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« Société civile » et évolution de l’autoritarisme en Syrie

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Claudie Fioroni

Conclusion. Quel avenir pour l’autoritarisme syrien ?

Texte intégral

1Porter un regard « décentré de l’Etat » sur l’émergence de la « société civile » en Syrie permet de mettre en évidence les ressorts du glissement du régime syrien vers le modèle d’« autoritarisme amélioré ». La rhétorique du pouvoir sur la « société civile » est avant tout motivée par le souci de renforcer la stabilité du régime par son redéploiement à l’extérieur de la sphère étatique. Elle apparaît en réponse à trois manifestations du déficit de légitimité du régime : les revendications des opposants lors du « Printemps de Damas », le hiatus entre la légitimité de l’Etat baathiste et la crise des dépenses publiques, et la montée des pressions américaines et internationales sur le régime. La promotion d’un « troisième secteur » du développement national par le gouvernement syrien ne s’accompagne pas d’une véritable libéralisation de l’action associative. Elle repose sur une acception étroite du concept de « société civile », comprise comme un secteur apolitique et complémentaire de l’action étatique. Empiriquement, la « société civile » reconnue par le gouvernement recoupe un réseau d’ONG proches du pouvoir et les associations caritatives qui sont invitées à s’aligner sur les priorités du 10e plan quinquennal. Les associations politisées sont interdites.

2Dans ce contexte, le STD peut être compris comme l’investissement par le régime d’un secteur sur lequel il entend garder le contrôle. A travers cette GONGO, le régime renforce son contrôle sur le secteur associatif, ses bénéficiaires et les autorités publiques. De cette manière, elle constitue un véritable « instrument de gouvernement » comparable à d’autres instruments plus traditionnels du régime syrien, à l’instar de l’armée, des mukhabarat, du parti Baath et de l’appareil bureaucratique. Toutefois, l’action du STD est conditionnée par un champ d’action spécifique, celui du développement économique et sociale. Au-delà de sa dimension de contrôle, il participe à la réalisation du projet de transformation de la société porté par la présidence syrienne, largement inspiré par le paradigme néolibéral. Pour le STD, l’enjeu est moins la répression des opposants que le renforcement de la légitimité présidentielle par la « conversion » de la société syrienne « baathisée » au libéralisme. De plus, en s’inspirant des pratiques de la communauté internationale, le STD introduit des modes de gouvernement libéral. Par conséquent, les formes d’exercice du pouvoir du STD, subjectivation et incitation individuelle, se distinguent des formes du pouvoir syrien traditionnellement étudiées, la coercition, l’incitation de masse (clientélisation) ou l’intériorisation des contraintes politiques par les individus (propagande, manipulation de la mentalité patriarcale). Cependant, l’objectif du régime reste le même : il s’agit de maintenir l’écrasement du politique dans l’arène publique.

3Dans un contexte de redéploiement du régime, se détacher du prisme de l’Etat pour observer les structures du pouvoir permet d’appréhender les rapports entre le régime et ses gouvernés au-delà du simple constat de liens personnels entre l’Etat et les acteurs du secteur privé. La prise en compte de la matérialité du pouvoir offre, en outre, des clefs d’analyse plus fines des évolutions de l’autoritarisme. Alors que l’absence de démocratisation tend à favoriser une image figée de l’autoritarisme arabe, on constate que les moyens par lesquels le régime se fait accepter par la population qu’il gouverne ne sont pas statiques.

4Dès lors, que reste-t-il de l’autoritarisme ? Le cas du STD semble confirmer l’hypothèse selon laquelle

lautoritarisme est fondamentalement un mécanisme d’exclusion et de limitation du pluralisme politique. […] Il ne saurait cependant les annihiler totalement, à l’instar du régime totalitaire […]. L’autoritarisme est beaucoup plus pragmatiquement un système de contrôle. Apparaissent des régimes qui fonctionnent par l’exclusion politique de ceux qui ne leur font pas allégeance ou n’acceptent pas passivement la situation, et l’inclusion dans les cercles du pouvoir ou dans leurs ramifications tentaculaires d’un certain nombre d’affidés. […] Pour les régimes autoritaires, la notion d’exclusion politique est un « principe » constitutif, en prenant principe au sens de Montesquieu. (Droz-Vincent, 2004 b)

5Ainsi, le cœur de l’autoritarisme n’est pas la répression, la violence et la peur ; mais sa capacité à faire accepter un modèle de société dans lequel le citoyen est exclu du politique. L’enjeu pour le régime syrien est de construire une société reposant sur deux principes contradictoires : le libéralisme, qui implique la participation des citoyens au processus de développement national, et la dépolitisation de la citoyenneté.

6Alors que la Syrie semble emboîter le pas de ses voisins, le modèle de l’« autoritarisme amélioré » est ébranlé. Le « réveil » des peuples tunisien, égyptien et, dans une moindre mesure, jordanien et yéménite montre les limites de l’articulation entre libéralisme économique et écrasement du politique. Lorsque les inégalités s’accroissent et que le développement économique est insuffisant pour garantir l’emploi, la privation de libertés devient intolérable. S’il est trop tôt pour conclure que les Etats du Magreb et du Machrek sont sortis de l’« exceptionnalisme autoritaire », le départ des présidents en Tunisie, puis en Egypte témoignent de la capacité de mobilisation et de soulèvement des gouvernés. Ainsi, l’avenir du régime syrien dépend de sa capacité à mener à bien la transition vers un mode de gouvernement libéral, et notamment des leçons qu’il tirera des expériences tunisiennes et égyptiennes. Mais, le pouvoir n’est pas descendant, il est relationnel. Il ne s’exerce qu’entre individus libres, c’est-à-dire dotés de la capacité à résister dans une relation de pouvoir. Par conséquent, l’avenir du régime syrien dépend également de la capacité de résistance de ses gouvernés.

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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