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Écologie contre nature

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Fabrizio Sabelli

Paroles

Les éléphants, les lamantins et le développement

Cacou Eloi Kouadio IV N’Guessan

Texte intégral

1Ces lignes expriment mon opinion personnelle et ne dénoncent en aucune manière les actes et procédures entrepris dans mon pays entre les autorités locales ou nationales et les instances financières internationales autour de projets divers. Cela étant, il m’a semblé intéressant de comprendre les processus d’ingérence écologique que des projets impliquent en Côte d’Ivoire.

L’état de la question

2A l’instar d’autres grands projets de développement réalisés en Côte d’Ivoire depuis les indépendances, le projet routier du littoral sud-ouest qui relie Abidjan, la capitale économique du pays, au centre régional de San Pedro a fait l’objet des phases classiques d’identification, d’élaboration, d’exécution et de suivi.

3Il a subi des contre-attaques fulgurantes des milieux écologiques. L’enjeu du projet portait sur le meilleur tracé possible de la route tout en évitant les préjudices irréversibles au milieu naturel riche et fragile. Après de nombreuses controverses et difficultés techniques, les partenaires nationaux – les ingénieurs du Département de l’équipement et des travaux publics, ainsi que leurs collègues du contrôle des grands travaux – ont fait des recommandations écologiques appropriées que les experts des institutions financières (Banque africaine de développement/BAD, Banque mondiale) ont examinées en y glissant leurs propres recommandations avant de les approuver. Le prêt accordé par la BAD avec une couverture de la Banque mondiale correspond aux engagements initiaux pour l’aménagement routier. Après une procédure “régulière” et un appel d’offres, c’est une société française qui a obtenu le contrat de réalisation du projet.

Manifestation de l’ingérence écologique

4D’une manière générale, il est difficile d’identifier explicitement l’ingérence et seule une observation rigoureuse des situations parfois ambiguës ou controversées permet de découvrir par quelles méthodes s’opère l’intrusion écologique volontaire. Dans le projet routier dont il est question, cette “ingérence écologique” est due, en quelque sorte, à la forte influence d’une personnalité du milieu de la protection de la nature qui, lors de l’un de ses voyages, a visité le projet Abidjan-San-Pedro, communément appelé la “Côtière”. Par voie de presse, il a alerté l’opinion internationale sur le grave et imminent danger qui pesait sur la faune et la flore de certaines zones du tracé routier. Pour comprendre pourquoi une information, apparemment anodine, voire même “innocente” peut avoir un si grand impact d’ingérence, il faut souligner que la personnalité en question jouit d’une considération intellectuelle, politique, économique et scientifique déterminante dès qu’elle donne un avis.

5L’intervention à travers les médias nationaux ou internationaux, qui à leur tour ont amplifié les risques écologiques potentiels, s’exprime par une alerte ou une urgence écologique qui porte en elle un caractère culpabilisant comme si les techniciens du projet n’avaient, à aucun moment, ni mesuré, ni tenu compte de “l’imminence” des risques encourus par la nature. Comme si les promoteurs de la route du littoral avaient simplement “omis” de penser à l’écologie et en devaient être culpabilisés.

6Le retentissement de cette “intrusion” non officielle dans le projet routier du sud-ouest ivoirien a eu des conséquences à différents niveaux.

7L’un de ceux-ci est d’ordre politique et de la responsabilité du gouvernement puisqu’il touche au “label national “ ivoirien. En effet, les biotopes menacés pour lesquels l’appel écologique a été lancé, sont les espaces où vivent les éléphants et les lamantins. Or on sait que l’éléphant est l’animal emblématique de la Côte d’Ivoire et que le gouvernement doit en tenir compte.

8Une telle situation est d’autant plus préjudiciable au pays qui, dans son souci de retrouver une crédibilité écologique quelque peu ternie par l’immense gaspillage de son patrimoine forestier, vient de relancer les programmes et projets de restauration et d’aménagement des espaces forestiers, financés par la Banque mondiale.

9En fait, face à cette “intrusion”, les bailleurs de fonds auraient dû s’interroger sur la qualité de leurs experts consultants et éventuellement se remettre en question. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Au contraire ils ont approché le gouvernement pour redéfinir la conditionnalité liée aux fonds destinés au projet. Cette négociation politico-économique et financière, née de l’influence d’une opinion individuelle et largement diffusée dans la presse internationale, a ainsi rapidement abouti à une nouvelle donne et à des concessions, parmi lesquelles des fonds additionnels alloués par la BAD pour réaliser une étude d’impact environnemental ainsi que l’obtention pour le gouvernement de ressources supplémentaires à des conditions préférentielles.

10L’appel sur la menace écologique a aussi jeté un certain discrédit sur les institutions au plan scientifique et technique puisqu’il a mis en cause les capacités de la recherche scientifique nationale, qui aurait dû attirer l’attention du gouvernement sur les risques potentiels de dégradation des zones sensibles. Il met aussi en cause le sens critique des structures nationales de programmation, des projets de développement dont les techniques d’évaluation prospectives semblent ainsi plus ou moins dépassées.

11De plus cette intervention met en lumière des incidences, plus ou moins significatives quant au développement du projet, identifiables en catégories techniques, matérielles, temporelles et socio-économiques, à savoir :

12– Au plan technique et matériel, les changements sur le tracé ont modifié l’itinéraire de base. Les techniques d’intervention ont également été transformées en fonction des recommandations faites à l’issue de l’étude d’impact environnemental (EIE), notamment en ce qui concerne les travaux dans les carrières d’approvisionnement des chantiers, les franchissements de rivières, les traversées de forêts ou espaces boisés (minimisées sur l’ensemble du nouveau tracé).

13– Suite au temps consacré à l’étude d’impact, le matériel technique a subi les différentes intempéries liées à l’arrêt des travaux – entre 6 et 9 mois. L’importance des arrêts dépendait des négociations et des mesures d’atténuation et de compensation nécessaires selon les tronçons concernés.

14– Les conséquences socio-économiques ont été les plus importantes bien qu’elles soient plus difficiles à évaluer. En effet, en changeant le tracé initial, on a privé des communautés villageoises d’un accès à la route qui leur aurait permis d’accroître quelque peu leurs revenus grâce à des petites activités commerciales plus faciles. De même, les avantages liés aux travaux d’appoint sur le chantier pendant la période de réalisation vont être quasi insignifiants pour les communautés villageoises voisines puisqu’ils concernent d’autres zones moins intéressantes. Les habitants voient ainsi un des éléments moteur du “développement” régional leur échapper.

15– Il faut aussi dire que ces interruptions ont engendré un renchérissement effectif du coût global du projet et causé des pertes à l’entreprise Jean Le Fèvre qui a dû respecter la plupart de ses engagements contractuels pris envers les ouvriers, techniciens, cadres, et fournisseurs divers. Finalement il y aurait lieu de se demander quel peut être le bilan global de cette ingérence écologique. La rentabilité économique de la voie réaménagée aura-t-elle justifié les changements effectués ?

Avis et suggestions

16Au terme de ce parcours entre une idée de projet, une ingérence écologique, une mise en œuvre de recommandations issues d’une étude d’impact environnemental, il n’est pas aisé d’émettre un avis tranché, encore moins des suggestions décisives.

17Toutefois, il est permis d’avouer que les formes de plus en plus insidieuses que prennent les méthodes et mécanismes d’ingérence écologique devraient interpeller les responsables gouvernementaux, en particulier ceux des pays du Sud. En effet, la mondialisation du développement dans son approche européocentriste classique semble avoir trouvé de nouveaux créneaux pour maintenir une domination que la déconvenue actuelle du système de production et de consommation avait établie. La protection de l’environnement et tout le corollaire des enjeux écologiques qui l’entourent font aujourd’hui un champ de prédilection favorable à l’émergence de dominations fondées sur la recherche d’une moralisation écologique des actions de développement, spécialement dans les pays du Sud.

18Une coordination s’avère dès lors indispensable entre tous les pays susceptibles d’être les victimes des nouveaux acteurs de l’ingérence écologique qui agissent sans se dévoiler, interviennent sans s’afficher, déterminent et conditionnent les choix sans le dire, qui condamnent sans vouloir ou pouvoir juger et qui finalement s’imposent sans le laisser paraître.

19La vigilance devrait donc être de rigueur. Elle doit être dépouillée de tout complexe d’infériorité et ne s’appuyer que sur un examen lucide et serein des situations et conditions d’intervention de manière à utiliser au mieux des opportunités offertes par un cadre de coopération et d’échanges fondé sur le partenariat actif qui privilégie une participation de plus en plus structurée des bénéficiaires des projets de développement.

Auteur

Sous-directeur des études et de la planification, Ministère de l’environnement et du tourisme, Abidjan, Côte d’Ivoire

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