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La mésentente apprivoisée

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Benedikt Schoenborn

Introduction : Les relations franco-allemandes de 1945 à 1962

Testo integrale

« Espérons que ce truc-là marchera mieux que l’épingle de sûreté ! »
Robert Schuman essaie de raccommoder sur sa machine à coudre la nappe déchirée entre l’Allemagne et la France. Avec la CECA, le ministre espère avoir trouvé mieux que la Ligne Maginot, ce système de défense français qui s’était révélé inutile.
Dessin de Pi dans Rheinecho, 7 juillet 1950.
© Klaus Pielert, Düsseldorf.

  • 1 Georges-Henri SOUTOU, L’alliance incertaine. Les rapports politico-stratégiques franco-allemands, 1 (...)

1En 1945, la réconciliation entre la France et l’Allemagne paraît très lointaine. Pour la troisième fois en moins d’un siècle, les Français ont subi l’invasion des Allemands, entraînant la défaite traumatisante de 1940 et l’expérience cruelle de l’occupation. Des sondages de 1945 et 1946 montrent la grande intensité – peu surprenante – du ressentiment français envers l’Allemagne, mais aussi des doutes profonds quant à la possibilité d’une évolution du peuple allemand. Ainsi, la peur obsessionnelle d’un rétablissement rapide et d’une nouvelle revanche de l’Allemagne domine la population et les dirigeants français durant les premières années de l’après-guerre1.

  • 2 Alfred GROSSER, L’Allemagne en Occident. La République fédérale 40 ans après, Paris 1985, p. 14.

2L’Allemagne est pourtant un pays détruit, avec des villes écroulées et des usines dévastées ; elle n’a plus de souveraineté, même pas un gouvernement pour recevoir les ordres des vainqueurs. Tandis que le Japon peut conserver son empereur, il n’y a aucune continuité similaire en Allemagne. « La guerre totale voulue par le régime totalitaire se termine par une dépossession totale2. » Tout pouvoir en Allemagne et sur l’Allemagne revient directement aux alliés.

3Dès la conférence de Téhéran, en novembre 1943, Franklin Roosevelt, Joseph Staline et Winston Churchill se sont accordés pour attribuer les territoires allemands au-delà de la ligne Oder-Neisse à la Pologne, en compensation des régions que celle-ci devra céder à l’URSS. La Pologne sera ainsi déplacée vers l’Ouest. Cette décision est contraire aux principes de la Charte de l’Atlantique (août 1941), dans laquelle Roosevelt et Churchill avaient déclaré leur opposition à tout agrandissement de territoire sans l’accord du peuple concerné. Les deux dirigeants occidentaux se résignent toutefois à satisfaire les exigences territoriales des Soviétiques, qui assument jusqu’en juin 1944 la responsabilité principale de la guerre contre l’Allemagne nazie. Les « Trois Grands » s’entendent également, à Téhéran, sur le principe d’un démembrement de l’Allemagne et confient à un comité tripartite, siégeant à Londres, la tâche de délimiter les zones d’occupation. Ce comité présente, en septembre et en novembre 1944, les plans demandés, ignorant que son travail déterminera le sort de l’Allemagne pour des décennies à venir.

4Lors de la conférence de Yalta en février 1945, Roosevelt, Staline et Churchill réaffirment leur volonté de démembrer l’Allemagne et instaurent à cette fin un comité sous la direction du Britannique Anthony Eden. Notons que ce morcellement n’est pas censé correspondre aux zones d’occupation. Mais le nouveau comité ne se réunira que deux fois, car, dès le 9 mai 1945, Staline déclare publiquement que l’URSS n’a pas l’intention de démembrer l’Allemagne. Quand la conférence de Potsdam s’ouvre le 6 juillet, le président américain a encore un plan qui prévoit la constitution d’un État comprenant l’Autriche, la Bavière et le Wurtemberg. Mais à Potsdam, les Trois abandonnent l’idée du démembrement. Moscou, puis Washington, essaieront désormais d’étendre leur influence sur l’ensemble de l’Allemagne, dans une course visant à gagner le cœur et l’esprit de la population.

  • 3 Cf. Alfred GROSSER, Affaires extérieures. La politique de la France, 1944-1984. Paris 1989, pp. 29- (...)

5Jusqu’à l’automne 1945, la France n’est pas représentée aux grandes conférences internationales chargées d’organiser la paix. A la demande de Churchill, elle obtient néanmoins à Yalta une place dans la Commission de contrôle de l’Allemagne et une zone d’occupation, prélevée sur les zones américaine et britannique. La conférence de Yalta se termine d’ailleurs sur la fiction d’une entente entre les vainqueurs – et non par un partage du monde entre l’Est et l’Ouest selon le mythe français3.

  • 4 Charles DE GAULLE, Discours et Messages (DM), t. I, Paris 1970, p. 616 : déclaration du 10.9.45.

6Président du gouvernement provisoire de la République française de juin 1944 à janvier 1946, le général de Gaulle définit des objectifs très durs à l’égard de l’Allemagne : rattacher la Sarre à la France, internationaliser la Ruhr, établir un protectorat français sur la Rhénanie, attribuer à la Pologne et à l’URSS une partie des provinces prussiennes, remplacer le Reich centralisé par une vague confédération du reste de l’Allemagne. Or, de Gaulle critique les décisions prises par les alliés en son absence, un règlement des questions allemandes sans participation française étant déclaré « absurde4 ». Le général refuse notamment d’accepter la création d’administrations centrales allemandes pour les affaires économiques, décidée à Potsdam, car il y voit l’embryon d’un futur gouvernement allemand centralisé. Il déplore également que l’Allemagne ne soit pas amputée à l’Ouest.

7Jusqu’en 1948, la France doit cependant abandonner ses objectifs. Elle n’a pas les moyens de s’opposer aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, qui défendent une politique plus conciliante à l’égard de l’Allemagne. Paris se rend compte aussi, durant l’hiver très dur de 1946/47, de l’importance du charbon allemand dans la reconstruction de l’Europe occidentale. Et surtout, les dirigeants français prennent conscience que la menace soviétique est plus imminente que le danger allemand. Sous forte pression américaine, Paris consent en 1948 à la création d’un État ouest-allemand, alors qu’un règlement d’ensemble, en accord avec l’URSS, ne semble plus possible.

  • 5 DM, t. I, p. 457, Conférence de presse, 25.10.44.
  • 6 DM, t. I, p. 623, Discours prononcé à Strasbourg, 5.10.45.

8Mais, durant cette période de 1945 jusqu’à la naissance de la RFA et de la RDA, respectivement en mai et en octobre 1949, la politique française envers l’Allemagne n’est pas uniquement négative. Charles de Gaulle a certes conclu avec Staline, le 10 décembre 1944, un pacte énergiquement tourné contre l’Allemagne, et les successeurs du général signent, le 4 mars 1947, un traité d’alliance avec la Grande-Bretagne, stipulant que l’Allemagne ne doit jamais redevenir une menace pour la paix. Mais de Gaulle signale par ailleurs qu’il est prêt à tendre la main aux Allemands à condition que la sécurité de la France soit assurée. Il déclare en octobre 1944 que « le Rhin est une rue qui unit des pays placés à l’ouest et des pays placés à l’est de son cours5 ». Une année plus tard, il va encore plus loin : « Aujourd’hui, puisque l’ennemi s’est écroulé grâce à notre victoire, puisque ont disparu dans les Allemagnes les attractions furieuses qui les rassemblaient pour le mal, le Rhin peut reprendre le rôle que lui tracèrent la nature et l’Histoire. Il peut redevenir un lien occidental6. »

  • 7 À ce moment-là, Churchill ne parle plus en tant que Premier ministre britannique, Clément Attlee l’ (...)
  • 8 G.-H. SOUTOU, L’alliance incertaine, op. cit., pp. 17-18.

9Cela ne veut pas dire que, dès lors, le général imagine des relations privilégiées entre Français et Allemands. De Gaulle a plutôt suggéré à Churchill, en novembre 1944, une entente étroite entre Paris et Londres, qui devait leur permettre de façonner la paix au lieu de se la laisser imposer par Washington et Moscou. Les Britanniques ne souhaitent pas renoncer à leur appartenance aux « Trois Grands » et opposent à l’invitation française une fin de non-recevoir. Lors d’un discours devenu célèbre, Churchill proclame, en septembre 1946 à Zurich, que la reconstitution de la famille européenne doit commencer par une « association » entre la France et l’Allemagne7. Néanmoins, beaucoup de Français pensent jusqu’en 1949 que leur premier allié sera plutôt la Grande-Bretagne. Paris envisage très sérieusement aussi l’option d’un rapprochement avec Rome ; un traité d’union douanière entre la France et l’Italie est en effet signé en mars 1949 mais ne sera pas ratifié par la suite8.

10Pour la grande majorité des Allemands, la France et les Français apparaissent durant les premières années de l’après-guerre comme des vainqueurs particulièrement sévères et hostiles. Les témoins allemands dénoncent notamment des démontages industriels excessifs dans la zone d’occupation française, des pénuries ainsi que le déboisement d’une bonne partie de la Forêt noire. A cela s’ajoute l’impression de rancune créée par l’opposition française à la reconstitution d’un État allemand, et par le rattachement économique de la Sarre à la France dès décembre 1946.

  • 9 Stefan MARTENS, « L’image des occupants français en Allemagne, 1945-1949 », in : Les Cahiers de l’I (...)

11Cependant, des études plus approfondies montrent que le comportement des Français dans leur zone n’était pas aussi mauvais que les témoignages le font croire. La France était mal préparée pour assumer son rôle d’occupant ; l’improvisation régnait et les responsables locaux se sont souvent laissés guider par leur propre jugement. L’esprit de revanche a bien existé chez certains Français, tandis que d’autres ont fait preuve d’un esprit de réconciliation. D’une manière générale, l’action des occupants français cherchait à alléger la misère et la faim dans leur propre pays, situation ignorée par les vaincus. L’image de la France s’est aussi ternie du fait que les Allemands ont eu de la peine à la considérer comme puissance victorieuse. N’avait-elle pas été écrasée par la Wehrmacht en trois semaines, alors que l’Allemagne s’était maintenue pendant cinq ans et demi contre une coalition mondiale ? Beaucoup d’Allemands n’ont pas voulu accepter le contrôle de cette voisine qu’ils croyaient battue9.

12Sous l’emprise de la Guerre froide émergente, la République fédérale d’Allemagne naît en mai 1949 des zones d’occupation américaine, britannique et française. Cet État dispose d’une souveraineté encore très limitée et reste soumis à un rigoureux statut d’occupation contrôlé par les trois puissances occidentales. Le nouveau parlement, le Bundestag, élit en septembre 1949 le premier chancelier de la RFA : Konrad Adenauer. Étant donné son importance capitale pour les relations franco-allemandes, rappelons les étapes de sa vie.

  • 10 Les biographies : Henning KÖHLER, Adenauer. Eine politische Biographie, Berlin 1994. – Hans-Peter S (...)

13Konrad Adenauer naît le 5 janvier 1876 à Cologne, troisième enfant d’une famille de la petite bourgeoisie catholique. Il passe une enfance modeste et inaperçue. Après des études de droit à Munich, Bonn et Berlin, le jeune Adenauer devient avocat à Cologne et entre au parti du catholicisme politique, le Zentrum. En 1904 il épouse Emma Weyer, fille d’une famille aisée et influente. Elle lui donne trois enfants, mais décède jeune, en 1916. D’abord magistrat, Adenauer est bientôt élu adjoint du maire de Cologne et fait preuve de savoir-faire en organisant l’approvisionnement de la ville durant la Première Guerre mondiale. D’ailleurs, jamais au cours de sa vie Konrad Adenauer ne sert dans l’armée. En 1917, il succède à un oncle de sa femme en tant que maire de Cologne10.

14Pendant l’époque de Weimar, Konrad Adenauer joue un rôle de premier plan dans la politique allemande. Il préside le Conseil d’Etat de Prusse de 1921 à 1933 et se voit plusieurs fois proposé comme candidat à la chancellerie. Toutefois, il préfère la mairie de Cologne à la chancellerie du Reich, estimant qu’il ne pourrait pas y agir efficacement. Durant l’occupation française de la Rhénanie en 1923, Adenauer opte temporairement pour la création d’une République fédérale rhénane afin d’améliorer les relations avec la France. Cela lui vaut ensuite, du côté des nazis surtout, la réputation d’être un séparatiste. Après la prise de pouvoir d’Adolf Hitler, Adenauer refuse d’accueillir à Cologne le nouveau chancelier et fait décrocher des emblèmes de la croix gammée. Il est vite chassé de la mairie.

15Konrad Adenauer vit les années du Troisième Reich retiré dans sa maison à Rhöndorf près de Bonn ; parfois il se cache au monastère de Maria Laach. Plusieurs fois la Gestapo l’arrête et l’enferme. En mai 1945, les Américains renomment Adenauer maire de Cologne, fonction qu’il perd en octobre après avoir critiqué les occupants britanniques. Le septuagénaire investit alors toute son énergie au travail dans l’Union Chrétienne-Démocrate (CDU), parti nouvellement fondé, et y fait une carrière-éclair. En 1948 sa deuxième épouse, Gussie, succombe aux effets d’une tentative de suicide commise dans une prison nazie. Malgré ce chagrin, Adenauer accepte la fonction de président du Conseil parlementaire constituant, chargé d’élaborer la nouvelle constitution. Élu chancelier fédéral en 1949 avec la majorité d’une seule voix, ses réélections en 1953,1957 et 1961 s’appuieront sur des majorités plus confortables.

  • 11 Cf. Helga HAFTENDORN, Deutsche Aussenpolitik zwischen Selbstbeschränkung und Selbstbehauptung, 1945 (...)

16Konrad Adenauer est persuadé que la RFA doit définitivement choisir l’intégration à l’Ouest et que cette intégration passe avant tout par la réconciliation et une coopération étroite avec la France. À cette fin, le chancelier est prêt à renoncer temporairement à la réunification, en tout cas impossible tant que les Soviétiques, qu’il perçoit comme extrêmement menaçants, ne changent pas d’attitude. Pour lui, la participation active au renforcement du monde occidental est également un moyen d’accélérer le rétablissement d’un État allemand indépendant. Adenauer, le patriarche, impose sa politique à une opinion et à une classe politique parfois réticentes à rompre les ponts avec Moscou ou à collaborer avec une France peu aimée. L’opposition sociale-démocrate notamment sera encline à rechercher la réunification par des négociations avec les Soviétiques11.

17Dès sa première déclaration gouvernementale, Adenauer souligne que les divergences franco-allemandes, sources de guerres durant des siècles, doivent finalement disparaître. Et le 7 mars 1950, il proclame qu’une « union étroite entre la France et l’Allemagne doit donner une vie nouvelle à l’Europe qui est gravement malade ». Des deux côtés du Rhin, l’opinion publique reste sceptique quant à l’idée de réconciliation, mais les gouvernements souhaitent désormais avancer dans ce sens.

  • 12 Ministre français des Affaires étrangères de 1948 à 1953 et membre du MRP.
  • 13 Commissaire général au Plan. J. Monnet devient ensuite le premier président de la Haute Autorité de (...)

18En effet, l’idée européenne a trouvé, dès 1948, un large écho parmi les dirigeants français : un ensemble européen, dont la France prendrait la tête, leur paraît le meilleur cadre pour garder une certaine tutelle sur l’Allemagne et pour résister, avec l’appui américain, à l’impérialisme soviétique. De plus, les États-Unis poussent eux aussi à l’unification de l’Europe. C’est sur ces bases que Robert Schuman12 lance, le 9 mai 1950, le projet de Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), inspiré par Jean Monnet13. La CECA permet à la France de poser les bases d’une Europe économique intégrée – ensemble avec la RFA, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg – et en même temps de contrôler l’industrie lourde de l’Allemagne.

  • 14 Raymond POIDEVIN, Jacques BARIÉTY, les Relations franco-allemandes, 1815-1975, Paris 1977, p. 332. (...)

19Cependant, les différences entre Français et Allemands restent considérables. Konrad Adenauer doit lutter en RFA contre une opposition très vive lui reprochant de sacrifier la Sarre pour obtenir la CECA. À Paris, plusieurs députés à l’Assemblée nationale manifestent leur crainte devant une renaissance de la puissance allemande. En effet, les dirigeants français considèrent le Pacte atlantique de 1949 comme une garantie non seulement contre l’URSS mais également contre une éventuelle résurgence du nationalisme en RFA, qui n’est pas admise à cette alliance14.

  • 15 DM, t. II, p. 310, Discours prononcé à Bordeaux, 25.9.49.
  • 16 Alain PEYREFITTE, C’était de Gaulle, t. II, Paris 1997, p. 267.
  • 17 DM, t. II, Conférence de presse, 12.11.53, pp. 594, 596.

20Le général de Gaulle se prononce régulièrement sur les affaires, bien que, depuis 1946, il ne fasse plus partie du gouvernement. Quant à l’Allemagne, une fois la République fédérale établie, de Gaulle ne réclame plus son démembrement. Il déclare plutôt le 25 septembre 1949 que l’Europe doit incorporer les Allemands, vu la domination soviétique à l’Est et l’éloignement des Britanniques du continent : « Il y aura ou il n’y aura pas d’Europe, suivant qu’un accord sans intermédiaire sera, ou non, possible entre Germains et Gaulois15. » Si le général souhaite dès 1951 qu’une Confédération européenne se construise autour de l’entente franco-allemande, il n’en veut pas moins garder très limitée l’influence de la République fédérale. Pour Charles de Gaulle, la CECA est « une escroquerie16 » qui, en mettant fin au contrôle international de la Ruhr, rend à l’Allemagne son charbon et son acier sans que les intérêts français soient pris en compte. Le général s’oppose également à la Communauté européenne de défense (CED) – projet susceptible de « mettre l’Allemagne en position d’hégémonie17 » – et au rattachement de la Sarre à la RFA. Ces deux questions : la Sarre et le réarmement allemand, représentent pour Paris et Bonn les objets de litige les plus importants des années 1950 et en même temps les obstacles les plus manifestes à une réconciliation profonde.

21L’idée de réarmer l’Allemagne occidentale découle de l’hostilité croissante entre Washington et Moscou et du déchirement de l’Europe en deux blocs opposants, avec un rideau de fer traversant l’Allemagne. Dès 1949, il est devenu évident que les Américains entendent traiter la République fédérale moins comme l’adversaire d’hier que comme l’alliée d’aujourd’hui contre l’URSS. En juin 1950, l’envahissement de la Corée du Sud par les troupes nord-coréennes fait croire aux Occidentaux que le même scénario va se reproduire en Europe : la RDA, avec l’appui des Soviétiques, attaquant la RFA. Les États-Unis décident alors de renforcer leurs divisions en Europe, à condition que la République fédérale soit réarmée. Pour Paris, cette demande est inadmissible cinq ans seulement après la Seconde Guerre mondiale. Mais Washington insiste, d’autant plus que l’essentiel des forces françaises est engagé dans la guerre d’Indochine. Paris sort du dilemme en proposant la CED, avec les six pays membres de la CECA : intégration des contingents allemands dans une défense européenne, sans qu’il y ait une armée nationale en République fédérale. Konrad Adenauer accepte, si en échange son pays peut retrouver la souveraineté.

  • 18 G.-H. SOUTOU, L’alliance incertaine, op. cit., p. 14.
  • 19 Dieter MAHNCKE, Nukleare Mitwirkung. Die BRD in der atlantischen Allianz 1954-1970, Berlin 1972, p. (...)
  • 20 Gregor SCHÖLLGEN, Die Aussenpolitih der Bundesrepublik Deutschland. Von den Anfängen bis zur Gegenw (...)

22Signé le 25 mai 1952, le traité instituant la CED est d’abord ratifié par les parlements des cinq autres Etats, avant de se heurter au refus de l’Assemblée nationale française, le 30 août 1954. Aux réticences à l’égard du réarmement allemand et à la perspective de voir l’armée française perdre sa personnalité s’est ajoutée, après la mort de Staline en 1953, l’idée d’une entente éventuelle entre Paris et Moscou pour contrôler l’Allemagne18. Mais, après l’échec de la CED, la majorité des dirigeants français admet que la menace soviétique l’emporte et le réarmement allemand est concédé dans un cadre différent. Le 23 octobre 1954, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France signent avec la République fédérale les accords de Paris, créant l’Union de l’Europe occidentale (UEO) et autorisant la RFA à entrer à l’OTAN (en mai 1955). L’UEO est chargée de contrôler le réarmement de l’Allemagne occidentale qui s’engage à ne pas fabriquer sur son sol d’armes nucléaires, bactériologiques ou chimiques – cela n’exclut toutefois pas, d’un point de vue juridique, la possession de ces armes. Cette ambiguïté prendra quelque importance, car le chancelier Adenauer puis ses successeurs essaieront de la mettre en valeur19. Les accords de Paris mettent un terme au statut d’occupation de la RFA et lui rendent sa souveraineté. Cependant, les trois puissances occidentales se réservent des droits et des responsabilités concernant « Berlin et l’Allemagne dans son ensemble, y compris la réunification et un règlement de paix » (article 2). Ce traité d’octobre 1954 définira le statut de la RFA jusqu’à la réunification allemande, en 199020.

  • 21 Guy Mollet (SFIO), président du Conseil de février 1956 à mai 1957.

23Les négociations des accords de Paris sont aussi l’occasion d’un rapprochement personnel entre Pierre Mendès France et le chancelier Adenauer. Par ailleurs, une nuit de discussion entre les deux dirigeants aboutit, le même 23 octobre 1954, à un compromis sur la Sarre, dont l’appartenance à la France ou à l’Allemagne a été un sujet de controverse depuis 1945. Le compromis porte sur un statut européen à approuver par référendum, mais en octobre 1955, 64 % des électeurs sarrois rejettent cette proposition et manifestent leur désir d’être Allemands. Après de nouvelles négociations, Guy Mollet21 et Konrad Adenauer signent le traité de Luxembourg, le 27 octobre 1956, prévoyant l’intégration politique de la Sarre à la RFA en 1957 et son union économique avec elle en 1960. La France obtient, en échange, des livraisons de charbon et un accord sur la canalisation de la Moselle. Le règlement de ce contentieux sarrois va faciliter le rapprochement franco-allemand par la suite.

  • 22 G.-H. SOUTOU, L’alliance incertaine, op. cit., pp. 33-35. – La préparation d’explosions nucléaires (...)
  • 23 Hans-Peter SCHWARZ, Adenauer. Der Staatsmann : 1952-1967, Stuttgart 1991, pp. 329-331.

24En revanche, au sujet du réarmement allemand, des arrière-pensées subsistent malgré la solution trouvée en 1954. Pierre Mendès France entend maintenir la supériorité française sur l’Allemagne en proposant une réorganisation de l’OTAN, qui accorderait aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et à la France un rôle dirigeant. Il prend également la décision, le 26 décembre 1954, de doter la France d’un armement nucléaire. Dès le 29 décembre, le Commissariat à l’énergie atomique crée un bureau à cette fin22. Et le chancelier Adenauer, pour sa part, songe déjà à équiper la Bundeswehr d’armes nucléaires américaines pour assurer la sécurité de son pays contre la menace soviétique23.

  • 24 Laurent LEBLOND, Le couple franco-allemand depuis 1945, Paris 1997, p. 105.

25Chez beaucoup d’Allemands, le rejet de la CED par la France – qui avait eu elle-même l’initiative de ce projet – fait réapparaître une méfiance déjà ancienne : on ne peut pas compter sur les Français, ils ne sont pas sérieux. L’opinion publique en RFA ressent le vote du 30 août 1954 comme essentiellement anti-allemand24. Les Français sont infiniment plus préoccupés, à partir de 1955, par le problème algérien que par l’Allemagne. La visite à Moscou du chancelier Adenauer en septembre 1955 suscite néanmoins à Paris la crainte d’une entente germano-soviétique, soupçon dissipé ensuite par la volonté allemande de relancer la construction européenne.

26En effet, des forces profondes poussent la France et la RFA à se rapprocher l’une de l’autre : la conviction d’appartenir à une Europe en déclin, la menace soviétique, la volonté de surpasser les antagonismes du passé, des liens économiques de plus en plus étroits. En 1955, la République fédérale est déjà le premier client de la France et son deuxième fournisseur, tandis que la France est le deuxième partenaire de l’Allemagne, derrière les Pays-Bas. La France recherche en RFA des débouchés pour ses excédents agricoles ; les industriels allemands souhaitent vendre leurs produits sur le marché français. La reprise économique de la RFA, parfois jugée miraculeuse, se fait dès ses débuts sous l’égide de Ludwig Erhard, personnalité qui jouera un rôle considérable dans le contexte de la présente étude.

27Ludwig Erhard est né le 4 février 1897 à Fürth en Bavière. Son père, petit commerçant en textiles, libéral et catholique, permet à sa femme d’élever les enfants dans la religion protestante. À la suite d’une maladie, le pied droit du jeune garçon restera durablement déformé. Mobilisé néanmoins en 1916, Ludwig Erhard est grièvement blessé durant la Première Guerre mondiale. Il subit plusieurs opérations qui raccourcissent son bras gauche, le rendant définitivement atrophié. Malgré cet épisode et le fait que l’inflation détruit quasiment le commerce de son père, Ludwig Erhard ne devient ni amer ni radical. Il continue à s’accrocher aux valeurs libérales et tolérantes de sa famille et poursuit ses études. Après avoir obtenu en 1925 un doctorat en sciences économiques, il occupe un poste de chercheur au sein de l’Institut d’analyse des marchés à Nuremberg. Ses publications professent un idéal libre-échangiste, allant ainsi à l’encontre de la vision nazie. Le refus obstiné de Ludwig Erhard d’adhérer au parti national-socialiste a sans doute ralenti sa carrière et a contribué à lui barrer la voie académique. Il ne dépasse en effet pas le grade de vice-directeur de son Institut, qu’il quitte finalement en 1942 pour fonder une société privée pour l’étude des marchés.

  • 25 Les biographies : Volker HENTSCHEL, Ludwig Erhard. Ein Politikerleben, Berlin 1998. – Volkhard LAIT (...)

28En 1945, ses connaissances et ses convictions économiques lui valent un poste de conseiller auprès des autorités américaines d’occupation. Nommé directeur de l’Economie dans la bizone anglo-américaine il prépare la réforme monétaire de 1948, vigoureusement critiquée par les sociaux-démocrates. L’hostilité entre lui et la SPD continue après qu’Erhard devienne, en 1949, ministre fédéral de l’Economie, fonction qu’il exerce pendant quatorze ans. Les libéraux (FDP) soutiennent fermement ses idées libre-échangistes, parfois plus que la CDU, parti auquel il s’est joint sans toutefois en être devenu membre. En 1957, Erhard se voit conféré le titre de vice-chancelier. Pour beaucoup d’Allemands, il incarne – avec son corps bien nourri, son cigare et son optimisme – la renaissance économique de l’après-guerre. Son épouse ainsi que sa fille sont également des économistes25.

  • 26 H. HAFTENDORN, op. cit., pp. 56-59.

29Erhard est très réticent vis-à-vis de l’idée avancée dès 1955 par la Belgique de créer un Marché commun et une Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom). Il se méfie du dirigisme communautaire et préférerait établir un espace économique qui dépasserait largement le territoire des Six. Mais Konrad Adenauer accorde la priorité à l’aspect politique de l’initiative belge et écarte Ludwig Erhard des négociations. Le chancelier veut que la construction européenne se fasse à partir du couple franco-allemand, le meilleur moyen selon lui d’assurer l’avenir de l’Allemagne et de la réhabiliter sur le plan international26.

  • 27 Klaus HEITMANN, « Das französische Deutschlandbild in seiner Entwicklung », I-II, in : Sociologica (...)
  • 28 Peter Graf KIELMANSEGG, Nach der Katastrophe. Eine Geschichte des geteilten Deutschland, Berlin 200 (...)

30En France aussi, de sérieuses hésitations se manifestent, dues notamment à la tradition protectionniste et à la peur de la concurrence allemande. Toutefois, à part des arrière-pensées toujours présentes de contrôler l’ancien ennemi, les dirigeants français souhaitent de plus en plus sincèrement coopérer avec l’Allemagne. Parmi la population également, l’image de l’Allemagne a commencé à s’améliorer assez nettement depuis 195527. Les événements en Hongrie et la crise de Suez, en 1956, ont clairement montré l’illusion d’une entente avec l’URSS ou encore d’une coopération étroite avec la Grande-Bretagne. Le partenaire décisif de la France en Europe sera donc la République fédérale, dans un contexte communautaire. Les traités établissant l’Euratom et la Communauté économique européenne (CEE) sont signés à Rome, le 25 mars 1957, et ratifiés ensuite par les six pays. Mais en 1958, le retour au pouvoir du général de Gaulle sème l’inquiétude chez les Allemands qui croient cet adversaire d’une Europe supranationale capable de rejeter la création du Marché commun28.

  • 29 Les biographies : Philippe DE GAULLE, De Gaulle, mon père. Entretiens avec Michel Tauriac, 2 t., Pa (...)

31Charles de Gaulle est né dans une famille bourgeoise et catholique à Lille, le 22 novembre 1890, mais il a grandi à Paris. Après sa sortie de l’École militaire de Saint-Cyr, en 1913, le lieutenant de Gaulle participe à la Première Guerre mondiale, durant laquelle il est blessé trois fois. Fait prisonnier de guerre en 1916 et transféré en Allemagne, il essaie en vain de s’évader. Charles de Gaulle n’est libéré qu’à l’armistice. Avec Yvonne Vendroux, qu’il épouse en 1921, il a trois enfants29.

32Entre les deux guerres, de Gaulle enseigne à Saint-Cyr, puis à l’Ecole supérieure de guerre, et il occupe différents postes au sein de l’armée française, entre autres en Pologne (1919-21) et à Beyrouth (1929-31). Il publie de nombreux articles et ouvrages dont, notamment, Vers l’Armée de métier, en 1934. Ses idées anticonformistes en faveur d’une stratégie nouvelle de guerre de mouvement ne sont pas suivies par l’état-major français.

33Devenu commandant des chars de la Ve Armée en septembre 1939, le colonel de Gaulle parvient à un succès de courte durée contre les Allemands, en mai 1940. Le mois suivant, il est nommé général de brigade à titre temporaire et sous-secrétaire d’État à la Défense nationale. Lorsque le maréchal Pétain demande l’armistice, de Gaulle lance de Londres son célèbre appel à continuer le combat. Son ancien mentor Pétain le condamne à mort par contumace. De Gaulle organise la résistance depuis l’exil et s’impose par la suite comme le chef des Français libres, malgré l’opposition des Américains.

  • 30 Rassemblement du Peuple Français.

34Après la Libération, en octobre 1944, les alliés reconnaissent Charles de Gaulle comme président du gouvernement provisoire. Ses actions fermes et rapides évitent à la France d’être placée sous contrôle étranger, et ont pour effet sa place, dès 1945, à la table des vainqueurs. En désaccord avec les principaux partis politiques sur les dispositions de la IVe République, de Gaulle démissionne en janvier 1946. Il fonde ensuite un rassemblement politique, le RPF30, parti qui se solde finalement par un échec en 1953. Entre 1953 et 1958, « traversée du désert » : il se retire à Colombey-les-deux-Églises pour rédiger ses Mémoires de guerre.

35En mai 1958, incapable de régler la question de la guerre en Algérie, la IVe République française s’effondre. Elle rappelle Charles de Gaulle, le « plus illustre des Français », pour former un nouveau gouvernement. Celui-ci élabore une nouvelle constitution avec un président puissant. Le 28 septembre, 79,2 % des votants approuvent cette constitution, et la Ve République se met en place. Le 8 janvier 1959, Charles de Gaulle devient président.

  • 31 A. GROSSER, Affaires extérieures, op. cit., pp. 147-155.

36Il va réussir à écarter la guerre civile et à résoudre le problème algérien, mais dans un sens contraire aux espoirs des hommes qui lui ont permis de revenir au pouvoir31. Le 22 mars 1962 seront signés les accords d’Évian, qui mettront fin aux combats et ouvriront la voie à l’indépendance algérienne, quatre mois plus tard. Par ailleurs, le président de Gaulle hérite de bonnes conditions de croissance économique, souvent masquées par l’instabilité politique des gouvernements antérieurs. Il introduit en décembre 1958 le nouveau franc – valant 100 anciens francs – et des mesures efficaces pour assainir l’économie française.

  • 32 Maurice VAÏSSE, La grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969, Paris 1998, p. 22

37La politique étrangère exerce pour de Gaulle un rôle supérieur aux politiques économique, sociale ou culturelle et il en fait son domaine réservé. C’est donc le président qui met en place la politique extérieure française, le ministre des Affaires étrangères étant chargé de l’exécuter. Fondée sur une compréhension de l’histoire à longue durée, la conception gaullienne du monde est « marquée par un déterminisme de l’espace et du temps, une vision pessimiste de la nature humaine, mais en même temps par une grande faculté d’adaptation et un réel pragmatisme32 ». Ainsi le général de Gaulle respecte-t-il les signatures françaises des traités de Rome et consolide-t-il le Marché commun, projet que ses fidèles avaient d’abord âprement combattu.

  • 33 Propos rapporté par : Ph. DE GAULLE, op. cit., t. II, p. 143.

38Au cœur des conceptions de Charles de Gaulle se trouve la nation, qui tient la place de valeur politique suprême. Elle est selon lui une institution de décision, d’action, d’ambition, n’exprimant et ne servant que l’intérêt national. Le monde est constitué par un ensemble de nations durables, tandis que les idéologies et les régimes ne sont que provisoires. Par exemple, pour de Gaulle, la Russie est éternelle et l’URSS qu’un passage : « La Russie boira le communisme comme le buvard l’encre33. »

39Si le général reconnaît la réalité des liens entre les États et l’utilité des alliances, il aspire néanmoins à un maximum d’indépendance pour la nation française. La prospérité intérieure, la croissance économique et la puissance militaire servent principalement ce but, garantissant à la France une position de force dans les négociations avec les autres États. En même temps, par cette politique de grandeur nationale, le général de Gaulle cherche à rendre aux Français et aux Françaises leur sentiment de dignité, leur confiance durement éprouvée par l’Histoire.

  • 34 DM, t. V, p. 252, Allocution du 31 décembre 1967.
  • 35 M. VAÏSSE, La grandeur, op. cit., p. 233.

40Dans le concert des nations souhaité par de Gaulle, les États ne sont pas tous égaux – d’abord par leur taille et leur puissance, mais également par leur place dans l’Histoire. La France joue un rôle spécial de guide moral et ses intérêts, « parce qu’ils sont français, répondent à l’intérêt des hommes34 ». Quant à l’Allemagne, le général de Gaulle n’envisage pas de collaborer sur un pied d’égalité avec ce pays divisé, sans responsabilité mondiale et obéré par son passé35. La responsabilité explicite de la France pour la réunification allemande et pour Berlin, ainsi que le siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, manifestent la supériorité française sur la République fédérale, inégalité importante aux yeux du général. A cela s’ajoute que la France devient – avec l’explosion de Reggane (Sahara) en février 1960 – une puissance nucléaire, alors que ces armes sont interdites à la République fédérale.

  • 36 H.-P. SCHWARZ, Adenauer. Der Staatsmann, op. cit., pp. 385-401. – G.-H. SOUTOU, L’alliance incertai (...)

41Les Allemands, dont Konrad Adenauer, voient d’abord le retour au pouvoir de Charles de Gaulle avec beaucoup de réticence. Le chancelier craint surtout une entente directe entre le général et Moscou comme en 1944, ainsi qu’une rétractation des engagements français vis-à-vis de l’OTAN et de la construction européenne. Les premiers actes du nouveau président français semblent confirmer son attitude négative à l’égard de l’Allemagne : dès le 17 juin 1958, de Gaulle décide d’interrompre la coopération nucléaire entre la France, la République fédérale et l’Italie, projet dont le gouvernement Mollet avait pris l’initiative36. Lorsque le général déclare, fin juin, les priorités de sa politique, il mentionne l’Algérie, l’équilibre économique et la réforme de l’État. Konrad Adenauer constate avec peu de surprise l’absence, sur cette liste, de l’Allemagne et de la construction européenne.

  • 37 Au lieu de demander « Monsieur le chancelier, comment allez-vous ? », le général de Gaulle dit litt (...)

42Le chancelier allemand est donc assez préoccupé avant sa première rencontre avec Charles de Gaulle, le 14 septembre 1958, entrevue qu’il juge « nécessaire mais pas très agréable ». Cependant, leurs entretiens dans la maison privée du général de Gaulle à Colombey-les-deux-Églises dissipent non seulement l’équivoque régnant entre Paris et Bonn, mais créent aussi un lien très fort entre les deux hommes. Pour ajouter un élément amusant à cet événement amplement illustré, voici le tout premier échange de conversation entre Konrad Adenauer et Charles de Gaulle. Le chancelier Adenauer se rend en voiture chez le général. À cinq ou six kilomètres de Colombey, deux personnes avancent sur la petite route, le chauffeur ralentit et signale : « C’est le général de Gaulle. » En effet, les deux marcheurs sont Charles de Gaulle et son aide de camp, allant à la rencontre du chancelier. Konrad Adenauer descend de la voiture et un peu intimidé s’avance vers de Gaulle. Celui-ci, croyant qu’il parle bien l’Allemand, dit à Adenauer : « Herr Kanzler, wie gehen Sie ? » Konrad Adenauer s’étonne tellement qu’il répond : « Zu Fuss37»

  • 38 François SEYDOUX, Mémoires d’outre-Rhin, Paris 1975, p. 210.
  • 39 Ministère des Affaires étrangères, Documents diplomatiques français (DDF), 1958, Paris 1993, t. II, (...)

43Chez de Gaulle comme chez Adenauer, « le charme opère, immédiat38 ». Du lien affectif créé à Colombey résulteront, de 1958 à 1963, quinze rencontres, plus de cent heures d’entretiens et quarante lettres échangées entre les deux hommes. L’entrevue de la mi-septembre 1958 révèle également des convergences politiques importantes. Le chancelier Adenauer s’exprime de façon critique vis-à-vis des Américains et il affirme sa volonté de renforcer la coopération avec la France. Le général de Gaulle considère l’Allemagne comme un partenaire possible, voire souhaitable. Il accepte le Marché commun et dit vouloir enterrer toute rivalité franco-allemande. Plus encore, le communiqué final proclame : « Nous avons la conviction que la coopération étroite de la République fédérale d’Allemagne et de la République française est le fondement de toute œuvre constructive en Europe39. »

  • 40 Dwight Eisenhower, président américain 1953-61. Harold Macmillan, Premier ministre britannique 1957 (...)
  • 41 Reiner MARCOWITZ, Option für Paris ? Unionsparteien, SPD und Charles de Gaulle, 1958 bis 1969, Münc (...)

44Après la rencontre de Colombey, Konrad Adenauer constate avec soulagement que, selon de Gaulle, la menace vient de l’URSS et non plus de l’Allemagne. Mais l’idylle est aussitôt compromise lorsque le chancelier apprend l’existence d’un mémorandum français soumis à Washington et Londres le 17 septembre, trois jours seulement après les entretiens à Colombey. Par ce mémorandum, de Gaulle propose une réorganisation de l’OTAN pour associer la France à la direction du monde libre – aux côtés des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. On peut interpréter cette initiative comme preuve de la duplicité du général vis-à-vis de l’Allemagne ou bien comme prétexte pour prendre ses distances à l’égard de l’OTAN, sachant d’avance que le président américain répondra par la négative. D’un autre point de vue encore, de Gaulle souhaite s’entretenir avec Eisenhower et Macmillan40 sur les affaires mondiales et avec Adenauer sur les affaires européennes. En tout cas, le mémorandum préoccupe sérieusement le chancelier allemand qui craint l’émergence d’une nouvelle alliance anti-germanique au sein de l’Occident41.

  • 42 M. VAÏSSE, La grandeur, op. cit., p. 236. – Ernst WEISENFEI.D, Quelle Allemagne pour la France ? La (...)

45La deuxième conversation entre de Gaulle et Adenauer a lieu le 26 novembre 1958 à Bad-Kreuznach, cette fois-ci en présence des principaux ministres. Cette réunion s’inscrit dans le contexte de la crise de Berlin, qui a éclaté le 10 novembre et qui occupera le monde occidental – et surtout la République fédérale – pendant plusieurs années. Lors d’un discours prononcé à Moscou, Nikita Khrouchtchev a déclaré qu’en réarmant la RFA, l’Ouest a violé les accords de Potsdam. L’URSS dénoncera donc le statut quadripartite de Berlin en exigeant que les troupes alliées quittent Berlin-Ouest. Face à ces menaces soviétiques très violentes, Adenauer reçoit du président français la promesse d’un appui total. Le général de Gaulle, convaincu que les Américains ne pourront pas se montrer aussi fermes que lui, compte ainsi faire revenir les Allemands vers la France. En effet, sur la question de Berlin, les positions de Washington et surtout de Londres déçoivent le chancelier – le Premier ministre britannique semble même soutenir l’idée d’une zone démilitarisée en Europe42.

  • 43 Jacques BARIÉTY, De Gaulle, Adenauer et le genèse du traité de l’Elysée du 22 janvier 1963, in : DG (...)
  • 44 F. SEYDOUX, Mémoires d’outre-Rhin, op. cit., p. 225.
  • 45 Né à Reims le 24 janvier 1907 et fils de magistrat, Maurice Couve de Murville fait de brillantes ét (...)
  • 46 Reiner MARCOWITZ, « CDU-CSU, SPD et Charles de Gaulle (1958-1969) », in : Espoir, no. 113/1997, p.  (...)

46En décembre 1959, impressionné par la fermeté française dans l’affaire berlinoise, Konrad Adenauer propose pour la première fois au président de Gaulle des « traités » bilatéraux franco-allemands pour accorder l’action des deux gouvernements. En réponse, le général consent au principe, sans reprendre le mot « traité »43. Cependant, le chemin vers le traité de l’Élysée n’apparaît pas tout tracé. L’année 1960 apporte d’abord une dégradation sensible des rapports franco-allemands et une crise de confiance entre Adenauer et de Gaulle. La visite officielle en France de Nikita Khrouchtchev, du 23 mars au 3 avril, et l’explosion de la première bombe nucléaire française suscitent, en République fédérale, des soupçons d’un double jeu de la part du général. L’ambassadeur Seydoux rapporte la remarque de Konrad Adenauer : « Cette bombe, je voudrais bien savoir contre qui elle est conçue44. » D’autres incertitudes s’ajoutent. Après la réunion de décembre 1959, le chancelier se dit bouleversé de voir Maurice Couve de Murville45 et Michel Debré – respectivement ministre français des Affaires étrangères et Premier ministre – développer l’idée d’une défense ouest-européenne sous direction franco-allemande. Adenauer croit cette perspective chimérique et dangereuse, les Américains étant les seuls à pouvoir défendre l’Allemagne contre les Soviétiques. Pour lui, l’appui français dans la crise de Berlin est moins une aide militaire que morale, afin d’empêcher les Etats-Unis et la Grande-Bretagne de faire trop de concessions aux Russes46.

  • 47 Le 10 mai 1960, un avion espion américain U-2 a été abattu au-dessus de l’URSS.

47A cette époque où la guerre froide risque de devenir chaude, les stratégies de défense peuvent s’avérer des décisions de vie ou de mort. En effet, après l’échec du sommet à Paris les 16 et 17 mai 1960 – Khrouchtchev quitte la conférence avec pour prétexte l’affaire de l’U247 – jusqu’à la construction du Mur de Berlin (13 août 1961) et même au-delà, une guerre en Europe ne paraît pas si invraisemblable. De plus, sur cette question vitale qu’est la défense, les points de vue allemand et français divergent considérablement.

  • 48 Jacques BARIÉTY, « Les entretiens de Gaulle-Adenauer de juillet 1960 à Rambouillet. Prélude au plan (...)

48En juin 1960, Charles de Gaulle relance la coopération tripartite (Washington, Paris, Londres), ce qui cause en RFA de vives réactions. Peut-on faire confiance à de Gaulle, se demande alors Konrad Adenauer. Les entretiens franco-allemands à Rambouillet, à la fin de juillet 1960, manifestent des désaccords profonds sur la manière de réformer l’OTAN. Tandis que le général de Gaulle entend reprendre la souveraineté nationale en matière de défense, Adenauer souhaite une intégration aussi poussée que possible dans le cadre atlantique. Enfin, de Gaulle propose un texte en neuf points sur l’organisation de l’Europe : une coopération entre États – comprenant la politique, l’économie, la culture et la défense – qui se superposera aux Communautés européennes. Sans exclure leurs partenaires, la France et l’Allemagne formeront le noyau du projet. Dans l’esprit du général, ce plan devra barrer la route à la supranationalité, assurer la primauté du politique sur l’économique et préparer la réforme de l’OTAN48. Lors de la réunion de clôture, de Gaulle déclare qu’avec Adenauer ils sont parvenus à une entente sur l’essentiel du projet.

49Toutefois, la suite laisse à penser que l’entente était illusoire. Alors que le général veut accélérer le processus, les Allemands freinent et font comprendre qu’ils ne sont pas prêts à accepter une révision profonde de l’OTAN et encore moins des traités de Rome. Dans l’intimité, Adenauer dit avoir perdu sa confiance en de Gaulle, tandis que celui-ci doute de la volonté européenne du chancelier.

  • 49 Le chef du département d’État américain, un anti-communiste très ferme, est décédé d’un cancer en 1 (...)

50Ces dissensions ne changent rien au fait qu’il existe, des deux côtés du Rhin, une volonté de coopération étroite. Konrad Adenauer a toujours été partisan de la réconciliation profonde entre la France et l’Allemagne, bien qu’il n’entende pas s’aligner sur de Gaulle aux dépens de Washington. Lorsque le chancelier signale, le 26 janvier 1961, par l’intermédiaire de son ambassadeur à Paris, qu’il souhaite lier l’Allemagne à la France, plusieurs arrière-pensées peuvent y jouer un rôle. La situation de crise internationale et la menace qui pèse sur l’Allemagne exigent l’unité de l’Occident. Adenauer veut donc garder la France à l’intérieur de l’OTAN en servant de médiateur entre Paris et Washington. L’entente franco-allemande doit aussi détourner le général de Gaulle de son idée de tripartisme et d’une éventuelle liaison franco-russe. L’arrivée au pouvoir du président Kennedy, en janvier 1961, inquiète également le vieux chancelier, dont la confiance en Washington a diminué depuis le décès de son interlocuteur américain préféré, John Foster Dulles49. Enfin, pour promouvoir la construction européenne, but majeur du chancelier depuis 1949, l’accord avec Paris est indispensable.

  • 50 Georges-Henri SOUTOU, « Le général de Gaulle et le Plan Fouchet d’union politique européenne : un p (...)

51Le général de Gaulle reprend en février 1961 sa proposition sur la coopération européenne, mais il met l’accent sur l’institution de réunions périodiques des chefs d’État et de gouvernement des Six, idée que le chancelier Adenauer peut appuyer. Les 10 et 11 février, lors d’une conférence au sommet, Italiens, Belges et Luxembourgeois acceptent eux aussi ce projet, à condition que l’on ne touche pas à l’OTAN ni aux Communautés existantes. Toutefois, le Hollandais Joseph Luns oppose un refus et pour éviter l’échec, on crée une commission chargée d’élaborer des propositions concrètes : la Commission Fouchet50.

52Celle-ci présente son premier rapport le 24 avril 1961, prévoyant des réunions trimestrielles des six chefs de gouvernement, sans limite des sujets de discussion. Seuls les Hollandais élèvent des objections, car ils craignent l’affaiblissement des compétences de l’Alliance atlantique et des Communautés. Lors d’une nouvelle conférence, le 18 juillet 1961, les Six s’accordent sur un compromis : de Gaulle obtient la mise en place de réunions régulières au sommet afin d’aboutir à une « politique commune », mais en revanche il accepte la formule « renforçant ainsi l’Alliance atlantique ». Le général se garde désormais de discuter les domaines sensibles de la défense ou d’une subordination éventuelle des Communautés à l’union politique, sans forcément y renoncer ; car, dans son esprit, cette union représente à la fois la naissance d’une Europe qui ne dépendra plus totalement des États-Unis, et le début d’une vie commune fondée avant tout sur l’entente entre la France et l’Allemagne. De Gaulle se rend d’ailleurs bien compte que les Allemands font attention à ne pas contrarier leurs partenaires et que Bonn évite de choisir entre supranationalité et confédération.

  • 51 Christian FOUCHET, Mémoires d’hier et de demain. Au service du Général de Gaulle, Paris 1971, p. 19 (...)
  • 52 Horst OSTERHELD, « Ich gehe nicht leichten Herzens... ». Adenauers letzte Kanzlerjahre - ein dokume (...)

53Durant l’automne 1961, la Commission Fouchet prépare un traité sur l’union politique. Les Français proposent, le 19 octobre, un premier texte connu sous le nom de plan Fouchet I et, malgré la réticence hollandaise, le succès semble être « à portée de la main51 ». À la suite de nouvelles négociations, le Quai d’Orsay soumet, le 15janvier 1962, un projet de traité au général de Gaulle. Celui-ci y apporte des corrections capitales : il supprime les références à l’Alliance atlantique et au respect des traités de Rome, et il introduit le mot « économie » dans la liste des compétences de l’union politique, qui se superposerait ainsi aux Communautés. Lorsque le nouveau texte – le plan Fouchet II – est distribué le 18 janvier, les partenaires de la France sont consternés. À Bonn, certains se sentent trahis par ce général qui n’a aucune considération pour les besoins des autres52.

  • 53 R. MARCOWITZ, Option für Paris ?, op. cit., p. 64. – H. HAFTENDORN, Deutsche Aussenpolitik, op. cit (...)
  • 54 G.-H. SOUTOU, « Le général de Gaulle et le plan Fouchet », op. cit., p. 220.

54Konrad Adenauer s’efforce de sauver le projet, d’abord avec succès, puisqu’il obtient du président français un retour au compromis précédent. Le 10 avril 1962, le chancelier croit encore pouvoir aboutir avec l’union politique. Cependant, le 17 avril, les Belges et les Néerlandais rejettent un nouveau texte assez proche du plan Fouchet I, les Italiens prendront eux aussi leur distance par la suite. Pourquoi cet échec ? Selon le Quai d’Orsay, la raison en est la candidature britannique au Marché commun, annoncée le 31 juillet 1961 et qui complique toute idée d’union politique sans participation du Royaume-Uni. Le chancelier Adenauer partage cette impression, mais il blâme surtout les gouvernements hollandais et belge d’avoir pris une attitude peu constructive53. Il y a lieu de penser qu’une autre raison a joué un rôle décisif : les modifications introduites par le général de Gaulle à la mi-janvier 1962 ont révélé ses arrière-pensées profondes, montrant que la France et ses partenaires ne souhaitaient pas créer la même Europe54.

  • 55 DDF 1962, t. II, doc. 4, Entretien franco-allemand élargi, 5.7.62.

55Si nous avons décrit ce projet d’union politique des Six avec quelques détails, c’est parce qu’il prépare directement le traité franco-allemand du 22 janvier 1963. En effet, Charles de Gaulle et Konrad Adenauer tombent d’accord sur le fait de poursuivre l’œuvre à deux, si les autres Européens ne veulent pas se joindre au plan Fouchet. Ainsi, le 5 juillet 1962, de Gaulle s’adresse de façon solennelle à Adenauer : « Je voudrais vous poser une question directe et très importante. [...] la République fédérale accepterait-elle de conclure avec la France une union politique qui serait en fait et par la force des choses limitée à deux ? » Le chancelier affirme : « Pour répondre à votre question, je dirais nettement : oui. Nous serions prêts à accepter cette union restreinte en laissant la place ouverte aux autres membres55. »

  • 56 H.-P. SCHWARZ, Adenauer. Der Staatsmann, op. cit., p. 747.

56Le sens que les deux hommes attribuent à l’accord franco-allemand sera étudié plus en détail. Limitons-nous à mentionner ici que Charles de Gaulle et Konrad Adenauer se sentent de plus en plus solidaires face aux Américains. Scandalisé par la politique d’appeasement du président Kennedy, le chancelier constate dès avril 1962 qu’il « reste seulement le bloc France-Allemagne56 ». La crise de Cuba en octobre va encore renforcer considérablement les liens entre Paris et Bonn.

  • 57 F. SEYDOUX, Mémoires d’outre-Rhin, op. cit., p. 304.

57En 1962, l’entente du général et du chancelier atteint une dimension presque religieuse par leur volonté de réconcilier profondément Français et Allemands. Le 6 juillet, ils en donnent une grande démonstration. Charles de Gaulle et Konrad Adenauer célèbrent alors côte à côte une messe solennelle dans la cathédrale de Reims et « ils confient à Dieu le destin de leurs peuples57 ». Peu avant la messe ont défilé ensemble, pour la première fois, des troupes françaises et allemandes, pour illustrer que les deux armées sont désormais unies pour défendre la même cause.

  • 58 DM, t. IV, pp. 6-7, 15-18, Allocutions prononcées à Bonn (5.9.62) et à Ludwigsburg (9.9.62).
  • 59 Témoignage de Karl Carstens, in : Jean LACOUTURE, De Gaulle ou l’éternel défi, Paris 1988, p. 360.

58Tandis que le peuple français reste assez indifférent à la visite officielle du chancelier Adenauer en juillet, le voyage officiel du général de Gaulle en République fédérale, du 4 au 9 septembre 1962, devient triomphal. Dans une dizaine de villes allemandes, le président français s’adresse – en allemand – aux foules et suscite un enthousiasme que personne n’avait imaginé. Le général parle du devoir des ennemis d’autrefois de devenir des frères et il lance à ses auditeurs : « Sie sind ein grosses Volk58 ! » (Vous êtes un grand peuple !). Ces mots, prononcés par l’ancien chef de la France libre, ont un impact incroyable sur une population souffrant d’un sentiment collectif de culpabilité. Aux aciéries Thyssen, par exemple, les politiciens allemands assistent à une fraternisation extraordinaire entre le chef de l’Etat français et les ouvriers de la sidérurgie allemande ; de Gaulle est presque étouffé par les hommes qui s’empressent de lui serrer la main59. La politique franco-allemande est ainsi validée par le peuple, observe Adenauer. Le 5 septembre, il demande de lier durablement les deux peuples par un accord diplomatique.

  • 60 Joseph ROVAN, « De Gaulle légitime la réconciliation », in : Documents, no. 1/2003, pp. 20-23.
  • 61 DM, t. IV, p. 13, Allocution prononcée à Hambourg, 7.9.62.

59Cette réconciliation intervenue et manifestée ensuite par le traité franco-allemand du 22 janvier 1963, est le point de départ de la présente étude. Certes, le processus de réconciliation avait déjà été amorcé durant les années 1950, mais jamais il n’y avait eu de cérémonie solennelle ou formelle entre Français et Allemands jusqu’en 1962/63. Charles de Gaulle légitime la réconciliation, il lui donne de l’altitude60. Le sens donné au terme par Le Petit Robert – « action de rétablir l’amitié » et « oubli des querelles » – ne décrit pas tout ce que signifie pour de Gaulle cette réconciliation avec les Allemands : elle est un acte sentimental qui devra toutefois entraîner la coopération organique voire même « l’union61 » des deux pays. Notre analyse des rapports entre Paris et Bonn, de janvier 1963 jusqu’à la démission du président de Gaulle le 28 avril 1969, se propose de présenter le processus engagé pour établir cette entreprise ambitieuse, et va en dégager les forces et les limites principales. Les nombreux affrontements franco-allemands durant la période étudiée démontrent qu’un travail important du rapprochement mutuel reste à accomplir après l’acte formel de la réconciliation.

  • 62 H. OSTERHELD, Ich gehe nicht leichten Herzens, op. cit., p. 192. – Cf. aussi : FNSP, CM8, Lettre de (...)
  • 63 G. ZIEBURA, op. cit., p. 137.

60Konrad Adenauer est considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands Allemands de tous les temps. Et Adenauer a lui-même dit, à la fin de sa vie, que le traité de l’Elysée était l’œuvre principale de sa carrière62. On peut donc mesurer l’importance de l’événement. Si l’on comprend cette réconciliation franco-allemande dans le sens voulu par Adenauer et de Gaulle, à savoir comme le point de départ d’une coopération privilégiée, elle contient quelques limites dès le début. La République fédérale de 1963 n’a pas un statut d’égalité internationale avec la France, et Charles de Gaulle ne situe pas les deux pays au même niveau. On verra également que le général garde une certaine méfiance à l’égard de l’Allemagne. Konrad Adenauer, quant à lui, est très réticent envers quelques aspects de la politique gaullienne, notamment sur le plan de la défense. Or, un politologue allemand appelle la relation entre de Gaulle et Adenauer un conflit voilé, car les divergences politiques, cachées derrière la nouvelle amitié, ne se manifestent pas ouvertement63.

61La comparaison des positions intérieures des deux personnages vedettes laisse apparaître une autre limite à cette entente franco-allemande. Le président de Gaulle a une assise confirmée en France. Au référendum du 28 octobre 1962, les Français approuvent à 61,8 % l’élection au suffrage universel du président de la République, ce qui assure sa liberté vis-à-vis des partis. Les élections législatives de novembre 1962 donnent lieu à un raz-de-marée gaulliste, puisque l’UNR – Union pour la Nouvelle République, le parti qui soutient de Gaulle – obtient 42,1 % des voix et 233 députés ; si on leur ajoute les 35 Républicains indépendants emmenés par Valéry Giscard d’Estaing, le gouvernement dispose à l’Assemblée nationale d’une majorité absolue. Avec la conclusion des accords d’Évian en mars 1962, de Gaulle s’est affranchi de l’hypothèque algérienne et peut désormais poursuivre librement sa politique étrangère. Ses actions en faveur de la décolonisation augmentent également son prestige dans le monde.

  • 64 Tout d’abord, le « Mur » consiste en un rideau de fil barbelé.
  • 65 Né à Sarrebruck d’une famille protestante, le 11 septembre 1910, Gerhard Schröder termine brillamme (...)

62En revanche, l’autorité de Konrad Adenauer en République fédérale est sur le déclin. Lors des élections législatives de septembre 1961, quelques semaines après la construction du Mur de Berlin64, la CDU/CSU perd sa majorité absolue en obtenant 45,5 % des voix. Elle forme alors une coalition avec le parti libéral FDP (12,8 %), les sociaux-démocrates restant dans l’opposition (36,2 %). Les libéraux souhaitent d’abord remplacer Konrad Adenauer par Ludwig Erhard. Finalement, les deux partis consentent qu’Adenauer demeure chancelier mais pour une demi-législature seulement. Au même moment, son fidèle ministre des Affaires étrangères, Heinrich von Brentano, est remplacé par Gerhard Schröder65 (CDU), beaucoup moins bien disposé envers Paris que le chancelier.

63Durant son dernier mandat, Konrad Adenauer se voit critiqué de tous côtés. Les libéraux lui reprochent son refus intransigeant de dialoguer avec les Soviétiques et ses doutes vis-à-vis des Américains. Les sociaux-démocrates ont accepté dès 1960 d’ancrer la RFA à l’Ouest et se font désormais les champions de l’intégration européenne et de l’amitié avec l’Amérique ; ils récusent donc le soutien de Bonn aux positions européennes du général de Gaulle, et réclament l’élargissement du Marché commun. Konrad Adenauer est presque seul à émettre des réserves sur l’adhésion britannique et s’isole même au sein de la CDU. Une grande partie des dirigeants chrétiens-démocrates craignent que de Gaulle n’envisage d’affaiblir, voire de détruire les organisations atlantiques et européennes sans créer d’équivalent. La conférence de presse du 14janvier 1963 à l’Elysée va accentuer brusquement ces inquiétudes et renforcer les scissions déjà existantes à l’intérieur du gouvernement allemand.

  • 66 La « crise présidentielle » a amorcé la perte d’autorité du chancelier dès 1959 : après avoir annon (...)
  • 67 H.-P. SCHWARZ, Adenauer. Der Staatsmann, op. cit., p. 977.

64Au début de 1963, Konrad Adenauer est un chancelier arrivant à son terme, affaibli politiquement par différentes affaires66 et physiquement par le diabète, ainsi que par une crise cardiaque subie en janvier 196267. Néanmoins, il continue à faire preuve d’une vitalité étonnante et s’apprête, le 22 janvier 1963, à sceller contre tout obstacle la coopération privilégiée entre l’Allemagne et la France.

  • 68 A. PEYREFITTE, op. cit., t. I, p. 116, 18.4.62.
  • 69 M. VAÏSSE, La grandeur, op. cit., pp. 307-308.

65Notre présente recherche traite des relations entre la France et la République fédérale en tant qu’États. Nous nous concentrons donc sur les hommes qui représentent leurs pays respectifs à l’extérieur, de 1963 à 1969. Pour la politique étrangère de la RFA, ce sont essentiellement les chanceliers, les ministres des Affaires étrangères et les ambassadeurs et, pour des questions spécifiques, les ministres de la Défense et de l’Économie. En France, on l’a déjà mentionné, une seule personne conçoit la politique étrangère de cette époque : le président de Gaulle. Il ne laisse aucun doute quant à sa fonction de décideur suprême, comme l’illustre cette explication vis-à-vis d’un ministre : « Le gouvernement n’a pas de substance en dehors de moi. Il n’existe que par mon fait68. » Sous de Gaulle, le Premier ministre français n’assure pas la responsabilité d’exécuter les décisions de politique extérieure, tâche réservée uniquement au ministre des Affaires étrangères et à ses services69.

66L’approche choisie nous a conduit à étudier les documents archivés par les deux gouvernements, français et allemand. Cela présente de précieux avantages : nous pouvons comparer deux points de vue sur les mêmes affaires et ainsi révéler des convictions et arrière-pensées cachées ; certaines démarches secrètes n’ont laissé de traces que dans les archives d’un seul pays ; lors de rencontres avec des représentants d’outre-Rhin, les politiciens et les diplomates font parfois plus de confidences que ne le font croire leurs propres rapports.

67Les diverses questions qui ont guidé notre recherche reflètent la complexité du sujet. Une première problématique émane du concept gaullien de la nation. Maintes fois le général de Gaulle démontre l’importance capitale que représente pour lui la souveraineté nationale. Comment donc la France peut-elle établir une politique commune avec un autre Etat et prendre conjointement des décisions, si elle considère sa souveraineté nationale comme intouchable ?

68Pour les Allemands, l’idée d’une coopération privilégiée entre nations comporte également des aspects conflictuels. L’expérience du nazisme avait suscité, à l’étranger et aussi en Allemagne même, une aversion très puissante contre tout symptôme de nationalisme allemand. Puisque nation et nationalisme semblaient étroitement liés, l’Allemagne occidentale s’efforçait, après 1945, de trouver sa place grâce aux organisations multilatérales, les Communautés européennes et l’OTAN. Comment les Allemands peuvent-ils combiner l’approche du traité de l’Elysée, fondé sur le concept des nations, avec ces organisations empreintes de la notion de supranationalité ? La République fédérale est-elle prête à lâcher quelque peu le modèle poursuivi depuis la Seconde Guerre mondiale et à reprendre l’idée de nation ?

69En même temps, il existe une antinomie profonde entre les visions d’une Europe disposant d’elle-même et d’une Europe dominée par Washington. Le général de Gaulle souhaite créer, sur la base du couple franco-allemand, une Europe qui va se détacher peu à peu de l’omnipotence américaine. S’ensuivent trois questions : les États-Unis permettront-ils ce processus ? Le but gaullien est-il envisageable, à une époque où les armes américaines sont les seules à pouvoir défendre l’Europe occidentale contre une éventuelle agression soviétique ? Et enfin : les Allemands préfèrent-ils une Europe européenne à une Europe atlantique ?

70Une autre problématique découle de l’inégalité très manifeste, en 1963, entre la France et la République fédérale. Les Allemands vont-ils accepter le rôle de partenaire junior, proposé par le général de Gaulle ? Comment le gouvernement français va-t-il réagir face à des tentatives d’émancipation de la RFA ? Ensuite se pose la question de l’attitude à prendre vis-à-vis de la division de l’Allemagne. Selon Bonn, une amitié véritable implique que la France appuie le désir des Allemands de se réunifier. Mais le général de Gaulle peut-il vraiment souhaiter la réunification de l’Allemagne, alors que cela changerait sensiblement les rapports de force au détriment de Paris ?

71Dans ce contexte, il nous paraît intéressant de voir si la France et la République fédérale réussissent à jeter les bases d’une politique commune envers l’URSS, car Moscou détient sans doute la clé de la réunification – jamais l’Allemagne ne se réunifiera contre le veto soviétique, sinon par la guerre. Le couple franco-allemand pourra-t-il défendre une position commune face à l’Union soviétique et ses satellites ? Le chancelier Adenauer souhaite en 1963 que le traité de l’Élysée mette fin à toute idée d’alliance franco-russe contre l’Allemagne ou germano-russe contre la France. La confiance établie est-elle en effet assez forte, pour que Bonn et Paris s’abstiennent de chercher un dialogue avec Moscou dans le dos du partenaire ?

72Afin de pouvoir développer ces différentes problématiques de façon claire et condensée, nous avons opté pour une répartition thématique du sujet. La première partie de la présente étude regroupe les principales forces qui réunissent à notre avis la France et la République fédérale durant la période étudiée : le traité de l’Élysée et les objectifs qu’il représente, ainsi que l’Économie et les Finances.

73Deuxièmement, nous décrivons les intérêts politiques qui divisent Paris et Bonn : leurs relations avec les États-Unis et leurs visions différentes de l’Europe. La troisième partie traite de thèmes liés aux méfiances et jalousies subsistant malgré la réconciliation de 1963 : l’image de l’autre et l’incapacité des Allemands et des Français à mener une politique commune envers Moscou.

  • 70 Pour les relations entre la France et la RDA, cf. : Ulrich PFEIL, Die « anderen » deutsch-französis (...)
  • 71 Reiner MARCOWITZ, Option für Paris ?, op. cit.–Tim GEIGER, “Atlantiker” und “Gaullisten”. Aussenpol (...)
  • 72 M. VAÏSSE, La grandeur, op. cit., pp. 333-335. – Pour une documentation détaillée des luttes politi (...)

74Les limites du champ d’étude se sont imposées à la fois pour des raisons de faisabilité et par notre volonté de nous en tenir aux sujets essentiels des rapports entre Paris et Bonn. Ainsi, nous ne dépassons pas le cadre de la politique européenne, car la coopération franco-allemande vise prioritairement l’Europe. Nous incluons toutefois la politique des États-Unis, étant donné son influence directe sur les affaires européennes, mais aussi – de par le stationnement de troupes – la présence physique des Américains sur le continent. Tout comme Bonn, la France ne reconnaît pas la RDA en tant qu’État durant les années 1960, ce qui implique l’absence de rapports entre gouvernements ; la RDA ne fait donc pas l’objet de notre étude70. Enfin, nous n’abordons que peu les discussions à l’intérieur des partis allemands et très rarement les différents courants politiques en France. Nous renvoyons pour ce genre d’étude, du côté allemand, à l’excellent livre de Reiner Marcowitz et à la thèse de Tim Geiger71. Du côté français, les partis politiques ne semblent pas pouvoir peser sur les actes du général de Gaulle, qui considère comme la pire des fautes de vouloir subordonner la politique étrangère à des réflexions d’ordre intérieur. Notons par ailleurs que les sondages d’opinion tendent à montrer un accord profond de la population française avec la politique extérieure de son président72.

75Le présent livre se base essentiellement sur nos recherches effectuées dans les archives et ne prétend pas décrire l’ensemble des opinions, fort nombreuses, existant sur le sujet. Les fonds d’archives que nous avons pu consulter en République fédérale sont relativement plus riches que les fonds examinés en France. Cela tient au fait que les documents des principaux acteurs allemands sont désormais accessibles, y compris ceux de Konrad Adenauer, Ludwig Erhard, Kurt Kiesinger, Gerhard Schröder et Willy Brandt. Les archives de conseillers éminents comme Egon Bahr, Horst Osterheld ou Karl Carstens fournissent également des informations précieuses, additionnelles aux nombreux fonds du ministère allemand des Affaires étrangères (Auswärtiges Amt) à Berlin et du Bundesarchiv à Coblence et Fribourg.

76En France, nous avons pu accéder à des centaines de dossiers archivés au Quai d’Orsay, dont notamment la série Entretiens et messages du secrétariat général, le vaste fonds sur la RFA et les papiers de Maurice Couve de Murville. Les documents les plus personnels du ministre sont accessibles aux archives de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP). S’y ajoutent les pièces consultées aux Archives nationales à Paris (surtout la série Allemagne), au Centre des archives contemporaines à Fontainebleau (services du Premier ministre), au Centre des archives diplomatiques de Nantes (Bonn Ambassade) , au Service historique de l’Armée de terre à Vincennes, et au Centre des archives économiques et financières à Savigny-le-Temple, dans la région parisienne. En outre, nous avons pu bénéficier des Archives orales conservées par le Quai d’Orsay et la Fondation Charles-de-Gaulle ; cette habitude française d’enregistrer des interviews avec des témoins n’existe malheureusement pas en RFA.

  • 73 Cf. Agnès CALLU, « Les archives du général de Gaulle ou la matrice de l’histoire gaullienne », in : (...)
  • 74 Alain PEYREFITTE, C’était de Gaulle, 3 t., Paris 1994-2000. – Au cours de notre travail de recherch (...)

77En revanche, les papiers personnels du général de Gaulle et les notes manuscrites prises en Conseil des ministres par ses secrétaires -Étienne Burin des Roziers et Bernard Tricot - restent encore inaccessibles73. Devant cette situation, les trois tomes intitulés C’était de Gaulle d’Alain Peyrefitte, à l’époque porte-parole du général de Gaulle, sont pour nous un outil de travail d’une grande valeur ; Alain Peyrefitte dévoile en effet une grande partie des notes qu’il était autorisé à prendre – au contraire des autres ministres – durant les réunions avec de Gaulle74. Ces transcriptions ainsi que les comptes rendus des entretiens secrets avec les dirigeants étrangers, fournissent souvent les indications les plus intimes sur les idées du président français, qui a parfois délibérément entouré d’un certain mystère ses pensées profondes.

78Afin de trouver des réponses à des questions spécifiques liées aux relations franco-allemandes, nous avons en outre consulté des archives britanniques et américaines, démarche qui s’est révélée très utile. Vers la fin de notre recherche, nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec des témoins de l’époque, ce qui nous a permis de compléter et de vérifier certaines informations recueillies dans les archives. Si nous avons interviewé plus de personnalités françaises qu’allemandes, cela ne provient nullement d’une préférence de notre part. Il semble plutôt qu’il y ait eu plus de responsables jeunes, durant les années 1960, du côté français.

  • 75 Pour les notices bibliographiques complètes, cf. l’annexe (pages 420-427).

79Parmi les sources publiées, il convient de mentionner en particulier les riches volumes Akten zur Auswärtigen Politik der Bundesrepublik Deutschland (AAPD) et les Documents diplomatiques français (DDF), ainsi que les collections Discours et Messages (DM) et Lettres, Notes et Carnets (LNC) de Charles de Gaulle, largement connues75. Les mémoires de quelques fonctionnaires sont fondées sur des notes prises à l’époque et sont ainsi sources d’indications précises ; c’est le cas des souvenirs laissés par Hervé Alphand, François Seydoux, Rolf Lahr et Horst Osterheld. Les mémoires de Maurice Couve de Murville et de Willy Brandt donnent des visions d’ensemble, parfois imprégnées de leur point de vue postérieur. Charles de Gaulle et Konrad Adenauer n’ont pas terminé la rédaction de leurs souvenirs sur la période qui nous intéresse et les chanceliers Erhard et Kiesinger n’ont pas laissé de mémoires sur leur vie politique.

80De la masse des publications sur le général de Gaulle, nous soulignons le livre de référence de Maurice Vaïsse, La grandeur, Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969, le récit du conseiller présidentiel Pierre Maillard, De Gaulle et le problème allemand, et les volumineux actes du colloque tenu à l’Unesco en novembre 1990, intitulé De Gaulle en son siècle (DGESS). Les œuvres de Georges-Henri Soutou, L’alliance incertaine et La guerre de Cinquante Ans, placent la politique gaullienne envers l’Allemagne dans un contexte mondial, avec une connaissance très exacte des archives françaises. Parmi les livres en langue allemande nous tenons à relever, à part celui de Reiner Marcowitz déjà mentionné, les biographies de Konrad Adenauer par Hans-Peter Schwarz et de Ludwig Erhard par Volker Hentschel, l’analyse de la politique de Kurt Georg Kiesinger par Dirk Kroegel, ainsi que l’étude très bien documentée d’Adrian Schertz sur les relations germano-américaines de 1961 à 1968.

Note

1 Georges-Henri SOUTOU, L’alliance incertaine. Les rapports politico-stratégiques franco-allemands, 1954-1996, Paris 1996, p. 7. – Gilbert ZIEBURA, Die deutsch-französischen Beziehungen seit 1945. Mythen und Realitäten, Stuttgart 1997, p. 57.

2 Alfred GROSSER, L’Allemagne en Occident. La République fédérale 40 ans après, Paris 1985, p. 14.

3 Cf. Alfred GROSSER, Affaires extérieures. La politique de la France, 1944-1984. Paris 1989, pp. 29-35.

4 Charles DE GAULLE, Discours et Messages (DM), t. I, Paris 1970, p. 616 : déclaration du 10.9.45.

5 DM, t. I, p. 457, Conférence de presse, 25.10.44.

6 DM, t. I, p. 623, Discours prononcé à Strasbourg, 5.10.45.

7 À ce moment-là, Churchill ne parle plus en tant que Premier ministre britannique, Clément Attlee l’ayant remplacé en juillet 1945.

8 G.-H. SOUTOU, L’alliance incertaine, op. cit., pp. 17-18.

9 Stefan MARTENS, « L’image des occupants français en Allemagne, 1945-1949 », in : Les Cahiers de l’IHTP, no. 28, juin 1994, pp. 49-59. – Joseph ROVAN, France - Allemagne, deux nations - un avenir, Paris 1988, pp. 137-151. – G. ZIEBURA, op. cit., pp. 70-72.

10 Les biographies : Henning KÖHLER, Adenauer. Eine politische Biographie, Berlin 1994. – Hans-Peter SCHWARZ, Adenauer, 2 t., Stuttgart 1986-1991. – Joseph ROVAN, Konrad Adenauer, Paris 1987. – Charles WILLIAMS, Adenauer. The Father of the New Germany, New York 2000.

11 Cf. Helga HAFTENDORN, Deutsche Aussenpolitik zwischen Selbstbeschränkung und Selbstbehauptung, 1945-2000, Stuttgart 2001, pp. 46-51, 57-59.

12 Ministre français des Affaires étrangères de 1948 à 1953 et membre du MRP.

13 Commissaire général au Plan. J. Monnet devient ensuite le premier président de la Haute Autorité de la CECA.

14 Raymond POIDEVIN, Jacques BARIÉTY, les Relations franco-allemandes, 1815-1975, Paris 1977, p. 332. – G.-H. SOUTOU, L’alliance incertaine, op. cit., pp. 11-12.

15 DM, t. II, p. 310, Discours prononcé à Bordeaux, 25.9.49.

16 Alain PEYREFITTE, C’était de Gaulle, t. II, Paris 1997, p. 267.

17 DM, t. II, Conférence de presse, 12.11.53, pp. 594, 596.

18 G.-H. SOUTOU, L’alliance incertaine, op. cit., p. 14.

19 Dieter MAHNCKE, Nukleare Mitwirkung. Die BRD in der atlantischen Allianz 1954-1970, Berlin 1972, p. 6.

20 Gregor SCHÖLLGEN, Die Aussenpolitih der Bundesrepublik Deutschland. Von den Anfängen bis zur Gegenwart, München 1999, pp. 34-40.

21 Guy Mollet (SFIO), président du Conseil de février 1956 à mai 1957.

22 G.-H. SOUTOU, L’alliance incertaine, op. cit., pp. 33-35. – La préparation d’explosions nucléaires sera définitivement lancée le 30 novembre 1956.

23 Hans-Peter SCHWARZ, Adenauer. Der Staatsmann : 1952-1967, Stuttgart 1991, pp. 329-331.

24 Laurent LEBLOND, Le couple franco-allemand depuis 1945, Paris 1997, p. 105.

25 Les biographies : Volker HENTSCHEL, Ludwig Erhard. Ein Politikerleben, Berlin 1998. – Volkhard LAITENBERGER, Ludwig Erhard. Der Nationalökonom als Politiker, Göttingen 1986. – Alfred C. MIERZEJEWSKI, Ludwig Erhard. A biography, Chapel Hill 2004.

26 H. HAFTENDORN, op. cit., pp. 56-59.

27 Klaus HEITMANN, « Das französische Deutschlandbild in seiner Entwicklung », I-II, in : Sociologica internationalis, no. 4/1966, p. 192.

28 Peter Graf KIELMANSEGG, Nach der Katastrophe. Eine Geschichte des geteilten Deutschland, Berlin 2000, pp. 182-184. – G.-H. SOUTOU, Lalliance incertaine, op. cit, pp. 58-63.

29 Les biographies : Philippe DE GAULLE, De Gaulle, mon père. Entretiens avec Michel Tauriac, 2 t., Paris 2003-2004. – Eric ROUSSEL, Charles de Gaulle, Paris 2002. – Paul-Marie DE LA GORGE, De Gaulle, Paris 1999. – Jean LACOUTURE, De Gaulle, 3 t., Paris 1984-1986. – Peler SCHUNCK, Charles de Gaulle. Ein Leben fur Frankreichs Grasse, Berlin 1998. – Ernst WEISENFELD, De Gaulle. Der Magier im Elysée, München 1990. – Charles WILLIAMS, The last great Frenchman. A life of General de Gaulle, London 1995. – Bernard LEDWIDGE, De Gaulle, London 1982.

30 Rassemblement du Peuple Français.

31 A. GROSSER, Affaires extérieures, op. cit., pp. 147-155.

32 Maurice VAÏSSE, La grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969, Paris 1998, p. 22.

33 Propos rapporté par : Ph. DE GAULLE, op. cit., t. II, p. 143.

34 DM, t. V, p. 252, Allocution du 31 décembre 1967.

35 M. VAÏSSE, La grandeur, op. cit., p. 233.

36 H.-P. SCHWARZ, Adenauer. Der Staatsmann, op. cit., pp. 385-401. – G.-H. SOUTOU, L’alliance incertaine, op. cit., pp. 71-95.

37 Au lieu de demander « Monsieur le chancelier, comment allez-vous ? », le général de Gaulle dit littéralement « Monsieur le chancelier, comment vous déplacez-vous ? » K. Adenauer répond : « À pied. » – Épisode raconté par K. Adenauer à V. Giscard d’Estaing, qui nous l’a communiqué lors d’un entretien à Paris, le 16 mars 2005.

38 François SEYDOUX, Mémoires d’outre-Rhin, Paris 1975, p. 210.

39 Ministère des Affaires étrangères, Documents diplomatiques français (DDF), 1958, Paris 1993, t. II, doc. 155.

40 Dwight Eisenhower, président américain 1953-61. Harold Macmillan, Premier ministre britannique 1957-63.

41 Reiner MARCOWITZ, Option für Paris ? Unionsparteien, SPD und Charles de Gaulle, 1958 bis 1969, München 1996, pp. 25-27. – HP. SCHWARZ, Adenauer. Der Staatsmann, op. cit., pp. 457-461.

42 M. VAÏSSE, La grandeur, op. cit., p. 236. – Ernst WEISENFEI.D, Quelle Allemagne pour la France ? La politique étrangère française et l’unité allemande depuis 1944, Paris 1989, pp. 97-99.

43 Jacques BARIÉTY, De Gaulle, Adenauer et le genèse du traité de l’Elysée du 22 janvier 1963, in : DGESS, t. V, p. 355.

44 F. SEYDOUX, Mémoires d’outre-Rhin, op. cit., p. 225.

45 Né à Reims le 24 janvier 1907 et fils de magistrat, Maurice Couve de Murville fait de brillantes études et intègre à vingt-trois ans l’Inspection des finances. Dès septembre 1940, il s’installe à Vichy comme directeur des Finances extérieures ; à ce titre, il siège à la commission d’armistice à Wiesbaden. En novembre 1942, il gagne Alger et s’impose comme commissaire aux Finances du Comité fiançais de libération nationale, sous le général Giraud puis sous le général de Gaulle. En 1945 Couve de Murville devient directeur des Affaires politiques au Quai d’Orsay, puis ambassadeur au Caire, à Washington et à Bonn, où il noue de très bons liens avec Konrad Adenauer. Maurice Couve de Murville dirige ensuite le Quai d’Orsay pendant dix ans, de 1958 à 1968.

46 Reiner MARCOWITZ, « CDU-CSU, SPD et Charles de Gaulle (1958-1969) », in : Espoir, no. 113/1997, p. 60.

47 Le 10 mai 1960, un avion espion américain U-2 a été abattu au-dessus de l’URSS.

48 Jacques BARIÉTY, « Les entretiens de Gaulle-Adenauer de juillet 1960 à Rambouillet. Prélude au plan Fouchet et au traité de l’Elysée », in : Revue d’Allemagne. no. 2/29, avril-juin 1997, pp. 167-176.

49 Le chef du département d’État américain, un anti-communiste très ferme, est décédé d’un cancer en 1959.

50 Georges-Henri SOUTOU, « Le général de Gaulle et le Plan Fouchet d’union politique européenne : un projet stratégique », in : Revue d’Allemagne, no. 2/29, avril-juin 1997, pp. 215-217. – Les journalistes baptisent cette commission d’après son président, Christian Fouchet, jusque-là ambassadeur français au Danemark.

51 Christian FOUCHET, Mémoires d’hier et de demain. Au service du Général de Gaulle, Paris 1971, p. 199.

52 Horst OSTERHELD, « Ich gehe nicht leichten Herzens... ». Adenauers letzte Kanzlerjahre - ein dokumentarischer Bericht, Mainz 1986, p. 97.

53 R. MARCOWITZ, Option für Paris ?, op. cit., p. 64. – H. HAFTENDORN, Deutsche Aussenpolitik, op. cit., p. 75. – AMAE, RFA 1603, Note du 20.6.64.

54 G.-H. SOUTOU, « Le général de Gaulle et le plan Fouchet », op. cit., p. 220.

55 DDF 1962, t. II, doc. 4, Entretien franco-allemand élargi, 5.7.62.

56 H.-P. SCHWARZ, Adenauer. Der Staatsmann, op. cit., p. 747.

57 F. SEYDOUX, Mémoires d’outre-Rhin, op. cit., p. 304.

58 DM, t. IV, pp. 6-7, 15-18, Allocutions prononcées à Bonn (5.9.62) et à Ludwigsburg (9.9.62).

59 Témoignage de Karl Carstens, in : Jean LACOUTURE, De Gaulle ou l’éternel défi, Paris 1988, p. 360.

60 Joseph ROVAN, « De Gaulle légitime la réconciliation », in : Documents, no. 1/2003, pp. 20-23.

61 DM, t. IV, p. 13, Allocution prononcée à Hambourg, 7.9.62.

62 H. OSTERHELD, Ich gehe nicht leichten Herzens, op. cit., p. 192. – Cf. aussi : FNSP, CM8, Lettre de Max Adenauer à Maurice Couve de Murville, 10.5.67.

63 G. ZIEBURA, op. cit., p. 137.

64 Tout d’abord, le « Mur » consiste en un rideau de fil barbelé.

65 Né à Sarrebruck d’une famille protestante, le 11 septembre 1910, Gerhard Schröder termine brillamment ses études de droit en 1933 et ouvre ensuite un cabinet d’avocat. En 1941 il quitte le parti national-socialiste, auquel il s’est inscrit en 1933, et se marie avec une femme d’origine juive. Gerhard Schröder est mobilisé en 1939, fait prisonnier à la fin de la guerre, mais rapidement libéré. Personnage dirigeant de la CDU dès 1949, il est ministre de l’Intérieur de 1953 à 1961, puis ministre des Affaires étrangères (1961-1966). Il n’a aucun lien de parenté avec Gerhard Schröder (SPD), élu chancelier fédéral en octobre 1998.

66 La « crise présidentielle » a amorcé la perte d’autorité du chancelier dès 1959 : après avoir annoncé sa candidature pour la présidence du pays, Adenauer s’est désisté ensuite. – L’affaire du Spiegel déclenche en automne 1962 une crise politique et fait perdre à F.J. Strauss le poste de ministre de la Défense.

67 H.-P. SCHWARZ, Adenauer. Der Staatsmann, op. cit., p. 977.

68 A. PEYREFITTE, op. cit., t. I, p. 116, 18.4.62.

69 M. VAÏSSE, La grandeur, op. cit., pp. 307-308.

70 Pour les relations entre la France et la RDA, cf. : Ulrich PFEIL, Die « anderen » deutsch-französischen Beziehungen : die DDR und Frankreich 1949-1990, Köln 2004.

71 Reiner MARCOWITZ, Option für Paris ?, op. cit.–Tim GEIGER, “Atlantiker” und “Gaullisten”. Aussenpolitischer Zwist und innerparteilicher Machtkampf in der CDU/CSU, 1958-1969, thèse, Université de Fribourg-en-Brisgau, 2005.

72 M. VAÏSSE, La grandeur, op. cit., pp. 333-335. – Pour une documentation détaillée des luttes politiques intérieures en France, cf. : Pierre VIANSSON-PONTÉ, Histoire de la République gaullienne, 2 t., Paris 1971.

73 Cf. Agnès CALLU, « Les archives du général de Gaulle ou la matrice de l’histoire gaullienne », in : Espoir, no. 134, avril 2003, pp. 87-90.

74 Alain PEYREFITTE, C’était de Gaulle, 3 t., Paris 1994-2000. – Au cours de notre travail de recherche, aucun indice ne nous a fait douter de l’authenticité des notes publiées par A. Peyrefitte.

75 Pour les notices bibliographiques complètes, cf. l’annexe (pages 420-427).

Indice delle illustrazioni

Legenda « Espérons que ce truc-là marchera mieux que l’épingle de sûreté ! »Robert Schuman essaie de raccommoder sur sa machine à coudre la nappe déchirée entre l’Allemagne et la France. Avec la CECA, le ministre espère avoir trouvé mieux que la Ligne Maginot, ce système de défense français qui s’était révélé inutile.Dessin de Pi dans Rheinecho, 7 juillet 1950.© Klaus Pielert, Düsseldorf.
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