Hillgruber différencie trois motivations principales qui ont conduit Hitler à enclencher l’Opération Barbarossa :
- 45 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle. Op. cit., p. 115.
« 1. l’extermination de la couche dirigeante « judéo-bolchevique » , (y compris sa prétendue racine biologique, les millions de Juifs d’Europe centrale et orientale) ;
2. l’acquisition d’un espace colonial pour les colons allemands dans les parties supposées les meilleures de la Russie ainsi que dans des territoires, que Hitler considérait comme indispensables pour des motifs politico-stratégiques ;
3. l’assujettissement des masses slaves sous la domination allemande dont la principale tâche devait être d’abolir tout souvenir d’un grand Etat russe et de les étouffer dans un état d’obéissance aveugle à leurs nouveaux « maîtres » (...) » 45
La politique raciale
- 46 Cela n’empêche pas l’historien de Cologne de faire remarquer que le « timing » de l’Opération Barba (...)
43Andreas Hillgruber ne se contente donc pas de lier l’attaque contre la Russie soviétique à la recherche d’un « Lebensraum » , ce qui pourrait être compris comme le simple désir de répartir judicieusement des terres en fonction d’une population. L’historien de Cologne montre surtout que Hitler avait planifié d’aller jusqu’aux conséquences les plus extrêmes d’une guerre raciale. Hitler attaque la Russie soviétique non seulement pour attribuer des terres à des agriculteurs allemands mais bien pour liquider les commissaires bolcheviques, pour exterminer les Juifs et pour réduire les populations slaves à l’esclavage.46
44Andreas Hillgruber insiste particulièrement sur le fait que dans la conception de Hitler, l’Allemagne ne pourra asseoir sa domination sur l’Europe qu’en exterminant le principal « ferment de décomposition » : les Juifs. L’Europe nationale-socialiste ne pourra connaître de stabilité si les Juifs continuent à vivre en son sein et si leur principal bastion, la Russie soviétisée (dans son esprit enjuivée) n’est pas éliminée :
- 47 Andréas Hillgruber. Hitlers Stratégie. Op. cit., p. 567. Egalement Andreas Hillgruber. « Die « Endl (...)
45« Ce qui a été considéré comme la condition de l’instauration et de l’affirmation d’une domination allemande de longue durée sur l’Europe était fondé « logiquement » dans l’idéologie nationale-socialiste. Cette condition était établie sur le lien « mythique » entre le système de domination « bolchévique » et la « juiverie » , d’où l’extermination physique de la couche dirigeante de la Russie et de sa prétendue base biologique, les millions de Juifs d’Europe centrale, orientale et continentale (...) » 47
46Eberhard Jäckel reprend également cet élément fondamental que l’attaque contre l’Union soviétique avait pour but d’exterminer le judaïsme international et d’abattre son Etat :
- 48 Eberhard Jäckel. Hitlers Weltanschauung. Tübingen. 1969. p. 141. Souligné par nous.
« En exterminant là-bas les Juifs, on affaiblissait l’Etat russe et on rendait ainsi plus facile la conquête d’un nouvel Espace vital pour l’Allemagne, et en le conquérant, on infligeait en même temps une défaite décisive à la juiverie internationale qui y avait érigé depuis peu sa centrale mondiale. » 48
- 49 Andreas Hillgruber et Eberhard Jäckel sont également d’avis qu’il faudrait développer des études da (...)
47Malheureusement l’école des « programmologues » a trop peu développé le fait que Hitler a attaqué l’URSS pour s’en prendre au judaïsme international.49
Préparation de l’Europe « nouvelle » à une confrontation avec les Etats-Unis
48Andreas Hillgruber lie également l’attaque contre la Russie soviétique à la dernière étape du « programme » de Hitler : préparer les conditions permettant la conquête ultérieure du monde (« Weltvormachtstellung » ) par une victoire sur les Etats-Unis.
- 50 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle. Op. cit., p. 115.
« La mise en place parfaite d’un « grand espace » autarcique et résistant au blocus en Europe continentale sous domination allemande dans les territoires conquis de l’Est devait représenter un réservoir supposé inépuisable de matières premières et de vivres, afin de créer la condition décisive d’une victoire pour le « Reich germanique de la nation allemande » dans sa guerre contre les puissances maritimes anglo-saxonnes (...) » 50
- 51 On trouve une étude détaillée du « Z Plan » dans Jost Dülffer. Weimar, Hitler und die Marine. Reich (...)
- 52 Klaus Hildebrand a développé plus particulièrement la problématique de la politique coloniale du pa (...)
- 53 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle. Op. cil., p. 69. Andréas Hillgruber. Hitlers Strategie. Op. (...)
49La domination politique, économique et raciale du continent européen et surtout de la Russie soviétique aurait dû servir de base d’appui (« Weltvormachtstellung » ) à la confrontation avec les Etats-Unis que Hitler avait envisagée pour les prochaines générations. Le dictateur aurait prévu que cet objectif soit réalisé par étapes : d’abord, l’Allemagne se serait hissée parmi les quatre grandes puissances mondiales restantes (aux côtés du Japon, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis) grâce à la constitution d’une flotte d’envergure51 et par l’obtention de colonies en Afrique.52 Ce ne serait que dans une dernière étape ultérieure que l’Allemagne aurait affronté les Etats-Unis afin de dominer le monde.53
- 54 Andreas Hillgruber écrit que Hitler aurait songé, après ses premiers succès contre l’URSS, à hâter (...)
50On remarquera cependant que Andreas Hillgruber est assez prudent pour ne pas expliquer la déclaration de guerre allemande à l’Amérique en fonction d’une application accélérée54 de son « programme » :
- 55 Ibid.. p. 533.
« La déclaration de guerre de Hitler aux USA (11.12.1941), qui a suivi l’attaque japonaise contre les possessions américaines et britanniques du Pacifique, ne correspondait alors pas à une décision liée aux objectifs de politique étrangère de Hitler. » 55
- 56 Cette déclaration de guerre aurait permis d’empêcher toute réconciliation américano-nippone. Ibid.. (...)
51Andreas Hillgruber lie plutôt la déclaration de guerre allemande à une application quasi automatique de respect de l’engagement de garantie réciproque pris envers les Japonais en mars et avril 1941.56
- 57 Eberhard Jackel. Hitlers Wellanschauung. Op. cit., p. 29-54.
- 58 Andreas Hillgruber. Hitlers Strategie. Op. cit.. pp. 566. 192 et 117. Klaus Hildebrand. Vom Reich z (...)
- 59 Jochen Thies. Architckt der Weltherrschaft. Die « Endziele » Hitlers. Düsseldorf. 1976, pp. 60-69. (...)
52On notera que les historiens « programmologues » divergent sur la question de savoir si Hitler ne voulait finalement « qu’un » « Imperium » continental en Europe (Eberhard Jäckel)57 une « Weltvormachtstellung » (Andreas Hillgruber, Klaus Hildebrand)58 ou directement une domination allemande sur la planète « Weltherrschaft » (Jochen Thies).59
- 60 Andréas Hillgruber, Deulschlands Rolle. Op. cit., p. 126.
- 61 Eberhard Jäckel. Hitlers Weltanschauung. Op. cit., pp. 73-74. Raul Hilberg a particulièrement étudi (...)
- 62 Andreas Hillgruber rassemble les données sur les exécutions de prisonniers de guerre russes dans Hi (...)
53Un dernier apport de l’école des « programmologues » est de rappeler qu’à partir du moment où Hitler ne pouvait plus réaliser ses plans de conquête et d’hégémonie (fin 1941), il s’est lancé dans une entreprise de destruction systématique. Cette alternative, « Weltmacht oder Untergang » , qu’il avait déjà évoquée dans Mein Kampf et qui caractérise au mieux son caractère mégalomane et destructeur, va se renforcer avec les premiers échecs allemands.60 Le dictateur allemand fera dès lors accélérer le programme d’annihilation des Juifs61 et d’exécution des prisonniers de guerre russes.62 Il ordonnera de ravager et de piller certains territoires conquis et ira jusqu’à vouloir détruire la civilisation allemande elle-même (« Nero Befehl » , mars 1945).
54Les thèses présentées par les « programmologues » ont provoqué et engendreront encore longtemps des discussions passionnées. Il n’est pas de notre propos de rappeler toutes les controverses que cette interprétation amène et implique. L’important nous semble plutôt de bien considérer que nul ne peut plus étudier la politique étrangère de l’Allemagne nationale-socialiste ni même sa politique raciste sans se référer, au moins implicitement, aux travaux de Andreas Hillgruber et de son école. Beaucoup de points avancés par ces historiens ont été contestés, certaines fois avec pertinence, d’autres fois sans beaucoup de fondement historique. Nous avons nous-même montré certains paradoxes, par exemple à propos de la politique suivie vis-à-vis de la Grande-Bretagne. L’analyse de la guerre contre la Pologne suscite toujours quelques interrogations. La nature et les limites des « objectifs finaux » sont encore discutés par les historiens « programmologues ». Sans même aller jusqu’à contester les hypothèses de base de l’interprétation avancée par les « programmologues » , certaines affirmations peuvent donc être partiellement remises en question dans une critique interne au « modèle » d’analyse.
55Le plus intéressant nous semble toutefois de nous interroger sur les problèmes historiographiques et épistémologiques posés par les travaux des historiens « programmologues ».
Continuité ou discontinuité de la politique étrangère nationale-socialiste
56Les « programmologues » présentent-ils la politique étrangère pratiquée par Hitler comme une continuation ou une rupture de l’histoire allemande contemporaine ? Plus précisément, en insistant sur le seul « programme » de Hitler, n’y aurait-il pas une tendance implicite à vouloir nier l’enracinement de la politique étrangère nationale-socialiste ? De manière plus subtile que chez Gerhard Ritter, chercherait-on à faire apparaître le national-socialisme comme un corps étranger à l’histoire allemande ?
57Cette impression pourrait avoir quelques fondements si l’on se limitait à l’étude des ouvrages que nous avons présentés. Mais les historiens « programmologues » se sont explicitement exprimés sur cette question de la continuité de la politique étrangère allemande. Pour éclaircir le débat, il faut d’abord différencier deux problématiques :
-
la continuité/discontinuité des objectifs de politique étrangère.
-
le rôle de l’impérialisme en politique intérieure.
58Considérons les objectifs. Andreas Hillgruber souligne en premier lieu l’absence d’originalité de beaucoup d’aspects du « programme » expansionniste de Hitler en situant le national-socialisme dans la continuité des buts impérialistes qui ont prévalu au sein des élites allemandes depuis la fondation du Reich bismarckien.
59A l’époque de Guillaume Ier, les ambitions allemandes se sont limitées à une domination sur l’Europe. Le tournant du siècle a vu l’éclosion de prétentions aux dimensions planétaires. La première guerre mondiale marque une volonté de réaliser ces objectifs. Le « programme » hitlérien résume bien de manière « systématique » les buts expansionnistes de la politique étrangère qui avait été désirée par les élites allemandes depuis Bismarck. Le « plan » de réalisation, par étapes, d’une hégémonie allemande en Europe centrale et orientale, mis en œuvre par Hitler, avait été envisagé du temps de Guillaume II et avait connu un début de réalisation en 1917-1918 lors des accords de Brest-Litovsk qui rendaient possible l’ouverture d’un espace vital à l’Est. Cet « Ostraum » devait aussi permettre de constituer un solide rempart sur le continent en vue de satisfaire plus tard les aspirations de l’Allemagne à des possessions outre-mer :
- 63 Klaus Hildebrand. « Hitlers « Programm » und seine Realisierung 1939-1942 ». Op. cit., pp. 90-91. A (...)
« Andreas Hillgruber a récemment montré de manière convaincante que (...) le « programme » hitlérien représente la somme « systématisée » des objectifs d’expansion que la politique extérieure allemande avait méditée depuis l’époque de Bismarck. Le plan de réalisation par étapes d’une hégémonie allemande en Europe centrale mis en œuvre par Hitler avait déjà été envisagé du temps de Guillaume II et réalisé en 1917/18 à la paix de Brest-Litowsk avec l’ouverture d’un vaste espace vital à l’est. Il devait permettre de constituer un solide rempart sur le continent en vue de satisfaire plus tard les aspirations de l’Allemagne à des possessions outremer. Ces aspirations s’étaient manifestées et avaient été déjà partiellement réalisées dès l’époque bismarckienne mais elles ne prirent vraiment forme et ne se cristallisèrent qu’à partir de 1941, avec comme objectif l’Afrique centrale. » 63
60Le « programme » hitlérien a de plus intégré, comme étapes, les buts révisionnistes de la République de Weimar : dissolution du système de Versailles, établissement d’un Etat rassemblant toutes les populations allemandes et domination sur l’Europe centrale.
- 64 Andreas Hillgruber. Endlich genug über Nationalsozialismus und Zweiten Weltkrieg? Op. cit., p. 51.
61Les « programmologues » font remarquer que l’alternative de Hitler « Weltmacht oder Untergang » correspond aux phantasmes de l’époque wilhelminienne tels que les avait par exemple exprimés Friedrich von Bern-hardi.64
- 65 Ibid., p. 53. Le génocide, comme conséquence d’un dogme raciste idéologique auquel était subordonné (...)
- 66 Les « programmologues » soulignent d’autres atrocités commises par l’Allemagne nationale-socialiste (...)
62Cependant, face à cette continuité générale du « programme » hitlérien, se greffe une discontinuité par le racisme. Avec la remise du pouvoir à Hitler, la politique étrangère allemande a été subordonnée à un dogme purement fanatique. Andreas Hillgruber souligne que l’antisémitisme était déjà très répandu dans beaucoup de milieux dirigeants du Reich et qu’il n’avait de loin pas disparu pendant les années de la République de Weimar. Cependant, l’ensemble de la politique allemande, interne et étrangère, n’avait encore jamais été radicalement subordonnée à un dogme aussi meurtrier. La conséquence la plus claire de cette prépondérance de l’extrême-racisme du national-socialisme s’est manifestée dans l’extermination systématique des Juifs,65 dans l’assassinat de millions de prisonniers russes et dans l’exploitation brutale des hommes dans les territoires de l’Est à forte minorité slave.66
- 67 L’analyse des thèses de Hans-Ulrich Wehler est reprise plus en détail infra, chapitre VII.
63La fonction de la politique étrangère en politique intérieure est un autre thème qui a été étudié par les « programmologues ». Klaus Hildebrand a repris certains éléments de l’analyse du « Sonderweg » telle qu’exposée par Hans-Ulrich Wehler.67 Pour l’historien de Bielefeld, la politique étrangère impérialiste de Bismarck à Stresemann a servi à conserver l’ordre existant (« social-impérialisme » ). Celui-ci étant menacé par des contradictions internes, dues à l’opposition entre une modernisation accélérée de la société et un pouvoir politique conservé par des élites traditionnelles réactionnaires. A propos de Bismarck, Klaus Hildebrand écrit :
64De même, à propos de l’ère wilhelminienne, Klaus Hildebrand adhère en partie à la théorie de Hans-Ulrich Wehler :
- 69 Ibid. p. 136.
« De là, à côté de leurs objectifs originels de politique de puissance, les slogans nationalistes, impérialistes et demandant une politique navale forte de l’époque wilhelminienne ont aussi servi à unir la nation derrière la bannière de la mobilisation intérieure et du social-impérialisme. » 69
- 70 Ibid., p. 136.
65Quant à la première guerre mondiale, Klaus Hildebrand la qualifie de force la plus puissante d’intégration de la nation allemande.70
66Même la politique de Stresemann est présentée comme une politique de tendance révisionniste :
- 71 Ibid., p. 142. Souligné par nous.
« Stresemann a mené une politique étrangère portée au révisionnisme et l’a conduite d’une manière vigoureuse, même si c’était en premier lieu suivant une ligne pacifique, indirecte et économique. (Ainsi contre la Pologne l’adoption de mesures militaires a été envisagée alors que contre la France c’est le potentiel économique du Reich qui a été appliqué). 71
- 72 Ibid., pp. 143-144. Bien entendu, ces idées ne sont pas nouvelles. Elles avaient été entre autres e (...)
67Klaus Hildebrand souligne également que la dictature de Hitler signifie la culmination des traditions césaristes allemandes. Il rappelle que depuis 1862, l’appel à la dictature a été présent dans toute l’histoire du Reich. Il souligne les tentations de Bülow, de Miquel, de Tirpitz et plus tard de Ludendorff. Klaus Hildebrand fait surtout remarquer que cette quête d’un « Führer » avait atteint son paroxysme à la fin de la première guerre mondiale et qu’on la retrouve dans son « Programme ».72
68Klaus Hildebrand confirme aussi que les premiers succès de politique étrangère de Hitler ont été obtenus avec le soutien des élites et du peuple. Ceux-ci ont permis d’accroître la popularité de Hitler et de faire mieux accepter le régime. On peut donc avoir l’impression qu’il y a une continuité du social-impérialisme.
69Cependant Klaus Hildebrand fait remarquer que la conservation de l’ordre existant n’était qu’une illusion. L’essence du national-socialisme était d’une autre nature. Il y a rupture du « Sonderweg » allemand à partir du moment où Hitler réussira à s’autonomiser complètement par rapport aux élites qui lui ont donné le pouvoir. Car Hitler ne va pas chercher à stabiliser les contradictions de la société, à renforcer le pouvoir de l’Etat et des classes dirigeantes, comme ces dernières le souhaitaient. Il a au contraire subordonné l’économie, l’Etat et l’armée à ses objectifs expansionnistes, racistes et destructeurs.
70En conclusion, la politique étrangère pratiquée par le national-socialisme s’enracine dans l’histoire de l’Allemagne. La plupart de ses objectifs ont déjà été développés et quelques fois mis en œuvre avant que Hitler n’accède au pouvoir. Il y a une tradition d’expansion en Europe centrale et orientale. La quête d’un « Lebensraum » apparaît déjà dans la politique suivie par Ludendorff. Les objectifs définis par Stresemann ne marquent pas une rupture totale avec les ambitions allemandes traditionnelles. Les élites ont, entre autres, soutenu Hitler pour qu’il applique leurs visées modérément ou fortement expansionnistes. Mais le dessein du chef du mouvement national-socialiste s’articulait autour d’autres motivations. Son « programme » visait une lutte raciale et postulait des guerres de destruction. L’antisémitisme existait déjà dans l’histoire allemande, mais Hitler l’a poussé à un degré tel qu’on peut parler de rupture d’une certaine tradition allemande.
71Avec l’attaque contre la Russie soviétique, la politique étrangère de l’Allemagne nationale-socialiste a dévoilé sa véritable nature, le début des massacres systématiques a révélé les objectifs destructeurs qui avaient été jusqu’alors partiellement dissimulés.
72Hitler n’a pas répondu aux attentes de ceux qui l’avaient laissé gouverner l’Allemagne pour qu’il conserve l’ordre établi et qu’il maintienne leurs privilèges respectifs. Le social-impérialisme qui a caractérisé la politique extérieure de l’Allemagne depuis Bismarck s’est poursuivi jusqu’en 1933. En un sens, les succès diplomatiques des premières années du régime national socialiste donnent l’apparence de procéder de la même essence : maintenir les équilibres dans une société ébranlée par ses contradictions internes. Il n’est pas douteux que les « succès » de la Rhénanie, de la Sarre, de l’Autriche et des Sudètes ont permis de renforcer la popularité du « Führer » et de contribuer à faire mieux admettre son régime. Mais, en fait, Hitler ne visait pas en premier lieu à défendre l’ordre ancien. Sa politique intérieure était subordonnée à une politique extérieure raciale.
Problèmes épistémologiques
- 73 Supra, p. 86.
73Une des thèses fondamentales développée par Andreas Hillgruber veut que Hitler ait eu un « programme » 73 qu’il a cherché à appliquer. La tâche de l’historien serait d’une part d’essayer de reconstituer ce programme de manière conceptuelle et analytique et, d’autre part, de s’interroger sur son influence dans les prises de décisions de Hitler.
74Cette conception de la méthode de l’écriture de l’histoire est contestée par beaucoup d’historiens qui critiquent, à des niveaux et à des degrés divers, cette forme d’historiographie. Trois points d’épistémologie nous semblent plus particulièrement intéressants. Ces trois questions sont interdépendantes, mais nous les séparons à des fins didactiques :
-
L’interprétation des « programmologues » est-elle trop explicative ou pas suffisamment ?
-
La notion de « programme » est-elle une réification ?
-
Peut-on parler d’un excès de « rationalisation » ?
- 74 Guy Bourde. Hervé Manin. Les écoles historiques. Paris. 1983, pp. 162-169.
75Si l’on admet que la connaissance historique devrait être non une reproduction mais une reconstruction non déterministe du passé, alors les « programmologues » nous semblent avoir trouvé une juste voie. Ceux-ci nous paraissent en effet éviter l’écueil de l’« école méthodique » (Leopold von Ranke, Charles Seignobos) qui affirme que l’écriture de l’histoire pourrait se limiter à n’être avant tout qu’un reflet de ce qui s’est réellement passé. L’assemblage d’un nombre suffisant de faits reposant sur des documents devrait permettre au récit historique de s’organiser et de se laisser interpréter. L’historien pourrait enregistrer le réel comme le fait objectif d’un appareil photographique.74
- 75 Le « modèle Hempel » : « Toute proposition selon laquelle A est cause de B à condition que les circ (...)
76A l’extrême opposé, un autre écueil pourrait être induit par une écriture de l’histoire qui se réduit à l’application d’un système hypothético-déductif. Nous doutons qu’il y ait une « explication » à la décision de Hitler d’attaquer la Russie soviétique si l’on définit « l’explication » ainsi : « une théorie étant donnée, un événement serait « expliqué » dans la mesure où l’on peut au moins rétrospectivement, le déduire de la théorie » (Modèle Hempel).75 Raymond Aron reconnaît les possibilités d’application de ce modèle pour la théorie économique, mais il s’interroge :
- 76 Ibid, p. 471.
« Quand il s’agit de la décision de Hitler d’attaquer la Russie, le modèle Hempel garde-t-il une valeur exemplaire » ?76
- 77 Ibid., p. 471.
- 78 Ibid., p. 471.
77Raymond Aron fait remarquer que même en utilisant une formulation des plus vagues : « tout prétendant à la domination d’un champ historique doit éliminer son rival terrestre » ,77 on n’explique pas l’Opération Barbarossa, car Hitler aurait pu continuer ses bombardements sur l’Angleterre et attaquer en Méditerranée, « un prétendant à l’empire continental doit éliminer la puissance maritime ».78
- 79 Scrupule épistémologique que certains des historiens proches de ses idées n’auront pas toujours. La (...)
78Andréas Hillgruber a-t-il conçu le terme de « programme » comme un « modèle Hempel » ? Il nous semble, au contraire, qu’il s’applique à n’utiliser le terme « programme » qu’entre guillemets79 et qu’il ne vise pas à faire correspondre systématiquement toutes les décisions prises par Hitler à ses intentions « programmatiques » :
- 80 Andreas Hillgruber. Hitlers Strategie. Op. cit.. p. 20.
« Ses décisions n’ont qu’en partie correspondu à ses grandes intentions politiques ; beaucoup d’entre elles, dont des décisions essentielles étaient davantage liées à des réactions à des démarches des adversaires ou le résultat - souvent forcé - de nécessités objectives. » 80
79Andreas Hillgruber montre effectivement dans beaucoup de cas relevant de ses travaux que des décisions ou des événements déterminants ne sont pas dépendants des intentions « programmatiques » de Hitler (attaque contre la Pologne, entrée en guerre contre les Etats-Unis etc.).
- 81 Guy Bourde ; Hervé Martin. Op. cit., p. 306.
80Les « programmologues » opéreraient-ils par rétrodiction ?81 Connaissant les effets du nazisme, particulièrement les plus marquants (ampleur de la guerre, massacres systématiques), auraient-ils une tendance exagérée à remonter à la cause en « bouchant les trous » de la trame historique ? En accomplissant cette opération, si naturelle qu’elle n’est pas toujours consciente, les « programmologues » auraient-ils tendance à exagérer l’importance de certains passages et à « charcuter » les sources ? Tout historien sait que l’analyse de textes est un choix, une sélection d’éléments significatifs. Le reproche pourrait être fondé s’il y avait une utilisation systématique de textes cités hors de leurs contextes ou si une analyse purement quantitative faisait apparaître que tel ou tel élément mis en relief est très rarement répété dans l’ouvrage étudié. Personne ne peut contester que les notions de guerre et de lutte ne sont pas omniprésentes dans les écrits de Hitler. De même, les notions d’extirpation sanglante de la « Juiverie » , de conquête d’un espace vital à l’Est et de confrontation avec l’Etat du judéo-bolchévisme apparaissent de manière répétitive dans les ouvrages et les articles de Hitler. On sera peut-être moins affirmatif en ce qui concerne les mentions de desseins de conquête mondiale, qui, explicitement, sont peu décelables dans les déclarations écrites ou orales du dictateur allemand.
- 82 Hans Mommsen qualifie l’approche des « programmologues » (« Ueberrationalisierung » ). « National-s (...)
- 83 Raymond Aron. « Existe-t-il un mystère nazi ? » in Commentaires, 7, 1979, pp. 348-349.
- 84 Ibid., pp. 348-349.
81Les « programmologues » auraient-ils rationalisé82 des actes et des propos déments ? La passion destructrice, la haine obsessionnelle, l’absence de scrupules, la volonté de mort de cet opportuniste assoiffé de domination peuvent-elles être éclairées par le récit d’un historien prisonnier d’universaux et de structures linguistiques réifiantes ? Dans quelles limites peut-on appeler rationnel un but d’extermination d’un peuple ? Dans la mesure où le terme rationnel s’oppose à celui de passion, pareil dessein défie la raison. Si l’on considère cette démence comme une raison déviante, cela relève peut-être partiellement de l’interprétation psychanalytique. Par contre, si l’on entend par « raison » que les moyens correspondent aux fins, l’organisation systématique, bureaucratique et industrielle de la mort devient rationnelle. Raymond Aron fait remarquer que la rationalité est moralement neutre.83 Dans la mesure où l’objectif était posé et que le dictateur et sa clique possédaient un pouvoir et une autonomie de décision, l’instrument a accompli sa tâche. La bureaucratie a agi par automatisme en sélectionnant et en acheminant les populations, certainement en détournant les yeux. Quelques fanatiques convaincus, secondés par quelques esclaves dont la vie n’était momentanément garantie qu’à condition de remplir leur fonction, ont achevé l’exécution. N’étant plus certain de la victoire, Hitler a voulu assurer la mise en œuvre de sa tâche eugénique.84
- 85 Andreas Hillgruber. Hitlers Strategie. Op. cit., p. 21.
82Le principal problème est donc lié à la définition de la notion de raison. Tout dépend, en dernier ressort de la perspective d’étude. Précisément, Andreas Hillgruber a, dès ses premiers ouvrages, fait remarquer que des concepts comme « programme » et « planification » donnaient une image trop rationnelle des intentions hitlériennes.85
83Le lecteur qui ne s’embarrasse pas de préjugés doit surtout essayer de comprendre l’angle d’analyse de l’historien. Si celui-ci a pris conscience des difficultés du sujet et de la relativité de ses concepts, il serait abusif de lui tenir rigueur des impasses épistémologiques.
Conclusion
84On peut donc soulever certaines problématiques épistémologiques à propos de la démarche des « programmologues ». Le terme même de « programme » pourrait prêter à confusion. Peut-être faut-il regretter parfois quelques excès de systématisation.
85Il faut également souligner quelques tendances à la rétrodiction. L’image de Hitler qui se dégage peut apparaître comme trop rationnelle. Aussi aurait-on souhaité une plus grande prise en considération du « pathos ».
- 86 Eberhard Jäckel reconnaît ce point. Op. cit.. p. 158. Dans une critique excessive. Timothy Mason af (...)
86Des historiens anglo-saxons, tout autant rigoureux dans leur démarche « scientifique » , nous donnent quelquefois l’impression d’avoir trouvé un ton plus approprié.86
87On pourrait également intégrer davantage de facteurs comme la mort, la haine et la lutte dans l’analyse du « programme » hitlérien. A l’intérieur même du cadre de l’explication des « programmologues » , certaines interprétations semblent parfois exagérées (politique vis-à-vis de la Grande-Bretagne).
88L’objectif final ne donne pas lieu à une unité des conclusions. Hitler avait-il pour « Endziel » un Imperium continental, une « Weltmachtvorstellung » ou une « Weltherrschaft » ?
89Il est également incontestable que la démarche des « programmologues » s’enracine dans une époque, dans une culture et dans une société : l’Allemagne libérale des années 1960. On n’oubliera pas non plus que dans les premiers travaux de Andreas Hillgruber et de Klaus Hildebrand s’inscrivent en arrière-fond les querelles provoquées par les ouvrages de David Hoggan, Alan John Percival Taylor et Fritz Fischer. La découverte du Deuxième livre de Hitler ainsi que de quelques autres sources ont peut-être pu sensiblement influencer la direction des études.
90Ceci étant, il faut reconnaître que l’approche des « programmologues » a permis de faire avancer de manière fondamentale notre connaissance et notre compréhension de la politique étrangère de l’Allemagne nationale-socialiste. La valeur heuristique des travaux de Andreas Hillgruber et de son école nous semble indéniable.
91Il reste que la conclusion des « programmologues » peut paraître désarmante et frustrante. Hitler a fait ce qu’il a dit: « He did what he meant ». L’armée, la bureaucratie et la population, à des degrés divers et pour des tâches différentes, ont suivi les objectifs fanatiques d’un groupe d’« illuminés » , dirigé par un chef tout-puissant et convaincu. Beaucoup d’historiens ont voulu dépasser ce niveau de compréhension historique. Ils cherchent à penser Hitler et ses intentions sous un cadre plus vaste. Les approches de type nomothétique essayent de répondre à la quête de Edward Hallett Carr :
- 87 Edward Hallett Carr. What is History? Op. cit.. p. 87.
« Se contenter de dire que la Deuxième Guerre mondiale s’est produite parce que Hitler voulait la guerre (...) est assez vrai mais n’explique rien (...) L’étude de l’histoire est une étude des causes. L’historien (...) pose continuellement la question « pourquoi ? » ; et aussi longtemps qu’il espère une réponse, il ne peut pas se reposer. » 87
92Au cours des chapitres suivants, nous essayerons précisément d’analyser dans quelle mesure on peut atteindre un niveau d’explication supérieur, plus satisfaisant pour la compréhension de la politique extérieure de l’Allemagne nationale-socialiste.
Notes
1 Alfred Grosser. L’Allemagne de notre temps, Paris. 1978. pp. 290-291, 328-330 et 611-615.
2 Hugh Trevor-Roper avait été influencé par un de ses maîtres à Oxford. R.C.K. Ensor. Celui-ci avait déjà relevé le « programme » de Hitler en 1939. Ce petit ouvrage doit en effet être redécouvert. R.C.K. Ensor. Herr Hitlers Self-Disclosure in Mein Kampf. Oxford. 1939. p. 29.
3 Hugh Trevor-Roper. « Préface » du Testament politique de Hitler. Notes recueillies par Martin Hormann. Paris. Fayard, 1959. p. 26.
4 Hugh Trevor-Roper. « Hitler Kriegsziele » in Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte. April 1960. p. 129.
5 Ibid., p. 125.
6 « Préface » du Testament politique. Op. cit.. p. 11.
7 Ibid., p. 12.
8 Ibid.. p. 13. Faut-il rappeler que ni Rousseau ni Mirabeau ni Marx ne sont des assassins ? Faut-il dire que ce type de phrases donne, à cause de l’analogie, une image de Hitler positive ? On ose à peine récrire de peur qu’on nous reproche de ne pas avoir compris le sens et la portée de cette comparaison allusive. Etrangement. Karl-Dietrich Bracher cite cette comparaison entre révolutionnaires de tous les temps et ajoute : « Il était en effet cette exception extrêmement rare - un intellectuel avec un sens pratique du pouvoir. » « The Role of Hitler: Perspectives of Interpretation » in Walter Laqueur (éd.). Fascism. a Reader’s Guide. Berkley, 1976. p. 221.
9 Ibid., p. 12.
10 Ibid.. p. 49.
11 Andreas Hillgruber est né en 1925 en Prusse-orientale. Il est entré dans l’armée en 1943 et fut d’abord sous-officier dans un département d’information au sein d’une division d’infanterie. De 1945 à 1948 il fut prisonnier de guerre. Dans un ouvrage d’histoire militaire publié à Berlin en 1959, intitulé Die Räumungder Krim 1944. Andréas Hillgruber met clairement en cause la manière catastrophique dont Hitler a conduit la guerre (p. 82). Il lui reproche d’avoir refusé des plans d’utilisation de certaines armes qui auraient pu éviter aux soldats allemands leur horrible situation (pp. 84 et 75).
12 Andréas Hillgruber adjoint toujours des guillemets au mot programme. Klaus Hildebrand a synthétisé et a aidé à faire connaître les conceptions les plus importantes de la pensée de Andreas Hillgruber. Ces deux historiens n’ont quasiment pas de divergences d’interprétation. Klaus Hildebrand définit la notion de « programme » comme suit : « Ce terme n’implique pas toutefois que Hitler se serait assigné un ordre pour l’exécution de ses desseins politiques, ni qu’il ait conçu dans tous ses détails son plan de réalisation. Ceci aboutirait à une nouvelle démonisation du dictateur - quoiqu’en un sens quelque peu péjoratif. L’expression « programme » , employée ici de manière heuristique, définit davantage la tendance de Hitler à user en politique étrangère d’une tactique de souplesse et sa volonté de puissance dirigée vers un but rationnellement calculé, plutôt que des idées dominantes fixes issues d’un plan de base à caractère dogmatique, et. par-dessus tout, sa tendance caractéristique, en particulier dans le domaine de la politique de force, à donner de lui une image plutôt qu’à exécuter un plan de façon méthodique. » Klaus Hildebrand. « Hitlers « Programm » und seine Rcalisierung 1933-1942 » in Manfred Funke (éd.). Hitler, Deutschland und die Mächte. Düsseldorf. 1976. citation p. 65.
13 « On peut assurer (...)que toutes les aptitudes opportunistes dont Hitler était sans aucun doute pourvu et qui ont façonné son style politique, étaient subordonnées à certaines conceptions dogmatiques fondamentales et aux objectifs de sa pensée auxquels il est resté immuablement attaché depuis les années 20jusqu’à la fin dela seconde guerre mondiale. » Ibid., p. 64.
14 Andréas Hillgruber. Deutschlands Rolle in der Vorgeschichte der beiden Weltkriege. Göttigen. 1967. p. 67.
15 Par moyens politiques, les « programmologues » entendent : à l’intérieur, mise au pas de toutes les forces démocratiques, socialistes et juives qui nuisent à la mise en place des objectifs de politique étrangère. Sur le plan extérieur, exploitation de toutes les possibilités diplomatiques afin d’affaiblir les principales puissances européennes et d’augmenter leurs divisions. Eberhard Jäckel résume la relation entre politique intérieure et objectifs de la « Weltanschauung » hitlérienne : « L’Etat et sa constitution, la politique intérieure, économique et sociale, le Parti, son programme et son idéologie - tout cela n’a constitué qu’un moyen en vue de ce double objectif. » En d’autres termes, tout doit être subordonné au double but de conquête d’un « Lebensraum » à l’Est et d’extermination des Juifs. Eberhard Jäckel. Op. cit., p. 93.
16 Hans-Adolf Jacobsen. Nationalsozialistiche Aussenpolitik, 1933-1938. Frankfurt. 1968. Andreas Hillgruber et Hans-Adolf Jacobsen se sont plus ou moins partagé les domaines d’étude. Les deux ont longtemps collaboré sous la direction de Percy Schramm.
17 Hans-Adolf Jacobsen montre dans un tableau exhaustif les cinq organismes parallèles qui ont émis des propositions de politique étrangère :
- la « Wilhemstrasse » conservatrice, particulièrement Von Neurath, qui cherche à occuper tous les Etats de langue germanique par des moyens de préférence diplomatiques ;
- l’Office de politique étrangère du NSDAP dirigé par Rosenberg qui vise à détruire l’Union soviétique par un démembrement de ses provinces occidentales ;
- le bureau de Ribbentropp. futur ministre des Affaires étrangères, qui pousse plutôt à une lutte contre la Grande-Bretagne ;
- l’organisation à l’étranger du parti national-socialiste ;
- l’organisation secrète pour les minorités allemandes.
18 Hans-Adolf Jacobsen. Op. cit., pp. 445-465.
19 Ibid. p. 599.
20 Darmstadt. 1961 ; 764 p.
21 Ibid.. p. 713.
22 Hans-Adolf Jacobsen. « Les buts de la politique de guerre de Hitler de 1939 à 1943 » in Revue d’histoire de lu seconde guerre mondiale. No 63, juillet 1966, p. 23. Souligné par nous.
23 L’utilisation des modèles de prise de décision en politique étrangère par Hans-Adolf Jacobsen est assez souple. Il utilise ceux-ci comme des grilles de questionnement. L’historien de Bonn s’abstient de réifier son cadre interprétatif. Dans un compte-rendu. Hans Mommsen lui reprochera la « limitation » de ses analyses : « L’auteur a réduit l’analyse de la politique étrangère nazie à un examen approfondi des conditions idéologiques et psychologiques avec lesquelles Hitler a agi. ». Hans Mommsen « Rezension von Hans-Adolf Jacobsen : Nationalsozialistische Aussenpolitik » in Militärgesehicluliehe Mitteilungen. 1/1970. p. 180. Hans Mommsen affirme que l’« anarchie des compétences » a créé une dynamique structurelle qui a déterminé le cours de la politique étrangère, (p. 180-182). L’historien de Bochum n’a jamais pu prouver son argumentation. Dans un récent essai, la politique étrangère du « Troisième Reich » n’apparaît pas avoir été déterminée par des administrations concurrentes mais parle seul Hitler (qui se serait laissé entraîner par la logique de son discours intégrateur du fait de la « faiblesse » de sa position politique réelle). Hans Mommsen. Adolf Hitler als « Führer » der Nation. Tübingen. 1984. pp. 53. 91-101. Infra. chapitre IX.
24 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle Op. cit., p. 88.
25 La Grande-Bretagne a soutenu la Pologne comme contrepoids à la politique expansionniste de l’Allemagne. La Pologne a obtenu la préférence du cabinet britannique dans une perspective de défense du statu quo en Europe. L’Union Soviétique était considérée comme moins crédible. L’élimination des cadres de l’Armée rouge ne rassurait pas la Grande-Bretagne quant aux capacités militaires de l’Union Soviétique. De plus, le gouvernement anglais craignait qu’un pacte avec la Russie soviétique ne renforce la cohésion de la coalition des trois « have-not ». Allemagne, Italie et Japon. Le gouvernement de Londres ne voulait pas risquer que trois zones de tension émergent simultanément en Europe, dans la région méditerranéenne et en Asie extrême-orientale. L’anticommunisme de certains membres du cabinet britannique a également sous-tendu l’ensemble de cette politique pro-polonaise de l’Angleterre : Andreas Hillgruber. Der 2. Weltkrieg. Stuttgart. 1983. 2e édition, p. 17.
26 Gerhard Weinberg. The Foreign Policy ol Hitlers’s Germany. Chicago. 1980. 2e vol. pp. 628 et 670-671. Walther Hofer. « Normalization or Falsification of Nazi-History? A.J.P. Taylor and the « Neorevisionist » School in Germany » in L’historien et les relations internationales. Genève, 1981, p. 317. Walther Hofer. Der Nationalsozialismus Dokumente 1933-1945. Frankfurt. 1982, édition revue, corrigée, pp. 210-213.
27 A ce sujet Eberhard Jäckel. Die deusche Frankreichpolitik in Zweiten Weltkrieg. Stuttgart. 1966 : 396 p.
28 Maurice Baumont. La faillite de la paix, de l’affaire éthiopienne à la guerre (1936-1939). Paris. 1968. pp. 728-729, nouvelle édition augmentée. Roger Céré. La seconde guerre mondiale. Paris. 1970. p. 5. 8e édition.
29 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle. Op. cit., p. 72.
30 Ibid., p. 72. La plupart des conceptions développées dans Deutschlands Rolle avaient été mentionnées dans sa thèse d’Etat « Habilitationsschrift ». Hitlers Strategie. Politik und Kriegsfühntng. 1940-1941. Frankfurt. 1965. Par exemple, au sujet de la politique vis-à-vis de l’Angleterre, pp. 28, 42. 43, 244, 255 et 551.
31 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle. Op. cit.. p. 92.
32 Andreas Hillgruber. Endlich genugüber National-Sozialismus und zweiten Weltkrieg? Düsseldorf, 1982. p. 73. Andreas Hillgruber cite des expressions de Joseph Henke. England in Hitlers politischen Kalkiil, 1935-1939. Boppard am Rhein. 1973. p. 306.
33 Le ministre des Affaires étrangères italien, le Comte C’iano ainsi que l’ambassadeur de Rome à Berlin. Alfieri. Andreas Hillgruber. Hitlers Strategie. Op. cit.. p. 170.
34 Ibid., p. 170. Souligné par nous.
35 L’historien américain Norman Rich a été très influencé par les « programmologues » allemands. Néanmoins, il exprime ses doutes sur les interprétations de Andreas Hillgruber concernant l’attitude hitlérienne viss-à-vis de la Grande-Bretagne. Norman Rich. Hitler War Aims. New York. 1973. vol. 1. p. 160.
36 Seule cette parenthèse est de notre l’ait. Toutes les autres coupures du texte ainsi que les guillemets sont de l’auteur. Souligné par nous.
37 Klaus Hildebrand « Hitlers « Programm » und seine Realisierung 1939-1942 ». Op. cit.. p. 76. Le raisonnement de Klaus Hildebrand nous paraît étonnant pour au moins trois raisons : a. les coups portés à l’Angleterre par l’Allemagne devaient davantage avoir pour effet d’entraîner les Etats-Unis dans la guerre européenne que de l’en éloigner : b. la guerre contre l’Angleterre n’a pas été imposée à Hitler contre sa volonté : c. des attaques militaires, des bombardements aériens et des plans d’invasion secrets ne peuvent pas être assimilés à un désir de dissuader un adversaire ou de terminer une guerre.
38 Ernst Nolte. Die Krisedes libérale » Systems und die faschistischen Bewegungen. München, 1968. p. 212. Les analyses de cet historien sont reprises plus en détail au chapitre VII. La plupart des historiens communistes soulignent aussi la part de l’anticommunisme chez le dictateur « fasciste » , infra chapitre VIII.
39 Les « menaces » soviétiques font l’objet d’une abondante littérature dans les années 1950. Par exemple. Wilhelm Mommsen. Geschichte des Abendlandes. München. 1951. p. 578. Philipp Fabry. Der Hitler-Stalin Pakt 1939-1941. Darmstadt. 1962. pp. 427-430 : « Ce que Staline aurait fait si Hitler n’avait pas exécuté l’attaque (...) il est clair qu’une intervention contre l’Allemagne aurait été plus vraisemblable que le cas inverse. ». (p. 429). Pour cet historien la guerre entre les deux Etats était de toute façon inévitable, puisque l’Union Soviétique avait fait déclencher la seconde guerre mondiale par Hitler : « Il s’ensuit ainsi la conclusion bouleversante que le combat ultérieur entre l’Union soviétique et l’Allemagne était devenu inévitable à partir du moment où la partie soviétique avait signé avec Hitler le traité d’août 1939 au Kremlin dans le dessein de l’aire éclater la deuxième guerre mondiale par Hitler. » (p. 430). Cette thèse du danger soviétique est encore actuelle : Hans-Joachim Koch. « Hitler’s « Programm » and the Genesis of Opération « Barbarossa » » in the Historical Journal, 26. 4. 1983. pp. 319-320.
40 Voir le chapitre sur la « théorie » du totalitarisme, infra chapitre VIII.
41 Cette interprétation est souvent reprise par les historiens marxistes, infra, chapitre VIII.
42 Francis Hinsley. Hitlers Strategie. Stuttgart. 1952. pp. 180-181. Ce stratège anglais a une vision surtout militaire de l’Opération Barbarossa. Gerhard Weinberg. Germany and the Soviet Union 1939-1941. Leiden. 1954. pp. 169-173. L’historien américain expose des thèses plus proches de Andréas Hillgruber dans The Foreign Policy of Hitler’s Germany. Chicago. 1970. volume I. pp. 12-13.
43 Frit Fischer. « A Comparison of German Aims in the Two World Wars ». Op. cit., pp. 146-147. Voir supra pp. 79-81
44 Hans Mommsen. Adolf Hitler ah « Führer » der Nation. Op. cit.. « La question n’est finalement pas de décider ce qui a fait pencher la balance chez Hitler afin d’exécuter l’Opération « Barbarossa » (...) Comme souvent chez Hitler il y a eu une convergence de contraintes militaires et d’une caractéristique personnelle à prendre ses désirs pour des réalités (« persönliches Wunschdenken » ). »
45 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle. Op. cit., p. 115.
46 Cela n’empêche pas l’historien de Cologne de faire remarquer que le « timing » de l’Opération Barbarossa a été dicté par des considérations de stratégie militaire liées à l’évolution du conflit avec la Grande-Bretagne. En attaquant l’URSS. Hitler aurait cherché à briser le dernier espoir de la Grande-Bretagne, Ibid.. p. 108.
47 Andréas Hillgruber. Hitlers Stratégie. Op. cit., p. 567. Egalement Andreas Hillgruber. « Die « Endlösung » und das deulsehe Ostimperium als Kernstück des Rassenideologisehen « Programms » des Nationalsozia-limsus » in Vierteljahrshefte fiir Zeitgeschihte. 20.1972, pp. 133-155. Beaucoup de documents fondamentaux sont donnés dans Andréas Hillgruber: « Die Ideologiseh-dogmatische Grundlagc der nationalso/ialistischen Politik der Ausrottung der Juden in den besetzen Gebieten der Sowjetunion und ihre Durchführung » in German Studies Review, 2. 1979. pp. 263-296.
48 Eberhard Jäckel. Hitlers Weltanschauung. Tübingen. 1969. p. 141. Souligné par nous.
49 Andreas Hillgruber et Eberhard Jäckel sont également d’avis qu’il faudrait développer des études dans cette direction. Entretien avec Andreas Hillgruber. Cologne, juin 1985. Entretien avec Eberhard Jäckel. Stuttgart, juin 1985.
50 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle. Op. cit., p. 115.
51 On trouve une étude détaillée du « Z Plan » dans Jost Dülffer. Weimar, Hitler und die Marine. Reichs-politik und Flottenbau 1920-1939. Düsseldorf, 1973; 615 p.
52 Klaus Hildebrand a développé plus particulièrement la problématique de la politique coloniale du parti national-socialiste : Vom Reich zum Weltreich. NSDAP und die koloniale Frage 1919-1945. München. 1969. pp. 70-89.
53 Andreas Hillgruber. Deutschlands Rolle. Op. cil., p. 69. Andréas Hillgruber. Hitlers Strategie. Op. cit., pp. 117. 192 et 566. Andréas Hillgruber. « Der Faktor Amerika in Hitlers Stratégie 1938-1941 » in Aus Politik und Zeitgeschichte. B 19/66. 1966. pp. 1-21. Axel Kuhn : Hitlers aussenpolitisches Programm. Stuttgart. 1970. pp. 13 et 269.
54 Andreas Hillgruber écrit que Hitler aurait songé, après ses premiers succès contre l’URSS, à hâter les préparatifs de guerre contre les Etats-Unis, conflit qu’il avait jusqu’alors laissé comme tâche pour les prochaines générations. Hitlers Strategie. Op. cit., pp. 449-450.
55 Ibid.. p. 533.
56 Cette déclaration de guerre aurait permis d’empêcher toute réconciliation américano-nippone. Ibid.. p. 532.
57 Eberhard Jackel. Hitlers Wellanschauung. Op. cit., p. 29-54.
58 Andreas Hillgruber. Hitlers Strategie. Op. cit.. pp. 566. 192 et 117. Klaus Hildebrand. Vom Reich zum Weltreich. Op. cit. pp. 70-89.
59 Jochen Thies. Architckt der Weltherrschaft. Die « Endziele » Hitlers. Düsseldorf. 1976, pp. 60-69. L’analyse des symboles nazis et surtout des plans d’architecture amène cet historien à affirmer que Hitler aspirait à un Empire raciste mondial. L’historien israélien Meir Michaelis aboutit à la même conclusion en s’appuyant sur les travaux de Klaus Hildebrand qu’il interprète un peu différemment. Il fait surtout remarquerque Hitler a toujours su utiliser un vocabulaire empli d’euphémismes : à l’adversaire, il prête des ambitions de domination du monde, mais lui n’emploie que des expressions qui dissimulent ses intentions réelles. « World Power Status or World Dominion? A Survey of the literature on Hitler’s « Plan of World Dominion » (1937-1970) in The Historical Journal. 15. 1972, pp. 352-360.
60 Andréas Hillgruber, Deulschlands Rolle. Op. cit., p. 126.
61 Eberhard Jäckel. Hitlers Weltanschauung. Op. cit., pp. 73-74. Raul Hilberg a particulièrement étudié l’importance croissante qu’a prise le génocide des Juifs par rapport à la victoire militaire. The Destruction of the European Jews. Chicago. 1961. pp. 645 et ss.
62 Andreas Hillgruber rassemble les données sur les exécutions de prisonniers de guerre russes dans Hitlers Strategie Op. cit., p. 577.
63 Klaus Hildebrand. « Hitlers « Programm » und seine Realisierung 1939-1942 ». Op. cit., pp. 90-91. Andréas Hillgruber. Konlimiilät und Diskontinuität in der deutschen Aussenpolitik von Bismarck bis Hitler. Düsseldorf. 1969. pp. 14 et suivantes.
64 Andreas Hillgruber. Endlich genug über Nationalsozialismus und Zweiten Weltkrieg? Op. cit., p. 51.
65 Ibid., p. 53. Le génocide, comme conséquence d’un dogme raciste idéologique auquel était subordonnée toute la politique nationale-socialiste, différencie conceptuellement l’Allemagne hitlérienne du fascisme italien ou du régime militaire japonais.
66 Les « programmologues » soulignent d’autres atrocités commises par l’Allemagne nationale-socialiste mais reconnaissent implicitement la difficulté de les expliquer par le « programme » hitlérien. Eberhard Jäckel. « Hitler und die Deutschen » in Hitlers Weltanschauung. Stuttgart. 1981. 2° édition, p. 158.
67 L’analyse des thèses de Hans-Ulrich Wehler est reprise plus en détail infra, chapitre VII.
68 Klaus Hildebrand. Deutsche Aussenpolitik, 1V33-1945, Kalkül oder Dogma. Stuttgart, 1971. p. 135. Il rappelle aussi que la « théorie du risque » de Tirpitz était basée sur un Darwinisme vulgaire et avait pour fonction, en politique intérieure, d’éviter de devoir entreprendre des réformes sociales à une large échelle. Ibid., p. 136.
69 Ibid. p. 136.
70 Ibid., p. 136.
71 Ibid., p. 142. Souligné par nous.
72 Ibid., pp. 143-144. Bien entendu, ces idées ne sont pas nouvelles. Elles avaient été entre autres exprimées dès les années 30. Par exemple. Edmond Vermeil. Doctrinaires de la révolution allemande Paris. 1937. pp. 122-151. Cet ouvrage fut réédité après la guerre. Il contient certains excès qui ont été abondamment soulignés. Si l’on accepte de concevoir ce livre dans son contexte historique, le lecteur de 1986 sera alors assez frappé par la justesse de l’analyse sur le caractère raciste de la politique étrangère nationale-socialiste, sur le mythe du « Führer » et sur une certaine tradition impérialiste. Sur les traditions césaristes en Allemagne : Hans Kohn. The Mind of Germany. New York, 1960. Egalement sur la notion de « Führer » dans la culture allemande : Fritz Stem. The Politics of Cultural Despair. Berkeley, 1961, particulièrement pp. 293-295. George Mosse. The Crisis of German Ideology. Intellectual Origins of the Third Reich. New York, 1964, pp. 204-211.
73 Supra, p. 86.
74 Guy Bourde. Hervé Manin. Les écoles historiques. Paris. 1983, pp. 162-169.
75 Le « modèle Hempel » : « Toute proposition selon laquelle A est cause de B à condition que les circonstances C, D, E, soient présentes permet d’expliquer B si A était présent, dans un contexte défini par C, D, E. » Raymond Aron. « Postface à un colloque » in Introduction à la philosophie de l’histoire. Op. cit.. p. 470.
76 Ibid, p. 471.
77 Ibid., p. 471.
78 Ibid., p. 471.
79 Scrupule épistémologique que certains des historiens proches de ses idées n’auront pas toujours. La définition de la notion de « programme » est donnée supra p. 86.
80 Andreas Hillgruber. Hitlers Strategie. Op. cit.. p. 20.
81 Guy Bourde ; Hervé Martin. Op. cit., p. 306.
82 Hans Mommsen qualifie l’approche des « programmologues » (« Ueberrationalisierung » ). « National-sozialismus oder Hitlerismus? » in Michael Bosch (éd.) Persönlichkeit und Struktur in der Geschichte. Düs-seldorf, 1977. p. 65.
83 Raymond Aron. « Existe-t-il un mystère nazi ? » in Commentaires, 7, 1979, pp. 348-349.
84 Ibid., pp. 348-349.
85 Andreas Hillgruber. Hitlers Strategie. Op. cit., p. 21.
86 Eberhard Jäckel reconnaît ce point. Op. cit.. p. 158. Dans une critique excessive. Timothy Mason affirme que la conception de la compréhension (« verstchen » ) historique des « programmologues » serait une invitation passionnelle à la haine, p. 29. Leur conception de l’histoire serait celle de Burckhardt qui inviterait à haïr cl à aimer mais pour ainsi dire jamais à expliquer, p. 29. Timothy Mason. « Intention and Explanation » in Gerhard Hirschfeld et Lothar Kettenackcr. Der « Führerstaat » : Mythos und Realität. Stuttgart, 1981.
87 Edward Hallett Carr. What is History? Op. cit.. p. 87.
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