V. Le défi américain
p. 142-186
Texte intégral

Sans titre.
Au moment de la visite du président Kennedy en République fédérale, ce dessin montre l’Allemagne convoitée à la fois par la France et par les États-Unis.
Caricature de Baringou dans France Observateur, 4 juillet 1963, p. 4. © Paul Baringou, Le Mans.
La fin de l’ère Adenauer : l’affrontement franco-américain (1963)
Kennedy impose un choix à Bonn
1Le traité de l’Élysée exaspère les Américains. Le président Kennedy voit menacée l’alliance transatlantique par la politique indépendantiste du général de Gaulle. Les Américains soupçonnent, à tort, le traité franco-allemand de contenir un paragraphe secret sur la coopération nucléaire. En outre, la Maison Blanche est effarouchée par un faux rapport du service d’espionnage britannique, disant que de Gaulle négocierait un pacte secret avec Moscou et envisagerait de sortir l’Allemagne et la France de l’OTAN.
2Dès le 21 janvier 1963 – déjà quatre jours avant l’arrivée du document britannique – les Américains font savoir ce qu’ils vont imposer à Bonn : un choix entre Washington et Paris. Un article du New York Times, inspiré par le président Kennedy lui-même, exige ce choix la veille de la signature du traité franco-allemand. Le 23 janvier, face à l’ambassadeur allemand, Kennedy se réfère explicitement à cet article, et l’ambassade américaine à Bonn tient le lendemain un langage identique1. Ensuite, la politique allemande de Washington s’acharne sur cette ligne.
3Quelques heures avant la discussion finale sur l’adhésion britannique au Marché commun, le 29 janvier à Bruxelles, les Américains demandent à Schröder de choisir, ce jour-là, entre l’unité atlantique et une coopération étroite avec la France2. Le ministre allemand, en accord avec le futur chancelier Erhard, déterminera la politique étrangère future de la RFA. Ainsi, l’ère post-Adenauer s’ouvre sur la décision de Schröder et d’Erhard en faveur des Anglo-Américains et contre la France. Aucun des deux hommes ne mettra en cause ce choix fondamental qui leur est imposé le 29 janvier 1963. Les Américains félicitent Schröder d’avoir pris la bonne décision à Bruxelles, mais Kennedy insiste encore par la suite. Les Allemands doivent comprendre, signale-t-il le 31 janvier, qu’il est impossible de jouer sur les deux tableaux à la fois. Une semaine plus tard, il précise encore : « les Allemands sont confrontés au choix de travailler avec les Français ou de travailler avec nous3 ». Le résultat de cette exigence imposée à la République fédérale s’exprimera par le préambule ajouté au traité de l’Élysée. Pour la classe politique allemande il est clair qu’en cas de doute, Bonn doit se ranger aux côtés de Washington et non aux côtés de Paris. Mais le fait que la Maison Blanche demande à la RFA de faire un choix entre des relations étroites avec la France et la coopération avec les États-Unis – pays qui font cependant tous partie du camp occidental et de l’OTAN – est une affaire grave et lourde de conséquences.
4Envers la France, la tactique de la Maison Blanche est différente. Lors d’une réunion secrète, le 25 janvier, Kennedy exige que les intérêts américains soient défendus avec dureté et froideur. Écoutant les propos du président, un participant note : « Vis-à-vis de De Gaulle, la position officielle : correcte, formelle. Position officieuse : le discréditer en lançant des ragots dans la presse, donner de lui l’image d’un homme brutal, sournois, démodé, faillible, symbole de fascisme4. » De toute évidence, ces consignes sont appliquées ensuite par les ambassades américaines en Europe5. Pour la réunion de Bruxelles, il s’agit de créer un front commun des cinq autres membres du Marché commun contre la France. Cette intrusion ayant réussi, les diplomates américains continuent à soutenir, par tous les moyens possibles, ceux qui s’opposent à de Gaulle. Ils estiment que la France veut détruire le concept d’un partenariat atlantique. Comme Washington interprète de façon trop pessimiste les intentions du général de Gaulle, les États-Unis portent une grande responsabilité dans cette crise franco-américaine qui ne va pas se terminer avant longtemps6.
5Vers la mi-février, l’ambassadeur américain à Paris modifie son jugement. Charles Bohlen écrira désormais que la politique gaullienne n’essaie pas délibérément d’éliminer l’influence et la présence américaines sur le continent. La CIA comprend aussi que de Gaulle n’a pas l’intention de prendre une initiative d’intérêt majeur avec Khrouchtchev. Néanmoins, la politique américaine persiste. La Maison Blanche entend résister au « nationalisme compétitif et destructeur » propagé par de Gaulle7. Elle freine aussi les ventes de matériels de guerre à la France, notamment celles d’appareils pouvant servir à la force nucléaire.
6Officiellement, Washington se veut conciliant envers de Gaulle et dès fin février 1963, John Kennedy signale qu’il souhaite reprendre le dialogue avec la France. En avril, Dean Rusk annonce à Couve de Murville que les États-Unis fourniront désormais des bombes atomiques aux Forces françaises en Allemagne (ces armes, sous double clé américaine, seront retirées en 1966). La diplomatie internationale observe alors un rapprochement franco-américain. En mai, lorsque le président Kennedy reçoit le ministre français des Affaires étrangères, il constate : « Nous nous créons entre nous des occasions de disputes qui ne correspondent à aucune réalité et nous donnons l’impression à nos ennemis, complètement à tort, que nous sommes profondément divisés8. »
7Cependant, les Américains n’ont pas abandonné leur opposition à l’esprit du traité franco-allemand. Ils feignent plutôt de faire croire qu’il n’y a jamais eu d’ennui. Dean Rusk, mis au pied du mur par Couve de Murville début octobre, rejette toute perspective d’un choix allemand entre Paris et Washington. Le sous-secrétaire Bail, encore plus hypocrite, prétend qu’une idée pareille n’a jamais été encouragée par les responsables américains9. En même temps, l’ambassadeur McGhee déclare, à Düsseldorf, que les États-Unis se sont félicités de la conclusion du traité franco-allemand : « Si cet accord n’avait pas été réalisé, les États-Unis auraient entrepris des démarches à Paris et à Bonn pour le faire aboutir10. » Un mensonge pur et simple ! Le seul Américain à avouer, aux Français, une partie de ses vraies pensées, semble être le président Kennedy. Il déplore notamment que Paris donne au traité de l’Élysée un caractère d’exclusivité et à tout discours un aspect anti-américain11 Quelques semaines avant son assassinat, Kennedy résume la situation en disant que la stratégie gaullienne a forcément besoin d’une certaine tension avec les États-Unis. Par ailleurs, la volonté d’indépendance française est sans doute contraire aux intérêts américains, et, de ce fait, inacceptable pour Washington. Les Allemands, qui avaient cherché la coopération étroite avec la France tout en voulant maintenir l’assistance américaine, se retrouvent alors entre deux chaises.
8En République fédérale, les réactions au choix imposé par les États-Unis diffèrent sensiblement. Le chancelier Adenauer juge le traité de l’Élysée parfaitement compatible avec l’unité occidentale. Gerhard Schröder, après avoir lu le message américain qui l’incite à choisir Washington au lieu de Paris, se dit à cent pour cent d’accord avec les Américains.
9Karl Knappstein, ambassadeur à Washington, souligne aussitôt après la signature du traité que les intérêts vitaux de la RFA sont plus proches des États-Unis que de la France. Le 5 février, Karl Carstens prend une position plus nuancée, refusant le choix que Dean Acheson essaie de lui imposer. Six semaines plus tard, à Washington, Heinrich von Brentano se montre assez soumis aux Américains et se soucie peu de l’irritation française12.
10L’orientation de Ludwig Erhard, plus furieux encore que Schröder après le veto français contre l’Angleterre, paraît évidente. Lorsqu’il s’impose comme candidat à la chancellerie, Washington s’en félicite : « Le professeur Erhard est un homme de bonne volonté. Sur beaucoup de plans, il travaillera facilement avec nous. [...] Les rapports entre une France gaulliste et une République fédérale gouvernée par Erhard ne seront pas faciles13. » Il reste encore quelques doutes quant à la fermeté du futur chancelier. Pour cette raison, Schröder incite les Américains à ne donner aucun prétexte aux hommes d’Adenauer, qui essaieront d’empêcher une trop grande intimité germano-américaine14.
11Le vieux chancelier allemand, bien qu’en perte rapide de puissance politique, souhaite exercer son influence jusqu’en octobre 1963 et au-delà. Auprès des Américains, il plaide la cause de la France et critique le manque de consultation à l’intérieur de l’OTAN. Adenauer juge compatible la politique gaullienne avec la sienne, mais il ne la partage pas. Il confie à Karl Carstens, le 8 juin : « Nous assurer du soutien américain et britannique est pour nous une question de vie ou de mort. Par conséquent, dans des questions importantes, nous devons dévier de la politique suivie par la France15. » De nombreux comptes rendus montrent d’ailleurs que le général de Gaulle est conscient de cette divergence de position entre lui et le chancelier.
12« J’ai confiance en Kennedy, mais non en tous ses conseillers », écrit Adenauer en août 196316. Il partage donc la méfiance française envers l’Amérique, mais à un moindre degré. De plus, et c’est un point clé, Adenauer est contrarié par la volonté américaine de s’éterniser en Europe. Il désapprouve clairement la perspective, exprimée par Washington, d’une domination américaine durant les décennies à venir. Selon Adenauer, l’hégémonie des États-Unis en Europe occidentale a vécu17. On ne s’étonnera donc pas que, depuis la signature du traité de l’Élysée, les sympathies américaines pour le vieux chancelier aient quelque peu diminué.
13Les Français s’indignent de voir les Allemands « s’aplatir » devant les Américains. Hervé Alphand, ambassadeur français à Washington, note le 6 mars 1963 que les alliés européens, en dehors d’Adenauer, se comportent comme des valets18. Déception et colère se manifestent alors. Lorsque Couve de Murville séjourne à Washington, en mai, les Américains remarquent avec suffisance « le ton presque anti-allemand » de la délégation française. Le général de Gaulle, pour sa part, ne se fait aucune illusion sur l’avenir : « Après Adenauer », prédit-il à Maurice Faure, « se succéderont des chanceliers qui, à tour de rôle, feront preuve d’un haut degré de faiblesse19. »
14Selon les mémoires de Maurice Couve de Murville20, la crise franco-américaine de 1963 touche le fond des choses et, de ce fait, est plus grave que toutes les autres crises des années suivantes, y compris le retrait français de l’OTAN. Le problème posé est en effet fondamental et à long terme. Il s’agit de combattre, du point de vue français, une Europe gouvernée par les États-Unis. « Les Européens doivent préférer l’Europe à l’Amérique, que diable ! », s’exclame de Gaulle21. Il affirme vouloir réformer l’OTAN et non pas la casser. Ainsi Couve de Murville signale-t-il à Kennedy que l’Alliance atlantique demeure nécessaire, même si l’appui américain en Europe, sans disparaître complètement, diminuera22. Au cours de l’année 1963 pourtant, l’influence américaine se renforce.
15Concernant l’Allemagne, Paris prend une attitude plutôt passive et Washington revient assez vite au calme d’antan. Le général de Gaulle et John Kennedy ne se rencontreront d’ailleurs plus jamais. En juin, lors du voyage en Europe du président américain, une rencontre est sur le point d’aboutir. Kennedy laisse entendre qu’il aimerait bien s’arrêter en France ; de Gaulle prépare alors un télégramme d’invitation, mais sans l’envoyer23. En octobre 1963, une visite du président français aux États-Unis est prévue pour mars 1964. Elle est annulée à la suite de l’assassinat de John Kennedy.
16Quelques semaines avant cet événement tragique, Couve de Murville aborde directement la rivalité, sinon clandestine, de la France et des États-Unis sur la RFA. Informé par des Allemands, le ministre se plaint auprès de l’ambassadeur Bohlen puis directement auprès du gouvernement américain : les États-Unis, avance-t-il, visent à ce que Bonn choisisse entre Paris et Washington et soutiennent une propagande, niée officiellement, contre la France et la coopération franco-allemande. On a déjà vu la réaction hypocrite des Américains. Couve de Murville fait aussi savoir à son homologue allemand, par une lettre personnelle, que la France rejette « l’absurdité » d’un choix imposé à Bonn entre l’amitié des États-Unis et celle de la France24. Mais sans doute Paris sous-entend que l’Allemagne devrait naturellement préférer la France à l’Amérique, « que diable ! »
L’armé américaine : la force multilatérale
17« La force multilatérale était un projet ridicule. Quand on parlait de MLF, il s’agissait toujours d’armes américaines sous contrôle américain. » C’est le verdict de Pierre Messmer, à l’époque ministre français des Armées25. Et pourtant, après la signature du traité de l’Élysée, la Multilateral Force (MLF) devient l’arme suprême des Américains contre l’indépendance européenne, « l’antidote principal contre de Gaulle26 ».
18C’est à l’administration Eisenhower en 1960 que remonte l’idée d’une MLF, qui devrait prendre la forme d’une flotte de navires ou de sous-marins, dotée de missiles nucléaires. L’équipage de cette flotte se composerait d’hommes de différents pays membres de l’OTAN et serait placé sous le commandement de l’OTAN. Comme on a vu, l’Allemagne et la France prennent, le 14 janvier 1963, des décisions opposées quant à la MLF, redevenue d’actualité au sommet américano-britannique de Nassau en décembre 1962. Fin janvier 1963, le gouvernement américain ne sait pas encore où il veut en venir avec cette idée de MLF. Le président Kennedy en particulier est fort conscient des faiblesses de ce projet. À de nombreuses reprises, il émet des doutes sur l’attrait et l’honnêteté du projet qui, après tout, n’est qu’un « faux-semblant » (a fake) monté pour séduire les Allemands27. Le général de Gaulle dira exactement la même chose. En effet, Washington n’envisage nullement de faire participer d’autres nations au contrôle nucléaire, et certainement pas l’Allemagne28.
19Quelle stratégie pousse les Américains à poursuivre ce projet dérisoire, et à envoyer, selon l’expression utilisée par Kennedy, des « missionnaires » de la MLF en Europe ? Tout d’abord, il s’agit de lier l’Europe aux États-Unis et d’isoler de Gaulle. Les Américains en prennent l’initiative pour restreindre la coopération franco-allemande. Ils comptent offrir quelque chose – qui reste vague – aux Européens pour exercer ensuite une pression, menaçant de reprendre ce cadeau. Une fois le préambule au traité franco-allemand décidé et la menace gaullienne repoussée, le sens de la MLF se présente différemment. Par l’intermédiaire de la force multilatérale, les Américains entendent désormais combattre la renaissance du nationalisme en Europe, cause de deux guerres mondiales29. La force nucléaire française, arme purement nationale, est perçue comme une menace à la paix. Washington a peur de laisser la République fédérale dans un état de discrimination vis-à-vis de la France. Sans permettre l’accès allemand au nucléaire, la MLF devrait afficher une égalité virtuelle.
20Au printemps 1963, les réserves envers la MLF avancées par Londres accentuent encore le malaise du président Kennedy, qui redoute une coopération nucléaire franco-britannique. À la mi-juin, il adopte la position que lui recommande son conseiller Bundy : laisser tomber la MLF, sans le dire ouvertement30. Kennedy ne veut pas nucléariser l’Allemagne, même pas en apparence. Les Soviétiques le prendraient très mal. Pour les mois à venir, la Maison Blanche compte donner à Adenauer le rôle du vendeur de la MLF. De cette façon, le gouvernement américain ne perdra pas la face au moment de l’échec de la force multilatérale.
21Officiellement, la France n’a aucune objection contre la participation allemande à la MLF, seule possibilité pour Bonn d’acquérir un droit de codécision sur le plan nucléaire. Mais derrière les portes fermées, le ton est différent. Le 7 avril, Couve de Murville reproche à Dean Rusk de donner à l’Allemagne l’appétit pour le nucléaire et de poursuivre la MLF dans le but d’isoler et de faire reculer la France. Il a bien compris les arrière-pensées américaines. Ensuite, Couve de Murville met en garde son homologue allemand contre l’hypocrisie de la force multilatérale. Même Adenauer, qui a accepté la MLF « avec empressement » et sans en discuter avec Paris, n’est pas exempt de la critique française31.
22Pour contrer le projet américain Couve de Murville émet l’idée d’une force atomique européenne. Face à Kennedy et lors d’une interview avec la télévision allemande, fin juin, il déclare que la force nucléaire de la France pourrait bien devenir l’arme de l’Europe, dès qu’une autorité politique européenne sera établie. Déjà au mois de février, le quotidien allemand Bild a diffusé cette idée sous le titre excessif « L’OTAN est superflue – informations sensationnelles venant de Paris ». Selon ce journal, de Gaulle souhaiterait un véritable partenariat nucléaire avec l’Allemagne, mais il est certain que le Bild a été mal informé, car de Gaulle, en réalité, se montre de plus en plus réticent à entrer en guerre en cas d’agression contre l’Allemagne32.
23Les Allemands accueillent positivement l’idée de la MLF. Chez certains, cette attitude peut provenir d’une méconnaissance, un peu naïve, des vraies intentions américaines. À la suite de la visite de George Bail, à la mi-janvier, Bonn paraît prendre très au sérieux la promesse d’un vrai partage nucléaire. Gerhard Schröder estime nécessaire de doter la Bundeswehr (l’armée allemande) d’armes nucléaires, sinon cela inciterait les Soviétiques à attaquer ce front faible. En février, l’Auszuärtiges Amt étudie en effet les possibilités d’atteindre, par la MLF, une égalité nucléaire avec la France33. Le ministre allemand de la Défense, Kai-Uwe von Hassel, est lui aussi favorable à l’accès de son pays au nucléaire. Fin février, il explique habilement aux Américains qu’un véritable partage atomique engendrerait même l’adhésion française à la MLF. En réponse, le président Kennedy fait encore de fausses promesses : en cas de coopération militaire étroite avec les États-Unis, l’Allemagne pourra participer à la responsabilité nucléaire de l’Alliance34.
24Au cours du premier semestre 1963, Konrad Adenauer et John Kennedy échangent un bon nombre de lettres au sujet de la MLF. Le 4 avril, le chancelier laisse entendre que l’apparence d’une participation nucléaire serait déjà suffisante, pour l’opinion publique allemande. Entre-temps, Bonn s’est rendu compte que les États-Unis n’envisagent pas de vrai partage nucléaire. Les Allemands tiennent néanmoins à la réalisation de la MLF. Gerhard Schröder avance désormais, au lieu de raisons militaires, des motifs psychologiques et politiques : il faut démontrer l’unité de l’Alliance atlantique. Finalement, les Américains ont l’impression que Bonn soutient la MLF seulement pour faire plaisir à Washington et non par intérêt véritable35. Cette insouciance allemande surprend et inquiète les Américains. Mais, sans aucun doute, leur tactique a marché – la MLF a contribué à la scission entre Paris et Bonn.
25Si Adenauer et Schröder se prononcent, tous les deux, en faveur de la force multilatérale, ils se distinguent quant à l’appréciation de l’arme nucléaire française, la force de frappe. Schröder la voit comme une gêne à l’intérieur de l’Alliance, une tentation dangereuse qui opposerait la République fédérale aux États-Unis et la soumettrait à Paris36. Le chancelier, en revanche, encourage de Gaulle à pousser son programme nucléaire, qui servira à protéger l’Europe occidentale contre les Soviétiques. Auprès d’un journaliste critique, Adenauer remarque, à titre confidentiel : « Si de Gaulle réussit à mettre sur pied sa force de frappe, alors laissez-le faire. Il ne l’utilisera jamais contre l’Occident37. » Le chancelier, après des années de réticence envers l’arme nucléaire française, n’y voit plus d’inconvénient. Il tient probablement à réconforter la France, déçue par l’Allemagne.
26En fin de compte, la politique nucléaire du général de Gaulle n’est pas forcément un moyen adapté pour sauver la paix. Selon John Kennedy et Dean Rusk, la stratégie française est stupide et fait preuve d’un manque de compréhension quant à la nature d’une guerre atomique. On ne peut pas, à leur avis, forcer les États-Unis à entrer dans une guerre européenne par le lancement d’une bombe française contre les Soviétiques. Cette idée, il est vrai, fait partie de la stratégie gaullienne. Et cela embarrasse terriblement les Américains. Ils sont également scandalisés de voir le général de Gaulle adopter une stratégie qui risquerait la destruction totale de la France38. Du point de vue français, la question se pose différemment. La force de frappe doit élever la France au rang d’une grande puissance, garantir son indépendance vis-à-vis des États-Unis, en temps de paix, et dissuader l’URSS en menaçant de lui « arracher un bras ».
Washington rétablit l’emprise sur l’Allemagne
27La coopération stratégique entre la France et la RFA se détériore au cours de l’année 1963. En janvier, le traité de l’Élysée a prévu un rapprochement des conceptions militaires. À la demande de Bonn, le général de Gaulle a consenti à la stratégie de l’avant, ce qui implique le stationnement de troupes françaises dans la partie orientale de la RFA. Mais la République fédérale souhaite essentiellement approfondir son intégration dans l’Alliance atlantique, et la France se dirige dans la direction contraire. En juin, Paris annonce le retrait de sa flotte atlantique du commandement de l’OTAN. Une pénible surprise pour les Allemands. Adenauer cherche en vain à dépeindre les effets négatifs d’une désintégration de l’OTAN, notamment l’isolement militaire de la France et de l’Allemagne, et peut-être la renaissance d’un nationalisme nuisible. Le général de Gaulle reste ferme : un jour, rétorque-t-il, la soumission systématique au commandement américain deviendra insupportable même pour la RFA39.
28La consultation préalable, inscrite dans le traité franco-allemand, semble lettre morte. Bonn n’est pas consulté avant le retrait de la flotte atlantique française, et Paris est informé après coup de l’accord von Hassel-McNamara. Les deux ministres ont conclu, le 2 août, des conventions germano-américaines portant sur la logistique militaire, la recherche et la production d’un char. Une fois que le Quai d’Orsay apprend toute l’étendue du projet, à la mi-septembre, il le juge incompatible avec l’esprit du traité de l’Élysée40. Selon Paris, les concessions allemandes dépassent de loin les devoirs de compensation envers les États-Unis. Les Américains dépensent environ 3 milliards de marks par an pour leurs troupes en Allemagne, et entendent récupérer ce montant sous forme de ventes militaires. La standardisation de la logistique prévue par l’accord du 2 août affecte également des installations de l’OTAN en France. Le général de Gaulle donne alors pour ordre « d’accueillir avec le sourire et non sans désinvolture les explications » et de n’entrer dans aucune conversation sur cette affaire de logistique41. Les excuses d’Adenauer et d’un secrétaire d’État, proche du ministre von Hassel, ne changent rien au fait que la France et l’Allemagne poursuivent des politiques profondément divergentes envers les États-Unis.
29Le succès éclatant de la visite de Kennedy en République fédérale, du 23 au 26 juin 1963, éclipse le voyage du général de Gaulle de l’année précédente. Des foules en liesse accueillent le président américain partout. À Berlin, il déclenche un enthousiasme sans limite. Kennedy séduit les Allemands à la fois par son charme, sa fermeté politique et ses discours bien nuancés. Même de Gaulle reconnaît que Kennedy « ne manque pas de panache42 ». Notons aussi qu’à Bonn, le président américain félicite le Bundestag d’avoir ajouté un préambule au traité de l’Élysée43. Le but du voyage est certainement atteint : rétablir l’emprise américaine sur la République fédérale et approfondir l’alliance des deux pays au moment de la transition d’Adenauer à Erhard44.
30Quelques semaines plus tard, la nouvelle d’un accord entre Kennedy et Khrouchtchev ternit pourtant l’enthousiasme des politiciens allemands. Les États-Unis, l’URSS et la Grande-Bretagne signent, le 5 août, un traité sur l’arrêt des tests nucléaires dans l’atmosphère et dans la mer. Non sans embarras, la RFA le signe quelques semaines plus tard, de même que l’Allemagne de l’Est. Bonn devine l’intention des deux superpuissances de s’entendre sur le statu quo et la division de l’Allemagne. Pour Kennedy, il s’agit également d’un accord tacite avec Moscou pour bloquer l’accès de la RFA et de la Chine au nucléaire45. Par ailleurs, ce traité a été réclamé par douze résolutions onusiennes et des scientifiques du monde entier, qui dénonçaient la contamination de l’environnement par des substances radioactives.
31En septembre 1963, les relations transatlantiques suscitent quelques inquiétudes à Bonn. Les colonnes qui soutiennent l’Alliance atlantique disparaissent une à une, se plaint Karl Carstens. Cependant au moment de la retraite du chancelier Adenauer, à la mi-octobre 1963, les adeptes d’une alliance étroite avec la France ont perdu beaucoup de leur force. Les Américains ont calculé juste. Dès qu’Adenauer sera parti, ont-ils estimé en avril 1963, l’influence européenne du général de Gaulle sera réduite et son pouvoir limité à la France46.
Erhard et Schröder face à la France : la confrontation ouverte (1963-1966)
Tensions franco-allemandes et éclat en juillet 1964
32Konrad Adenauer n’est pas le seul à quitter la scène internationale à l’automne 1963. Presqu’en même temps, le Premier ministre britannique Macmillan démissionne, suite à un scandale politique (l’affaire Profumo). La Grande-Bretagne se range encore davantage du côté des États-Unis47. Le 22 novembre 1963, le président Kennedy est assassiné et Lyndon B. Johnson, jusqu’alors vice-président, prend sa place. D’un coup, de Gaulle perd trois interlocuteurs pour qui il éprouvait, malgré les divergences politiques, une certaine estime, voire de l’amitié, dans le cas d’Adenauer.
33Le président français se rend aussitôt à Washington pour assister aux funérailles de John Kennedy. « C’est une tragédie ! », lance-t-il à l’arrivée. Le lendemain, le général de Gaulle marche dans le cortège conduit par Jacqueline Kennedy. Après la cérémonie, elle le reçoit et lui offre une marguerite blanche en signe de remerciement. Tandis que le général est touché par le comportement de la veuve, il l’est moins par celui de Lyndon Johnson. Après « l’envolée » de la politique de Kennedy, ce « cow-boy radical » fera retomber le niveau, confie de Gaulle à Peyrefitte. Le général a rencontré le nouveau président pendant vingt minutes seulement mais la rupture est déjà achevée. Johnson a prématurément annoncé à la presse que de Gaulle aurait accepté de se rendre aux États-Unis en 1964. Charles de Gaulle décide de « donner une leçon à ce type-là » et l’incite à venir d’abord à Paris48. Les deux hommes n’arriveront jamais à s’entendre sur cette question de protocole et ne se parleront qu’une seule fois encore, pendant six minutes, à l’occasion des funérailles d’Adenauer. Évidemment, des deux côtés on ne tient pas beaucoup à se rencontrer. Les styles personnels et surtout les buts nationaux s’opposent.
34Lyndon Johnson est conscient que sa légitimation présidentielle manque d’un atout essentiel jusqu’aux prochaines élections, en automne 1964. Il apporte donc peu de changement à la politique de son prédécesseur. McGeorge Bundy, Robert McNamara et Dean Rusk deviennent ses conseillers les plus proches. Comme le président s’intéresse davantage à l’Asie et au Vietnam, l’Europe passe au second plan. À l’égard de la France, l’administration américaine essaie d’éviter les polémiques ouvertes, sans pour autant renoncer à son opposition fondamentale contre le « nationalisme gaullien ». Washington souhaite démontrer que la querelle avec de Gaulle ne concerne pas la France et les États-Unis, mais plutôt le dirigeant français et ses partenaires européens.
35Le président de Gaulle critique ouvertement les États-Unis, en particulier leur politique au Vietnam. La reconnaissance par la France de la Chine populaire, en janvier 1964, suscite également l’amertume de Washington. Comme la Chine est une réalité politique qui pèse de tout son poids en Asie, explique le général, « l’évidence et la raison » appellent la France au dialogue. Il serait anormal, selon de Gaulle, de ne pas avoir de relations avec le pays le plus peuplé du monde, parce que « son régime ne plaît pas aux Américains ». Quant au Vietnam, de Gaulle se dit persuadé, en novembre 1963, que les États-Unis « vont à la catastrophe ». Une réussite américaine lui semble impossible, malgré leur supériorité militaire49. Or, le président français s’engage en faveur de la neutralisation du Vietnam du Sud.
36Ces deux prises de position, sur la Chine et le Vietnam, sont profondément enracinées dans la vision gaullienne du monde. Elles reflètent les notions des « mains nettes » et de la « parole libre », éléments fondamentaux de l’indépendance nationale. Cette non-dépendance est le fond de toute politique de Charles de Gaulle. Évidemment, cette approche s’oppose directement à la vision des blocs, soutenue par Washington, car dans un système de blocs, le plus faible doit s’aligner sur le plus fort tandis que dans un monde multipolaire, les entités nationales émergent50.
37Les Américains n’apprécient pas du tout cette indocilité. Début 1964, la Maison Blanche ne voit aucun sujet qui puisse être discuté positivement avec de Gaulle. Et rien ne pourrait le faire changer d’attitude, présume l’ambassadeur Bohlen. Les Américains préfèrent par conséquent ne pas prêter trop d’importance à la France tant que le général de Gaulle en est le président. En revanche, le président Johnson compte s’assurer la confiance allemande. À cette fin, il invite le chancelier Erhard dans son ranch au Texas. Du 27 au 29 décembre 1963, les deux hommes y ont de longues conversations et vont à la chasse ensemble. Johnson atteint son but, sans accorder lui-même de concessions, ni politiques, économiques ou militaires : Ludwig Erhard repart enchanté et se considère désormais l’ami personnel du président américain. Mais au fond, sa confiance un peu naïve en Johnson ne correspond pas forcément à l’intérêt de son pays. Certes, Washington se félicite de l’orientation atlantiste du chancelier, entravant les projets gaulliens. « Soyons gentils avec les Allemands » devient le mot d’ordre des Américains, bien que leur comportement se distinguera plutôt par de la dureté à l’égard de Bonn. De l’avis du State Department, Erhard est prêt à donner aux Américains presque tout ce qu’ils veulent. Et puisqu’ils reçoivent déjà tout, ils n’auront plus besoin, à l’avenir, de se donner beaucoup de peine. En réalité, Johnson n’éprouve que peu d’intérêt pour les rapports germano-américains et il ne se comportera pas toujours en ami de Ludwig Erhard51.
38Mais rien ne peut changer le fait que, durant les années 1960, de bonnes relations avec Washington restent vitales pour Bonn. Les liens quasiment indissociables entre la RFA et les États-Unis sont profondément enracinés dans la politique et la conscience allemandes. Dès 1945, la restructuration et la reconstruction de l’Allemagne occidentale se sont faites sous la direction, généralement appréciée, de Washington. Dans tous les domaines, la République fédérale d’Allemagne s’est orientée vers les États-Unis : politique et défense, économie, culture et société. La RFA s’est transformée en la région la plus américanisée de l’Europe occidentale. Pour les Allemands de l’Ouest, l’attachement aux États-Unis représente donc un élément clé de l’identité de l’après-guerre, d’une importance comparable à la Constitution (Grundgesetz) de 194952.
39Les États-Unis considèrent la RFA comme une « pupille », une enfant de la démocratie américaine, intégrée dans une sorte de Commonwealth géré par Washington. Au début des années 1960, le nombre d’Américains vivant en Allemagne dépasse la population de plusieurs états fédéraux américains. Deux tiers des quelque 350 000 soldats américains stationnés en Europe se trouvent en RFA, lieu central de l’influence américaine sur le continent et champ de bataille principal de la Guerre froide en Europe53. Du fait de sa position géographique représentant un point névralgique du conflit Est-Ouest, du fait aussi de son passé malheureux et de son alliance étroite avec les États-Unis, la République fédérale sert de cible directe à toute menace soviétique contre l’Europe occidentale. La RFA constitue donc un maillon essentiel de l’Alliance atlantique, mais en même temps elle dépend plus que ses alliés européens du protecteur américain, ne disposant que d’une souveraineté et d’un armement limités. Par exemple, la Bundeswehr est la seule armée nationale placée complètement sous le commandement de l’OTAN.
40Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le partage de l’Europe en deux blocs opposés se fait cruellement sentir et de façon particulièrement angoissante pour les Allemands – tout d’abord par la division de leur pays. Leur ancienne capitale, divisée elle aussi, est située au-delà du rideau de fer et entourée par le territoire de la RDA. Berlin-Ouest est ainsi devenue la ville la plus vulnérable de l’Occident. En 1948-1949, seul l’appui ferme des États-Unis l’a sauvée de la mainmise soviétique. Cette crise, qui a failli tourner en guerre, a durablement consolidé les liens entre Allemands et Américains. En juin 1953, l’agression soviétique contre les ouvriers Est-Allemands a scandalisé la RFA, impuissante. Trois années plus tard, l’invasion de l’Armée rouge en Hongrie a prouvé qu’une attitude violente persistait chez les successeurs de Staline.
41Le lancement du satellite Spoutnik, en 1957, a démontré la progression inquiétante de la technologie soviétique et ne faisait que renforcer, dans l’esprit des Allemands de l’Ouest, la nécessité absolue de se faire protéger par la machine de guerre sophistiquée des États-Unis. En effet, l’URSS semblait avoir rattrapé l’avantage technologique des Américains et comblé son éventuelle infériorité par un plus grand nombre d’appareils lourds, notamment aux frontières de la RFA. Le lancement d’un nouvel ultimatum contre Berlin-Ouest, par Nikita Khrouchtchev en 1958, a nourri la peur continue d’une guerre sur territoire allemand. Dès août 1961, la construction du Mur de Berlin a encore fait brutalement vivre aux Allemands la division de l’Europe et la réalité de la Guerre froide, plus qu’aux Français par exemple. D’où la perception, à Bonn, d’une constante menace soviétique même après la crise de Cuba en 1962, alors que d’autres capitales occidentales croient cette menace diminuée54.
42Si la nécessité d’une coopération germano-américaine étroite reste donc incontestée, cela n’exclut pas l’émergence de quelques incertitudes en RFA. Depuis que leur technologie permet aux Soviétiques de projeter des missiles jusqu’aux États-Unis, certains politiciens allemands doutent de la fermeté américaine dans la défense de l’Europe, car cela pourrait désormais entraîner la destruction de villes américaines. La réaction de la Maison Blanche à la construction du Mur a également révélé que, pour Washington, le maintien du statu quo entre l’Est et l’Ouest prend la priorité sur la réunification allemande55. Enfin, l’antagonisme entre l’Amérique et la France gaulliste, partenaire européen indispensable, complique l’avancement de la construction européenne, souhaité cependant par la grande majorité des Allemands.
43En 1964, des discussions très vives sur l’attitude à prendre vis-à-vis de Washington et de Paris animent la vie politique à Bonn. Le chancelier Erhard adopte dans une très large mesure la vision américaine. Dans l’intimité, il attribue à de Gaulle la responsabilité de la situation confuse de l’Europe, et dénonce la politique indépendantiste de la France qui mène, à son avis, à l’affaiblissement de l’Occident. Auprès du général, Erhard qualifie de « profession de foi » la confiance de la RFA dans les États-Unis. Le chancelier ne souhaite pas que l’Europe devienne une troisième force, mais il n’entend pas brusquer la France. Adoptant une expression du général de Gaulle, il appelle une mauvaise plaisanterie l’idée de vouloir obliger Bonn à choisir entre Paris et Washington56.
44Le Quai d’Orsay voit positivement les échanges franco-allemands pendant cette période. Les entretiens très francs aident à éviter des malentendus et à mieux comprendre la position de l’autre, notent les services français. Méconnaissant quelque peu la réalité, ils croient que Ludwig Erhard et son entourage sont « nettement bien disposés à notre égard57 ».
45À Bonn, certains fonctionnaires croient désormais que le traité de l’Élysée se révèle bénéfique. Il renforce la position allemande à Washington, et il a poussé le président Kennedy à se rendre en République fédérale, soulignent aussi des diplomates58. Mais le gouvernement allemand n’en tire pas la conclusion, pourtant justifiée, qu’une ligne un peu plus indépendante envers les États-Unis lui serait profitable. Erhard craint au contraire qu’un détachement, même léger, de Washington ne puisse conduire qu’à la subordination de la RFA à la France. En revanche, l’ancien chancelier Adenauer se fait le défenseur acharné de l’amitié franco-allemande. Il croit, encore en juillet 1964, pouvoir convaincre Erhard d’adopter une politique plus favorable à la France. L’opposition sociale-démocrate soutient largement l’orientation atlantiste du gouvernement et exhorte le chancelier à se distancer plus clairement de Paris. L’alignement de la SPD sur Washington semble total. Pour la campagne aux élections de 1965, elle émet le slogan : « Ce qui est bon pour les États-Unis est bon aussi pour nous.59 »
46Les jugements du général de Gaulle sont d’abord modérés. Il accorde quelque temps au nouveau chancelier, peu expérimenté dans les affaires politiques, pour trouver sa place sur la scène internationale60. De Gaulle dit comprendre la situation spéciale de la RFA qui la lie, plus que la France, au protecteur américain ; donc il ne critique pas ouvertement l’orientation atlantiste d’Erhard, au moins pendant les premiers mois. Quant au ministre des Affaires étrangères, de Gaulle ne le ménage pas : « Schröder est l’homme des Anglo-Saxons. C’est le faux témoin type. Il n’a qu’une idée, c’est de me contrer61. »
47Le mécontentement français devient plus fort vers l’été 1964 et éclate après le sommet franco-allemand des 3 et 4 juillet. Du point de vue français, le problème de fond est de savoir si l’Europe, à commencer par l’Allemagne et la France, est capable de pratiquer sa propre politique, autrement dit de ne plus être subordonnée aux États-Unis. En juin 1964, le général de Gaulle perd patience avec les Allemands : « Qu’ils fassent amis-amis avec les Américains, je veux bien. Mais à ce point-là ! Ou alors, qu’ils ne fassent pas un traité avec nous62. » Entre-temps, l’alignement complet du chancelier sur Washington est devenu évident et la coopération franco-allemande reste loin des espoirs initiaux. De Gaulle se rend probablement compte aussi que le chancelier ne l’informe pas de ses initiatives envers Moscou, tandis qu’il discute tout avec les Américains.
48Charles de Gaulle s’envole le 3 juillet pour Bonn dans l’état d’esprit de mettre Erhard au pied du mur. Comme le général s’entretient d’abord avec Adenauer, il fait délibérément attendre le chancelier. Le vrai éclat se produit toutefois le lendemain matin lorsque de Gaulle et Erhard rejoignent la séance plénière après leur tête-à-tête, et que le président français saisit l’occasion pour réaffirmer sa vision devant l’auditoire. Il lance un plaidoyer passionné pour la création d’une Europe unie, fondée sur le couple franco-allemand. De Gaulle dit ne pas être impatient, mais que l’évolution mondiale devra amener la République fédérale à développer une politique différente de celle des États-Unis. « Nous voulons qu’ils soient nos alliés », dit le général à propos des Américains, « mais vous ne pourrez pas indéfiniment confier votre politique aux décisions de Washington63. » En conclusion, de Gaulle exprime son profond souhait de collaborer étroitement avec l’Allemagne. La question fondamentale est dans l’air, à savoir si la RFA est prête à se lier, dans l’avenir, à la coopération franco-allemande et à s’émanciper peu à peu des États-Unis. Après cette intervention fervente, tous les yeux fixent le chancelier… qui reste silencieux. Il ne sait pas quoi dire. Lors du tête-à-tête, il avait essayé de prendre le contre-pied du général. Finalement, Gerhard Schröder rompt le lourd silence par des mots devenus célèbres ensuite : « Continuons avec l’ordre du jour. » L’affront envers le général de Gaulle est terrible. Selon le témoignage de plusieurs participants, « l’irréparable » se produit, et l’amitié franco-allemande se brise à ce moment-là64.
49Déjà épouvantés par le développement de la politique américaine, les gaullistes allemands organisent une fronde contre le chancelier. Le 8 juillet, quatre personnalités influentes du parti CDU/CSU se réunissent pour faire basculer la politique du gouvernement. Mais Konrad Adenauer, Heinrich Krone, Franz Josef Strauss et Josef Dufhues n’envisagent pas la chute de Ludwig Erhard65. Ils ont besoin de lui pour gagner les élections de l’année suivante. Par conséquent, leurs attaques ne restent que des coups d’épingle, incapables de changer l’attitude du chancelier envers la France. En Allemagne, les discussions sur Charles de Gaulle sont fortement imprégnées soit de sympathie soit d’antipathie. Les positions sont prises, Erhard n’y fait pas exception. Il a en outre l’impression que de Gaulle a voulu le forcer à choisir entre Paris et Washington.
50Mais est-ce vraiment la question ? Au fond, oui. Vu l’hostilité américaine envers la voie française, la préférence d’une politique à une autre revient à opter pour Paris ou pour Washington. Les divergences sont profondes : de Gaulle exige que la République fédérale agisse sur des bases véritablement nationales – selon Erhard cela signifierait une « rechute dans le passé66 ». Le chancelier juge indispensable de pousser l’intégration de l’Europe et de l’OTAN pour permettre à l’Allemagne de retrouver sa place. La France prépare une défense indépendante des États-Unis, tandis que pour Bonn, l’exigence de maintenir la protection américaine éclipse toute orientation différente. Alors que de Gaulle voit dans le couple franco-allemand la base de la construction européenne future, Erhard croit que la France veut abuser de cette coopération pour mettre à genoux les autres pays européens.
51Les disputes au sein de la CDU durcissent encore les positions du chancelier. Le 12 juillet à Munich, après s’être heurté à Strauss, il critique publiquement la vision franco-allemande du général de Gaulle. Tant qu’il sera chancelier, proclame Erhard, la politique étrangère de Bonn reposera sur l’alliance étroite avec les États-Unis67.
52La riposte du général de Gaulle ne tarde pas. Lors de sa conférence de presse du 23 juillet, il déplore l’état des relations franco-allemandes et en impute la responsabilité à l’alignement de la RFA sur Washington. Le ton du discours gaullien est inamical, même aux oreilles des gaullistes allemands68. Les tentatives d’Adenauer pour réconcilier Paris et Bonn sont vaines. Dorénavant, Erhard se borne à encourager le rapprochement franco-américain, sans pour autant changer lui-même de position. De Gaulle non plus, bien sûr.
Force multilatérale contre force de frappe
53Le président Kennedy avait espéré que l’idée de la force multilatérale disparaîtrait peu à peu. Lyndon Johnson n’en était pas informé, il ne connaissait pas bien ce dossier. Devenu président, il croit que son prédécesseur s’y était fermement engagé69. La majorité de ses conseillers pousse Johnson à poursuivre le projet, argumentant que la MLF renforcerait la position occidentale vis-à-vis de l’URSS. Mais au centre des préoccupations reste la RFA. Il s’agit de contrecarrer son éventuelle coopération nucléaire avec la France, et surtout de prévenir ses ambitions atomiques nationales. Dans un mémorandum adressé au président, Walt Rostow évoque l’expérience de 1932 où le chancelier Brüning n’avait pas reçu d’appui international pour mettre fin à la discrimination de l’Allemagne, alors la droite avait pu s’emparer du pays70. Le raisonnement de Rostow est le suivant : pour éviter que l’Allemagne tombe à nouveau à la droite, il faut remédier à sa discrimination nucléaire par une solution multilatérale. Lyndon Johnson décide alors, le 6 décembre 1963, que les pourparlers avec les pays intéressés devront se poursuivre. Bien entendu, il n’est jamais question de renoncer au contrôle américain des armes atomiques.
54Johnson pense notamment que tout accès allemand au nucléaire serait dangereux71.
55Une réunion décisive au sujet de la MLF a lieu le 10 avril 1964, à la Maison Blanche. Les arguments en faveur du projet sont restés les mêmes : atténuer la discrimination nucléaire de l’Allemagne, intégrer les forces atomiques française et britannique72. En outre, les conseillers du président croient maintenant que ni le Congrès américain ni de Gaulle ne feront obstacle à la MLF. L’objection principale est que les Soviétiques pourraient réagir très négativement. À nouveau, Johnson suit la majorité et décide en faveur du projet. Il annonce qu’un accord devra être signé avant la fin de l’année. Lors d’une visite d’Erhard à Washington, le 12 juin 1964, cet objectif est déclaré publiquement. C’est alors que se renforce la résistance contre la MLF non seulement aux États-Unis, mais aussi en Union soviétique et en Europe occidentale. Pour faire pression sur la position britannique, réticente elle aussi, la Maison Blanche évoque la possibilité d’une MLF bilatérale, avec les États-Unis et l’Allemagne seulement73.
56En octobre, Ludwig Erhard mentionne publiquement cette idée. Le président américain se distancie alors d’une MLF bilatérale, projet qu’il n’a jamais envisagé sérieusement. Jusqu’en décembre 1964, le président Johnson reste toutefois favorable au projet de force multilatérale. Au cours d’une réunion à Camp David, les 5 et 6 décembre, il change radicalement d’opinion. Les arguments de Mc George Bundy, remis sous forme de mémorandum le soir du 5, incitent le président à sceller le lendemain le sort de la MLF74. Elle ne verra pas le jour. Les raisons en sont l’opposition tant internationale qu’américaine. Johnson tient beaucoup aux bonnes relations avec le Congrès et avec la presse. S’y ajoute une nouvelle perspective de la situation allemande : vu l’opposition des gaullistes allemands, il paraît douteux que la MLF contribue à la stabilisation du gouvernement Erhard. Dès le 7 décembre, lors d’une rencontre avec le nouveau Premier ministre britannique, Harold Wilson, Johnson laisse tomber la MLF. Discrètement, il transmet ce message à la presse. Mais pendant toute une année encore, Washington n’enterre pas officiellement l’idée de force multilatérale, afin d’éviter une coopération plus étroite entre Paris et Bonn75.
57Sur ce fond, la mésentente franco-allemande touche deux questions essentielles. D’abord, l’esprit de la force multilatérale s’oppose directement et volontairement à l’Europe européenne préconisée par de Gaulle. Le gouvernement Erhard se met en contradiction avec la France en s’engageant vigoureusement pour l’option atlantique. De plus en plus, l’Allemagne choisit la MLF sans y être contrainte par les Américains, et, à partir de décembre 1964, même contre la volonté profonde de Washington. Le général de Gaulle ne peut manquer de le constater. La deuxième question n’est pas moins fondamentale : l’accès allemand au nucléaire. Le général de Gaulle y est fermement opposé, comme Washington – ce que les Allemands tardent à comprendre. Une différence réside justement dans le fait que les Américains favorisent, pendant un certain temps, une solution qui dissimule la discrimination nucléaire de l’Allemagne. Selon de Gaulle, en revanche, ce camouflage ne fait qu’accroître les ambitions de Bonn76.
58Du côté de Bonn, trois raisonnements importent dans ce contexte. D’abord, les Allemands souhaitent être consultés avant qu’une guerre nucléaire ne soit déclenchée sur leur territoire. Cette volonté est tout à fait légitime. Elle manifeste le souci naturel des Allemands de préserver leur pays de la destruction totale. En principe, le général de Gaulle devrait bien comprendre cet argument, puisqu’il l’utilise lui-même pour justifier son désengagement de l’OTAN, où seuls les Américains décident. Deuxièmement, un armement nucléaire paraît nécessaire pour une dissuasion efficace. Et troisièmement, l’Allemagne souhaite obtenir un statut d’égalité avec la France et la Grande-Bretagne. La RFA craint de devenir « une nation de troisième ordre » si elle n’obtient pas de responsabilité nucléaire77. La bombe allemande étant interdite par les accords de 1954, Bonn choisit la voie multilatérale pour s’élever à l’intérieur de l’OTAN. Mais ceci, le général de Gaulle ne le permet pas. À son avis, les Allemands doivent admettre les conséquences de leur défaite en 1945 et renoncer définitivement à tout armement nucléaire. Il n’y aura pas d’égalité à cet égard78. Sur ce point fondamental, de Gaulle s’entend aussi avec Moscou. À plusieurs reprises, il souligne que les Soviétiques n’accepteront jamais l’accès allemand au nucléaire. Derrière cet argument se cache aussi la résolution des Français de maintenir leur supériorité nucléaire sur l’Allemagne.
59En 1964 et 1965, ces données se traduisent par de nombreux affrontements entre Paris et Bonn. Encore en février 1964, de Gaulle n’a pas d’objection contre la participation allemande dans la MLF.
60Sans doute pense-t-il, en souhaitant « bonne chance » à Erhard, que ce projet ne se réalisera pas79. Trois semaines après le communiqué Johnson/Erhard de la mi-juin, de Gaulle essaie de semer le trouble chez les Allemands. Le 4 juillet, à Bonn, de Gaulle reçoit le secrétaire d’État Carstens pour un bref entretien. Les deux hommes sont seuls, Carstens n’ayant pas besoin d’interprète. Charles de Gaulle lui demande pourquoi les Allemands souscrivent à la MLF et lance aussitôt : « Vous ne recevrez jamais la bombe des Américains. » Selon le compte rendu établi par Carstens, le général enchaîne : « Pourquoi ne pas vous joindre à nous ? Nous avons la bombe aussi. Chez nous, vous pouvez participer dans une mesure beaucoup plus large80. »
61Les témoins français de l’époque sont convaincus que de Gaulle n’envisageait pas de partager la force de frappe avec la RFA81. Cela serait contraire à toute la philosophie gaullienne. En Allemagne, la parution des mémoires de Horst Osterheld en 1992 a toutefois soulevé une controverse à l’égard de cet entretien Carstens/de Gaulle. Selon Osterheld, la RFA a raté, en juillet 1964, l’occasion historique d’une coopération nucléaire avec la France82.
62Une note de Karl Carstens établie deux jours après l’entretien du 4 juillet 1964 laisse entendre un autre son. Il croit très improbable que les Français proposent un vrai partenariat nucléaire. Le général de Gaulle n’a donc pas suggéré de partage atomique. Néanmoins, la France a signalé qu’elle était prête à discuter de la défense européenne future. Carstens conclut : la RFA ne peut pas s’aliéner Washington sur cette question, mais elle peut essayer de garder l’amitié du général de Gaulle et lui demander des précisions sur ses idées83.
63Erhard ne suit pas ce conseil. Contrairement à Carstens – d’ailleurs considéré comme un atlantiste –, il ne voit aucune marge de manœuvre pour la politique étrangère allemande. Ou bien il n’entend pas utiliser ce petit bout de liberté d’action que la situation internationale semble lui accorder. Auprès de l’ambassadeur américain, le chancelier s’explique : il n’y aura jamais de gouvernement supranational selon la conception européenne de la France, la force de frappe ne pourra par conséquent jamais devenir européenne. Erhard ajoute qu’il ne choisira pas un « petit bang » sous contrôle français au lieu d’un « grand bang » contrôlé par les Américains. Il a donc bien compris de quoi il s’agit, mais cela ne l’intéresse pas.
64Quelques heures avant de parler à Carstens, de Gaulle a tenu au chancelier des propos assez similaires, comme à Franz Josef Strauss déjà quelques mois auparavant84. L’idée du général est de proposer la force de frappe pour la défense de l’Europe, jusqu’à ce qu’il y ait un vrai gouvernement européen. À la grande déception du général, son appât du 4 juillet ne provoque aucun intérêt de la part du gouvernement allemand.
65Vers la mi-septembre 1964, Paris hausse la pression contre la MLF. Opter pour la force multilatérale veut dire prendre position contre la politique nationale de la France, argumente le Quai d’Orsay. Les Allemands constatent le début d’une campagne française contre la MLF. La situation empire lorsqu’on apprend publiquement, le 7 octobre, qu’Erhard favorise la mise sur pied rapide d’une MLF bilatérale, d’abord avec les États-Unis et l’Allemagne seulement. Le chancelier a de bonnes raisons pour se dépêcher. Les négociations multilatérales traînent, elles sont constamment freinées par les Britanniques. Mais un traité de non-prolifération des armes nucléaires, réclamé par l’Assemblée générale de l’ONU, risque de mettre fin au rêve allemand de force multilatérale85.
66En octobre, l’opposition française à la MLF reste encore une affaire de la diplomatie, le 5 novembre elle éclate dans les journaux. Le Premier ministre Pompidou affirme alors devant la presse que la MLF, devenue un projet d’alliance militaire germano-américaine, est incompatible avec la vision française de l’Europe. Des rumeurs courent que la France dénoncerait le traité de l’Élysée ou quitterait l’Alliance atlantique si la MLF voyait le jour. Le général de Gaulle est désormais convaincu que Washington entend, par l’intermédiaire de la MLF, faire échec à la vision française de l’Europe et mettre un terme à la force de frappe nationale. En outre, les indices lui montrent que l’Allemagne veut « s’approcher de l’arme nucléaire, sinon se l’approprier86 ». Il faut agir.
67La pression française est trop forte pour que le gouvernement Erhard puisse garder son cap. Les gaullistes allemands frondent contre la MLF. Le 10 novembre, au retour d’une visite à Paris, Konrad Adenauer amène son parti à se prononcer pour l’ajournement de la MLF87. Erhard et Schröder doivent succomber à l’opposition au sein de leur propre parti. Le traité ne pourra pas être signé, comme prévu, en décembre 1964. La SPD soutient d’ailleurs le projet de MLF. L’opinion publique allemande y est largement indifférente, mais elle est entièrement négative à l’égard de la force de frappe.
68De Gaulle continue son offensive : le 16 novembre, Maurice Schumann, parlementaire et homme de confiance du général, fait de nouvelles avances à Carstens, lors d’une réception à Bonn. « De Gaulle brûle d’envie », dit Schumann, « de discuter l’européanisation de la force de frappe » avec les Allemands88. Le député français fait notamment allusion à l’entrevue du 4 juillet entre Carstens et de Gaulle. Surpris que Schumann en soit au courant, Karl Carstens recommande ensuite à son gouvernement d’ouvrir des discussions avec les Français, pour qu’ils concrétisent leurs idées. Une nouvelle fois, le conseil de Carstens n’est pas suivi. Gerhard Schröder note, en réponse, qu’il ne renoncera pas à la MLF, juste avant la signature du traité, à cause de vagues allusions françaises. Schröder a raison de croire que de Gaulle ne partagera pas sa force de frappe ; mais il se trompe sur la MLF, qui ne verra jamais le jour.
69La campagne française se poursuit. Le 22 novembre, lors d’une allocution prononcée à Strasbourg, de Gaulle exhorte l’Allemagne à s’engager en faveur d’une défense européenne. Mais le chancelier fait encore la sourde oreille. Il croit que de Gaulle cherche seulement de l’aide financière pour une force nucléaire bientôt en faillite, trop chère pour la seule France. La MLF est un bon investissement pour l’argent allemand, croit savoir Erhard, tandis que la force de frappe est un « gouffre89 ». On imagine le réveil pénible au moment où la MLF échoue. Schröder et von Hassel, les ministres clés, partagent l’avis d’Erhard, mais se montrent encore plus que lui hostiles à la voie française. En 1965, c’est surtout Gerhard Schröder qui s’engage encore et maintes fois pour la MLF. Mais en vain.
70La pression française contre la « légion étrangère des États-Unis », la MLF, s’adresse aussi directement à Washington. Le 4 décembre, Couve de Murville en discute longtemps avec l’émissaire américain George Ball, et, le 14 décembre, Charles de Gaulle fait comprendre à Dean Rusk qu’il veut en finir. La France avance deux arguments principaux : la MLF serait considérée par les Allemands comme un premier pas vers l’accès à la responsabilité atomique, évolution qui ne sera pas tolérée par Moscou ; ensuite, si les États-Unis concluent avec l’Allemagne un accord sur la MLF, les autres pays européens n’étant pas intéressés, la structure même de l’OTAN changera et mènera au désastre. L’opposition de Paris ne reste pas sans effet. McGeorge Bundy, qui écrit le mémorandum décisif à Johnson, est largement influencé par le raisonnement français90. Après la rencontre avec Dean Rusk, le général de Gaulle est convaincu que la Maison Blanche laissera tomber la MLF. Il en reçoit la confirmation le 7 janvier 1965 par l’ambassadeur Bohlen. « La MLF est morte, c’est moi qui l’ai tuée », aurait dit de Gaulle. Selon Walt Rostow, l’opposition française a été un facteur déterminant pour que Johnson renonce à ce projet91. Dès janvier 1965, de Gaulle se comporte de façon plus conciliante envers les Allemands qui s’accrochent toujours à la MLF. Il sait qu’il n’y a plus rien à craindre.
71Le Journal intime militaire de Kai-Uwe von Hassel révèle qu’en mai 1965 son homologue français relance l’idée d’une européanisation de la force de frappe. En 10 ou 15 ans, explique Pierre Messmer, la France et l’Allemagne pourront se passer de toute aide pour défendre l’Europe. À ce moment-là, les troupes américaines pourraient quitter l’Allemagne. Bien entendu, le président français garderait pour lui seul les décisions en affaires nucléaires – comme le président américain le fait aussi. Mais au contraire des États-Unis, poursuit Messmer, la France n’aura pas le choix et entrera immédiatement dans une guerre européenne. Il faut donc que la RFA se rallie à la France. En novembre 1965, Messmer revient sur la question : la force de frappe française restera sous commandement national jusqu’au moment où une vraie autorité européenne existera. Ce moment ne sera pas encore atteint en 1970 ou 1980, mais éventuellement en 1990, estime le ministre français. Von Hassel ne se laisse pas tenter par cette perspective92.
72Bonn cherche une vraie participation nucléaire, avec possibilité d’influencer en matière de planification et de politique nucléaire, et de préférence avec possession commune des armes et décision conjointe de leur emploi. Avec la France, ces buts ne paraissent pas réalisables. Malgré les gaullistes allemands qui souhaitent ouvrir des discussions avec Paris, le gouvernement reste ferme. « La question d’une force atomique européenne ne se pose pas à l’heure actuelle », déclare Schröder en janvier 1966. À ce moment-là, les bombes atomiques françaises lui apparaissent plutôt comme une menace. Bonn redoute leur explosion sur le sol allemand en cas d’invasion soviétique93.
Échec de la coopération sur le plan des armements
73Cette divergence en politique nucléaire entrave aussi la fabrication commune d’armes conventionnelles, prévue toutefois par le traité de l’Élysée. Vu l’approche antagoniste en philosophie militaire (force de frappe nationale contre intégration atlantique), la collaboration pratique se révèle difficile. En février 1964, de Gaulle la juge nettement insuffisante. Il souhaite que l’armée française et l’armée allemande emploient les mêmes armes. Erhard rétorque que l’Allemagne est obligée d’acheter davantage d’armements aux Américains, afin de compenser les frais de leur présence militaire. La France devrait être très satisfaite de sa deuxième position, après les États-Unis, de fournisseur de la Bundeswehr, pensent les responsables allemands94.
74En juillet 1964, la position française s’accentue. Pierre Messmer déplore l’absence d’un nouveau projet de coopération militaire et remet en question la stratégie de l’avant, décidée en janvier 1963 : aucune brigade française ne sera donc cantonnée, « comme un enfant perdu », près de la frontière tchécoslovaque en Bavière95. Partageant quelque peu l’impression française, Karl Carstens estime que la RFA s’est liée trop fortement aux États-Unis dans le secteur des armements, et il suggère de renforcer la coopération avec la France96. On comprend pourquoi de Gaulle s’est adressé à lui, le 4 juillet.
75Par la suite, Ludwig Erhard semble en effet prêter main forte à la coopération militaire avec Paris. Mais il fait ses avances plutôt par politesse que par conviction. Les réponses venant de Paris sont moins polies. La coopération dans le domaine militaire est « nulle », s’exclame le directeur politique du Quai d’Orsay face à Gerhard Schröder. Le général de Gaulle s’indigne qu’on se fasse « quelques politesses en se prêtant des champs de tirs » mais que la coopération réelle passe encore entre Allemands et Américains97. L’analyse française paraît pertinente : la France et l’Allemagne ont besoin des mêmes chars et de la même artillerie, tandis que les États-Unis fondent leur défense sur d’autres moyens, des missiles intercontinentaux notamment. Paris et Bonn devraient par conséquent réunir leurs productions d’armement. Sinon l’industrie militaire européenne sera écrasée par celle des Américains. Le président de l’Union de l’Industrie allemande, lui aussi, exige que la coopération militaire avec la France soit intensifiée98. Mais le gouvernement allemand craint les difficultés qu’entraînerait cette démarche, et renvoie aux devoirs financiers envers les États-Unis.
76Ce facteur est en effet capital. L’obligation allemande d’acheter du matériel militaire américain pour 700 millions de dollars par an implique l’option définitive pour Washington. Cela correspond certainement à la tactique des Américains, et non seulement à leurs besoins financiers. Notons, entre parenthèses, que le Japon, dans une situation comparable, ne paie rien pour la présence des troupes américaines.
77À partir de 1965, Paris se résigne à la situation. Les services français se bornent à constater que la coopération militaire franco-allemande reste limitée à des secteurs secondaires. Les objectifs de défense des deux pays étant « totalement différents », il ne peut y avoir de vrais points de convergence dans des secteurs fondamentaux99. La seule réalisation d’une certaine importance reste la construction en commun d’un avion de transport, le Transall. Néanmoins, selon les obligations du traité de l’Élysée, Pierre Messmer continue de rencontrer son homologue allemand quatre fois par an. Il décrit ces visites ainsi : « [...] nous évitions de refaire le tour des problèmes insolubles, pour ne pas nous aigrir inutilement ; bref, nous nagions dans les banalités et, pour tuer le temps, pratiquions le tourisme militaire100. »
78Avec l’automne 1966 de nombreux politiciens allemands souhaitent renforcer la coopération militaire avec la France. Cependant, les contraintes restent les mêmes. Le renouvellement du matériel de la Bundeswehr doit forcément se faire aux États-Unis. Un autre problème structurel se pose, selon les analystes allemands : « La défense de la France est française, elle est indivisible101. » Par conséquent, coopérer militairement avec la France veut dire s’assujettir à sa conception.
La sortie de l’OTAN et les forces françaises en Allemagne
79Le 7 mars 1966, le président Johnson reçoit une lettre manuscrite de la part du général de Gaulle. La France reste dans l’Alliance atlantique, y est-il écrit, mais elle cesse de participer aux commandements intégrés et elle ne mettra plus ses forces à la disposition de l’OTAN. Deux semaines auparavant, lors d’une conférence de presse, de Gaulle a blâmé l’OTAN de ne plus correspondre aux besoins du temps, critique déjà bien connue de sa part102. Le général craint de devoir suivre les États-Unis dans une guerre qui n’est pas la sienne, au Vietnam. Par conséquent, il dissocie l’armée française des structures dirigées par les Américains. Mais au fond il s’agit d’autre chose encore. La France s’est dotée d’une puissance nucléaire indépendante et entend garder le pouvoir entier sur ses armes. À cette fin, explique Pierre Messmer, il fallait sortir la France du commandement intégré de l’OTAN103.
80La décision de mars 1966 ne tombe pas du ciel. En 1959, de Gaulle a retiré la flotte méditerranéenne de la structure de l’OTAN ; en 1963, la flotte de l’Atlantique. Dès le lendemain de la crise de Cuba, de Gaulle a sévèrement critiqué la nouvelle stratégie américaine de riposte graduée. Deux conceptions se sont opposées depuis : les Américains comptent adapter la riposte au degré d’une agression soviétique éventuelle, de Gaulle défend le principe d’un recours immédiat aux armes nucléaires pour que la dissuasion soit effective. En mars 1966, de Gaulle tire aussi les conséquences de l’échec du tripartisme, proposé d’abord au président Eisenhower en septembre 1958. Cet essai d’associer la France à la direction du monde libre, aux côtés des États-Unis et de la Grande-Bretagne, n’a jamais trouvé l’appui américain. La décision française de se retirer de l’OTAN n’est pas directement liée aux relations avec Bonn. Bien au contraire, l’Allemagne joue un rôle décisif dans le fait que le général veuille rester membre de l’Alliance atlantique. Seulement, de cette manière, la France pourra continuer à exercer un contrôle sur l’Allemagne104. L’objet principal de la querelle entre Paris et Bonn, après l’annonce de mars 1966, concerne en effet le statut des Forces françaises en Allemagne.
Surprise annoncée
81Depuis 1963 au moins, les Américains sont conscients que de Gaulle fait une différence entre l’Alliance atlantique, qu’il soutient, et l’organisation militaire de l’Alliance (l’OTAN), qu’il critique. En décembre 1964, de Gaulle menace explicitement auprès de l’ambassadeur américain, de quitter l’OTAN. Washington comprend l’intention gaullienne au plus tard au printemps 1965. À la suite d’un entretien avec de Gaulle, le 4 mai, Charles Bohlen rapporte que la France quittera l’organisation intégrée avant 1969. Trois semaines plus tard, une « source » française secrète révèle le calendrier : dès après sa réélection en décembre 1965, de Gaulle se retirera de l’OTAN. Le 5 mai 1965, les États-Unis commencent à préparer l’organisation future sans la France. La « source » continue à informer les Américains des intentions les plus intimes du général de Gaulle105. Ainsi le président Johnson connaît, quatre jours avant le 7 mars 1966, le brouillon qui inspire la lettre du président français.
82En effet, la « source » est un haut fonctionnaire du Quai d’Orsay : il s’agit de Jean de la Grandville, chef du service des Pactes. Selon le témoignage de Francis Bator, alors conseiller du président Johnson, l’espion croit servir les intérêts de la France, menacés par la politique erronée du général de Gaulle. Des sentiments de frustration ne sont pas rares au Quai d’Orsay, confirme également Hervé Alphand. En 2001, Pierre Messmer soupçonne qu’il y avait « plusieurs taupes » au ministère des Affaires étrangères, hostiles à la politique du général, et il a raison106.
83Cet état des choses montre que Charles de Gaulle ne domine pas son gouvernement aussi bien que l’on pourrait croire. Des opinions divergentes existent, secrètement surtout. Seul le conseiller Jean Laloy semble afficher ouvertement son hostilité à la décision de mars 1966. Il a déjà perdu, deux ans plus tôt, sa fonction de directeur politique adjoint au Quai d’Orsay à cause de sa dissidence d’opinion avec de Gaulle. Laloy est très attaché à l’alliance atlantique et pense que le bloc occidental doit fermement tenir tête au communisme, idéologie qu’il déteste profondément. D’un point de vue gaulliste, la politique audacieuse et indépendante du général peut susciter des craintes et des allergies, notamment chez des fonctionnaires habitués à se subordonner aux désirs de Washington. Maurice Couve de Murville, pour sa part, se montre parfaitement fidèle à de Gaulle.
84À la Maison Blanche, le message français provoque de vives discussions. Charles de Gaulle demande aux Américains de retirer du territoire français, jusqu’au 1er avril 1967, tout le personnel et les installations appartenant à l’OTAN. Les « faucons », auxquels appartient l’ambassadeur Bohlen, souhaitent dénoncer publiquement l’action du général. Les « colombes », en majorité, jugent inutile de s’opposer à lui. Pendant deux mois, jusqu’à début mai 1966, les deux camps rivalisent sur la politique à suivre. Si la France devient neutre, se demandent les conseillers américains, comment rattacher l’Allemagne au monde occidental ? Washington cherche, encore, des remèdes à la discrimination nucléaire de la République fédérale. Par ailleurs, les conseillers présidentiels doutent que de Gaulle puisse sérieusement détourner l’Europe des États-Unis, aussi préfèrent-ils garder une porte ouverte pour que la France retrouve, un jour, sa place au sein de l’OTAN. D’autant plus que Paris dépend toujours du système de radar américain (NADGE). « La force de frappe est sourde, muette et aveugle sans notre aide », estime Walt Rostow107.
85Le 4 mai, Johnson décide en faveur des « colombes ». Il donne l’ordre de ne pas mettre en question la décision française et de s’engager plutôt pour l’unification de l’Europe. Johnson s’explique : « Quand quelqu’un vous demande de quitter sa maison, vous ne discutez pas : vous prenez votre chapeau et vous partez108. » En même temps, les États-Unis entendent renforcer les liens avec l’Europe par la coopération technologique. Il s’agit aussi de chercher un nouveau partenaire pour l’Allemagne, désormais seule en Europe. Washington ne tarde pas à lui trouver le fiancé idéal : Londres.
86Les Allemands, en principe, connaissent également les intentions françaises. Dès le 3 juillet 1964, Couve de Murville a dévoilé à Schröder la position française sur l’OTAN : « sortir de l’intégration et reprendre le commandement de nos forces. » Cette révélation a certainement effrayé les Allemands et contribué à durcir leur attitude à l’occasion de ce sommet peu harmonieux. Le 20 janvier 1965, Charles de Gaulle confirme à Erhard que la France restera dans l’Alliance mais sortira du commandement intégré. Puis, le 31 mai 1965, Robert McNamara informe von Hassel que la France quittera l’OTAN début 1966109. Bonn est clairement conscient de l’attitude française envers l’intégration militaire, mais se voit confronté à un problème « insoluble110 ». Pour les Allemands, l’efficacité militaire de l’Alliance se fonde sur l’intégration. La politique française, qui consiste à miner le principe de l’intégration, menace donc directement la sécurité allemande. La RFA craint également de tomber dans un statut discriminatoire si les autres pays sortaient de l’intégration et si elle seule devait y rester. Selon des rumeurs, la France poursuivrait ce but. Faute de remède au problème, Bonn essaie de garder la France dans une sorte de coexistence avec l’OTAN.
87Le 12 novembre 1965, Maurice Couve de Murville avertit Gerhard Schröder que la France posera le problème de l’organisation atlantique l’an prochain. Von Hassel est toutefois assuré par Messmer, le 15 novembre 1965 et de nouveau le 7 février 1966, que la France ne prendra aucune initiative à cet égard sans consulter au préalable la RFA111. D’où, en partie, la frustration allemande faisant suite à la décision unilatérale du général de Gaulle. La conférence de presse du 21 février n’apprend, en substance, « rien de nouveau » aux Allemands. Néanmoins, elle déclenche en RFA une vive discussion au sujet de l’Alliance atlantique. Le 23 février, l’attaché de presse du Quai d’Orsay indique aux journalistes que les Forces françaises en Allemagne (FFA) seront retirées du commandement de l’OTAN en 1969, date de l’expiration du pacte atlantique112. Cela correspond encore au ton de la conférence de presse, où de Gaulle a annoncé un changement progressif.
88Tout bascule le lendemain, 24 février. Dans une note adressée à Couve de Murville et à Georges Pompidou, le général trace une ligne beaucoup plus rapide : dénonciation des conventions multilatérales de l’OTAN avant le 1er mars 1966 – le délai de mise en œuvre étant d’un an – et notification immédiate aux alliés que Paris retire les FFA du commandement de l’OTAN113. Les délibérations du gouvernement français à ce sujet, pourtant ultrasecrètes, sont transmises le 25 février à l’ambassade allemande par le directeur des Affaires politiques au Quai d’Orsay, Jacques de Beaumarchais114. Il annonce notamment que la France va quitter le plus tôt possible le commandement de l’OTAN et qu’elle entend maintenir les FFA sur le sol allemand. Paris cherchera un règlement sur la base des accords de 1954 et entrera en pourparlers assez rapidement avec l’Allemagne à ce sujet. Bonn reçoit ainsi des informations strictement confidentielles et très sensibles.
89Se pose aussi la question de savoir pourquoi de Gaulle précipite la sortie de la France de l’OTAN. Probablement veut-il classer l’affaire avant les élections de mars 1967. Une majorité atlantiste au sein du parlement pourrait tout remettre en question.
90Le 25 février 1966, quelques heures avant l’arrivée du message secret, le chancelier Erhard tient une conférence de presse. Il désapprouve, de façon assez sobre, les paroles du général de Gaulle au sujet de l’OTAN. Selon Erhard, les FFA devront quitter l’Allemagne si la France se retire du commandement intégré. Mais cette question n’est pas d’actualité, souligne le chancelier. Il comprendra son erreur aussitôt après. La nouvelle ligne française se confirme le 2 mars par Pierre de Leusse, ambassadeur de France auprès de l’OTAN. Il annonce officieusement que son pays entreprendra, autour du 15 mars, des démarches pour sortir de l’intégration militaire. Entre-temps l’Auswärtiges Amt établit les premières études pour éclaircir le statut des FFA. Le 9 mars, Ludwig Erhard reçoit lui aussi une lettre de l’Élysée. De Gaulle y reprend les propos déjà transmis au président américain deux jours auparavant et ajoute : « En tout cas, cela ne change rien d’essentiel aux rapports entre la France et l’Allemagne115. »
91Le chancelier ne partage nullement cette opinion. Pour lui, la sortie française de l’OTAN modifie les données. Mais il se borne, pour le moment, à observer l’opposition entre Paris et Washington plutôt que de se mettre en avant. La situation pourrait peut-être servir ensuite à éliminer les restes du statut d’occupation et à avancer vers une responsabilité nucléaire116. L’ambassadeur Klaiber apprend de Couve de Murville, le 10 mars, que les FFA peuvent rester en Allemagne, si la RFA le désire. Les deux pays – et seulement eux – devraient alors s’entendre sur le nouveau règlement. Le ministre signale aussi que les troupes françaises à Berlin y demeureront dans tous les cas. Le ton reste encore amical, la discussion semble possible. Un aide-mémoire français du lendemain, remis à tous les pays membres de l’OTAN, ne mentionne pas encore de délai.
92En République fédérale, comme partout dans le monde, le retrait français de l’OTAN a l’effet d’un choc. Le général de Gaulle commente : « Les gens sont toujours surpris de voir que d’autres font ce qu’ils ont dit qu’ils feraient117. » Au nom du gouvernement, Schröder tient devant le Bundestag un discours très dur envers la France. Le ministre est fortement applaudi, par son propre parti et par les sociaux-démocrates. Il reproche à la France de remettre en cause l’ensemble de la politique allemande, et présente les accords conclus en 1954 comme « un tout indissociable ». La République fédérale ne souscrit pas à l’affirmation gaullienne que la menace soviétique a diminué, déclare Schröder, et l’OTAN reste le garant essentiel de la paix.
93Quant à la nécessité de l’OTAN et de l’intégration militaire, les Allemands sont unanimes. Ils le sont moins concernant l’attitude à prendre vis-à-vis de la France. Schröder et von Hassel, appuyés par le chancelier, imposent une politique de confrontation. Malgré les avertissements très concrets du Quai d’Orsay, qui cherche à jouer les conciliateurs, Bonn n’entend pas ouvrir un dialogue bilatéral avec Paris. Ludwig Erhard met explicitement en garde contre une position allemande en dehors de la ligne officielle de l’OTAN118. Les gaullistes allemands, dont Franz Josef Strauss, s’indignent en vain. Schröder et von Hassel sont prêts à s’accommoder du départ des troupes françaises : si, en cas de guerre, les FFA ne sont pas sans ambiguïté du côté allemand, il vaut mieux les faire partir. La lettre du général de Gaulle à Johnson a éveillé leurs soupçons. Le général y écrit que la France combattra aux côtés de ses alliés au cas où l’un d’entre eux sera « l’objet d’une agression qui n’aurait pas été provoquée ». Mais qu’est-ce qu’une agression provoquée ? Les Allemands comprennent très justement que de Gaulle veut se garder la décision ultime119. Leur désir de clarifier ce point vital paraît légitime. En outre, les « faucons » de Washington soutiennent activement la ligne dure de Schröder. John McCloy notamment, conseiller présidentiel, prétend que la Maison Blanche souhaite le départ des FFA du sol allemand. D’autres représentants américains se prononcent de façon plus prudente. Mais la décision de Johnson, à la mi-avril, d’envoyer McCloy à Bonn, semble confirmer la victoire des « faucons ».
« Schröder risque la rupture totale avec la France »
94Le 29 mars, Paris concrétise ses décisions. Sous forme d’un mémorandum remis aux pays membres de l’OTAN, la France annonce que l’affectation de ses troupes au commandement de l’OTAN prendra fin le 1er juillet 1966. Cela concerne essentiellement les 72 000 soldats stationnés en Allemagne. De plus, on l’a déjà mentionné, toute institution intégrée dans l’OTAN devra quitter le sol français avant le 1er avril 1967. Le ton du mémorandum est mordant, constate avec regret l’ambassade française à Bonn. Dans toute cette affaire, il est difficile de saisir les vraies pensées du général de Gaulle, peu partagées par son entourage. Concernant les FFA, de Gaulle paraît ambivalent. Il dit à Hervé Alphand, le 31 mars, qu’elles demeurent en Allemagne si Bonn le souhaite, mais que « nous ne sommes pas demandeurs » ; les unités françaises à Berlin resteront en tout cas, elles pourront être « aisément ravitaillées, même si nous n’avons plus de contingents en Allemagne120 ». L’ambassadeur allemand à Paris, Klaiber, se dit convaincu que de Gaulle est prêt à retirer les FFA.
95Dans ce contexte se tient le 6 avril une séance décisive à Bonn. Schröder, qui, lors des absences répétées du chancelier, mène le jeu, fait revenir Erhard de vacances et réunit les ministres. Heinrich Krone prévoit ce qui va venir : « Schröder risque la rupture totale avec la France121. » En effet le ministre des Affaires étrangères croit le moment venu de tenir tête à de Gaulle, « politicien le plus dur, le plus lucide et le plus froid du monde122 ». Schröder a préparé une résolution qu’il soumet alors au Cabinet.
96Derrière ce texte se cache une longue étude, ignorée des autres ministres, qui exprime les idées suivantes : déçu du traité de l’Élysée, de Gaulle cherche à se subordonner la RFA en prenant ses distances vis-à-vis de Washington et en s’approchant de Moscou ; puisque Paris veut garder ses troupes en Allemagne – de Beaumarchais l’avait révélé – il faut en tirer profit politiquement et militairement ; si, faute d’un nouvel accord, les FFA doivent partir, les relations franco-allemandes en souffriront, mais Paris ne dénoncera pas forcément le traité de l’Élysée123. Tout cela n’est pas dit ouvertement. Pourtant, les ministres présents saisissent très bien l’idée de Schröder et, à la surprise du chancelier, ils se révoltent. La grande majorité du Cabinet demande une attitude plus conciliante et des négociations ouvertes avec Paris. Erhard, indigné, se range du côté de Schröder et de von Hassel. Selon eux, reconduire la présence des FFA sur la base des traités de 1954 – ce que de Gaulle réclame – signifierait renouer avec un statut d’occupation.
97Malgré la forte opposition du Cabinet, Schröder poursuit sa ligne intransigeante. L’émissaire John McCloy le soutient passionnément. « De Gaulle a déclaré la guerre à l’OTAN et veut la détruire », fulmine l’Américain124. Les deux hommes ont vite trouvé l’élément primordial de la bataille contre la France : les FFA. Ou bien un nouveau statut, avantageux pour Bonn, est signé avant le 1er juillet, ou bien elles restent intégrées au-delà de cette date. Sinon elles doivent quitter l’Allemagne. Dans cet état d’esprit, Schröder expose à Couve de Murville les clauses pour un maintien des FFA. « Vous n’avez pas du tout compris », réplique le ministre français, « vous ne pouvez pas dicter les conditions125 ». Ni l’un ni l’autre ne veut être demandeur. Schröder trouve injuste qu’il incombe à l’Allemagne d’instaurer un nouveau règlement, alors que c’est la France qui a décidé de sortir de l’ancien système. Cela paraît raisonnable à première vue. Mais la vraie question est de savoir si l’Allemagne peut revendiquer un traitement d’égal à égal. Schröder l’affirme. Le général de Gaulle est convaincu du contraire : « Nous sommes en Allemagne à la suite de la victoire126. » Voilà la dissension fondamentale.
98En fin de compte, la position de Schröder se révèle trop faible. Il s’aliène son propre parti. Le ton juridique et provocateur de la note allemande du 3 mai, réponse au mémorandum français du 29 mars, est vivement critiqué au sein de la CDU/CSU. Même des atlantistes convaincus, Kurt Birrenbach notamment, blâment le gouvernement de repousser les Français et de ne pas tenir compte de l’opinion du parti, qui souhaite le maintien des FFA. Kai-Uwe von Hassel, fidèle adepte auparavant de la ligne dure, trouve « psychologiquement faux » et « exagéré dans ses exigences » le projet de note que Schröder lui fait soumettre127. Ce texte prévoit toute une série de contrôles allemands sur les FFA. Adenauer, Krone, Barzel, Heck, von Guttenberg et Strauss se battent à tout prix contre le chancelier mal aimé et contre le départ des troupes françaises. Ils craignent l’écroulement de tout ce qui a été construit entre les deux peuples. L’armée allemande s’engage, elle aussi, pour le maintien des FFA, afin de garder l’accès au Hinterland français128.
99Entre-temps, la réponse à la note du 3 mai est arrivée de Paris : d’un ton cinglant, le gouvernement français informe qu’il est prêt à retirer ses troupes. Schröder veut poser à la France un ultimatum : retrait des FFA ou signature d’un nouvel accord. Mais les États-Unis et la Grande-Bretagne ne suivent pas. Au contraire, ils laissent entendre qu’ils préfèrent le maintien des Forces françaises en Allemagne129. La RFA risque alors de s’isoler complètement et de devenir extrêmement vulnérable. 15 000 soldats américains viennent d’être transférés de l’Allemagne au Vietnam, et Londres envisage de réduire ses contingents. Si les troupes françaises partent, l’Allemagne donnera l’impression d’être abandonnée.
100Assailli de tous côtés, Erhard bascule finalement. Le 25 mai, devant le Bundestag, il exprime solennellement son souhait, clair et non équivoque, de garder les troupes françaises en République fédérale : pour Paris, cette affirmation est le tournant de l’affaire. L’Américain Rusk conseille au chancelier allemand de ne pas mener une politique anti-française et de rétablir de bonnes relations avec de Gaulle. La veille, Rusk et Couve de Murville ont trouvé un compromis concernant les pourparlers entre la France et l’OTAN. Erhard n’a pas le choix. Tout en admirant la fermeté de Schröder, il se rend compte que son ministre sous-estime les forces en faveur de la France130.
101À la suite de la déclaration allemande du 25 mai, Paris est d’accord pour négocier avec Bonn le statut des FFA. Le général de Gaulle a personnellement désigné Jacques de Beaumarchais (!) pour représenter la France dans ces discussions, dont la première a lieu le 13 juin. Parallèlement, des négociations officielles entre la France et les quatorze pays de l’OTAN commencent. Elles aboutiront, le 22 août 1967, à l’accord Ailleret-Lemnitzer131. Ce traité accordera à Paris l’indépendance des FFA, mais les placera sous les ordres de l’OTAN en cas de bataille. C’est le prix du maintien des FFA, Bonn exigeant un minimum de compatibilité entre la France et l’OTAN.
102Dès le départ, la diplomatie française s’est montrée prête à payer ce prix – Couve de Murville l’a déjà signalé aux Allemands le 10 mars 1966132. Mais il se peut que Paris ait sous-estimé la réaction initiale du chancelier. Début mai 1966, le Quai d’Orsay note que la possibilité d’un échec plane sur la question des FFA. De Gaulle remarque : « Finalement, après tous les conflits du monde, vient toujours un moment où chacun rentre chez soi133. » Un mois plus tard, après avoir appris que Washington souhaite le maintien des FFA, le général indique cependant que les troupes françaises pourront même rester en Allemagne si Bonn ne le souhaite pas. L’avis favorable des Américains est-il donc plus important que celui des Allemands ?
103En RFA, Gerhard Schröder essaie encore de s’imposer. Au fond, il est convaincu que le prestige du général de Gaulle ne permettrait pas le retrait des FFA, car l’opinion publique française y verrait une défaite. Schröder compte profiter de cette occasion et le 6 juillet exhorte le Cabinet à rester ferme vis-à-vis de Paris. Mais le ministre ne sera plus écouté. La veille de la visite du général de Gaulle à Bonn, au Conseil des ministres du 20 juillet, Schröder et Krone s’affrontent plus violemment que jamais. Le chancelier soutient Krone.
104Le lendemain, le sommet franco-allemand se déroule dans une atmosphère volontairement chaleureuse. Le voyage du général en URSS, fin juin, capte toute l’attention. Quant aux FFA, on minimise la portée du sujet. Gerhard Schröder voit ses efforts anéantis. Charles de Gaulle affirme que la France entrera en guerre aux côtés de ses alliés en cas d’attaque : « La France le dit, et cela suffit134. » Aucune garantie écrite ne sera donnée. Le général enchaîne que la France, « touchée » par le désir des Allemands de garder les FFA, y consent, sur la base des accords de 1954. Les quelques questions concernant les drapeaux, les immeubles et la liberté de mouvement des FFA seront aisément réglées, dit de Gaulle. Le chancelier de manière un peu théâtrale appelle la France « partenaire loyal et fidèle ». L’affaire des FFA est réglée, en faveur de Paris. De Gaulle concède, néanmoins, à respecter la « souveraineté » de l’Allemagne, ce qui sera repris dans le texte de l’accord. Donc, la présence des unités françaises sur le territoire allemand dépendra officiellement de l’accord de Bonn.
105Le maintien des Forces françaises en Allemagne est confirmé par un échange de lettres, le 21 décembre 1966, entre Willy Brandt et François Seydoux. Contrairement à ce que Couve de Murville prétend dans ses mémoires, ce délai, de juillet à décembre, ne semble pas provenir d’une mauvaise volonté allemande. Les documents suggèrent plutôt que le général de Gaulle aurait préféré, avec la chute imminente d’Erhard, conclure cet accord avec le nouveau gouvernement, plus francophile135.
La Grande coalition et Paris : différend voilé sur le rôle américain (1966-1969)
106Lorsque Kurt Kiesinger devient chancelier, le 1er décembre 1966, non seulement les relations franco-allemandes, mais aussi les rapports entre Bonn et Washington sont sérieusement compromis. L’attitude condescendante des Américains envers le chancelier Erhard, lors de son voyage à Washington fin septembre, y a largement contribué. À cela s’est ajouté le discours de Johnson du 7 octobre, qui a révélé à Bonn toute l’étendue des divergences germano-américaines, en particulier sur la réunification allemande et les relations avec l’URSS136.
107Même les sociaux-démocrates s’expriment désormais avec sévérité sur la ligne atlantiste du gouvernement sortant. Ils critiquent le fait que l’Allemagne n’a retiré aucun bénéfice de ses grands engagements vis-à-vis de Washington. Rappelons, cependant, que la SPD elle-même s’est faite, jusqu’à l’automne 1966, le fervent défenseur de l’amitié transatlantique. L’échec de la MLF et la guerre du Vietnam, de plus en plus critiquée par les Allemands, ont joué leur rôle pour renverser le climat des rapports137. Dans ces circonstances, le renforcement des relations franco-allemandes s’imposait. Mais la tâche de Kiesinger est délicate car les méthodes du général de Gaulle « avaient énervé l’opinion allemande138 ».
108Le nouveau chancelier prend soin d’éviter les affrontements avec Paris au sujet de Washington, sachant bien que, depuis la signature du traité de l’Élysée, les divergences à cet égard se sont encore accrues du fait de l’évolution opposée de la France et de la RFA. Pendant le gouvernement Kiesinger, la controverse franco-allemande sur le rôle américain en Europe se joue plutôt indirectement, à travers la question de l’adhésion britannique au Marché commun (cf. le chapitre viii).
Kurt Kiesinger diplomate et habile
109Dès la première rencontre avec le nouveau gouvernement allemand, Charles de Gaulle fait valoir son vœu le plus cher : chaque nation doit être elle-même – dépendre des États-Unis serait conduire une mauvaise politique et faire étouffer l’Europe sous l’hégémonie américaine. Kurt Kiesinger, adroit, répond que l’Allemagne, pour des raisons de sécurité, est moins libre de ses actes que la France. Mais en principe, affirme le chancelier, la République fédérale souhaite mener, de concert avec la France, une politique européenne et non américaine. Les conseillers du chancelier lui ont recommandé de suivre cette formule. Elle dissimule le fait que l’Allemagne ne souhaite pas réduire l’influence américaine139.
110Toutefois, les sentiments personnels du chancelier envers les États-Unis sont plutôt mitigés. À New York, la presse l’a traité d’« Ex-Nazi » au lendemain de son élection. Une allocution de Kiesinger, le 27 février 1967, va directement au fond du problème entre les deux pays. Le chancelier critique le manque de consultation au sein de l’Alliance atlantique et se demande publiquement si les intérêts américains correspondent toujours aux intérêts européens140. Charles de Gaulle doit se réjouir de lire ces propos dans les journaux.
111Le reproche allemand concerne surtout la façon dont les États-Unis entendent dicter le traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Bonn craint, non sans raison, une complicité soviéto-américaine au détriment de la République fédérale. En outre, de l’avis des Allemands, le traité à signer ne devra ni interdire à l’Europe future de posséder des armes nucléaires ni empêcher la RFA de produire de l’énergie atomique. Le ton allemand au sujet de la non-prolifération est devenu « dur » et rappelle la fin de l’ère Adenauer aux Américains141. Le partenaire junior de la Grande coalition, la SPD, prend une position plus souple dans cette affaire mais ne sait pas s’imposer. En avril, le Cabinet allemand ajourne la décision quant à l’adhésion au TNP.
112Le décès de Konrad Adenauer, le 19 avril, incite le président Johnson à se déplacer en Allemagne quelques jours plus tard. Sa rencontre avec le chancelier, après les obsèques, se révèle décisive poulies rapports futurs. D’abord, Johnson a été réticent à mener des entretiens politiques à cette occasion. Il arbore aussi une animosité personnelle envers Kiesinger, qu’il a qualifié de dandy. L’entrevue du 26 avril rompt finalement la glace. Les relations entre les deux hommes, approfondies lors de la visite du chancelier à Washington, en août 1967, sont désormais plus confiantes. Malgré quelques agacements dus au rapprochement franco-allemand, l’état d’esprit américain envers une certaine émancipation de l’Allemagne n’est plus le même qu’au temps de Kennedy. Une prise de responsabilité de l’Europe paraît désormais souhaitable, d’autant plus que le continent ne vise pas à se détacher de l’Amérique142. Lyndon Johnson veut s’occuper du Vietnam et non des problèmes européens.
113Dans ces circonstances et par des négociations assidues, Bonn obtient satisfaction de Washington dans de nombreux domaines. Le traité de non-prolifération n’interdira pas à une Europe unie de détenir des armes nucléaires, et l’Allemagne pourra aussi se lancer, sous contrôle de l’Agence atomique internationale, dans la recherche et l’utilisation civile du nucléaire. Le TNP est signé le 1er juillet 1968 par les États-Unis, l’URSS et la Grande-Bretagne – la République fédérale ne signera qu’après l’élection de Brandt à la chancellerie, à l’automne 1969. Pour donner une suite à la plainte de Kiesinger de février 1967, Washington améliore l’information des alliés au sein du Groupe des plans nucléaires de l’OTAN. Robert McNamara avait proposé la création de ce comité, en mai 1965, pour atténuer l’échec de la force multilatérale. Alors que Paris n’y participe pas, Bonn accède désormais à des informations sensibles, par exemple aux plans d’emploi des fusées américaines en Allemagne.
114Concernant le coût des soldats américains et britanniques stationnés en RFA, Washington, Londres et Bonn se mettent d’accord, le 28 avril 1967, sur une nouvelle formule de paiement. Elle prévoit, d’une part, une collaboration financière étroite, outre les achats d’armements. D’autre part, le retrait des troupes américaines se limitera à une proportion acceptable pour Bonn. En quelques mois, Kiesinger a su régler les problèmes germano-américains que lui avait laissés son prédécesseur. Le chancelier n’aura plus jamais l’impression que les Américains ne le consultent pas143. Au lieu d’accepter, comme Erhard, toutes les positions américaines, Kiesinger est plus habile à tirer profit des liens avec la France. Dès que Bonn se rapproche de Paris, son poids international augmente et le point de vue allemand est considéré avec plus de sérieux par la Maison Blanche. Le résultat des négociations germano-américaines montre aussi que la voie du dialogue, choisie par Kiesinger, est probablement plus avantageuse que le silence obstiné pratiqué par de Gaulle.
115La rencontre du général avec Johnson, lors des funérailles d’Adenauer, en est l’exemple parfait. Les deux hommes ne parlent que de formalités144. Ils s’invitent mutuellement à se rendre visite, mais ni l’un ni l’autre ne veut être le premier à se déplacer. Ce silence franco-américain, du moins au plus haut niveau, est mutuel. Selon le témoignage de Sargent Shriver, Charles de Gaulle n’accepte jamais de discuter, sur un pied d’égalité, avec les ambassadeurs américains. Et les États-Unis, passifs, veulent attendre le départ du général de Gaulle pour reprendre les discussions145.
116Paris continue à défier Washington sur le plan financier et économique, mais surtout par rapport à la guerre du Vietnam. Fortement critiques dès le début du conflit, les discours du président français ont pris, entre-temps, une nouvelle dimension. Dans le monde entier retentissent les paroles du général de Gaulle pour la paix en Asie et pour une neutralisation du Vietnam. Le 1er septembre 1966, de Gaulle a parlé à Phnom Penh devant 100 000 Cambodgiens enthousiastes. Il a exhorté les Américains à renoncer à leur expédition au Vietnam, « sans bénéfice et sans justification », et de « laisser les peuples disposer à leur façon de leur propre destin146 ». Selon les journalistes présents, le discours était empreint d’un esprit nettement anti-américain. La guerre du Vietnam apparaît ainsi comme l’obstacle principal à la détente mondiale, et le général de Gaulle en attribue, publiquement, la responsabilité aux Américains147.
117Au cours de l’année 1967, le fossé entre Paris et Washington s’élargit encore. Mais le fameux « Vive le Québec libre ! », lancé par de Gaulle le 24 juillet lors de sa visite au Canada, ne contrarie pas seulement le monde anglophone. Même Maurice Couve de Murville estime que le général a prononcé un mot de trop. L’opinion publique française réagit également. Jusqu’en 1966, elle apporte un très large soutien à la politique étrangère du général de Gaulle. Puis, la sortie de l’OTAN laisse perplexe une majorité de Français. Un revirement assez net de l’opinion a ensuite lieu en été 1967, à la suite du voyage au Québec et du conflit israélo-arabe. Dès lors, la désapprobation de la politique étrangère gaullienne ne cesse de monter. Et de moins en moins de Français croient possible une politique réellement indépendante148.
118À plusieurs reprises, de Gaulle essaie de convaincre le chancelier allemand de sa vision du monde. Le 25 avril 1967, le général expose à Kiesinger que la raison d’être de l’Europe réside dans une position commune envers Washington. Il appartient aux Allemands et aux Français de faire ce pas décisif, dit de Gaulle, les autres pays européens étant secondaires149.
119La position de Kiesinger semble au président français plus ouverte qu’elle ne l’est en réalité. Le général de Gaulle parle positivement du chancelier mais redoute que la pression américaine le fasse fléchir. Avant la réunion franco-allemande des 12 et 13 juillet, Kiesinger affiche finalement sa position. La situation de l’Allemagne ne lui permet pas de se dissocier de la protection américaine, fait-il savoir à l’ambassadeur Seydoux. Lors d’une interview publique, Kiesinger affirme ensuite qu’il n’entend nullement resserrer les liens avec Paris pour se détacher de Washington ; ce serait une « pure absurdité »150.
120En visite à Bonn, le général évoque à nouveau la « domination américaine ». Cette fois-ci, le chancelier le contredit : si les Américains se retirent, l’Europe occidentale devra se plier à la volonté de Moscou151. Les deux hommes divergent profondément sur l’appréciation de la menace soviétique. Par conséquent, la présence américaine est rassurante pour l’un et dégradante pour l’autre. Rencontrant l’ambassadeur McGhee peu après, Kurt Kiesinger exagère la franchise de ses propres paroles : il aurait incité de Gaulle à modérer son langage vis-à-vis des Américains, si la France tenait à ses bonnes relations avec l’Allemagne152. Le chancelier se révèle être un bon conciliateur mais qui change de langage selon l’interlocuteur. Il se place ainsi à l’opposé direct du général de Gaulle qui s’exprime d’une façon toujours cohérente même si elle est parfois peu délicate. Par ailleurs, l’invasion de la Tchécoslovaquie par les pays du Pacte de Varsovie, en août 1968, va montrer que l’appréciation française de la politique soviétique se distingue peut-être par trop d’optimisme.
121Aucun indice ne permet de croire que Kiesinger ait envisagé, début 1967, de se rallier à la position française. Le chancelier souhaitait plutôt augmenter la liberté d’action de l’Allemagne. Échanger sa dépendance de Washington contre une dépendance de Paris n’était pas du tout l’objectif de Kiesinger. Les documents établis à la chancellerie pendant cette période le prouvent. Kiesinger voulait gagner le soutien du général de Gaulle mais non adopter sa politique.
La coopération militaire s’essouffle
122Après sa sortie du commandement intégré de l’OTAN, la France reste membre de l’Alliance atlantique et continue à participer à la plupart des réunions de l’OTAN, mais elle est écartée des réunions dites intégrées, destinées à l’élaboration d’une politique ou d’une stratégie communes. Par conséquent, l’OTAN devient libre alors d’approuver le nouveau concept de la riposte graduée, combattu par la France depuis des années. Cette décision, prise le 9 mai 1967, représente un succès politique des Américains qui affirment leur leadership et mettent fin aux désaccords de stratégie. Les Allemands, craignant l’utilisation d’armes atomiques tactiques sur leur territoire, devraient naturellement opter pour une stratégie de dissuasion plus totale. Ils s’inclinent toutefois devant la volonté de Washington. Egon Bahr, conseiller intime de Brandt, mentionne dans ce contexte que la position américaine dans l’OTAN est vraiment aussi dominante que la France l’affirme153.
123En décembre 1966, le ministre belge des Affaires étrangères, Pierre Harmel, est chargé de présider une étude sur les futures tâches de l’Alliance. Il s’agit notamment d’élaborer des propositions pour le désarmement et la sécurité en Europe. Le plan Harmel reflète les idées de détente exprimées publiquement par le président Johnson, le 7 octobre 1966. Par la suite, Kiesinger et Brandt s’engageront pour que le plan Harmel aboutisse à des propositions acceptables pour la France.
124Le chancelier affirme à plusieurs reprises qu’il n’a pas de choix à faire entre la France et les États-Unis. Selon lui, l’Allemagne a des intérêts communs avec ces deux pays, qui représentent des aspects différents d’une même politique. Mais le statut français au sein de l’Alliance atlantique reste pour Bonn un souci. Les Allemands craignent que la France se retire complètement de l’Alliance atlantique en 1969, date de l’expiration du traité. Généralement, les milieux politiques à Bonn croient que la France, devenue indépendante, restera cependant dans l’Alliance. Sinon, l’OTAN sera confrontée à de grands problèmes.
125En matière de défense, la coopération franco-allemande semble s’essouffler faute de nouveaux points d’application. Paris explique ce fait par les restrictions financières allemandes. L’élan initial de Kiesinger pour l’amitié franco-allemande n’a pas effacé les obligations de Bonn envers Washington et Londres. Les stratégies choisies, riposte massive et riposte graduée respectivement, sont inconciliables154. Les Allemands font aussi valoir que leurs achats d’armements à la France dépassent de loin les acquisitions en sens inverse, dû au fait que la France dépense une grande partie du budget pour l’armement nucléaire. Seulement au début de l’année 1969 les militaires allemands manifestent un souci visible d’intensifier les contacts avec leurs collègues français et de proposer des projets communs155.
126La Grande coalition réussit néanmoins, dans le domaine de la défense, une nouvelle initiative franco-allemande. En janvier 1967, Willy Brandt propose la création d’une Commission d’étude sur les problèmes de la sécurité européenne et de la défense de l’Europe dans les années 1970. Ce comité devra comprendre de hautes personnalités françaises et allemandes, militaires et civiles. Tandis que Brandt entend pousser le projet au-delà des limites de l’OTAN, le chancelier se range plutôt du côté des Américains, très réticents156. Dans ce contexte, Willy Brandt évoque l’idée d’une disparition des alliances dans le cadre d’un règlement européen. Mais à Paris, l’entourage de Brandt, qui est à l’origine de ce projet, donne lieu à des soupçons. On peut donc imaginer quelques réserves françaises.
127Néanmoins, la Commission voit le jour et se réunit régulièrement dès janvier 1968, sous les auspices des ministres des Affaires étrangères et des Armées. Les sujets étudiés touchent à des matières très vastes, par exemple les perspectives du conflit sino-soviétique, les bases de la paix en Europe ou bien les plans militaires français et allemands à long terme157. Les résumés de ces réunions manifestent une grande confiance entre Français et Allemands. Cependant, les idées « hérétiques » d’Egon Bahr n’y trouvent pas un large accès. Ce qui est regrettable pour Paris, puisqu’une petite équipe autour de Bahr les développera toute seule et Brandt les mettra en pratique sans la France, après son élection à la chancellerie.
Reprise du dialogue franco-américain
128Début 1968, les sociaux-démocrates allemands lancent un appel en faveur d’un arrêt des bombardements au Vietnam du Nord. Willy Brandt se déclare convaincu qu’il n’y aura pas de solution militaire à cette guerre. Depuis deux ans au moins, des manifestations contre la guerre du Vietnam ont régulièrement lieu en République fédérale.
129Lors d’un tête-à-tête en février 1968, Charles de Gaulle incite Kiesinger, resté prudent dans cette affaire, à se désolidariser de Washington. La guerre en Asie peut avoir des conséquences importantes pour l’Allemagne, présage le général. Selon de nombreuses sources françaises, la paix n’est pas proche et les Américains ne pourront pas continuer indéfiniment à se battre. Dans ces conditions, enchaîne de Gaulle, les Américains auront peut-être recours à la bombe atomique. « Mais s’ils lâchent des bombes, il est inévitable qu’ils en recevront à leur tour. Peut-être ne saura-t-on pas exactement quel pays les a lancées et comment les choses se sont passées, mais cela aura lieu et les bombes tomberont sur le sol même des États-Unis158. » Quant à la France, elle ne sera pas solidaire avec le pays qui aura eu recours le premier à la bombe nucléaire. Kiesinger affirme sa volonté de renforcer l’indépendance envers les États-Unis, tout en gardant, pour le moment, la présence des troupes américaines. Le général de Gaulle prétend à l’unité de vue entre lui et le chancelier, notamment vis-à-vis de Washington.
130Mais il n’en est rien. Auprès de l’ambassadeur américain, Kiesinger soutient l’engagement au Vietnam et promet de renforcer l’aide humanitaire. Il regrette profondément les « sentiments anti-américains » du général de Gaulle, obstacles à l’entente franco-allemande et causes, selon lui, des nombreux échecs français. Bonn ne partage pas les fondements de la politique extérieure de la France. La diplomatie allemande s’efforce malgré tout d’exercer une influence positive sur Paris afin d’empêcher le pire et de protéger cette amitié, si importante159.
131Au printemps et en été 1968, le président français doit renverser ses priorités et s’occuper de la politique intérieure. Dès l’automne, une reprise du dialogue franco-américain se dessine, perspective qui se concrétise par la visite en France du nouveau président américain, Richard Nixon, fin février 1969. Après des années traversées de crises, les relations entre Paris et Washington se normalisent. Plusieurs facteurs contribuent à cette évolution.
132Dès le 1er avril 1968, Lyndon Johnson proclame l’arrêt des bombardements au Vietnam du Nord. Charles de Gaulle reconnaît dans cette annonce un véritable tournant, « un acte de raison et de courage politique160 ». Les perspectives pour l’amélioration des relations entre Paris et Washington lui semblent désormais favorables. En effet, la guerre vietnamienne a été, pendant des années, le motif principal de l’opposition française contre les États-Unis. De sa part, le gouvernement américain accepte Paris comme lieu des négociations sur le Vietnam, ce qui est en soi significatif. Les événements de mai 1968 contribuent également, d’une certaine manière, au rapprochement franco-américain. Les difficultés économiques et sociales affaiblissent la France et limitent sa marge de manœuvre stratégique. En conséquence, le général de Gaulle « n’a pas d’autre choix que d’accepter une forme de normalisation » de sa position au sein de l’Alliance atlantique161.
133À la suite du drame tchèque, le gouvernement français maintient sa politique de détente à l’égard de l’Union soviétique. Pourtant, la nouvelle donne amène le général de Gaulle à réfléchir et à réévaluer ses positions. Les Américains perçoivent alors une possibilité d’améliorer sensiblement les relations avec la France. Ils envisagent notamment une coopération plus étroite sur le plan militaire. Puis, lors de la crise monétaire internationale de novembre 1968, Américains, Britanniques et Français se rapprochent face aux Allemands, refusant de changer la parité du mark. En même temps, la dégradation des rapports franco-allemands favorise une réorientation éventuelle du général de Gaulle. Il doit désormais faire face à une supériorité économique assez nette de la République fédérale.
134Pour de Gaulle, l’arrivée à la Maison Blanche de Richard Nixon joue également en faveur d’une reprise du dialogue. Les deux hommes se connaissent bien et s’estiment mutuellement. Nixon et son conseiller, Henry Kissinger, admirent « le colosse » Charles de Gaulle162. Ils comprennent ses idées et sa politique. Comparé à l’administration américaine précédente, qui ne voyait en de Gaulle qu’un « petit colonel », le changement est substantiel163. Et le président Nixon, plus pragmatique que ses prédécesseurs, se scandalise moins de la volonté d’indépendance de la France.
135Pour sa part, le général de Gaulle maintient sa politique des « mains nettes » et de la « parole libre ». Il continue à critiquer le principe de la « défense élastique », soutenue par Washington, et à exiger ouvertement le départ américain du Vietnam. Un réexamen de la sortie française de l’OTAN n’est certainement pas à l’ordre du jour. En revanche, la France reconduit tacitement son adhésion au Pacte atlantique, déclarant que l’Alliance conserve sa raison d’être.
136La rencontre franco-américaine de février et mars 1969 apporte néanmoins une modification politique concrète. Le président Nixon met fin à l’hostilité américaine au programme atomique français, à l’origine depuis longtemps d’une discorde fondamentale entre les deux pays164. Sinon, rien ne change, les positions française et américaine demeurant identiques. Mais un dialogue s’est rétabli et les échanges se font désormais dans une atmosphère détendue, cordiale même. Le climat entre Paris et Washington s’améliore au point que Nixon s’inquiète de gêner les Allemands. « Nous aimerions beaucoup que les relations franco-allemandes restent bonnes et fermes », dit-il à de Gaulle165.
137La République fédérale réagit d’une façon sereine à l’embellie franco-américaine. Kiesinger et Brandt applaudissent à ce développement qui ne pourra que faciliter une meilleure entente entre Paris et Bonn. La RFA ne paraît plus craindre une hégémonie de la France, affaiblie. Moscou cherche désormais le dialogue direct avec les Allemands et leur donne ainsi plus de poids sur le plan international. Le président américain, lui, promet à Kiesinger que l’Allemagne verra sa position renforcée au sein de l’Alliance atlantique. Nixon annonce aussi des contacts personnels très étroits avec le chancelier166.
138L’amélioration des rapports franco-américains ne concerne que l’atmosphère et non les problèmes de fond, selon la conviction de Kiesinger. Au sujet de l’OTAN, les positions n’ont pas changé. Sur l’intégration de la France, l’adhésion britannique au Marché commun et la stratégie nucléaire, les opinions du général de Gaulle et de Richard Nixon resteront divergentes malgré tout. Perspicace, Kiesinger remarque : la décision sur la guerre ou la paix sera toujours prise à Washington – et Charles de Gaulle ne l’acceptera jamais167.
Notes de bas de page
1 AAPD 1963, Dok. 49, Tel. Knappstein (Wash.), 23.1.63. – BA, NL Carstens 650, Aufz., 24.1.63. – BKAH, NL Ad. III7. – L’article en question, signé par James Reston, s’intitule “What people do they think they are ?”.
2 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 62, Rusk to Tuthill (Brussels), 28.1.63 ; doc 67, Tuthill to Rusk, 2.2.63.
3 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 64 ; doc 69, NSC Meeting, 5.2.63 : “[The President] felt that unless we make clear our opposition to the Franco-German treaty we would not be able to make clear to the Germans that they faced a choice between working with the French or working with us.”
4 NSC Meeting, 25.1.63, Notes prises par le secrétaire adjoint à la Défense, Paul Nitze, citées in : V. JAUVERT, op. cit., p. 109.
5 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 68, Bohlen (Paris) to DepState, 3.2.63.
6 Ibidem, doc. 61, 67. – G.-H. SOUTOU, L’alliance incertaine, op. cit., p. 258.
7 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc 268 ; doc. 79, Mémo Bail, 20.6.63 (citation).
8 AMAE, EM 18, Entretien Kenncdy-Couve de Murville, 25.5.63.
9 AMAE, EM 19, Entretiens du 8.10.63.
10 AMAE, RFA 1559, Discours prononcé par G. McGhee, le 8.10.63.
11 AMAE, EM, Entretiens Kennedy-Couve de Murville, 25.5., 7.10.63.
12 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 60, 62, 74, 88.
13 RUS 1961-63, vol. XIII, doc. 79, Memo Ball, 20.6.63
14 AAPD 1963, Dok. 348, Gespräch Schröder-Bundy, 20.9.63.
15 BA, NL Carstens 630, Handschriftliche Notiz : Gespräch mit Adenauer, 7.6.63.
16 BKAH, NL Adenauer II3, Brief an de Gaulle, 19.8.63.
17 H. OSTERHELD, Ich gehe nicht leichten Herzens, op. cit., p. 217. – U. LAPPENKÜ- PER, Die dt.-frz. Beziehungen, op. cit., p. 1753.
18 H. ALPHAND, op. cit., p. 394. – A. PEYREFITTE, op. cit., t. II, p. 228.
19 PAAA, B150, Tel. Blankenborn, 2.4.63. Traduction d’un rapport allemand.
20 Une politique étrangère, 1958-1969, Paris 1971, pp. 106-107.
21 A. PEYREFITTE, op. cit., t. II, p. 227, 13.2.63.
22 AMAE, EM 18, Entretien du 25.5.63.
23 FNSP, CM 8, Projet de télégramme à Washington, 7.5.63.
24 AMAE, EM 19, Entretiens franco-américains, 7/8.10.63 ; RFA 1602, Lettre du 14.10.63. – FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 274. – A. PEYREFITTE, op. cit., t. II, p. 36.
25 Entretien accordé à l’auteur, le 25 septembre 2003 à Paris.
26 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 174. Propos de D. Rusk, 18.2.63.
27 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 69, 174, 184. – A. SCHERTZ, op. cit., p. 214.
28 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 173. – G. LUNDESTAD, op. cit., p. 76.
29 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 69, 79, 173, 174.
30 Ibidem, doc. 201, Memo Bundy, 15.6.63. – Thomas Alan SCHWARTZ, Victories and Defeats in the Long Twilight Struggle: The United States and Europe in the 1960s, in : Diane B. KUNZ (dir.), The diplomacy of the crucial decade: American foreign relations during the 1960s, New York 1994, p. 132.
31 AMAE, EM 18, 7.4., 9.4.63. – M. COUVE DE MURVILLE, op. cit., p. 258.
32 PAAA, B24/479, M. Couve de Murville im ZDF, 28.6.63. – FNSP, CM8, Note du général, 1.5.63 : défense atomique de l’Europe.
33 PAAA, B2/127, Aufz. Carstens, 10.2.63 : USA, Frankreich, Deutschland.
34 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 177. – PAAA, B150, 27.2.63.
35 BKAH, NL Ad. III45, Brief vom 4.4.63. – FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 201.
36 AAPD 1963, Dok. 144, 301, 361.
37 Stiftung Bundeskanzler-Adenauer-Haus (dir.), Adenauer : Teegespräche 1961-1963, Berlin 1992, p. 434.
38 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 173, NSC meeting, 12.2.63.
39 AAPD 1963, Dok. 216, Gespräch Adenauer-de Gaulle, 4.7.63.
40 AMAE, Pactes 297, Notes, 12.8.63, 18.9.63, 23.9.63.
41 FNSP, CM8, Note du général de Gaulle, 23.9.63.
42 A. PEYREF1TTE, op. cit., t. II, p. 27.
43 E. CONZE, op. cit., p. 275, citant le discours du 24.6.63.
44 FRUS 1961-63, vol. XV, doc. 194, Scope Germany, 14.6.63.
45 Georges-Henri SOUTOU, La guerre de Cinquante Ans. Les relations Est-Ouest 1943- 1990, Paris 2001, pp. 433-434.
46 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 186, NSC meeting, 2.4.63. Propos de G. Ball.
47 Frédéric BOZO, Deux stratégies pour l’Europe. De Gaulle, les États-Unis et l’Alliance atlantique (1958-1969), Paris 1996, p. 107.
48 A. PEYREFITTE, op. cit., t. II, pp. 46-48. – H. ALPHAND, op. cit., pp. 411-416.
49 DM, t. IV, p. 180. – A. PEYREFITTE, op. cit., t.I, p. 319 ; t. II, p. 481.
50 Etienne BURIN DES ROZIERS, L’independance nationale selon de Gaulle : fondement et pratique d ‘une politique, in : DGESS, t. IV, pp. 226-238. – AMAE, AO 30.
51 EKUS 1964-68, vol. XII, doc. 27. – A. MIERZEJEWSKI, op. cit., pp. 199-200. – A. SCHERTZ, op. cit, pp. 239-242.
52 Thomas A SCHWARTZ, No Harder Enterprise : Politik und Prinzipien in den deutsch-amerikanischen Beziehungen 1945-1968, in : Detlef JUNKER (dir.), Die USA und Deutschland im Zeitalter des Kalten Krieges 1945-1990. Ein Handbuch, Stuttgart 2001, t. I, pp. 60, 69.
53 Wolfgang KRIEGER, Sicherheit durch Abschreckung ? Die deutsch-amerikanischen Sicherheitsbeziehungen 1945-1968, in : D. JUNKER, op. cit., t. I, pp. 283-284.
54 P. KIELMANSEGG, op. cit., p. 175.
55 Ernst-Otto CZEMPIEL, Auf der Suche nach neuen Wegen : Die deutsch-amerikanischen Beziehungen 1961-1969, in : Wolfgang-Uwe FRIEDRICH (dir.), Die USA und die Deutsche Frage 1945-1990, Frankfurt 1991, pp. 169-174.
56 AAPD 1963, Dok. 393, 423 ; 1964, Dok. 8, 44, 51.
57 AMAE, RFA 1600, Tel. du 10.1.64.
58 ACDP, NI Osterheld, Erh.l, Aufz. vom 23.1.64.
59 R. MARCOWITZ, Option für Paris ?, op. cit., p. 223.
60 AMAE, EM 19, Tél. Lucet (Paris) aux ambassades, 23.11.63.
61 A. PEYREFITTE, op. cit., t. II, p. 249.
62 Ibidem, p. 257, 23.6.64.
63 AMAE, EM 21, Séance plénière, 4.7.64. – H. OSTERHELD, Aussenpolitik unter L. Erhard, op. cit., pp. 98-99.
64 E. PISANI, op. cit., p. 92. – Témoignage confirmé par H. Osterheld, H. Kusterer et F.J. Strauss.
65 ACSP, NL Strauss, LG4WP, Zum de Gaulle-Besuch, 8.7.64.
66 AAPD 1964, Dok. 189, Gespräch Erhard-McGhee, 6.7.64 ; cf. Dok. 195, 198.
67 V. HENTSCHEL, op. cit., pp. 508-510.
68 ACDP, NL Ost., Erh.2, Aufz., 7.8.64. – PAAA, B24/514, Analyse, 1.8.64.
69 Stephen A. KOCS, Autonomy of Power ? The Franco-German Relationship and Europe s Strategic Choices, 1955-1995, Westport 1995, p. 56.
70 Memo du 5.12.63, cité in : A. SCHERTZ, op. cit., p. 265-267. Rostow dirige le Policy Planning Council au ministère américain des Affaires étrangères.
71 Frank COSTIGLIOLA, Lyndon B.Johnson, Germany and the End of the Cold War, in : Warren I. COHEN et al. (dir.), Lyndon Johnson confronts the world: American foreign policy, 1963-1968, Cambridge 1994, p. 175.
72 FRUS 1964-68, vol. XIII, doc. 16, Discussion on MLE, 10.4.64.
73 Des rumeurs sur une MLF bilatérale circulent dès mai 1964.
74 FRUS 1964-68, vol. XIII, doc. 52, 57.
75 T. SCHWARTZ, Victories and Defeats, op. cit., pp. 135, 146. – Lloyd GARDNER, Lyndon Johnson and de Gaulle, in : R. PAXTON, op. cit., p. 265.
76 AMAE, EM 23, Entretien de Gaulle-Rusk, 14.12.64.
77 BA, BW1/104, Militärisches Tagebuch von Hassel, 23.11.65.
78 A. PEYREFITTE, op. cit., t. II, p. 277. – AMAE, EM, de Gaulle-Bail, 31.8.65.
79 AAPD 1964, Dok. 50, Dt-frz. Regierungsbesprechung, 15.2.64.
80 AAPD 1964, Dok. 186 : „Bei uns können Sie einen weit grösseren Anteil erhalten (oder : weit mehr beteiligt werden).“
81 Par exemple François Puaux (AMAE, AO 34) : « Je suis formel là-dessus. »
82 H. OSTERHELD, Aussenpolitik unter L. Erhard, op. cit., pp. 101-104.
83 Aufz. Carstens, 6.7.64 (PAAA, B150), 27.7.64 (AAPD 1964, Dok. 210).
84 AAPD 1966, Dok. 187. – FJ. STRAUSS, op. cit., pp. 558-560.
85 Matthias KÜNZEL, Bonn und die Bombe, Frankfurt 1992, pp. 74-75.
86 AMAE, Partes 345, Note du 20.10.64.
87 BA, BW1/102, Tb von Hassel, 10.11.64.
88 AAPD 1964, Dok. 343, Aufz. Carstens, 17.11.64.
89 AAPD 1964, Dok. 380, Gespräch Erhard-McGhee, 11.12.64.
90 L. GARD NER, op. cit., p. 264.
91 Walt ROSTOW, The Diffusion of Power, New York 1972, p. 393.
92 BA, BW1/104, 105, Tb von Hassel, 3.5., 15.11.65.
93 BA, BW1/105, 106, Tb von Hassel, 22.10.65, 19.11.65, 7.2.66.
94 AAPD 1964, Dok. 50. – BA, NL Carstens, Aufz. vom 14.2.64.
95 PAAA, B150, Gespräch Messmer-Gumbel, 3.7.64.
96 AAPD 1964, Dok. 210, Aufz. Carstens, 27.7.64.
97 CADN, Bonn Amb. 179, Entretien Lucet-Schröder, 16.9.64. – AMAE, EM 23, de Gaulle-Adenauer, 9.11.64.
98 BA, BW1/102, Tb von Hassel, 3.12.64 : Gespräch mit F. Berg.
99 AMAE, Pactes 322, Note du 24.1.66.
100 Pierre MESSMER, Après tant de batailles. Mémoires, Paris 1992, p. 292.
101 ACDP, NL Schröder 291/1, Aufz. Meyer-Lindenberg, 18.11.66.
102 LNC, t. X, pp. 261-262. – DM, t. V, pp. 17-19.
103 Entretien accordé à l’auteur.
104 F. BOZO, op. cit., pp. 123-125. – G.-H. SOUTOU, L’alliance incertaine, op. cit., pp. 289-293.
105 FRUS 1961-63, vol. XIII, doc. 177 ; 1964-68, vol. XIII, doc. 83. – V. JAUVERT, op. cit., pp. 144-156. – A. SCHERTZ, op. cit., p. 315.
106 Témoignages de P. Messmer et de F. Bator, in : L’ami américain. L’Amérique contre de Gaulle, Film réalisé par Patrick Jeudy, France 3 / La Cinquième, octobre 2001. – Le chercheur Garret MARTIN, ayant consulté les documents de l’ambassadeur Bohlen, nous a révélé l’identité de la « source » (cf. National Archives, RG 59, Ch. Bohlen, vol. 33, Anderson to Bohlen, 27.5.65). – En avril 1968, Jean de la Grandville quitte le Quai d’Orsay et prend la direction de l’ambassade française à Buenos Aires.
107 F. COSTIGLIOLA, France and the United States, op. cit., p. 146 (citation). – FRUS 1964-68, vol. XIII, doc. 143, 161. – G. LUNDESTAD, op. cit., p. 80.
108 Lyndon B. JOHNSON, The Vantage Point. Perspectives of the Presidency, 1963-69, New York 1971, p. 305.
109 AMAE, EM. – BA, BW1/104. – Fin 1965, McNamara n’attend plus d’initiative française avant 1967.
110 PAAA, B150, Aufz. für den Bundeskanzler, 31.1.66: Reform der Nato.
111 BA, BW1/105. – AMAE, RFA 1455, Note du 24.1.66.
112 PAAA, B24/616, Limbourg (Paris) ans AA, 22./23.2.66.
113 FNSP, CM8, Note du général de Gaulle, 24.2.66.
114 AAPD 1966, Dok. 47, Limbourg (Paris) ans AA, 25.2.66.
115 LNC, t. X, p. 264 (citation). – PAAA, B150, Sahm (Paris, Nato) ans AA, 2.3.66 ; B2/148, Aufz. Balken, 4.3.66. – V . HENTSCHEL, op. cit., pp. 601-603.
116 ACDP, NL Osterheld, Erh.5, Aufz. vom 9.3.66.
117 A. PEYREFITTE, op. cit., t. III, p. 186, 9.3.66.
118 AAPD 1966, Dok. 70. – BA, BW1/106, Tb von Hassel, 11.-15.3.66.
119 AMAE, EM 26, Note du 12.11.65 : de Gaulle affirme qu’il ne compte pas nécessairement intervenir, si une agression russe est due à une provocation allemande.
120 H. ALPHAND, op. cit., p. 476.
121 Journal de H. Krone, 5.4.66, cité in : V. HENTSCHEL, op. cit., p. 605.
122 BA, BW1/107.
123 AAPD 1966, Dok. 100, Aufz. Arbeitsgruppe Frankreich und NATO, 4.4.66.
124 AAPD 1966, Dok. 110, Gespräch Schröder-McCloy, 15.4.66.
125 AMAE, EM 27, Entretien du 18.4.66. – AAPD 1966, Dok. 112.
126 AMAE, RFA 1464, Compte rendu d’une réunion à l’Élysée, 2.6.66.
127 BA, BW1/107, Tb von Hassel, 3.5.66.
128 PAAA, B150, Aufz. Oncken, 1.4.66. – R. MARCOWITZ, Option für Paris ?, op, cit., pp. 218-219.
129 AAPD 1966, Dok. 155.- AMAE, Pactes 263, Note du 17.5.66.
130 H. OSTERHELD, Aussenpolitik unter L. Erhard, op. cit., pp. 319-320.
131 Le général Ailleret représente la France, le général Lemnitzer l’OTAN.
132 AAPD 1966, Dok. 66, Gespräch Couve de Murville-Klaiber, 10.3.66.
133 A. PEYREFITTE, op. cit., t. III, p. 191, 4.5.66.
134 AMAE, EM 28, Séance plénière du 21.7.66.
135 AMAE, RFA 1465. – ACDP, NL Kiesinger, A287, 21.12.66.
136 PAAA, B38/80, Analyse der Rede Johnsons vom 7.10.66.
137 R. MARCOWITZ, Option für Paris ?, op. cit., pp. 252-254.
138 F. SEYDOUX, Dans l’intimité franco-allemande, op. cit., p. 79.
139 ACDP, NL Kies., A292, Gespräch Kiesinger-de Gaulle, 14.1.67. – BA, B136/3042, Gesprächsführung mit de Gaulle, 28.12.66.
140 Kurt Georg KIESINGER, Die grosse Koalition 1966-1969, Reden und Erklärungen, Stuttgart 1979, pp. 3638 : Rede vor der Union-Presse, 27.2.67.
141 A. SCHERTZ, op. cit., p. 420.
142 FRUS 1964-68, vol. XIII, doc. 251, NSC Meeting, 3.5.67.
143 K. KIESINGER, Die Grosse Koalition, op. cit., p. 109.
144 AN, 5AG1, 163, Entretien du 25.4.67.
145 F. COSTIGLIOLA, France and the United States, op. cit., pp. 153-154.
146 DM, t. V, p. 77. – J . LACOUTURE, Le souverain, op. cit., pp. 435-438.
147 DM, t. V, pp. 128-131, Allocution du 31.12.66.
148 M. VAÏSSE, La grandeur, op. cit., pp. 347-354. – F. BOZO, op. cit., p. 196.
149 AAPD 1967, Dok. 142, Gespräch Kiesinger-de Gaulle, 25.4.67.
150 AMAE, RFA 1608, Tél. du 30.6.67 ; RFA 1561, Tél. du 4.7.67.
151 AMAE, EM 31, Entretien du 13.7.67. – AAPD 1967, Dok. 263.
152 APD 1967, Dok. 267, Gespräch Kiesinger-McGhee, 17.7.67.
153 FES, NL Bahr 399, Aufz. vom 16.5.67 : Aussen- und Verteidigungspolitik.
154 AMAE, Pactes 323, Note du 26.1.68 ; lettre Messmer à Debré, 29.11.68.
155 AMAE, Pactes 323, Note du 5.3.69 : coopération franco-allemande.
156 AAPD 1967, Dok. 267, Gespräch Kiesinger-McGhee, 17.7.67.
157 AMAE, RFA 1457.
158 CADN, Bonn Amb. 178, Entretien de Gaulle-Kiesinger, 16.2.68.
159 AAPD 1968, Dok. 69. – ACSP, NL Strauss, Fam.1156, 1968. – PAAA, B150, Aufz. vom 8.1.68 : Ziele der französischen Aussenpolitik.
160 LNC, t. XI, p. 210, Note pour le Conseil des ministres, 3.4.68.
161 F. BOZO, op. cit., p. 205 (citation). – M. VAÏSSE, op. cit., p. 408.
162 Henry KISSINGER, À la Maison Blanche 1968-1973, t. I, Paris 1979, p. 108.
163 Citation selon Bruno de Leusse (entretien accordé à l’auteur). – Edward KOLODZIEJ, Charles de Gaulle et Richard Nixon, in : DGESS, t. IV, pp. 283-285.
164 Propos de Pierre Messmer, lors d’un entretien accordé à l’auteur.
165 AMAE EM 36, Entretien de Gaulle-Nixon, 31.3.69.
166 BA, NL Guttenberg 92, Aufz. 26.2.69. – AAPD 1969, Dok. 79.
167 ACDP, NL Kiesinger A008-1, Infogespräch des Kanzlers, 5.12.68.

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