Conclusion

1On a voulu, dans ce travail, présenter et évaluer un ensemble, un système en tant que tel. Mais notre ambition s’est peut-être trouvée gênée par l’ampleur de cette tâche. Ainsi on pourrait, à la lecture de notre première partie, être tenté de faire un bilan très optimiste du fonctionnement des procédures onusiennes de mise en œuvre des droits de l’homme ; au contraire, après lecture de notre seconde partie, on pourrait se trouver posséder une opinion très négative de l’ensemble des mécanismes étudiés. Finalement, ce n’est qu’en rassemblant ces deux points de vue qu’on est en mesure de tirer des conclusions, ce qu’on va faire de façon extrêmement synthétique à présent.

2Partant du constat que c’est au niveau de la mise en œuvre des droits de l’homme, et non au stade de leur définition, que les Etats sont le moins dynamiques, on est en droit de se demander si, en dépit de l’existence des nombreuses procédures analysées dans ce travail – ou peut-être à cause de leur nombre –, il ne manque pas une théorie générale de la mise en œuvre, un peu comme il existe un régime général de la responsabilité. C’est en tout cas une question que T. Opsahl a posée dans un article paru récemment (cf. op. cit., note 278). Il y exprime notamment l’avis que la mise en œuvre des droits de l’homme aurait dû être la question à débattre lors de la Conférence de Téhéran, mais que malheureusement ce débat a été noyé (ibid., pp. 14-15).

3En conclusion de cette étude, nous sommes tentés de répondre à cette interrogation de façon négative. Car si, à notre sens également, l’application des droits de l’homme est la question à approfondir, elle ne nous paraît pas nécessairement devoir faire l’objet d’une approche « théorique ».

4Dans le cadre que nous avons examiné tout au long de cette étude, l’expérience montre en effet l’utilité d’une approche dite de « petits pas », et cela même s’il en résulte une certaine incohérence. Une telle approche se justifie par son côté pragmatique : à chaque étape, elle consiste à faire adopter la meilleure solution possible sur le moment. Elle se justifie en tous les cas pour ce qui a trait aux dispositions restrictives apparaissant dans les textes : l’imagination déployée par les organes chargés d’en contrôler l’application a souvent réussi à en dépasser les limitations inhérentes. Cette approche se justifie aussi au regard des différentes procédures, apparues successivement, visant à connaître des situations d’ensemble : chacune d’entre elles s’est révélée utile en son temps. Ainsi, pour les procédures d’enquête par pays, leurs défauts – notamment le caractère peu équilibré du choix des pays examinés – n’ont pas empêché que le recours à ce type de procédures s’est révélé d’intérêt dans certains cas, tels que l’Iran, la Roumanie, Haïti, etc. De la même façon, et aussi en dépit de certains défauts, les procédures d’enquête par thème représentent un effort intéressant pour répondre à certaines formes de violations, surtout face aux résistances qui rendent improbables pour l’instant la création d’un Haut Commissariat aux droits de l’homme, et également face aux freins qui empêchent un fonctionnement utile du système général de la procédure  503.

5S’il est une critique qu’on a souvent entendue à l’encontre de l’action des Nations Unies en matière de droits de l’homme, c’est que cette organisation est politisée – voire en voie de politisation croissante. Sous-entendu : aucun de ses mécanismes n’est à même de fonctionner d’une façon dégagée des contingences.

6A l’issue de ce travail, nous arrivons à une conclusion tout autre. Car si l’ONU est une organisation politisée, c’est parce qu’elle est une organisation politique. Une fois ce caractère intrinsèque admis, et considéré comme une limite inhérente de l’Organisation, on est forcé de constater que dans leur majorité, les organes chargés de la mise en œuvre des droits de l’homme ont su se faire une place qu’aujourd’hui la plupart des Etats respectent. Les organes composés d’experts, en particulier, ont très bien réussi à compenser une totale absence de pouvoirs contraignants. L’exemple du Comité des droits de l’homme est à cet égard éloquent puisque son autorité n’est pratiquement pas contestée. Lorsqu’il procède à l’examen des rapports soumis par les Etats parties au Pacte, ses membres ont affaire à des délégations composées de diplomates de haut rang et de personnes directement chargées, au sein de l’exécutif ou du législatif, de la préparation des règles de droit interne ; les observations générales que le Comité élabore à l’attention des Etats ont une utilité certaine en ce qu’elles facilitent l’interprétation du Pacte et précisent la portée des obligations des Etats ; quant à l’activité d’examen par le Comité des communications individuelles en application du Protocole facultatif, elle est unanimement louée. Signalons ici qu’une analyse, même rapide, des décisions prises dans ce cadre (cf. notre tableau 8) montre qu’aucune de ces décisions n’a été prise conformément aux clivages politiques ou religieux classiques.

7Pour ces quelques raisons, il apparaît qu’on ne devrait pas jeter le discrédit sur une action qui s’est jusqu’ici montrée utile, même si cette action se fait dans une certaine confusion, au moyen de tâtonnements, et qu’elle possède des défauts parfois importants. C’est au rythme de ce lent processus de maturation, et par à-coups aussi, que l’intérêt des victimes s’est trouvé au fur et à mesure mieux protégé.