Développement rural et changements sociaux en Inde
L’émergence des couches moyennes villageoises
p. 23-42
Texte intégral
1La société rurale en Inde est structurée par les formes de l’économie agricole. Ainsi, seules de profondes transformations dans l’agriculture peuvent entraîner de réels changements dans la société. Ce lien entre organisation de la société et organisation de la production agricole explique la stabilité des systèmes sociaux villageois depuis l’Indépendance, alors que la réforme agraire prévue est lente à se réaliser et que l’expression démocratique apparaît hésitante. Même la révolution verte de la fin des années 1970 n’entraîne que des changements partiels car le développement des nouvelles techniques agricoles se révèle très inégal selon les régions. Il faut attendre la fin des années 1980 et la politique de libéralisation économique pour assister à un véritable bouleversement dans les campagnes à l’échelle de l’ensemble du pays. L’augmentation du rythme de la croissance entraîne en effet l’apparition dans les villages de couches moyennes diversifiées, tandis que la remise en cause des politiques publiques d’encadrement modifie les hiérarchies sociales et le système des inégalités. La pauvreté subsiste, mais le phénomène marquant est certainement l’enrichissement de ces familles, constituant des couches moyennes rurales, caractérisées par leur capacité à consommer des produits manufacturés. Si les nouvelles inégalités sociales sont aussi visibles dans les villages que l’étaient les rapports de domination du passé, c’est bien une réorganisation profonde de la société rurale qu’exige la nouvelle situation économique. Les nouvelles couches moyennes se révèlent tout particulièrement représentatives de l’ouverture des campagnes sur le monde extérieur. Avec la libéralisation de l’économie agraire, ce sont en effet de nouveaux rapports villes-campagnes qui se mettent en place, lesquels n’apparaissent alors que comme un moment d’un phénomène plus fondamental, celui de l’intégration des campagnes indiennes au sein d’un système économique mondial en cours d’émergence.
1. Les aléas de la réforme agraire dans l’Inde indépendante
2Dès les premières années de l’Indépendance, les planificateurs indiens placent leur priorité dans le développement du secteur industriel. Cependant, le secteur agricole, qui occupe deux tiers du total des actifs et fait vivre près de cinq personnes sur six, ne peut pas être oublié. Les rapports sociaux très hiérarchisés dans les 560 000 villages, ainsi que les techniques très sommaires des activités qui s’y déroulent, font craindre une catastrophe économique et politique. Une politique agricole est donc élaborée, avec deux objectifs majeurs : une législation agraire éliminant les inégalités flagrantes et une politique d’aide aux paysans, financière et technique, destinée à promouvoir un développement rural solide.
3Les premiers objectifs de cette législation, l’abolition du système foncier zamindari1 et la mise en place de clauses relatives aux plafonds fonciers (avec indemnisations pour les expropriés) ne sont que très diversement atteints selon les régions. Sur les trois millions d’hectares de terres récupérées jusqu’en 1986 (Pouchepadass 1996 : 321), moins de la moitié a été redistribuée, et parmi ces terres, une bonne partie est impropre à la culture. Détournant la législation, une minorité de riches propriétaires subsiste et pratique tous les abus : falsification du cadastre, utilisation de prête-noms, partage des terres au nom des différents membres d’une même famille, et même quelquefois intimidation ou assassinat des métayers. Il est vrai que la clause concernant l’obligation du travail de la terre pour celui qui la possède a été supprimée.
4La seconde catégorie d’objectifs de la législation agraire concerne l’amélioration du sort des tenanciers : fixation des loyers de la terre, renforcement des garanties de tenure, transmission des tenures par héritage. Ces objectifs ne sont eux-mêmes que très partiellement atteints.
5Cette législation n’a donc pas permis de dégager suffisamment de terres pour les distribuer à la masse d’ouvriers agricoles. Plus qu’à l’élimination des grands propriétaires fonciers, ces réformes agraires auront plutôt contribué à la formation de groupes d’entrepreneurs ruraux propriétaires qui ont su tirer profit des lois. Cependant, subsiste une minorité notable de propriétaires usuriers poursuivant l’exploitation de la masse des micro-exploitants et des paysans sans terre. Comme le note J. Pouchepadass (1996 : 169), « les responsables de la réforme avaient intérêt à ce que celle-ci fût superficielle. Malgré les professions de foi socialistes de ses leaders, le Congrès (jusqu’à sa chute en 1996) représente surtout les intérêts des paysans, surtout ceux des castes dominantes dans les villages, qui constituent sa base politique dans le monde rural (…). Toute la superstructure de l’appareil politique et administratif a des intérêts fonciers et s’emploie à les protéger ». La faible application de ces lois agraires conjuguée à une pression démographique rurale toujours forte (100 millions de ruraux supplémentaires entre 1981 et 1991) implique un besoin de terre croissant (la taille moyenne des exploitations atteint à peine 1,5 ha contre 2,3 ha en 1981) et conduit à une inégalité foncière patente (moins de 9 % des grosses exploitations supérieures à 4 hectares représentent près de 45 % des terres cultivées).
2. La création des Panchayat et le développement de mouvement coopératif
6La lenteur de ces réformes agraires ne bloque pas l’innovation des décideurs : ils optent pour la mise en place dès les années 1950 d’une politique de développement rural coopératif. D’inspiration gandhienne, le « Community Development Program » a pour objectif de stimuler l’esprit d’initiative. Le pivot de la réforme est la mise en place des « Bloc Developments » qui regroupent une centaine de villages (chacun comprenant de 50 000 à 100 000 habitants). A leur tête se trouvent les « Bloc development officers », secondés par des spécialistes de l’agriculture, de l’irrigation, de l’industrie rurale, de la planification familiale. Un animateur, nommé « village level worker », est placé dans chaque village La mise en place de cette organisation a été achevée à l’échelle de l’Inde entière dès le milieu des années 1960, date à laquelle 5268 « Bloc Developments » existent dans le pays. Pour renforcer ce système dont l’efficacité se révèle vite insuffisante, dès 1957 et jusqu’à 1974, des conseils de villages ou « Village Panchayat », élus au suffrage universel, sont progressivement instaurés partout. Leur but consiste à stimuler davantage l’esprit d’initiative et à mobiliser une paysannerie bien peu armée pour répondre aux sollicitations de l’administration. Cette structure de décision populaire qui se veut démocratique profite aux nouvelles élites rurales qui dominent ces instances de décision, notamment dans les régions où la domination est la plus dure, telles que le Bihar. Pour pallier cela, les « Village Panchayat » sont réorganisés, d’abord en 1973 lorsqu’un tiers des sièges est offert aux femmes et un nombre proportionnel à la population des villages est attribué aux tribaux et aux basses castes, puis en 1995 quand les ressources financières sont directement attribuées par la Commission des finances de l’Etat, dont ces villages dépendent.
7Enfin, pour essayer de limiter l’emprise des usuriers et assurer aux plus démunis des denrées de première nécessité à des prix subventionnés, Jawaharlal Nehru lance dès les années 1950 à l’échelle de l’Inde rurale en son entier, un très vaste mouvement de coopératives sous la forme d’organismes de crédit agricole prêtant à des taux d’intérêt très avantageux. Cette initiative de l’Etat profite avant tout aux nouvelles couches paysannes aisées et entreprenantes, qui émergent avec la réforme agraire. En effet, l’insolvabilité de nombreux petits paysans, incapables de renouveler leurs prêts, empêche bon nombre de paysans pauvres de participer à cette action, réalisée apparemment en leur faveur. Ainsi continuent-ils à dépendre des usuriers qui, pour leur part, continuent à leur faire des prêts à des taux prohibitifs.
8La politique agricole de Jawaharlal Nehru, pourtant prometteuse, ne permet donc pas de transformer en profondeur l’économie et la société rurales. Les résultats restent très en deçà des objectifs. La mobilisation pour des actions d’intérêts collectifs n’a pas été possible à cause de la mauvaise formation des responsables ruraux, incapables de résister à la corruption, et à cause des faibles capacités de la masse paysanne à répondre aux propositions qui lui sont faites. Malgré un taux de croissance de la production agricole2 légèrement supérieur au taux d’accroissement naturel, l’Inde ne parvient pas à échapper à la disette, qui a lieu en 1957, puis en 1964 et en 1965. Le pays se voit obligé d’importer massivement du riz et du blé, puis de recourir à l’aide américaine.
3. L’inégal succès de la révolution verte
Révolution verte et préjugés
« Dans la révolution verte, les riches s’enrichissent, les pauvres s’appauvrissent » ont déclaré même de doctes experts.
En fait les riches s’enrichissent (évidemment) mais les pauvres tendent à devenir moins pauvres, constatation fort banale, dans l’Histoire, les pauvres d’une région en plein développement ont presque toujours été – et sont encore – moins pauvres que les pauvres d’une région stagnante ou en déclin.
Comparer un clochard de Paris et un miséreux de Calcutta, un travailleur agricole portugais dans l’Île-de-France et un intouchable sans terre au Bengale !
« La révolution verte accroît la dépendance du tiers monde envers les pays riches de par les importations d’engrais, de pesticides, de matériel agricole. »
En fait, en Asie et en Amérique latine, même si des importations ont encore lieu, les fabriques d’engrais chimiques, des pesticides, détracteurs, de pompes d’irrigation se multiplient, et pas forcément avec la participation des multinationales d’Occident et du Japon.
Gilbert Etienne (1996)
9L’alerte à la famine en Inde au milieu de la décennie 1960 est à l’origine d’une prise de conscience nationale et internationale en matière de politique agricole. Elle marque le départ de la fameuse révolution verte. Sous la pression de la Commission au plan qui avait toujours imposé sa loi en matière économique, le nouveau ministre de l’Agriculture, C. Subramanian, répond aux défis lancés par la révolution verte en s’appuyant sur les travaux des experts indiens et américains. Il décide de relever les prix aux producteurs afin de stimuler l’offre sur le marché tout en conservant des prix bas pour les consommateurs urbains grâce au contrôle du commerce des grains, évitant ainsi la spéculation.
10Afin d’inciter les paysans à produire davantage sans être victimes d’une concurrence farouche entraînant une chute des cours, C. Subramaniam met en place la « Food Corporation of India » en novembre 1964. Celle-ci achète les grains aux producteurs à un prix garanti. La maintenance de ces stocks de sécurité est bien sûr très coûteuse : 84 milliards de roupies de capital gelé, soit plus que le déficit budgétaire prévu pour 1995. Cependant, elle permet non seulement de répondre à un accroissement soudain de la demande, mais aussi de fournir aux plus défavorisés des denrées alimentaires de base à des prix subventionnés. De plus, le producteur est assuré, notamment au moment des chutes de cours dans les zones de surproduction, de pouvoir vendre ses produits à un prix garanti par le gouvernement.
11Dès le IVe Plan (1967-1971), le gouvernement, conseillé par les experts américains de la Fondation Ford3 décide toutefois de rentabiliser rapidement les nouvelles techniques de la révolution verte. Il privilégie alors les régions les plus prospères et les plus ouvertes au progrès qui représentent 10 % seulement de la surface cultivée totale. Cette stratégie agricole contribue dans un premier temps à exacerber les inégalités régionales. En effet, les réserves du gouvernement sont assurées grâce aux plaines du Penjab et aux deltas de l’Andhra Pradesh et du Tamil Nadu où ont été très largement adoptées les techniques de la révolution verte (plus de 80 % des terres y sont irriguées).
12Grâce à cette politique de développement, le spectre de la famine a disparu et les silos du gouvernement sont pleins, ce qui permet à l’Inde d’atteindre l’autosuffisance en matière alimentaire dès 1975. Le pays exporte même des céréales4. Cependant, malgré le phénomène de triplement de la production des grains alimentaires en moins de quarante ans, l’Inde est dans l’obligation d’accroître annuellement sa production agricole jusqu’à un taux supérieur à celui de sa croissance démographique, dans le but de limiter les fluctuations annuelles de disponibilité alimentaire. Certes, des stocks de plusieurs millions de tonnes (30 millions en 1995), maintenus dans le cadre du « Public Distribution System » (PDS), permettent d’assurer en principe la distribution des céréales à travers les « fair price shops ». Mais, eu égard à la déficience d’infrastructures de transports et à la mauvaise identification des bénéficiaires (des propriétaires aisés peuvent bénéficier de la carte de rationnement donnant droit au PDS), la très large majorité dans certains Etats, comme le Bihar et l’Uttar Pradesh, n’a pas profité du PDS (EIU, 1995).
13Si la famine est enrayée et si les pauvres voient leur situation légèrement s’améliorer, la révolution verte crée, dans les régions où elle se développe, une élite économique rurale qui, très vite, émerge comme un nouveau pouvoir politique et constitue potentiellement une population aisée capable de consommer des produits longtemps réservés à l’élite urbaine et que l’industrie nationale ne produit encore qu’en quantité et en qualité insuffisantes.
4. La politique de libération et le développement de la production agricole
14La politique de libéralisation dans laquelle l’Inde rurale se trouve engagée à partir du début des années 1990, après avoir concerné surtout les villes, ne remet pas en cause les orientations de la révolution verte. Elle consiste à favoriser les capacités d’investissements productifs en créant une concurrence entre producteurs, en rendant, par la sélection des bénéficiaires, les investissements plus rentables, et en autorisant une hausse des prix agricoles dont bénéficient essentiellement les plus gros producteurs. Il est vrai que la politique interventionniste s’était révélée à terme peu favorable aux paysans aisés ayant profité de la révolution verte.
15Paradoxalement, la baisse des fonds publics alloués à l’agriculture et l’irrigation – 13,6 % au huitième plan (1992-97) contre 16,7 % au sixième plan (1980-85) –, baisse amenée par la réforme, ne se traduit pas par un affaiblissement des programmes de lutte contre la pauvreté ni de ceux qui concernent le développement rural en général (9,5 % contre 7,2 %) (Etienne, 1995). En dépit des politiques d’ajustement structurel, les interventions de l’Etat restent encore significatives, en raison du poids électoral que constitue le monde rural, notamment à travers certains lobbies agricoles et autres organisations populaires.5
16Avant la libéralisation économique, l’Etat investissait directement dans les infrastructures d’irrigation en subventionnant les intrants nécessaires (eau, électricité). De cette manière, les surfaces irriguées ont plus que triplé depuis les années 1950, passant de 23 millions d’hectares en 1950 à 78 millions en 1990. L’Etat avait également mis en place une politique de prêts subventionnés afin de permettre à de nombreux agriculteurs d’acheter aisément des motopompes. Le potentiel d’irrigation en Inde serait, grâce à cette amélioration technique, de 150 millions à 178 millions d’hectares selon les sources6. Il est toutefois malaisé de connaître le véritable potentiel agricole de ces terres du fait des problèmes de salinité et de « waterlogging »7.
17Dans le cadre des politiques d’ajustement structurel, un recouvrement total des coûts de programmes d’irrigation est ensuite recherché par le biais d’associations de bénéficiaires (« Water User Associations »), participant à tous les stades du programme, de la construction au remboursement, et gérant elles-mêmes le fonctionnement et la maintenance des infrastructures. Cette participation aux programmes de développement rural entraîne des économies de fonds publics par le transfert de certains coûts d’investissement, de fonctionnement et de maintenance aux utilisateurs directs.
18La révolution verte avait été considérée à juste titre comme la révolution du blé, et dans une moindre mesure comme celle du riz. La production de blé est passée de 6,3 millions en 1950-51 à 56,8 millions de tonnes en 1993-94 alors que la production de riz est passée de 21,8 à 75,1 millions de tonnes pendant la même période. Les millets, aliments essentiels des populations de zones sèches, les légumineuses, apport protéique essentiel des végétariens, et les oléagineux, importants dans la cuisine indienne, sont délaissés. Or la libéralisation économique provoque une diversification agricole (Shah, 1997) au profit notamment des oléagineux, peu exigeants en soins culturaux et très rentables pour les producteurs, particulièrement dans les zones sèches. Si les Etats de la « Green Révolution Belt », Penjab, Haryana et Uttar Pradesh, restent le grenier à grains du pays, les régions du Centre, de l’Est et du Sud connaissent une augmentation significative de leur surface cultivable en soja, tournesol et arachide (Bhalla et Singh, 1997). Par ailleurs, des Etats longtemps considérés comme laissés-pour-compte (« Backward States »), tels le Madhya Pradesh ou le Rajasthan, connaissent depuis quelques années une réelle croissance agricole. Quant aux Etats oubliés par la révolution verte, certains tels que le Bihar ou l’Orissa apparaissent comme des futurs greniers du pays en dépit de l’immobilisme de propriétaires fonciers particulièrement conservateurs. Il est vrai que ces résultats sont en partie à mettre au compte des bonnes moussons des dernières années, dont l’importance dans ces dernières régions arides et semi-arides est évidemment non négligeable8.
19En revanche, l’introduction des variétés à haut rendement de la révolution verte a engendré l’apparition d’espèces végétales indésirables, ainsi que de nombreux parasites et insectes nocifs pour la productivité, contre lesquels sont utilisées de grandes quantités de pesticides. Nombreux sont les écologistes qui s’inquiètent des conséquences d’une utilisation excessive des pesticides, tant sur le plan écologique (turbidité des rivières, destruction de la faune aquatique) qu’humain (présence de résidus dans le corps humain, via la chaîne alimentaire, qui entraînent à long terme des cancers). Conscients de cette pollution des eaux et des sols, les paysans commencent à utiliser des engrais verts en intersaison, tels que l’azolla, ainsi que des pesticides naturels, tels que les feuilles de neem, limitant les dégâts écologiques à un coût économique faible et avec des rendements identiques.
20La mauvaise gestion de l’eau combinée à une fragilité des variétés à haut rendement et à une réduction des subventions depuis la libéralisation économique de 1991 expliquerait en partie le plafonnement des rendements. Face à cet essoufflement de la révolution verte et aux menaces sur l’environnement, les instigateurs de la révolution verte prônent depuis quelques années le principe d’une révolution toujours verte (Evergreen Révolution) ou doublement verte qui doit être durable, équitable et respectueuse de l’environnement9.
21Plus que la révolution verte, la libéralisation de l’économie favorise l’ascension de paysans aisés qui constituent très vite, par le biais de leur parentèle et des relations qu’ils possèdent et qu’ils continuent à tisser dans les villages et les villes, cette couche moyenne dont l’apparition est certainement le fait marquant des changements de la société rurale indienne à la fin du siècle.
5. Les changements sociaux dans les campagnes
22Si l’ensemble de la communauté scientifique reconnaît l’impact positif de la révolution verte en matière de croissance agricole, la polémique concernant la redistribution équitable des gains agricoles reste toujours aussi vive trois décennies plus tard. Les propagandistes de la révolution verte qui annonçaient que les nouvelles semences allaient régler tous les problèmes du tiers monde s’opposent à d’autres qui perçoivent les nouvelles technologies comme les moyens de la sauvegarde d’une domination des propriétaires terriens dans les villages. Ceux-ci, alliés avec les membres de la bureaucratie locale, constitueraient ainsi un groupe de notables ruraux capables d’établir leur contrôle sur les institutions agricoles, de bénéficier des subventions sur les intrants et d’obtenir aisément des crédits.
23Les conflits violents opposant les gros propriétaires et les intouchables à l’occasion de la révolution verte ont été abusivement perçus par certains auteurs10 comme les prémices d’une révolution rouge. Pourtant, ces conflits font partie de l’histoire de l’Inde et leur développement ne se déroule pas forcément dans les espaces où la révolution verte est la plus avancée. Ils touchent plutôt des Etats somnolents comme le Bihar et l’Orissa, ou même des Etats dans lesquels règne un parti communiste puissant.
24À partir des années 1980, avec le recul, l’impact économique et social de la révolution verte est envisagé de manière moins manichéenne et la société rurale indienne est présentée de façon moins caricaturale. Certes, au début de la révolution verte, vers les années 1968-1975, la modernisation agricole avait surtout profité aux paysans qui avaient les moyens de l’entreprendre. Cependant, la révolution verte est actuellement dans sa troisième décennie, et il apparaît clairement qu’elle est à l’origine d’un déplacement vers le haut de l’ensemble de la hiérarchie socio-économique villageoise, mouvement fortement accentué par les effets de la libéralisation économique. En effet, des exploitations qui étaient à peine viables économiquement sont parvenues à l’autosuffisance alimentaire, tandis que de petites exploitations tout juste autosuffisantes sont devenues excédentaires et rejoignent la catégorie des exploitations moyennes.
25Mais surtout, la révolution verte a favorisé l’émergence d’une couche d’entrepreneurs agricoles au détriment de propriétaires rentiers peu présents directement dans les villages. Les exploitants aisés, ne pouvant plus investir dans l’acquisition de terres à cause du plafond foncier imposé, modernisent au maximum leur exploitation. D’ailleurs, la taille de celle-ci n’apparaît plus comme la clé de l’ascension sociale. C’est désormais la détention d’un puits tubé et l’octroi de crédits ruraux qui ont permis à bon nombre d’exploitations à peine viables avant la révolution verte de devenir autosuffisantes ou excédentaires (Marius-Gnanou, 1993) et de voir leur revenu quadrupler entre 1973 et 1994 (Harriss-White, 1997). Cultivant eux-mêmes leur terre en optimisant les nouvelles techniques de la révolution verte, ces paysans de castes traditionnellement « non dominantes » (Jats, Kurmi, Yadav, Gounder, Vokkaliga…) constituent un groupe puissant dans les campagnes, qui s’étend encore au cours de la dernière décennie avec l’irruption de la croissance de la production dans des Etats restés jusque-là à l’écart du mouvement. Unis au sein de partis paysans, ils deviennent une véritable force politique à partir des années 1980. Leur exemple est d’ailleurs suivi par les membres des castes les plus basses, ainsi que par les intouchables ; cette population constitue souvent la catégorie la plus pauvre dans les villages. Elle s’organise afin de tenter d’imposer un certain partage des profits réalisés, renforcée dans son action par l’existence d’emplois réservés au sein des administrations locales, et de postes de représentants aux diverses élections.
6. L’émergence des couches moyennes rurales
26Le phénomène le plus important concernant les conséquences de la révolution verte est certainement l’émergence d’un ensemble de couches moyennes au sein de la société rurale. Le nombre de ménages ruraux aux revenus moyens et élevés a quasiment doublé entre 1986 et 1990. Dans les bastions de la révolution verte du sud de l’Inde, les revenus moyens réels des plus riches agriculteurs ont même été multipliés par six entre 1973 et 1994 (Harriss-White, 1997). Cependant, à la différence de la situation existante dans les agglomérations urbaines, cette hausse du revenu sans précédent ne se traduit pas dans les villages par un étalage de luxe. Comme il est de tradition dans l’Inde rurale, les fortunes se thésaurisent avant tout dans les bijoux en or (pour les dots) et s’affichent lors des fêtes familiales (mariages, premières menstruations…).
27Certes, de nombreux éléments de la vie rurale ne sont pas modifiés par la montée des couches moyennes. Les relations d’alliance, les modes d’habitation et le rapport au sacré se perpétuent. Quel que soit leur statut économique, les familles continuent à organiser le mariage de leurs enfants en respectant les principes du système des castes. Les couples sont toujours formés grâce aux décisions parentales et au sein des groupes endogames définissant les castes. La patrilocalité est toujours la règle dans la quasi-totalité des cas. La famille élargie reste le modèle dominant, qui voit plusieurs générations et plusieurs frères vivre sous le même toit. Les rituels de l’hindouisme rythment la vie quotidienne comme les fêtes religieuses, les mois et les années. Religion d’une écrasante majorité de ruraux dans la plupart des régions indiennes, l’hindouisme définit toujours les principes de l’existence et remplit de son immense panthéon l’imaginaire des populations.
28Le rapport au pouvoir reste inchangé. Les membres des plus riches familles paysannes détiennent toujours les responsabilités des partis politiques et continuent à se partager les mandats électoraux, sur un mode relationnel clientéliste qui doit beaucoup au pouvoir existant dans les villages avant et pendant la période coloniale. Ce sont ces petits notables qui bénéficient en effet le plus du développement des campagnes et qui dominent aujourd’hui les flux économiques sur lesquels se fonde l’émergence des couches moyennes dans la société rurale.
29Les changements apparaissent toutefois importants. S’il conditionne toujours le choix des conjoints, le système des castes engendre moins qu’avant un ordre de domination et organise les relations sociales sur un mode plus souple que par le passé. En particulier, les règles de commensalité entre les castes se font plus flexibles, dans un contexte où les interdits alimentaires deviennent par ailleurs moins stricts pour les individus, semblant souvent respectés plus par souci d’identité que par conviction. Même si le sentiment religieux reste fort, la fréquentation des temples diminue. Les rythmes de vie eux-mêmes changent avec l’introduction de la télévision, que toutes les familles ne possèdent pas encore mais que tous ou presque s’arrangent pour regarder. Plus question, particulièrement pour les jeunes, de se lever à 5 heures pour les ablutions matinales alors que l’on a attendu la fin des émissions pour se coucher la veille. Plus important encore, avec l’amélioration du statut économique, s’accroît l’exigence d’éducation et de santé des familles. Dans les villages, des écoles privées viennent doubler des établissements publics toujours présents mais souvent défaillants. Dans les petites villes, des écoles secondaires, des collèges techniques préparant à des diplômes de premier niveau universitaire sont créés, souvent à l’initiative des groupes sociaux dominant l’économie des localités. Ces établissements suffisent à peine à la demande et le système clientéliste rural fonctionne souvent en parallèle avec les modalités de sélection en vigueur. Des docteurs pratiquant la médecine occidentale s’installent jusque dans les villages, où se multiplient les dispensaires et petits hôpitaux privés. Ces services de santé drainent une importante clientèle qui vient souvent doubler par des pratiques et des médicaments modernes une médecine traditionnelle qui est suivie en parallèle. Enfin, l’isolement des villages se réduit, non seulement par le désenclavement grâce à une multiplication des moyens de transport les plus divers, privés ou publics, mais aussi par l’installation de téléphones et l’omniprésence, jusque dans des endroits reculés, de la radio et de la télévision, sans oublier la presse écrite qui garde son importance et semble s’accroître dans les villages.
7. Les nouveaux consommateurs ruraux
30L’apparition de ces couches moyennes dans les territoires ruraux se traduit par l’émergence des campagnes comme un immense marché pour les produits industrialisés. Désormais, le temps est révolu où économistes et entrepreneurs pensaient l’immense population indienne incapable de consommer des biens industrialisés du fait de la faiblesse de ses revenus. Dès le début des années 1980, les urbains faisaient l’objet d’une grande attention de la part des entreprises qui commençaient à proposer des biens de consommation modernes adaptés aux membres des couches moyennes apparues avec les débuts d’une croissance économique jamais démentie depuis lors. La politique de libéralisation économique et la décision d’ouvrir le pays aux biens et investissements extérieurs qui ont accompagné la croissance permettaient même aux grandes firmes multinationales qui avaient jusqu’alors boudé l’Inde d’entreprendre un positionnement sur ce marché asiatique prometteur. La participation en grand nombre des ruraux à l’embellie de la consommation magnifie les perspectives et oblige les entreprises, nationales ou étrangères, à modifier leurs stratégies.
31L’Inde se révèle un immense et complexe marché. Le revenu des familles n’est pas déterminant pour définir les niveaux de consommation et les caractères des consommateurs. En effet, un revenu identique dans différentes parties du pays ne représente pas un niveau identique sur le plan du pouvoir d’achat, cela très largement car les pratiques de consommation ne sont pas semblables de part et d’autre du vaste territoire indien, de même que les prix qui varient largement. Les différences entre villes et villages sont aussi très grandes. Dans les villes, et tout particulièrement les plus grandes, les coûts des transports et du logement sont très importants dans les budgets des familles, ainsi que les coûts liés à la nécessité d’entretenir un statut. Dans les campagnes au contraire, ces coûts peuvent être négligeables : une bicyclette suffit souvent aux déplacements ; la maison familiale abrite grands-parents, parents, fils mariés et enfants ; le mobilier est réduit à sa plus simple expression ; les vêtements traditionnels satisfont hommes et femmes et sont souvent acquis lors des échanges rituels.
32Malgré ces différences, les populations villageoises n’en sont pas moins entrées dans le monde de la consommation. Si les besoins des ruraux ne sont pas identiques à ceux des urbains, leurs goûts pour les produits manufacturés sont bien proches, tout particulièrement pour les produits apportant un confort nouveau ou permettant une ouverture nouvelle sur le monde. Les appareils électroménagers, en premier lieu le réfrigérateur, se multiplient dans les foyers. Les appareils électroniques, radio-cassettes et désormais massivement téléviseurs et magnétophones, deviennent un bien commun. Bicyclettes, mais aussi mobylettes ou motocyclettes, se multiplient dans les villages, où apparaissent aussi quelques tracteurs et automobiles. Ainsi, 50 à 70 % des biens de consommation de cette sorte sont détenus par des ménages ruraux. Ces acquisitions répondent aux besoins des consommateurs, qui se soucient davantage de l’utilité de leurs biens que de l’image qu’ils offrent. D’ailleurs, les ruraux choisissent les produits avec attention et s’attachent à la qualité. Ainsi, à produits égaux, les marques les plus chères sont les plus vendues dans les campagnes, à l’exception de celles vraiment luxueuses qui ne trouvent de marché qu’en ville. Ces comportements réfléchis des consommateurs ruraux amènent la publicité à jouer un grand rôle dans les décisions d’achat car elle crédibilise les marques sur le plan de la qualité. Si les marchés pour certains produits comme le dentifrice se trouvent déjà saturés, les perspectives de croissance des ventes pour d’autres semblent immenses. Dans certains cas, la limitation des ventes réside davantage dans la mauvaise distribution de l’électricité nécessaire au bon fonctionnement des produits que dans l’étroitesse des moyens d’achat. La difficulté d’accès aux crédits à la consommation apparaît également comme un handicap dans les campagnes, alors que les organismes bancaires urbains offrent désormais tous les produits financiers nécessaires au bon fonctionnement des marchés. Le problème de la disponibilité financière des consommateurs est en effet aussi âpre à la campagne qu’en ville. Et c’est certainement une raison au moins aussi importante que la faiblesse absolue des revenus qui vient expliquer le pragmatisme des consommateurs villageois, leur faisant privilégier les produits utiles à leur vie quotidienne ainsi que les produits recyclés dont la place est grande dans les commerces ruraux.
33L’augmentation de la consommation révèle bien l’évolution de la société indienne en cette fin de siècle, où, après plus de dix ans d’une croissance économique forte, l’importance des catégories aisées s’accroît tandis que la proportion des pauvres se réduit et où l’étude des modes de consommation devient plus pertinente pour saisir les différenciations au sein de la population que l’analyse des seuls revenus des familles. Une étude récente, réalisée selon ces principes, propose une division des 166 millions de foyers indiens en cinq catégories en fonction de leur possession de biens durables et de leur consommation de biens périssables. Au sommet de la hiérarchie sociale ainsi dessinée, 1 million de familles bénéficie de très hauts revenus et possède donc un niveau de consommation très élevé, bien supérieur à celui du consommateur moyen occidental. Viennent ensuite 30 millions de foyers qui constituent les couches moyennes consommatrices de produits manufacturés. Mais à la suite de ce groupe, se trouvent 50 millions de familles en pleine ascension sociale, commençant à posséder les moyens de consommer, puis 50 autres qui n’ont pas encore de grands moyens mais aspirent à accroître leur possibilité d’achat et à calquer leurs comportements sur les modèles offerts par les familles consommatrices. Enfin, à la fin de cette classification, sont placés les 35 millions de familles trop pauvres pour avoir la moindre capacité à consommer des produits manufacturés. L’étude démontre qu’au total ce sont plus de 90 millions de foyers qui sont susceptibles de participer au phénomène d’accroissement de la consommation de biens manufacturés qui bouleverse la société indienne, certains par l’acquisition de produits chers comme les motocyclettes ou de produits de luxe comme le rouge à lèvres, d’autres par seulement l’achat de produits de consommation courante comme le thé ou l’huile de cuisine. Il est alors intéressant de noter que si la tendance est à l’accroissement de la catégorie des familles aisées consommatrices et à la réduction de la catégorie des familles les plus pauvres, en milieu rural cette tendance est plus nettement marquée qu’en ville, illustrant les potentialités de développement des marchés dans les campagnes.
8. La subsistance d’une pauvreté rurale
34Ces perspectives optimistes émises sur l’avenir de la société rurale indienne ne doivent pas laisser dans l’oubli les masses pauvres qui subsistent dans les villages. Parmi les 35 millions de familles dans l’incapacité de participer au phénomène d’accroissement de la consommation de biens manufacturés, soit environ 210 millions de personnes, plus d’un cinquième de la population totale du pays, la plupart sont des ruraux. La pauvreté souvent décrite des bidonvilles des plus grandes métropoles s’accompagne en Inde d’une grande misère rurale. Les villages sont des lieux où peut être rencontré le dénuement le plus total. Bien sûr, à nouveau, il est nécessaire de prendre en compte l’immensité du territoire indien. Certaines régions rurales sont plus touchées par la pauvreté que d’autres, comme par exemple les régions montagneuses de l’Himalaya, la partie de la plaine indo-gangétique située dans l’Etat du Bihar ou encore les territoires ruraux au cœur de l’Etat de l’Orissa.
35La pauvreté est fortement liée au rapport à la terre. Aujourd’hui, 60 millions de familles rurales n’ont toujours pas de terres et 25 millions possèdent moins de 2 hectares, soit la surface indispensable pour nourrir une famille de six personnes. L’introduction des variétés à haut rendement et à cycle court de riz et de blé a certes créé des opportunités d’emploi (davantage pour les femmes que pour les hommes) grâce à un doublement des rendements et à la multiplication des opérations culturales11, mais elle n’a pas permis aux paysans sans terre de dépasser le seuil de pauvreté et aux femmes d’éviter une exploitation outrageuse.
36En outre, si le pari de la production a été gagné en grande partie grâce à la révolution verte12, celui d’un accès aux denrées alimentaires de base est encore loin d’être gagné. Cependant, les échéances électorales récurrentes dans les années 1990 amènent systématiquement des augmentations non négligeables de subventions pour les intrants agricoles et pour les denrées de première nécessité des programmes de lutte contre la pauvreté, au profit de cette masse de ruraux qui constitue un potentiel électoral énorme. Il est donc à craindre que ces programmes en faveur des « pauvres » soient des feux de paille. Garantir aux plus défavorisés un droit minimal à l’alimentation reste un défi à relever à l’aube de l’an 2000.
37En effet, ces familles pauvres ne se trouvent pas seulement dans l’impossibilité de consommer des produits manufacturés, même de première nécessité, une grande partie d’entre elles n’a même pas les moyens de subvenir aux besoins premiers de l’existence, l’accès à la nourriture et les soins. Alors que partout désormais en Inde la capacité à nourrir les populations est atteinte, soit par la production de l’agriculture régionale, soit par l’importation de produits alimentaires en provenance d’autres régions indiennes, de nombreuses familles ne possèdent pas les moyens financiers de se nourrir. Il en est de même de l’accès aux soins, qui est possible partout, mais que l’extrême faiblesse du pouvoir d’achat des plus pauvres rend impossible, en dépit de la gratuité théorique des hôpitaux et dispensaires d’Etat.
9. La présence urbaine dans le monde rural
38Pour conclure, il est indispensable de noter que ces changements sociaux s’effectuent alors que se modifient considérablement les relations entre villes et campagnes. En effet, qu’ils aient acquis l’aisance ou qu’ils restent pauvres, à l’aube du xxie siècle, les membres des populations rurales de l’Inde ne vivent plus dans les seules limites de leurs villages.
39En Inde, l’explosion démographique et urbaine qui caractérise le xxe siècle ne s’est pas traduite par une rupture entre population rurale et population urbaine. Les relations villes-campagnes sont fortes et les régions agricoles les plus productives sont aussi celles où les villes petites et moyennes forment des réseaux denses au sein de systèmes urbains hiérarchisés. L’exode rural grossit les agglomérations urbaines. L’Inde possède d’énormes métropoles construites largement par des migrants d’origine rurale. Cependant, les migrants conservent des liens dans leur village, où réside toujours leur famille et qui reste valorisé comme le lieu des origines. Ils entretiennent ainsi des échanges entre villes et campagnes, tant sur le plan économique que social ou politique. Ce ne sont pas en effet uniquement des hommes qui circulent, et dans les deux sens, mais des capitaux, des produits, tout particulièrement des produits agricoles, et certainement aussi des idées. Le phénomène est d’autant plus fort que ce ne sont pas seulement les pauvres qui migrent. Les ruraux aisés participent pleinement à l’exode rural et ce mouvement contribue à renforcer l’existence des couches moyennes dans les villages.
40Les ruraux aisés s’installent dans les villes dans l’intention d’y investir et d’y faire fructifier des profits acquis dans les villages. Grâce aux réseaux qu’ils possèdent, et parfois contrôlent, dans les campagnes, ils se révèlent de dangereux concurrents face aux bourgeoisies des villes, tout particulièrement des villes petites et moyennes, dont la position dominante se trouve menacée. Ils profitent en effet des possibilités offertes par la forte croissance des dernières quinze années, qui amènent la multiplication d’activités nouvelles, dans la production, le commerce ou les services, afin de répondre aux besoins des nouvelles couches urbaines aisées, mais aussi à ceux, en tous points similaires, des couches moyennes rurales qui viennent acheter en ville les biens correspondant à leur nouveau statut. La réussite de ces nouveaux urbains renforce encore la position de ceux de leur famille restés dans les villages. Les migrants, en effet, maintiennent le contact avec leur lieu d’origine, reviennent souvent, et parfois tous les soirs si la migration concerne la ville proche, et continuent à élaborer leurs stratégies, économiques ou sociales, à l’échelle de l’ensemble de la famille, quels que soient les lieux où chacun de ses membres exerce ses activités et passe la part essentielle de son existence.
41L’émergence de ces couches moyennes dans les campagnes participe ainsi à l’avènement d’une situation nouvelle en Inde, qui voit se mettre en place progressivement des réseaux économiques, intégrant populations des villages, des villes petites et grandes en divers lieux du pays, et des villes étrangères dans une dynamique identique, celle d’une économie-monde en cours d’élaboration.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Bibliographie
BESSIS, S., 1994, « Une révolution verte en demi-teinte », Croissance, N° 375, octobre.
BHALLA, G.S., SINGH, G., 1977, « Recent developments in Indian Agriculture, a state level analysis »
—, 1996, Economic and Political Weekly, March 29, pp. A-2 A-18.
—, 1996, Business Today, Feb 22-March 6.
10.3406/aru.1991.1633 :CADENE, Ph., 1992, « La mise au propre des villes indiennes ; de la dégradation à la différenciation », Annales de la Recherche Urbaine, N° 53.
—, 1993, « Réseaux économiques et territoires de l’identité : les migrations de travail et les relations de mariage d’une communauté marchande dans une petite ville indienne », Cahiers de l’ORSTOM, Vol. 29, N° 2-3.
—, 1995, « Le rôle des castes marchandes dans l’économie indienne aujourd’hui, le cas des Jains dans une petite ville du Rajasthan » in : P. Clément et al. (eds.), Les Cahiers de la Recherche Architecturale, N° 35 et 36, Cité d’Asie.
CADENE, Ph., et F. DURAND-DASTES, 1997 « La société de castes est-elle une société d’exclusion ? », In : A. Bailly (ed.), Un Monde d’exclusion, Economica.
CADENE, Ph., et B. MADEUF, « L’Inde. Libéralisation et enjeux sociaux », Revue Tiers-Monde, N° 119, juillet-septembre.
CADENE, Ph., D. VIDAL, (eds), 1997, Webs of Trade. Dynamics of Business Communities in Western India, New Delhi, Manohar.
DURAND-DASTES, F., 1995, « Asie du Sud », in : R. Brunet, Géographie Universelle, Paris, Belin.
DURAND-DASTES, F., G. MUTIN, (ed.), 1995, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Monde indien, Géographie Universelle, Belin-Reclus.
EIU, 1995, India Economic Profile.
ETIENNE, G., 1988, Food and poverty : India’s half won battle, New Delhi, London, Sage.
—, 1995, Rural change in South Asia. India, Pakistan, Bangladesh, New-Delhi, Vikas.
—, 1994, « L’Asie du Sud à l’heure des réformes économiques », Revue d’Économie du Développement, 4/1994, pp. 96-113.
—, 1996, « En Asie, l’agriculture n’a pas dit son dernier mot », Les Cahiers Français, N° 278, octobre-décembre.
10.1007/978-1-349-86027-2 :FRANK, G., 1973, « Reflections on green, red and white revolutions in India », Economic and Political Weekly, p. 119-124.
GOUGH, K., 1987, « Socio-economic change in Southeast India », Journal of Contemporary Asia, 17(3), pp. 276-292.
GRIFFON, M., 1996, « Optimisme ou nouvelles inquiétudes ? Vers une nouvelle révolution verte », Les Cahiers Français, N° 278, pp. 29-40.
HANUMANTA RAO, CH., A. GULATI, 1994, « Indian agriculture : Emerging perspectives and policy issues », Economie and Political Weekly, 31st December, pp. A159-A169.
HARRISS-WHITE, B., S. JANAKARAJAN, 1997, « From Green Revolution to Rural Industrial Revolution in South India », Economic and Political Weekly, 21st June, pp. 1469-1477.
HAZELL, P.R., C. RAMASAMY, 1993, The Green Revolution revisited, Oxford University Press.
JAFFRELOT, C. (ed.), 1996, L’Inde contemporaine de 1950 à nos jours, Paris, Fayard.
KHUS, G.S., « Modern varieties : Their real contribution to food supply », Geojournal, 35-3, pp. 275-284.
KRIHSNAMURTY, S., 1988, « Wage differentials in Agriculture by caste, sex and opérations » Economic and Political Weekly 23 (50), December, pp. 2561-2567.
KRANKEL, F.R., 1971, India’s green revolution : economic gains and political costs, Princeton University Press.
LAL, S.K., U.R. NAHAR (ed.), 1992, Rural social transformation, New Delhi, Rawat Publications.
LANDY, F., 1996 « Le pari non gagné des campagnes de l’Inde », in : J. Bonnamour, Agricultures et campagnes dans le monde, Sedes, pp. 193-218.
LERCHEJ., « Is bonded labour a bound category ? », Reconceptualising agrarian conflic in India, The journal of peasants studies, Vol. 22, N° 3, pp. 484-515.
MARIUS-GNANOU, K., 1993, « Socio-economic impact of the Green Revolution on Tamil rural society : The example of Pondichéry area », Pondy Papers in Social Sciences, Paris, (Publication de l’Institut Français de Pondichéry), N° 11, avril.
—, 1994 « Modernisation agricole et évolution du système des castes dans un village du Sud de l’Inde », Cahiers de la Recherche-Développement, 1994-4. ——, 1997 L’Inde, Coll Méridiens, Paris, Karthala.
MITRA, A.K., 1996, « Irrigation sector reforms », Economic and Political Weekly, 30th March, pp. A31-A38.
POUCHEPADASS, J., 1975a, L’Inde au xxe siècle, Paris, PUF.
—, 1975b, The Economist Intelligence Unit, India (1994-95-96), Country Profile. Londres, (rapports annuels et trimestriels sur l’économie et les finances des pays concernés).
—, 1975c, The Hindu, quotidien national indien.
—, 1996 L’Inde contemporaine, Fayard.
RACINE, J.L., Les attaches de l’homme. Enracinement paysan et logiques migratoires en Inde du Sud, Paris, Maison des Sciences de l’homme, Institut Français de Pondichéry.
RUDOLPH, S.H., et L.I. RUDOLPH, 1987, In pursuit of Lakshmi, New Delhi, Orient-Longman.
SWAMINATHAN, M.S., 1996, Sustainable agriculture : Towards an evergreen revolution, Konark Publishers PVT LTD.
SHAH, A., 1997, « Food security and access to natural ressources, a review of recent trends », Economic and Political Weekly, 28th June, pp. A46-A53.
SHARMA, K.L. et D. GUPTA (eds), 1991, Country-toum nexus in India, Jaupur, Rawat Publications.
THORNDAHL, M., 1995, Développement rural et libéralisation économique en Inde, Itinéraires N° 45, IUED, Genève.
VIRAMMA, J., J.L. RACINE, 1994, Une vie paria. Le rire des asservis. Pays tamoul, Inde du Sud Paris, Plon, coll. « Terre humaine ».
ZINS, M.J., 1992, Histoire politique de l’Inde indépendante, Paris, PUF.
Notes de bas de page
1 Le système « zamindari » couvrait plus de 50 % de la superficie arable au moment de l’Indépendance. Le « zamindar » était l’intermédiaire qui collectait, pour le compte de l’empereur (depuis les Moghols), les revenus fonciers prélevés sur les communautés villageoises. Ces intermédiaires extrayaient au passage des ressources importantes sous forme de rente foncière, et par la pratique du prêt usuraire. Ces rentiers absentéistes longtemps soutenus par le pouvoir colonial ne voyaient pas l’intérêt d’investir dans la modernisation agricole.
2 Le taux de croissance de la production agricole (3,2 % de 1950-51 à 1904-65) est un peu plus élevé que celui de la population (2,4 % entre les deux recensements de 1951 et de 1961). (Zins 1992 :116).
3 Les Fondations Ford et Rockefeller ont créé en 1959 l’International Rice Research Institute à Manille, inventeur des premières VHR.
4 Comptant moins de 60 millions de tonnes dans les années 1950, la production céréalière s’établit autour de 180 millions de tonnes en 1993 pour une population qui a presque triplé dans le même temps (360 à 900 millions d’habitants.). Deuxième producteur mondial de riz derrière la Chine, l’Inde souhaite se positionner de plus en plus à l’exportation. Avec 2 millions de tonnes exportées en 1995, soit deux fois plus que l’année précédente, la céréale made in India se retrouve dans l’assiette de nombreux Asiatiques. Après les pays du Moyen-Orient, c’est l’Asie de l’Est que visent les exportateurs indiens, en particulier la Corée du Sud et la Malaisie. (Courrier International, n° 274, l-7 février 1996 : 25).
5 Cela conduit inéluctablement à une surexploitation de la nappe. Certes, d’après des analyses de régression réalisées par K. Marius-Gnanou dans la région de Pondichéry, en année de bonne mousson on constate une bonne corrélation entre la pluviométrie mensuelle (écarts cumulatifs à la moyenne) et la recharge de la nappe (données mensuelles de la nappe).
6 The hindu, Feb. 6, 1995, et India Today, March 15, 1995, p. 121.
7 13 millions d’ha (Harvana, Andhra Pradesh, Madhya Pradesh) sont affectés par les problèmes de salinité et de waterlogging engendrés par une utilisation excessive d’une eau trop subventionnée. Au-delà d’un effort de l’Etat en matière de maintenance des systèmes d’irrigation, le gaspillage de l’eau pourrait être évité si celle-ci était enfin payée au « juste prix ». En effet, une eau payée au juste prix devrait au moins permettre de couvrir les coûts de fonctionnement et de maintenance des programmes d’irrigation, ce qui en outre permettrait de limiter les gaspillages liés aux utilisations improductives.
8 Ces régions qui n’ont bénéficié d’aucun encadrement rural (ni intrants, ni crédits…) pourraient devenir les futurs greniers de l’Inde à condition que les structures agraires semi-féodales et les abus qui en découlent disparaissent. D’ailleurs le West Bengal qui a connu ces dernières années une augmentation réelle de ses surfaces irriguées (notamment par les puits tubés) grâce à des investissements privés et publics, voit enfin sa production agricole augmenter (Bhalla et Sing, 1997). Certes, à l’inverse du Bihar et de l’Orissa, le West Bengal traditionnellement communiste a été l’un des rares Etats à engager de véritables réformes agraires.
9 En effet, des agronomes de l’IRRI remodèlent le riz en lui conférant des tiges épaisses et nombreuses comportant un nombre de grains élevé et des feuilles larges pour capter un maximum d’énergie. Des pays comme la Chine expérimentent depuis les années 1980 des variétés hybrides avec succès avec des rendements de 15t/ha. (Griffon, 1996)
10 Frankel, 1971. Gough, 1987.
11 Le repiquage, le désherbage réservés exlusivement aux femmes sont toujours des activités manuelles en Inde, à l’inverse du labour ou du battage de plus en plus mécanisés.
12 D’après le Food Policy Research Institute, l’Inde aura atteint durablement sa sécurité alimentaire autour de l’an 2000. (India Today, 15 mars 1995 : 120).

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Cinq types de paix
Une histoire des plans de pacification perpétuelle (XVIIe-XXe siècles)
Bruno Arcidiacono
2011
Les droits fondamentaux au travail
Origines, statut et impact en droit international
Claire La Hovary
2009