Interprétations de la politique étrangère d’Hitler
|Approches de tendance idiographique
Chapitre V. L’approche intentionnaliste
Texte intégral
- 1 On notera que le terme intentionnaliste est utilisé parfois pour désigner l’école des « programmolo (...)
1Dans cette étude, nous différencions les intentionnalistes des « programmologues ».1 Les premiers insistent sur le fait que ce sont les intentions de Hitler qui sont à la source de sa politique étrangère. Les seconds partagent le même point de départ mais ajoutent que ses intentions procédèrent d’une profonde logique interne, d’un « programme ».
Alan Bullock
- 2 Alan Bullock. Hitler, A Study in Tyranny. London. 1952, p. 399.
2Un ouvrage a marqué la production historique des années 50 : le Hitler, a Study in Tyranny2 d’Alan Bullock. Alan Bullock est anglais et a pu étudier la question allemande de près pendant la guerre, car il a travaillé pour les émissions de propagande de la BBC. L’ouvrage d’Alan Bullock est essentiellement consacré à la politique étrangère. L’historien anglais s’en explique :
- 3 Ibid, p. 284.
« Cette étude ne présente pas une image du système totalitaire en Allemagne, ou de ses nombreuses activités de politique économique et sociale, ou de la mise en place de l’Etat policier. Hitler portait la responsabilité finale de tout ce qui a été fait par le régime, mais il haïssait le travail routinier du gouvernement, et, une fois qu’il eut stabilisé son pouvoir, il a montré comparativement peu d’intérêt pour ce qui était fait par ses Ministres sauf pour établir les lignes générales de leur politique. »3
3Hitler ne s’intéresse pas à la politique intérieure et laisse aux « Party bosses » Goering, Goebbels, Himmler et Ley la possibilité de créer leur propre empire personnel, tandis que les « Gauleiter », à l’échelon inférieur, peuvent profiter de leurs propres fiefs. Ceci a provoqué un chaos de compétences mais Hitler l’avait encouragé :
- 4 Ibid, p. 284.
« Hitler a délibérément permis que ceci se passe ; les rivalités qui en résultèrent ont seulement permis d’accroître son pouvoir comme arbitre suprême. »4
- 5 Ce qu’a confirmé Goering au procès de Nuremberg. Ibid., p. 285.
- 6 Cette question est reprise dans le chapitre XI de la 2e partie.
4Alan Bullock précise que Hitler s’est toujours intéressé aux législations antisémites et à l’élaboration de plans d’architecture mais qu’il a été rapidement absorbé par la politique étrangère et la diplomatie.5 Alan Bullock n’analyse pas l’action de politique intérieure de Hitler, car à partir du moment où celui-ci a réussi à asseoir définitivement son pouvoir, il s’est désintéressé des problèmes sociaux, culturels, politiques et économiques de l’Allemagne. Cette constation amènera certains historiens des années 70 à affirmer que Hitler a été un « dictateur faible ».6
5L’abondance des sources en politique étrangère explique aussi l’intérêt d’Alan Bullock pour ce domaine d’étude. Au début des années 50, on dispose en effet d’un ensemble impressionnant de documentation touchant à la politique extérieure du « Troisième Reich » : les dizaines de volumes des actes du Procès de Nuremberg, la quasi totalité des discours du « Führer », « Les propos de table » de Hitler à son quartier général, la correspondance avec les responsables italiens etc. Par contre, il manque à cette époque des recueils systématiques de la plupart des documents portant sur l’organisation du parti national-socialiste, les archives des différentes administrations allemandes, les rapports de police etc.
- 7 Alan Bullock. Op. cit., p. 737.
- 8 Ibid., p. 738.
6Naturellement le fait qu’Alan Bullock ne soit pas allemand l’amène aussi à privilégier l’étude de la politique internationale. Plus encore, il peut se détacher de la question qui obnubile nombre d’historiens allemands ; « comment cela a-t-il pu arriver chez nous » ? Pour l’historien anglais, on doit remarquer que le caractère de Hitler est une réduction jusqu’à l’absurde de traditions politiques allemandes extrêmes qui existaient depuis l’époque bismarckienne.7 Mais cela ne signifie pas que la crise économique, sociale et surtout morale de l’entre-deux-guerres soit propre à la seule Allemagne : « les malaises dont il était le symptôme n’étaient pas confinés à un seul pays. »8
- 9 Ibid, pp. 448-449.
7La première image du dictateur qui se dégage de l’ouvrage d’Alan Bullock est celle d’un tyran tout-puissant qui est comme possédé par son désir de domination internationale. Hitler décide seul de la politique étrangère et raciale. Il impose ses décisions à des fonctionnaires dociles et à des lieutenants fanatiques mais trop occupés à régler entre eux leurs querelles personnelles. Le dictateur apparaît surtout comme un opportuniste qui n’a pas de plans précis quant au sort final de la Tchécoslovaquie et de la Pologne. De même, Hitler laisse toujours les options ouvertes jusqu’en 1939 entre les recours à la diplomatie ou à la guerre pour acquérir de nouveaux territoires.9
8Mais pour Alan Bullock, il ne fait pas l’ombre d’un doute que les objectifs que se fixe le dictateur allemand impliquent la guerre, que Hitler se considère de toute manière en état de lutte (« Mein Kampf ») avec le reste du monde. Dans cette perspective, même si Hitler a essayé d’annexer la Tchécoslovaquie et la Pologne par de simples pressions diplomatiques, cela ne signifie pas qu’il ait laissé ouverte l’option de la guerre ou de la paix. Pour Alan Bullock, Hitler n’aurait jamais hésité à employer la force militaire pour parvenir à ses objectifs.
- 10 Ibid. pp. 512-513.
9En d’autres termes, la politique étrangère de Hitler implique obligatoirement la guerre par ses objectifs et ne l’exclut pas dans ses méthodes. Le dictateur allemand n’a d’ailleurs pas hésité à s’emparer de la Pologne alors qu’il avait été dûment averti, par le renouvellement de la garantie britannique, que cette décision entraînerait la guerre. Quant à l’attaque allemande contre la France et les troupes anglaises, Alan Bullock insiste sur le fait qu’elle provient d’une volonté belliciste. Si Hitler n’avait pas été assoiffé de prestige et de victoires militaires, il aurait pu ne pas attaquer la France et l’Angleterre, qui n’étaient que formellement en guerre avec l’Allemagne.10
- 11 Pour Hitler, l’objectif principal d’une politique extérieure nationale-socialiste est de conduire l (...)
10Le principal reproche qui a été formulé à l’égard de l’interprétation d’Alan Bullock est celui de ne pas avoir du tout tenu compte des objectifs finaux de Hitler, particulièrement de sa recherche d’un « Lebensraum » à l’Est et de sa volonté d’accomplir une guerre raciale.11
- 12 Alan Bullock. Op. cit., p. 469.
- 13 Ibid., p. 470.
11Par rapport à la politique raciale, la critique est justifiée. Par contre, en ce qui concerne l’objectif prioritaire et déterminant de « Lebensraum », le reproche n’est que partiellement pertinent. Une lecture attentive montre qu’Alan Bullock a bien relevé que la conquête d’un « Lebensraum » à l’Est sous-tendait aussi bien sa politique vis-à-vis de la Tchécoslovaquie que celle face à la Pologne, à la France ainsi que contre la Russie Soviétique. Alan Bullock ne manque pas de rappeler qu’en mai 1939, comme en novembre 1937, (protocole Hossbach), le problème du « Lebensraum » et la nécessité de le résoudre par une expansion vers l’Est, ont conditionnné la politique étrangère allemande.12 L’historien anglais souligne cet élément fondamental à de nombreuses reprises dans ses commentaires.13
- 14 Ibid, p. 313.
12A propos de l’attaque contre la France et l’Angleterre, l’historien d’Oxford précise bien que cette action doit être intégrée dans le cadre de l’objectif final qui est la conquête d’un « Lebensraum » à l’Est.14
13Au sujet des motivations qui ont conduit le dictateur allemand à engager la guerre contre la Russie soviétique en juin 1941, Alan Bullock réaffirme que la cause principale est à rechercher dans les intentions hitlériennes de fonder un Empire en Russie :
- 15 Ibid., p. 599. Toutes ces citations se trouvent dans l’édition de 1952. Mais dans l’édition révisée (...)
« Hitler a envahi la Russie pour la simple, mais suffisante raison, qu’il avait pensé établir les fondations de son Empire millénaire par l’annexion du territoire s’étendant de la Vistule à l’Oural. »15
14Manifestement, l’historien anglais n’a pas manqué de souligner que la recherche d’un espace vital en Russie soviétique constituait le fil conducteur de l’ensemble de la politique extérieure allemande après les accords de Munich. Il n’a jamais considéré que la revendication de Dantzig fût liée principalement à une volonté de réviser les accords de Versailles. Alan Bullock montre aussi que l’attaque allemande contre la France et l’Angleterre n’était pas du tout indispensable, ces deux pays ne menaçant pas l’Allemagne, et qu’elle a surtout été dictée par une volonté de dégager le front afin de pouvoir attaquer la Russie soviétique, l’objectif le plus important de la politique étrangère nationale-socialiste.
- 16 Il est possible que l’activité de Alan Bullock à la radio anglaise l’ait particulièrement sensibili (...)
15Il est dommage que Alan Bullock n’ait pas été bien compris dans les années 50 et qu’il continue de faire l’objet de l’accusation d’avoir présenté Hitler sous les seuls traits du démagogue assoiffé de pouvoir et de domination.16 Alan Bullock a écrit une biographie intelligible qui montre que Hitler était déterminé à fonder la grandeur de l’Allemagne sur la conquête d’un espace vital à l’Est et sur la puissance des armes. Ses ambitions apparaissent comme n’ayant pas été fixées dans le détail car des forces étrangères se sont interposées. L’improvisation de la tactique l’emporte sur les objectifs finaux.
Notes
1 On notera que le terme intentionnaliste est utilisé parfois pour désigner l’école des « programmologues ». Par exemple Serge Bernstein. Le nazisme. Paris. 1985, pp. 110-111.
2 Alan Bullock. Hitler, A Study in Tyranny. London. 1952, p. 399.
3 Ibid, p. 284.
4 Ibid, p. 284.
5 Ce qu’a confirmé Goering au procès de Nuremberg. Ibid., p. 285.
6 Cette question est reprise dans le chapitre XI de la 2e partie.
7 Alan Bullock. Op. cit., p. 737.
8 Ibid., p. 738.
9 Ibid, pp. 448-449.
10 Ibid. pp. 512-513.
11 Pour Hitler, l’objectif principal d’une politique extérieure nationale-socialiste est de conduire le peuple allemand vers un espace vital, non seulement afin d’éliminer le déséquilibre entre le chiffre de la population allemande et la superficie de son sol mais aussi pour atteindre un point d’appui politico-militaire afin de mieux lutter contre les autres races. Selon Hitler, l’histoire est un combat à mort entre les races et seules les plus fortes et les plus pures pourront survivre (social-darwinisme). La Russie constitue le lieu le plus approprié pour la conquête de cet espace. D’une part parce qu’elle est peuplée de Slaves qu’il déteste. D’autre part, la Russie possède de vastes territoires. Enfin, elle est dominée par les Juifs (les Bolcheviques), ce qui permet de la vaincre plus facilement et de s’attaquer directement au bastion de la « race ferment de décomposition des peuples ». Eberhard Jäckel a analysé très systématiquement et a très clairement développé ces notions dans Hitlers Weltanschauung, Stuttgart. 1981, nouvelle édition revue, pp. 43-45 et 121-136. Edmond Vermeil écrivait déjà en 1937 : « Hitler se fait une conception très élémentaire de l’histoire universelle (...) en insistant sur le rôle de la race, de l’extension du germanisme par la colonisation, sur le rapport entre une population donnée et l’espace dont elica besoin (...) il est l’héritier de Curtius cl de Mommsen ». Doctrinaires de la révolution allemande, Paris, 1937, p. 223.
12 Alan Bullock. Op. cit., p. 469.
13 Ibid., p. 470.
14 Ibid, p. 313.
15 Ibid., p. 599. Toutes ces citations se trouvent dans l’édition de 1952. Mais dans l’édition révisée de 1962, Alan Bullock a encore mieux mis en valeur ces éléments. Ces modifications lui ont été en bonne partie suggérées par Hugh Trevor-Roper et par la publication du Deuxième Livre de Hitler.
16 Il est possible que l’activité de Alan Bullock à la radio anglaise l’ait particulièrement sensibilisé à l’importance du discours démagogique chez Hitler. L’historien expose d’ailleurs dans son introduction qu’il a autant écouté les flots de paroles de Hitler qu’il a lu ses textes. Ibid., p. 9.
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.