1La mondialisation et la globalisation ne concernent plus seulement le domaine de l’économie, longtemps considéré comme facteur de bien-être des peuples. Petit à petit, cette conception semble gagner d’autres aspects de la vie des Etats ; en témoigne l’accent mis sur la préservation de l’environnement avec comme point de repère la Conférence de Rio. Désormais le monde est vraiment un “village planétaire”, une structure où le bon fonctionnement de tous les organes conditionne la bonne santé de l’ensemble. Concevoir un monde sain où puissent mieux vivre tous les êtres humains est en soi une idée noble. Cependant, on constate que cette “éthique globalisante”, comme la plupart des choses d’ailleurs, est conçue par le Nord par les dominants qui décident, à leur seule initiative, de l’extension du champ de contrôle sur les autres Etats. Et nous pouvons dire que désormais nous sommes dans l’ère de la “gendarmerie planétaire”, où les différents acteurs jouent un rôle inégal. Aujourd’hui, nous constatons que la notion de “souveraineté de l’Etat” est vidée de son sens. Cette notion, d’ailleurs, a été souvent invoquée par les Etats dominés comme une sorte de bouclier pour se protéger de l’intrusion du Nord dans leurs “affaires intérieures”, mais aussi pour justifier du déroulement de pires abus, y compris écologiques (dépôt de déchets toxiques industriels au Nigeria).

2La globalisation des phénomènes mondiaux (économie, politique, environnement...) ne peut se faire qu’en défaveur des Etats du Sud qui, pendant longtemps encore, n’auront pas voix au chapitre et qui ne devront qu’obéir à l’éthique de l’idéologie dominante. Au nom de la préservation de la nature, certains Etats peuvent ainsi décider qu’il faut mettre un terme à la destruction de la forêt en Amazonie, mais paradoxalement il ne peut leur être objecté avec efficacité que le nombre élevé de voitures chez eux contribue pour beaucoup à l’effet de serre, ou même exiger d’eux des garanties contre les risques de leurs centrales nucléaires ; la catastrophe de Tchernobyl ayant montré que là également le désastre ignore les frontières. Et que dire de la catastrophe de l’Union Carbide dont on ne parle même plus aujourd’hui ? On le voit, le déséquilibre est patent. La politique planétaire est à l’image de ce que le Nord souhaite. A travers ses formes insidieuses, le néocolonialisme n’est en quelque sorte qu’une perpétuation de la dialectique du Maître et de l’Esclave. Ainsi hier s’est-il employé à conforter d’abominables dictatures tout en soutenant la thèse selon laquelle le parti unique était ce qu’il y avait de mieux pour les Africains. Aujourd’hui, le Maître fait un revirement pour proclamer les valeurs universelles de la démocratie et dire que désormais l’Afrique doit revenir à la “Civilisation”. Et demain, ne conditionnera-t-il pas son aide, si recherchée par les dominés, à la limitation du nombre d’enfants dans les couples africains, si tant est vrai que la bombe démographique crée une appréhension certaine ?

3Cependant, il convient de se demander ce que font les dominés pour renverser l’ordre des choses et être traités en vrais partenaires. A notre avis, pas grand-chose sinon qu’ils contribuent plutôt à leur propre misère. Quelques tentatives pour s’écarter du chemin balisé ont été écrasées par les dominants, mais par d’autres Africains interposés. Modibo Keita, Patrice Lumumba, Kwamé N’krumah, autant de rêves de liberté brisés. Thomas Sankara, c’est encore des mains africaines qui l’ont assassiné. Tous ces leaders ont signé leur arrêt de mort dès l’instant où ils ont choisi de faire comprendre aux Africains qu’il est possible de concevoir l’avenir autrement et que la domination n’est pas une fatalité.

4Le caractère insidieux du néocolonialisme est aussi qu’il s’exerce à travers le relais d’autres Africains plus enclins à son jeu. Et c’est cette incohérence des Africains qui veulent la liberté tout en acceptant d’être dominés qui frappe l’esprit. Comment ceux-ci conçoivent-ils l’indépendance et la souveraineté lorsque pour régler leurs problèmes c’est à Paris ou à Rome qu’ils se transportent, montrant ainsi qu’ils n’ont même pas confiance en eux-mêmes ? Il est difficile de fustiger l’attitude néocoloniale ou impérialiste du Nord sans une remise en cause des Africains eux-mêmes car, si le premier arrive à perpétuer sa domination, c’est bien aussi parce que les autres s’y prêtent, soit par complicité, soit par esprit de fatalisme. Nous devons comprendre que vouloir être pris au sérieux, c’est d’abord se prendre soi-même au sérieux.

5Prendre son destin en main, c’est vraiment s’assumer, c’est aussi s’imposer de la rigueur face à certaines situations qui peuvent être loin de nous désavantager. La dévaluation du franc CFA a témoigné du manque de responsabilité des Africains qui ont accepté pendant des années d’être bercés par l’illusion de la garantie de parité de leur monnaie alors même qu’ils savaient leurs économies malades. Et plutôt que de se rendre à l’évidence, leur première réaction a été de dire : “la France nous abandonne” ; on ne cautionnerait pas mieux la domination. Vouloir s’accrocher à l’irréel, surtout en matière politique, est d’une grande indignité car des millions de vies peuvent être concernées.

6Face à l’avancée du désert, les pays du Sahel sont mieux placés pour savoir que la survie de leurs populations est menacée et qu’il y a nécessité d’agir promptement et avec efficacité. Malheureusement, un pays comme le Tchad se complaît dans une politique laxiste consistant, depuis plus de vingt ans déjà, à proclamer chaque année une semaine de l’arbre, sans grands résultats. On semble se dire, à l’observation, que l’essentiel est de signifier aux gens du CILSS (Comité Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel) et au reste de la communauté internationale que le Tchad également “mène une lutte sans merci contre la désertification”, pour reprendre la terminologie officielle. Pourquoi donc s’étonner qu’un pays du Nord, à travers un projet ou par le truchement de l’une de ses ONG, veuille supplanter les autochtones et mener “sa” politique de l’environnement ? On constate ici que c’est la carence ou la défaillance au niveau national qui appelle la domination. Notre propos n’est pas de dire que tout programme ou projet procède de la velléité de domination, mais seulement de relever que, lorsqu’une action est conçue, programmée, financée de l’extérieur et soumise aux groupes locaux comme étant à prendre ou à laisser, il n’y a pas place pour la souveraineté et l’indépendance qui deviennent des mots creux.

7L’ingérence, qu’elle soit politique, économique ou écologique, a pour vocation la domination. L’Afrique doit ainsi se réveiller, car tant qu’elle continuera à trouver normal le système en cours, tant qu’elle se prêtera volontiers aux manœuvres de sa propre domination, son avenir se dessinera à Washington, Paris ou Londres. Il est vrai que, dans le monde actuel, les rapports de force sont un élément déterminant dans la conception des relations internationales. De ce point de vue, tant que ces rapports seront en défaveur du Sud, la marginalisation et la “culture du mépris” seront de rigueur.