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Le savoir et le faire

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Pierre Bungener

Mort et résurrection d'une expérience de transformation

Chapitre IV. Questions de méthode

Christian Lalive D’Epinay

Texte intégral

Evaluation et sociologie

1Pour un sociologue qui se conçoit d’abord comme un chercheur, une mission d’évaluation pose quelques problèmes.

2Le premier pourrait être coiffé du chapeau suivant : l’action d’évaluation est-elle (compatible avec) un acte sociologique ? La question est trop vaste : n’est-ce pas celle de la relation entre science et politique ? On ne peut aspirer qu’à poser quelques jalons.

  • 59 Et ainsi qu’on va le voir, comme les théoriciens de l’évaluation appartenant aux organisations inte (...)

3Au point de départ, que l’on s’efforce comme Weber59 de séparer le plus clairement le champ du social de celui du politique, un lien n’en subsiste pas moins, celui de la question posée et le fait que cette question relève toujours d’un choix. Qu’à l’autre extrême l’on souligne l’unité des deux champs dans la praxis, on n’en parlera pas moins de leur « autonomie relative », qu’illustrent si clairement ces mouvements de retraite d’un Marx ou d’un Lénine, s’enfouissant durant des semaines durant dans des bibliothèques.

4Rompons-là ce débat qui, sous apparence de préoccupation concrète d’« engagement » porte couleur de pédanterie de bistrot... D’ailleurs ce n’est pas à ce niveau que se rencontrent les difficultés réelles. Pas plus qu’à celui de savoir si un « projet de développement » constitue un objet sociologique : la détection des régulations des changements sociaux et « sociétaux » est l’un des grands objectifs de la science sociale, et l’étude des groupes humains et institutions qui s’efforcent de provoquer et de baliser le changement n’en est que plus instructive puisqu’elle construit ainsi un cadre quasi expérimental en s’inspirant (du moins en principe) d’un certain savoir tiré des sciences de l’homme.

5L’évaluation, et voilà un point qui me paraît théoriquement crucial, peut donc être conçue comme partie d’un acte scientifique d’expérimentation sociologique, comme son contrôle, la mesure de ses processus et de ses résultats. Paradoxalement, on observera que c’est au moment où la sociologie devient le plus politique — à savoir qu’elle s’engage le plus dans l’organisation et l’aménagement des (micro ou macro) sociétés — qu’elle s’apparente le plus à la démarche expérimentale donc à la principale des procédures scientifiques (Piaget).

  • 60 Ce « quasi-expérimental » vise à bien marquer l’écart entre l’expérimentation en science physique, (...)

6Mais c’est ici que les choses commencent à faire problème. Pour que les « projets de développement » constituent un cadre quasi-expérimental60, il faudrait que leur conception inclue d’entrée de jeu l’appareillage idoine d’évaluation. Ce qui n’est actuellement jamais le cas.

7Pour en revenir à cette étude, on m’a sollicité à un moment-charnière du déroulement du projet ; les circonstances ont voulu que je dispose d’un mois sur le terrain et ce n’est certes pas ainsi que j’aurais construit un plan d’étude de l’expérience si j’y avais été associé dès l’origine.

  • 61 Elles se distingueraient presqu’exclusivement par les produits qu’on en tirerait, certains destinés (...)

8Dans la pratique, l’acte sociologique et l’action d’évaluation seraient presque identiques61 si l’on passait de l’évaluation finale ou l’évaluation circonstancielle — deux formes les plus généralement pratiquées — à l’évaluation permanente, formule qui rejoint l’étude longitudinale.

9Ainsi, et voilà un deuxième constat — si j’ai d’abord conclu que l’évaluation est, par nature même, un acte sociologique, je dois admettre maintenant qu’elle s’en écarte par ses conditionnements concrets, qui ne permettent pas encore de l’élaborer selon les canons qui président à la mise sur pied d’une recherche. Cela est d’ailleurs tout aussi dommageable à l’intérêt des « utilisateurs » qu’à celui de la science.

  • 62 Cf. la Revue Internationale de Sciences sociales, en particulier le no XXII, 2, 1970, l’article de (...)

10L’évaluation, telle qu’elle est conçue ici, s’écarte largement de la recherche opérationnelle62 qui, en bref, se donne pour tâche d’établir l’écart entre l’objectif initial du projet et ce qui a été accompli. En ceci la recherche opérationnelle est wébérienne, puisqu’elle écarte de son champ l’étude en soi des objectifs.

  • 63 Après une longue lutte contre un courant dominant pour lequel il existait Une science Du développem (...)

11Mais c’est ici qu’une fois encore l’évaluation, comme acte sociologique, et le politique, comme entreprise d’aménagement, de transformation et de gestion, se croisent et s’entrelacent. La construction d’un « projet de développement », donc d’une quasi-expérimentation sociologique, est un acte politique et elle peut être un acte scientifique. Elle peut s’épargner d’être le second, mais non pas d’éviter d’être le premier. Plus largement, toute la sociologie du développement (je préfère parler de la sociologie des développements ou même des transformations projetées) suppose des choix, des valeurs, puisqu’elles accompagnent et souvent suggèrent des projets humains et sociaux63.

  • 64 Toute construction, à titre d’hypothèse ou non, de modèle, implique choix et valeurs. Cf. à ce prop (...)

12Pour ma part, plus généralement je pense que la démarche scientifique repose toujours sur des valeurs, et que la déontologie du métier consiste non pas à nier ce fait, mais à énoncer clairement ces valeurs64.

Evaluation et sociologie de la crise

13Ainsi, la rigueur de l’évaluation comme acte scientifique souffre avant tout de la conception trop étriquée qu’ont les « utilisateurs » de la place de l’évaluation dans un projet de transformation sociale. Et cela se traduit essentiellement en termes d’un espace temporel disponible insuffisant pour que l’étude monographique de « cas » puisse s’accomplir d’abord selon les règles de la. méthode socio-graphique.

14Dans l’étude du « projet de Paltay », un accident, — un événement — qui intervient après que j’aie accepté le mandat, mais avant mon départ, bouleverse à la fois la vie du village et les conditions de mon intervention.

15Mais si elle jette les stratégies de recherche que je pensais adopter, elle m’apparaît immédiatement présenter un double intérêt.

16D’abord parce qu’une situation de crise est analogue — mutatis mutandis — à une situation d’expérimentation de laboratoire. La différence est que dans le premier cas, ce n’est pas le chercheur, mais les circonstances concrètes qui introduisent les « ingrédients » nouveaux, donc que le chercheur n’en a le contrôle ni du point de vue théorique (l’expérimentation ne découle pas d’un plan de recherche), ni du point de vue pratique. De plus, le chercheur devant saisir l’événement ou du moins ses conséquences, il n’a pas été à même de préparer un appareillage d’observation comparable à celui dont dispose un laboratoire.

17Mais regardons la caractéristique de cette crise-expérimentation. II se trouve qu’elle crée, de façon dramatique et exorbitée, une situation qui correspond, mais elle aussi avec une exagération puissante et des déformations menaçantes, à ce qui devrait être, dans un avenir proche, la situation de la communauté.

  • 65 Par exemple présence discrète et plus distante — à Lima — d’un représentant de « l’organisation » ; (...)

18La question pratique posée à l’évaluateur par « l’organisation » est celle de la viabilité de la communauté et de son projet coopératif, au terme du processus de dégagement de « l’organisation » et de la passation de pouvoir et après avoir dressé certains garde-fous65. Or voilà que l’événement crée l’autonomie de la communauté, dans un contexte menaçant : « l’organisation » disparaît, les animateurs sont physiquement partis, ORDEZA qui jusqu’ici appuyait l’entreprise ne veut plus y être mêlée, les adversaires locaux de la communauté attendent que celle-ci se dissolve. Des menaces, des rumeurs se répandent (incendier les bâtiments, se répartir biens et bétail).

19Ainsi la communauté — qui ne peut même pas puiser dans ses économies, bloquées en banque — accède à l’autonomie mais à une autonomie-abandon. Elle est seule et ne peut puiser qu’en elle-même les ressources de sa survie. Et cette situation s’étendra sur presque trois mois, période trop longue pour n’organiser qu’une défense passive.

  • 66 Mais pas la prédiction conditionnelle du type : la communauté est viable, aux conditions suivantes. (...)

20La question qui m’était posée est une question ardue puisqu’elle appelle une prédiction — et la capacité prédictive est l’idéal de toute discipline qui aspire au statut scientifique —, mais une prédiction singulière concernant un phénomène unique, ce qui interdit le recours au calcul des probabilités66.

21Or la crise provoque une expérience, un test que l’on peut qualifier de période probatoire. En bref, et pour simplifier, le seul constat de la manière dont la communauté avait affronté ce trimestre d’abandon permettait de répondre dans les termes les plus simples (oui non) à la question posée à l’évaluateur : « dans quelle mesure la communauté peut-elle s’assumer ? » Si l’on récapitule, on constate :

22que la communauté a su se protéger des menaces, en organisant sa défense physique ;

23que son tissu humain a tenu (très peu d’abandons) ;

  • 67 Comme le montre l’exemple de la rôtisserie.

24qu’une fois que les dangers les plus immédiats s’estompaient, elle a non seulement repris, mais développé ses tâches productives, apportant même des idées nouvelles, et les réalisant67 ;

25qu’elle a su rétablir son réseau de relations avec l’environnement, non seulement celles qui sont indispensables à sa survie, mais aussi des relations en vue de projets nouveaux ; par exemple convaincre les ingénieurs d’« Energie et Mines » d’avancer leur programme d’électrification et entraîner le village (donc le groupe adverse) dans cette aventure ;

26que la communauté a assumé le plan de production établi avec l’équipe d’animation (à une ou deux bavures près), mais, ce qui est plus important, la philosophie du projet visant à un coopérativisme ouvert et autogéré.

27Le seul élément négatif porte sur la reprise des démarches pour l’obtention du statut légal. Non que la communauté n’ait pas cherché à ré-entamer la procédure ; elle l’a fait, — ce qui de sa part est énorme — mais elle s’est heurtée à un refus d’entrée en matière.

28Il fallait ici l’intervention d’un délégué de « l’organisation » pour remettre en marche la procédure administrative.

29Dès lors, le travail de l’évaluateur pouvait aller au-delà de la question à laquelle la communauté avait répondu dans les faits, pour analyser avec celle-ci les difficultés qui se posaient à elle et examiner les solutions possibles.

  • 68 On se référera plus pertinemment à La Rumeur d’Orléans (Paris, Seuil, 1969) et Communications (18, (...)
  • 69 Ibid.

30Le deuxième intérêt de l’intervention de « l’événement-crise » est qu’il renvoyait aux travaux d’E. Morin et son équipe68 qui, prenant le contrepied des théories-où l’événement apparaît comme le résidu irrationnel d’un univers de régularités, y voient tant un concept central d’une théorie basée sur le lieu dialectique (et non la coupure dualiste) entre événement et système qu’un levier méthodologique puissant pour l’étude des phénomènes sociaux, justement parce que l’événement place le système sous les feux d’un projecteur survolté69.

  • 70 Qui s’élabore dans Le Paradigme perdu, où Morin annonce un second volet méthodologique.

31Voilà une occasion de vérifier par un cas concret l’exactitude d’au moins certains des éléments de ce bouillonnement d’idées qu’est tout écrit de Morin. Faut-il préciser — puisque la nature de la communauté observée l’implique — que je laisserai de côté les indications que Morin dégage de ses observations en vue de l’élaboration d’une cosmo-socio-anthropologie générale70, pour nous cantonner au champ sociologique.

32Morin distingue selon leur origine trois types d’événements, que l’on retrouve tous dans l’histoire de Paltay.

33L’événement-source autre que la vie sociale. Le cataclysme de 1970 en est un cas extrême, tant par son imprévisibilité (double : le tremblement de terre et, à sa suite, la rupture de la falaise). Cet événement naturel est le point de départ de l’histoire moderne du callejón de Huaylas en centrant la préoccupation nationale et internationale sur cette vallée traditionnellement en marge même à l’époque incaïque. Cela m’amène au second type.

34L’événement social externe, qui résulte d’une rencontre, de l’intervention d’acteurs et/ou de phénomènes sociaux externes à la (micro) société en question. Le séisme cause un tel événement, en attirant l’attention sur la région et provoquant l’intervention nationale et internationale. L’histoire du callejón de Huaylas prend un cours nouveau.

35L’événement social interne, qui explose au sein de la (micro) société considérée et résulte de l’exacerbation de tensions, de « contradictions » dans le système social qui, malgré sa tendance à l’équilibration et à l’intégration structurales, ne parvient que rarement à cette « unidimensionalité » propre à la structure idéale. L’accident de juin 1974 qui affecte Paltay relève typiquement de cet ordre d’événement. Ici encore, le lien entre événement et histoire est évident.

36L’événement devient événement-crise en ceci que son impact sur la micro-société conteste les principes d’équilibration et de structuration. L’événement, par sa nature imprévisible, s’associe toujours à la notion de désordre. Il provoque la crise quand il réalise ce désordre là où il intervient.

37Mais l’événement est-il bien défini par la notion d’imprévisibilité ?

38A. Moles, dans le numéro signalé de la revue Communications (18, 1972) propose une définition qui commence ainsi :

39« Nous appellerons « événements » des types de variations perceptibles d’un environnement qui n’ont pas été prévues par l’occupant du centre de cet environnement ».

40Cette approche souffre évidemment de se situer dans l’optique de la psychologie. Elle exclut par définition — c’est le cas de le dire ! — la possibilité d’événements du troisième type, découlant de tensions internes au phénomène étudié, donc d’un processus endogène, puisque selon Moles l’événement est « centripète ».

  • 71 Un peu plus bas, A. Moles nuance implicitement sa définition en proposant une classification des év (...)

41Mais c’est un autre aspect de cette citation que j’aimerais discuter. L’événement y est présenté comme imprévu par les personnes qu’il affecte71.

42Première remarque : on peut être d’accord si l’on situe l’événement dans un hic et nunc mesuré selon un fort grossissement. Par exemple les Chiliens, en août 1973, ne prévoyaient pas le coup d’Etat pour le 13 septembre. Mais tout le monde en parlait. Autre exemple : la « crise » dont tout le monde parle, si demain elle connaît une brutale accélération, ne pourra pas être qualifiée d’imprévue.

43L’événement ne me paraît être imprévu — au sens de ce qu’on n’imagine même pas — que dans des cas limites : par exemple la rencontre entre Christophe Colomb et les Indiens des Caraïbes est totalement imprévisible pour ces derniers, mais pas pour Colomb qui était prêt à rencontrer, sinon le hic des Caraïbes, du moins des hommes (il détenait de nombreuses lettres d’introduction), voire même des anges (dans l’hypothèse où il retrouverait le paradis, il avait choisi un chapelain qui maîtrisait la langue divine : l’hébreu).

44C’est moins l’imprévu qui caractérise l’événement que le fait que les hommes concernés se sont sentis incapables d’enrayer son avènement et d’en anticiper l’impact. Que le territoire du Pérou soit volcanique, l’expérience séculaire l’a enseigné. Mais le tremblement de terre y est vécu comme une fatalité, ce qui est tout autre chose qu’un imprévu.

45La crise de juin 1974 n’est imprévisible que dans son hic et nunc, et son nunc en fut particulièrement rageant pour les membres de la communauté puisque l’accident intervient au seuil d’un acte (la reconnaissance juridique) qui, une fois commis, aurait justement désamorcé de tels événements. Mais l’analyse des clivages sociaux que j’ai proposée plus haut, ainsi que tout un ensemble de petits faits, de menus événements de la vie quotidienne, faisait de ce type d’accident un risque permanent et parfaitement connu des socios de Paltay.

  • 72 Rumeur d’Orléans, op. cité, p. 224.

46On progressera dans le débat si l’on observe que le lien entre événement et imprévu ou accident s’opère dans les textes à deux niveaux très différents. Pour Moles, on l’a vu, l’événement est imprévu du point de vue des acteurs concernés. Morin, lui, s’en prend à tout autre chose : à un courant philosophico-scientifique qui part d’une prémisse dualiste opposant l’univers du contingent-hasard-histoire à celui du déterminisme-nécessité-structure. Le premier serait cette sphère obscure et obscurantiste de la perturbation aberrante dont il s’agit de s’écarter pour concevoir la vraie réalité sociale qui tient de la répétition, de la régularité, voire de la structure »72.

  • 73 Communications, op. cité, p. 5.

47La grande idée (mais pas nouvelle en soi) d’une science de l’événement — et il faut bien voir qu’il ne s’agit pas d’une intuition brillante seulement mais d’une idée testable, dont découlent une méthodologie et une stratégie de recherche — consiste à refuser ce dualisme pour démontrer les implications réciproques de ces deux pôles. « La relation système-événement devient le problème central »73.

48Cette perspective permet à la science sociale de renouer avec la prétention de prédiction — même si la prédiction reste balbutiante, et se situera dans l’ordre du possible et non pas celui du nécessaire. La prédiction peut s’opérer dans les deux sens de la relation.

49Le premier n’a guère été développé par Morin : il s’agit de l’idée que la connaissance du système rend prévisibles les événements du troisième type (social endo-génétique) et, complétée par la connaissance des écosystèmes, également, dans une large mesure, ceux des deux premiers types (exo-génétique). Le second sens de la relation pose la possibilité de la prédiction de l’histoire des systèmes, donc de leurs mouvements, à partir d’événements-crise ; c’est avant tout cet aspect qui a retenu l’attention de Morin dans sa recherche d’une science du devenir. Examinons, pour conclure ce volet, les conséquences méthodologiques qu’en tire Morin.

  • 74 Rumeurs d’Orléans, op. cité, p. 224.

50L’événement-information : « L’événement doit être conçu... comme une information, c’est-à-dire un élément nouveau qui fait irruption aussi bien dans le système social que le système mental du sociologue »74.

51Cette information se spécifie doublement :

  • 75 Ibid., p. 227.

52comme « révélateur signifiant de réalités (systèmes ou processus) latentes ou souterraines »75 allusion à Freud ;

  • 76 Ibid., p. 227.

53comme « révélateur signifiant de réalités conflictuelles qui jouent un rôle vital ou mortel au sein des sociétés »76 : allusion à Marx.

54La crise provoque l’émergence d’un ensemble d’informations parce qu’elle « déclenche une problématisation, c’est-à-dire la mise en problème des secteurs touchés par la crise, de ce qui semble auparavant, évident et naturel ».

  • 77 Ibid., p. 227.

55L’information découle donc de la perturbation. « La crise, dans son sens médical originel, est la perturbation qui permet le diagnostic. La crise, donnée fondamentale en physiologie et en psychologie, doit être à nos yeux une donnée fondamentale pour une anthropo-sociologie clinique »77.

  • 78 Rumeur d'Orléans, op. cité, p. 224

56Mais au-delà de l’accès à une sociologie clinique, il y a l’opportunité de saisir, in acto, le changement. Comme « test » actif sur le système, l’événement « permet d’aborder le problème phénoménologiquement et théoriquement primordial pour la science de toute société... : le changement »78 mais aussi la « résistance au changement ».

57Il suffit de reprendre les chapitres antérieurs pour que ces affirmations qui passèrent pour surprenantes, voire saugrenues, deviennent, dirons-nous, évidentes. Dès lors on pourrait imaginer une science sociale du changement qui se greffe sur une pratique de changement, puisque cette pratique injecte de façon permanente des « événements-tests » dans le système et offre ainsi à la science un cadre unique d’observation, mais acquiert du même coup une capacité réflexive et analytique d’un tout autre niveau. L’itinéraire s’achève puisqu’on débouche, à ce stade, sur les observations que nous avons émises au début de ce chapitre.

Notes

59 Et ainsi qu’on va le voir, comme les théoriciens de l’évaluation appartenant aux organisations internationales.

60 Ce « quasi-expérimental » vise à bien marquer l’écart entre l’expérimentation en science physique, chimique, etc., et celle à laquelle on peut aspirer en sciences sociales dès que l’on dépasse le cadre du très petit groupe.

61 Elles se distingueraient presqu’exclusivement par les produits qu’on en tirerait, certains destinés aux « utilisateurs », d’autres à la « communauté scientifique ». Mais ici encore, la distinction tiendrait moins dans ce qui se dit, que dans la manière de le dire. En effet, le constat par exemple d’un processus plus stable doit être communiqué tout autant aux « utilisateurs » qu’aux chercheurs.

62 Cf. la Revue Internationale de Sciences sociales, en particulier le no XXII, 2, 1970, l’article de A. B. Cherus.

63 Après une longue lutte contre un courant dominant pour lequel il existait Une science Du développement, on commence à admettre aujourd’hui que cet évolutionnisme optimiste n’a pas cours et qu’il faut plutôt parler d’une science des projets collectifs de transformation sociétale. Cf. par exemple l'article presque auto critique de S. N. Eisenstadt, « Varieties of Political Development : The Theoretical Challenge ». (S. N. Eisenstadt and S. Rokkan : Building States a. Nations, Sage Public, Cal., 1973, tome 1).

64 Toute construction, à titre d’hypothèse ou non, de modèle, implique choix et valeurs. Cf. à ce propos l’enseignement donné par P. de Laubier à l’Université de Genève (1974-75) sur Aristote, Marx et la sociologie. Voir aussi, de J. Galtung, « A structural theory of imperialism » (Journal of Peace Research, 1971-72, p. 83).

65 Par exemple présence discrète et plus distante — à Lima — d’un représentant de « l’organisation » ; appoint financier ponctuel ; cadre juridique éclairci.

66 Mais pas la prédiction conditionnelle du type : la communauté est viable, aux conditions suivantes...

67 Comme le montre l’exemple de la rôtisserie.

68 On se référera plus pertinemment à La Rumeur d’Orléans (Paris, Seuil, 1969) et Communications (18, 1972, no spécial intitulé « L’événement »).

69 Ibid.

70 Qui s’élabore dans Le Paradigme perdu, où Morin annonce un second volet méthodologique.

71 Un peu plus bas, A. Moles nuance implicitement sa définition en proposant une classification des événements en fonction de leur degré d’imprévisibilité.

72 Rumeur d’Orléans, op. cité, p. 224.

73 Communications, op. cité, p. 5.

74 Rumeurs d’Orléans, op. cité, p. 224.

75 Ibid., p. 227.

76 Ibid., p. 227.

77 Ibid., p. 227.

78 Rumeur d'Orléans, op. cité, p. 224

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