La mésentente apprivoisée
|L'introuvable politique commune envers Moscou
IX. Ludwig Erhard veut acheter la réunification allemande
Texte intégral

« Mon ami Johnson m’a dit de vous dire de dire à votre beau-père que je serai content de l’accueillir à Bonn. »
Le chancelier Erhard est pourtant plus offensif que ne le croit ce caricaturiste français. Lorsque le beau-fils de Nikita Khrouchtchev rencontre Ludwig Erhard à Bonn, le chancelier a depuis longtemps transmis une invitation officielle au premier secrétaire soviétique. Dessin de Tim (Louis Mitelberg) dans L’Express, 6 août 1964, p. 9.
© Adagp, Paris 2007.
- 1 AAPD 1963, Dok. 396, Gespräch Erhard-McGhee, 22.10.63.
1Lorsque Ludwig Erhard arrive au pouvoir, en octobre 1963, il a l’intention de réussir un « coup magistral » sur la réunification allemande et les relations Est-Ouest1. Il compte accorder une aide économique massive à l’Union soviétique en échange de concessions politiques sur l’Allemagne. Il souhaite ainsi « acheter » la réunification, selon le terme utilisé par les quelques Américains initiés à ce projet strictement secret. En juin 1964, le chancelier Erhard invite Nikita Khrouchtchev à se rendre en République fédérale. Le leader soviétique accepte l’invitation, mais avant de pouvoir effectuer ce voyage il est relevé de ses fonctions, le 15 octobre 1964. On ne peut donc pas savoir les effets que sa visite en RFA aurait eus. La démarche allemande et les circonstances qui l’entourent jettent néanmoins une lumière révélatrice sur les méfiances toujours existantes entre Bonn et Paris.
- 2 V. HENTSGHEL, op. cit., pp. 440, 520.
2Les historiens français, américains et même allemands mentionnent rarement la visite manquée de Khrouchtchev. Plus encore, le projet du chancelier d’acheter la réunification semble complètement ignoré. Et lorsqu’un biographe de Ludwig Erhard évoque brièvement cette intention, il a tendance à s’en moquer, position qui nous semble injustifiée2.
Une idée ambitieuse
3L’économie est le domaine de prédilection de Ludwig Erhard. Non seulement il est conscient de l’attirance émanant d’une économie florissante, mais il considère également les problèmes politiques avec un regard d’économiste. Le moyen qu’il imagine pour aller vers la réunification de l’Allemagne en est l’exemple parfait.
- 3 AAPD 1963, Dok. 490, Gespräch Erhard-Johnson, 29.12.63.
4Fin 1963, le raisonnement du chancelier Erhard est le suivant : Khrouchtchev se trouve dans une situation difficile. Il doit élever la qualité de vie de la population soviétique et mettre en valeur, face à la puissance croissante de la Chine voisine, l’immense territoire économiquement vide de la Sibérie. En même temps, Khrouchtchev doit assumer les frais énormes que requièrent une défense et une industrie modernes. Les récoltes en Union soviétique ont baissé de façon dramatique, les vents ayant emporté la terre végétale sur 20 millions de kilomètres carrés, à cause d’erreurs fondamentales dans la politique agricole. La Russie se trouve au bord de la famine. Le résultat est que Khrouchtchev ne peut pas résoudre ces différents problèmes sans l’aide occidentale. La Russie a besoin de crédits à long terme, de machines agricoles, de systèmes d’irrigation et d’une industrie chimique pour fabriquer des engrais. La République fédérale, pays prospère, peut apporter cet aide3.
- 4 FRUS 1961-63, vol. XV, doc. 217, Tel. McGhee, 3.10.63 : Erhard’s proposal.
5Selon l’idée de Ludwig Erhard, les Allemands sont prêts à de grands sacrifices matériels en faveur de la réunification. L’ambition du chancelier est de définir un calendrier sur l’autodétermination de la RDA, qui aboutirait par la suite à la réunification allemande – tout en poursuivant une politique d’aide économique massive à l’Union soviétique. Bonn garantirait des crédits à long terme et s’engagerait activement dans le travail de construction, surtout industriel, en Sibérie, pour une période de 10 à 20 ans4. De cette façon, l’Allemagne contribuerait au développement de l’URSS, tandis que Moscou accepterait plus de liberté en Allemagne de l’Est jusqu’à des élections libres. À ce moment-là, les questions suspendues, comme celle des frontières allemandes, seraient facilement résolues.
- 5 W. BRANDT, Erinnerungen, op. cit., p. 79.
6Le chancelier Erhard est conscient que son idée est radicale : « Mais parfois, un plan audacieux est plus facile à réaliser qu’un plan conventionnel. » Il semble qu’Erhard ait longtemps réfléchi sur son projet. Ainsi a-t-il demandé, bien avant son accession à la chancellerie, à un Willy Brandt perplexe et incrédule, combien il fallait payer aux Russes pour acheter leur « zone » (la RDA)5.
- 6 AAPD 1963, Dok. 355, 356, Gespräche Adenauer-de Gaulle, 21.9.63.
7Konrad Adenauer partage l’analyse de son successeur sur la situation soviétique, mais il en tire des conclusions différentes. L’URSS ne pourra pas survivre économiquement sans l’aide occidentale, affirme le vieux chancelier au général de Gaulle en septembre 1963. Or, Khrouchtchev achète déjà du blé au Canada et commande des usines chimiques en Grande-Bretagne. Mais pour Adenauer il s’agit maintenant de mettre l’URSS à genou, d’entraver son redressement économique si elle ne change pas complètement de politique envers l’Europe occidentale et les États-Unis. C’est seulement à ces conditions qu’il faudrait accorder de l’aide aux Soviétiques, sinon ce serait du « suicide6 ». Erhard, au contraire, plaide secrètement pour une attitude plus souple vis-à-vis des problèmes russes. Il serait stupide, selon lui, de réduire l’URSS à la famine, puisqu’un dictateur comme Khrouchtchev pourrait réagir de façon dangereuse.
- 7 FRUS 1961-63, vol. XV, doc. 214, 217. – AAPD 1963, Dok. 396.
8Ludwig Erhard révèle quelques aspects de son plan – réunification grâce à l’économie – à l’ambassadeur américain McGhee, le 6 septembre 1963, puis encore les 3 et 22 octobre7. McGhee en informe directement le président Kennedy, qui n’aura plus l’occasion de s’entretenir directement avec le chancelier. Fin décembre, en tête-à-tête avec Lyndon Johnson au Texas, Erhard consacre une grande partie du temps à expliquer son idée révolutionnaire. Il est évident que le chancelier y attache une importance capitale. Selon Erhard, Nikita Khrouchtchev n’acceptera pas de discuter directement avec Bonn, mais certainement avec Washington. C’est pourquoi le chancelier demande au président Johnson de transmettre confidentiellement l’offre allemande à Khrouchtchev.
- 8 NACP, Central Foreign Policy Files 1964, Box 2195, Hillenbrand (Bonn) to Dep-State, 10.9.64.
9Il y a lieu de penser que des représentants importants de l’économie allemande appuient l’idée du chancelier. Il s’agit notamment de Berthold Beitz, directeur général de Krupp, et Wolff von Amerongen, chef d’entreprise et futur président de la Fédération des chambres de commerce et d’industrie allemandes. La diplomatie américaine soupçonne ces deux personnalités d’être à l’origine de l’idée d’acheter la réunification8. Konrad Adenauer révèle au général de Gaulle que l’industrie chimique allemande et la société Krupp exercent en effet une pression considérable pour que la coopération économique avec l’URSS soit développée.
- 9 FRUS 1961-63, vol. XV, doc. 217, Conversation Erhard-McGhee, 3.10.63.
10En dehors de quelques conseillers intimes, Erhard ne parle de son projet qu’à l’ambassadeur et au président américains. Ni Paris ni Londres n’en sont informés. Erhard souligne explicitement auprès de McGhee qu’il ne dévoilera pas son idée au général de Gaulle9. Cela montre que, fin 1963, Erhard se méfie de discuter ses pensées intimes avec Paris. Le chancelier se plaint notamment du fait que de Gaulle, inflexible, s’oppose à toute conversation avec les Soviétiques.
- 10 PRO, FO 371/172134, PM’s conversation with D. Rusk, 26.11.63 ; Top secret Memo by F. Roberts, 6.12. (...)
11Une note classée « très secrète » par les services britanniques indique que le 26 novembre, Dean Rusk informe le Premier ministre Douglas-Home des grandes lignes du plan Erhard. Londres en est stupéfait et cherche aussitôt à sonder le chancelier. Celui-ci, jouant la carte de l’innocence, nie toute possibilité d’une nouvelle initiative visant la réunification. Les Britanniques finissent par croire qu’Erhard a peut-être songé à accorder des crédits à Berlin-Est et que tout le reste – élections libres, retrait des troupes, garantie des frontières – a été ajouté par les visionnaires du State Department américain10. Donc, Londres pense qu’il y a eu un simple malentendu.
- 11 AAPD 1963, Dok. 454, Gespräch Erhard-Smirnov, 6.12.63.
12Le 6 décembre, Ludwig Erhard reçoit l’ambassadeur soviétique Smirnov. Lors d’une discussion d’abord peu fructueuse sur les perspectives de la réunification allemande, Erhard propose ensuite de changer la constellation politique par des accords économiques11. Un projet qui cherche à faire disparaître la RDA, réplique Smirnov, n’aura aucune chance d’aboutir. Le chancelier n’insiste pas, mais ce premier ballon d’essai fera certainement son chemin jusqu’à Moscou. Notons qu’Erhard n’informe pas ses alliés – ni le général de Gaulle, ni même le président Johnson – de sa conversation avec Smirnov.
13Pour les Soviétiques, l’idée n’est probablement pas entièrement nouvelle. Selon le journal allemand Die Welt du 2 décembre 1963, Erhard aurait déjà proposé à Moscou un crédit de 100 milliards de DM en échange de la réunification allemande. L’article est signé par un correspondant moscovite et se fonde sur des rumeurs circulant dans la capitale russe.
- 12 NACP, CFPF 3914, Day (Berlin) to DepState, 10.12.63.
14Le président du parti libéral, très proche de l’industrie, se prononce publiquement en faveur de crédits substantiels pour l’Allemagne de l’Est. Ces propos d’Erich Mende, vice-chancelier allemand depuis octobre 1963, font un bruit considérable. La fraction berlinoise du parti libéral pousse la pensée plus loin encore : l’Union soviétique pourrait consentir à la réunification si elle bénéficiait, à long terme, du potentiel industriel de la RDA et d’un commerce accru avec la République fédérale12. Officiellement, le chancelier Erhard montre peu de sympathie vis-à-vis de ces idées.
- 13 AN, 5AG1, 161, Entretien de Gaulle-Adenauer, 5.7.63, de 15 h 30 à 15 h 45.
- 14 AAPD 1963, Dok. 356, Gespräch Adenauer-de Gaulle, 21.9.63.
15L’attitude du général de Gaulle ne correspond pas exactement à ce que Ludwig Erhard imagine. Face à Konrad Adenauer, le président de la République affirme, en juillet 1963, qu’il n’y a « rien d’impossible ni de mauvais à ce que l’Allemagne cause avec Khrouchtchev13 ». De Gaulle précise ensuite qu’il ne tiendrait pas le même langage face à un social-démocrate, Willy Brandt en l’occurrence. Derrière cette remarque se cache une crainte profonde : de Gaulle redoute que l’Allemagne ne se sépare de l’Occident et qu’elle ne paie le prix d’un arrangement avec Moscou par sa neutralisation. La conséquence en serait, raisonne le général, que l’Italie, la Scandinavie et les travaillistes en Grande-Bretagne deviendraient neutres, et ensuite toute l’Europe. Alors, l’Occident serait perdu14.
- 15 AMAE, EM 19, Entretien Couve de Murville-Rusk, 8.10.63.
16Maurice Couve de Murville distingue deux tendances en République fédérale : l’une, suivie par Adenauer, se fonde sur le maintien de l’Allemagne dans l’Occident et le refus de faire cavalier seul avec Moscou ; l’autre tendance, celle des sociaux-démocrates et d’une partie des libéraux, opte pour le marchandage direct avec les Soviétiques. Or, souligne le ministre français en s’adressant aux Américains, il faut rester vigilant, puisqu’on ne sait pas encore quelle sera la politique du gouvernement Erhard/Schröder15.
Les Américains gênés
17À part le plan Erhard, qui reste secret, les Allemands présentent également un plan de paix en janvier 1964. Il fait l’objet d’innombrables discussions entre Bonn, Washington, Paris et Londres durant les mois qui suivent. Cette initiative propose de créer un comité permanent, qui regrouperait les Américains, Soviétiques, Français et Britanniques et qui aurait comme tâche de résoudre la question allemande. En fait, il n’est pas nécessaire de se pencher en détail sur ce projet, puisqu’il est jugé dès le départ « une perte de temps » par Paris et Londres. Les Américains qualifient la proposition allemande de « non-plan » ne contenant strictement rien d’intéressant pour Moscou. Ils ne souhaitent surtout pas troubler le processus de détente avec l’Union soviétique par un projet dépourvu de sens. Si néanmoins les alliés occidentaux ne cessent d’en discuter, ce n’est que pour faire plaisir à Bonn. Les Allemands eux-mêmes admettent que leur initiative ne répond qu’à la nécessité de se montrer actif en faveur de la réunification, pour des raisons de politique intérieure.
- 16 FRUS 1961-63, vol. XV, doc. 247, Memo Bundy, 24.12.63. – NACP, CFPF 2195, Tel. McGhee, 21.1.64.
- 17 Affirmation faite par les éditeurs de la collection FRUS (1964-68, vol. XV, doc. 5, footnote 3). – (...)
18Contrairement au plan de paix, clamé haut et fort par Gerhard Schröder, les Américains se rendent bien compte que le plan Erhard revêt une importance de premier ordre. Le conseiller McGeorge Bundy avertit Lyndon Johnson, avant la visite du chancelier au Texas, qu’il sera essentiel de bien comprendre l’attitude d’Erhard vis-à-vis des Soviétiques et des possibilités de marchandage avec eux. Après cette rencontre, l’ambassadeur McGhee indique l’élément le plus significatif des discussions : le fait que le chancelier a raconté au président américain les détails de son idée d’acheter la réunification16. Dans ses mémoires, McGhee n’en mentionne pas un seul mot. Le 2 janvier 1964, Lyndon Johnson, Dean Rusk et George McGhee discutent des résultats de la visite d’Erhard, mais le compte rendu de cet entretien est aujourd’hui introuvable17.
- 18 NACP, CFPF 3914, Memo Thompson, 26.11.63. – FRUS 1961-63, vol. XV, doc. 217, Tel. McGhee, 3.10.63 ; (...)
19Néanmoins, l’attitude des Américains à l’égard de la proposition de Ludwig Erhard apparaît assez clairement : ils la trouvent gênante. Dès le 26 octobre 1963, George Ball conseille au président de décourager le plan « irréaliste » du chancelier, tout en évitant que celui-ci perde son esprit innovateur. Tâche difficile. Au State Department, on pense que les Soviétiques ne permettront jamais la réunification allemande en échange de prestations économiques. George McGhee critique le manque de compréhension stratégique du plan ambitieux et le juge « politiquement naïf »18. Par ailleurs, le moment d’aborder les Soviétiques avec ce projet ne paraît pas opportun. Washington suggère que les Allemands soumettent leur idée d’abord aux Français et aux Britanniques. Le chancelier allemand, de toute évidence, n’entend pas le faire.
- 19 AAPD 1963, Dok. 490, Gespräch Erhard-Johnson, 29.12.63.
20En tête-à-tête avec Erhard, le président Johnson cherche clairement à contourner la proposition embarrassante. Lorsque le chancelier parle de façon enthousiaste des grands sacrifices économiques auxquels l’Allemagne serait prête à consentir pour la réunification, le président Johnson aborde aussitôt les problèmes financiers américains. Le message est clair : au lieu de verser ses richesses à l’ennemi soviétique, Bonn ferait mieux de soutenir l’économie du protecteur américain. McGeorge Bundy, appelé à se joindre au président, fait valoir le fait que les difficultés de Khrouchtchev ne seraient pas aussi graves qu’Erhard les imagine. Lorsque celui-ci se remet à développer son idée, Lyndon Johnson quitte la pièce avant que l’interprète n’ait pu accomplir sa tâche19. Selon le témoignage de l’interprète Hermann Kusterer, qui se souvient parfaitement de cet épisode, le comportement du président américain manifestait son indifférence totale au sujet de la réunification allemande.
21Cependant, le chancelier met quelque temps avant de comprendre que le président américain ne soumettra pas l’offre allemande à Khrouchtchev. En visite aux États-Unis, Ludwig Erhard souligne encore qu’il ne souhaite pas rencontrer directement le leader soviétique. Mais trois mois plus tard, il change d’avis.
22Suite à la rencontre au Texas, George McGhee et l’ambassadeur américain à Moscou, Foy Kohler, se lancent dans un débat par écrit. Désormais, McGhee propose que Krouchtchev soit prudemment approché dans le sens d’une initiative économique majeure, tandis que Kohler, dont l’influence à Washington est plus grande, le contredit avec ardeur. Les arguments de Kohler sont de taille :
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L’expérience a montré qu’il est inutile et dangereux de conclure un marché avec les Soviétiques en comptant sur leurs actes futurs ;
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Il n’est pas dans l’intérêt de Moscou, qui n’a même pas accepté l’aide du plan Marshall, de renoncer à des avantages politiques à long terme en faveur de gains économiques ;
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Un marché de l’envergure proposée par Erhard ne pourrait pas rester secret. Khrouchtchev, déjà fortement critiqué par les Chinois, ne pourrait donc pas se le permettre ;
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Alors que l’économie soviétique se trouve dans une mauvaise passe, Moscou évitera tout risque dans la politique extérieure ;
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- 20 FRUS 1964-68, vol. XV, doc. 6, Kohler (Moscow) to DepState, 24.1.64.
Le refus occidental d’accorder des crédits à long terme à l’URSS tomberait dans tous les cas, ce que Khrouchtchev sait fort bien. Moscou ne dépend pas de l’aide allemande20.
- 21 NACP, CFPF 2195, Tel. McGhee, 21.1., 12.2.64.
23Pour George McGhee, au contraire, l’idée du plan Erhard peut être transformée en une initiative occidentale concertée, avec un total de 40 milliards de dollars d’aide financière et de crédits accordés à l’URSS. Les États-Unis prendraient en charge 20 % des frais, la République fédérale 50 à 60 % et les autres pays européens le reste. En cas de succès, cette initiative pourrait éventuellement apporter des résultats énormes : une percée dans les relations Est-Ouest qui inclurait la détente, le désarmement et, à long terme, la réunification allemande. L’aide économique et financière s’étendrait sur une période de dix ans et pourrait être arrêtée à tout moment pour faire pression sur les Russes. Prenant le contre-pied de son homologue à Moscou, McGhee avance que les problèmes économiques de l’URSS sont en réalité très graves et que les crédits des Britanniques, disposés à en offrir, ne pourront pas satisfaire les besoins soviétiques. En même temps, la richesse économique de la République fédérale aura dans tous les cas une influence sur la situation européenne. Il vaut donc mieux l’utiliser, sous surveillance américaine, pour diminuer les tensions entre Allemands et Russes21.
- 22 FRUS 1964-68, vol. XV, doc. 9, Rusk to Moscow and Bonn Embassies, 30.1.64.
24Finalement, Washington se dit « impressionné » par les arguments de Foy Kohler et tranche en faveur de sa position. Dean Rusk ordonne alors que le chancelier allemand ne soit pas encouragé à croire que les États-Unis appuient son plan22.
- 23 Vladislav ZUBOK, Constantine PLESHAKOV, Inside the Kremlin’s Cold Vilar. From Stalin to Khrushchev, (...)
- 24 AMAE, EM 20, Entretien de Gaulle-Vinogradov, 3.1.64.
- 25 Jacques LÉVESQUE, L’URSS et sa politique internationale de Lénine à Gorbatchev, Paris 1987, pp. 222 (...)
25L’idée de Ludwig Erhard rêvant d’acheter la réunification allemande, est-elle naïve et irréaliste ? Tout le monde semble le penser. Même George McGhee, qui se fait l’avocat d’une initiative économique et politique, juge impossible un troc direct sur la réunification. Sans préjuger des vraies intentions de Khrouchtchev, on peut toutefois soulever quelques arguments pour soutenir les pensées d’Erhard. L’éviction de Khrouchtchev en octobre 1964 prouve que ses problèmes intérieurs sont en effet très graves. Les échecs en matière économique et agricole y jouent un rôle important23. Début 1964, le gouvernement soviétique « doit à tout prix » développer l’industrie chimique et la production des engrais. Cela constitue la préoccupation primordiale de Khrouchtchev et du Comité central, explique l’ambassadeur Vinogradov au général de Gaulle24. De toute évidence, Moscou cherche l’aide économique et monétaire de l’Occident. Il semble aussi qu’en 1964, Khrouchtchev soit déterminé à parvenir à une détente avec les États-Unis et qu’il entend y arriver par une rupture avec la Chine25. La question reste de savoir ce que cette modification de politique aurait eu comme effet pour l’Allemagne.
- 26 Arkady N. SHEVCHENKO, Breaking with Moscou, New York 1985, p. 103.
- 27 AMAE, RFA 1571, Entretien de Margerie-Haekkerup, 1.12.63.
26Arkadij Shevchenko révèle que les intérêts de Khrouchtchev pour la République fédérale concernent avant tout l’économie et la technologie. Le chef soviétique souhaite conclure des accords de commerce avec les Allemands occidentaux afin d’exploiter leur économie au profit de celle de l’URSS26. Fin 1963, Khrouchtchev confie à un ministre danois que l’Allemagne et la Russie devraient entreprendre en commun la grande tâche du développement économique de l’Europe orientale27.
27Malgré sa personnalité versatile, il est toutefois improbable que Khrouchtchev ait pu consentir à une Allemagne réunifiée, à moins qu’elle n’ait été socialiste ou alors neutre. En effet, admettre que la révolution communiste en RDA puisse disparaître jetterait un grave doute sur la continuité du régime dans les autres pays du bloc oriental. Et le fait que Ludwig Erhard propose de conclure le marché entre Bonn et Moscou par l’intermédiaire de Washington, manifeste son intention de garder l’Allemagne dans le camp occidental.
- 28 Bundesministerium des Innern, Deutsche Einheit. Sonderedition aus den Akten des Bundeskanzleramtes (...)
28A posteriori, le projet d’acheter la réunification allemande ne paraît nullement absurde. En 1989-1990, l’aide financière allemande facilite non seulement l’approbation soviétique à la réunification, mais elle constitue une dimension essentielle des négociations. Helmut Kohl et Mikhaïl Gorbatchev tombent d’accord, en septembre 1990, sur la somme de 12 milliards de marks plus un crédit de 3 milliards que l’Allemagne paiera à l’Union soviétique, alors en graves difficultés économiques28. D’autres compensations et crédits allemands s’y ajoutent.
- 29 Amy KNIGHT, Beria. Stalin’s First Lieutenant, Princeton 1993, pp. 191-194. – John Lewis GADDIS, We (...)
29Mais on peut douter que les circonstances permettant un marché similaire aient été réunies plus tôt dans l’histoire. En mai 1953 déjà, Lavrenti Beria – un possible successeur de Staline – avait avancé l’idée de réparations ouest-allemandes substantielles au profit de l’URSS, qui, en contrepartie, diminuerait le contrôle direct sur le gouvernement à Berlin-Est. Beria avait donc proposé au Présidium soviétique d’abandonner la construction forcée du socialisme en RDA et d’envisager une Allemagne réunifiée, pacifique et indépendante. Tandis que le débat des historiens sur les arrière-pensées de Beria n’est pas encore arrivé à conclusion, personne ne conteste que le ministre de l’Intérieur soviétique, attribuant aux facteurs économiques un rôle central, ait sincèrement voulu reconsidérer le problème allemand29. Il est possible que cette proposition ait contribué au destin malheureux de Beria, écarté et exécuté.
- 30 LBJL, NSF, CF 183, CIA report, 22.1.64 : A TASS correspondent’s view.
30Pour Khrouchtchev, tout accord éventuel sur l’Allemagne se présente sous une lumière hautement délicate, comme l’illustre ce commentaire fait en janvier 1964 par un correspondant de l’agence TASS : « Si M. Krouchtchev perdait la raison et s’arrangeait avec l’Ouest sur la réunification allemande, je ne pense pas qu’il resterait très longtemps notre premier secrétaire30. »
Nikita Khrouchtchev offre le dialogue germano-soviétique
- 31 LBJL, NSF, Bundy II, 3.3.64 : Conversation Krag-Khrushchev.
31L’attitude de Khrouchtchev envers la République fédérale est fortement ambiguë. Début 1964, l’URSS lance une campagne de propagande assez violente et dénonce le « revanchisme » et le « militarisme » de Bonn. Moscou refuse de renouveler des accords commerciaux et culturels avec la RFA et expulse un conseiller de l’ambassade ouest-allemande. Khrouchtchev ne se gêne pas pour montrer sa « haine vicieuse » à l’égard des Allemands : bien qu’une seule bombe suffirait pour détruire l’Allemagne entière, explique-t-il malignement à des représentants occidentaux, il se ferait le plaisir d’en utiliser trois31.
- 32 AAPD 1964, Dok. 68, Gespräch Erhard-Smirnow, 11.3.64.
32Le 11 mars, l’ambassadeur Smirnov transmet à Ludwig Erhard un message personnel de Khrouchtchev, empreint d’un esprit tout à fait différent. Le leader soviétique dit vouloir engager avec Bonn un dialogue exempt de toute polémique. Le message fait allusion aux effets positifs de la visite de Konrad Adenauer à Moscou, en 1955, et propose des rencontres germano-soviétiques « à différents niveaux ». Khrouchtchev signale aussi son intérêt pour les échanges économiques32. Avec un retard de presque trois semaines, Bonn informe Paris, Londres et Washington du contenu de la missive soviétique.
33Par la suite, l’URSS observe une trêve dans son offensive politique contre la République fédérale, certainement pour donner du poids au message du 11 mars. Toutefois, ce calme relatif peut très bien correspondre à une tactique du Kremlin. En général, Moscou poursuit l’objectif de fragmenter l’OTAN et notamment le « bloc anti-soviétique » établi par le traité de l’Élysée. Une attitude plus favorable vis-à-vis de Bonn peut servir ce but.
- 33 NACP, CFPF 2195, McGhee (Bonn) to DepState, 12.3.64.
- 34 AAPD 1964, Dok. 93, Gespräch Erhard-McGhee, 10.4.64. – PRO, FO 371/177912, Telegram from Bonn Embas (...)
34Déjà avant l’arrivée du message de Khrouchtchev, les dirigeants allemands envisagent d’ouvrir des négociations avec Moscou33. Une grande majorité, dont le gaulliste baron von Guttenberg, s’exprime favorablement à cet égard. Konrad Adenauer est parmi les seuls à s’opposer au principe de discuter avec les Russes. Dès la mi-mars, des bruits circulent à Bonn sur une possible rencontre entre Ludwig Erhard et Nikita Khrouchtchev. Le chancelier lui-même alimente ces rumeurs en déclarant qu’il est disposé à rencontrer le chef du gouvernement soviétique s’il existe une possibilité d’entente. Le 10 avril, Erhard répète ces propos auprès de l’ambassadeur américain. Éventuellement, Khrouchtchev pourrait être invité à Bonn, ajoute le secrétaire d’État Westrick, conseiller intime du chancelier. Selon le rapport de George McGhee, Erhard est « très relax » sur l’ensemble du sujet34.
- 35 NACP, CFPF 2195, McGhee (Bonn) to DepState, 12.2.64.
35Les documents n’indiquent pas clairement les motifs de Ludwig Erhard. L’Auswärtiges Amt souligne la nécessité de ne pas rater cette occasion ainsi que l’importance de donner suite aux avances soviétiques pour sonder les intentions de Moscou. Auprès de l’ambassadeur McGhee, le chancelier exprime toutefois son espoir que « le mur autour de Khrouchtchev devienne perméable », et il évoque à nouveau son idée d’aide économique massive pour l’URSS. Quelques semaines auparavant, George McGhee signalait déjà à ses supérieurs que le chancelier ne donnait pas l’impression d’avoir renoncé à ce projet, bien qu’il ne le discutât pas avec son propre entourage35. Les Américains restent les seuls à être informés de cette idée « peu opportune » du chancelier.
- 36 PRO, FO 371/177912, Memos by Hood (6.4.) and Ledwidge (16.4.64).
36Quant à une rencontre éventuelle entre Khrouchtchev et Erhard, Washington et Londres s’accordent à la mi-avril sur la position à suivre : ni encourager ni décourager les Allemands et attendre leur décision – ensuite il reste la possibilité de se consulter, sans doute avec Paris aussi. Il est évident que les Britanniques n’attendent rien de positif d’une telle rencontre. Elle pourrait même aboutir à des déclarations dangereuses à leur avis puisque « les Allemands ne savent pas l’art de parler sans autre but que de parler ». Néanmoins, pour ne pas paraître obstructif aux yeux des Allemands, Londres adopte une position neutre36.
- 37 PRO, Prem 11/4818, Foreign Secretary to PM, 29.4.64. Une partie de ce document a été rendue illisib (...)
- 38 FRUS 1964-68, vol. XV, doc. 34, 43. – AMAE, EM 21, Réunion du 11.5.64.
37Selon le ministre britannique des Affaires étrangères, les Américains, et surtout Dean Rusk, restent suspicieux sur les motifs allemands37. La Maison Blanche fait pourtant savoir à Ludwig Erhard qu’il pourra librement décider de rencontrer ou non Nikita Khrouchtchev, à condition que la République fédérale consulte ses alliés avant toute discussion germano-soviétique. Le président Johnson propose d’en discuter davantage avec Erhard, début juin à Washington, ce que le chancelier accepte volontiers. Au mois de mai, la réticence américaine de s’engager pour la réunification allemande devient évidente. Lors d’une réunion consacrée à l’étude du plan de paix de Gerhard Schröder, Dean Rusk se montre opposé à toute initiative occidentale. Le 23 mai, lors d’un discours prononcé à Lexington, Lyndon Johnson écarte l’idée d’une solution immédiate de la question allemande. Le même jour, l’ambassadeur McGhee transmet au chancelier des renseignements confidentiels sur la correspondance récente entre Johnson et Khrouchtchev38. Erhard en est flatté, mais il comprend également qu’il devra lui-même prendre les choses en main.
- 39 H. ALPHAND, op. cit., p. 428 : entretien de Gaulle-Alphand, 4.5.64.
- 40 AMAE, RFA 1603, Tél. de Garnier (New Delhi), 26.4.64.
38Du côté français, la possibilité d’un sommet germano-soviétique ne semble pas susciter la préoccupation qu’on pourrait imaginer. Le général de Gaulle se dit convaincu que l’Europe et l’Allemagne resteront divisées encore longtemps : « Les conversations directes entre Johnson et Khrouchtchev ou entre Erhard et Khrouchtchev ne sont pas à redouter. Elles ne sauraient porter que sur des sujets mineurs, pas sur l’essentiel qui n’est pas susceptible d’un règlement dans l’immédiat39. » La diplomatie française voit la motivation du chancelier surtout ancrée dans sa volonté de devancer Willy Brandt, soupçonné de préparer un voyage à Moscou. Cependant, Paris ne manque pas de noter le manque d’informations provenant de Bonn. L’ambassadeur de Margerie ne recueille que des informations très floues et c’est seulement par l’intermédiaire de l’ambassadeur allemand à New Delhi que le Quai d’Orsay apprend, fin avril, à quel point Erhard est désireux de rencontrer Khrouchtchev40. Hervé Alphand reste perplexe devant le fait que l’allié allemand corresponde avec l’adversaire commun sans en prévenir Paris. Toutefois, peut-on ajouter, le comportement de la France, qui noue elle aussi des contacts avec Moscou, est tout à fait analogue.
Erhard invite le leader soviétique en RFA
- 41 AAPD 1964, Dok. 150, 155. – PAAA, B150, Carstens an Groepper, 7.6.64.
- 42 AMAE, RFA 1572, Tél. d’Aumale (Bonn), 5.6.64. – LBJL, NSF, CF 183, Tel. Hillenbrand (Bonn), 5.6.64. (...)
39Le 4 juin, Ludwig Erhard prend l’initiative. Il avise son ambassadeur à Moscou, Horst Groepper, de prendre rendez-vous avec Khrouchtchev le plus tôt possible, afin de l’inviter en République fédérale. Erhard entend lier cette invitation à une condition : Khrouchtchev doit accepter de discuter le problème allemand avec le gouvernement fédéral. L’ambassadeur Groepper reçoit l’ordre strict de ne pas informer ses homologues américain, britannique et français avant que Khrouchtchev ne confirme le rendez-vous41. Le lendemain, le 5 juin, Erhard fait informer les ambassadeurs des trois puissances occidentales que Groepper est censé rencontrer Khrouchtchev pour lui délivrer un aide-mémoire. Mais le gouvernement allemand cache aux alliés le fait qu’il va inviter le premier secrétaire soviétique en RFA42. C’est une affaire stupéfiante.
- 43 Annotation manuscrite de Lord Hood (Memo by Holmer, 9.6.64).
40L’aide-mémoire allemand est une réponse au message soviétique du 11 mars. Le chancelier Erhard y souligne sa volonté d’améliorer les relations germano-soviétiques, en particulier sur le plan économique ; la réunification allemande, inévitable, devra se faire suite à des élections libres en Allemagne de l’Est et en respectant les exigences de sécurité de l’Europe orientale. Dans son résumé de la démarche allemande, l’ambassadeur américain établit un rapport direct entre la réunification et la coopération économique entre Bonn et Moscou. La diplomatie française, ignorant le plan Erhard, ne semble pas faire le lien. Par contre, les Britanniques deviennent suspicieux. Ils se souviennent maintenant des confidences américaines de l’automne 1963, selon lesquelles le chancelier allemand songerait à acheter la réunification. Un haut fonctionnaire du Foreign Office note à ce propos, le 10 juin : « Peut-être est-ce plutôt de l’incapacité que de la tromperie, mais il me reste le sentiment que les Allemands ne sont pas complètement sincères avec nous43. »
- 44 AMAE, EM 21, Entretien du 8.6.64. – AAPD 1964, Dok. 153.
41Le 8 juin, Gerhard Schröder indique à Couve de Murville qu’un voyage du chancelier à Moscou ne donnerait aucun résultat, mais que le gouvernement allemand n’aurait pas d’objection à une visite de Khrouchtchev en RFA. Le ministre français estime qu’en effet, une visite du leader soviétique pourrait être positive44. Les propos, des deux côtés, restent toutefois vagues.
- 45 NACP, CFPF 2228, Memo for the President, 9.6.64 : Meeting with L. Erhard.
42Les 12 et 13 juin, Ludwig Erhard est à Washington. Il a demandé à l’avance trois entretiens avec Lyndon Johnson. Mais il n’est reçu qu’une seule fois, pendant seulement quarante minutes au lieu de quatre heures. Le président américain se préoccupe surtout du Vietnam. Selon les comptes rendus, les relations germano-soviétiques ne sont même pas évoquées. Du côté américain, les documents préparant la visite du chancelier ne mentionnent cette affaire que dans un petit paragraphe : « Une rencontre éventuelle Erhard-Khrouchtchev est à décider par Erhard, mais nous espérons pleine consultation en avance. La possibilité que la RFA puisse acheter la réunification par une assistance industrielle aux Soviétiques est lointaine45. » La formulation utilisée suggère néanmoins un lien entre l’idée d’acheter la réunification et la volonté du chancelier de rencontrer le premier secrétaire soviétique.
- 46 PAAA, B150, Groepper an Schröder (Wash.), Schröder an Groepper, 12.6.64.
43Pendant qu’Erhard séjourne à Washington, Khrouchtchev signe avec Walter Ulbricht, à Moscou, un traité d’amitié, levant ainsi la menace soviétique contre Berlin-Ouest. Le même jour, le 12 juin, Khrouchtchev donne rendez-vous à l’ambassadeur Groepper pour le lendemain. Celui-ci doute que le moment soit bien choisi, il veut annuler l’audience en s’excusant pour maladie. L’ambassadeur n’est visiblement pas à l’aise avec sa tâche. Mais Schröder et Erhard, depuis Washington, insistent pour que Groepper fasse son devoir et qu’il transmette son message directement à Khrouchtchev46.
- 47 AAPD 1964, Dok. 162, Audienz, 13.6.64. – PAAA, B150, Tel. Groepper, 13.6.64.
44Lors de l’entretien du 13 juin, Groepper fait d’abord lire l’aide-mémoire allemand, qui est assez long. Khrouchtchev, de mauvaise humeur, est sur le point de partir prématurément. Finalement, l’ambassadeur allemand réussit néanmoins à communiquer l’invitation. Khrouchtchev, surpris, lui demande de la répéter. Le Soviétique ne comprend pas pourquoi l’invitation n’est faite qu’oralement et non pas par écrit. Groepper répond que cette invitation est trop importante pour être introduite dans un document ordinaire, réponse qui satisfait le chef soviétique. Il remercie pour l’invitation et s’excuse même pour l’impatience montrée précédemment. Khrouchtchev dit vouloir méditer sur la question avant de donner une réponse, mais il se déclare favorable au principe de discuter avec le chancelier allemand47.
45Maintenant, Ludwig Erhard a un problème. Officiellement, il n’y a pas eu d’invitation à l’adresse de Khrouchtchev, tandis qu’en réalité elle a bel et bien été présentée. En public et au sein de son Cabinet, le chancelier nie le fait. La raison pour laquelle le chancelier n’a pas voulu transmettre une invitation écrite est probablement la suivante : il souhaite faire semblant que l’initiative vienne de Khrouchtchev. De cette manière, l’événement serait mieux accepté, en Allemagne et chez les alliés, et la pression pour réussir la rencontre à tout prix serait moins forte. Erhard doit craindre une opposition vigoureuse contre son entreprise, puisque même les conseillers Westrick et Osterheld ne la soutiennent pas.
- 48 AAPD 1964, Dok. 163, 14.6.64.
- 49 CADN, Bonn 220, Tél. Laboulaye (Moscou), 15.6.64. – PRO, FO 371/177912, Tel. Trevelyan (Moscow), 14 (...)
46Horst Groepper incite son gouvernement à rendre l’invitation officielle, afin de ne pas brusquer Khrouchtchev qui se croit invité. L’ambassadeur voit là également sa propre crédibilité mise en danger s’il n’informe pas ses homologues américain, britannique et français. Bonn reste ferme et refuse à Groepper le droit d’informer les alliés48. Mais l’ambassadeur allemand ne suit pas la directive très claire qu’il a reçue. Il informe aussitôt, dans l’après-midi du 14 juin, les représentants des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France que Khrouchtchev a été invité à se rendre en RFA49. Malheureusement, aucun document ne témoigne des réactions immédiates à cette nouvelle extraordinaire.
Alexeï Adjoubeï envoyé à Bonn
- 50 ACDP, NL Osterheld, Erh.l, Nachricht von Nikita Chruschtschow, 16.6.64.
- 51 Valentin M. FALIN, Politische Erinnerungen, München 1993, p. 30.
47L’attitude du Kremlin envers la République fédérale, l’ennemi désigné depuis de longues années, se profile désormais sous des traits tout nouveaux. Le 16 juin, Khrouchtchev passe en bateau devant la côte allemande, au début d’un voyage vers la Scandinavie. Il adresse alors « ses meilleurs vœux au chancelier Erhard et au peuple de la République fédérale50 ». Au retour, il fait de même. Le 22 juin, le rédacteur en chef du journal soviétique Izvestia, Alexeï Adjoubeï, annonce sa visite en RFA pour fin juillet. Officiellement il donne suite à l’invitation de trois journaux ouest-allemands. Mais il est évident qu’Adjoubeï, gendre de Khrouchtchev, vient pour sonder la situation pour son beau-père. Adjoubeï jouit d’ailleurs d’une certaine importance lui-même, puisqu’il a de bonnes chances de pouvoir remplacer Andreï Gromyko à la tête de la diplomatie soviétique51.
- 52 PAAA, B150, Groepper (Moskau) an Schröder, 22.7.64.
48La visite d’Alexeï Adjoubeï en République fédérale a lieu du 20 juillet au 1er août. Elle est accompagnée par divers encouragements soviétiques à l’adresse de Bonn. Ainsi, un émissaire officieux du Kremlin approche l’ambassadeur Groepper, le 21 juillet, pour exhorter les Allemands à faire des propositions acceptables pour la réunification allemande52. Il faudra tenir compte à la fois du prestige et de la sécurité soviétiques, explique-t-il. L’interlocuteur de Groepper, un fonctionnaire à la retraite, remplit des missions spéciales pour son gouvernement et se montre parfaitement informé sur les moindres détails.
- 53 PAAA, B150, Aufz. Major Holtorff (London), 29.7.64.
49Un autre message est transmis à Londres. L’attaché militaire soviétique en Grande-Bretagne, le colonel Vladimir Konobeev, insiste pour être reçu par son homologue ouest-allemand, le 27 juillet. Konobeev fait savoir que l’URSS souhaite normaliser ses relations avec la RFA. Une rencontre des deux chefs du gouvernement est souhaitable, affirme le colonel soviétique, si les deux côtés s’abstiennent de poser au préalable des conditions irréalistes : l’URSS ne pourra pas rompre ses liens amicaux avec la RDA et Bonn ne pourra pas quitter l’OTAN53. L’attaché militaire allemand, qui a été approché plusieurs fois par Konobeev depuis l’automne 1963, est convaincu que le message provient directement de Khrouchtchev. Selon le rapport allemand, les avances soviétiques deviennent « de plus en plus fortes et précises ».
- 54 AAPD 1964, Dok. 209, Gespräch Erhard-Smirnow, 27.7.64.
50À Bonn, Ludwig Erhard reçoit l’ambassadeur Smirnov le 27 juillet. Khrouchtchev fait savoir qu’il ne sera pas disposé à discuter de la réunification avec le chancelier – cette responsabilité incombant aux deux États allemands – mais qu’il envisage « d’ouvrir une nouvelle page dans l’histoire des deux peuples » allemand et russe. Erhard répond qu’on ne pourra pas, en cas de rencontre, éviter de discuter la question allemande54.
- 55 AAPD 1964, Dok. 212, Gespräch Erhard-Adschubej, 28.7.64.
51Entre-temps, Alexeï Adjoubeï a sollicité plusieurs fois un entretien avec le chancelier. Les deux hommes se rencontrent finalement le 28 juillet. Selon les services allemands, Adjoubeï « pique une crise de rage » lorsqu’il apprend que Gerhard Schröder sera également présent. En effet, le ministre allemand doit quitter la pièce pour la partie décisive de l’entretien. Adjoubeï montre d’abord beaucoup d’intérêt pour l’idée du chancelier d’améliorer les relations économiques entre l’Union soviétique et la RFA. Par la suite, il pose un grand nombre de questions : par rapport aux frontières orientales de l’Allemagne, au sujet des relations entre la RFA et la RDA et si, selon la vision du chancelier, la RDA serait intégrée dans la RFA, en cas de réunification. À cette dernière question, Erhard répond que dans une nation, deux systèmes différents ne peuvent coexister et que le meilleur sera appliqué. Lorsque Adjoubeï propose une rencontre avec Khrouchtchev à Moscou ou à Vienne, Erhard insiste sur son souhait de le recevoir en République fédérale55. L’invitation est ainsi renouvelée et on a l’impression, à la chancellerie allemande, qu’elle sera acceptée.
- 56 BA, B136/2088, Aufz., 27.7.64 : Gespräche mit Adschubej.
52Avant de rentrer en URSS pour en informer directement son beau-père, Alexeï Adjoubeï rencontre un bon nombre d’interlocuteurs allemands. Résumons les prises de position les plus importantes faites à ces occasions. Adjoubeï semble réviser son opinion générale sur la République fédérale au cours de son voyage ; il s’excuse même pour ses conceptions négatives antérieures. L’émissaire soviétique exhorte la RFA à établir des contacts suivis avec Berlin-Est : « Vous êtes tellement plus nombreux et plus riches en ressources que les Allemands de l’Est, que l’association des deux États tournerait finalement à votre avantage56. » Il déclare aussi que Walter Ulbricht, qui s’oppose à toute entente avec l’Ouest, serait atteint d’un cancer et qu’il risque de ne plus être là dans deux ans. L’URSS souhaite retirer ses troupes de l’Allemagne orientale, prétend Adjoubeï. Il évoque aussi le thème du danger chinois, insinuant des perspectives de coopération entre Moscou et les pays occidentaux. Plusieurs fois il mentionne l’esprit de Rapallo, ce dont ses interlocuteurs allemands ne se montrent pas enchantés.
- 57 Cf. les discours et entretiens d’Adjoubeï durant son séjour en RFA : BA, B136/2088-89. – NACP, CFPF (...)
53Il faut profiter du temps où Khrouchtchev est en vie, remarque Adjoubeï avec quelque perspicacité, puisque des forces importantes en URSS s’opposent à une visite du leader soviétique en RFA. Par ailleurs, il signale à la fin de son séjour que Khrouchtchev et Erhard pourraient éventuellement discuter le sujet de la réunification. Il est erroné en revanche de prétendre qu’Adjoubeï aurait affirmé publiquement son intention de « casser le mur de Berlin ». Cette allégation sera faite, trois mois plus tard, par les adversaires de Khrouchtchev. Les comptes rendus montrent clairement qu’Adjoubeïjuge nécessaire, en privé, le maintien du mur et qu’il évite de prendre position là-dessus en public57.
- 58 NACP, CFPF 2231, Tel. Rusk, 13.8.64. – PRO, FO 371/177913, Memo Holmer, Tel. to Embassies, 30.7.64.
- 59 BA, B136/2088, Aufz. Osterh., 24.7. – NACP, CFPF 2231, Tel. McGhee, 21.7.
54Selon les observateurs américains et britanniques, les propos d’Adjoubeï ne relèvent pas d’un changement de position sur le fond, mais plutôt d’une volonté soviétique d’améliorer le climat avec la République fédérale. On ne croit pas, à Washington et à Londres, qu’une rencontre de Khrouchtchev avec Erhard apporterait de grands résultats. Les Britanniques adoptent une attitude prudente, ils cherchent surtout à ne pas donner l’impression de se méfier des motifs allemands. L’ambassadeur américain à Bonn souhaite s’appliquer à instaurer un bon climat germano-russe, mais Washington lui ordonne de rester passif. Améliorer les relations entre Bonn et Moscou appartient à Erhard et Khrouchtchev et non aux Américains, télégraphie Dean Rusk, qui juge toutefois ce développement « très souhaitable »58. Quant à l’idée allemande d’acheter la réunification, le ministre américain adopte une attitude très vague. Ce projet est toujours présent dans l’esprit d’Erhard – ses notes préparatoires pour l’entretien avec Adjoubeï et les rapports de George McGhee le manifestent59.
- 60 PAAA, B24/528, Klaiber (Paris) ans AA, 14.4.64.
- 61 AMAE, EM 22, Aide-mémoire allemand et français, 10.8. et 17.8.64.
55La France montre de la réticence à l’égard des activités allemandes. Lors d’une visite à Paris en avril 1964, le gendre de Khrouchtchev, qui ne détient pas de fonction politique officielle, n’a pas été reçu par le général de Gaulle. Les services allemands notent qu’Adjoubeï a seulement pu rencontrer Alain Peyrefitte « dans un restaurant qui n’était pas de première qualité60 ». Après l’entretien d’Erhard avec Adjoubeï, le général de Gaulle se dit déçu par le fait que le chancelier attache de l’importance au rédacteur en chef d’Izvestia. Les informations qu’Erhard transmet à l’Élysée au sujet de la visite d’Adjoubeï sont « notées avec intérêt » par le président français, sans plus61.
- 62 H. ALPHAND, op. cit., pp. 435, 440 (30.7., 7.9.64). – CADN, Bonn 179, Entretien Lucet-Schröder, 15. (...)
56Charles de Gaulle ne semble pas redouter une rencontre entre Erhard et Khrouchtchev. Le général explique à Hervé Alphand que les Allemands n’ont aucune liberté d’action face aux Russes et que la réunification de l’Allemagne lui paraît impossible. Cependant, de Gaulle reproche au chancelier de ne pas l’avoir consulté avant d’inviter Khrouchtchev à Bonn62. Il est vrai que lors des réunions franco-allemandes de février et de juillet 1964, Ludwig Erhard a soigneusement caché son projet.
- 63 M. COUVE DE MURVILLE, Une politique étrangère, op. cit., p. 267.
- 64 AN, 5AG1, 166, Note de J. Dromer à l’attention du général, 15.7.64.
- 65 AMAE, EM 22, Échange de lettres, 16.7. et 29.7.64.
- 66 PAAA, B2/152, Aufz. Lahr, 3.11.64.
57Le mécontentement du général s’exprime dans une question essentielle pour Bonn, celle des crédits accordés à l’URSS. Couve de Murville se souvient, dans ses mémoires, d’une « offensive vigoureuse » des Allemands contre l’octroi aux pays de l’Est de crédits trop généreux63. L’offre de crédits massifs joue un rôle central dans l’idée du chancelier d’acheter la réunification. Il est vital pour Erhard que Khrouchtchev ne les obtienne pas d’une autre façon. La position de la France à cet égard est décisive, malgré quelques crédits, insuffisants, déjà concédés aux Soviétiques par Londres. En février 1964, le gouvernement français confirme encore sa position restrictive concernant les crédits. Mais après le sommet décevant à Bonn, début juillet, de Gaulle prend une décision différente. Il envisage d’accorder à Moscou des crédits d’environ 350 millions de dollars, s’étalant sur sept ans64. Alarmé, le chancelier Erhard écrit aussitôt une lettre au président français pour exprimer ses craintes face à ce développement « dangereux65 ». De Gaulle reste imperturbable. Il met en avant des arguments économiques et le comportement des Anglais. L’Auswärtiges Amt est toutefois convaincu qu’il ne s’agit là pas d’une décision économique mais essentiellement politique de la part du général66. Du côté de l’Allemagne, le regret est profond.
58Charles de Gaulle a-t-il délibérément arrêté ce choix pour saboter le projet du chancelier ? Il est certain que Paris entend renforcer la pression sur Bonn en se penchant vers Moscou. Tout comme il est très probable que l’Élysée n’ignore pas complètement l’idée secrète de Ludwig Erhard.
L’annonce du voyage et l’affaire Schwirkmann
- 67 PAAA, B2/145, Gespräch Carstens-Smirnov, 21.9.64.
59Le 2 septembre, l’ambassadeur Smirnov apporte au gouvernement allemand un message officiel : Nikita Khrouchtchev accepte l’invitation du chancelier et se rendra en République fédérale pour y mener des discussions politiques. Cette annonce est assez extraordinaire, puisqu’il s’agira de la première visite d’un chef de gouvernement soviétique en RFA et du deuxième sommet germano-russe depuis la guerre. La nouvelle fait la première page des journaux occidentaux du 4 septembre. Bonn fait savoir que l’on n’a prévu pour la visite ni ordre du jour ni restrictions aux objets de conversation. Erhard entend discuter avec Khrouchtchev tous les aspects de la question allemande. Concernant la date, sujet déjà évoqué par Adjoubeï, Bonn propose la dernière décade de janvier 196567. Des bouleversements au Kremlin précéderont la confirmation soviétique.
- 68 NACP, CFPF 2195, Tel. Hillenbrand, 10.9.64 ; Tel. McGhee, 15.10.64. – PRO, FO 371/177913, Memo on K (...)
60Au cours du mois de septembre, de nouvelles rumeurs font état d’un plan du chancelier Erhard visant à acheter la réunification en échange d’aide économique pour l’URSS. Le Foreign Office britannique se dit convaincu qu’Erhard essaiera d’obtenir de Khrouchtchev des avantages politiques en contrepartie d’offres économiques. L’ambassadeur américain McGhee est également conscient de cette perspective, mais il compte sur Gerhard Schröder, Ludger Westrick et Karl Carstens pour faire en sorte que le chancelier n’essaie pas d’obtenir la réunification par ce moyen68.
- 69 AMAE, RFA 1572, Télégramme de Margerie (Bonn), 18.9.64.
61Quelques signaux émanent aussi de Moscou. Selon les informations recueillies par l’ambassade française à Bonn, le ministre soviétique du Commerce extérieur, Nicolaï Patolitchev, indique à un groupe d’industriels allemands – en visite en URSS – qu’en échange de crédits à long terme de l’ordre de 10 à 12 milliards de DM, le gouvernement soviétique serait disposé à parler de réunification. Les milieux sociaux-démocrates allemands, spécialisés dans les problèmes de l’Est, font savoir à Christian d’Aumale que l’URSS serait contrainte à un « réexamen dramatique » de sa politique. Afin de ne pas se trouver entre deux fronts, à savoir la Chine et l’Europe occidentale, Moscou chercherait une solution pour le problème allemand. Une confédération assez lâche de la RFA et de la RDA serait possible, à condition que Bonn renonce à la MLF, qu’elle accorde des crédits importants à l’URSS et qu’elle respecte « les réalisations du régime est-allemand »69.
- 70 ACSP, NL Strauss, Fam 1119, Aufz., 8.9.64.
- 71 AMAE, RFA 1572, Entretien de Margerie-Granof, 25.10.64.
62Les services secrets ouest-allemands annoncent que Khrouchtchev cherche avant tout à développer les relations économiques avec la RFA et qu’il proposera à Erhard la création d’une commission germano-soviétique permanente, censée élaborer une solution au problème allemand. L’ambassadeur Smirnov confirme la volonté de Khrouchtchev de conclure une trêve de longue durée avec Bonn et d’initier des discussions sur la réunification. Par contre, Smirnov dément vivement toute idée que l’URSS pourrait « vendre » la RDA ; la Chine en profiterait dans son conflit avec Moscou70. Notons au passage que l’ambassadeur Smirnov n’est pas un homme de Khrouchtchev et qu’il reçoit ses ordres, depuis quelques mois déjà, de la part de Kossyguine71.
- 72 AMAE, RFA 1572, Tél. de Margerie (Bonn), 26.8., 4.9., 21.9.64.
- 73 NACP, CFPF 2195, Hillenbrand (Bonn) to SecState, 10.9.64.
63La perspective d’une visite de Nikita Khrouchtchev suscite un mélange de satisfaction, d’espoir et de méfiance en République fédérale. Selon les services français, l’inquiétude règne au sein même du parti chrétien-démocrate, notamment parmi les gaullistes allemands et à l’Auswärtiges Amt72. On ne voit pas de terrain concret pour la conversation des deux chefs de gouvernement et on soupçonne Ludwig Erhard de ne pas être à la hauteur de la tâche. Quelques Allemands bien informés redoutent en particulier que le chancelier n’avance son idée d’acheter la réunification73.
- 74 AAPD 1964, Dok. 246, 259.
64La République fédérale prend soin de dissiper l’impression d’un manque de consultation avec ses alliés, qui restent assez réservés. Lorsque Bonn souhaite impliquer le Foreign Office dans la préparation de la visite, les Britanniques jugent peu raisonnable qu’un pays demande à un autre de faire son propre travail. Et Gerhard Schröder demande alors en vain aux Américains de faire un geste en faveur du dépassement du statu quo en Europe. Washington transmet plutôt une liste de sujets pour l’entrevue du chancelier avec Khrouchtchev, où la réunification ne prend pas la place que Bonn lui donne. Elle ne devrait être évoquée que de façon très prudente, suggère Washington74. Les Américains croient que Khrouchtchev n’apportera qu’une « douche froide » aux Allemands. Il est évident qu’à Washington, la réunification allemande n’est pas à l’ordre du jour.
- 75 AAPD 1964, Dok. 244. -V. HENTSCHEL, op. cit., pp. 520-521.
65Auprès de l’ambassadeur français, Ludwig Erhard se veut rassurant : il n’y aura pas de second Rapallo, affirme-t-il. Le chancelier souligne aussi son désir de s’entretenir avec le général de Gaulle avant la visite de Khrouchtchev. Mais le lendemain, Gerhard Schröder estime qu’une rencontre imprévue avec le président français « ne serait pas dans l’intérêt allemand »75. Par la suite, Erhard fait marche arrière et déclare aux journalistes qu’il n’y aura pas de réunion franco-allemande exceptionnelle. On peut imaginer l’état d’esprit du général de Gaulle lorsqu’il apprend la nouvelle.
66En URSS, des forces hostiles à la visite de Khrouchtchev en RFA semblent se manifester dès le 6 septembre. Ce jour-là, Horst Schwirkmann, chargé de sécurité à l’ambassade ouest-allemande en URSS, subit une mystérieuse attaque. Alors qu’il assiste à une messe à l’église de Zagorsk, près de Moscou, le diplomate sent un léger coup sur sa jambe. Quelques heures plus tard, Schwirkmann se retrouve à moitié paralysé et éprouve des douleurs atroces. On découvre alors qu’il a été victime d’un attentat chimique. Les blessures du diplomate allemand, décrites comme particulièrement cruelles, vont subsister à vie.
- 76 AMAE, RFA 1572, Tél. de Margerie (Bonn), 7.10.64.
- 77 PRO, FO 371/177913, Minutes on Schwirkmann affair, 12.10.-27.11.64.
67L’affaire Schwirkmann, révélée par la presse allemande en mi-septembre, jette des ombres importantes sur les relations germano-soviétiques et risque de compromettre la visite de Khrouchtchev. Il est difficilement imaginable que cet attentat, commis au plein jour et au milieu d’une foule, ait été accompli sans que quelques dirigeants soviétiques ne soient au courant. Bonn proteste ; Khrouchtchev est dans l’embarras, et personne ne semble savoir comment dénouer la situation sans perdre la face. Début octobre, Ludwig Erhard se contente d’une note exprimant le regret soviétique tandis que le Kremlin s’efforce de réduire les répercussions de l’attentat. Quelques fonctionnaires de l’Auswärtiges Amt critiquent la « naïveté » du chancelier à l’égard des Russes76. Mais les préparatifs pour la visite de Khrouchtchev, ralentis pendant quelques semaines, peuvent reprendre. Après coup, les spécialistes du Foreign Office arrivent à la conclusion certaine que l’attentat sur Schwirkmann a été l’œuvre du KGB77. Cela ne peut que renforcer l’hypothèse de la motivation politique derrière le crime, à savoir l’opposition à la visite de Khrouchtchev en RFA.
Le limogeage de Nikita Khrouchtchev
68Le 15 octobre 1964, le Présidium du Soviet suprême destitue Khrouchtchev de toutes ses fonctions, Leonid Brejnev et Alexeï Kossyguine prennent sa place. Les capitales occidentales ainsi que la population soviétique l’apprennent avec stupéfaction.
- 78 A. ADJOUBEÏ, op. cit., pp. 22, 353.
69Les raisons de l’éviction de Khrouchtchev sont nombreuses. Le Comité central et le Politbureau lui reprochent surtout les échecs économiques et le désastre agricole, de même qu’une politique aventuriste vers l’extérieur, notamment lors des crises de Suez, Berlin et Cuba. Parmi les dirigeants soviétiques, une forte opposition s’est formée contre le processus de déstalinisation. Brejnev se nomme d’ailleurs « secrétaire général » du parti soviétique, ce qui avait été le titre de Staline, plutôt que « premier secrétaire » comme Khrouchtchev. Selon les mémoires d’Alexeï Adjoubeï, un noyau influent au sein du Kremlin craignait aussi que Khrouchtchev, pour sortir de l’impasse générale, n’envisage des changements radicaux dans les structures politiques78.
- 79 G.-H. SOUTOU, La guerre de Cinquante Ans, op. cit., p. 439.
70Par ailleurs, le conflit croissant avec la Chine et la façon dont Khrouchtchev dirigeait les affaires du monde communiste ont sans doute contribué à la chute du leader soviétique. En effet, une conférence internationale des partis communistes, convoquée unilatéralement par Khrouchtchev pour le 15 décembre 1964, laissait pressentir sa volonté de rompre avec la Chine. Et enfin, la détente amorcée avec l’Occident suscitait bien des réticences à Moscou. Probablement les projets allemands se rangent dans ce contexte. Le professeur Soutou se dit convaincu que Khrouchtchev avait voulu modifier en profondeur les relations avec la RFA et que cela a pu contribuer à sa chute79. Les nombreux indices mentionnés plus haut montrent pour le moins que Khrouchtchev a joué avec l’idée d’un changement considérable de sa politique allemande. En revanche il n’avait, jusque-là, rien concédé à Bonn.
- 80 V. ZUBOK, C. PLESHAKOV, op. cit., pp. 272-274. – A. SHEVCHENKO, op. cit., pp. 128-129.
71Jusqu’à aujourd’hui, on ne sait pas avec certitude pourquoi Khrouchtchev a été limogé. On n’est même pas sûr que Leonid Brejnev et Alexandre Shelepine, ou bien Mikhail Souslov et Alexeï Kossyguine étaient les conspirateurs principaux80. Sur les plans allemands de Khrouchtchev également, les historiens russes révèlent peu d’indices. Dans cette situation, il paraît intéressant de se pencher sur les analyses occidentales faites en 1964.
- 81 FRUS 1964-68, vol. XIV, doc. 61, 62.
- 82 En 1954, Gheorgi Malenkov présidait le Conseil soviétique.
- 83 AMAE, EM 24, Entretien Couve de Murville-Rusk, 18.2.65.
72Les études américaines d’octobre 1964 soulignent un lien possible entre la chute de Khrouchtchev et son projet de visiter la RFA. Le mystère de l’affaire Schwirkmann et les inquiétudes très manifestes de Walter Ulbricht, nourries délibérément par les Chinois, en sont des signes. La CIA croit tout à fait possible que Khrouchtchev ait songé à adopter une nouvelle approche envers l’Allemagne, similaire aux anciens projets de Beria81. En février 1965, Dean Rusk indique à Couve de Murville qu’il réfléchit souvent sur les raisons qui ont pu pousser Beria, en 1953, puis Malenkov82en 1954 à envisager la réunification de l’Allemagne, et si cette disponibilité soviétique pourrait reparaître. Le ministre français répond que l’économie lui paraît être le facteur primordial pour ces considérations éventuelles de Moscou83. De ce point de vue, il semble que Washington ait sous-estimé le plan Erhard, le jugeant complètement irréaliste dès le début.
- 84 AN, 5AG1, 248, Note hebdomadaire de Saint-Légier, 23.10.64.
- 85 Le 13 octobre, Khrouchtchev s’est entretenu avec G. Palewski, à Gagra.
- 86 AMAE, RFA 1572, Note de P. Baudet (Moscou), 2.12.64.
73Un conseiller du général de Gaulle note, le 23 octobre 1964, que deux causes ont probablement causé la chute du leader soviétique : sa politique à l’égard de l’Allemagne et la dissolution du camp socialiste suite aux querelles avec Pékin84. Mais les spécialistes français avouent ne pas connaître les projets que nourrissait Khrouchtchev pour l’Allemagne. La veille de sa destitution, il avait signalé à un parlementaire français85 que son voyage à Bonn n’apporterait aucun changement, ni même un début de changement de sa politique. Par ailleurs, l’ambassadeur français à Moscou se dit impressionné par l’inquiétude que l’annonce de cette visite a suscité dans le camp socialiste. Puisque Khrouchtchev maîtrise à la perfection l’art de cacher ses intentions, conclut l’ambassadeur Baudet, on ne peut pas porter un jugement de valeur sur ses intentions profondes86.
- 87 BA, B136/3539, Analysen, Okt./Nov. 1964. – AAPD 1964, Dok. 291.
74Les dirigeants ouest-allemands et leur ambassadeur à Moscou insistent sur le fait que Khrouchtchev n’envisageait nullement un changement de sa politique allemande, et qu’il n’aurait fait aucune concession lors de sa visite à Bonn87. L’Auswärtiges Amt déclare, au sujet de la rumeur sur un lien direct entre le facteur allemand et la récente crise soviétique : « Cela flatterait notre vanité, mais nous ne le pensons pas. » Selon les spécialistes français, cette attitude provient, du moins en partie, de la volonté allemande de se décharger de toute responsabilité pour le limogeage de Khrouchtchev.
- 88 AMAE, RFA 1572, Note du 23.11.64 : entretien Schröder-Spaak.
75Cependant, il semble bien que le gouvernement allemand ait nourri de sérieux espoirs. Questionné par Paul-Henri Spaak, fin novembre 1964, Gerhard Schröder révèle que l’ancien leader soviétique a voulu mettre un terme aux querelles allemandes, mais sans consulter le Comité central de son parti. Khrouchtchev était un « précurseur », avance le ministre allemand, et si le conflit sino-russe persiste, la réunification de l’Allemagne lui semble une option que Moscou ne refusera pas toujours88.
- 89 AMAE, RFA 1637, Tél. d'Aumale (Bonn), 16.2.65.
76Bonn doit toutefois se rendre compte qu’avec la nouvelle équipe installée au Kremlin, la voie ouverte avec Khrouchtchev reste barrée. « Les châteaux en Espagne se sont effondrés89 », commente Christian d’Aumale en février 1965, faisant allusion au rêve de Ludwig Erhard de devenir le chancelier de la réunification.
Notes
1 AAPD 1963, Dok. 396, Gespräch Erhard-McGhee, 22.10.63.
2 V. HENTSGHEL, op. cit., pp. 440, 520.
3 AAPD 1963, Dok. 490, Gespräch Erhard-Johnson, 29.12.63.
4 FRUS 1961-63, vol. XV, doc. 217, Tel. McGhee, 3.10.63 : Erhard’s proposal.
5 W. BRANDT, Erinnerungen, op. cit., p. 79.
6 AAPD 1963, Dok. 355, 356, Gespräche Adenauer-de Gaulle, 21.9.63.
7 FRUS 1961-63, vol. XV, doc. 214, 217. – AAPD 1963, Dok. 396.
8 NACP, Central Foreign Policy Files 1964, Box 2195, Hillenbrand (Bonn) to Dep-State, 10.9.64.
9 FRUS 1961-63, vol. XV, doc. 217, Conversation Erhard-McGhee, 3.10.63.
10 PRO, FO 371/172134, PM’s conversation with D. Rusk, 26.11.63 ; Top secret Memo by F. Roberts, 6.12.63 ; Memo by Lord Hood, 9.12.63, with handwritten commente.
11 AAPD 1963, Dok. 454, Gespräch Erhard-Smirnov, 6.12.63.
12 NACP, CFPF 3914, Day (Berlin) to DepState, 10.12.63.
13 AN, 5AG1, 161, Entretien de Gaulle-Adenauer, 5.7.63, de 15 h 30 à 15 h 45.
14 AAPD 1963, Dok. 356, Gespräch Adenauer-de Gaulle, 21.9.63.
15 AMAE, EM 19, Entretien Couve de Murville-Rusk, 8.10.63.
16 FRUS 1961-63, vol. XV, doc. 247, Memo Bundy, 24.12.63. – NACP, CFPF 2195, Tel. McGhee, 21.1.64.
17 Affirmation faite par les éditeurs de la collection FRUS (1964-68, vol. XV, doc. 5, footnote 3). – G. McGHEE, op. cit., pp. 128-133.
18 NACP, CFPF 3914, Memo Thompson, 26.11.63. – FRUS 1961-63, vol. XV, doc. 217, Tel. McGhee, 3.10.63 ; doc. 233, Memo Ball, 26.10.63.
19 AAPD 1963, Dok. 490, Gespräch Erhard-Johnson, 29.12.63.
20 FRUS 1964-68, vol. XV, doc. 6, Kohler (Moscow) to DepState, 24.1.64.
21 NACP, CFPF 2195, Tel. McGhee, 21.1., 12.2.64.
22 FRUS 1964-68, vol. XV, doc. 9, Rusk to Moscow and Bonn Embassies, 30.1.64.
23 Vladislav ZUBOK, Constantine PLESHAKOV, Inside the Kremlin’s Cold Vilar. From Stalin to Khrushchev, Cambridge 1996, p. 273.
24 AMAE, EM 20, Entretien de Gaulle-Vinogradov, 3.1.64.
25 Jacques LÉVESQUE, L’URSS et sa politique internationale de Lénine à Gorbatchev, Paris 1987, pp. 222-223.
26 Arkady N. SHEVCHENKO, Breaking with Moscou, New York 1985, p. 103.
27 AMAE, RFA 1571, Entretien de Margerie-Haekkerup, 1.12.63.
28 Bundesministerium des Innern, Deutsche Einheit. Sonderedition aus den Akten des Bundeskanzleramtes 1989/90, München 1998, Dok. 415, 422. – Horst TELTSCHIK, 329 Tage. Innenansichten der Einigung, Berlin 1991, pp. 359-363.
29 Amy KNIGHT, Beria. Stalin’s First Lieutenant, Princeton 1993, pp. 191-194. – John Lewis GADDIS, We now know. Rethinking Cold War history, Oxford 1997, pp. 129-131. – G.-H. SOUTOU, La guerre de Cinquante Ans, op. cit., pp. 272-275.
30 LBJL, NSF, CF 183, CIA report, 22.1.64 : A TASS correspondent’s view.
31 LBJL, NSF, Bundy II, 3.3.64 : Conversation Krag-Khrushchev.
32 AAPD 1964, Dok. 68, Gespräch Erhard-Smirnow, 11.3.64.
33 NACP, CFPF 2195, McGhee (Bonn) to DepState, 12.3.64.
34 AAPD 1964, Dok. 93, Gespräch Erhard-McGhee, 10.4.64. – PRO, FO 371/177912, Telegram from Bonn Embassy, 13.4.64 : Conversation with G. McGhee.
35 NACP, CFPF 2195, McGhee (Bonn) to DepState, 12.2.64.
36 PRO, FO 371/177912, Memos by Hood (6.4.) and Ledwidge (16.4.64).
37 PRO, Prem 11/4818, Foreign Secretary to PM, 29.4.64. Une partie de ce document a été rendue illisible.
38 FRUS 1964-68, vol. XV, doc. 34, 43. – AMAE, EM 21, Réunion du 11.5.64.
39 H. ALPHAND, op. cit., p. 428 : entretien de Gaulle-Alphand, 4.5.64.
40 AMAE, RFA 1603, Tél. de Garnier (New Delhi), 26.4.64.
41 AAPD 1964, Dok. 150, 155. – PAAA, B150, Carstens an Groepper, 7.6.64.
42 AMAE, RFA 1572, Tél. d’Aumale (Bonn), 5.6.64. – LBJL, NSF, CF 183, Tel. Hillenbrand (Bonn), 5.6.64. – PRO, FO 371/177912, Memo by Holmer, 9.6.64.
43 Annotation manuscrite de Lord Hood (Memo by Holmer, 9.6.64).
44 AMAE, EM 21, Entretien du 8.6.64. – AAPD 1964, Dok. 153.
45 NACP, CFPF 2228, Memo for the President, 9.6.64 : Meeting with L. Erhard.
46 PAAA, B150, Groepper an Schröder (Wash.), Schröder an Groepper, 12.6.64.
47 AAPD 1964, Dok. 162, Audienz, 13.6.64. – PAAA, B150, Tel. Groepper, 13.6.64.
48 AAPD 1964, Dok. 163, 14.6.64.
49 CADN, Bonn 220, Tél. Laboulaye (Moscou), 15.6.64. – PRO, FO 371/177912, Tel. Trevelyan (Moscow), 14.6.64. – LBJL, NSF, CF183, Tel. Kohler (Moscow), 14.6.64.
50 ACDP, NL Osterheld, Erh.l, Nachricht von Nikita Chruschtschow, 16.6.64.
51 Valentin M. FALIN, Politische Erinnerungen, München 1993, p. 30.
52 PAAA, B150, Groepper (Moskau) an Schröder, 22.7.64.
53 PAAA, B150, Aufz. Major Holtorff (London), 29.7.64.
54 AAPD 1964, Dok. 209, Gespräch Erhard-Smirnow, 27.7.64.
55 AAPD 1964, Dok. 212, Gespräch Erhard-Adschubej, 28.7.64.
56 BA, B136/2088, Aufz., 27.7.64 : Gespräche mit Adschubej.
57 Cf. les discours et entretiens d’Adjoubeï durant son séjour en RFA : BA, B136/2088-89. – NACP, CFPF 2230.
58 NACP, CFPF 2231, Tel. Rusk, 13.8.64. – PRO, FO 371/177913, Memo Holmer, Tel. to Embassies, 30.7.64.
59 BA, B136/2088, Aufz. Osterh., 24.7. – NACP, CFPF 2231, Tel. McGhee, 21.7.
60 PAAA, B24/528, Klaiber (Paris) ans AA, 14.4.64.
61 AMAE, EM 22, Aide-mémoire allemand et français, 10.8. et 17.8.64.
62 H. ALPHAND, op. cit., pp. 435, 440 (30.7., 7.9.64). – CADN, Bonn 179, Entretien Lucet-Schröder, 15.9.64.
63 M. COUVE DE MURVILLE, Une politique étrangère, op. cit., p. 267.
64 AN, 5AG1, 166, Note de J. Dromer à l’attention du général, 15.7.64.
65 AMAE, EM 22, Échange de lettres, 16.7. et 29.7.64.
66 PAAA, B2/152, Aufz. Lahr, 3.11.64.
67 PAAA, B2/145, Gespräch Carstens-Smirnov, 21.9.64.
68 NACP, CFPF 2195, Tel. Hillenbrand, 10.9.64 ; Tel. McGhee, 15.10.64. – PRO, FO 371/177913, Memo on Khrushchev visit to FRG, 29.9.64.
69 AMAE, RFA 1572, Télégramme de Margerie (Bonn), 18.9.64.
70 ACSP, NL Strauss, Fam 1119, Aufz., 8.9.64.
71 AMAE, RFA 1572, Entretien de Margerie-Granof, 25.10.64.
72 AMAE, RFA 1572, Tél. de Margerie (Bonn), 26.8., 4.9., 21.9.64.
73 NACP, CFPF 2195, Hillenbrand (Bonn) to SecState, 10.9.64.
74 AAPD 1964, Dok. 246, 259.
75 AAPD 1964, Dok. 244. -V. HENTSCHEL, op. cit., pp. 520-521.
76 AMAE, RFA 1572, Tél. de Margerie (Bonn), 7.10.64.
77 PRO, FO 371/177913, Minutes on Schwirkmann affair, 12.10.-27.11.64.
78 A. ADJOUBEÏ, op. cit., pp. 22, 353.
79 G.-H. SOUTOU, La guerre de Cinquante Ans, op. cit., p. 439.
80 V. ZUBOK, C. PLESHAKOV, op. cit., pp. 272-274. – A. SHEVCHENKO, op. cit., pp. 128-129.
81 FRUS 1964-68, vol. XIV, doc. 61, 62.
82 En 1954, Gheorgi Malenkov présidait le Conseil soviétique.
83 AMAE, EM 24, Entretien Couve de Murville-Rusk, 18.2.65.
84 AN, 5AG1, 248, Note hebdomadaire de Saint-Légier, 23.10.64.
85 Le 13 octobre, Khrouchtchev s’est entretenu avec G. Palewski, à Gagra.
86 AMAE, RFA 1572, Note de P. Baudet (Moscou), 2.12.64.
87 BA, B136/3539, Analysen, Okt./Nov. 1964. – AAPD 1964, Dok. 291.
88 AMAE, RFA 1572, Note du 23.11.64 : entretien Schröder-Spaak.
89 AMAE, RFA 1637, Tél. d'Aumale (Bonn), 16.2.65.
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Légende | « Mon ami Johnson m’a dit de vous dire de dire à votre beau-père que je serai content de l’accueillir à Bonn. »Le chancelier Erhard est pourtant plus offensif que ne le croit ce caricaturiste français. Lorsque le beau-fils de Nikita Khrouchtchev rencontre Ludwig Erhard à Bonn, le chancelier a depuis longtemps transmis une invitation officielle au premier secrétaire soviétique. Dessin de Tim (Louis Mitelberg) dans L’Express, 6 août 1964, p. 9.© Adagp, Paris 2007. |
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