Interprétations de la politique étrangère d’Hitler
|Première Partie. Problèmes d'épistémologie et évolution de l'historiographie occidentale
Chapitre II. L’historiographie ouest-allemande : évolution et controverses
Texte intégral
1L’historiographie ouest-allemande a connu un extraordinaire développement depuis 1960. Autant d’un point de vue quantitatif que qualitatif, les travaux présentés par les historiens de la République fédérale sont remarquables.
2Mais l’observateur extérieur est également frappé par un autre aspect : l’abondance et l’acuité des controverses portant sur un même objet historique. La France a aussi connu des discussions tendues entre historiens (« Ecoles des Annales » contre celle des relations internationales) mais jamais à un degré de polémique aussi intense et rarement sur un même événement historique. Lucien Febvre, Marc Bloch ou Fernand Braudel ont surtout concentré leurs recherches sur l’Europe et la France préindustrielle, Pierre Renouvin, Maurice Baumont ou Jean-Baptiste Duroselle ont plutôt porté leur attention sur les relations internationales des xixe et xxe siècles. Il s’était plus agi d’un débat sur les méthodes, sur l’épistémologie de l’histoire ; les champs d’investigation étant plus strictement différenciés, les télescopages autour d’un même événement devenaient moins probables.
3L’évolution de l’historiographie allemande a suivi celle des autres pays occidentaux, mais son processus fut plus lent. Le conservatisme de « l’historisme » et sa contamination par le national-socialisme n’ont pas favorisé son développement. 1945 n’a pas été une rupture, il n’y a pas eu de « Stunde null », « l’historisme » ne s’est pas transformé, il s’est adapté aux nouvelles circonstances, transposant sa passion pour l’Etat allemand en une valorisation de la culture occidentale. L’approche totalitariste a permis d’amorcer une ouverture vers une forme d’analyse plus scientifique, plus comparatiste et plus structurelle. La théorie de la modernisation a donné une dimension historique globale qui permet d’insérer l’ensemble des sciences sociales. La version critique de cette théorie a surtout été développée par Hans-Ulrich Wehler. Elle a permis une formidable ouverture de l’historiographie ouest-allemande à un questionnement et à des méthodes plus vastes.
1. Les querelles principales
4L’historiographie ouest-allemande de l’après-guerre se caractérise par deux éléments : un développement remarquable à partir de la fin des années 50 et une abondance de controverses. Après avoir retracé les étapes principales de cette évolution, nous essayerons de comparer les interprétations qui ont été données pour expliquer l’acuité du débat historiographique.
5Les trente dernières années ont amené une modification spectaculaire de l’historiographie ouest-allemande, tant aux niveaux de l’interprétation du passé national, de la méthodologie que des analyses des processus historiques. Les études historiques allemandes ont cessé d’être rebelles aux sciences sociales modernes et ont rattrapé leur retard sur la France, les Etats-Unis et la Pologne. Jusqu’alors, « l’historisme » avait dominé l’historiographie allemande de la première moitié du xxe siècle. Cette écriture de l’histoire se caractérise essentiellement par une narration des événements politiques conçus comme des actions poursuivies au nom de la raison d’Etat. La politique étrangère est posée comme un primat qui détermine la politique intérieure. Les idées constituent les forces causales déterminantes, les facteurs sociaux et économiques leur sont subordonnés.
6A l’origine, « l’historisme » est une réaction contre les exagérations du scientisme de l’école positiviste. A la base de « l’historisme » se trouve la distinction fondamentale entre le monde en tant que nature (« die Welt als Natur ») et le monde en tant qu’histoire (« die Welt als Geschichte »). Les sciences exactes s’attachent à ce qui est intégrable à des lois générales : l’objet stable, homogène et susceptible de répétition cyclique. Par contre, l’histoire s’intéresse à l’unique, aux changements et à l’esprit. L’histoire est « idiographique », elle récuse les méthodes de classification et d’abstraction des sciences nomothétiques. Elle n’a affaire qu’à des individus et à des groupes qui ont existé à une certaine époque et dont la particularité ne peut être saisie que par l’intuition de l’historien. « L’historisme » arrive en dernière limite à affirmer qu’il faut faire un effort de compréhension, de sympathie neutre par rapport à l’objet d’analyse. Celui-ci ne peut être analysé qu’en fonction du contexte, du milieu, du temps et du lieu.
- 1 Geoffrey Barraclough. Tendances actuelles de l’histoire Paris. 1980. p. 33.
7La difficulté essentielle de l’« historisme » tient à ce qu’il s’efforce de fonder sur le relativisme historique une foi positive en un monde cohérent.1 « L’historisme » ne peut penser qu’un individu est plus mauvais qu’un autre, car « l’historisme » s’efforce de ne pas juger à partir de critères extérieurs ou en se servant d’appréciations touchant à la nature de l’homme. La tâche par rapport à Bismarck est de découvrir comment ses actes sont conditionnés par l’histoire. Mais le pas est vite franchi entre la sympathie neutre et l’apologie : « l’historisme » écrit une histoire qui contribue à la préservation du régime existant. Friedrich Meinecke peut bien constater l’égoïsme de l’Etat et son immoralité apparente, mais il ne la contestera pas. « L’historisme » allemand apporte une conception de l’écriture de l’histoire conservatrice, qui justifie le système et le mode de domination.
- 2 Georg Iggers. New Directions in European Historiography. Middletown Conn., 1975, p. 86.
- 3 Hans-Ulrich Wehler. Geschichtswissenschaft heute in Jürgen Habermas (éd.). Stichworte zur « geistig (...)
- 4 Ibid., p. 717.
8Ni 1918, ni 1933, ni 1945 n’ont marqué une rupture radicale des méthodes traditionnelles de « l’historisme » allemand. 1918, la chute de l’Empire wil-helmien, le Traité de Versailles et la constitution d’une république aux ambitions limitées ont encore renforcé le consensus nationaliste et conservateur de l’historiographie allemande. L’instauration de la dictature nazie poussa à l’exil le petit nombre d’historiens de gauche et les Juifs, ce qui renforça encore la cohérence conservatrice et nationaliste de la corporation.2 Quatre-vingt pourcent des historiens sont restés à leurs postes.3 Aucune résistance significative ne s’est manifestée contre l’émigration de collègues et leur expulsion forcée à l’exil.4
- 5 Hans-Ulrich Wehlen Ibid., p. 717.
- 6 Rudolf Vierhaus. « Walter Frank und die Geschichtswissenschaft » in Historische Zeitschrift, 207, 1 (...)
9Le manque de protestation qui a caractérisé leur acceptation du régime nazi ne s’explique ni par une sympathie sans réserve ni par une intimidation effective. Parmi les 150 professeurs, aucun d’entre eux n’était membre du NSDAP en janvier 1933. Cependant ils étaient nombreux à partager les préjugés et les objectifs qui composaient l’idéologie diffuse du national-socialisme. La majorité d’entre eux s’accordait sur la nécessité de réviser le Traité de Versailles, de transformer l’Etat en un instrument coercitif et d’appeler à l’avènement d’un Reich pangermanique à prétention hégémonique. Après l’annexion de l’Autriche et la défaite de la France, un sondage d’opinion aurait certainement montré un accord unanime parmi les historiens allemands pour dire que Hitler était un des plus grands politiciens de l’histoire allemande.5 Dans la principale revue de la corporation, Historische Zeitschrift, l’historien munichois Karl Alexander von Müller, nommé à sa rédaction après la démission de Friedrich Meinecke en 1935, introduisait la section notoire consacrée à la question juive. Sur les 339 essais publiés sous sa direction, au moins 110 articles révèlent une influence de l’esprit nazi.6
10Après la défaite du Troisième Reich, la révélation des crimes sans précédents et des destructions opérées par l’Allemagne, ainsi que la division de l’Etat et la fin de ses illusions hégémoniques, ont rendu impérative une révision des concepts traditionnels sur lesquels repose « l’historisme ». De même que « l’historisme » avait introduit une quête de l’identité comme réponse aux défis posés par les « Lumières », par « l’Aufklärung », de même un appel fut lancé pour un retour à des traditions supérieures et honorables. Le scepticisme d’un Tocqueville ou d’un Burckhardt ont permis une introspection partielle.
11La répudiation du national-socialisme a été transformée en un pro-occidentalisme, qui, à l’ombre de la guerre froide, s’est conjugué avec l’anticommunisme traditionnel. La valorisation et la légitimation de l’Occident et de ses valeurs allaient constituer un palliatif à la sublimation de l’Etat allemand. Contrairement à l’approche historiciste traditionnelle qui avait interprété chaque nouvelle étape de la formation de l’Etat allemand à travers un processus linéaire, l’historiographie de l’après-nazisme a tenté de souligner la discontinuité de celle-ci en ce qui concerne le Troisième Reich. Hitler est rejeté de l’histoire allemande et est affublé du terme de démon. Une expression de Otto Hintze à propos de Hitler reprise par Friedrich Meinecke circulait avec un assentiment partagé :
- 7 Friedrich Meinecke. Die deutsche Katastrophe. Wiesbaden, 1947, p. 89.
« A vrai dire, ’cet homme’ n’appartient absolument pas à notre race. Cet homme n’a en tout cas pas de patrie ».7
- 8 Sa prise de position était d’autant plus étonnante qu’il avait lui-même tracé un parallèle en 1936 (...)
12Gerhard Ritter, l’historien le plus important de l’après-guerre tant par son œuvre que par son poids politique au sein de la corporation, alla jusqu’à essayer de rejeter toute affirmation qui aurait discerné dans le passé allemand des signes prémonitoires du national-socialisme.8
- 9 Gerhard Ritter. Staatskunst und Kriegshandwerk. Das Problem des « Militarismus » in Deutschland. Mü (...)
- 10 Ludwig Dehio. « Um den deutschen Militarismus. Bemerkungen zu Gerhard Ritters Buch « Staatskunst un (...)
13A la suite de la publication de l’ouvrage monumental de Gerhard Ritter Staatskunst und Kriegshandwerk,9 une controverse amère éclata avec Ludwig Dehio qui lui avait reproché son apologie transparente de la Prusse. Ludwig Dehio n’était pas convaincu de la thèse principale de Gerhard Ritter.10 Ce dernier avait cherché à démontrer qu’en Prusse, la pensée politique civile aurait presque toujours dominé la pensée militaire. Ludwig Dehio démissionna prématurément du comité éditorial de la Historische Zeitschrift dont il avait été le premier éditeur de l’après-guerre. Ses critiques des déformations du pouvoir politique allemand dans le passé ainsi que sa mise en avant des faiblesses méthodologiques de l’historiographie allemande, ne rencontrèrent que peu d’écho dans la profession.
- 11 Helmut Auerbach. « Die Gründung des Instituts für Zeitgeschichte » in Vierteljahrshefte für Zeitges (...)
14Les premières tentatives de réformer l’historiographie ouest-allemande sont venues avec les fondations de « l’Institut für Europäische Geschichte » à Mayence et de « l’Institut für Zeitgeschichte » à Munich (1950).11
- 12 Friedrich Domay. Handbuch der deutschen wissenschaftlichen Gesellschaft. Wiesbaden, Steiner, 1964, (...)
15L’Institut de Mayence a été fondé à l’initiative de la « Direction générale des Affaires culturelles » à Paris avec le soutien financier de capitaux américains. Le but avoué de cette institution était de favoriser l’unité des peuples occidentaux par une meilleure connaissance de leurs traditions et de leurs cultures. Lors de l’inauguration de l’Institut, le Haut-commissaire américain parla de « Plan Schuman » de la recherche historique qui devait aider à favoriser l’intégration européenne.12
- 13 Hans Rothfels, le premier directeur des Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte établit une corrélatio (...)
16« L’Institut für Zeitgeschichte » a été fondé à la suite du « Deutsches Institut für Geschichte der national-sozialistischen Zeit » qui avait été mis sur pied par les autorités américaines en 1947. L’objectif principal de cet Institut était de rechercher les causes de l’avènement du totalitarisme et de la deuxième guerre mondiale. L’accent était porté sur la rupture que constitue la période s’étendant de 1917 à 1945.13
- 14 Walther Hofer. Die Entfesselung des zweiten Weltkrieges. Frankfurt. 1954 ; 518 p.
- 15 Walter Hofer. Der Nationalsozialismus. Dokumente 1933-1945. Frankfurt. 1957 : 385 p.
17Les ouvrages de Walther Hofer, Die Entfesselung des Zweiten Weltkrieges14 et der Nationalsozialismus. Dokumente 1933/4515 ont joué un rôle très important dans l’évolution de l’historiographie germanophone, se situant à la charnière des interprétations « historistes » et « totalitaristes ».
18Walther Hofer a été habilité à s’exprimer sur le national-socialisme puisqu’il est de nationalité suisse et qu’il a commencé son cursus universitaire après la deuxième guerre mondiale. De plus, Walther Hofer est conservateur et anticommuniste. Il sera pendant une vingtaine d’années député au Conseil national suisse du Parti des artisans, paysans et bourgeois (droite). Walther Hofer est intéressant car son œuvre se situe à la lisière de « l’historisme » et de la perspective totalitariste. De la première approche, il retient essentiellement une méthodologie traditionnelle qu’il a pu approfondir pendant ses études auprès de Friedrich Meinecke. Il a consacré sa première thèse à ce ténor de l’école « historiste ».
- 16 Entretien avec Walther Hofer. Berne. 5 septembre 1985.
19N’ayant jamais été enthousiasmé par l’idée de nation allemande et par l’impérialisme raciste, Walther Hofer peut aborder les questions de l’Etat allemand et de sa politique étrangère sans conflit de conscience. L’origine suisse de Walther Hofer l’amène assez naturellement à considérer le national-socialisme comme étant un accident historique. C’est un des traits caractéristiques de l’historiographie helvétique de souligner que ni la germanité ni la crise socio-économique des années 30 ne devaient inéluctablement conduire à une dictature de cette sorte. Le « modèle suisse » se profile en filigrane de cette analyse.16 Enfin, Walther Hofer se servira de quelques éléments de l’approche totalitariste. Il l’a fait plus pour leur côté défense des valeurs et des institutions occidentales, que pour les apports méthodologiques de politologie.
- 17 Karl-Dietrich Bracher. Die Auflösung der Weimarer Republik. Stuttgart, 1955 ; 754 p.
20D’un point de vue méthodologique, mais aussi politique, Die Auflösung der Weimarer Republik (1955)17 de Karl-Dietrich Bracher a constitué une étape dans l’évolution de l’historiographie ouest-allemande. Karl-Dietrich Bracher appartient à une génération qui n’a pas eu d’activité intellectuelle pendant le nazisme, il est le fils d’un employé du ministère de la culture du Würtemberg et est marié avec la fille d’un proche du pasteur Bonhoeffer. Karl-Dietrich Bracher est de formation politologique et a accompli une partie de ses études aux Etats-Unis. Il a pu s’y familiariser avec les écrits d’exilés libéraux ou marxistes comme Sigmund Neumann ou Franz Neumann. A la « Freie Universität » de Berlin, il a bénéficié de l’enseignement de Ernst Fraenkel. D’un point de vue politique, l’ouvrage de Karl-Dietrich Bracher s’intègre dans la mouvance de la recherche totalitariste. Die Auflösung der Weimarer Republik implique quatre points de rupture avec « l’historisme » : l’abandon du subjectivisme par le recours à une science sociale (la politologie) ; une prédilection pour les structures ; une attention particulière donnée à la politique intérieure ; et une démarche de type comparatiste qui juge le passé en fonction des critères anti-totalitaristes de la République de Bonn.
21La théorie du totalitarisme permet de sortir des impasses et des contradictions d’un « historisme » habitué à comprendre avec sympathie des héros politiques et militaires dans une perspective nationaliste et qui est désemparé par rapport à la question du nazisme et de Hitler.
- 18 Hans-Ulrich Wehler. « Geschichtswissenschaft heute ». Op. cit., p. 722.
22Die Auflösung der Weimarer Republik fut bien accueilli par les historiens allemands. Cependant, quoique l’ensemble de l’œuvre de Karl-Dietrich Bracher soit considérée unanimement comme étant indispensable à l’étude de l’histoire du national-socialisme et qu’il soit un des historiens allemands les plus significatifs, Karl-Dietrich Bracher n’a pas pu être nommé à une chaire d’histoire et s’est même vu refuser celle de l’université de Cologne du fait de l’opposition cléricalo-religieuse.18
- 19 Fritz Fischer. Griff nach der Weltmacht. Düsseldorf, 1961; 896 p.
23Le tournant des années 60 marquera une évolution définitive de l’historiographie ouest-allemande qui réussira à s’émanciper de l’étau « historiste ». Incontestablement, la controverse autour du livre de Fritz Fischer, Griff nach der Weltmacht (1961)19 a constitué une étape. Certes, cet ouvrage n’offre pas d’innovations méthodologiques fondamentales : le style reste celui de la narration fondée sur des documents diplomatiques et l’attention est portée sur des personnalités comme Bethmann-Hollweg. Mais la rupture est engendrée par le fait que Fritz Fischer a soulevé le problème de la continuité de la politique expansionniste allemande, en déclarant la responsabilité unique des dirigeants allemands dans le déclenchement de la première guerre mondiale. Les thèses de Fritz Fischer révèlent une profonde continuité de l’histoire allemande de Bismarck à Hitler. Le nazisme n’apparaît plus comme un accident historique issu de l’héritage de la Révolution française, de l’industrialisation et de l’ère des masses.
24Par la suite, le point de vue de Fritz Fischer a été approfondi par les travaux de ses étudiants (Immanuel Geiss, Helmut Böhme, Volker Berghahn, Gerhard A. Ritter) qui ont étudié les luttes pour la suprématie commerciale, les partis politiques, les syndicats et les effets de l’industrialisation dans l’Allemagne impériale.
- 20 Ce n’est pas une coïncidence que les historiens qui ont collaboré étroitement avec le nazisme ou qu (...)
25A la même époque sont sorties des séries d’ouvrages importants de méthodologie plus structuraliste et l’inventaire des questions s’est élargi. Une nouvelle génération est apparue, souvent influencée par deux historiens conservateurs de renom : Werner Conze et Theodor Schieder. L’un et l’autre se sont spécialisés dans la théorie de la modernisation et ils ont été parmi les premiers en Allemagne fédérale à avoir connu les travaux de l’école des Annales. On remarquera aussi que ces deux historiens ont essentiellement limité leur champ d’enquête à la période pré-nazie.20
- 21 Hans-Ulrich Wehler. Bismarck und der Imperialismus. Köln, 1969 ; 382 p.
26L’œuvre de Hans-Ulrich Wehler est une des plus représentatives de la nouvelle historiographie ouest-allemande.21 Cet ancien étudiant de Theodor Schieder a produit des ouvrages fondamentaux sur l’Allemagne impériale et a lui-même influencé une génération de nouveaux historiens proches du parti social-démocrate. Très marqué en son temps par la critique marxiste des années 60, Hans-Ulrich Wehler a tenté d’opérer une synthèse souple des apports de Max Weber et de Karl Marx. Dans l’ensemble de son œuvre, Hans-Ulrich Wehler a essayé de dégager les éléments structuro-sociaux propres à l’histoire allemande qui l’ont amené à emprunter le chemin de l’illibéralisme, du racisme et de l’expansionnisme. Il reprend la thèse du « Sonderweg » allemand, mais en inversant les signes. La notion de « Son-derweg » encensée jusqu’en 1945 désigne une idéologie anti-démocratique qui avait été avancée pour prouver la supériorité de la culture et de la politique allemande sur celle de l’Occident. Hans-Ulrich Wehler s’empare du terme de « Sonderweg » pour en montrer le caractère néfaste. Il relève la continuité d’un itinéraire allemand négatif tout en refusant une histoire des idées telle celle pratiquée par des historiens de l’émigration comme Hajo Holborn, George Mosse, Fritz Stern etc.
- 22 Hans Rosenberg. Grosse Depression und Bismarckzeit. Wirtschaftsablauf, Gesellschaft und Politik in (...)
27Hans-Ulrich Wehler discerne un retard dans la modernisation politique de l’Allemagne ; celle-ci a causé une tension entre son industrialisation accélérée et son archaïsme politique. En partant de l’ouvrage de Hans Rosenberg sur la grande dépression économique de 1873,22 Hans-Ulrich Wehler montre que la crise a produit une intensification des attitudes antisémites et proto-fascistes parmi les secteurs les plus touchés : la classe moyenne des partisans, les petits commerçants et la paysannerie. Le gouvernement a vite compris comment récupérer ces tendances pour chercher à manipuler une société profondément divisée. Plutôt que de procéder à des réformes nécessaires, le pouvoir politique, aux mains de l’aristocratie et des propriétaires fonciers, chercha à détourner ces mécontentements par une politique étrangère expansionniste. C’est la théorie du social-impérialisme. De manière à peine voilée, Hans-Ulrich Wehler prône une société sociale-démocrate où les conséquences de l’industrialisation seraient humanisées et les risques d’expansionnisme fortement amoindris.
- 23 Hans-Ulrich Wehler. « Geschichtswissenschaft heute ». Op. cit., p. 739.
28Les thèses de Hans-Ulrich Wehler et de « l’Ecole de Bielefeld » connurent un succès remarquable. Cette forme d’écriture de l’histoire est aujourd’hui enseignée dans la grande majorité des universités allemandes.23 La réussite de cette nouvelle forme d’historiographie est tellement manifeste que ses usagers en sont venus à affirmer qu’il s’était opéré un changement de paradigme au sens qu’en a donné Thomas Kuhn.
29L’histoire structuro-sociale a été appréciée pour au moins quatre raisons :
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l’ouverture à un questionnement historique quasiment infini à l’intérieur d’une ligne directrice,
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une réponse à l’interrogation des nouvelles générations sur l’enracinement du nazisme dans le passé allemand,
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un fondement idéologique à la sociale-démocratie libérale partisane d’une réforme démocratique et sociale de l’Etat et d’une politique anti-impérialiste conséquente.
30C’est dans cette perspective générale historico-structurelle qu’est apparue une nouvelle approche du national-socialisme : la théorie du polycratisme. Plus radicalement que Hans-Ulrich Wehler, Hans Mommsen et Martin Broszat ont tenté de rejeter tout ce qui pourrait ressembler à « l’historisme ». Ce point doit être souligné, la théorie du polycratisme se pose en opposition radicale à une méthodologie qui privilégie l’histoire des idées, des grands hommes, de la politique étrangère et de la guerre. Hans Mommsen récuse également toute approche qui s’efforce de comprendre le national-socialisme avec une réprobation morale de type burckhardtienne pour mieux éviter la question de la continuité structurelle des élites allemandes jusqu’à la République de Bonn.
31C’est dans ce contexte que la théorie du polycratisme met l’accent sur la concurrence chaotique des différents pouvoirs, dont l’absence de délimitation provoque une radicalisation cumulative qui sélectionne les éléments négatifs de la « Weltanschauung ». Ce n’est pas Hitler qui a voulu que se développe cette compétition entre forces porteuses du pouvoir. Il a été entraîné dans un processus dynamico-structurel qui l’a confiné à un rôle d’exécutant. Il faut démystifier la rationalisation de la pensée hitlérienne, son machiavélisme, sa capacité de créer des divisions et de les exploiter. Hitler n’a pas pu mettre en place le système nazi. La question fondamentale est de savoir comment la guerre, le génocide des Juifs et les autres massacres se sont mis en marche. Hitler a agi sans but précis. Il est un « Fiihrer » charismatique et un démagogue qui a été victime de la propagande et de la légende qu’il a lui-même aidé à créer.
32Hans-Ulrich Wehler n’a pas publié d’ouvrages ou d’articles sur le national-socialisme mais il a donné son plein accord à la théorie du polycratisme. En effet, celui-ci s’appuie en filigrane sur la thèse d’un retard dans le développement politique de l’Allemagne. La dynamique polycratique est bien provoquée par le décalage entre l’industrialisation accélérée de l’Allemagne et l’archaïsme de ses structures politiques. La recherche polycratique se rapproche également de l’Ecole de Bielefeld par sa prédilection pour la politique intérieure. Cette dernière détermine la politique extérieure. C’est la crise provoquée par la compétition dynamique entre les divers pouvoirs qui a poussé le régime à sélectionner les éléments hégémonistes dans la « Weltanschauung ».
33Comme la théorie du « Sonderweg », la recherche polycratique souligne la profonde continuité des élites conservatrices allemandes avant, mais aussi après le Troisième Reich. Hans Mommsen particulièrement ne manque jamais de plaider pour une modernisation de l’Etat ouest-allemand vers plus de démocratie et de justice sociale.
34Cependant, quatre points au moins différencient l’approche polycratique de l’École de Bielefeld :
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Hans-Ulrich Wehler a davantage insisté sur les aspects qualitatifs qui vont vers une compréhension de l’histoire comme un produit de l’action humaine,
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Hans Mommsen et Martin Broszat ont développé une théorie structuro-fonctionnaliste extrême où l’individu ne joue que des rôles,
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l’approche polycratique néglige complètement les facteurs économiques,
35Les « sciences sociales historiques » se sont heurtées à tous les autres courants historiographiques qui s’étaient maintenus ou qui avaient émergé à partir des années 60.
- 26 Ernest Nolte. Der Faschismus in seiner Epoche. München, 1963; 833 p.
- 27 Ernst Nolte. Die Krise des liberalen Systems und die faschistischen Bewegungen. München, 1968; 475 (...)
- 28 Ibid.. note I, p. 454.
36Dans une première étape, les controverses avec Ernst Nolte et l’approche du nazisme comme une forme de fascisme n’ont pas été trop aiguës. Ernst Nolte avait présenté sa « thèse d’Etat » (« Habilitationsschrift ») sous la direction de Theodor Schieder à Cologne. Der Faschismus in seiner Epoche26 fut bien accueilli par Hans-Ulrich Wehler, Martin Broszat, Wolfgang Schieder, Wolfgang et Hans Mommsen, tous des proches de Theodor Schieder. Ce dernier avait pesé de tout son poids pour que Ernst Nolte réalise et développe les conceptions contenues dans Der Faschismus in seiner Epoche. L’idée d’écrire un second ouvrage, Die Faschistischen Bewegungen27 revient à Martin Broszat et l’impulsion vers plus de conceptualisation est ressortie de discussions avec Hans-Ulrich Wehler.28
- 29 Ernst Nolte. Was ist bürgerlich ? Stuttgart, 1979. p. 95.
37Les premiers ouvrages de Ernst Nolte n’ont pas entraîné autant de controverses en Allemagne fédérale qu’à l’étranger. Ernst Nolte écrira par la suite que les succès de ses premiers livres sont dus au soutien qu’il avait reçu de la gauche ouest-allemande, de l’influence du climat international (la « détente ») et de l’effet de la « diminution de l’antigermanisme » en Occident.29 L’approche du national-socialisme développée par Ernst Nolte n’a pas amené à la création d’une véritable école de pensée en Allemagne fédérale. Peut-être que ce manque de succès auprès des jeunes chercheurs est dû aux difficultés techniques d’opérer des analyses culturelles comparatives (langue), au germano-centrisme de nombreux historiens allemands et à la concurrence d’analyses structuralistes et marxistes du fascisme ?
- 30 Ernst Nolte. Deutschland und der kalte Krieg. München, 1974 ; 755 p.
- 31 Les principaux arguments développés contre Ernst Nolte sont présentés par Lutz Niethammer. « Zeitge (...)
38Ainsi les controverses autour de Ernst Nolte n’ont commencé en Allemagne fédérale qu’à partir du début des années 70, après que Ernst Nolte ait publié son ouvrage Deutschland und der kalte Krieg.30 C’est alors que ses critiques ont retrouvé beaucoup d’arguments qui étaient apparus dans les recensions est-allemandes et américaines au cours des années 60. Il fut reproché à Ernst Nolte d’avoir cherché à diminuer les responsabilités allemandes en comparant de manière exagérée le national-socialisme à d’autres courants de l’entre-deux-guerres. Son analyse néglige les structures et se limite à une histoire des idées métahistoriques. L’influence de Heidegger l’a conduit à développer un raisonnement circulaire et ultra-philosophique. Son emprunt à un jargon existentialiste n’explique rien et ne fait qu’augmenter la confusion. La notion heideggérienne de « Angst » qui aurait été le facteur déterminant de l’émergence du fascisme dissimule mal une neutralité bienveillante. Car Ernst Nolte est farouchement anticommuniste et il décrit le fascisme comme étant naturellement provoqué par la peur du bolchévisme. On reprocha également à Ernst Nolte son hyper-hegelianisme dans sa manière d’écrire des événements qui sont engendrés par la logique de ses propres théories.31
- 32 Andreas Hillgruber et Klaus Hildebrand on été jusqu’à qualifier l’histoire structuro-sociale de doc (...)
39A partir du début des années 70, l’historiographie structuro-sociale s’est également opposée à la nouvelle histoire des idées et de la politique étrangère. Andreas Hillgruber, son élève Klaus Hildebrand et Hans-Adolf Jacob-sen ont réaffirmé que le passé doit être compris dans ses propres termes et en tenant compte de la relative autonomie que le politique peut avoir par rapport aux facteurs socio-économiques.32 Ces historiens insistent par exemple sur la primauté de la politique étrangère et raciale dans l’Allemagne nationale-socialiste. L’importance des événements, de la guerre et de la paix, du rôle des individus et des idéologies doit être soulignée. L’histoire diplomatique doit s’ouvrir à une histoire des relations internationales qui tienne compte des forces profondes (sociales, économiques, culturelles), des processus de prise de décision et de la structure du système international.
40Certains aspects de ce débat rappellent des controverses qui ont opposé en France l’Ecole des Annales et celle des relations internationales. De même que les défis posés par la « nouvelle histoire » avaient poussé Pierre Renouvin à s’ouvrir aux forces profondes, à l’étude du système international et des processus de prise de décision, de même les controverses engendrées par la « nouvelle histoire » allemande ont contribué à un renouvellement de l’historiographie de la politique étrangère.
41Depuis une dizaine d’années, Hans-Ulrich Wehler et les « sciences sociales historiques » sont eux aussi soumis à des critiques qui proviennent à la fois des marxistes et des philosophes épistémologues.
- 33 Geoff Eley. David Blackbourn. Mythen deutscher Geschichtsschreibung. Frankfurt, 1980; 139 p. Egalem (...)
42Deux historiens marxistes anglais, Geoff Eley et David Blackbourn33 ont contesté la comparaison implicite qui est faite avec le développement politique britannique et ont montré, à l’aide d’études de cas régionaux qu’il n’y avait pas lieu de discerner une défaillance politique de la bourgeoisie allemande : celle-ci a effectivement exercé sa fonction politique. La critique de la République démocratique allemande rappelait elle aussi depuis longtemps que le développement du capitalisme ne pouvait pas ne pas entraîner une accélération parallèle du pouvoir de la bourgeoisie. Pour Geoff Eley et David Blackbourn, l’impérialisme et le fascisme ne peuvent être expliqués que par rapport à une crise du capitalisme bourgeois.
- 34 Martin Broszat. « Plädoyer für eine Historisierung des Nationalsozialismus » in Merkur, 5, 435, Mai (...)
- 35 Thomas Nipperdey. « 1933 and the Continuity of German History » in Hansjoachim Koch (éd.). Aspects (...)
- 36 Karl-Georg Faber. Theorie der Geschichtswissenschaft. München, 1974, pp. 183, 193, 194 et 207.
43Martin Broszat,34 Thomas Nipperdey35 et Karl-Georg Faber36 se sont surtout élevés contre les notions de « Sonderweg » et de rapport habermasien « Erkenntnis/Interesse ». Trois arguments ressortent de leurs critiques :
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l’ensemble des manifestations sociales, culturelles, et politiques de cent ans d’histoire allemande ne peuvent pas être réduites à une crise de modernisation et à une manipulation des élites,
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chaque période doit être aussi comprise dans son contexte temporel et international. Beaucoup de caractéristiques du « Sonderweg » se retrouvent dans d’autres cultures. Le passé allemand n’est pas qu’une longue évolution vers l’absolutisme raciste et impérialiste. On trouve des ferments libéraux, démocratiques et socialistes dans le Reich wilhelmien, dans la République de Weimar et qui ont été transmis à la République de Bonn,
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la théorie du « Sonderweg » est une nouvelle manifestation de présentisme. Le passé est étudié pour servir de légitimation idéologique à l’action politique présente mais contrairement à « l’historisme » traditionnel, il est posé non pas en modèle mais en contre-modèle. « L’Er-kenntnis », la connaissance historique ne devrait pas servir aux intérêts (« Interesse ») politiques du présent.
44La légère opposition qui se dessine entre Hans Mommsen et Martin Broszat peut être partiellement éclairée par les éléments de la controverse méthodologique qui vient d’être mentionnée. Ces dernières années, Martin Broszat a porté son attention sur la vie quotidienne et l’opinion publique dans le cadre régional. Une écriture qui privilégie l’histoire « vue d’en-bas » tend à relativiser la question des élites et de leur rapport avec l’Etat. Le politique, au sens de conflit pour le pouvoir, est évacué. D’autre part, l’analyse régionaliste et sectorialiste ne permet plus de concevoir une approche intégrée qui pose le problème des structures décisionnelles. Enfin, la « All-tagsgeschichte » régionaliste implique une méthodologie plus proche des différenciations culturelles (Länder, religion) et des motivations humaines (opinion publique).
45Ce rapide survol de l’histoire de l’historiographie ouest-allemande permet de mieux situer les points de repère de l’évolution méthodologique de cette discipline. Il serait cependant réducteur de limiter notre analyse à cette simple narration. Cette évolution de l’historiographie ouest-allemande s’est opérée dans un cadre spatio-temporel délimité, dans une série de contextes politiques superposés. Ce sont des individus enracinés dans leur époque et dans leur propre passé qui écrivent l’histoire. Enfin, l’historiographie se développe au sein d’une institution universitaire qui possède ses propres structures et sa propre logique. Ce sont ces éléments que nous allons analyser dans le prochain chapitre. Comme fil conducteur à notre réflexion, nous poserons une problématique principale, celle de l’origine de l’acuité des controverses qui secouent périodiquement l’historiographie ouest-allemande.
2. La perspective est-allemande
46Le point de vue est-allemand offre au moins deux intérêts principaux :
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le rapport familiarité/distanciation. Les historiens est-allemands ne sont pas gênés par l’obstacle de la langue, ils sont au fait des moindres mouvements intellectuels de la république voisine. Mais l’hostilité idéologique leur permet de posséder un point de vue complètement distancié.
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une vision non cloisonnée et diachronique procurée par le marxisme. L’instrument marxiste peut quelquefois, s’il est manié avec souplesse, offrir une mise en perspective historique globale.
47La critique est-allemande permet d’intégrer les différents types d’explication qui ont été donnés pour éclairer l’évolution de l’historiographie ouest-allemande. Pour les historiens de la République démocratique allemande, l’intensité du débat historiographique en Allemagne fédérale s’explique dialectiquement par les contradictions engendrées par la crise de mutation du capitalisme monopolistique d’Etat. Dans cette conception, l’écriture de l’histoire est une idéologie, un élément de la superstructure, elle-même déterminée dialectiquement par les rapports de classe. La fonction politique principale de l’historiographie ouest-allemande consiste donc à légitimer historiquement le système de domination de la bourgeoisie de la République fédérale :
- 37 Gerhard Lozek. Kritik der bürgerlichen Geschichtsschreibung. Köln, 1973, p. 25.
« La fonction socio-politique principale des historiens en vue de l’Etat de Bonn consiste à légitimer historiquement le système actuel de domination de l’Etat monopolistique de la république fédérale et, dans ce sens, de construire une ligne de développement historique, une ’vision collective du passé’, qui fasse apparaître ce système archi-réactionnaire comme étant l’apogée progressiste de l’histoire allemande. »37
48Ainsi, fondamentalement, l’origine des controverses qui ont éclaté entre « l’historisme » et l’histoire structurelle est à rechercher dans les modifications de priorité dans les intérêts du capitalisme monopolistique d’Etat. Dans cette perspective, l’apparition d’une nouvelle conception de l’historiographie qui aspire à un type d’explication plus globalisante vise à servir la société bourgeoise dans sa crise industrielle, alors que « l’historisme » a plutôt eu pour fonction de favoriser l’intégration de la République de Bonn dans le système militaire occidental. « L’historisme » est décrit comme étant l’émanation des éléments traditionnellement réactionnaires et conservateurs. La plupart des historiens « historistes » s’étant compromis avec le fascisme ou avec l’aristocratie militaire expansionniste favorable à un front occidental dirigé contre l’Union Soviétique (Gerhard Ritter lié à Carl Goer-derler), ils ont logiquement servi l’Etat ouest-allemand. Malgré les contradictions engendrées par la défaite totale et la division de l’Etat tant sublimé, « l’historisme » s’est rallié à la République de Bonn et a cherché à légitimer historiquement et moralement son régime en lui fournissant les arguments idéologico-historiques qui lui permettent de s’intégrer à la communauté européenne liée à l’impérialisme américain. Tout en jurant de sa neutralité scientifique, « l’historisme » a ainsi mis à disposition du régime de Bonn ses méthodes traditionnelles : moralisme bourgeois, primat de la politique étrangère, histoire des militaires, subjectivisme et individualisme, histoire des idées, caractère unique des événements.
49Les thèmes de « l’historisme » ont donc été :
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de développer des auto-critiques partielles sur le passé allemand afin de permettre la création de la République de Bonn. L’objectif ayant été atteint, le caractère moral de leurs remises en question s’est fortement atténué après 1949. Gerhard Ritter ne s’est pas livré qu’à une remise en question relative. Sa fascination passée pour la Prusse étant difficile à surmonter, il a cherché à contourner la contradiction en réécrivant une histoire de la Prusse où celle-ci apparaît comme ayant été de tous temps le rempart et le défenseur de l’Occident et de ses valeurs. Ludwig Dehio, partant d’une vision manichéenne et dichotomique des rapports de force entre grandes puissances a, par contre, consenti à lever toutes les hypothèques et d’accélérer une intégration rapide de l’Allemagne au bloc occidental ;
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d’encenser la « résistance » allemande militaire et anti-soviétique en occultant celle de la classe ouvrière afin de légitimer les élites de Bonn et de favoriser l’entrée de la République fédérale dans les réseaux d’alliance militaire anti-communiste ;
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d’insister sur le caractère unique (« einmalig » et « einzigartig ») du national-socialisme. « Einmalig », l’événement ne s’est produit qu’en Allemagne et ne peut se répéter, toute théorie du fascisme ou du néofascisme est rejetée. « Einzigartig », le nazisme est le fait de quelques individus criminels, surtout de Hitler, dont la démonisation et sa caractérisation par des épithètes irrationnelles permet de disculper la bourgeoisie (au pouvoir à Bonn) qui l’avait amené à diriger l’Allemagne afin de lui faire mener sa politique impérialiste ;
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- 38 Une panie de la version française est reproduite par Alfred Grosser. L’Allemagne de notre temps. Pa (...)
de rechercher dans une tradition occidentale commune (Révolution française, industrialisation, révolte des masses) les causes du nazisme pour faire partager les responsabilités du nazisme aux nouveaux alliés de l’Allemagne et ainsi de relativiser celles des élites allemandes. C’est la théorie du totalitarisme qui cherche à détourner l’attention sur la nature véritable du fascisme en soulignant des prétendues analogies avec l’Union Soviétique ; — de répliquer avec véhémence à tous les historiens occidentaux qui tenteraient de rappeler les aspects traditionnellement expansionnistes, inhumains de l’impérialisme allemand. Par rapport aux historiens français, la tactique a consisté à conclure un accord sur les origines de la première guerre mondiale. En pleine discussion sur le réarmement ouest-allemand et la création de la Communauté européenne de défense, les principaux historiens allemands (Gerhard Ritter) et français (Pierre Renouvin) se sont accordés pour prétendre que « les documents ne permettent pas d’attribuer en 1914 une volonté préméditée de guerre européenne à aucun gouvernement et à aucun peuple et que en Allemagne surtout dans les cercles militaires, on était plus disposé qu’en France à accepter l’éventualité d’un conflit. Ces dispositions tenaient à la place qu’occupait l’armée dans la société allemande... »,38 sous-entendu non pas à sa nature profonde.
50Pour la critique est-allemande, l’avènement d’une histoire structurelle provient de la modification des priorités du régime de Bonn. La République fédérale ayant été remilitarisée, intégrée à l’Alliance atlantique et étant devenue un des Etats-clé de la Communauté européenne grâce à une réconciliation avec son ennemi séculaire, la France, les priorités de la République fédérale se sont déplacées vers les problèmes engendrés par la crise de rationalisation industrielle et ses problèmes sociaux. La deuxième moitié des années 50 a produit une nouvelle révolution scientifique et technique. Le développement accéléré des formes productives dans un type de rapport de production et de domination capitaliste a amené à un approfondissement des contradictions fondamentales du capitalisme. Ainsi, s’explique le développement d’une historiographie plus préoccupée par les structures, l’industrialisation et les questions sociales. C’est la théorie de la modernisation.
- 39 Werner Berthold. Kritik der bürgerlichen Geschichtsschreibung. Op. cit., p. 105.
51La critique est-allemande ne manque pas de relever le caractère froid et technocratique de cette nouvelle tendance de l’historiographie. La rationalisation accélérée du capitalisme implique une idéologie indifférente à l’homme et aux responsabilités morales des criminels. Sont ici particulièrement visés Hans Mommsen et Wolfgang Mommsen. Il est reproché au premier de tendre à considérer comme résistant non seulement les employés, l’armée et la majorité des industriels, mais encore une partie des SS.39 A Wolfgang Mommsen, il est fortement contesté sa tentative d’objectivisation (« Versachlichung ») de la première guerre mondiale et sa volonté de nier les problèmes moraux qui lui sont liés.
52Pour la critique est-allemande, la théorie de la modernisation a cherché à jouer un rôle de substitution à la science historique marxiste en voulant dépasser le cloisonnement de « l’historisme » par l’introduction de la sociologie, de la politologie et de la science économique occidentale afin de mieux répondre aux défis posés par la nouvelle crise du capitalisme. Il fallait être aussi à même de tirer des enseignements de l’histoire du capitalisme afin de tenter de mieux résister aux crises futures.
- 40 Ibid p. 105.
« La nouvelle écriture de l’histoire est la pièce essentielle de ce qui est présenté comme étant « une histoire sociale », « une nouvelle conception de la société », qui doit conduire à une façon de concevoir « l’histoire de manière structurelle » grâce à une « synthèse » de la « sociologie et de la science historique », grâce à « une réflexion à la fois individualisante et généralisante ». Cette nouvelle écriture de l’histoire doit contribuer à surmonter la crise latente de la pensée historique bourgeoise qui dure depuis des années (crise de l’historisme bourgeois) et elle doit rendre possibles certaines modifications précises de l’idéologie historique dans l’intérêt actuel des besoins du système de domination monopolistique d’Etat. »40
53La critique est-allemande ne se méprend pas sur l’éclectisme et les contradictions de ces théories de la modernisation. Elle différencie globalement deux approches principales :
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La théorie de la convergence (fin des années 50 et début des années 60). Celle-ci visait avant tout à justifier le néo-colonialisme en cherchant à imposer un modèle de développement occidental unique aux Etats socialistes et aux pays du Tiers Monde fraîchement colonisés. Cette théorie a eu relativement peu d’écho en République fédérale essentiellement pour deux raisons très différentes. D’une part, l’absence de colonies, l’obnubilation pour le passé allemand et l’anticommunisme farouche ne pouvaient pas stimuler une théorie-instrument prosélyte. D’autre part, l’extrême conservatisme méthodologique et l’antisociologisme de la corporation des historiens ouest-allemands amenaient à rejeter toute interprétation de type weberien.
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- 41 Günther Rose souligne les phrases de Hans-Ulrich Wehler où celui-ci expose explicitement la fonctio (...)
La science historico-critique (milieu des années 60 - fin des années 70). Cette approche a plutôt cherché à développer un pâle succédané (« Ersatz ») du marxisme (dans la tradition weberienne) qui puisse servir à la réforme du capitalisme vers un Etat social de masses démocratiques. La réception très favorable de cette théorie s’explique par l’émergence d’une nouvelle génération proche de la sociale-démocratie qui a cherché à réformer l’Etat bourgeois en renforçant son rôle social.41
- 42 Rolf Badstübner. Kritik der bürgerlichen Geschichtsschreibung. Op. cit., p. 12.
54La critique est-allemande est consciente que « l’historisme » n’a pas disparu avec l’apparition d’une écriture de l’histoire plus centrée sur les questions économiques, sociales et structurelles. Pour faire face aux problèmes nouveaux qui se posent à la République fédérale, l’« historisme » s’est transformé en un « néo-historisme » qui continue à remplir certaines fonctions. Par exemple, la réécriture plus politologique des origines de la deuxième guerre mondiale par Hans-Adolf Jacobsen s’inscrit dans une logique de justification du revanchisme de Bonn, qui était impossible juste après la guerre, du fait de l’abondance de preuves qui avaient été fournies dans les procès des criminels de guerre. Ayant rappelé que Hans-Adolf Jacobsen appartient à un conseil du ministère ouest-allemand de la défense,42 Rolf Badstübner ne s’étonne pas que Hans-Adolf Jacobsen cherche à faire partager aux autres puissances, et particulièrement à l’Union Soviétique, la responsabilité de la deuxième guerre mondiale, afin de justifier l’agressivité du régime de Bonn contre les garants de l’indépendance de la République démocratique allemande :
- 43 Ibid., p. 14.
« Jacobsen a formulé de la manière la plus explicite le point de vue qui domine en Allemagne de l’Ouest :
« La deuxième guerre mondiale n’a certainement pas été engendrée exclusivement par l’ambition et l’appétit de pouvoir d’un seul homme. Pour ainsi dire aucune puissance ne peut être libérée d’une coresponsabilité pour la répétition de la catastrophe. Cette coresponsabilité appartient aussi bien aux Anglais pour leur « politique d’apaisement », qu’aux Français... qu’à l’Italie pour son laisser-aller... ; qu’aux pays du Sud-Est de l’Europe pour leur égoïsme ; qu’aux hommes d’Etat polonais pour leur présomption... ; cette coresponsabilité appartient avant tout à l’Union soviétique pour son attitude durant l’été 1939. »
« Le point de vue de Jacobsen est conforme au désir de se mettre au service de la pensée actuelle anti-soviétique, une pensée qui raisonne en termes de blocs de puissances. Ce point de vue consiste à chercher comment on en est arrivé à une guerre dont le résultat a été de permettre au « communisme mondial » de déplacer les frontières de sa zone de domination jusque vers le milieu de l’Allemagne, jusqu’à l’Elbe ».43
- 44 Manfred Weissbecker. « Zur Hitler- Renaissance in der BRD » in Zeitschrift für Geschichtswissenscha (...)
55La renaissance de l’intérêt pour Hitler dans les années 70 est également liée à une crise de l’impérialisme qui pousse à un renouveau idéologique. Tous les ouvrages centrés autour de Hitler sont du même acabit, que ce soient les travaux de l’Institut Grabert ou ceux de Eberhard Jäckel. La fonction de cette renaissance de l’intérêt pour Hitler est quadruple : occulter la part principale de responsabilités des monopoles dans l’avènement du national-socialisme, encenser un héros anticommuniste afin de saboter la coexistence pacifique, bagatelliser la figure de Hitler afin de scier les fondements idéologiques et psychologiques de la détente entre anciennes puissances vainqueurs du fascisme, et réhabiliter l’instrument du fascisme par une objectivisation et une humanisation de l’image de Hitler afin de se doter d’un instrument de lutte contre le socialisme.44
56En résumé, la critique est-allemande constate une évolution de l’historiographie ouest-allemande. Elle lie son développement à différentes crises de mutation du capitalisme. Les controverses qui secouent la profession de la République fédérale sont liées au télescopage de diverses productions idéologiques qui ont répondu à des nécessités historiques distinctes du capitalisme. Tous les courants historiographiques ont eu leur fonction à des époques déterminées et en vue d’objectifs différents.
57« L’historisme » est une survivance de besoins plus anciens, il s’est heurté à de nouvelles méthodologies et il a été réactivé (« néo-historisme ») pour faire face à de nouveaux défis.
58La critique est-allemande est certainement trop radicale et réductionniste. L’écriture de l’histoire ne peut pas être ramenée à une simple production d’idéologie, dialectiquement et comme mécaniquement déterminée par l’infrastructure. Il est difficile d’être convaincu par le monisme explicatif qui consiste à discerner invariablement une crise du capitalisme dans chaque apparition de nouveaux modes d’écriture historique. Cette forme d’explication n’en est pas une, car elle ne dit pas pourquoi une même cause amène des effets différents, si ce n’est contradictoires. En outre, le caractère rébarbatif de ces critiques redondantes et jargonnantes peut engendrer chez le lecteur une répulsion agacée, comparable à celle que l’on peut ressentir à l’audition d’un rouleau de prière tibétain. Pourtant, autant il serait superficiel de réduire la culture religieuse tibétaine aux plaintes lancinantes de son mode de communication, autant il nous paraît regrettable de négliger quelques analyses de la critique est-allemande. L’accession à un type différent de pensée est souvent rebutante, surtout quand elle est l’énonciation d’un pouvoir totalitaire, mais l’effort peut certaines fois être enrichissant.
3. Les controverses de l’historiographie ouest-allemande comme conséquence du débat politique intérieur
59Les rapports entre évolution des méthodes historiographiques et politique partisane ne peuvent pas ne pas être abordés. Non seulement cette dernière sous-tend la réception qui est faite à telle ou telle perspective historiographique mais de plus certains historiens proclament leur appartenance partisane. Qui ne tient pas compte de la politique intérieure ouest-allemande ne peut pas comprendre pourquoi une œuvre est rejetée dans certains milieux et est acceptée dans d’autres. Un observateur extérieur tend naturellement à relativiser les antagonismes entre les partis politiques quand il s’en tient à une comparaison des résultats de leurs actions. Raisonner de la sorte sera pris pour de la naïveté, de l’apolitisme ou de la sympathie objective pour l’adversaire. Autre difficulté, comment peut-on traiter la question des méthodes historiographiques en fonction de la politique intérieure, alors que les historiens s’obstinent à répéter que leur conception n’a été déterminée que par une étude approfondie, diligente et distanciée des sources ?
60« L’historisme » des années 50 a été le produit d’historiens libéraux et conservateurs. Dans le cas de Gerhard Ritter le fait n’est pas contesté, il a lui-même, à de multiples reprises, défendu la politique intérieure et extérieure de Konrad Adenauer. Ludwig Dehio, Hans Rothfels, Hans Herzfeld, Karl-Dietrich Erdmann sont globalement de la même tendance politique. Cela les a certainement poussés à développer une écriture de l’histoire très traditionnelle et à être parfois très réactionnaires à toute tentative de contestation du passé ou de réforme des institutions.
61La théorie du totalitarisme a sans aucun doute obtenu la caution des autorités politiques des années 50. Ce terme (totalitarisme) était inscrit dans certaines lois et son enseignement était officiellement propagé pour mieux le combattre. Que la théorie du totalitarisme ait eu une fonction autre que scientifique, plus personne n’en doute aujourd’hui. La critique de la République démocratique allemande et certains historiens américains de l’émigration avaient déjà depuis longtemps fait remarquer les avantages que la théorie du totalitarisme offrait aux autorités de Bonn pour aborder avec moins de difficultés le passé allemand et pour légitimer sa politique tant intérieure qu’extérieure.
62Réduire la théorie du totalitarisme à une simple émanation idéologique de la chrétienne-démocratie ne serait toutefois qu’étudier une partie de la problématique. En effet, la théorie du totalitarisme avait été véhiculée par des penseurs souvent issus de la gauche (Franz Neumann, Sigismund Neumann, Ernst Fraenkel). La sociale-démocratie avait également adopté les mots d’ordre antitotalitaires et son historiographie témoigne de l’influence du paradigme totalitariste.
63Malgré ces remarques, il est sûr qu’en Allemagne fédérale, la théorie du totalitarisme est assimilée à la droite chrétienne-démocrate et qu’une approche dépassionnée sur les mérites et les défauts scientifiques de cette théorie reste encore difficile sans être « taxé » politiquement.
64La décrispation politique et sociale qui caractérise l’Allemagne fédérale du début des années 60 correspond à l’émergence de nouvelles générations, à la prospérité retrouvée et voit l’apparition des premiers succès politiques significatifs de la sociale-démocratie. Pour de nombreux jeunes historiens, le combat contre « l’historisme », contre la théorie du totalitarisme et pour une ouverture aux sciences sociales historiques se confond avec leur aversion profonde pour Gerhard Ritter et la droite allemande. Autant Gerhard Ritter avait mélangé la science et la politique (notamment dans l’affaire du Spiegel), autant une nouvelle génération continuera à lier les deux niveaux de combat. Avec le recul historique, il apparaît plus clairement que les théories du « social-impérialisme », du « Sonderweg » et de la continuité des structures politiques allemandes pouvaient servir de légitimation au discours idéologique social-démocrate. Implicitement, il est suggéré que la cause de l’impérialisme et du racisme allemand est due à une inadaptation de l’Etat et des élites à la modernité, à leur refus de se confronter aux inégalités sociales et aux maux dus à l’industrialisation. L’expansionnisme et le racisme ne sont pas les expressions d’une idéologie méta-historique enracinée dans la culture populaire. Ils sont la conséquence d’une absence de réforme sociale, d’inégalités économiques, d’archaïsme des élites et d’un retard dans le développement politique et démocratique. En d’autres termes, une réforme de l’Etat allemand vers plus de justice sociale et de démocratie permettra d’empêcher les tendances négatives de se réveiller à nouveau. Les historiens de gauche se retrouvent souvent dans ce type d’analyse. Cette dernière offre une explication globale aux défaillances du passé allemand, au conservatisme et au révisionnisme de la politique étrangère des élites de Bonn et elle suggère une solution politique aux problèmes contemporains et passés de l’Allemagne.
65La théorie du polycratisme s’inscrit globalement dans ce système de pensée. L’impérialisme et le racisme sont également la conséquence de l’absence de modernisation et de cohérence des appareils étatiques et de l’émanation d’un parti démagogique, prisonnier de sa logique charismatique qui cherchera à canaliser et à intégrer l’ensemble des revendications sociales et des rancœurs. Quant à la sélection des seuls éléments négatifs de la « Weltanschauung », elle est due au refus des forces porteuses du pouvoir d’accepter les réformes sociales qui avaient été promises démagogiquement : l’armée, la bureaucratie et l’économie rétrogrades n’ont pu s’entendre avec le parti national-socialiste, que sur les objectifs négatifs d’expansion et de racisme. Une réforme sociale et politique aurait pu permettre à l’Allemagne de s’adapter à son niveau de développement économique et d’éviter cette simultanéité de faits non-contemporains porteurs de tensions et de contradictions aux conséquences funestes. Pour éviter que la République fédérale ne retombe dans de mêmes travers (le conservatisme et le revanchisme de la « CDU/CSU » en sont des risques), il faut développer une lutte politique qui permettra d’arriver à plus de justice sociale et de démocratie.
66Naturellement, pas tous les historiens de gauche n’ont été convaincus par ce type d’analyse. Quand on a déjà adopté certaines méthodes dans les années 50 et que l’on s’est spécialisé pour certains thèmes, on devient moins sensible à l’émergence de nouveaux courants. D’autre part, certains proches du parti social-démocrate sont souvent touchés par une historiographie plus humaniste qui traite directement de la guerre, du fanatisme, du racisme et du génocide. Enfin, quelques historiens marxistes relativement orthodoxes n’ont pas eu besoin de ce modèle d’analyse puisqu’ils possédaient déjà une interprétation de l’évolution historique. Ces exemples montrent à quel point il faut être prudent lorsqu’on établit une corrélation entre appartenance politique partisane et type d’écriture de l’histoire.
- 45 Ce n’est qu’à partir des années 70 que « l’histoire vue d’en-bas » a commencé à avoir du succès en (...)
67Une autre question intéressante est d’établir dans quelle mesure la tendance qui se dessine vers « l’Alltagsgeschichte » est liée à l’avènement d’une nouvelle orientation politique : le régionalisme écologico-pacifiste.45 Cette tendance se manifeste dans le parti vert (« die Grünen »), au sein du parti socialiste et à travers des listes régionalistes ou locales. Les priorités du régionalisme écologico-pacifiste ne conduisent pas à une analyse de l’Etat, des élites, de l’organisation sociale et des « grandes décisions ». Le conflit pour le pouvoir à Bonn avait amené certains historiens sociaux démocrates à réfléchir sur les rapports de force, sur la continuité des élites, sur le fonctionnement de la bureaucratie, sur la logique propre à l’Etat et sur les déterminants structurels de l’idéologie allemande. Le régionalisme écologico-pacifiste ne se pose pas autant en contre-pouvoir fédéral. Il revendique la formation de micro-sociétés à l’intérieur du système existant (rénové). Par conséquent, il soulève des interrogations sur le passé allemand à une échelle réduite (église, corporation, village). Il s’interroge sur les actions humaines de manière concrète : « comment a agi mon père ou mon grand-père, quelle fut l’attitude de mon groupe affectif (église, association sportive, parti politique) ? Comment peut-on penser « l’alternative » (mot clé) et la « Resistenz » ?
- 46 Mariin Broszat. « Zur Sozialgcschichte des deutschen Widerstands » in Vierteljahrshefte für Zeitges (...)
68Le terme « Resistenz » est banalisant, même si pour les historiens de la « Alltagsgeschichte » il est conçu dans une perspective de réflexion sur les possibilités de rupture avec la logique d’un système politique.46
- 47 Hans Mommsen. « Thesen auf einem SPD-Forum. Das Geschichtsbild der Wende » in Journal für Geschicht (...)
69Cette nouvelle forme de l’écriture de l’histoire dérange profondément les spécialistes des « sciences sociales historiques » comme Hans-Ulrich Wehler, Hans Mommsen ou Jürgen Kocka. Ils craignent que leur conception de l’écriture de l’histoire n’apparaisse démodée et que ne soit négligé l’idéal de réforme sociale et démocratique de l’Etat. Au niveau politique, face à un risque de débordement comparable, la tactique du parti social-démocrate consiste à tenter de récupérer les mouvements écologico-pacifistes et régio-nalistes en passant sous silence les divergences et en mettant en avant les points communs d’opposition à la droite chrétienne-démocrate. « Mutatis mutandis », en radicalisant ses thèses, en remuant l’épouvantail de « l’histo-risme », du néo-nationalisme et de la réaction « CDU/CSU », on peut se demander si Hans Mommsen ne s’inscrit pas aussi dans cette perspective de tactique politicienne poursuivie ces dernières années par la direction du parti social-démocrate ?47
4. Le poids du passé
- 48 La plupart de ces historiens ne se considéraient pas comme Juifs, ils étaient souvent convertis au (...)
70Les historiens ouest-allemands éprouvent de la difficulté à dompter une histoire impossible à assumer complètement. Beaucoup de controverses sont engendrées par les différents rapports qu’ils ont avec leur passé personnel. L’épuration et la dénazification n’ont touché qu’un nombre très limité d’entre eux. La quasi-totalité des historiens ouest-allemands de l’après-guerre avaient accompli une partie de leur carrière au temps du national-socialisme. Beaucoup ont acclamé les objectifs bellicistes et hégémoniques, quelques-uns ont été contaminés par l’idéologie nationale-socialiste. Les rares historiens de l’après-guerre qui n’ont pas été impliqués par le système de l’idéologie nazie sont des « Juifs »48 ou des résistants nationalistes. Mais eux aussi ressentent le nazisme de manière personnelle, même s’ils l’ont éprouvé d’une autre façon. Les nouvelles générations qui ont accompli leurs études après 1945 sont moins impliquées, mais elles ont aussi vécu certains événements comme l’enrôlement dans les jeunesses hitlériennes, la participation à la guerre, les bombardements anglo-américains, l’arrivée des Soviétiques et l’exil. Les historiens nés après la deuxième guerre mondiale n’ont pas été moins touchés émotionnellement par les récits d’horreur perpétrés par leurs parents, leurs proches ou leur nation. Ils ont été souvent intrigués par le contraste entre l’apparente bonhomie de la société ouest-allemande et le poids d’un passé funeste.
71Il serait hasardeux de définir dans le cas de chaque historien ce qui a pu le conduire à adopter telle ou telle position. Cela relèverait de la psychanalyse. On peut cependant remarquer deux éléments :
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si un historien allemand s’est intéressé au nazisme, c’est qu’il a été directement touché par cette période, qu’il a ressentie au plus profond de son être,
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dans les principales controverses qui ont concerné le nazisme, le facteur personnel a été suggéré, en règle générale par l’adversaire.
- 49 Klaus Schwabe et Rolf Reichardt ont publié en 1984 une sélection de la correspondance privée de Ger (...)
- 50 Ludwig Dehio. « Um den deutschen Militarismus. Bemerkungen zu G. Ritters Buch « Staatskunst und Sta (...)
72Ainsi, si le rappel de ces éléments peut paraître indélicat, cela fait partie « nolens volens » de l’explication des controverses historiographiques en Allemagne fédérale. Dans la querelle qui a opposé Gerhard Ritter à Ludwig Dehio, le premier a laissé entendre que les difficultés qu’avait rencontrées Ludwig Dehio du fait de ses origines juives n’étaient pas étrangères à sa remise en cause du militarisme prussien et à sa conception d’une certaine continuité de l’impérialisme allemand.49 De son côté, Ludwig Dehio a laissé supposer que l’encensement du Prussianisme et du Luthérianisme par Gerhard Ritter provenait de son profond attachement à l’église réformée et à sa passion passée pour la grandeur de l’Etat allemand.50
- 51 Dans une lettre adressée à Fritz Epstein, Gerhard Ritter écrit à propos de Fritz Fischer : « (...) (...)
73Dans les attaques de Gerhard Ritter contre Fritz Fischer, il apparaît clairement que l’historien de Hambourg est soupçonné de vouloir noyer son passé de proche du nazisme en essayant de dresser une continuité de l’expansionnisme allemand, ce qui banaliserait la spécificité du Troisième Reich.51
- 52 Imanuel Geiss. « Die westdeutsche Geschichtsschreibung seit 1945 » in Jahrbuch des Instituts für de (...)
74Imanuel Geiss, un ancien étudiant de Fritz Fischer n’a pas manqué de rappeler les opinions bellicistes et antidémocratiques de Gerhard Ritter jusqu’en 1945.52
- 53 Hans Mommsen a fortement critiqué Gerhard Ritter et « l’historisme » : « La génération, qui a repré (...)
75Des éléments personnels sous-tendent aussi les critiques de Hans et Wolf-gang Mommsen à l’endroit de Gerhard Ritter.53
- 54 Martin Broszat nous a confié qu’un des fils conducteurs de son œuvre a consisté à s’interroger comm (...)
- 55 Wolfgang Schieder est le fils de l’historien Theodor Schieder. Ce dernier a été nommé professeur à (...)
- 56 Klaus Hildebrand n’a pas connu la guerre, n’étant né qu’en 1941. Ses premiers articles témoignent d (...)
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76Dans les querelles entre d’une part Martin Broszat,54 Hans Mommsen et Wolfgang Schieder,55 et, d’autre part, Karl-Dietrich Bracher, Eberhard Jäckel, Klaus Hildebrand,56 et Andreas Hillgruber,57 les allusions personnelles n’ont pas non plus manqué. Les premiers ont reproché sournoisement aux seconds d’avoir été trop sensibilisés émotionnellement, et de mettre en avant le génocide des Juifs et le personnage malfaisant de Hitler de manière exagérée, au lieu d’analyser avec plus de distance les mécanismes historiques. A quoi le second groupe rétorque en reprochant implicitement à Martin Bros-zat, à Hans Mommsen et à Wolfgang Schieder d’être obnubilés par le fait que leur famille ou leurs proches aient été imprégnés par l’idéologie nazie.58
77Ces historiens développeraient depuis lors des théories où les éléments impersonnels sont mis en avant, ce qui leur permettrait d’expliquer la contamination de la société allemande sans avoir à faire le procès de ceux qui se sont laissés subjuguer : ils se déchargeraient par ce biais d’une culpabilité empruntée.
78Répétons-le cependant, ces analyses du « vécu » sont sujettes à caution. Presque aucun élément n’est vérifiable. Les problèmes épistémologiques, scientifiques et déontologiques sont insurmontables. Nous remarquerons donc en conclusion que d’une part, si ces facteurs personnels sont lacunaires et insuffisants pour expliquer certaines controverses, il paraît cependant improbable qu’ils n’aient pas pu jouer un rôle. D’autre part, la prise en compte de ces éléments personnels par l’adversaire éclaire une partie de la radicalisation de certains débats historiographiques allemands.
5. La structure de l’institution universitaire
- 59 Hans Mommsen. « Betrachtungen zur Entwicklungen der neuzeitlichen Historiographie in der Bundesrepu (...)
79Les crises de croissance de l’historiographie ouest-allemande sont aussi liées à l’organisation spécifique de cette corporation. Hans Mommsen et Hans-Ulrich Wehler59 ont soulevé trois points : le mandarinat, la limitation des postes et l’unité de la corporation.
80Le mandarinat. La toute puissance de certains professeurs provient principalement de l’existence d’une thèse d’Etat, (« Habilitationsschrift ») qui enchaîne les nouvelles générations à leurs directeurs de thèse. Pour pouvoir arriver au bout de son cursus, le jeune chercheur est obligé de se livrer à de nombreuses concessions pour être à même de trouver des moyens d’existence dans l’institution universitaire et pour que sa thèse soit bien reçue. Ce facteur structurel est important et il a gêné l’évolution de l’historiographie ouest-allemande dans les années 50. Cela éclaire aussi la brutalité avec laquelle l’histoire socio-économique a dû creuser sa place. On remarquera pourtant que cette rigidité structurelle a fini par favoriser la « nouvelle histoire » allemande, qui, comme la « nouvelle histoire » française a réussi à fonder des bastions bien implantés et institutionnalisés.
- 60 Hans-Ulrich Wehler. « Geschichtswissenschaft heute ». Op. cit., p. 249.
81La limitation des postes. Hans-Ulrich Wehler assure que comparativement à la France, à l’Angleterre et à la République démocratique allemande, le nombre de places de travail est beaucoup plus limité en République fédérale.60 En ajoutant que l’intérêt est surtout concentré sur l’histoire allemande et que les autres régions et cultures sont très négligées, cela implique une très forte pression de chercheurs en quête d’un emploi qui s’intéressent à un même sujet (sensible). Il faut donc se profiler par des thèses extrêmes.
82On remarquera cependant que la plupart des controverses ont été le fait d’historiens déjà consacrés qui n’avaient pas besoin que les projecteurs soient braqués sur eux pour se faire un nom.
83Il reste qu’une forte densité d’historiens sur un même terrain boueux et marécageux rend les cohabitations souvent difficiles et favorise les contagions, d’autant plus que l’atmosphère extérieure est viciée et que les sources nouvelles sont souvent depuis longtemps épuisées.
84L’unité de la corporation et l’abondance des colloques. Contrairement à la France où la plupart des revues appartiennent à une orientation historio-graphique déterminée, celles publiées en Allemagne fédérale comme la His-torische Zeitschrift, les Vierteljahrshefte fur Zeitgeschichte, Geschichte in Wissenschaft und Unterricht et die Neue politische Literatur sont ouvertes à des courants différents et ne dédaignent pas les controverses. De plus, des rencontres pluri-annuelles ente historiens dans des colloques amènent des adversaires à se cotoyer contre leur gré et de jeunes chercheurs tentent quelquefois de s’y faire remarquer.
Conclusion
85En arrière-plan des controverses qui ont secoué l’historiographie allemande, on discerne une réaction à l’inadaptation d’une corporation trop conservatrice politiquement et méthodologiquement.
86Il a fallu le milieu des années 50 pour que la politologie puisse s’introduire grâce à l’approche totalitariste qui était acceptable puisqu’elle donnait une réponse aux interrogations sur le passé et qu’elle valorisait le système politique occidental par son anticommunisme. L’ensemble des sciences sociales ont été intégrées à l’historiographie au moyen de la théorie de la modernisation qui répondait à un besoin de la société industrielle ouest-allemande. La théorie de la modernisation n’a connu un véritable succès qu’à partir de sa récupération par l’historiographie sociale-démocrate issue d’une nouvelle génération. En s’appuyant sur la théorie du « Sonderweg » et du social-impérialisme, une nouvelle vague a pu bénéficier d’une approche aux sciences sociales, aux questionnements contemporains sur l’Etat, le capitalisme, les facteurs sociaux et la paix. Des réponses ont pu être données au passé allemand et des moyens d’action ont été suggérés.
87L’ensemble des controverses et leur acuité ne s’expliquent pas uniquement par le processus qui vient d’être décrit. Il y a eu dans chaque cas un certain nombre de variables qui ont été déterminantes : besoins idéologiques de la société, opinions politiques, poids du passé personnel et structure de l’institution universitaire.
Notes
1 Geoffrey Barraclough. Tendances actuelles de l’histoire Paris. 1980. p. 33.
2 Georg Iggers. New Directions in European Historiography. Middletown Conn., 1975, p. 86.
3 Hans-Ulrich Wehler. Geschichtswissenschaft heute in Jürgen Habermas (éd.). Stichworte zur « geistigen Situation der Zeit ». Frankfurt, 1979, 2e édition, 2e volume ; p. 717.
4 Ibid., p. 717.
5 Hans-Ulrich Wehlen Ibid., p. 717.
6 Rudolf Vierhaus. « Walter Frank und die Geschichtswissenschaft » in Historische Zeitschrift, 207, 1968, p. 619. Helmut Heiber. Waller Frank und sein Reichsinstitut für Geschichte des neuen Deutschlands. Stuttgart, 1966 ; 1274 p.
7 Friedrich Meinecke. Die deutsche Katastrophe. Wiesbaden, 1947, p. 89.
8 Sa prise de position était d’autant plus étonnante qu’il avait lui-même tracé un parallèle en 1936 entre Frédéric II et le spectacle de Potsdam (Hindenburg et Hitler). Gerhard Ritter. Friedrich der Grosse. Heidelberg. 1936; 271 p.
9 Gerhard Ritter. Staatskunst und Kriegshandwerk. Das Problem des « Militarismus » in Deutschland. München, 1959-1968; 4 volumes.
10 Ludwig Dehio. « Um den deutschen Militarismus. Bemerkungen zu Gerhard Ritters Buch « Staatskunst und Staatsräson- das Problem des Militarismus in Deutschland » in Historische Zeitschrift, 180, 1955, pp. 43-64.
11 Helmut Auerbach. « Die Gründung des Instituts für Zeitgeschichte » in Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, 18, 1970. p. 529.
12 Friedrich Domay. Handbuch der deutschen wissenschaftlichen Gesellschaft. Wiesbaden, Steiner, 1964, p. 582.
13 Hans Rothfels, le premier directeur des Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte établit une corrélation très étroite entre avènement du totalitarisme et du nazisme : « La notion d’histoire contemporaine, au sens où les Vierteljahrshefte veulent y contribuer, repose sur l’avis qu’autour des années 1917/18 une nouvelle époque de l’histoire universelle a commencé à se dessiner. Ses racines puisent dans les tendances profondes de la politique impérialiste et de la société industrielle (...). » Pour Hans Rothfels, le principal événement de l’année 1917. ce fut la révolution russe. Hans Rothfels. « Zeitgeschichte als Aufgabe » in Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, I, Januar 1953, p. 6.
14 Walther Hofer. Die Entfesselung des zweiten Weltkrieges. Frankfurt. 1954 ; 518 p.
15 Walter Hofer. Der Nationalsozialismus. Dokumente 1933-1945. Frankfurt. 1957 : 385 p.
16 Entretien avec Walther Hofer. Berne. 5 septembre 1985.
17 Karl-Dietrich Bracher. Die Auflösung der Weimarer Republik. Stuttgart, 1955 ; 754 p.
18 Hans-Ulrich Wehler. « Geschichtswissenschaft heute ». Op. cit., p. 722.
19 Fritz Fischer. Griff nach der Weltmacht. Düsseldorf, 1961; 896 p.
20 Ce n’est pas une coïncidence que les historiens qui ont collaboré étroitement avec le nazisme ou qui lui doivent leur carrière ne se sont que rarement exprimés sur la période de la dictature.
21 Hans-Ulrich Wehler. Bismarck und der Imperialismus. Köln, 1969 ; 382 p.
22 Hans Rosenberg. Grosse Depression und Bismarckzeit. Wirtschaftsablauf, Gesellschaft und Politik in Mitteleuropa. Berlin, Walter de Gruyter, 1967 ; xii 301 p. Première édition en anglais, 1943.
23 Hans-Ulrich Wehler. « Geschichtswissenschaft heute ». Op. cit., p. 739.
24 Le marxisme n’a jamais eu en République fédérale le succès qu’il a connu en France, en Italie et dans certains cercles américains et anglais. Les communistes orthodoxes avaient dû s’exiler s’ils n’avaient pas été assassinés par les nazis, et ceux qui sont rentrés après 1945 ont choisi de préférence la zone d’occupation soviétique. La République de Bonn a interdit le premier parti communiste et a introduit des « Berufsverbot » contre les membres d’organisations extrémistes. De plus la République démocratique allemande a été une sorte de repoussoir et le Parti social-démocrate ouest-allemand a su servir de fonction tribunicienne et d’intégration des forces centrifuges. La forme de marxisme qui a exercé son attrait à la fin des années 60 n’est pas de type orthodoxe : ce sont l’Ecole de Francfort, August Thalheimer. Ernst Bloch, Helmut Plessner, Franz Neumann. Eckart Kehr, Hans Rosenberg et Arthur Rosenberg qui ont eu le plus d’influence sur les historiens ouest-allemands. Leurs ouvrages ont pour la plupart été réédités ou quelquefois traduits dans les années 60.
25 Hans-Ulrich Wehler désigne sa propre méthodologie historique sous le label de « historische Sozialwis-senschaften » que nous traduisons par les « sciences sociales historiques ».
26 Ernest Nolte. Der Faschismus in seiner Epoche. München, 1963; 833 p.
27 Ernst Nolte. Die Krise des liberalen Systems und die faschistischen Bewegungen. München, 1968; 475 p.
28 Ibid.. note I, p. 454.
29 Ernst Nolte. Was ist bürgerlich ? Stuttgart, 1979. p. 95.
30 Ernst Nolte. Deutschland und der kalte Krieg. München, 1974 ; 755 p.
31 Les principaux arguments développés contre Ernst Nolte sont présentés par Lutz Niethammer. « Zeitgeschichte als Notwendigkeit des Unmöglichen ? » in Historische Zeilschrift. 221,1975, pp. 373-389. D’autres controverses tournent autour de l’affirmation de Ernst Nolte que Hitler aurait entrepris la « Solution finale » seulement après que les Juifs lui aient déclaré la guerre et aient projeté de l’anéantir. Ernst Nolte. « Between Myth and Revisionism? » in Hansjoachim Koch. Aspects of the Third Reich. London, 1985, p. 28. Cet article a été salué par Klaus Hildebrand dans un compte-rendu dans Historische Zeitschrift, Band 242. Heft 2. April 1986. p. 466. Jürgen Habermas a répondu à ces affirmations de Ernst Nolte dans un article intitulé « Eine Art Schadensabwicklung. Die apologetischen Tendenzen in der deutschen Zeitgeschichtsschreibung » in die Zeit 29. 11. Juli 1986, p. 40.
32 Andreas Hillgruber et Klaus Hildebrand on été jusqu’à qualifier l’histoire structuro-sociale de doctrinaire marxiste-léniniste, orientée vers un modèle est-allemand. Andreas Hillgruber, Deutsche Geschichte 1945-1982. Stuttgart, 1983, pp. 182-194. Klaus Hildebrand. « Geschichte oder ‘Gesellschaftsgcschichte » ? Die Notwendigkeiten einer politischen Geschichtschreibung von den internationalen Beziehungen » in Historische Zeitschrift, 223, 1976. pp. 329, 335 et 351.
33 Geoff Eley. David Blackbourn. Mythen deutscher Geschichtsschreibung. Frankfurt, 1980; 139 p. Egalement, entretien avec David Blackbourn. Mayence, 5 juin 1985.
34 Martin Broszat. « Plädoyer für eine Historisierung des Nationalsozialismus » in Merkur, 5, 435, Mai 1985; pp. 373-385. Hans-Ulrich Wehler. « Neuromantik und Pseudorealismus in der neuen « Alltagsgeschichte » in Preussen ist wieder chic... Politik und Polemik in zwanzig Essavs. Frankfurt, 1983, pp. 99-106.
35 Thomas Nipperdey. « 1933 and the Continuity of German History » in Hansjoachim Koch (éd.). Aspects of the Third Reich. London. 1985, pp. 489-508.
36 Karl-Georg Faber. Theorie der Geschichtswissenschaft. München, 1974, pp. 183, 193, 194 et 207.
37 Gerhard Lozek. Kritik der bürgerlichen Geschichtsschreibung. Köln, 1973, p. 25.
38 Une panie de la version française est reproduite par Alfred Grosser. L’Allemagne de notre temps. Paris, 1978, p. 26.
39 Werner Berthold. Kritik der bürgerlichen Geschichtsschreibung. Op. cit., p. 105.
40 Ibid p. 105.
41 Günther Rose souligne les phrases de Hans-Ulrich Wehler où celui-ci expose explicitement la fonction politique contemporaine de sa conception de l’histoire. Günther Rose. Modernisierungstheorie und bürgerliche Sozialwissenschaften. Berlin/Ost. 1981. pp. 7-14. 109-113. 115-118. et 122-124.
42 Rolf Badstübner. Kritik der bürgerlichen Geschichtsschreibung. Op. cit., p. 12.
43 Ibid., p. 14.
44 Manfred Weissbecker. « Zur Hitler- Renaissance in der BRD » in Zeitschrift für Geschichtswissenschaft, 22. 1974, pp. 1169-1182. Voir aussi : Manfred Weissbecker. Entleufelung der braunen Barbarei. Zu einigen neueren Tendenzen in der Geschichtsschreibung der BRD über Faschismus und faschistische Führer. Frankfurt, 1975 : 122 p.
45 Ce n’est qu’à partir des années 70 que « l’histoire vue d’en-bas » a commencé à avoir du succès en République fédérale, bien que les méthodes de « la nouvelle histoire » aient été connues depuis les années 50.
46 Mariin Broszat. « Zur Sozialgcschichte des deutschen Widerstands » in Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte. 3. Heft, Juli 1986 ; pp. 293-310. Par exemple, le fait que les Allemands aient accompli leurs tâches traditionnelles avec plus d’assiduité qu’avant le nazisme est interprété comme étant la marque d’une émigration intérieure (« die innere Emigration ») p. 300. On lira également l’intervention de Jürgen Kocka au colloque de l’Institut für Zeitgeschichte. Alltagsgeschichte der NS-Zeit. Neue Perspektive oder Trivialisierung. München. 1984, pp. 51-53. Une synthèse des questions historiographiques posées par la notion de résistance est donnée par Klaus-Jürgen Müller. « La résistance allemande au régime nazi. L’historiographie en République fédérale » in Vingtième siècle, juillet-septembre 1986 ; pp. 91-106.
47 Hans Mommsen. « Thesen auf einem SPD-Forum. Das Geschichtsbild der Wende » in Journal für Geschichte. Mai-Juni 1985, pp. 6-7.
48 La plupart de ces historiens ne se considéraient pas comme Juifs, ils étaient souvent convertis au christianisme ou simplement liés à un conjoint israélite.
49 Klaus Schwabe et Rolf Reichardt ont publié en 1984 une sélection de la correspondance privée de Gerhard Ritter. A propos de Ludwig Dehio. voir la lettre adressée à Werner Maibaum le 16 février 1961. Klaus Schwabe, Rolf Reichardt. Gerhard Ritter. Ein Politischer Historiker in seinen Briefen. Boppard am Rhein. 1984. pp. 544-546. Une biographie de Ludwig Dehio est brossée par Volker Berghahn « Ludwig Dehio » in Hans-Ulrich Wehler (éd.). Deutsche Historiker IV, Göttingen, 1973, pp. 97-114.
50 Ludwig Dehio. « Um den deutschen Militarismus. Bemerkungen zu G. Ritters Buch « Staatskunst und Staatsräson » - das Problem des Militarismus in Deutschland », Op. cit., pp. 43, 45 et 64.
51 Dans une lettre adressée à Fritz Epstein, Gerhard Ritter écrit à propos de Fritz Fischer : « (...) Ce monsieur Fischer, un ancien nazi si vite converti à la démocratie ne peut pas acquérir un véritable jugement « objectif » (qui ne soit pas simplement une apparence), c’est-à-dire un jugement serein qui soit convenablement équilibré. Vous devez bien savoir qu’il a été l’élève du pangermaniste Erich Seeberg, un historien des églises, un suprême nazi des plus pervers, qu’il fut ensuite assistant à l’Institut de Walter Frank et que celui-ci lui a procuré un poste de professeur à Hambourg en 1942. » Klaus Schwabe, Rolf Reichardt. Op. cit. lettre 244 du 15 février 1963, p. 576. Voir également : Helmut Heiber. Walter Frank und sein Reichsinstitut für Geschichte des neuen Deutschland. Stuttgart, 1966. p. 545. Karl-Heinz Janssen. « Historischer Realismus » in Die Zeit. 2 mars 1973, p. 15.
52 Imanuel Geiss. « Die westdeutsche Geschichtsschreibung seit 1945 » in Jahrbuch des Instituts für deutsche Geschichte, 3, Tel Aviv 1974, pp. 417-419, 424 et 432. Imanuel Geiss. Studien über Geschichte und Geschichtswissenschaft. Frankfurt, 1972, pp. 117, 119, 120, 123 et 131. La correspondance privée de Gerhard Ritter confirme qu’il s’est réjoui de la défaite de la France et qu’il a admiré certains talents de Hitler. Dans une lettre du 29 mai 1940. Gerhard Ritter écrit à sa mère : « Il vaut peut-être mieux ne pas trop réfléchir à l’avenir et s’en tenir aux triomphes du présent. Ils sont gigantesques et la performance de Hitler dans la préparation de cette campagne apparaît sous un éclairage vraiment magique ». Klaus Schwabe, Rolf Reichardt. Op. cit., lettre 95, p. 351. L’historien est-allemand, Werner Berthold n’a pas manqué de rappeler certaines phrases de Gerhard Ritter à propos des Français : « (...) A propos de la psychologie de la France moderne. Ce que nos voisins occidentaux doivent maintenant apprendre : pour un peuple qui veut jouer un grand rôle historique, il est d’abord et avant tout nécessaire de souffrir : travailler dur, s’affamer et obéir ». Werner Berthold. « ... grosshimgern und gehorchen ». Berlin/Ost, 1960, p. I. L’attitude de Gerhard Ritter vis-à-vis des Juifs est symptomatique de ses rapports à l’idéologie nazie. D’un côté, il s’élève contre les sévices et les meurtres dont ils sont l’objet (en 1943, il sait que des millions d’entre eux ont été tués) et, d’un autre côté, il propose pour l’après-guerre que les Juifs ne soient considérés dans tous les pays où ils étaient citoyens que comme des étrangers et que ceux qui voudraient retourner en Allemagne ne soient acceptés qu’à condition de ne plus causer de dangers au peuple allemand. Klaus Schwabe, Rolf Reichard. Ibid., pp. 773-774.
53 Hans Mommsen a fortement critiqué Gerhard Ritter et « l’historisme » : « La génération, qui a représenté l’historiographie allemande dans la première décennie de la République fédérale (...) reste empreinte d’une aspiration à une apologie nationale prudente qui s’est aussi abattue sur la recherche ». Hans Mommsen. « Betrachtungen zur Entwicklung der neuzeitlichen Historiographie in der Bundesrepublik ». Op. cit., p. 131. En arrière-fond des querelles entre Hans Mommsen, Wolfgang Mommsen et « l’historisme », apparaît la question de l’attitude nazie de leur père Wilhelm. Ce dernier, bien qu’ayant été un démocrate pendant la République Weimar, a adhéré au parti nazi en... 1944. Dans une conférence tenue à Marburg et organisée conjointement avec la Wehrmacht, Wilhelm Mommsen avait justifié la politique expansionniste de Hitler. Wilhelm Mommsen. « Politik und Kriegsführung » in Marburger Universitätsreden, Marburg, 1940, p. 30. Wilhelm Mommsen fut radié du corps enseignant en 1945. Le 23 novembre de cette même année, il s’est adressé à Gerhard Ritter pour lui demander d’intercéder en sa faveur auprès des autorités d’occupation. Dans sa réponse, Gerhard Ritter se montre intransigeant : « Si c’était vrai, comme vous l’écrivez, que vous avez dû adhérer au Parti pour pouvoir continuer à publier, moi, j’aurais précisément préféré cesser de publier en 1941 plutôt que de trahir ma conscience. D’autant que pour moi, dès le premier jour de la guerre, il n’y avait plus de doute que cette folie finirait dans une catastrophe en politique étrangère. Nous, historiens de l’époque contemporaine devions le savoir, et pour nous il n’y avait pas d’alibi. (...) Epargnez-moi aussi s.v.p. l’envoi de quelques pages tracassières, (...) qui ne veulent rien dire et qui ne pourraient pas non plus vous aider ». Klaus Schwabe, Rolf Reichardt. Op. cit., lettre 130 à Wilhelm Mommsen du 21 décembre 1945, pp. 406-407. Hans Mommsen analyse ces événements différemment : « (...) Les quelques démocrates parmi les historiens allemands de l’époque de Weimar qui sont restés en Allemagne et qui ont été forcés plus ou moins fortement à s’adapter n’ont pu ni surmonter la dénazification ni retrouver une situation dans la branche ». Hans Mommsen. « Betrachtungen zur Entwicklung der neuzeitlichen Historiographie in der Bundesrepublik ». Op. cit.. p. 130. Wolfgang Mommsen prétend comme son frère que ce seraient les historiens démocrates qui auraient été les victimes injustes de la dénazification. Wolfgang Mommsen. « Gegenwärtige Tendenzen in der Gechichtsschreibung der Bundesrepublik » in Geschichte und Gesellschaft, 3/4, 1981, note 5, p. 152.
54 Martin Broszat nous a confié qu’un des fils conducteurs de son œuvre a consisté à s’interroger comment il a été possible que tant de ses proches, bourgeois et chrétiens, aient pu sombrer dans la foi nationale-socialiste. Martin Broszat nous a assuré que sa famille n’a jamais été tentée par le national-socialisme et que lui-même n’a jamais été imprégné par le nazisme, malgré les quelques mois de 1945 où il a été chargé de l’endoctrinement politique à l’armée allemande. Entretien, Munich, 12 août 1985.
55 Wolfgang Schieder est le fils de l’historien Theodor Schieder. Ce dernier a été nommé professeur à Königsberg en 1942. Theodor Schieder a publié un nombre impressionnant d’ouvrages et d’articles. Parmi ceux-ci, on mentionnera : « Faschismus und Imperium » in Michael Seidlmayer. Geschichte des italienischen Volkes und Staates (Die grosse Weltgeschichte, Volume 9), Leipzig 1940, pp. 467-503. Egalement, « Die Bismarkische Reichsgründung von 1970/71 als gesamtdeutsches Ereignis » in Kurt von Raumer, Theodor Schieder. Stufen und Wandlungen der deutschen Einheit. Karl Alexander von Müller gewidmet, Stuttgart, 1943, pp. 342-401. Il y a par exemple des propos très durs contre la Suisse, qui, en 1943, auraient pu servir de légitimation idéologique à l’occupation de ce pays. Pp. 373-382. Hans-Ulrich Wehler, un ancien étudiant de Theodor Schieder. comme Martin Broszat et Wolfgang Mommsen, souligne dans un article nécrologique les ambiguïtés de Theodor Schieder au temps du nazisme, entre autres les appuis qu’il a eus de Karl Alexander von Müller et le fait qu’il ait occupé la chaire de Hans Rothfels à Königsberg. « Nachruf auf Theodor Schieder » in Geschichte und Gesellschaft, 1985, Heft 1, pp. 144 et 152.
56 Klaus Hildebrand n’a pas connu la guerre, n’étant né qu’en 1941. Ses premiers articles témoignent de l’influence qu’il a reçue de la théorie du totalitarisme. Mais son inspiration la plus profonde lui est venue de son maître Andreas Hillgruber. Plus que ce dernier, Klaus Hildebrand est monté en première ligne pour combattre les thèses de Hans Mommsen ou de Hans-Ulrich Wehler. Klaus Hildebrand appartient à des cercles d’intellectuels proches du parti chrétien-démocrate.
57 Andreas Hillgruber se définit lui-même comme un conservateur libéral. Il est né en 1925 en Prusse-orientale. Il est entré dans l’armée en 1943 et fut d’abord sous-officier dans un département d’information au sein d’une division d’infanterie. De 1945 à 1948. il fut prisonnier de guerre. Andreas Hillgruber a subi une grande influence de Hans-Günther Seraphim au début des années 50. Ce dernier, passablement compromis avec le nazisme, avait séquestré une grande partie du matériel du procès de Nuremberg. Pour pouvoir avoir accès à ces archives dans le années 50. de jeunes chercheurs comme Andreas Hillgruber ou Hans-Adolf Jacobsen durent subir ses conceptions révisionnistes. Ainsi, Andreas Hillgruber a publié un article en 1954 avec Hans-Günther Seraphim qui visait à prouver que l’attaque allemande contre l’Union Soviétique était en fait une guerre préventive : « Hitlers Entsehluss zum Angriff auf Russland » in Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, Heft 2, April 1954 ; pp. 240-254. (Cet article était une polémique contre les conceptions de Gerhard Weinberg).
58 Les articles de Hans Mommsen « Nationalsozialismus oder Hitlerismus ? » et Klaus Hildebrand intitulé également « Nationalsozialismus oder Hitlerismus ? » résument ces opinions avec passablement de polémiques. Voir Michael Bosch (éd). Persönlichkeit und Struktur in der Geschichte. Düsseldorf, 1977. pp. 55-71.
59 Hans Mommsen. « Betrachtungen zur Entwicklungen der neuzeitlichen Historiographie in der Bundesrepublik » in Géza Alföldy. Ferdinand Scibt. Albrecht Timm (éd.) Problem der Geschichtswissenschaft. Düsseldorf, 1973, pp. 135, 147 et 155. Hans-Ulrich Wehler. « Geschichtswissenschaft heute ». Op. cit., pp. 725, 739-741 et 751.
60 Hans-Ulrich Wehler. « Geschichtswissenschaft heute ». Op. cit., p. 249.
© Graduate Institute Publications, 1987