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Le Pakistan, don de l’Indus

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Gilbert Etienne

Chapitre XI. La stratégie du développement rural : essai de bilan et perspectives

Texte intégral

1Au moment où l’agriculture se réveille à l’époque d’Ayub, la croissance prend le pas sur la lutte contre la pauvreté. Sous le premier ministre Bhutto, le pendule tend à se déplacer vers les « besoins fondamentaux » : l’alimentation, l’habitat, les vêtements… Une réforme agraire plus radicale que celle de 1959 est introduite. Crédit rural, développement intégré à partir de la communauté rurale sont encouragés. Le gouvernement du président Zia poursuit sur cette voie tout en favorisant de plus grands efforts pour la promotion des innovations techniques.

2La production a connu une expansion très substantielle dont les retombées ne sont pas négligeables même pour les manœuvres agricoles et les petits paysans.

3Ces résultats ne créent pas, chez les hauts fonctionnaires, agronomes, ingénieurs de l’irrigation, un sentiment de facilité ou d’euphorie. Bien au contraire, lorsqu’en 1985/86 dans les districts et les capitales provinciales ou à Islamabad, je demande aux personnes les plus qualifiées si les prochaines étapes du développement rural seront plus aisées que celles déjà franchies, la réponse est, en général, négative.

  • 1 La chute du coton a été provoquée par des pluies excessives et un temps souvent couvert.

4L’agriculture reste – et restera encore longtemps – vulnérable aux aléas de la nature. La chute du coton en 1983/84 fournit un premier exemple, suivi d’un retournement de situation avec la spectaculaire expansion de ces dernières années due à une meilleure politique cotonnière et à des conditions climatiques favorables1. Plus récemment, des pluies catastrophiques et exceptionnelles détruisent près d’un million de t. de blé au moment de la moisson au printemps 1987. Puis, dans la même année, les cultures de la mousson souffrent d’une très dure sécheresse.

  • 2 Même si la prévention des naissances devient plus répandue, les futurs nouveaux couples sont déjà n (...)

5Seule une croissance vigoureuse permettra d’atténuer l’effet de ces secousses, mais celle-ci répond aussi à d’autres nécessités. Elle contribuera à améliorer le sort fragile des plus pauvres et à répondre aux besoins d’une population qui risque fort de compter près de 150 millions d’habitants en l’an 2 000 contre 103 millions en 19882.

6Autre impératif : l’emploi. Il est exclu que le futur croît de main-d'œuvre soit entièrement absorbé par les secteurs secondaire et tertiaire et les villes déjà surchargées. Quant aux migrations vers l’étranger, elles vont plutôt baisser que s’amplifier.

7Produire plus, diversifier l’économie rurale pour y créer plus d’emplois, tels sont les objectifs économiques et sociaux. Or, comment combiner au mieux les nécessités techno-économiques et les changements d’ordre institutionnel ?

Des nouvelles réformes agraires ?

  • 3 Ajoutons que l’ordonnance de janvier 1977 abaissant le plafond à 40 ha irrigués ne fut pas appliqué (...)
  • 4 La prévention des naissances semble encore peu répandue même chez les grands propriétaires.

8La persistance de grands domaines (plus de 100 ha) fait périodiquement rebondir le débat sur les réformes agraires. Du point de vue économique, un plafond de 20 à 50 ha permettrait à chaque propriétaire de conserver des capacités d’investissement assez élevées pour ne pas compromettre l’expansion de la production mais il reste à voir quelle surface totale serait récupérable ! Déjà les lois antérieures (Ayub Khan, plafond 200 ha irrigués, 1959 ; Bhutto, 60 ha, 1972)3 n’avaient donné que de modestes résultats : de 1959 à 1977, 1,3 million d’ha ont été distribués à 278 000 paysans. Par ailleurs, grands et petits domaines sont en train de se fractionner avec le passage d’une génération à l’autre4.

9Mises à part les difficultés pratiques, registres fonciers incertains, partages au sein d’une même famille, on voit mal comment faire passer et surtout appliquer des réformes sérieuses, en l’absence d’un changement profond des rapports de force au niveau politique et économique. A l’Assemblée nationale et encore plus dans les Assemblées provinciales, à l’époque de Bhutto comme aujourd’hui, les grands propriétaires donnent le ton.

  • 5 Les zamindars du Sind jouaient déjà sous les Britanniques un rôle encore plus grand qu’au Panjab où (...)

10Dans l’Assemblée du Sind, par exemple, ceux-ci ont obtenu pratiquement tous les sièges, sauf ceux de Karachi, en 1985 comme en 19705.

11L’hypothèse d’une véritable révolution, seule susceptible de provoquer un changement profond des rapports de forces, apparaît si fragile ou lointaine que la question prend un tour académique.

L’encadrement de la société rurale

12Le sixième plan (1983-1988) poursuit sur la lancée des précédents en matière de développement intégré depuis la base. L’idée est de renforcer les District Councils et les Union Councils (conseils couvrant quelques villages) pour les faire participer davantage à la modernisation des campagnes. Les parlementaires (niveau central et provincial) sont associés à ce mouvement dans leur circonscription.

  • 6 The Sixth Five Year Plan, p. 153.

13Les projets locaux poursuivent plusieurs buts : services sociaux (éducation, santé, eau potable), infrastructures (routes, électrification). Les fonds doivent être fournis en partie par la collectivité locale, en partie par l’Etat. « Le développement rural (ainsi conçu) représente un défi colossal. Il s’agit de changer de très anciennes habitudes… » tout en renversant le flux des personnes instruites vers les villes « de sorte que médecins, ingénieurs et autres experts créent une nouvelle classe dans les communautés rurales »6.

14Autre volet : le crédit rural qui dépend du réseau de coopératives, dont les premières remontent au début de ce siècle, de l’Agricultural Development Bank créée après l’indépendance, des banques commerciales à partir de 1972.

Evolution du crédit rural (millions de Rs)

Evolution du crédit rural (millions de Rs)

Crédits versés en un an.

15Après 1970, parallèlement à la hausse des flux financiers, la politique de crédit s’est modifiée. A juste titre, elle avait été critiquée dans les années 1960-70 car elle tendait à trop favoriser les grands propriétaires. Par la suite, les intérêts des petits paysans ont été mieux pris en compte.

  • 7 La limite est fixée à 5 ha, pour la plupart irrigués.
  • 8 Sixth Plan, p. 124.

16Dès 1979, les banques commerciales sont incitées à développer leurs activités en milieu rural. En même temps, les petits paysans7 peuvent emprunter à court terme (achats d’engrais, de semences, de pesticides) jusqu’à 10 000 Rs sans intérêt à condition de rembourser dans les deux mois qui suivent les récoltes, sinon ils doivent payer principal et intérêt. Le même système a été introduit dans les sociétés coopératives de crédit. En 1982/83, par exemple, plus d’un milliard de Rs sont ainsi prêtées par l’entremise de la Federal Bank for Cooperatives, les banques coopératives provinciales et les sociétés coopératives qui attribuent les crédits aux intéressés. Le 6e plan propose d’allouer 50 % des fonds disponibles aux petits paysans contre 35 % en 1979/808.

  • 9 S.S. Jafri, “Rural Development, Need for a New Strategy, Pakistan and Gulf Economist, 17-8-1985. L (...)

17L’élargissement du crédit rural bute sur plusieurs obstacles. La simple gestion des prêts constitue une lourde tâche, compliquée par les collusions entre les notables et les institutions de crédit et diverses formes de corruption, dont sont victimes les paysans moyens plus que les riches. A ce titre, les plaintes que nous avons recueillies dans plusieurs villages correspondent à des défauts largement répandus. L’octroi de crédits à des conditions de faveur aux paysans de moins de 5 ha a suscité d’autres abus. Comme l’écrit S.S. Jafri : « un nombre substantiel de grands propriétaires se font octroyer des crédits sans intérêt, destinés aux seuls paysans pauvres »9.

  • 10 Cf. Muhammad Jameel Khan, Muhammad Sharif et Muhammad Sarwar, Monitoring and Evaluation of Training (...)

18Le besoin de renforcer les services agricoles hérités de la colonisation et de vulgariser les innovations techniques aussi vite que possible nécessite un gros appareil de soutien. Après les premières tentatives peu concluantes des années 1950, (Village AID) en 1962 est créé un service spécial de vulgarisation qui stimule la diffusion et la distribution des engrais, des pesticides, des nouvelles semences. Néanmoins, le système assume mal ses responsabilités qui grossissent avec l’expansion agricole. Les principaux défauts se résument ainsi dans le courant des années 1970 : manque de liaison entre recherche et vulgarisation, tâches trop nombreuses et diverses des fonctionnaires, manque de démonstrations sur le terrain, visites peu efficaces aux paysans, tendance à rencontrer surtout notables et propriétaires aisés, faiblesses de gestion10.

  • 11 Système conçu par l’Israëlien Daniel Benor, que la Banque mondiale propage dans de nombreux pays du (...)

19Sous l’influence de la Banque mondiale11 cinq districts du Panjab ont adopté, en 1978, le Training and Visit System T et V) qui, au cours du VIe plan, devrait s’étendre à l’ensemble du pays. En même temps, le service de vulgarisation s’est vu déchargé de la distribution des intrants en faveur du secteur privé et d’organisations semi-gouvernementales.

20Lorsque nous comparons nos observations dans le Sind et le Panjab des années 1960 à 1985/86, il en ressort que les autorités du district sont aujourd’hui nettement plus engagées dans le développement rural. Le deputy-commissioner, souvent jeune et dynamique, intervient de manière plus directe. Ses collaborateurs sont plus compétents que par le passé.

21Nous avons fait référence aux mesures prises avec succès pour stimuler l’essor du coton. D’une manière plus générale, le Pakistan Agricultural Research Council gagne en force et en expérience. La distribution des engrais chimiques ne suscite pas trop de critiques. On signale par contre des retards dans la livraison des pesticides. L’Agricultural Development Bank s’est lancée dans la promotion de petits puits tubés à pompe (5-7 CV) correspondant aux besoins des très nombreux propriétaires de 2 ou 3 ha qui, jusqu’alors, se trouvaient défavorisés par rapport aux exploitants de 20-50 ha.

22Malgré ces signes encourageants, de sérieuses faiblesses et insuffisances demeurent. Le Training and Visit System a été conçu pour remédier aux carences des services agricoles, accélérer la propagation des innovations techniques : préparation du sol, changement de semences, densité des semences, dosage adéquat des engrais chimiques, sarclage, méthodes d’irrigation, rotation des cultures… Pour ce faire, l’équipe agricole du district est renforcée par des spécialistes dans chaque discipline, par des agents plus nombreux de vulgarisation contactant de manière régulière les mêmes paysans (contact farmers). Les deux accents majeurs portent sur la formation et le perfectionnement des cadres (training) et leur présence sur le terrain, dans les villages (visit). L’ensemble des opérations est conçu selon un programme standard qui devrait permettre le contrôle précis des performances accomplies.

  • 12 Op. cit., p. 200.

23Dans leur excellent rapport d’évaluation (op. cit.) Muhammad Jamil Khan, Muhammad Sharif et Muhammad Sarwar analysent le système après cinq ans dans cinq districts du Panjab. Leurs conclusions sont fort mitigées : « Le système T et V n’a provoqué que de très faibles changements et améliorations dans la qualité de la vulgarisation agricole »12. La plupart des faiblesses de l’ancien système demeurent dans le T et V. Les évaluateurs ne trouvent pas de différences majeures entre les districts où le nouveau système est appliqué et les autres. Les paysans contactés montrent peu d’enthousiasme. Ils se plaignent que le message verbal des vulgarisateurs ne s’accompagne pas de démonstrations concrètes et le manque de crédit les empêche d’appliquer les leçons apprises. Parfois ils déplorent la formation insuffisante des cadres. De leur côté, ceux-ci émettent diverses doléances. Ils ne reçoivent pas – ou pas assez – de matériel de démonstration, d’engrais, de pesticides. Ils manquent de moyens de transport et, contrairement au règlement, se voient chargés de travaux sans rapport avec l’agriculture.

  • 13 Ce défaut est général dans la fonction publique.
  • 14 Pour tous ces points, op. cit., p. 190 à 200.

24Les évaluateurs notent que de nombreux postes de spécialistes, de Field Assistants, de plus hauts responsables restent vacants. Les fréquents transferts13 de cadres nuisent à la marche du système. Quant aux responsables supérieurs, ils sont cloués à leur bureau par la paperasse de sorte qu’ils ont peine à superviser leurs subordonnés14.

  • 15 Chapitre de l’ouvrage Strategies for Alleviating Poverty in Rural Asia, ed by Rizwan ul Islam, Bang (...)

25D’après nos discussions à Islamabad, il semble que l’introduction du système dans le Sind progresse encore plus mal qu’au Panjab. Shaukat Ali confirme les faiblesses économiques et sociales évoquées ci-dessus dans “Rural Poverty and Anti-Poverty Policies in Pakistan”. Il souligne le besoin d’améliorer la distribution des intrants qui favorisera aussi les pauvres, trop souvent écartés des mesures prises en leur faveur. L’auteur relève, comme d’autres observateurs, les détournements de fonds prévus, à l’origine, pour les pauvres et finissant dans les poches des riches. Enfin trop de programmes anti-pauvreté sont mal conçus : on construit une école sans prévoir de fonds pour les équipements scolaires et le salaire des maîtres. Shaukat Ali émet l’espoir que les impôts islamiques, zakat et ushar, pourraient faciliter la mobilisation de fonds supplémentaires destinés à la lutte contre la malnutrition, l’analphabétisme, le manque de soins de santé15.

Politique de stockage et de prix agricoles

  • 16 Les coûts de stockage sont certes élevés : dans les 700 Rs la tonne par an.

26L’expérience de ces dernières années l’a amplement démontré, le gouvernement pakistanais, comme tant d’autres en Asie, ne peut rester à la merci de brusques et massives importations en cas de mauvaises récoltes. La parade consiste à créer des silos pour stocker le grain16 en incitant les paysans à produire et à vendre plus au gouvernement, à un prix garanti (procurement price) et sur le marché privé.

* Achats, ventes et stocks du gouvernement.
** Situation au 1er mai pour le blé, au 1er juillet pour le riz.

27Le problème des prix se complique pour deux raisons : une part croissante de la production agricole entre dans les circuits monétaires. Alors que dans l’agriculture traditionnelle, le producteur faisait peu de dépenses en argent, celles-ci augmentent. La tendance à payer en argent les ouvriers agricoles, sauf principalement pour les récoltes, se répand même dans les régions isolées, au Baluchistan et dans les Tribal Areas. Mais ce sont surtout les dépenses pour les intrants qui ne cessent de croître.

  • 17 L’Agricultural Prices Commission a été créée pour proposer au Gouvernement le prix d’achat (procure (...)

28Ce double mouvement de l’économie monétaire nécessite la mise en place d’une politique où la relation coût/bénéfice reste favorable au paysan. Simultanément le gouvernement doit veiller à maintenir les prix des produits agricoles à un niveau acceptable pour les citadins17.

29Le gouvernement a mis progressivement en place un ample système de subventions : pour l’achat des intrants par les paysans, pour le maintien de prix de vente modérés des céréales, du sucre, des matières grasses. Dans l’ensemble, le système a contribué au progrès de l’agriculture. Toutefois, depuis plusieurs années déjà, les subventions ont atteint la cote d’alerte.

Subventions du Gouvernement (millions de Rs).

Subventions du Gouvernement (millions de Rs).

30Lorsqu’on ajoute les subventions pour favoriser les exportations, celles modestes pour les puits tubés et les semences de blé, on arrive au total de :

  • 18 Il faudrait encore ajouter les sommes importantes destinées à la gestion déficitaire des canaux d’i (...)

31Note18

32Des voix toujours plus nombreuses réclament la réduction des subventions. En 1980, celles qui touchent les pesticides sont supprimées, ce qui explique le ralentissement des achats par les paysans. Celles sur les engrais sont réduites.

33Cette politique suscite des réactions hostiles : « A quoi bon continuer à faire du coton pour un si faible prix garanti, grognent devant moi des notables du Sind », tandis qu’au Panjab, c’est le prix du blé qui suscite de vigoureuses critiques : « Voyez, ajoutent les uns et les autres, le coût de la vie continue à augmenter. Le gouvernement a relevé, pour 1985/86, son prix d’achat du blé à 80 Rs les 40 kg contre 70 en 1984/85, mais par contre le prix reste stationnaire en 1986/87 ». Il en va de même pour le prix du riz IRRI : 86,50 Rs les 40 kg pour 1985/86 et 86/87 contre 83 en 1984/85. Quant au prix du coton, il reste à 426-476-500 Rs/40 kg (selon la variété) de 1983/84 à 1986/87 inclus.

34Il est toujours difficile d’apprécier objectivement ce problème techniquement délicat et rendu encore plus compliqué par les groupes de pression de tout bord, contraignant les autorités à ménager les paysans sans s’aliéner les consommateurs urbains.

  • 19 N’oublions pas combien, en matière de subventions et de prix agricoles, la position des Etats Unis, (...)

35Quel que soit le bien-fondé des opinions en présence, prix et subventions agricoles sont en train de devenir un des éléments majeurs de la politique de développement, facteur de croissance et de progrès social, ou au contraire source de tensions politiques en cas de mécontentement paysan conduisant à une pénurie de denrées agricoles ou cause d’agitation urbaine devant des prix trop élevés !19 Comme nous le verrons, la question se pose dans un nombre croissant de pays du tiers monde, peu importe leur système politique.

Les problèmes hydrauliques

36Plus que jamais, le Pakistan reste le don de l’Indus. Plus que jamais, l’eau joue le rôle-clé et constitue le préalable aux autres mesures de développement : crédit, vulgarisation, politique des prix. Or, ces mêmes canaux qui ont assuré la mise en valeur du pays sont en train de devenir le frein principal de la croissance. L’eau manque dans les surfaces irriguées, contraint le paysan à laisser des champs en jachère, réduit la proportion des terres à doubles récoltes annuelles. Dans ces conditions, il ne faut pas compter sur un élargissement sensible des périmètres cultivés.

  • 20 Sauf pour le basmati.
  • 21 La hausse du rendement des céréales permettra de réduire leur surface en faveur de cultures plus ri (...)

37Les futurs accroissements de la production ne peuvent venir que de la hausse des rendements à l’ha et de la progression des doubles récoltes annuelles. Jusqu’à maintenant, il a été possible d’à peu près doubler le rendement des céréales malgré une maîtrise de l’eau inadéquate. Pour parvenir à un nouveau doublement de rendement moyen, soit 4 000 kg/ha de blé ou de riz20, pousser la productivité déjà élevée du coton au-delà de 500 kg/ha (fibre), développer l’arboriculture, l’élevage21, il faudra une irrigation sans failles, assez d’eau et au bon moment, ce qui suppose un accroissement des possibilités d’irrigation. Quant à la lutte contre la salinité et aux travaux de drainage, ils doivent devenir plus performants.

38Là-dessus se greffe l’amélioration des techniques et pratiques culturales qui mettront à rude épreuve la recherche agronomique, la vulgarisation et finalement l’ensemble de la planification, du niveau central jusqu’aux provinces et districts. Il tombe en effet sous le sens que, pour atteindre une productivité qui s’approche de celle de l’Europe occidentale (blé) ou du Japon (riz), les mêmes exigences d’ordre technique doivent être satisfaites.

39Prenons successivement les principales tâches. Le volume total d’eau qui entre chaque année dans les canaux est affecté par les pluies. De 1975/76 à 1979/80, il varie entre 96,6 millions de pieds par acre (0,4 ha) et 105,6 avec une moyenne de 100,14 millions. Pour 1980/81 à 1985/86, l’écart maximum est de 101,8 millions à 107,4 ; moyenne 102,83. En 1985/86, le volume tombe à 96,34 millions et en 1986/87 encore plus bas. Sans être trop inquiétantes sauf pour les deux dernières années, ces différences exercent néanmoins une influence positive ou négative sur les récoltes.

  • 22 Rappelons que seuls quelques-uns des nouveaux canaux sont cimentés.

40Face aux perspectives limitées d’un accroissement de l’eau disponible pour l’irrigation, même en tenant compte du futur barrage de Kalabagh, il importe de réduire les pertes. A l’heure actuelle, seuls 40 % du volume d’eau qui entrent dans les principaux canaux atteignent les champs, à la suite des infiltrations22 dans le sol et de l’évaporation. 35 à 40 % de l’eau qui pénètrent dans les petits canaux (water courses) accédant aux champs se perdent. Etant donné les coûts exorbitants que nécessiterait le cimentage des canaux principaux et secondaires et l’impossibilité de les fermer pendant la durée des travaux, l’idée de manœuvre, qui prend corps à la fin des années 1970, est de réduire les pertes au niveau des petits canaux.

  • 23 Il s’agit d’une moyenne. La surface varie de 80 à 280 ha.

41A la suite d’un projet-pilote lancé avec le soutien de la USAID (1976-81), des opérations de plus grande envergure sont entreprises. L’ensemble du système d’irrigation dans le bassin de l’Indus compte 89 000 petits canaux (water courses). Chacun sort du canal par une bouche (mogha) et se divise en plusieurs rigoles, de manière à desservir un bloc (chaq) d’environ 160 ha23.

42L’eau est distribuée selon un système de rotation (warabandi) entre les paysans. Chaque chaq comporte dans les 16 km de canalisations ou rigoles.

43A titre d’exemple prenons le projet “On Farm Water Management” à Paharpur (NWFP) et dans le Thal (Panjab) financé avec l’appui de l’Asian Development Bank (ADB). 1 250 petits canaux sont nettoyés et reconstruits ; une partie d’entre eux sont revêtus de briques cimentées, là où le sol est particulièrement perméable. Les embranchements des rigoles (nucca) sont cimentés. Le nivellement très précis des terres est entrepris. 95 puits tubés à pompe sont installés pour compléter l’eau des canaux. Au total 40 000 exploitations sont touchées.

44Les coûts répartis sur quatre ans (1981/85) se décomposent ainsi :

45Moyenne par petit canal : 543 200 Rs pour 160 ha.

  • 24 Données tirées de la brochure du Ministère de l’Agriculture, On Farm Water Management Project, (ADB (...)

46Quant aux 95 puits tubés (crédit ADB en roupies) ils coûtent 37 millions de Rs, soit 390 000 Rs par unité24.

47Les résultats obtenus dans les premières zones du projet sont impressionnants : dans l’une d’elles 110 ha étaient cultivés (kharif plus rabi) en 1979/80, 295 ha en 1981/82.

  • 25 Sans compter d’éventuels puits tubés.

48Ce projet peut être considéré comme optimal. Mais peut-on extrapoler les coûts à l’ensemble du pays, ce qui donnerait pour 89 000 petits canaux 48 milliards de Rs25. Les travaux entrepris par le gouvernement du Panjab sont d’une envergure plus modeste. 1 500 chaqs sont réaménagés en trois ans (1983/86), 15 à 30 % de la longueur des petits canaux sont cimentés, le reste reconstruit en terre. Les coûts (sans nivellement) sont de 180 000 Rs en moyenne par water-course et par chaq (soit de 900 à 1 100 Rs par ha) dont 95 000 assurés par le Gouvernement et le reste par les paysans. Le volume d’eau augmente de 40 %, la surface cultivée (doubles récoltes incluses) de 19 %. Les rendements par ha d’environ 14 %.

  • 26 Cf. Department of Agriculture, Punjab, Water Management Programme, 1982-83, Lahore, July 1983.

49Sans être négligeables, ces travaux exigent du temps et de gros capitaux si l’on veut couvrir les 54 000 petits canaux et chaqs du Panjab. C’est pourquoi le Gouvernement a lancé un autre type, plus léger, d’opérations (crash programme) : nettoyage des petits canaux, travaux de terrassement sans maçonnerie de manière à améliorer l’ensemble des petits canaux en quatre ou cinq ans. Les avantages seront évidemment modestes : gain d’eau 8 %, hausse des cultures 4 %26.

50Si la première formule n’appelle guère de critiques, la seconde suscite des réserves : risque de travaux bâclés et de peu d’utilité, encore moins supervisés que le programme régulier, d’où coulage et autres abus.

51Malgré la difficulté à chiffrer avec précision les coûts des opérations, avec ou sans nivellement, avec ou sans puits tubés d’appoint, compte tenu des différences de sols, du besoin variable en rigoles cimentées, les fonds prévus dans le VIe Plan ne paraissent guère à la mesure des besoins : un milliard de Rs sur 32 milliards consacrés à l’ensemble des problèmes hydrauliques.

On Farm Water Management Programmes (millions de Rs)

On Farm Water Management Programmes (millions de Rs)

Source : The Sixth Five Year Plan, p. 305.

52Après les rigoles d’irrigation (water courses), passons aux 65 000 km de canaux principaux, secondaires et tertiaires. Alors que la Water and Power Development Authority (WAPDA), agence créée en 1958, est chargée de la construction des nouveaux réseaux d’irrigation et de la lutte contre la salinité, l’ancien département de l’irrigation conserve la gestion des canaux.

  • 27 Sixth Plan, p. 221.

53Prestigieux entre tous à l’époque britannique, le service s’est beaucoup dégradé depuis l’indépendance. L’entretien des canaux est devenu de plus en plus déficient, faute de fonds. Les dépenses ont surtout porté sur les canaux principaux, au détriment des autres. Il en résulte de fréquentes ruptures des digues, provoquant des inondations en amont et le manque d’eau en aval. L’absence de nettoyage conduit à l’ensablement des canaux et à des pertes supplémentaires en eau. Le système de distribution entre les paysans (warabandi) ne tient pas assez compte de la diversité des cultures et de leurs besoins en eau. Il n’est pas rare que l’eau soit gaspillée en amont et manque à l’extrémité des canaux. La tendance à étendre la surface irriguée contribue à réduire le volume d’eau utilisé par ha ce qui aggrave la salinité (voir plus bas), et conduit à l’allongement des canaux, à la hausse des coûts de gestion27. Nombre de canaux devraient être améliorés et en partie reconstruits (remodelled) pour assurer un débit plus régulier et mieux réparti.

54Ces maux sont aggravés par la corruption, phénomène non pas nouveau, mais beaucoup plus répandu aujourd’hui qu’à l’époque britannique, en particulier aux échelons supérieurs de l’administration. Manque de contrôles, pression des grands propriétaires pour être mieux servis complètent le tableau.

  • 28 Cf. chapitre suivant.

55Les nouveaux investissements prennent le pas sur les dépenses de gestion et d’entretien (maintenance and operations) selon un schéma hélas classique en Asie et ailleurs28. Les faibles fonds alloués à ces tâches peuvent être mal utilisés à la suite du laisser-aller et de la corruption. Quant aux taxes d’irrigation, elles sont dérisoires au point de ne même pas couvrir les frais d’entretien… et certains paysans s’arrangent à ne pas les payer !

56Des défauts supplémentaires interviennent, tels que le manque de coordination entre la WAPDA et les départements provinciaux de l’irrigation, entre ceux-ci et les programmes “On Farm Water Management”.

57Ces faiblesses bien connues de longue date et dont on relève des échos auprès des paysans comme dans les bureaux de l’administration, hypothèquent de plus en plus l’avenir. Le VIe Plan envisage de réparer et d’améliorer (canal remodelling) 3 200 km de canaux. Des travaux moins importants, surtout d’entretien (canal rehabilitation) devraient en trois ans améliorer 6 400 km de canaux, soit le dixième du total.

58A ce rythme, s’il est tenu, il faudra plusieurs plans quinquennaux pour arriver à une rénovation complète du système qui, rappelons-le, comporte dans les 65 000 km de canaux principaux et secondaires et plus d’un million de km de petits canaux (water courses).

59Un souci supplémentaire et d’une nature particulièrement complexe intervient dans le cadre de l’accord sur le partage des eaux du bassin de l’Indus entre l’Inde et le Pakistan (1960). Plusieurs link canals ont été construits, qui coupent en diagonale le Panjab du nord-ouest au sud-est pour transférer une partie de l’eau de l’Indus, du Jhelam et du Chenab vers les terres privées de l’eau de la Ravi, du Bias et de la Satlej qui revient à l’Inde.

  • 29 Ceux-ci peuvent mettre en danger les canaux à proximité.

60Faute de courant, les rivières ont tendance à faire plus de méandres29, à s’ensabler, tout en suscitant de délicats problèmes de drainage. La nappe phréatique baisse près de la Satlej et de la Ravi. Il est malaisé d’apprécier la gravité du phénomène. Certains ingénieurs de l’irrigation nous faisaient part de leur très vive inquiétude, d’autres à la WAPDA se montraient beaucoup moins soucieux.

Excès d’eau (water logging) et salinité

61Sur la base d’études conduites dans les années 1963-74, il ressort qu’environ 7 % de la surface cultivée au Panjab sont gravement affectées par la salinité, pourcentage qui monte à 33 % dans le Sind. Il est fort possible que ces sols aient été ainsi depuis de nombreux siècles, mais que les sels soient montés à la surface à la suite de la hausse de la nappe phréatique, en conséquence des pertes d’eau des canaux d’irrigation. En plus, il faut compter avec les surfaces modérément affectées (dans les 20 % des terres), c’est-à-dire celles où les cultures sont possibles, mais d’un rendement plus ou moins bas.

62Le phénomène est aggravé lorsque les paysans utilisent trop peu d’eau, de sorte que les sels ne peuvent être ramenés à l’intérieur du sol.

  • 30 Sixth Plan, p. 281.

63En ce qui concerne l’excès d’eau (water logging), remontée de la nappe phréatique sans salinité, les zones dangereuses sont celles où la nappe se trouve à moins de 1,50 m de la surface, ce qui fait pourrir les racines des plantes. Dans les 4,4 millions d’ha en octobre et 2 millions en juin ont leur nappe phréatique à 1,50 m ou moins30.

  • 31 11 200 puits pompent de l’eau douce.

64Comme nous l’avons vu, plusieurs Salinity and Reclamation Projects (SCARP) ont été entrepris au Panjab, puis dans le Sind. A côté de quelques projets utilisant des drains horizontaux, les plus nombreux recourent à 12 600 puits tubés de l’Etat (1982) qui par pompage abaissent la nappe phréatique. Lorsque l’eau souterraine est bonne31, elle est utilisée pour lessiver les sols souffrant de salinité et fournir une irrigation d’appoint à celle des canaux.

  • 32 Mauvais entretien, retards dans le remplacement des équipements trop vieux, 50 % des puits de l’Eta (...)

65Du début des travaux en 1960 à 1987, 2,5 millions d’ha ont été réhabilités ou améliorés. Néanmoins la progression est beaucoup plus lente que prévu. Face à un objectif de 2,8 millions d’ha, le Ve Plan 1978-83 n’en a couvert que 800 000. Le manque de fonds et le mauvais fonctionnement32 des puits expliquent ce gros écart. De 1986 à 1990, il est prévu d’installer 5 000 nouveaux puits de l’Etat, de creuser 1 709 km de drains ouverts et 13 245 km de drains couverts. En plus, crédits et subventions encouragent les paysans à installer 25 000 puits plus petits sur 600 000 ha assurés d’une bonne eau souterraine.

Les réserves en eau souterraine

  • 33 Cf. Sixth Five Year Plan, p. 280.
  • 34 Données présentées dans The Indus Basin Research Assessment Group, 1978.

66Dans quelle mesure l’eau souterraine pourrait-elle compenser les limites de l’irrigation par eau de surface ? De 1960 à 1982, le nombre de puits tubés passe de quelques milliers à 195 370 : 181 200 privés, 12 600 relevant de l’Etat pour les SCARP et 1 590 autres pour l’irrigation seule, notamment au Baluchistan, dans la NWFP et les FATA. Des 16 millions d’ha couverts par le système des canaux, 5,6 millions comportent de l’eau douce. Ailleurs la qualité de l’eau souterraine varie : une partie est utilisable moyennant mélange avec l’eau des canaux, le reste ne l’est pas33. Selon des estimations plus anciennes, 60 % des terres, dans la plaine du Panjab, comporteraient de l’eau douce, 20 % de l’eau modérément salée, utilisable en mélange, 20 % de l’eau trop salée. Dans le Sind, seuls 25 % des terres comporteraient une bonne eau souterraine34. Nombre total de puits tubés : 214 000 en 1986.

67La surface irriguée par pompage passe de 2,4 à 3,3 millions d’ha, celle de l’irrigation par canaux de 10 à 11 millions entre 1975/76 et 1984/85. Le VIe Plan ne se prononce pas sur les possibilités ultimes d’irrigation, mais il se montre assez réservé. Il convient de procéder avec prudence. Des études nouvelles s’imposent afin d’utiliser l’eau de manière plus économique.

  • 35 1 pied = 0,30 m, 1 acre= 0,40 ha 6th Plan, p. 111 et p. 284.

68Si nous reprenons l’ensemble des programmes d’irrigation, l’eau disponible devrait augmenter de 12 % au cours du plan, passant de 101 à 113 millions de pieds-acres. Le plan n’indique pas, pour 1988, la répartition entre eau de surface (canaux) et eau souterraine. En 1982, la première représente les deux tiers du total35.

La prévention des inondations

69Malgré son climat aride, le Pakistan peut souffrir de graves inondations, comme il en a connu lors de la série noire des années 1973, 1975 et 1976. Les dommages totaux auraient été de l’ordre de 20 milliards de Rs. En 1977, est constituée la Federal Flood Commission qui recommande le démarrage de plusieurs travaux de protection : construction ou renforcement de digues. Au cours du Ve Plan, ceux-ci procèdent lentement : sur 1,8 milliard de Rs prévus, 1,2 milliard seulement sont utilisés. Le VIe Plan envisage 1,8 milliard de Rs.

Les enjeux au niveau de la planification nationale

70Observations sur le terrain, discussions à haut niveau dans l’administration, étude du VIe Plan et d’autres rapports suscitent un sentiment d’embarras. D’une part, les tâches dans l’hydraulique sont colossales et indispensables aux prochaines étapes de la croissance. D’autre part, les moyens mis à disposition ne permettront qu’une lente amélioration du système, qui risque fort de ne pas assurer une hausse assez forte de la production.

71Existe-t-il une alternative ? Le secteur public du VIe Plan se décompose ainsi :

Répartition en %

agriculture :

5 %

transports-communications :

18,9 %

hydraulique :

10,5 %

éducation :

6,5 %

énergie :

38,2 %

santé :

4,3 %

industrie :

6,7 %

planification familiale :

0,7 %

mines :

1,9 %

divers :

7,3 %

TOTAL : 305 milliards de roupies.

72Il semble difficile de beaucoup modifier cette répartition. La forte hausse en chiffres absolus et en pourcentage du secteur énergie ne saurait être critiquée (25,4 % dans le Ve Plan). Les plus gros investissements dans les programmes sociaux (éducation, santé) ne sont pas non plus critiquables. Quant à la part de l’industrie, elle a été réduite de 16,6 % à 6,7 %.

73Faute de changements sensibles dans la répartition des investissements publics, pourrait-on recourir davantage aux efforts des paysans ? Sur 200 milliards de roupies d’investissements privés totaux, l’agriculture en absorbe 22,7 %, proportion difficile à augmenter. De plus, il faut se souvenir qu’une grande partie des investissements dans l’hydraulique ne peuvent venir que de l’Etat.

74Reste la répartition à l’intérieur du secteur hydraulique. Ne serait-il pas judicieux d’augmenter les investissements dans les petits canaux (water courses) qui rapportent vite, alors que ce poste n’absorbe que 1,06 milliard de Rs sur un total de 32,1 milliards, consacrés à l’hydraulique, dont les plus gros postes sont les travaux pour les canaux principaux (10,9 milliards) et la lutte contre la salinité, 13,8 miliards. D’un autre côté, les travaux des On Farm Water Management Projects ne sont pas si simples à exécuter. Il n’est pas certain que le Pakistan ait les moyens en hommes et les capacités de gestion suffisants pour s’attaquer, en même temps, à quelques dizaines de milliers des 89 000 water courses.

  • 36 Voir les nombreuses critiques présentées dans le VIe Plan, p. 310 à 314.

75Une rigueur plus sévère dans le fonctionnement et les opérations de la WAPDA et des départements d’irrigation pourrait, à défaut de fonds supplémentaires, éviter des gaspillages, du coulage et autres pertes, ce qui améliorerait le rendement des canaux et des SCARP36.

76Finalement, fournir des réponses complètes à ces questions exigerait des moyens et une expérience qui dépassent les possibilités d’un simple chercheur. Pour clore la discussion, je me demande si la première démarche ne devrait pas inclure une prise de conscience plus large de ces problèmes, à voir l’écart entre la perception claire de plusieurs hauts fonctionnaires, de quelques ingénieurs et économistes et l’ignorance ou la méconnaissance de ces échéances au sein de l’intelligentsia, chez une large partie des élites dirigeantes, voire de la classe politique.

Cultures pluviales (barani) et zones montagneuses

77Le VIe Plan accorde plus d’attention que les précédents à l’agriculture non-irriguée en zone montagneuse : amélioration des pratiques culturales, élevage, développement de l’irrigation.

  • 37 Cf. chapitre 7.
  • 38 Rappelons le lien entre eau et engrais chimiques.

78Pour les cultures impossibles à irriguer, la marge de manœuvre varie : faible au Baluchistan où les pluies sont si rares, plus large dans les collines du nord Panjab. Celles-ci de surcroît souffrent de l’érosion, d’où l’appauvrissement croissant des sols. Comme nous l’avons vu à Chaqwal37, les rendements n’ont guère évolué jusqu’à maintenant : au kharif le maïs donne 700 à 1 000 kg/ha, jowar et bajra respectivement dans les 500 et 300. Des applications légères d’engrais chimiques, moyennant une bonne mousson, pourraient pousser le maïs à 1 500 kg/ha, ou un peu plus. Mais les paysans seront-ils prêts à prendre le risque de faire cette dépense. Même problème pour le blé : par bonnes pluies 1 000-1 200 kg/ha, sinon 700-900 ou moins. Le paysan hésitera encore plus à recourir aux engrais car les pluies d’hiver sont, en général, plus incertaines que la mousson38.

79Plus loin dans les zones tribales ou dans les terres non irriguées autour de Bannu (NWFP) les paysans affrontent les mêmes problèmes.

80Le développement de l’irrigation ne va pas sans peine non plus. L’installation d’un puits tubé à pompe coûte cher en terrain rocailleux mais, si la nappe est assez abondante, l’irrigation se révèle très payante, comme on l’observe dans diverses parties du Baluchistan et dans le nord-ouest. Plus aléatoires sont, par contre, les petits barrages. Faute de pluies, ils restent à sec.

81A ces contraintes du milieu physique s’ajoutent les difficultés à organiser le développement : manque de routes, distances, rareté des centres urbains, manque de personnel qualifié local. Nous avons vu, par exemple, les résultats plutôt minces obtenus après la construction de 14 petits barrages, dans le nord du Panjab (chapitre vii).

82En bref, il est certes souhaitable de faire plus dans ces régions, mais il ne faut pas se leurrer. Le développement agricole s’annonce lent et coûteux, d’où la nécessité encore plus impérieuse qu’ailleurs de stimuler les activités non agricoles. Or, ici à nouveau, l’isolement constitue non pas une barrière, mais un frein.

83Seules les régions dotées de bonnes possibilités d’irrigation par puits tubé, même sur de petites surfaces, comme il en existe au Baluchistan et dans le nord-ouest, pourraient s’en tirer beaucoup mieux en se concentrant sur des cultures riches, notamment l’arboriculture.

  • 39 Quelques progrès récents apparaissent dans le développement du tourisme.

84Dans d’autres zones, notamment dans les montagnes du nord, le tourisme constitue un potentiel considérable de nature à améliorer le niveau de vie des populations. Les régions alpines d’Europe en font l’expérience depuis un siècle. Certaines régions du Népal ont connu un gros essor depuis vingt à trente ans. Or aujourd’hui encore, beaucoup d’agences occidentales de tourisme ne s’intéressent pas au Pakistan, faute d’infrastructures d’accueil et d’agences locales du tourisme assez efficaces et bien organisées. Entre Gilgit et Hunza nous avons rencontré en 1985 quelques dizaines de touristes, alors qu’ils se comptent par dizaines de milliers au Népal, y compris les cohortes de touristes qui font du trekking.39

Réformes économiques et développement

85L’économie rurale est de plus en plus imbriquée dans l’ensemble de l’économie, l’industrie, les services, le commerce extérieur de sorte que la politique décidée à Islamabad se fait sentir jusqu’au fond des campagnes.

86Au cours du VIe Plan, l’économie a connu un taux élevé de croissance (plus de 6 % par an), mais les services ont progressé plus vite que prévu, les secteurs directement productifs plus lentement. Quant à l’inflation, elle est d’environ 6 % par an.

  • 40 Barrage en aval de Tarbela avec centrales électriques de 3 400 MW. De fortes oppositions locales et (...)

87Alors que le programme de routes rurales tient à peu près l’horaire, on peut craindre des retards dans la production d’électricité qui risquent d’être aggravés, à long terme, par les polémiques à propos du projet de barrage (dam) de Kalabagh sur l’Indus40. Les divers projets de lutte contre la salinité n’avancent pas non plus à la cadence prévue.

  • 41 Cf. Pakistan and Gulf Economist, 12-9 et 31-10-87.

88Plus fondamental apparaît l’avenir des réformes économiques dont l’avance reste inégale selon les domaines. Quant à la réforme du système fiscal, elle suscite de graves préoccupations. Le déficit dans le financement intérieur du plan s’accentue. Le Gouvernement a dû renoncer à augmenter certains impôts et taxes prévus au budget 1987/88 à la suite des réactions hostiles de la classe politique. Dans l’automne 1987, un projet de réformes destinées à élargir les ressources de l’Etat – tout en réduisant l’énorme fraude fiscale – a suscité une véritable levée de boucliers dans les milieux dirigeants de l’économie privée, au point que le Gouvernement hésite à aller de l’avant41.

89Comme nous l’avons vu, même si l’Etat a intérêt à limiter ses appétits et stimuler au maximum le secteur privé dans toutes les directions, des tâches amples et coûteuses, notamment dans le développement rural, ne peuvent être prises en charge par l’économie privée. En autres termes, c’est par une avance relativement harmonieuse des deux secteurs que l’économie accélérera son taux de croissance.

90Cet impératif s’éclaire d’une lumière crue au moment où l’on s’interroge sur l’emploi et le chômage, éléments décisifs dans la lutte contre la pauvreté. La situation plutôt favorable dont a bénéficié le Pakistan jusqu’à maintenant est en train de se renverser. La répartition de la population active s’est beaucoup modifiée de 1951 à 1978/79 pour ensuite évoluer de manière plus lente, un signe de la difficulté à alléger le secteur agricole.

Population active en %

Population active en %

Source : Labour Force Surveys, 1971-1985 Govt of Pakistan et Economic Survey 1987/88.

  • 42 Hausse annuelle de la population active : 950 000 personnes.

91Quant au nombre de chômeurs, il est estimé à un million sur une population active de 28,6 millions en 1984/85, ce qui donne un taux de chômage de 3,7 %, estimation qui pourrait bien être sous-évaluée42. Jusqu’à maintenant, l’émigration vers le Moyen Orient et les rapatriements d’argent ont joué le rôle de soupape de sûreté, tout en contribuant à renforcer les salaires des travailleurs restés au Pakistan, notamment dans les catégories d’artisans, maçons, charpentiers, voire manœuvres agricoles dans les districts de forte émigration. La fin du boom pétrolier au Moyen Orient va donc aggraver la situation de l’emploi. Au rythme actuel de l’économie, le taux de chômage risque fort de dépasser 10 % en 1992/93.

  • 43 Les petites entreprises sont dotées d’investissements inférieurs à 5 millions de Rs.

92Où trouver des débouchés ? La grande industrie n’absorbe que 500 000 travailleurs sur 3,8 millions (1984/85) pour l’ensemble de l’industrie43. Avec l’évolution des techniques, il ne faut pas s’attendre à beaucoup de nouveaux emplois. En revanche la petite industrie jouit d’une large marge de manœuvre, notamment dans les campagnes, ce qui nous ramène à la question des routes et de l’électricité. Parallèlement, commerce et transports bénéficieront des progrès de l’agriculture et de l’élevage. Dans cette perspective se place également l’arboriculture dont nous avons vu le potentiel.

  • 44 Le besoin de plus diversifier les exportations devient pressant.

93Tout ce mouvement pourrait connaître d’autres prolongements, branchés sur un essor plus vigoureux de l’industrie agro-alimentaire à destination du marché local et des marchés extérieurs44, entre autres au Moyen Orient. La participation plus large d’entreprises étrangères pourrait se révéler bénéfique pour tous les intéressés.

94Ces données montrent comment les rouages de l’économie deviennent plus interdépendants à tous les niveaux, du pouvoir central jusqu’aux villages, entre l’agriculture, l’industrie, les services. Il est non moins évident que le spectre du chômage ne reculera que sous l’effet de multiples et différentes mesures.

Le VIIe plan 1988-1993

95Le VIIe Plan prévoit des investissements de 660 milliards de Rs (aux prix de 1987/88), contre environ 490 milliards dépensés durant le VIe Plan (secteur public et privé). A juste titre, la part faite à l’énergie passe de 32 à 37,9 % des investissements publics. Baisse légère en pour cent pour l’industrie et quelques autres secteurs, maintien (en pour cent) de la part faite à l’hydraulique et à l’agriculture. L’éducation passe de 6 à 7 %, la santé reste à 4 %.

96Les grandes tendances amorcées au cours du VIe Plan, la meilleure attention accordée aux secteurs sociaux se maintiennent, de même que les projets lancés dans le cadre des « cinq points » du programme de l’ancien Premier Ministre Junejo.

97Les auteurs du plan ne cachent pas leur souci au sujet du financement extérieur et intérieur. L’aide étrangère pour le VIe Plan est restée en deçà des objectifs. Qu’en sera-t-il dans l’avenir ? Les mesures envisagées pour mieux mobiliser l’épargne locale (fiscalité incluse) seront-elles mises à exécution ?

  • 45 Cf. chap. 3 et A. Hameed Khan, Islamic Opinions on Contraception, Dacca, 1963.

98Reste un gros point noir qui ne semble pas émouvoir outre mesure les planificateurs. La population devrait atteindre 162 millions en 2003. Certes, si le taux de croissance de l’économie se maintient à environ 6 %, le revenu par tête s’élèvera de 3 à 3,5 % par an. Néanmoins, les effets perturbateurs d’une trop forte pression démographique ne se limitent pas au rapport entre PNB et PNB par tête : encombrements dans les villes, émiettement des exploitations agricoles, sous-emploi ou chômage, éducation compromise, tensions sociales dégénérant dans des affrontements violents… N’est-il pas possible de faire sensiblement plus, surtout dans un pays dont la religion lorsqu’elle est bien comprise45 n’est en rien fermée à la prévention des naissances ?

99Autre aspect du plan, celui-ci plus positif, la poursuite des efforts en vue de libéraliser le système économique, en encourageant le secteur privé, tout en cherchant à rendre le secteur public plus efficace et autonome.

Last but not least, la politique et les politiciens

100Pour terminer, force est de revenir à l’incidence de la politique sur l’économie. Celle-ci n’est pas sans influence sur le taux d’investissements :

* En % du PNB à prix courants.
Source : Planning and Development Division.

101Les investissements publics ont peine à s’accroître pour les raisons évoquées ci-dessus. Quant aux investissements privés dans le commerce, l’industrie, ils ne sont pas insensibles au climat politique.

102Comme l’enseignent d’autres pays, avancés ou en voie de développement, l’apprentissage de la démocratie se fait de manière graduelle et en y mettant le temps. Ce n’est par exemple qu’au prix de plusieurs élections générales que la classe politique pakistanaise se modifiera de manière sensible, que l’on verra moins de grands zamindars sur les bancs de l’Assemblée nationale et des Assemblées provinciales. Une telle évolution semble préférable à la tentation de nouvelles aventures, allant de putschs militaires à des réformes populistes. Pour le moment, l’avenir s’annonce fort mal prévisible. A l’incertitude provoquée par la dissolution de l’Assemblée nationale et la perspective des élections le 16 novembre 1988, s’ajoute la brusque disparition du président Zia. S’il se prolonge, un tel climat ne va évidemment pas favoriser les investissements privés.

Notes

1 La chute du coton a été provoquée par des pluies excessives et un temps souvent couvert.

2 Même si la prévention des naissances devient plus répandue, les futurs nouveaux couples sont déjà nés. Dans une phase intermédiaire, leur nombre compense en partie une éventuelle baisse du nombre d’enfants par couple.

3 Ajoutons que l’ordonnance de janvier 1977 abaissant le plafond à 40 ha irrigués ne fut pas appliquée à la suite du changement de régime.

4 La prévention des naissances semble encore peu répandue même chez les grands propriétaires.

5 Les zamindars du Sind jouaient déjà sous les Britanniques un rôle encore plus grand qu’au Panjab où l’encadrement de l’ICS était plus solide.

6 The Sixth Five Year Plan, p. 153.

7 La limite est fixée à 5 ha, pour la plupart irrigués.

8 Sixth Plan, p. 124.

9 S.S. Jafri, “Rural Development, Need for a New Strategy, Pakistan and Gulf Economist, 17-8-1985. L’auteur se réfère à une enquête, Survey, de 1983, de la National Fertiliser Corporation of Pakistan.

10 Cf. Muhammad Jameel Khan, Muhammad Sharif et Muhammad Sarwar, Monitoring and Evaluation of Training and Visit System of Agricultural Extension in Panjab-Pakistan, Lahore, 1984, p. 4.

11 Système conçu par l’Israëlien Daniel Benor, que la Banque mondiale propage dans de nombreux pays du tiers monde.

12 Op. cit., p. 200.

13 Ce défaut est général dans la fonction publique.

14 Pour tous ces points, op. cit., p. 190 à 200.

15 Chapitre de l’ouvrage Strategies for Alleviating Poverty in Rural Asia, ed by Rizwan ul Islam, Bangkok, 1985.

16 Les coûts de stockage sont certes élevés : dans les 700 Rs la tonne par an.

17 L’Agricultural Prices Commission a été créée pour proposer au Gouvernement le prix d’achat (procurement) des produits agricoles.

18 Il faudrait encore ajouter les sommes importantes destinées à la gestion déficitaire des canaux d’irrigation, cf. plus bas.

19 N’oublions pas combien, en matière de subventions et de prix agricoles, la position des Etats Unis, du Japon, de l’Europe occidentale est devenue tout simplement intenable.

20 Sauf pour le basmati.

21 La hausse du rendement des céréales permettra de réduire leur surface en faveur de cultures plus riches, point particulièrement important pour les propriétaires d’un à deux ha.

22 Rappelons que seuls quelques-uns des nouveaux canaux sont cimentés.

23 Il s’agit d’une moyenne. La surface varie de 80 à 280 ha.

24 Données tirées de la brochure du Ministère de l’Agriculture, On Farm Water Management Project, (ADB funded), Islamabad, March 1984.

25 Sans compter d’éventuels puits tubés.

26 Cf. Department of Agriculture, Punjab, Water Management Programme, 1982-83, Lahore, July 1983.

27 Sixth Plan, p. 221.

28 Cf. chapitre suivant.

29 Ceux-ci peuvent mettre en danger les canaux à proximité.

30 Sixth Plan, p. 281.

31 11 200 puits pompent de l’eau douce.

32 Mauvais entretien, retards dans le remplacement des équipements trop vieux, 50 % des puits de l’Etat sont en si mauvais état qu’ils fonctionnent de manière non économique. Cf. Sixth Plan, p. 295.

33 Cf. Sixth Five Year Plan, p. 280.

34 Données présentées dans The Indus Basin Research Assessment Group, 1978.

35 1 pied = 0,30 m, 1 acre= 0,40 ha 6th Plan, p. 111 et p. 284.

36 Voir les nombreuses critiques présentées dans le VIe Plan, p. 310 à 314.

37 Cf. chapitre 7.

38 Rappelons le lien entre eau et engrais chimiques.

39 Quelques progrès récents apparaissent dans le développement du tourisme.

40 Barrage en aval de Tarbela avec centrales électriques de 3 400 MW. De fortes oppositions locales et provinciales se manifestent, à propos des terres submergées et des conséquences éventuelles du barrage sur le débit de l’Indus en aval.

41 Cf. Pakistan and Gulf Economist, 12-9 et 31-10-87.

42 Hausse annuelle de la population active : 950 000 personnes.

43 Les petites entreprises sont dotées d’investissements inférieurs à 5 millions de Rs.

44 Le besoin de plus diversifier les exportations devient pressant.

45 Cf. chap. 3 et A. Hameed Khan, Islamic Opinions on Contraception, Dacca, 1963.

Table des illustrations

Titre Evolution du crédit rural (millions de Rs)
Légende Crédits versés en un an.
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Légende * Achats, ventes et stocks du gouvernement.** Situation au 1er mai pour le blé, au 1er juillet pour le riz.
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Titre Subventions du Gouvernement (millions de Rs).
URL http://books.openedition.org/iheid/docannexe/image/1923/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 36k
URL http://books.openedition.org/iheid/docannexe/image/1923/img-4.jpg
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URL http://books.openedition.org/iheid/docannexe/image/1923/img-5.jpg
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Titre On Farm Water Management Programmes (millions de Rs)
Légende Source : The Sixth Five Year Plan, p. 305.
URL http://books.openedition.org/iheid/docannexe/image/1923/img-6.jpg
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Titre Population active en %
Légende Source : Labour Force Surveys, 1971-1985 Govt of Pakistan et Economic Survey 1987/88.
URL http://books.openedition.org/iheid/docannexe/image/1923/img-7.jpg
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Légende * En % du PNB à prix courants.Source : Planning and Development Division.
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