1Le phénomène de la corruption est présent, dans des modalités et à des degrés d’intensité différents, sous toutes les latitudes. Dans les pays du Nord, les scandales de la péninsule italienne ne sont plus les seuls à illustrer un problème que l’on retrouve tant dans les autres démocraties européennes qu’aux Etats-Unis et dans les pays issus de l’effondrement de l’empire soviétique. Dans l’ensemble des pays africains comme dans certains pays asiatiques ou latino-américains, la corruption semble être devenue un fait endémique et presque banalisé. Ce phénomène s’amplifie depuis quelques années à l’échelle internationale, trouvant de nouvelles formes de collusion avec les organisations criminelles transnationales, comme l’explique Djalili dans son analyse détaillée des raisons de l’emballement de la corruption dans un contexte de mondialisation des échanges.

2Considérée jadis comme l’huile dans les rouages d’un Etat bureaucratique pléthorique, la corruption est aujourd’hui présentée comme le principal obstacle au développement économique et comme une menace réelle pour les régimes démocratiques. En Europe, où elle est relativement sectorielle, la corruption reste pour l’essentiel une affaire de médias et de justice. Dans les pays du Sud, où la corruption tend à devenir systémique, la lutte contre ce fléau, depuis les campagnes de moralisation promues de manière récurrente par les gouvernements (souvent à des fins de légitimation politique, voire d’élimination des oppositions) jusqu’à la mobilisation au niveau international, est devenue une figure centrale des discours politiques comme des institutions de coopération. La redéfinition et la critique du rôle de l’Etat au Sud, et en Afrique en particulier, passent désormais par la « doctrine » de la good governance, qui s’impose comme une nouvelle forme de conditionnalité de l’aide.

3Certes, cette apparente recrudescence de la corruption, et l’engouement qu’elle suscite sur le plan international, gagnent à être relativisés par un recours à l’histoire – il n’est sans doute pas d’Etat sans corruption, comme le montrent entre autres différents travaux sur l’Empire romain, l’Eglise catholique médiévale, Florence ou l’Empire ottoman. Si la multiplication des scandales liés aux « affaires » dénote sans doute plus l’émergence d’une demande sociale en matière d’assainissement des mœurs politiques qu’une véritable aggravation du phénomène, il faut noter que les médias, tant au Nord qu’au Sud, dénoncent plus qu’ils n’expliquent. Or, toute mobilisation contre la corruption ne doit pas faire l’impasse sur la compréhension de ses mécanismes profonds, le repérage des acteurs impliqués, l’estimation des conditions d’émergence et des possibles conséquences. Dans la tradition des Cahiers, cette parution a pour objectif de restituer, loin des dérives normatives des chantres de la bonne gouvernance et des accents moralisateurs de la presse à scandales, le phénomène de la corruption dans sa complexité, ses multiples facettes, ses zones d’ombre, ses contradictions. Cela tant sur le plan théorique, à travers la présentation critique des différentes approches méthodologiques des faits corrupteurs, que sur le plan empirique, par l’éclairage qu’apportent des enquêtes de terrain conduites en Afrique, en Asie, en Amérique latine et en Europe.

Un objet rétif à l’analyse en sciences sociales

4Se situant à l’intersection du droit, de l’histoire, de l’économie et de la socio-anthropologie politique, le thème de la corruption est sorti de la seule compétence des juristes pour devenir progressivement un objet d’étude légitime pour les sciences sociales.

5En Europe, on a l’habitude de considérer que les sciences sociales et économiques se sont penchées tardivement (autour des années 60) sur ce phénomène. La contribution de Lascoumes corrige le tir en montrant la richesse et la diversité, à la fois sur les plans méthodologique et empirique, des travaux nord-américains du début du siècle jusqu’aux années 70. Ceux-ci évoluent d’une lecture de la corruption comme décomposition des fondements d’un régime politique à son interprétation comme système informel d’échange de faveurs. L’analyse s’arrête, en termes chronologiques, là où commence l’article bibliographique qui clôt l’ouvrage, rédigé par Dartigues et Lescure. S’appuyant sur une documentation qui va des grands handbooks des années 70 jusqu’à la production récente, dominée par les analyses en économie politique appropriées et simplifiées à l’usage de la Banque mondiale et du FMI, les auteurs font le point sur les principaux débats qui parcourent la littérature spécialisée : la question des définitions, les difficultés de mesure, les tentatives pour repérer causes et conséquences du phénomène, les nouvelles approches de type socio-anthropologique. Mais les enquêtes empiriques sur la corruption conduites selon les techniques consacrées par l’anthropologie de terrain sont rares, constatent Blundo et Olivier de Sardan, qui proposent des pistes de recherche en s’appuyant sur un inventaire critique systématique des différentes méthodologies et sources utilisées dans les études sur le fait corrupteur. Du reste, une bonne partie des articles réunis dans cet ouvrage partagent une nette dimension empirique, soit qu’il s’agisse de résultats de recherches en cours ou en voie d’achèvement, soit qu’ils proviennent d’enquêtes qui, n’étant pas centrées à l’origine sur le thème de la corruption, l’ont pour ainsi dire « rencontré » chemin faisant.

6Certes, l’objet de recherche envisagé s’avère particulièrement rétif à l’analyse en sciences sociales : notion à la fois proche et éloignée de l’expérience, pour reprendre les termes de Clifford Geertz, la corruption relève de significations qui puisent en même temps dans le langage savant (celui du droit, de l’économie, de la science politique) et dans le langage populaire. Derrière l’apparente homogénéité que cache l’utilisation courante de ce terme, il y a une grande diversité de pratiques et de représentations à son propos. Un premier problème réside dans la difficulté de délimiter les frontières et de repérer les contours de la corruption.

7En effet, qu’ont-elles en commun, les pratiques de détournement de l’impôt par un auxiliaire de l’administration coloniale au Tchad et celles du beau-frère de l’ex-président argentin Menem, qui exigeait des pots-de-vin de la part des entreprises désireuses d’obtenir l’exemption des taxes douanières ? Quel est le fil qui unit les mécanismes de malversation au sein de la filière de l’aide au développement au Mali ou en Somaliland au népotisme du régime de Suharto ? Peut-on comparer l’appropriation illicite d’une petite caisse villageoise en pays mossi avec la corruption de fonctionnaires suisses chargés de la passation d’un marché public ? Ou encore, que partage le système chinois des guanxi avec l’expansion alarmante des organisations criminelles contrôlant le trafic des drogues illicites ?

8Apparemment, tout les sépare : les acteurs impliqués et les fonctions qu’ils recouvrent, les ressources échangées ou détournées, les montants en jeu, la nature des actes (du simple détournement à des transactions complexes), le degré d’illégalité et de légitimité sociale de ces pratiques, parfois âprement condamnées, parfois banalisées. Certaines semblent être des péchés mineurs alors que d’autres ont des conséquences graves pour le fonctionnement d’un système politique. Les unes aboutissent à des scandales politiques, les autres deviennent des pratiques quotidiennes.

9Pourtant, ces cas si différents présentent un certain air de famille : des pouvoirs politiques ou administratifs sont monnayés, négociés, contre l’attribution juridiquement et/ou éthiquement indue d’avantages exclusifs à des groupes ou individus, suivant des logiques clientélistes, claniques, népotistes, ou la poursuite de gains personnels. Ainsi, la plupart des contributions à cet ouvrage ne limitent pas leur analyse aux formes juridiquement connotées du phénomène, mais considèrent plutôt la « nébuleuse de la corruption » (Queloz) ou le « complexe de la corruption » (Olivier de Sardan).

10En deuxième lieu, la difficulté de cerner les mécanismes des échanges illicites au vu de leur caractère clandestin va de pair avec l’ambivalence dans la perception et le traitement – de la part tant de la puissance publique que de la « société civile » – de pratiques tantôt considérées comme déviantes, et sanctionnées juridiquement, tantôt banalisées et tolérées par la société. En outre, leur mesure pose problème, car le fleuve souterrain de la corruption ne remonte à la surface qu’à l’occasion des dénonciations et se transforme alors en scandale, à son tour instrument de lutte politique grevé de significations normatives et moralisantes.

Sémiologie et éthique populaires de la corruption

11Le thème des perceptions de la corruption revient en force, à l’heure où on utilise des sondages d’opinion pour classer les pays du monde selon leur degré d’intégrité. Toutefois, il reste beaucoup à faire dans le sens d’une exploration des systèmes de représentation et de valeurs des acteurs concernés, de près ou de loin, par les pratiques corruptrices, et d’une mise au clair des logiques qui orientent leurs comportements. Tout en rejetant le déterminisme culturaliste, on peut approfondir, dans une perspective comparative, la compréhension fine et intensive de phénomènes qui sont le plus souvent appréhendés dans une dimension extensive, macrosociologique et macro-politique. Si la majorité des réflexions et des efforts de lutte se focalisent, de nos jours, sur la « grande corruption », celle liée aux élites dirigeantes et aux transactions financières transnationales, il ne faut pas en même temps perdre de vue la « petite corruption », même s’il n’est pas aisé de déterminer les frontières qui la séparent de la corruption au sommet. Dans cette perspective, les analyses des notions autochtones de corruption et de détournement en milieu mossi présentées par Laurent, de la logique des guanxi chinois explorée par Hertz ou du vocabulaire de la corruption au Tchad collecté par Arditi esquissent une sémiologie populaire de la corruption (les termes qui expriment l’idée de corruption, en même temps que les codes, langagiers ou gestuels, employés lors des transactions) ainsi qu’une éthique populaire de la corruption (les registres de stigmatisation et de justification ainsi que les modes d’euphémisation de la connotation morale négative des pratiques corruptrices).

Entre exclusion et inclusion, redistribution et accaparement

12Les différents auteurs de cet ouvrage prennent à leur propre compte, de façon plus ou moins explicite, la distinction classique proposée par Scott entre corruption marchande et corruption de proximité, la première traduisant des pratiques d’accaparement individuel au détriment du groupe, tandis que la deuxième serait au service de logiques parentales ou ethniques et permettrait une certaine redistribution des ressources détournées. En économiste insatisfait des analyses classiques, Dianor suggère ainsi qu’en Afrique, la corruption, en tant que prélèvement improductif aux fins de reproduction du groupe, n’est condamnée que lorsqu’elle donne lieu à l’accumulation individuelle. Lui font écho sur ce même registre les analyses de Hertz et Laurent. Si le débat sur la dialectique entre accumulation et redistribution n’est pas nouveau, il faut distinguer entre la redistribution comme discours (stratégie de légitimation, de justification, de banalisation) et la redistribution comme pratique. En tant que pratique, il faut pouvoir se pencher sur les frontières, les limites, de la communauté ou du collectif qui bénéficie de la redistribution des fruits de la corruption. En effet, la logique de la redistribution contient en elle-même une autre logique, celle de l’exclusion. On est ou on n’est pas dans le réseau qui bénéficie des échanges illicites. A côté de cette logique du tiers exclu, pour reprendre les mots de Meyer-Bisch, il faut souligner, à l’instar de Hertz, que la redistribution ne subvertit pas les hiérarchies sociales établies ; au contraire, elle réaffirme les positions de domination et de dépendance.

13Le seuil de la stigmatisation n’est pas seulement lié à l’usage que le corrompu fait de la ressource qu’il a accaparée. Il faut aussi considérer quelle est la perception des acteurs quant à l’identification de celui qui a perdu dans l’affaire. Même sans redistribution, le détournement des caisses de l’Etat ne provoque pas trop de scandales, tout comme l’accaparement des fonds de la coopération internationale. Ces ressources appartiennent à des entités trop vastes, il s’agit d’argent « froid ». Par contre, quand on lèse les intérêts d’un entrepreneur dans le cas de marchés publics truqués, quand on rackette la population, il s’agit alors de ressources propres, identifiables, de l’argent « chaud », qu’on a produit. On peut donc supposer qu’il y aura justification maximale quand on détourne des ressources publiques et que ces ressources sont redistribuées, et qu’il y aura condamnation maximale lorsqu’on ponctionne de l’argent (ou des ressources privées) à des fins d’enrichissement personnel.

14Dans de tels contextes, qui privilégient une collectivité déterminée au détriment des autres, la sphère publique devient une catégorie résiduelle où reléguer tous ceux qui ne bénéficient pas de réseaux de relation étendus (considération valable pour le cas somalien présenté par Piguet, mais également pour la Suisse, si l’on en croit l’analyse de Queloz quant à l’importance des réseaux de copinage et favoritisme à l’œuvre dans le monde des affaires et de la politique). La notion d’espace public devient alors impensable. Comme le suggère Meyer-Bisch, la corruption s’alimente en collusions entre certains pouvoirs et provoque l’exclusion du tiers. De ce fait, elle empêche ou rend problématique la constitution d’un espace public, entendu comme système d’interférence et de communication entre acteurs sociaux et les idées et les intérêts dont ils sont porteurs.

Changement politique, croissance économique et corruption

15Un autre axe transversal concerne la relation entre la transformation des régimes politiques, le développement économique et les mutations dans la nature et l’extension de la corruption. Les postulats théoriques d’une diminution de la corruption à travers un Etat moins interventionniste (privatisation et dérégulation) et des processus politiques plus compétitifs et transparents (démocratisation et imputabilité) ne semblent pas être confirmés par l’évidence des données empiriques. Libéralisation, démocratisation et décentralisation ont parfois généré une augmentation du niveau de corruption. Le cas argentin, étudié par Hufty, montre que l’évolution vers l’instauration d’un régime démocratique et les politiques de libéralisation économique n’entraînent pas une baisse de la corruption, si les réformes politiques demeurent au stade de façade et ne sont pas accompagnées par une indépendance accrue des pouvoirs judiciaires ainsi que par une culture politique libérée des relents du caudillisme.

16Quant à la chute du régime népotiste de Suharto, l’analyse de Maurer nous met en garde contre l’adoption de systèmes explicatifs simplistes. Si le système des KKN n’a pas été, à lui seul, à l’origine de la crise économique qui a précipité la chute du régime – il a même contribué à une certaine prospérité économique grâce à l’émergence d’une classe d’entrepreneurs autochtones –, il a sans doute sapé la légitimité du régime, surtout lorsque l’accumulation des richesses de la corruption s’est concentrée au niveau de l’entourage du président au détriment des réseaux de redistribution.

« Bonne gouvernance », coopération au développement et corruption

17Inaugurée (ou redécouverte) dans un rapport de la Banque mondiale sur l’Afrique en 1989, la notion de bonne gouvernance évoque un régime politique qui respecte les droits civiques et les droits de l’homme, et qui peut compter sur une administration efficace, compétente, responsable et non corrompue. Elle recèle à la fois un contenu technique (dans le sens d’une meilleure gestion publique) et des éléments éminemment politiques, au vu du lien étroit établi entre développement économique durable et instauration d’un Etat de droit calqué sur le modèle des démocraties occidentales. Si ce mouvement n’est pas sans rappeler le réformisme moraliste puis institutionnel du début du siècle aux Etats-Unis (Lascoumes), la lutte contre la corruption politico-administrative de même que la promotion de la participation des citoyens à la gestion publique deviennent les principaux axes d’orientation des politiques de développement actuelles. Imputabilité, transparence et efficacité sont les mots clés censés guider les réformes préconisées pour les institutions gouvernementales des pays du Sud. En occultant les responsabilités des politiques d’ajustement structurel dans l’amplification de la crise des Etats africains, on veut pallier ces échecs par un dosage encore plus fort de recettes, cette fois-ci de nature politique, même si elles sont déguisées sous un langage technique faisant la part belle aux problèmes de gestion publique. Or, les programmes d’ajustement structurel, notamment en Afrique, ont concouru, selon certains observateurs, à l’amplification des réseaux mafieux et de la corruption. Qui plus est, la réduction des effectifs de la fonction publique a surtout intéressé le bas de l’échelle et a permis l’émergence et la consolidation d’une catégorie de courtiers administratifs, qui exercent la double fonction de pallier les difficultés d’accès aux institutions bureaucratiques tout en pouvant servir de courroie de transmission des transactions corruptrices. Une « corruption palliative », selon les termes de Dianor, s’instaure ainsi quand l’Etat ne peut plus payer ses propres fonctionnaires.

18Sur le plan administratif, la réduction des effectifs devrait s’accompagner d’une limitation du monopole étatique de la fourniture de services publics, par le biais de politiques de privatisation. On insiste également sur la nécessité d’établir des codes d’éthique du secteur public, parallèles à la revalorisation du fonctionnariat par une politique de hausse des salaires, à la simplification des procédures administratives, au renforcement des contrôles et de la supervision. Sur le versant de la « société civile », des politiques de proximité insistent sur la dévolution des pouvoirs aux niveaux intermédiaire et local, soutiennent le secteur associatif et non gouvernemental et lui attribuent des vertus gestionnaires dont il reste à prouver le bien-fondé.

19Ces approches, fondées sur une « notion publique » de la corruption, supposent l’autonomisation du champ politico-administratif et donc la différentiation entre public et privé, processus déclenchés par la formation de l’Etat moderne. La conscience de la transgression devient dès lors fondamentale. En reprenant les termes de Médard, il faut donc distinguer analytiquement entre corruption (non-respect de la distinction entre public et privé) et patrimonialisme (ignorance de la distinction entre public et privé). Sur ce point, l’Afrique est – schématiquement – considérée soit comme l’univers du communautarisme, soit comme celui de la confusion totale entre bien public et bien privé. Pour dépasser le niveau des généralités, il faudra donc explorer les modes réels de gestion des ressources collectives et publiques – dans des contextes fréquemment caractérisés par le pluralisme juridique et un décalage souvent important entre la légalité d’une norme et sa légitimité – et essayer de déterminer les logiques qui les sous-tendent, dans une perspective comparative.

20Ainsi, si certains pourraient objecter que les cas de détournement de l’aide internationale en Somalie (présentés par Piguet, qui montre comment les ressources de la coopération alimentent les réseaux claniques et souligne le rôle de la corruption comme bouc émissaire des échecs des développeurs) et au Tchad (Arditi) représentent des expériences particulières et circonscrites car s’inscrivant dans des pays où l’Etat est contrôlé par des factions et des clans armés, ils sont invités à lire les analyses minutieuses de Laurent et de Mathieu concernant les malversations dans les programmes de développement au Burkina Faso et au Mali, pays considérés comme des bons élèves des bailleurs de fonds occidentaux.

21Pour les associations de paysans mossi, le problème réside dans l’incompatibilité des logiques gestionnaires imposées par l’intervenant extérieur avec l’impératif de céder aux pressions de l’entourage. Quant au cas malien, l’analyse de Mathieu nous initie aux rouages des dispositifs de développement dont elle montre les caractéristiques éminemment corruptrices, en partant de l’analyse des budgets, de la répartition des postes, des modalités de rétribution, pour terminer avec une étude de cas exemplaire d’un projet de gestion des ressources naturelles qui débouche finalement sur la construction d’une maternité.

Conclusion

22L’étude du phénomène social de la corruption est aussi et surtout une porte d’entrée pour explorer d’autres objets : concept politiquement controversé, la corruption permet d’aborder, en creux et à rebours, le fonctionnement réel et les processus de socialisation des institutions étatiques. Elle fournit également l’occasion de repenser les frontières, floues et mouvantes même dans nos sociétés occidentales, entre fonctions, institutions et ressources publiques et privées. La corruption peut ainsi servir d’indicateur privilégié pour l’analyse des formes concrètes de l’espace public, ou de l’éthique professionnelle des fonctionnaires, ou encore des rapports entre administrations et populations.

23En adoptant un point de vue analytique à la fois en termes de logiques d’acteurs et d’élucidation des mécanismes et des représentations concernant les échanges corrompus, ce Cahier vise non pas à juxtaposer les principales approches disciplinaires du phénomène, mais à intensifier la circulation entre ces perspectives : celle de l’économie politique, qui privilégie l’étude de la corruption sous l’angle de la rationalité individuelle des acteurs administratifs et politiques dans un contexte de rareté permanente et de recherche de rentes, celle de la fonctionnalité systémique de la corruption, proposée par certains politologues, et celle d’une interprétation des actes de corruption selon le point de vue des acteurs, s’inscrivant dans la tradition de l’anthropologie sociale. Aux errances intellectuelles qui ont caractérisé certains débats sur la corruption (considérée tour à tour comme tonique ou toxique, comme vecteur d’intégration ou d’exclusion sociale, comme moyen d’influence politique ou ultime recours d’une citoyenneté amputée), les auteurs de cet ouvrage ont préféré une entrée résolument empirique, méthodologiquement éclectique et à vocation comparative. La nature de l’objet l’impose. C’est justement en raison de son ubiquité, à la fois spatiale et temporelle, que la nébuleuse des « échanges occultes » offre un terrain de recherche aussi accidenté que fécond.