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Le Pakistan, don de l’Indus

 | 
Gilbert Etienne

Chapitre III. La population

Texte intégral

1Il serait difficile de saisir les enjeux politiques, économiques et sociaux auxquels le Pakistan fait face sans avoir au préalable une perception claire de la population, de son évolution, de sa composition.

Une forte croissance

2Voici l’évolution de la population selon les recensements :

population en millions

1951 : 36

1961 : 42,9-46,9

1972 : 65,3

1981 : 84,2

1987 : 100 (estimation)

3Ces chiffres appellent des réserves. Les recensements de 1951 et de 1961 souffrent sans doute d’un assez sérieux sous-enregistrement. Selon certaines estimations, en 1961 le chiffre réel aurait été de 46,9 millions. Même en retenant cette estimation, la population a doublé dans les 25 dernières années, ce qui constitue une croissance particulièrement élevée par rapport à de nombreux autres pays d’Asie. Qui plus est, le taux de croissance ne ralentit pas.

41960-65 : 2,88 % par an

51965-70 : 2,88 % par an

61970-72 : 3,00 % par an

71988 : 3,10 % par an

8Alors que la mortalité a fortement baissé, la natalité n’a connu qu’un recul insignifiant, conséquence des progrès extrêmement lents de la prévention des naissances.

  • 1 Pour tous ces chiffres, Planning Division Estimates et 7th Five Year Plan 1988-93, p. 18 à 19.

En 1980 la mortalité est de 8,2 pour mille dans les villes contre 11,4 dans les campagnes1. La natalité donne respectivement 38,4 et 42,7.

9Comme dans le reste du sous-continent le nombre des femmes est inférieur à celui des hommes : le rapport des sexes est de 100 pour 110.

10Sur la base d’une baisse du taux de croissance à 2,6 % par an d’ici à 2003, à cette date la population devrait atteindre 162 millions, perspective plutôt préoccupante, quelles que soient les futures performances de l’économie.

11La répartition par classe d’âge donne un reflet de la forte croissance démographique.

Répartition par âge %

0 - 4 ans

15,32

5 - 9 ans

16,02

10 - 14 ans

13,17

15 - 54 ans

46,55

55 ans et plus

8,95

12En 1951, le taux d’urbanisation (17,8 %) correspond en gros à celui de l’Inde. En 1981, le Pakistan atteint 28,3 %, contre 23,8 % chez sa voisine. Le Panjab se situe à 27,6 %, NWFP et Baluchistan dépassent légèrement 15 % alors que le Sind, grâce à l’énorme croissance de Karachi, atteint 43,3 %.

13Evolution par province (millions d’habitants)

* North West Frontier Province
** Federal Administered Tribal Areas
*** y compris Islamabad
Sources : Census of Pakistan 1951 and 1981, et Estimates of Federal Bureau of Statistics.

14Particulièrement suspects sont les chiffres sur le Baluchistan et les FATA, compte tenu de l’isolement de ces régions.

15Fait saillant et lourd de conséquences politiques : le poids du Panjab qui constitue dans les 55 % de la population.

16Au recensement de 1981, les non-Musulmans représentaient 3,4 % de la population, soit 2,8 millions dont 1,3 millions de Chrétiens et à peu près le même nombre d’Hindous. Ces derniers habitent surtout dans le Sind. On retiendra une minuscule mais fort active minorité de 7 000 Parsis, localisés à Karachi, à Quetta et Lahore. D’une manière générale, les minorités religieuses sont trop faibles pour jouer un rôle sur la scène politique.

Les hommes et la terre

17Contrairement à la plaine du Gange ou aux deltas du sud-est de l’Inde avec leurs densités rurales aujourd’hui souvent au-dessus de 500 habitants au km2, le Pakistan hérite de l’histoire des densités rurales relativement légères, conséquence de la mise en valeur tardive de plusieurs districts ruraux.

18Les densités moyennes au niveau national et provincial n’ont pas grand sens compte tenu des déserts et montagnes, c’est pourquoi il faut s’arrêter au niveau du district.

19Les districts de Faisalabad et Sarghoda ont perdu une partie de leurs territories assez peu peuplés qui constituent de nouveaux districts après le recensement de 1981. C’est pourquoi les chiffres de 1961 et 1981 ne sont pas comparables.

20Tous ces districts sont dans la plaine du Panjab, sauf Mardan dans celle de Peshawar, Hyderabad dans le Sind. Les autres districts de plaine ont des densités moyennes beaucoup plus basses (100 à 200) car ils comportent à côté des champs cultivés de vastes étendues semi-désertiques.

21Comme nous le verrons, les indices, relevés sur le terrain, confirment que le poids des hommes sur la terre est moins lourd qu’en Inde ou au Bangladesh : persistance des cultures fourragères, taille moins émiettée des exploitations, présence de grands propriétaires… Mais cette situation est en train de se dégrader sous l’effet de la poussée démographique et malgré l’ampleur de l’émigration.

22Lorsque nous quittons les zones de plaine, les densités de population tombent au point le plus bas au Baluchistan. L’énorme district de Chagaï, sur 50,545 km2, ne fait vivre que 120 000 habitants (1981). D’autres districts varient entre 3 et 10 au km2, d’autres sont à 30 et 40 avec le maximum de 144 dans le district de Quetta, qui inclut la seule ville de quelque importance. Dans la NWFP, compte tenu des aires montagneuses et dépouillées de ressources par le déboisement, le poids des hommes dans les vallées relativement étroites peut être lourd avec des densités de 150 à 300 habitants au km2. Ici aussi, l’économie locale va affronter des difficultés grandissantes pour répondre aux besoins d’une population dont la croissance dépasse souvent la moyenne nationale. On peut aussi se demander si l’émigration à l’intérieur du Pakistan ou en dehors pourra encore longtemps jouer le rôle de soupape de sûreté.

L’éducation

23Les progrès de l’alphabétisation ressortent ainsi des recensements :

% de personnes alphabétisées

1961

1972

1981

16,7

21,7

26,2

24A cette dernière date la répartition par sexe est de 35 % pour les hommes, 16 % pour les femmes. Les différences au niveau provincial placent le Sind en tête (31,4 % en 1981) grâce au poids de Karachi, puis le Panjab avec 27,4 %, la NWFP (16,7) le Baluchistan (10,3). Les écarts entre villes et campagnes sont sensibles : 44 % de la population urbaine savent lire et écrire, contre 15 % dans les campagnes.

  • 2 Pour ces chiffres, cf. The Sixth Five Year Plan, 1983-88 et renseignements obtenus à la Commission (...)

25En 1982/83, 6,8 millions d’élèves suivent l’enseignement primaire. En ce qui concerne l’enseignement secondaire, 400 000 élèves terminent avec succès leurs études en 1984. A cette date le nombre des gradués qui sortent de l’Université (B.A., B.Sc) est de 28 000, celui des post-gradués de 13 000. On compte 3 600 nouveaux médecins et 2 000 ingénieurs2. Le nombre des étudiants obtenant un doctorat est négligeable.

26Comme le relève le rapport sur le VIe plan (p. 337) : « les performances du secteur de l’éducation sont totalement déficientes » puisque, malgré un développement relativement soutenu, le Pakistan est un des pays les plus en retard à cet égard. La forte croissance démographique gêne certes les progrès de l’enseignement, mais elle n’explique pas tout. C’est pourquoi le VIe plan vise à corriger les graves lacunes existantes en accroissant les fonds consacrés à l’éducation.

  • 3 Pakistan and Gulf Economist 9.6.1985.

27Circonstance aggravante, malgré sa faible progression quantitative, le système d’éducation a beaucoup baissé en qualité, comme en témoignent de nombreux Pakistanais. Ainsi Agha M. Ghouse écrivait en 1985 : « Des pertes et dommages irréparables ont frappé notre système d’éducation »3. La prestigieuse université de Lahore a perdu une partie de son éclat. Quant aux 19 autres universités créées ou consolidées après 1947, leurs conditions d’enseignement laissent fort à désirer. On retiendra enfin la faiblesse des études supérieures, ce qui oblige la plupart des Pakistanais à faire leurs études post-graduées, de doctorat notamment, à l’étranger. A voir le haut niveau de beaucoup d’entre eux, il est troublant de constater qu’il n’a pas été possible de les utiliser davantage pour améliorer l’enseignement supérieur, malgré le brain drain dont souffre le Pakistan. On notera par contre quelques bons instituts de recherche. Ceux que nous avons récemment visités à Islamabad et Lahore comprenaient d’excellents économistes.

  • 4 The Muslim, 17.9.85.

28La situation n’est guère meilleure dans l’enseignement primaire et secondaire. Malgré la hausse des fonds affectés à l’éducation dans le VIe plan, les progrès tardent à venir. Lors d’un séminaire présidé par le ministre de l’éducation à Islamabad, le secrétaire du ministère relève que « le niveau de l’éducation baisse rapidement ». Les maîtres sont peu motivés et souvent médiocres, les examens se déroulent dans des conditions fâcheuses4.

La santé

  • 5 World Bank Development Report 1985.

29Les progrès dans ce domaine ont beau être plus marqués que dans le secteur de l’éducation, le Pakistan demeure en retrait par rapport à plusieurs autres pays asiatiques. L’espérance moyenne de vie est estimée à 51 ans pour les hommes et 49 pour les femmes en 1983 contre 56 et 54 pour l’Inde, 67 et 71 pour le Sri Lanka5. Quant à la mortalité infantile, elle est de 119 ‰.

  • 6 A noter que le niveau de ces cliniques est très variable. Nombre de médecins manquent et d’expérien (...)
  • 7 Pakistan and Gulf Economist, 13.7.87.

30Alors que des progrès sensibles touchent les villes grâce à la prolifération des cliniques privées6 à côté des hôpitaux relevant de l’Etat, les villages restent trop peu couverts par des dispensaires et de petits hôpitaux ce qui, entre autres, explique le niveau encore élevé de la mortalité infantile. La médecine préventive, lutte contre la malaria notamment, avance lentement. Non moins aiguë est la question de l’eau potable dont ne bénéficieraient que 38 % de la population. 40 % des décès seraient dûs à des maladies provoquées par une eau malsaine7.

31Le VIème plan s’efforce de corriger les déséquilibres qui se sont creusés entre villes et campagnes, les premières absorbant 70 % des dépenses courantes prévues au budget de la santé jusqu’à ces dernières années. La prévention des épidémies et maladies gagne du terrain dans les villages depuis 1983. La progression des dispensaires et autres centres de santé en milieu rural rencontre de plus gros obstacles, dont le manque de fonds.

32Si, comme il faut l’espérer, cette réorientation de la politique de la santé, soutenue par de plus gros investissements, porte ses fruits, il faut s’attendre à voir le taux de mortalité baisser en dessous de 10 ‰.

L’emploi et les migrations

  • 8 Labor Force Survey, 1971-72 - 1984-85, Islamabad, 1986.

33La population active est estimée en 1987/88 à 30,5 millions, soit 30 % de la population totale, proportion très basse due à la faible participation des femmes, dont on ne compte pas les activités domestiques. L’agriculture absorbe 49,2 % de la population active, l’industrie 14,2 %, la construction 6,1 %, transports et commerce 17,3 %, les autres services 13,2 %8. La proportion des agriculteurs est relativement faible dans le contexte asiatique, signe d’une économie en plein processus de diversification (Chine 60 %, Inde 63 %), d’une urbanisation plus rapide que dans ces deux pays et d’une plus forte émigration.

34Comme ailleurs, les estimations sur le chômage et le sous-emploi sont très approximatives. Pour le premier certains sondages avancent le taux de 5 %, pour le second, 15 à 25 %. Quels que soient les chiffres réels, le Pakistan se trouve en meilleure posture que les autres pays du sous-continent, du fait de sa croissance économique et de l’importance des migrations à l’intérieur du pays et en dehors de ses frontières.

35Les phénomènes migratoires n’ont rien de nouveau. De très longue date, des Pathanes descendent en plaine, les Panjabis se déplacent partout, les Baluchs sont attirés par le Sind. Ces tendances s’accentuent après l’indépendance, d’abord sous l’effet du partage, puis au gré de l’évolution de l’économie.

  • 9 Akhtar Hasan Khan “Our Demographic Profile, Pakistan and Gulf Economist 10.12.83. Tous ces chiffre (...)

36En 1981, 10 millions de personnes (11,5 % de la population totale recensée) se trouvaient soit dans une autre province, soit dans un autre district de leur province. Environ 4 millions étaient venus de l’Inde en 1947 ou du Bangladesh après 1971. Le Panjab abritait 6,3 millions des migrants, suivi du Sind (2,8 millions) et de la NWFP (500 000)9. Dans le premier, près de la moitié des migrants sont venus de l’Inde, principalement du Panjab oriental, de l’Uttar Pradesh et de Delhi. Les premiers parlent panjabi, les autres urdu. Dans le Sind, 43 % des migrants sont d’origine indienne (langue urdu) venant principalement de Bombay, du Maharashtra et du Gujrat. Le Sind accueille également, au fil des années, de nombreux Pathanes attirés par la ville de Karachi. Des colons panjabis et baluchs s’installent sur une partie des nouvelles terres mises en valeur après l’indépendance. Des hommes d’affaires panjabis participent, de leur côté, à l’essor industriel de Karachi.

37A ces flux migratoires internes s’ajoute l’émigration à l’étranger. Comme nous l’avons vu, elle n’est pas nouvelle non plus, mais elle a connu une montée spectaculaire dès la fin des années 1970 grâce au boom du pétrole au Moyen Orient. Environ 2 millions de Pakistanais y auraient trouvé un emploi, auxquels s’ajoutent plusieurs centaines de milliers fixés dans d’autres pays : Royaume-Uni, Etats-Unis principalement.

  • 10 Pakistan Times Overseas Weekly, 22.7.86.

38Quelle que soit l’imprécision de ces estimations, dans les 10 % de la population active exercent un emploi hors du Pakistan. Selon des sondages, une famille sur huit comprendrait un travailleur à l’étranger10.

39Alors qu’une proportion relativement élevée des émigrants en Occident s’y trouve, avec leur famille, de manière permanente, la plupart de ceux qui sont employés au Moyen Orient partent seuls pour une durée déterminée. La très grande majorité d’entre eux représentent une main-d’œuvre non qualifiée ou peu qualifiée, à côté des médecins, ingénieurs, employés de bureau, sans parler des militaires.

40D’où viennent les émigrants ? Les districts pauvres des collines du nord Panjab continuent à connaître un gros exode. A côté des débouchés habituels dans l’armée, le Moyen Orient attire un nombre élevé de travailleurs. Nombreux sont aussi les Pathanes qui ont peine à vivre dans leurs montagnes. En revanche les Sindhis sont nettement sous-représentés.

41Si jusqu’à maintenant, la situation de l’emploi n’est pas trop inquiétante, elle risque de se gâter. Il faut s’attendre à des retours en provenance du Moyen Orient, ou en tout cas, à l’arrêt de toute hausse de l’émigration. De son côté la main-d’œuvre augmente de 3 %, soit 950 000 nouveaux demandeurs d’emploi par an. A moins d’une accélération de la croissance économique, le taux de chômage pourrait atteindre 10 % vers 1993. C’est dire l’urgence d’un recul de la natalité.

La limitation des naissances

42Jusqu’à maintenant la propagande en vue de limiter les naissances reste un des plus timides d’Asie. Or, malgré les progrès de l’économie, il est évident qu’un taux de 3 % complique le développement, les progrès de l’éducation, de la santé, de l’emploi…

  • 11 La baisse mérite d’être confirmée.
  • 12 Pakistan Times, Overseas Weekly, 3.5.87 et 21.6.87.

43Dans un de ses premiers discours après le coup d’Etat de 1958, le général (plus tard président) Ayub Khan avait mis le planning familial au rang des priorités. Or ce souci ne s’est guère concrétisé sous son régime, pas plus que sous ceux de ses successeurs. En revanche, depuis quelques années, la question rebondit et en 1980 est lancé le Population Welfare Programme. De nombreuses voix, dans la presse et au sein du gouvernement, réclament des mesures plus énergiques. Ainsi l’économiste bien connu Mahabub ul Haq, ministre de la planification, soulignait devant l’Assemblée nationale les points suivants. Les programmes sociaux se sont amplifiés depuis 1982/83, de sorte qu’après n’avoir guère bougé jusque vers 1980 le taux de natalité semble un peu baisser11. Néanmoins, comme le déclare le président Zia, ces progrès restent trop lents et « l’explosion démographique menace la croissance de notre économie »12.

44Comme ailleurs en Asie, deux types de facteurs interviennent : les uns relevant des traditions et des coutumes, les autres de questions pratiques liées à la diffusion, au choix et à l’acceptabilité des méthodes contraceptives.

  • 13 Beaucoup d’opinions exprimées aujourd’hui par des théologiens réputés vont dans le même sens.

45Au niveau théologique, l’Islam ne s’oppose pas à la contraception. Bien plus, un de ses plus grands maîtres, l’imam Al Ghazzali écrivait déjà au xie siècle que lorsqu’un couple affrontait des difficultés économiques ou que la beauté de la femme risquait d’être compromise par de trop nombreuses grossesses, le coïtus interruptus (azl) était « chose permise »13. Néanmoins le sujet fait l’objet de controverses au sein des différentes écoles de pensée et passe fort mal la rampe dans le peuple.

46Si dans les classes aisées, la prévention des naissances gagne du terrain, il n’en va guère de même dans les villages et même dans les classes moyennes et pauvres des villes.

47Tout d’abord chaque famille désire avoir au moins un fils sinon plusieurs. Dans les milieux pauvres, ceux-ci représentent une source de gain supplémentaire. En revanche, chez les paysans moyens et aisés la naissance de plusieurs fils provoque la fragmentation des domaines. Et si certains garçons sont envoyés en ville pour leur éducation, cela coûtera cher. De surcroît, au Pakistan comme ailleurs, on demande rarement l’avis des femmes. Or il semble douteux que celles-ci raffolent de multiples grossesses et d’accouchements difficiles dans un village loin de tout hôpital et médecin ! L’ennui, c’est que, face à ces arguments que comprennent fort bien les paysans, il faut opposer cette attitude masculine faite d’indifférence ou de négligence très répandue dans les pays pauvres et riches ! Là-dessus interviennent les mullahs (religieux) locaux qui ne semblent pas avoir lu l’imam al Ghazzali ! Dans tous les villages du Sind et du Panjab visités en 1985/86, nos discussions sur la question avec des paysans et des mullahs se sont terminées sur une note négative, comme si l’Islam s’opposait à la contraception.

48En ce qui concerne les questions pratiques, les populations urbaines sont faciles à toucher. Dans les campagnes, les gens voyagent beaucoup, les minibus Suzuki sillonnent chemins et mauvaises chaussées. Néanmoins, sur les 45 000 villages du Pakistan, beaucoup d’entre eux restent passablement isolés. C’est dire que des efforts considérables devront être entrepris pour, à la fois, surmonter les préjugés religieux et propager les méthodes contraceptives.

  • 14 Pakistan and Gulf Economist, 13.6.87.
  • 15 Pakistan Times Overseas Weekly, 26.7.87. Il semble que, depuis peu de temps, des mesures plus énerg (...)

49Ce double objectif exige des équipes mixtes de propagande – seules les femmes sont en mesure de parler avec les villageoises – des services motivés et compétents. Jusqu’en 1986, les programmes en cours n’avançaient que mollement. Les très modestes fonds budgétés (158 millions de roupies en 1985/86, 155 millions en 1986/87) ne sont même pas entièrement utilisés14. Dans un nouvel appel, Mahabub ul Haq a annoncé que le VIIe plan quinquennal qui commence en 1988 envisage d’allouer 5 milliards de roupies à la prévention des naissances15. Dans cette perspective, les autorités espèrent que le taux de croissance tombera de 3,1 % en 1987 à 2,6 % en 2003, taux qui restera encore très supérieur à celui de la plupart des pays asiatiques.

Démographie, société et politique

50La population, sa composition et sa répartition exercent d’importants effets sur la politique, particulièrement dans un Etat comme le Pakistan.

51Tout d’abord interviennent les rivalités inter-provinciales déjà évidentes sous les Britanniques. La principale difficulté tient au poids du Panjab, de par sa population et son développement supérieur à celui des autres provinces, de par la place de ses élites dans l’administration et dans l’armée.

52Là-dessus se greffe l’afflux massif de réfugiés venus de l’Inde, dont beaucoup parlent l’urdu. S’ils s’intègrent sans trop de problèmes au Panjab, leur nombre et leurs élites commerciales en provenance de Bombay perturbent gravement les structures démographiques de Karachi où les Sindhis se trouvent à tout point de vue en minorité.

53Les migrations intérieures depuis 1947 ne sont pas non plus sans répercussions politiques, comme l’ont illustré les dramatiques incidents de Karachi à la fin de 1986. Plus d’un million de Pathanes s’y sont fixés et leur coexistence avec les anciens réfugiés de l’Inde et les Sindhis s’avère délicate. Quant aux colons panjabis et baluchs à l’intérieur du Sind, ils suscitent également des tensions.

  • 16 Et encore, dans plusieurs pays d’occident, les conflits sont loin d’avoir disparu. Citons la Corse, (...)

54Ces rivalités et ces heurts font partie du processus normal d’édification nationale, comme le prouvent aujourd’hui tant de pays du tiers monde, et comme l’ont prouvé, jusqu’à une date récente la plupart des pays occidentaux16. Il faut du temps et un pouvoir politique avisé pour peu à peu atténuer les différences, trouver les formules satisfaisantes de compromis entre régions, communautés, intérêts politiques et économiques aux niveaux local et national.

  • 17 Si l’urdu sert de lingua franca et est enseigné dans toutes les écoles, beaucoup d’illettrés ne par (...)

55Dans le cas du Pakistan, l’intégration de populations très diverses par leurs coutumes, leur fond socio-culturel, la langue17 se complique d’autres éléments. Dans n’importe quelle société et depuis des temps reculés, la tendance dominante favorise les mariages au sein de la même communauté locale et de la même classe. Néanmoins très souvent en Occident, il n’existait pas de règles strictes en la matière et la modernisation a conduit à beaucoup de mariages « mixtes » tout au moins dans les villes.

  • 18 L. Dumont, Homo Hierarchicus, essai sur le système des castes (Paris, 1966), p. 266.
  • 19 La distinction entre Ashrafs et autres Musulmans tend à s’estomper dans la vie de tous les jours et (...)
  • 20 Enquête du professeur M. Aslam Khan, Pakistan Times Overseas Weekly, 15.1.84.

56Il n’en va pas de même au Pakistan. La société traditionnelle a beau être musulmane, comme l’écrit l’éminent ethnologue Louis Dumont : « La caste est affaiblie ou incomplète, mais elle n’est pas absente »18. La population se répartit en deux grandes catégories, elles-mêmes subdivisées en nombreux groupes et sous-groupes : les Ashrafs d’origine étrangère : de petits effectifs venus du monde arabe, d’autres plus nombreux de l’Iran, d’autres d’ascendance turco-moghole et les Pathanes d’Afghanistan ou des confins du Pakistan19. Quant au gros de la population, il s’agit à l’origine, d’Hindous convertis, souvent par castes entières locales. Alors que les mariages ne sont pas forcément endogames chez les Ashrafs, ils tendent à prédominer dans les autres groupes de la société. Au Panjab, on parle de zat (mot arabe, littéralement identité) qui, à certains égards rejoint l’idée de jati (caste chez les Hindous). Ainsi les paysans parlent de leur zat : Araïn, Jat, Rajput… On se marie dans sa baradari, groupe qui se réclame d’un ancêtre commun et, très souvent, entre proches parents. Au Panjab, « presque tous les mariages ont lieu à l’intérieur de la même baradari, dont 60 % entre relativement proches parents et 45 % entre cousins germains »20.

57Chez les Pathanes régis par un très sévère code d’honneur, la même règle s’applique dans le cadre de la tribu ou du clan.

  • 21 Les mêmes règles sont évidemment suivies en Inde dans les castes hindoues. Il est curieux de releve (...)

58En recul au sein des classes aisées des villes, ces coutumes restent vivaces au sein des masses. Dans tous les villages que nous avons visités dans le Sind et le Panjab en 1985/86, les paysans interviewés étaient unanimes : pas question de mariage entre un Sindhi et un Baluch, entre un Araïn et un Jat ou un Rajput21.

59Loin de faciliter l’intégration nationale, ces règles accentuent au contraire le cloisonnement de la société. Ainsi au lieu de devenir un “melting pot, l’énorme ville de Karachi conserve ses clivages qui, liés aux rivalités d’ordre économique, peuvent aboutir à des explosions. Et pour terminer se greffent les oppositions entre les diverses confessions musulmanes.

60Comme nous le verrons au fil de ce livre, la très forte croissance de la population, liée, il est vrai, à une grosse émigration au Moyen Orient, n’a pas empêché une croissance substantielle de l’économie et l’amélioration du niveau de vie même dans les couches défavorisées de la société.

61Ces résultats risquent d’être compromis dans l’avenir. Même si la prévention des naissances progresse enfin à une cadence plus rapide, ses effets ne vont ralentir la croissance démographique qu’à long terme. La baisse vraisemblable de la mortalité et l’accroissement du nombre de couples, conséquence de la hausse antérieure de la population, compenseront, dans une première phase, une partie du recul de la natalité. La baisse des flux migratoires vers le Moyen Orient ne fera qu’accentuer les difficultés sur le marché du travail.

62Quant aux migrations internes, elles présentent des avantages évidents du point de vue de l’emploi tout en provoquant des tensions qui tendent à s’aggraver.

63Cet échiquier démographique, compliqué au départ et encore plus aujourd’hui, va continuer à mettre à rude épreuve les élites dirigeantes du Pakistan, dans leur œuvre d’édification nationale et dans leurs plans de développement.

Notes

1 Pour tous ces chiffres, Planning Division Estimates et 7th Five Year Plan 1988-93, p. 18 à 19.

2 Pour ces chiffres, cf. The Sixth Five Year Plan, 1983-88 et renseignements obtenus à la Commission du Plan en 1986.

3 Pakistan and Gulf Economist 9.6.1985.

4 The Muslim, 17.9.85.

5 World Bank Development Report 1985.

6 A noter que le niveau de ces cliniques est très variable. Nombre de médecins manquent et d’expérience et d’équipements adéquats.

7 Pakistan and Gulf Economist, 13.7.87.

8 Labor Force Survey, 1971-72 - 1984-85, Islamabad, 1986.

9 Akhtar Hasan Khan “Our Demographic Profile, Pakistan and Gulf Economist 10.12.83. Tous ces chiffres sont assez incertains (voir plus bas).

10 Pakistan Times Overseas Weekly, 22.7.86.

11 La baisse mérite d’être confirmée.

12 Pakistan Times, Overseas Weekly, 3.5.87 et 21.6.87.

13 Beaucoup d’opinions exprimées aujourd’hui par des théologiens réputés vont dans le même sens.

14 Pakistan and Gulf Economist, 13.6.87.

15 Pakistan Times Overseas Weekly, 26.7.87. Il semble que, depuis peu de temps, des mesures plus énergiques ont été prises pour accélérer la diffusion du planning familial dans les campagnes.

16 Et encore, dans plusieurs pays d’occident, les conflits sont loin d’avoir disparu. Citons la Corse, le pays basque espagnol, les frictions entre Walons et Flamands en Belgique, les Canadiens français, l’Irlande du nord...

17 Si l’urdu sert de lingua franca et est enseigné dans toutes les écoles, beaucoup d’illettrés ne parlent que leur langue : sindhi, panjabi, pashtu (langue des Pathanes), baluchi, sans parler des langues secondaires.

18 L. Dumont, Homo Hierarchicus, essai sur le système des castes (Paris, 1966), p. 266.

19 La distinction entre Ashrafs et autres Musulmans tend à s’estomper dans la vie de tous les jours et n’apparaît guère au niveau politique.

20 Enquête du professeur M. Aslam Khan, Pakistan Times Overseas Weekly, 15.1.84.

21 Les mêmes règles sont évidemment suivies en Inde dans les castes hindoues. Il est curieux de relever combien les effets des règles matrimoniales retiennent peu l’attention dans les études de la vie politique du sous-continent.

Table des illustrations

Légende En 1980 la mortalité est de 8,2 pour mille dans les villes contre 11,4 dans les campagnes1. La natalité donne respectivement 38,4 et 42,7.
URL http://books.openedition.org/iheid/docannexe/image/1915/img-1.jpg
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Légende * North West Frontier Province** Federal Administered Tribal Areas*** y compris IslamabadSources : Census of Pakistan 1951 and 1981, et Estimates of Federal Bureau of Statistics.
URL http://books.openedition.org/iheid/docannexe/image/1915/img-2.jpg
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URL http://books.openedition.org/iheid/docannexe/image/1915/img-3.jpg
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