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Tradition et modernisation des économies rurales : Asie-Afrique-Amérique latine

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Claude Auroi
, 
Jean-Luc Maurer

Non-réforme agraire et modèle de développement au Brésil

Jacky Buffet

Texte intégral

1Dans un travail remarquable sur l’eau et le développement au Maghreb, Jean-Jacques Pérènnes rappelle comment les habitants de ces régions appréhendent leur quotidien. Pour eux, la vie tourne autour d’un élément simple, mais indispensable : l’eau. Parce qu’elle est rare, cette eau a été au cœur de bien des enjeux, politiques, économiques, sociaux. Au fil du temps, elle en a gardé la mémoire, à tel point qu’il est devenu impensable de ne pas la mentionner lorsque l’on s’attache à comprendre l’histoire de ces pays. Là-bas, on dit que « l’eau raconte la société ».

2A bien des lieues de l’Atlas, sur l’autre rive de l’océan, on pourrait emprunter la même métaphore. Mais cette fois, et si l’on excepte le sertão, ce n’est pas l’eau qui est au cœur de la société brésilienne. En revanche, la terre, bien qu’abondante, a historiquement été l’enjeu d’innombrables conflits. Inégalement répartie dès la colonisation, la structure concentrée de la terre se perpétue au lendemain de l’Indépendance et se renforce jusqu’à nos jours. On pourrait là aussi soutenir que la terre raconte à sa façon, la société brésilienne. Mais l’analogie ne s’arrête pas là.

3On sait, en théorie, quels sont les liens entre agriculture et industrie dans le processus de développement. La terre est un vecteur de surplus. Elle approvisionne les villes en nourriture, elle génère des excédents exportables, elle fournit une main-d’œuvre bon marché à l’industrie naissante et constitue un lieu potentiel de consommation pour les produits manufacturés qui en sont issus. Bien sûr, toutes ces relations sont déterminées par les formes que prend le lien agriculture-industrie. Car arrive un moment où le processus d’industrialisation, mais aussi de développement (pour élargir la perspective économique au politique et au social), suppose une révision du mode de répartition de la terre. La société se pose alors la question de la réforme agraire, qu’elle envisage du triple point de vue de la justice sociale, de l’efficacité économique et du modèle de développement souhaité.

4Mais il ne suffit pas de vouloir la réforme. Encore faut-il parvenir à l’imposer. Le passage à l’acte doit ici composer avec la structure des classes, forcément éclatée. La réforme a lieu… ou n’a pas lieu. Mais dans tous les cas, c’est l’issue donnée à cette alternative qui moule le modèle effectif de développement, de ses composantes agraires à ses prolongements les plus industriels et les plus urbains.

5La terre ne raconte donc pas seulement la société, mais est également le témoin et l’acteur de son histoire. Elle va révéler non seulement les attentes et les luttes dans les campagnes, mais également les caractéristiques du développement industriel et urbain. Elle racontera à la fois les conditions dans lesquelles vivent les paysans, et les problèmes que rencontrent les grandes cités.

6Dans ce texte, nous voudrions mettre en évidence ces relations complexes dans le cas brésilien, caractérisé par la revendication périodique d’une redistribution des terres qui n’a jamais vu le jour, et un modèle de développement qui a dû s’en accommoder. Le résultat est aujourd’hui bien identifié : le Brésil dispose d’une industrie complexe et performante dans bien des domaines. En contrepartie, le modèle a été qualifié d’excluant, d’extraverti et de concentrationniste.

7Pour rendre compte de cette expérience, nous reprendrons historiquement les grandes étapes du processus de développement brésilien en centrant l’analyse sur les relations agriculture-industrie et en rapportant ses grandes caractéristiques à l’absence de réforme agraire. Ceci conduira à distinguer trois sous-périodes :

  • La première, 1930-1964, est bornée par deux coups d’Etat ; elle marque l’affirmation de l’industrialisation comme véritable centre dynamique de l’économie aux côtés d’un secteur agricole malmené par la crise des années 1930, mais qui n’a rien perdu de sa puissance politique ; avec l’affirmation d’une classe industrielle-bourgeoise à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’industrialisation commence à exiger des réformes de base, dont la réforme agraire ; le système politique ne survit pas à cette crise et explose dans le coup d’Etat du 1er avril 1964 ;

  • La seconde période, 1964-1985, est marquée par la modernisation de l’économie dans le cadre d’un pouvoir politique autoritaire dépourvu de toute légitimité populaire ; l’industrialisation se poursuit donc dans ce nouveau cadre, et devient compatible avec le respect du découpage foncier, dès lors que le modèle économique tourne le dos au marché intérieur pour s’orienter vers l’exportation ; la réforme agraire est remplacée par une politique de fronts pionniers, alors que l’agriculture capitaliste devient le vecteur de la modernisation industrielle ;

  • La troisième période enfin, 1985-1996, constate l’échec du modèle de développement et de « modernisation conservatrice » ; cet échec suscite une contestation urbaine et rurale, qui enclenche le processus de démocratisation ; les années 1980 marquent ainsi le retour des vieilles aspirations à la réforme agraire dont le point culminant est atteint avec la promulgation d’un plan de réforme agraire ; l’espoir laisse cependant place à la désillusion, le projet étant repoussé une fois de plus par le lobby conservateur ; l’avenir est hypothéqué par le fait qu’il n’est dès lors plus besoin de structures politiques autoritaires pour s’opposer à un tel projet.

1. 1930-1964 : « Etat de compromis » et non-réforme agraire

8Les années 1929-1930 sont marquées au Brésil par une double crise. La première concerne l’économie du café, soudainement paralysée par la surproduction qui surprend les plantations au moment où les marchés occidentaux se referment. La seconde a trait au système politique, qui prive, suite au coup d’Etat de Getulio Vargas, l’oligarchie des cafés de l’hégémonie absolue et exclusive dont elle bénéficiait au sein de l’Etat depuis l’instauration de la République en 1891.

9Il faut ici d’emblée préciser que contrairement à une vision encore couramment admise, le coup d’Etat de Vargas ne représente pas un coup d’Etat industriel-bourgeois. Et pour cause, la bourgeoisie industrielle n’existait pas encore à cette époque, ou plutôt n’était pas encore suffisamment sédimentée, alors même qu’existait un secteur industriel. L’explication en est assez simple, mais doit être rappelée, car d’elle dépend la suite du raisonnement.

10En fait, au Brésil, comme dans bien des pays, l’industrie est née de l’agriculture, en l’occurrence, de la caféiculture d’exportation. Deux facteurs ont forcé l’apparition de cette industrie :

  1. L’abolition de l’esclavage en 1888, qui a privé l’agriculture de sa main-d’œuvre historique ;

  2. Le développement très rapide de la demande de café en Occident dès la deuxième moitié du xixe siècle.

  • 1 Pour qui ne serait pas convaincu de cette thèse, ajoutons que si le coup d’Etat de 1930 avait été u (...)

11Pour ne pas mettre en péril le développement des plantations dans un contexte de forte demande externe, il fallait donc développer des techniques visant à économiser la main-d’œuvre devenue rare et passer au salariat. Dans les deux cas, la caféiculture devait procéder à l’installation des premières industries : biens d’équipement à destination des plantations, biens de consommation (industries alimentaires et d’habillement) pour assurer la reproduction interne de la main-d’œuvre. Elle le devait pour assurer sa survie. Elle le pouvait parce que ses capacités à l’exportation le lui permettaient. C’est là qu’intervient la contrepartie à la mise en place de ces prérequis à la survie du secteur agraire. Parce que née de la caféiculture d’exportation, l’industrie était en même temps étroitement limitée aux seuls besoins exprimés par le secteur agraire. Sauf à modifier les conditions fondamentales de développement du pays, l’industrie ne pouvait donc s’autonomiser au-delà des besoins exprimés par la caféiculture. L’analyse peut être compliquée à l’extrême (Buffet, 1991), mais il faut chercher là la raison de la faiblesse du secteur industriel au moment du coup d’Etat de 1930, et surtout, l’absence d’une classe industrielle-bourgeoise1. Si l’on admet cette hypothèse, la double question qui se pose au lendemain du coup d’Etat de Vargas est donc : qui est au pouvoir, pour faire quoi ?

12On sait que le coup d’Etat de 1930 a débouté l’oligarchie des cafés de la position hégémonique qu’elle occupait jusqu’alors. Or, sur le plan économique, on ne pouvait discerner à l’époque d’alternative crédible à la crise du système agro-exportateur. La bourgeoisie industrielle, on l’a dit, était encore trop embryonnaire, trop liée à la caféiculture pour incarner un tel projet. De même, les oligarchies traditionnelles étaient entrées depuis la fin du xixe siècle dans une phase de déclin en raison du type d’activité auquel elles étaient liées (coton, sucre…). Enfin, l’oligarchie des cafés ne pouvait prétendre jouer un tel rôle dans la mesure où elle venait de perdre dans la crise son hégémonie économique et dans le coup d’Etat son hégémonie politique, et ne pouvait par conséquent s’ériger en classe hégémonique au lendemain de la révolution. C’est dans ce cadre étroit que le Brésil expérimentera une forme originale de gouvernement : l’Etat de compromis. De quoi s’agit-il ?

13Dans ce type d’Etat, sont représentées toutes les classes de la société brésilienne. On y retrouve l’oligarchie des cafés, les oligarchies traditionnelles et les fractions de capital impliquées dans des activités plus industrielles et plus urbaines. Aucune cependant ne prédomine (Weffort, 1968, Fausto, 1974). Délivré de toute hégémonie monoclasse, cet Etat pourra alors répondre de manière relativement « neutre » aux demandes exprimées par les différents segments de l’alliance, et émergera ainsi comme vecteur de sédimentation des fractions de capital en bourgeoisies (Aureliano, 1981). Cette opération sera réalisée au moyen de la création de conseils, commissions, instituts, fondations, départements, compagnies et autres enceintes de débat centralisées, au sein desquelles les différents intérêts pourront s’exprimer, se regrouper, définir des champs séparés et se constituer finalement en fractions de classes autonomes (Ianni, 1979). C’est par là que passeront les conditions nécessaires à la construction d’un projet d’industrialisation, en même temps que les forces qui tendront à s’y opposer.

14En effet, tout en constituant un lieu de synthèse des forces sociales en présence, l’Etat de compromis était en même temps marqué par une forte hétérogénéité qui ne pouvait que limiter son action, en particulier lorsque se radicaliseront les projets de société. A mesure que les intérêts de classes se cristalliseront, le compromis initialement établi laissera place à un conflit opposant les intérêts industriels qui s’affirmeront, commenceront à exiger des interventions publiques compatibles avec leur projet (en dernière instance financer l’industrialisation par la réforme agraire), et des intérêts agricoles bien décidés à protéger leur statut séculaire. Il en résulte que si la forme et la dynamique de l’appareil d’Etat exprimeront potentiellement un projet d’industrialisation (sédimentation de classes industrielles-bourgeoises), sa substance sociale en établira également les étroites limites.

  • 2 En réalité, les premiers plans de développement ont été élaborés sons l’administration Vargas (1930 (...)
  • 3 SALTE pour Santé, Alimentation, Transports, Energie (Salte en portugais = saut).

15Les premières manifestations de ce conflit interviennent dès la fin de la Seconde Guerre mondiale sous l’administration Dutra (1946-1950). C’est l’époque des premiers plans de développement2, en l’occurrence le plan SALTE3. Pour accompagner la modernisation industrielle, le gouvernement élabore un projet visant à « organiser juridiquement les relations économiques et sociales dans la campagne, de manière à faciliter l’accès à la terre via une politique d’appropriation du sol ». Envoyé au Congrès en 1948, ce projet sera immédiatement rejeté sous la pression des associations de classes de la bourgeoisie agraire. A la Société rurale, un des porte-parole exprimera sans équivoque l’opinion du groupe :

En soumettant le domaine rural à la fiscalisation et l’arbitrage de messieurs les ministres, directeurs, chefs de sections, l’on prétend en fait transférer progressivement et de manière despotique vers ces gens, une propriété rurale qu’ils n’ont ni achetée, ni héritée, et encore moins constituée à la sueur de leur travail et de leurs avoirs, collectivisant à la manière kautskienne, révolutionnaire et marxiste le système d’économie rurale brésilien (Malta Cardoso, 1947).

16Sous la seconde administration Vargas (1951-1954), la planification industrielle va se préciser à travers deux plans d’industrialisation, le Plan général de développement économique et social et le Plan général d’industrialisation du pays. L’agriculture est doublement articulée à cette modernisation :

  1. En tant que vecteur d’approvisionnement en denrées alimentaires ;

  2. En tant que vecteur de surplus exportables.

17Vargas n’ignorait pas qu’il touchait là un des problèmes sensibles du pays. C’est donc avec précaution qu’il proposa de « démocratiser l’accès à la terre » à travers des plans de colonisation des zones incultes et l’établissement d’une réforme agraire. En juin 1951 est créée une Commission nationale de la politique agraire chargée d’élaborer la politique agricole du gouvernement. Cette commission élabore un projet de réforme agraire, mais celui-ci soulève de telles résistances qu’il n’est même pas envoyé au Congrès. Le 24 août 1955, Vargas est déposé et se suicide. Ces événements entérinent l’échec de son projet de développement et d’une modernisation difficile à mener, exigeant une forte autonomie de l’Etat, dans un contexte marqué par des conflits d’intérêts profonds.

18Sur le plan des rapports de classes, on peut considérer à cette époque comme suffisamment avancé le processus de sédimentation des classes amorcé au lendemain de la Révolution. A cette date, différentes expériences de planification ont tenté d’accélérer la reconversion en direction de l’industrie. Toutes ont contribué à préciser la voie industrielle, mais toutes se sont également heurtées à l’oligarchie terrienne farouchement hostile à une étatisation « excessive » de l’économie, une planification « parasitaire » du développement, et un élargissement du marché intérieur par la réforme agraire. En radicalisant l’option « industrielle », les expériences suivantes radicaliseront en même temps le conflit entre les classes.

19C’est en effet avec Juscelino Kubitschek (1955-1961) que sera franchi le pas le plus important vers l’industrialisation. On peut même affirmer qu’avec le Plan de Metas (« cinquante ans d’industrialisation en cinq ans »), le centre de gravité de l’économie va définitivement basculer. Tous les secteurs seront touchés. Entre 1957 et 1961, l’économie s’accroît au rythme de 8 % l’an, tout particulièrement dans l’industrie, qui devient le principal secteur du PIB. La capacité en énergie électrique s’élève de 65 % et celle de raffinage du pétrole de 200 %. Dans les industries mécaniques, électriques et de transports, la production grimpe de 125 %, 380 % et 600 %. Et l’on pourrait multiplier les exemples (Lessa, 1981). Mais le plus remarquable pour ce qui nous intéresse ici, est que ce plan ne sera appliqué que parce qu’il ne remettait pas en cause les structures foncières. En fait, tout se passera comme si l’avancée vers l’industrie avait été « négociée » en échange du respect de la propriété foncière.

20Le conflit de classe était-il pour autant désamorcé ? Rien n’est moins sûr ! En accélérant l’industrialisation, la politique de Kubitschek avait en même temps entraîné un renforcement du mode d’intervention de l’Etat dans l’économie qui n’était guère apprécié des éléments les plus conservateurs. Au plan institutionnel, cette réélaboration des relations Etat-économie se traduisait par une hypertrophie de l’Exécutif au détriment des organes législatifs, situation particulièrement délicate dès lors que l’on sait que ces deux organes reflétaient en même temps le partage de la société entre deux grandes options de développement.

  • 4 ... d’autant que le pays était en passe de franchir le seuil de 50 % d’urbanisation.

21En effet, selon les institutions de 1946, le chef de l’Exécutif était élu au suffrage universel direct. Or, compte tenu de l’extrême polarisation qui caractérisait le pays, en particulier entre le Centre-Sud urbanisé, industriel et plus densément peuplé, et le reste de la Fédération plus rural et agricole, l’élection présidentielle avait toutes les raisons de porter au pouvoir un candidat plus favorable à la mise en œuvre d’un projet industriel4. En revanche, les élections chargées de définir les deux chambres du Congrès, c’est-à-dire le pouvoir législatif, portaient la logique inverse. Le nombre de sénateurs était le même pour chaque Etat, quelle que soit son importance, mais comme le nombre d’Etats agricoles était plus élevé, le Sénat était assuré d’une majorité favorable au statu quo. Pour les députés, leur nombre était proportionnel à la population de l’Etat, mais là encore, comme les analphabètes étaient exclus des consultations, les couches supérieures du Nordeste (grands propriétaires) étaient davantage représentées que celles des villes du Sud. Il en résultait fatalement une rupture entre un pouvoir exécutif largement investi par des couches de la population urbaine liées à des activités industrielles, et un Législatif représenté par des classes davantage liées à la terre et à la propriété foncière.

22Avec l’administration Kubitschek, cette dichotomie allait connaître une forte radicalisation. Si la réforme agraire ne faisait pas encore partie intégrante des objectifs du gouvernement, le formidable effort d’industrialisation qu’il avait développé entraînait une mobilisation sans précédent de la puissance publique, témoignant d’un contrôle direct et quasi absolu de l’Exécutif sur l’économie, et par conséquent d’une marginalisation du Congrès. En 1959, la Chambre des députés passait à l’offensive en déposant un projet de loi dans lequel les parlementaires prétendaient « reconquérir » le droit de participer à l’élaboration de la politique économique du gouvernement. Dans leur argumentaire, les congressistes accusaient l’Exécutif d’usurper les pouvoirs qui étaient les leurs, constatant que la somme des pouvoirs accordés à certains organes de l’administration autorisait l’Exécutif à définir en toute exclusivité la politique économique sans avoir à passer par le Congrès.

  • 5 Pour avoir une idée de l’importance de ce processus, il suffit de rappeler qu’entre 1955 et 1962, l (...)

23A ces problèmes d’ordre politique s’en ajoutèrent d’autres de nature plus économique. L’approfondissement de l’option industrielle dans le cadre de l’Etat de compromis s’était accompagné de déséquilibres profonds, que l’on pouvait observer à travers le développement de technologies de plus en plus intensives en capital et un financement par inflation. La faible incorporation de la main-d’œuvre suscitée par ces technologies avait abouti progressivement à la marginalisation de l’immense majorité des travailleurs non qualifiés, tandis que le processus de financement par inflation entraînait une dévalorisation des salaires, une concentration des revenus, et par conséquent une concentration des marchés solvables. Finalement, en employant les segments les plus qualifiés de la population et en recourant à des technologies modernes, l’industrialisation des années 1950 n’était parvenue à créer qu’une demande restreinte aux classes à plus hauts revenus, conduisant l’industrie à ne produire que pour ces classes5.

  • 6 On fait ici référence aux Ligues paysannes de Francisco Juliào, apparues dans la deuxième moitié de (...)

24Les années 1960 débuteront ainsi sur fond de crise latente : crise politique d’abord en raison de l’affaiblissement de l’alliance populiste conclue dans le cadre de l’Etat de compromis et remise en cause par le développement industriel ; crise économique ensuite compte tenu des limites de l’industrialisation dans le cadre d’une coexistence de classes qui n’autorisait guère l’élargissement du marché intérieur ; crise sociale enfin en raison de la prise de conscience de la classe ouvrière dans les villes et d’un début de syndicalisation rurale face aux problèmes engendrés par ce type de développement (inflation, marginalisation6…).

25Cette crise exigeait de plus en plus que soit réactivée l’une des composantes de la demande globale, ce qui pouvait s’énoncer à travers deux voies possibles de développement. La première supposait la transformation radicale des paramètres qui avaient jusqu’alors structuré la société brésilienne, à savoir : un élargissement du marché intérieur, la mise en œuvre d’une réforme agraire (destinée à élargir le marché en y incorporant les millions de paysans exclus de l’économie monétaire), une redistribution équitable du revenu, une élévation du salaire réel et une intervention accrue de l’Etat dans l’économie. La seconde visait au contraire une accélération des tendances en cours, à savoir : un élargissement du marché par une concentration encore plus accrue du revenu en faveur des classes consommatrices de biens durables, la recherche d’une nouvelle demande à l’extérieur des frontières par une politique de promotion des exportations de biens industriels, et une réduction des salaires réels de manière à rendre plus compétitives ces exportations.

26Sur le plan de l’adéquation au système politique, la première solution ne pouvait que se heurter à l’opposition des propriétaires fonciers solidement implantés au Congrès (Assemblée nationale et Sénat) et aux mécanismes de financement de l’économie par inflation et épargne forcée. La seconde au contraire se heurtait directement aux limites politiques de l’action du gouvernement, qui tenait précisément sa légitimité des classes urbaines de travailleurs, sur lesquelles on prétendait fonder la nouvelle étape de concentration du revenu. Ce sont précisément ces problèmes qu’auront à résoudre les administrations Quadros et Goulart.

27La première administration – Quadros – ne durera que sept mois, durant lesquels le président tentera d’administrer la crise par les voies classiques de la stabilisation. Incapable d’obtenir le moindre résultat, il renoncera le 25 août 1961 dans un contexte détérioré. Successeur de Quadros, Goulart tentera à son tour une expérience similaire, tout aussi décevante, mais qui l’amènera à reconsidérer le traitement de la crise au profit cette fois de la mise en œuvre de réformes de base.

28« L’analyse du développement récent indique que la pression inflationniste et la consécutive élévation du coût social du développement de notre économie, découlent de tensions structurelles qui pourraient être évitées, en grande part, au moyen d’une planification adéquate. Cependant, l’on doit prendre en considération que l’efficacité de la planification est fonction d’un certain nombre de conditions institutionnelles de base. Les authentiques modifications qualitatives dans les processus économiques présupposent des réformes de deux types :

  1. Une rationalisation de l’action du gouvernement dans les domaines des réformes administratives et bancaires ;

  2. Une élimination des entraves institutionnelles à l’utilisation optimale des facteurs de production, d’où se détachent clairement les réformes fiscales et agraires » (Presidencia da Republica, 1962).

29En réorientant le débat sur les réformes de base, le gouvernement annonçait clairement son incapacité à résoudre la crise par les voies économiques classiques, mais surtout était en train de franchir un nouveau pas, liant la reprise à la réforme des structures administrative, bancaire, fiscale et agraire identifiées comme « goulots non économiques d’étranglement ». Comme on pouvait s’y attendre, le débat sur la terre s’orienta rapidement vers une révision du régime de la propriété.

30« La correction des anomalies de la structure foncière nationale, originaire d’une obsolète conception du droit de propriété, se présente comme une urgence dans la mesure où, non seulement elle constitue un point d’étranglement qui empêche une rapide dynamisation de la production, mais cause également un malaise social capable de prendre des proportions imprévisibles, compte tenu que l’explosion démographique, principalement dans les aires les plus sous-développées, augmente la pression sur la terre en tant que moyen de survie. La réforme agraire s’impose ainsi comme une nécessité pour laquelle les pouvoirs publics doivent se doter des instruments légaux qui leur permettront de la mener à bien, sur des bases objectives et à des coûts compatibles avec la conjoncture socio-économique nationale. »

31« Alors que le Congrès National n’offre aucun instrument légal adapté à la réalisation de la réforme, le pouvoir exécutif va adopter une série de mesures par l’intermédiaire de la Superintendance de la politique agraire, utilisant le pouvoir d’expropriation dans les termes légaux qui lui ont été accordés. Selon ces pouvoirs, elle pourra exproprier les terrains mal utilisés autour des voies de chemin de fer et écluses publiques. Ces mesures incluent l’exécution de programmes d’aménagement des terres disponibles et de leur distribution aux agriculteurs, ainsi qu’un minimum d’assistance au moyen de programmes spécifiques de commercialisation, de syndicalisation rurale, d’alphabétisation et de formation. » (Goulart, 1964)

32C’est dans ce contexte que le gouvernement entamera finalement la réforme agraire et c’est la radicalisation du débat autour de ce thème qui entraînera sa déposition le 30 mars 1964. En effet, comme nous l’avons souligné, les conditions institutionnelles et politiques qui auraient pu permettre de telles réformes étaient loin d’être réunies. Il était clair, compte tenu du divorce qui caractérisait les rapports entre l’Exécutif et le Congrès, que la réforme agraire ne pouvait que séparer davantage ces deux fondements de la Constitution de 1946, fragilisant encore plus les bases de la démocratie représentative. Davantage composé de représentants de la société agraire, le Législatif ne pouvait que condamner des mesures qui risquaient de mettre en péril l’économie agro-exportatrice. De son côté, davantage compromis avec la société industrielle et financière d’où il tirait sa légitimité, l’Exécutif était composé d’hommes politiques, techniciens et économistes à mentalité plus urbaine, et par conséquent souvent en rupture avec le Congrès. La réforme envoyée par Goulart au Congrès le 22 avril 1963 ne survivra pas à ce dilemme.

  • 7 Dissipons tout de suite un risque de malentendu. C’est moins la volonté de préserver le statut de l (...)

33L’antagonisme entre l’Exécutif et le Législatif atteindra finalement son plus fort développement le 13 mars 1964, à l’occasion d’une réunion publique organisée par les directions identifiées au travaillisme populiste. Regroupant autour du président lui-même les partisans de la gauche et des couches urbaines qui avaient soutenu les réformes de base, l’objectif de la réunion était d’opposer au Congrès une manifestation populaire d’envergure. Par cette réunion, Goulart prétendait accélérer la lutte pour les réformes en mobilisant une nouvelle source de légitimation des pouvoirs exécutifs, fondée sur la souveraineté populaire. A partir de ce moment, il apparaissait évident que le président lui-même contribuait à créer un Etat d’illégalité, consommant de manière irréversible l’antagonisme qui séparait l’Exécutif du Législatif. Il sera déposé dix-sept jours plus tard par les militaires7 !

2. 1964-1985 : Régime militaire et non-réforme agraire

34Le 1er avril 1964 donc, les militaires prennent le pouvoir. Cet événement entérine l’échec du statu quo inauguré au lendemain de la Révolution de 1930 entre les forces séculaires liées à l’agriculture et les forces porteuses d’un projet d’industrialisation. Très rapidement, le nouveau régime va révéler sa véritable, fonction historique, à savoir, assurer l’arbitrage autoritaire d’un type de développement capitaliste liant une industrialisation rapide du pays au maintien des structures agraires constituées. Il en résultera un projet spécifique de développement, articulé autour d’une structure complexe et complète de régulation, dont l’impopularité n’aura d’égale que l’absence de légitimité démocratique.

35Ce projet se caractérisera tout d’abord par une affirmation des structures capitalistes à travers un vaste mouvement de concentration des firmes, une expansion considérable de l’Etat (législateur et entrepreneur) et l’instauration de pratiques autoritaires de gestion de la main-d’œuvre destinées à affirmer la suprématie du capital sur les relations sociales. Il sera ensuite consolidé par une modernisation de l’économie fondée sur l’éclatement de la société en deux enclaves de consommation, l’une réduite en nombre mais économiquement solvable, l’autre numériquement majoritaire, mais réduite à pourvoir la fonction consommatrice de la première à travers des mécanismes de contrôle salarial. Il sera confirmé enfin par une articulation de l’économie nationale à l’économie mondiale, permettant d’une part de l’intégrer aux réseaux internationaux de technologie, capitaux et firmes multinationales, et d’autre part d’assurer un complément aux débouchés économiques, volontairement réduits sur le marché interne à une frange étroite de consommateurs solvables. Ainsi seront scellées les trois caractéristiques de ce que l’on a pu appeler la « modernisation conservatrice » : concentration, exclusion, extraversion.

36En optant pour une concentration du revenu et le développement des exportations de produits manufacturés, les forces issues du coup d’Etat réaliseront ainsi une nouvelle alliance entre le capital étranger et le capital national, soutenue à la fois par les grands propriétaires terriens et la classe moyenne urbaine. Il en découlera des résultats souvent spectaculaires (11 % de croissance annuelle moyenne de 1968 à 1973, plus de 13 % dans le secteur industriel, retour à l’excédent commercial à partir de 1970, maîtrise de l’inflation, accroissement de l’épargne nationale…), mais qui, replacés dans le contexte politique et social qui les sous-tend, ne font que souligner son échec dans bien d’autres domaines (Buffet, 1991).

37En ce qui concerne l’agriculture, les militaires vont créer la surprise générale en promulguant – tactiquement ? – un Statut de la terre (Loi 4 504 du 30 novembre 1964) portant projet de réforme agraire. Pour l’essentiel, ce statut visait à :

38« promouvoir une meilleure distribution de la terre, à l’aide de modifications dans sa possession et son usage, à des fins de justice sociale et d’augmentation de la productivité… La réforme agraire vise à établir un système de relations entre les hommes, la propriété rurale et l’usage de la terre, capable de promouvoir la justice sociale, le progrès et le bien-être du travailleur rural, ainsi que le développement économique du pays, avec une graduelle disparition du minifundio et du latifundio ».

39Sans remettre en cause la légitimité de la propriété foncière, le texte promulgué par les militaires subordonnait par conséquent ce droit à « l’utilité sociale », notion fondamentale de la réforme qui permettait d’établir la distinction entre les domaines expropriables et les domaines non expropriables. « L’utilité sociale » d’une propriété rurale était alors mesurée d’après sa capacité à assurer le bien-être du travailleur rural, ses performances en termes de productivité et son étendue, par laquelle on souhaitait promouvoir une structure intermédiaire entre le minifundio et le latifundio. Ce statut définissait en outre les relations entre propriétaires et tenanciers et assurait aux posseiros défrichant les terres non appropriées la priorité pour l’achat de leur lot, et même la reconnaissance de sa propriété pleine et entière après dix ans d’occupation efficace. Un organisme, l’IBRA (Institut brésilien de la réforme agraire) et un fonds spécial de financement appuyaient ce texte.

40D’inspiration généreuse, du moins en apparence, ce texte ne fut pourtant jamais appliqué. Entre 1965 et 1967, furent bien délimitées des « aires prioritaires d’urgence en vue de la réforme agraire », sur lesquelles devaient être réalisées des expropriations au nom du non-respect de l’utilité sociale… mais la réforme proprement dite resta lettre morte. En outre, ces aires – littoral et agreste du Pernambouc et de la Pataïba, du Ceara, du Rio Grande do Sul, District fédéral – indiquent clairement qu’il s’agissait avant tout de diminuer la pression dans les zones sensibles par l’acuité des conflits qui s’y déroulaient ou la proximité de la capitale, et non pas de s’attaquer à la nature concentrée de la propriété foncière. En fait de réforme, le texte ne servira qu’à conforter une fois de plus la structure en place.

  • 8 Lire « Ministre des Collectivités locales et du développement régional. »
  • 9 Notons pour information que, loin d’être le « premier venu », le général Albuquerque Lima s’était d (...)

41En 1968, sous la présidence de Costa e Silva et face à l’incohérence de la situation, une tentative de remise à l’ordre du jour de la réforme agraire sera entreprise par le nouveau ministre de l’Intérieur8, le Général Albuquerque Lima, mais qui révélera de manière exemplaire les positions tenues par les militaires. Sensibilisé de par ses fonctions au problème de la répartition foncière, ce général s’était rapidement attiré les sympathies d’une partie de l’opinion pour ses positions progressistes sur la question, en même temps que la méfiance du président qui voyait en lui un opportuniste intéressé seulement par la succession présidentielle9. Au lendemain de la promulgation de l’Acte institutionnel n° 5 (13 décembre 1968 – restriction des libertés individuelles et collectives), ses requêtes en faveur de la réouverture du dossier de la terre s’étaient même intensifiées, le général estimant alors que les mesures d’exception représentaient « l’occasion unique d’affronter certains problèmes de structure, tel celui de la réforme agraire ». C’était sans compter sur les impératifs budgétaires, que devait s’empresser de lui rappeler le ministre des Finances Antonio Delfim Netto, lequel considérait par ailleurs la réforme agraire comme un « simple passe-temps pour économiste sans emploi ». Débouté dans ses propositions, le général remettra finalement sa démission en exprimant publiquement son désaccord au gouvernement, non seulement sur la politique régionale dont il était responsable, mais également sur le sens de la « Révolution ». L’affaire aura néanmoins frappé les esprits, et face aux nombreux témoignages de solidarité que recevra l’ex-ministre, le gouvernement acceptera par l’Acte institutionnel n° 9 du 25 avril 1970, de préciser les contours de la future réforme agraire. En mai il annoncera la distribution de 16 000 hectares de terres à 650 familles du Rio Grande do Sul, et en juillet, la mise en place d’un Groupe exécutif de la réforme agraire… bien hypocritement d’ailleurs puisque parallèlement le nouveau ministre de l’Intérieur, Costa Cavalcanti annoncera que « la réforme maintiendra en l’état les structures existantes, considérées comme fondamentales ».

42En juillet 1970, alors que le régime prenait un tour de plus en plus policier (administration Medici), une illustration de cette position sera donnée à l’occasion de la création de l’INCRA (Institut national de la colonisation et de la réforme agraire) venu remplacer l’IBRA (institut brésilien de la réforme agraire). La colonisation viendra ainsi se substituer à la réforme agraire, permettant à l’Etat de décongestionner les zones surpeuplées du Nordeste et de transférer les populations en surnombre sur les territoires encore vierges de l’Amazonie. Par ce nouvel artifice, l’Etat pourra alors occuper des zones stratégiques (sécurité nationale) en mettant à disposition des colons les régions situées de part et d’autre des transamazoniennes, le tout en s’épargnant les « désagréments » d’une véritable réforme. En contrepartie, les régions « décongestionnées » bénéficieront des mesures de développement prévues par le Programme PROTERRA, visant l’intégration du « polygone de la faim » (Nordeste) au système économique pauliste, notamment via la création d’industries alimentaires, la mise en place de prix garantis pour les produits exportés et d’une manière générale une stimulation de l’économie de marché (Ianni, 1979).

43L’année 1973 caractérisera finalement l’aboutissement d’un processus de modernisation particulier, caractérisé par des résultats économiques certes encourageants, mais également une accumulation de tensions tant économiques, politiques que sociales, qui placeront le modèle d’internationalisation et de concentration créé en 1964, dans une situation particulièrement vulnérable et perméable à tout choc externe. Dans la seconde moitié de l’année, ces tensions se combineront à la crise économique mondiale et à la brusque élévation du prix du pétrole pour faire entrer le pays dans une lente phase de décélération de la croissance, puis de récession, qui exacerbera à son tour les contradictions de son développement et révélera finalement sa crise profonde. Ne pouvant désormais prétendre à la légitimation par l’économique, les militaires devront accepter, souvent du bout des lèvres, mais de manière irréversible, les contestations jaillissant de toutes parts.

3. 1985-1996 : Nouvelle République et non-réforme agraire

44Finalement, à partir de 1979, face à une nouvelle détérioration de la situation économique, l’opposition traditionnelle – Eglise, étudiants, ouvriers – s’affirme, renforcée de manière décisive par la montée en puissance du patronat, de la classe moyenne, ainsi que l’entrée en dissidence de certains cadres du parti gouvernemental. En 1984, un mouvement d’opposition réclame le rétablissement des élections directes – direitas ja – pour le choix du successeur au général Figueiredo et le 15 janvier 1985, Tancredo Neves, candidat de l’Alliance démocratique, opposée au régime, est élu président par le collège électoral établi par les militaires. Hélas, terrassé par la maladie, celui-ci doit abandonner trois mois plus tard à son vice-président, le très impopulaire José Sarney (ex-président du Parti démocratique social – le parti des militaires), la charge de la transition vers la démocratie. Orpheline de son « père », la démocratie retrouvée le sera aussi de sa « réforme agraire ».

45Le lundi 27 mars, est en effet lancée à Brasilia, ce que la presse a décrit comme « la plus importante et la plus controversée des réformes promises par la nouvelle République », la réforme agraire. Maintes fois annoncée et toujours remise, son évocation faisait encore trembler le patronat rural plus de vingt ans après la grande peur qui s’était emparée des campagnes, lorsque les ligues paysannes de Francisco Julião avaient enflammé le Nordeste. Cette fois pourtant, le président Sarney avait veillé à ménager les termes de sa présentation. « Il ne s’agit pas d’attaquer la propriété, mais de la démocratiser » avait-il alors affirmé lors du quatrième congrès des travailleurs agricoles, «... et d’éviter que le pays ne se transforme dans les dix ans en un immense champ de bataille », avait renchéri le ministre de la Réforme et du Développement agraires Nelson Ribeiro. Sarney avait en outre à maintes reprises réaffirmé son attachement auprès des pauvres et des paysans sans terres en rappelant les engagements qu’il s’était promis de tenir à la succession de Tancredo. « Je ne suis pas ici pour semer des illusions », avait-il souligné, réaffirmant que « la réforme ne serait ni une figure de rhétorique, ni un exercice d’affirmation idéologique, mais véritablement la recherche d’une solution sans traumatisme au drame vécu par la grande majorité des paysans brésiliens ».

46Dans ses grandes lignes, le rapport remis au Congrès entendait redistribuer en quinze ans, 480 millions d’hectares (soit la moitié du territoire brésilien) à plus de 7 millions de paysans et leurs familles – soit 35 millions de personnes – représentant 25 % de la population. Il devait aboutir à la suppression de la dualité latifundio-minifundio, présentée comme une véritable plaie de l’Amérique Latine, particulièrement acerbe dans ce pays où vingt et un ans de dictature avaient favorisé la concentration foncière et exacerbé les tensions. Le projet donnait à cet égard des chiffres édifiants : 2 % des exploitations – celles s’étendant sur plus de 1 000 ha – correspondaient à 58,3 % des surfaces agricoles, tandis que 83 % – celles inférieures à 100 ha – n’occupaient que 14 % des surfaces enregistrées. Sur l’ensemble, 41 % des surfaces exploitables étaient laissées en friches à des fins purement spéculatives.

47L’Etat avait bien pris soin de préciser au départ son rôle dans l’opération en assurant le patronat rural qu’il ne revendiquerait aucun droit sur les terres « libérées ». L’expropriation ne devait concerner en outre que les latifundia « improductifs », renforçant par là même l’inviolabilité des domaines effectivement exploités. La réforme devait contribuer à accroître l’offre de produits alimentaires, créer des emplois, ralentir un exode rural qui connaissait avec la crise un plein essor, et finalement apporter une solution définitive aux conflits qui ravageaient le pays. Le mode d’indemnisation des terres expropriées était prévu sous forme de remboursement sur vingt ans en titres de la dette publique corrigés de l’inflation.

48Sitôt connu, le projet de réforme agraire entraîna, comme prévu, une déferlante de protestations sans nuances. Sollicitées pour donner leur avis, les organisations patronales rurales – dont la plus puissante, l’Union démocratique rurale (UDR), créée à l’initiative des plus gros éleveurs du pays, c’est-à-dire ceux qui avaient le plus de terres peu ou non utilisées – n’allaient pas hésiter à parler tour à tour de « menaces de collectivisation » et d’« encouragement à la lutte des classes », allant même jusqu’à hâter la comparaison avec d’autres réformes de ce type appliquées en d’autres temps et d’autres lieux (Chine de Mao, Cuba de Castro), voire jusqu’à retrouver dans la première année du retour de la démocratie, un avant-goût du climat social qui avait précipité la déposition de Goulart le 31 mars 1964.

49Pour ses détracteurs, le projet avait été élaboré sous la pression des travailleurs agricoles, sans que l’autre partie concernée – les propriétaires – n’ait été consultée. L’argument du « latifundia improductif » était en outre retourné contre le gouvernement, les propriétaires liant l’absence de mise en valeur aux difficultés d’obtenir des crédits. La forme donnée à la redistribution était enfin critiquée, les auteurs du projet ayant totalement passé sous silence les formes à donner à l’aide technique et financière pour permettre aux paysans d’exploiter leur propriété. Finalement, plus que de s’occuper des terres privées, les grands propriétaires recommandaient au gouvernement de partager en premier lieu les terres publiques.

50Début juin, le climat s’était notoirement détérioré avec l’occupation, dans l’Etat de Santa-Catarina, de 4 000 ha de propriétés privées considérées comme inexploitées, par des milliers de paysans conduits à l’initiative Mouvement des travailleurs sans terre, organisation d’extrême gauche liée à l’Eglise. S’organisant en vue d’une occupation durable, ces derniers avaient commencé à planter des cultures hivernales, conduisant les autorités locales à dépêcher plus de mille policiers sur les lieux pour éviter une bataille rangée entre propriétaires et paysans.

  • 10 On notera à ce titre que 62 parlementaires de toute obédience possédaient à eux seuls 32 millions d (...)

51Devant l’avalanche de critiques suscitées par cet épisode, le ministre de la Justice, Fernando Lyra manifestera un premier retrait en publiant un communiqué rappelant que le gouvernement « ne reculerait pas », mais que des mesures seraient prises pour garantir le maintien de l’ordre et la défense de la propriété privée. De leur côté, les adversaires du projet en profitèrent pour réclamer sa révocation au profit d’un texte qu’ils seraient appelés à élaborer, le projet officiel présentant « une trop forte connotation idéologique car trop fondé sur le principe marxiste-léniniste de la lutte des classes ». A l’opposé, le président de la Conférence épiscopale, Mgr Ivo Lorscheiter, estimait qu’il fallait « réformer la réforme » au profit d’une réforme plus ample, destinée à « en finir » avec les latifundia (y compris ceux considérés comme productifs) – et démocratiser réellement la propriété de la terre. Lorsque l’on ajoute que bien peu nombreux étaient les parlementaires qui n’étaient pas également propriétaires terriens (la famille Sarney était à elle seule propriétaire de 70 000 ha dans le Para), l’on perçoit aisément le climat de tension qui pesait sur les débats10.

52A vingt et un ans d’intervalles, c’était en fait la même barricade d’intérêts qui se dressait pour empêcher une véritable démocratisation de la propriété rurale.

53Vers la fin de l’année, alors que le débat semblait s’être apaisé, les occupations sauvages de grandes propriétés, ainsi que les assassinats de paysans par les hommes de main des grands propriétaires redoublèrent d’intensité. La menace d’extension du recours aux armes commençait à trouver dans la réalité quotidienne ses premières applications. La télévision et la presse exhibèrent de véritables arsenaux appartenant à des fazendeiros qui se disaient prêts à défendre leurs terres. Une grande publicité fut également faite autour des leilão, sortes de ventes de bétail organisées pour acheter des armes. 70 000 armes furent ainsi rassemblées en quelques mois par l’UDR et ses membres qui, dans un grand nombre de cas passèrent de la menace aux actes. Des listes de personnes à abattre (leaders syndicaux, avocats…) furent diffusées ouvertement, tandis que des commandos chargés de commettre les meurtres se multiplièrent et passèrent aux actes dans une totale impunité. En quelques mois, l’UDR devint une très puissante organisation corporative et politique, comptant 230 000 membres répartis dans 200 groupes présents dans 19 Etats et soutenue par des grandes banques (Bradesco, ITAU…).

54Finalement le 10 octobre, le projet définitif de réforme est rendu public. Entre la mouture initiale et le plan définitif, onze versions auront circulé, chacune en retrait sur la précédente. La déception est à la mesure de l’enthousiasme suscité quelques mois plus tôt dans la paysannerie. Le plan de quatre ans (1986-1989) adopté par le président Sarney introduit de telles précautions et est rédigé de façon tellement ambiguë qu’il autorise les interprétations les plus contradictoires. Outre de limiter son action dans le temps à l’année 1989, il accorde une nette préférence à la « négociation » sur l’« expropriation », dont il est répété qu’elle devra être évitée. De même, le plan définitif va exclure de la redistribution les plus grands latifundia (plus de 10 000 ha), ainsi que les domaines utilisant des fermiers et des métayers. Il soumettra enfin chaque phase de son exécution à l’autorisation du président de la République, ce qui, aux dires des spécialistes, ne pourra que la retarder et la compliquer. Toutes les mesures d’assainissement immédiat annoncées cinq mois plus tôt – expropriations dans les zones à conflits, suppression des milices privées, moralisation de la justice, de la police – sont enfin supprimées. Bien plus, l’Etat n’hésitera pas à expliquer les amendements apportés au projet par des justifications propres à convaincre les syndicats d’ouvriers de leur bien-fondé. L’exclusion du projet de redistribution des grands latifundia est ainsi justifiée par le fait que le projet de départ risquait de porter atteinte à certaines plantations de soja et de maïs, bien plus rentables dès lors que pratiquées à grande échelle. De même l’exception faite en faveur des domaines utilisant le fermage et le métayage était présentée comme une œuvre de sauvegarde économique destinée à éviter le renvoi pur et simple des familles de paysans (estimées à 600 000) occupées sous ce régime de travail.

55Commencées en 1986, les redistributions de terres se poursuivront par conséquent à un rythme dérisoire au vu des objectifs annoncés et des besoins de la population rurale. A la fin de l’année, elles n’auront profité qu’à 10 % des familles initialement prévues, chiffre donné par des sources officielles, mais ramené à 2 % selon les travaux réalisés par l’institut privé d’études économiques, IBASE.

56La réforme, annonceront finalement ses détracteurs, avait désormais vécu, non pas parce qu’elle n’avait pas été réformée, mais parce qu’elle l’avait été dans le mauvais sens. Chargé par l’épiscopat de suivre l’élaboration du projet, le Père Pedrinho Guareschi indiquait alors que les travailleurs agricoles reconnaissaient l’incohérence du projet, et qu’ils étaient prêts désormais à entrer dans la lutte. « Où a-t-on vu qu’on puisse redistribuer la terre en négociant avec ceux qui la possèdent » affirmera-t-il. Bien plus, face aux interventions croissantes des polices militaires d’Etats dans les conflits contre les « sans-terres », l’Eglise commencera à s’attaquer directement au gouvernement représenté dans pratiquement tous les Etats par le PMDB, ce même PMDB qui avait combattu la dictature. Cette situation conduira notamment la commission pastorale de la terre à déclarer : « Le PMDB au pouvoir de la nouvelle république contredit le PMDB de l’opposition au régime militaire qui affirmait : la question de la terre ne se règle pas par la police, mais par la justice. »

57Le ministre du Développement et de la Réforme agraire, Nelson Ribeiro, persistera à afficher un optimisme inébranlable mais avancera pour s’en persuader des arguments tout juste recevables. « La plupart des expériences de ce genre dans le monde ont été réalisées par des dictatures ou des régimes révolutionnaires. Ici, nous voulons agir dans la démocratie. Cela suppose des pas en avant et des pas en arrière. » En réalité, les autorités ne parviendront pas à éviter la radicalisation du débat, qui précipitera la violence dans les campagnes à travers la militarisation des exploitations, l’organisation des fazendeiros en groupes de défense (Parlement, presse, administration), les occupations illégales de terres (soutenues par le PT et l’Eglise) et finalement la multiplication des menaces de chantage (cas de Nelson Ribeiro dont on menacera de kidnapper et supprimer le fils). Quatre ministres de la Réforme agraire se succéderont en trois ans dont un disparu dans un mystérieux accident d’avion. Le président signera en outre des décrets d’expropriation et de redistribution qui ne seront pas appliqués. Au total, au moment du vote de la Constitution, à peine 2,6 % du programme de réforme agraire auront été appliqués.

58Ambigu, contradictoire, parfois semé d’embûches et d’imprécisions, le plan de réforme agraire décrété le 10 octobre 1985 restera finalement à l’image de la nouvelle République, une tentative de conciliation entre des forces diverses et des intérêts contradictoires. Chacun pourra l’interpréter dans son sens, en fonction de ses propres intérêts, et par conséquent des intérêts du plus puissant.

  • 11 On estime que 62 députés et sénateurs appartenant à divers partis politiques – dont 11 du PMDB – on (...)

59A gauche, de nouveaux espoirs seront mis pour regagner le terrain perdu lors des débats de la Constituante à venir, et inscrire dans la nouvelle charte les principes d’une véritable réforme. Peine perdue d’avance, la nouvelle Constitution sera également conservatrice dans ce domaine. Noyautés par les représentants de l’UDR11, les débats feront la part belle à l’idéologie des grands propriétaires : défense de la propriété quelles qu’en soient l’origine et les dimensions, défense de la libre initiative, défense de l’agriculture productiviste, condamnation sans appel de l’agriculture paysanne, diminution rapide du nombre de personnes vivant de l’agriculture et de l’élevage. Depuis sa création en mai 1985, l’UDR avait eu tout le loisir de se doter des moyens financiers et « militaires » indispensables à la diffusion de ses positions, et d’exercer une pression définitive sur les représentants du peuple.

60Le 10 mai 1988, l’Assemblée constituante élue démocratiquement en 1986 votera ainsi contre l’inscription au texte fondamental, des expropriations nécessaires à une véritable réforme agraire. Ce vote signifiait que dorénavant, toute terre cultivée ou en mesure de produire, quelles qu’en soient les conditions et la superficie, ne pourrait plus être expropriée. La réforme agraire n’était plus désormais présentée comme l’un des moyens d’accélérer la démocratisation, mais tout simplement comme un instrument permettant d’augmenter la production et la productivité du milieu rural. « L’expropriation par intérêt social » était supprimée, tandis qu’était découragée l’expropriation tout court au profit d’une redistribution des terres publiques. Les plans régionaux de réforme allaient en outre être confiés aux Etats, chacun des plans, une fois établi, devant faire l’objet d’une approbation par le président de la République. Les partisans de la réforme virent très vite dans cette procédure la voie ouverte à toutes les combines, à tous les freins bureaucratiques, à toutes les pressions malhonnêtes des oligarchies agraires et à tous les excès des polices locales. L’annonce du résultat du vote donnera lieu dans les locaux de l’Assemblée constituante aux débordements de joie des gros propriétaires présents : « spectacle affligeant, noteront Alain et Denis Ruellan, d’une démocratie minée par le pouvoir de l’argent, d’une démocratie au sein de laquelle une oligarchie peut se réjouir sans vergogne d’avoir gagné démocratiquement contre une majorité populaire » (Ruellan, 1989).

61Comble de l’absurde, lorsqu’en 1989 l’hyperinflation menacera, le gouvernement resserrera étroitement ses budgets en recommandant à ses ministres de ne dépenser que dans la mesure de leurs moyens, autrement dit, pratiquer l’austérité budgétaire. Cette volonté sera aussitôt marquée par la suppression de cinq ministères, dont celui de la Réforme agraire et de l’Irrigation, inexistant avant la nouvelle République, et dont personne n’avait perçu entre-temps l’utilité !

62Plus que jamais, le Brésil se retrouvait dans l’impasse, dans l’impossibilité de pouvoir, de vouloir résoudre ses problèmes.

63Pour conclure, et comme nous pouvons le constater au fil de ces propos, des réformes de base préconisées par Coulart, à la Constituante, en passant par le Statut de la terre des militaires, les débats concernant la répartition foncière au Brésil sont irrémédiablement entachés de constantes sociales et politiques qui font que, dans ce pays, l’histoire se répète. Chaque tentative est ainsi vouée à l’échec, laissant le problème totalement irrésolu, et reportant sur l’avenir de nouveaux cycles de conflits. Dans le dernier en date, c’est-à-dire avec le retour de la démocratie, non seulement le lobby des grands propriétaires aura réussi à conserver la place qui avait été la sienne au cours des périodes antérieures, mais il aura permis d’enterrer, dans la plus grande légalité, un projet de réforme agraire érigé en véritable revendication symbole par les 12 millions de paysans sans terres.

64Il est douteux, dans de telles conditions, qu’une véritable réforme agraire ait quelque chance de voir le jour dans un avenir proche.

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Notes

1 Pour qui ne serait pas convaincu de cette thèse, ajoutons que si le coup d’Etat de 1930 avait été un coup d’Etat industriel-bourgeois, on ne comprend pas alors pourquoi cette classe, désormais au pouvoir, aurait eu intérêt à maintenir le revenu des caféiculteurs, y compris en s’endettant, pour financer les stocks d’invendus, et ce jusqu’en 1944. De même, on explique mal pourquoi cette classe au pouvoir n’aurait pas réussi à imposer la réforme agraire. Enfin, comment expliquer le fait qu’il ait fallu attendre 1956, c’est-à-dire vingt-six ans après sa supposée arrivée au pouvoir, pour voir cette classe mettre en place le premier grand plan d’industrialisation lourde !

2 En réalité, les premiers plans de développement ont été élaborés sons l’administration Vargas (1930-1945), mais les résistances à la centralisation étaient telles du côté des conservateurs, qu’il est difficile d’apprécier leur impact en terme d’altération des structures de production.

3 SALTE pour Santé, Alimentation, Transports, Energie (Salte en portugais = saut).

4 ... d’autant que le pays était en passe de franchir le seuil de 50 % d’urbanisation.

5 Pour avoir une idée de l’importance de ce processus, il suffit de rappeler qu’entre 1955 et 1962, le salaire réel des ouvriers de l’industrie de transformation ne va s’élever que de 12,3 %, alors que la productivité de leur travail va s’accroître de 72,8 %. Cette différence sera particulièrement sensible dans les industries de biens de consommation durable et de biens d’équipement, pour lesquels l’augmentation des salaires réels de 11,5 % fera le triste pendant à une élévation de 121,4 % de la productivité - CANDAL Arthur (1969), A industrialização brasileira : diagnostico e perspectiva. Ministerio do Planejamcnto, Rio de Janeiro.

6 On fait ici référence aux Ligues paysannes de Francisco Juliào, apparues dans la deuxième moitié des années 1950 dans le Nordeste. A l’origine simple association d’entraide organisée pour payer un cercueil et assurer des funérailles décentes aux défunts de familles démunies, elles s’étaient radicalisées sous le gouvernement Coulait faisant passer au premier plan de leur combat la revendication d’une réforme agraire. Appuyées dans un premier temps par les représentants des diverses organisations nord-américaines (qui voulaient éviter la diffusion d’une révolution à la cubaine), bénéficiant de la sympathie du gouvernement populiste du moment, elles avaient obtenu en 1963 la promulgation du Statut du travailleur rural, qui étendait aux travailleurs ruraux les droits reconnus depuis une vingtaine d’années à leurs homologues des villes : paiement des salaires en espèces et non en bon d’achat dans le magasin du patron, droit au repos hebdomadaire et à quelques congés, couverture sociale, droit syndical, salaire minimum, etc.

7 Dissipons tout de suite un risque de malentendu. C’est moins la volonté de préserver le statut de l’oligarchie terrienne que la peur de voir s’établir ce qu’ils identifiaient à la subversion, qui a décidé les militaires à rompre leur légalisme aux urnes. Il ne faut pas perdre de vue que l’époque est marquée par l’ascension du communisme international, dont Cuba avait fourni l’exemple le plus vivant cinq ans auparavant.

8 Lire « Ministre des Collectivités locales et du développement régional. »

9 Notons pour information que, loin d’être le « premier venu », le général Albuquerque Lima s’était déjà notoirement illustré en mars-avril 1968, en mettant en défaut certains fonctionnaires du Service de protection des Indiens (SPI), accusés de s’être livrés à une vaste opération de « génocide », contre des tribus autochtones de l’Amazonie et du Mato Grosso. Menée avec détermination et courage, l’enquête du général avait alors permis de confondre plus de 300 fonctionnaires (sur un total (le 700), accusés d’avoir illégalement favorisé certaines autorités locales, groupes politiques et intérêts économiques, en organisant (depuis les années 1930-40), le massacre des populations indiennes – Anonyme (1968), La présidence COSTA E SILVA au Brésil – chronologie : mars 1967 – juillet 1968, Problèmes d’Amérique latine, n° 10, 24 septembre : 54

10 On notera à ce titre que 62 parlementaires de toute obédience possédaient à eux seuls 32 millions d’hectares.

11 On estime que 62 députés et sénateurs appartenant à divers partis politiques – dont 11 du PMDB – ont été ainsi élus avec l’appui de l’UDR (la liste nominative a été publiée par divers journaux brésiliens).

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