1L’impulsion qui a abouti à la réalisation de cet ouvrage est due au triste évènement évoqué dans la préface de Philippe Burrin. Le projet a rapidement acquis une dynamique qui reflète le regard englobant sur la construction de l’Europe que l’on porte depuis une ville comme Genève, au cœur de l’Europe mais à l’extérieur de l’Union européenne.

2C’est sous le titre « L’Union européenne : passé, présent, avenir » qu’un certain nombre de collaborateurs à cet ouvrage collectif ont débattu, dans un premier temps lors d’un colloque en février 2008, des thèmes regroupés ici. Leurs contributions, ainsi que celles qui les accompagnent dans cet ouvrage, ont immédiatement dépassé le cadre de l’Union européenne proprement dite pour aborder les conceptions très variées et les dimensions diverses de l’Europe. Au-delà de la répartition des thèmes que l’on retrouve dans cet ouvrage, une autre organisation du sujet s’est dégagée, celle qui distingue les hommes qui ont œuvré en faveur de l’Europe – que ce soit les philosophes, les marchands, les diplomates ou les hommes d’Etat – des institutions qui ont continué leur œuvre. En fait, une dialectique se noue dans cet ouvrage entre les acteurs qui agissent et les structures qui encadrent, comme pour confirmer la phrase tant citée de Jean Monnet, rien n’est possible sans les hommes, mais rien ne dure sans les institutions.

3L’ouvrage débute par un essai biobibliographique sur Pierre du Bois rédigé par Basil Germond et François Jequier, respectivement, le dernier doctorant de Pierre du Bois, actuellement chercheur à l’Université Oxford, et un proche ami d’enfance, devenu professeur à l’Université de Lausanne. Ils tracent le parcours d’un intellectuel de notre époque au travers des étapes marquantes de sa carrière : les années à Lausanne consacrées aux recherches sur Drieu La Rochelle, les années passées à l’Institut européen de Genève et, enfin, les années d’enseignement à l’Institut de hautes études internationales où cet ouvrage a été conçu et réalisé. Enseignant, chercheur, journaliste, Pierre du Bois aborda l’histoire et les relations internationales sous de multiples angles et de manière souvent pluridisciplinaire, toujours passionnément. Il démontrait ainsi que l’histoire de l’intégration européenne, son principal domaine d’enseignement et le thème de ces Mélanges, est indissociable des autres sujets qui lui tenaient à cœur, tels que l’histoire des Suisses où ses publications lui ont conféré la plus grande notoriété.

4La première partie de l’ouvrage, « Aux origines de l’Union européenne », évoque la construction européenne dans une perspective axée sur le temps long.

5Ainsi, Alfonso Mattera, universitaire italien et haut fonctionnaire européen, remonte à l’époque de la Grèce antique puis chemine par la Rome impériale, le Moyen-Age, la Renaissance, l’époque des Lumières, celle du romantisme, puis du totalitarisme, pour déceler, au travers de près de vingt-cinq siècles d’histoire, ce que sont « les valeurs de notre européanité », à la base du projet de Jean Monnet.

6Jean-François Bergier, éminent historien suisse et professeur émérite à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, illustre ensuite le lien entre intégration européenne et globalisation en discutant de « l’Europe des marchands au temps de la Renaissance », qu’il considère comme une préfiguration de l’Union européenne. La volonté, l’esprit d’initiative et la communauté d’intérêts commerciaux et financiers des marchands auraient ainsi donné un premier sens à l’idée d’Europe.

7Bruno Arcidiacono, professeur à l’Institut, spécialiste à la fois de la Guerre froide en Europe et des idées européennes, s’interroge quant à lui sur le rôle de précurseur joué par le comte de Saint-Simon. En effet, ce dernier est souvent considéré comme un prophète du processus de construction de l’Europe politique. Cependant, l’auteur nous démontre que si la vision saint-simonienne de l’union continentale est vraiment novatrice, ce n’est pas par son fédéralisme, car l’intégration politique de l’Europe était un thème très ancien, mais par ses aspects transnationaux : pour la première fois l’Union ne fut pas seulement conçue comme une République des Etats d’Europe, mais aussi comme une République des Européens.

8Mettant en relief une figure européenne du tournant du siècle dernier, Lubor Jilek, documentaliste aux archives européennes du Château de Coppet, discute de l’idée d’Europe chez l’ancien député autrichien et futur président tchécoslovaque, T. G. Masaryk, qui développe l’idée de disloquer l’une des plus anciennes monarchies d’Europe, en donnant l’indépendance nationale aux Pays tchèques et à la Slovaquie, de manière à fonder une Europe centrale démocratique, qui servirait aussi de glacis antigermanique.

9La deuxième partie de l’ouvrage, « L’Union européenne et ses constructeurs », nous offre les portraits d’un penseur, d’un homme politique de premier plan et d’un haut fonctionnaire face à la construction européenne.

10André Reszler, ancien professeur à l’Institut européen ainsi qu’à l’Université de Genève, décortique d’abord l’action et la pensée européenne d’un critique suisse de l’Union européenne en émergence, Denis de Rougemont, notamment son désir de dépasser l’Etat-nation, de construire une Europe fédéraliste, et de mettre en avant la vision d’une Europe des régions. L’auteur, qui a bien connu Rougemont, lui ayant succédé à l’Institut européen, nous rappelle que cette vision exprime également les doutes de Denis de Rougemont face à l’Europe de Bruxelles, perçue comme le royaume de la technocratie, de la bureaucratie, enfin, comme l’empire des eurocrates.

11Benedikt Schoenborn, ancien doctorant de Pierre du Bois, actuellement chercheur à l’Université de Tampere, s’interroge quant à lui sur la pensée profonde du Général de Gaulle, adversaire ou partisan de la construction européenne ? En fait, l’auteur montre que si le Général a souvent été perçu comme l’obstacle principal à la construction, rétrospectivement, sa politique ne paraît pas aussi nuisible que certains de ses contemporains ne le craignaient. Sa vision du moteur Paris-Bonn et ses actions en faveur de la réconciliation franco-allemande se sont ensuite révélées précieuses pour la construction européenne, et sa proposition secrète d’une union monétaire des Six jette aussi un doute sur son rejet catégorique de la supranationalité.

12Enfin, Georges-Henri Soutou, professeur à l’Université Paris IV et parmi les plus grands spécialistes français de l’histoire des relations internationales, nous offre un regard inédit et privilégié sur l’action de son père, Jean-Marie Soutou, « un diplomate atypique face à la construction européenne ». L’ambassadeur Soutou, s’il rejetait le nationalisme et n’adhérait pas à la philosophie de la politique extérieure gaulliste, n’était pas non plus un fédéraliste. Pour lui, la construction européenne devait d’abord permettre d’ancrer la réconciliation franco-allemande, d’encadrer, le moment venu, la très souhaitable et justifiée réunification allemande, en attendant de mettre l’Europe occidentale en mesure de résister face à l’URSS tout en lui ménageant une nécessaire autonomie par rapport à Washington. La diplomatie nationale traditionnelle et la construction de l’Europe s’avèrent compatibles.

13C’est dans sa troisième partie que l’ouvrage aborde les aspects institutionnels de la construction européenne.

14Tout d’abord, Marie-Thérèse Bitsch, professeur émérite à l’Université de Strasbourg, observatrice infatigable de l’aventure européenne, retrace l’évolution institutionnelle de l’Union. Elle démontre que depuis cinquante ans, l’évolution institutionnelle vers plus de fédéralisme dans la Communauté, puis dans l’Union européenne, est un processus complexe, ayant avancé par à-coups, en fonction des circonstances, des visions des dirigeants européens, des cultures politiques nationales et de la perception des intérêts des différents Etats membres. Ainsi, aujourd’hui encore la fédéralisation de l’Europe, si tel devait être son but, reste inachevée.

15Gilles Grin, ancien doctorant de Pierre du Bois, actuellement vice-directeur de la Fondation Jean Monnet à Lausanne, aborde ensuite les enjeux actuels et futurs auxquels l’Union européenne se voit confrontée sur le plan monétaire. L’auteur montre que si le succès de l’euro apparaît indéniable, le pacte de stabilité et de croissance demeure pourtant un grand élément de controverse. De plus, l’euro manque d’une véritable représentation commune à l’extérieur et peine à renforcer le sentiment d’identité européenne, tout en restant la cible de nombreuses critiques de la part de l’opinion publique et des Etats.

16Victor-Yves Ghebali, professeur honoraire à l’Institut, spécialiste de l’organisation internationale, analyse quant à lui l’interaction, qu’il qualifie de partenariat naturel, entre l’Union Européenne et l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Autrefois, ces relations bénéficièrent essentiellement à la Communauté européenne, qui prit avantage de ce qui était à l’époque la CSCE pour affirmer sa réalité politique. Après l’effondrement du communisme, un partenariat fructueux, notamment dans le domaine de la gestion des conflits, s’est développé entre les deux institutions, en particulier dans la région névralgique des Balkans. L’auteur montre alors que malgré son importance grandissante pour ce qui est de la gestion civilo-militaire des crises, il n’en reste pas moins que l’Union européenne est bien moins flexible que l’OSCE dans son modus operandi, et que, compte tenu du facteur russe – une Russie absente de l’Union mais engagée dans l’OSCE – elle ne peut intervenir avec la même légitimité politique que l’OSCE dans l’espace postsoviétique.

17Dans sa quatrième partie, « L’Union européenne et le monde », l’ouvrage aborde la question des relations extérieures de l’Union, un domaine qui intéresse particulièrement les spécialistes des relations internationales, interpelés par la naissance de ce nouveau type d’acteur international.

18Jussi Hanhimäki, professeur à l’Institut, spécialiste de la politique étrangère des Etats-Unis, dresse un état des lieux des relations transatlantiques en cherchant les continuités entre la période de guerre froide et le XXI^e siècle. L’auteur montre que le partenariat entre l’Europe et les Etats-Unis a toujours été semé de troubles, mais que c’est justement cette coexistence symbiotique entre appartenance et divergence qui a permis à la communauté transatlantique d’évoluer et au partenariat de se renouveler.

19Franz Blankart, ancien secrétaire d’Etat de la Confédération helvétique et professeur associé à l’Institut, analyse les relations entre la Suisse et la Communauté/Union européenne au travers du processus de négociation du traité sur l’Espace Economique Européen (EEE) et de son rejet par le peuple helvétique, ainsi que des Accords bilatéraux subséquents entre la Suisse et l’Union européenne. Ces derniers, dont le fond reste très similaire au traité EEE, montrent que la stratégie du gouvernement suisse consiste à éliminer progressivement tous les obstacles à l’adhésion à l’Union, qui reste un objectif de long terme, particulièrement bien accueilli à Genève.

20Mohammad-Reza Djalili, professeur à l’Institut, spécialiste du Moyen orient et de l’Asie centrale, et Thierry Kellner, ancien doctorant de l’Institut, actuellement enseignant-chercheur à Bruxelles, abordent les relations entre l’Union européenne et l’Asie Centrale. Les auteurs montrent que depuis la disparition de l’Union soviétique, l’Union européenne s’est progressivement rendu compte non seulement de l’existence de cette région mais aussi du fait que cette dernière lui ouvrait de nouvelles possibilités tout en lui posant des défis inédits. L’Union a mis en place depuis les années 1990 une politique inédite à destination de cette zone et a accéléré sa coopération clans la période post-11 septembre. Par rapport aux puissances régionales (Russie, Chine, Turquie), l’Europe possède des atouts économiques et politiques considérables, tandis que, contrairement aux grandes puissances, elle ne poursuit pas d’objectifs hégémoniques qui suscitent nécessairement craintes et réticences du côté des partenaires centre-asiatiques.

21La dernière partie de l’ouvrage, « L’Union européenne élargie », pose un regard sur l’élargissement récent de l’Union ainsi que sur les perspectives de l’intégration de l’Europe centrale et orientale dans cette Union élargie.

22Adrian Ivan, professeur à l’Université Babes-Bolyai à Cluj, aborde le cas de la Roumanie. Il montre que le « retour en Europe » de cet Etat, concrétisé par l’adhésion à l’OTAN en 2004 et à l’Union européenne en 2007, n’a pas été sans difficultés dans le cas de l’Union. L’auteur constate ainsi une certaine lenteur dans l’adoption des réformes structurelles nécessaires pour remplir les critères de Copenhague, relevant à la fois de réticences et d’inertie politiques et de phénomènes plus concrets tels que les « minériades » de 1990-1991, les crises économiques et politiques des années 1996-2000, ou encore l’augmentation du phénomène de la corruption entre 2001 et 2006.

23André Liebich, professeur à l’Institut, spécialiste de l’Europe postcommuniste, discute quant à lui de quelques aspects de la différence entre les « deux Europes », c’est-à-dire la « vieille » et la « nouvelle » Europe. L’auteur met en exergue certaines spécificités de l’expérience historique des dix nouveaux membres de l’Union Européenne par rapport à celle des quinze membres antérieurs. Il souligne notamment le caractère récent et fragile des Etats dans la « nouvelle » Europe, ainsi que l’absence d’une tradition d’expansion impériale outremer, pour expliquer l’attitude particulière que l’on retrouve chez les nouveaux membres de l’Union envers les minorités traditionnelles et immigrantes.

24Construire l’Europe réunit ainsi des chercheurs de plusieurs générations, provenant d’horizons intellectuels et géographiques divers, s’étendant des quatre coins de l’Europe aux autres continents. Nous nous sentons privilégiés de pouvoir présenter au public le fruit de leurs réflexions et du dialogue qu’ils ont noué. Nous tenons à remercier les auteurs de la lumière que leurs contributions apportent, mais aussi de leur collaboration amicale dans un projet ambitieux et intense. Nous adressons également nos chaleureux remerciements à l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement, et notamment à son directeur Philippe Burrin, pour le soutien sans faille qu’il a donné à ce projet nous tenant très à cœur, ainsi qu’à Anne Stierlin, responsable du service des publications de l’Institut, pour son précieux travail. Arrivés à la fin de ce projet, nos pensées se tournent vers notre collègue et ami Pierre du Bois qui nous manque.