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L’homme inachevé

 | 
Yvonne Preiswerk
, 
Jacques Vallet

Avant-propos

Texte intégral

1A quelles sagesses, à quels accomplissements sommes-nous arrivés en cette fin de siècle ? Force est de constater que ni au Nord, ni au Sud, encore moins dans la relation qui lie les deux hémisphères, les faits ne se donnent à vivre avec sérénité et contentement. Des millions d’années ont tissé des liens entre l’Homme, la Nature et la Culture ; d’archaïques, les savoirs ont acquis la finesse élaborée de l’« intelligence » scientifique ; les hommes ont tenté de maîtriser peu à peu leur environnement ; ils se sont rendus responsables de la totalité du monde... Mais voilà ! Malgré des technologies avancées, malgré des velléités de paix, d’entraide et malgré l’extraordinaire richesse que devrait apporter la diversité des peuples et des cultures, nous sommes dans l’impasse totale de l’absurde désordre du monde : la faim, le racisme, l’inégalité, les pollutions, les bombes à retardement de toutes sortes qui meurtrissent autant nos corps que nos esprits et qui hypothèquent la qualité de vie des générations futures.

2Pourtant, tout serait possible pour demain si aujourd’hui nous mettions à l’œuvre les virtualités novatrices, créatrices, imaginatives qui sortiraient l’homme de la tragédie qu’il se surprend lui-même à dénoncer sans cesse. Les malaises, les incohérences, les peurs de nous autres cinq milliards d’hommes nous poussent, au carrefour des temps et des idées, à nous remettre en question dès maintenant.

3Allons-nous, comme le dit Albert Jacquard, mourir tous ensemble comme des idiots pour avoir laissé faire et pour avoir trop longtemps succombé à nos funestes passions pour la puissance et le pouvoir ? A rêver d’un monde meilleur, on finit par croire qu’il est à notre portée. Le « nouvel ordre de l’humanité » ne peut naître que d’une analyse lucide de ce que nous avons fait jusqu’ici et de ce qu’il est possible d’envisager pour demain. A cette lucidité, ajoutons l’imagination qui seule permettra de nous repenser et de nous re-créer autrement. En abandonnant la démesure, notre devenir peut être à notre mesure.

4Il y a un an, le Département d’anthropologie de l’Université de Genève proposait un colloque interdisciplinaire à partir de la réflexion d’Albert Jacquard sur « Inventer l’homme ».

5Puisqu’il s’agissait d’y aborder l’homme et les hommes sur la terre, donc également les problèmes du développement, de la démographie et des relations du Nord et du Sud, notre Institut s’est voulu complice d’une telle démarche qui aboutit au présent Cahier. Difficile défi pourtant que d’associer des chercheurs et des praticiens issus de disciplines aussi cloisonnées que la génétique, l’économie, la théologie, la démographie, la psychologie... On aurait pu penser que parler des hommes dans leurs réalités d’aujourd’hui et leurs possibles de demain permette la simplicité des concepts, des langages, des idées... Or, si la motivation était partagée par tous, l’élaboration de notre Cahier autour des thèmes abordés s’est avérée une périlleuse mais passionnante entreprise. Ainsi, nous nous sommes heurtés d’emblée à d’évidentes incompréhensions. Lorsque, ici, le généticien parle de l’homme et de l’univers, les sciences humaines nient l’homme au profit des hommes et les replacent dans la Biosphère ; lorsque la dynamique démographique montre la Terre vue d’« en-haut », les hommes y sont présents comme interaction enrichissante de leurs diversités et non comme des races, des entités distinctes et antagonistes, préoccupées par leur propre survie ; lorsque l’on parle de transcendance, quand faut-il l’écrire avec « t » majuscule ? Pour les uns, le chaos et la catastrophe sont synonymes d’entropie, pour les autres de complexification salutaire... Ainsi, au cours des mots, des mots surtout, naissaient de nouveaux éclairages sur des intelligences mutilées ou mal comprises et ce sont ces modestes cheminements que nous souhaitons transmettre au lecteur.

6Le présent Cahier s’articule en trois parties sur une problématique centrale que nous donne Albert Jacquard et qui sert de fil conducteur. Pour penser demain, il s’agit d’explorer les possibles de l’homme et des hommes à travers les espaces de liberté de l’individu et l’interdépendance des peuples. Chaque partie débute par une réflexion engendrée par les textes qui la composent. Ces présentations, élaborées par Claudine Sauvain-Dugerdil, prolongent le débat et lui donnent des ouvertures et des nouvelles pistes de recherche.

7La première partie La re-source de l’homme : abstraction ou réalité ? met en lumière ce qu’est l’homme dans la biosphère et ce qu’il peut découvrir en lui-même : à la fois animal parmi d’autres, mais seul a être doté du pouvoir fabuleux de faire des projets. La conscience de sa re-source devrait lui permettre de faire des choix de vie, de se prendre en charge, d’exploiter des potentialités inemployées pour le bien de l’humanité tout entière.

8La deuxième partie Les possibles de l’individu explore les espaces de liberté de l’individu. Il est partie d’un milieu, d’une totalité avec laquelle il tisse un réseau, et l’infinie combinatoire de ses interrelations complexes, lui donne les moyens de participer à sa propre construction. Que ce soit au niveau de la conformation et de la structuration du cerveau, du système de relations qu’il élabore pour vivre en société ou encore de la spiritualité qui répond à certaines de ses angoisses, l’individu peut co-naître, imaginer et inventer son devenir.

9La dernière partie Quelle dynamique pour l’humanité rend compte de l’évidence qu’il n’y a de vie possible que dans l’interdépendance des groupes sociaux et des peuples. Les démographies galopantes ou récessives, les cultures ancestrales ou de peu de mémoire, le Nord ou le Sud sont les acteurs des grands bouleversements de l’humanité. Terriens, nous avons à déterminer ensemble notre destin collectif et à inventer de nouvelles formes d’organisations économiques et sociales.

10Il y a du « jeu » dans nos libertés. Risquons-nous à entamer le dialogue et à jouer dans ces interstices, ces espaces qui présagent des « possibles » entre les grands courants défaitistes et les « tout va bien dans le meilleur des mondes ». Et puis, si nous avons tenté de jeter un pont entre les « rigueurs scientifiques » et les « rêveries humanistes », c’est qu’il nous a semblé possible que s’inventent, que se découvrent, que se créent, à travers les antagonismes, le désordre et l’ordre, les bifurcations, la complexification, les violences et les sagesses, un Humain et une Humanité en auto-nomie et dont le devenir reste à penser et à imaginer. L’Homme inachevé participe de cette réflexion.

11L’Equipe des Cahiers

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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