La pandémie de Covid-19
| , , ,I- Impacts continentaux et nationaux de la pandémie
Chapitre 3. La pandémie de la Covid-19, un catalyseur des mobilisations sociales au Guatemala ? Une enquête « à distance » entre ruptures et continuités
Texte intégral
Introduction
1Indépendamment de la crise sanitaire liée à l’apparition d’un nouveau coronavirus, le Guatemala était déjà fragilisé par des faiblesses institutionnelles et marqué par de profondes inégalités. Dès mars 2020, le gouvernement du président Giammattei, élu quelques mois plus tôt, impose des mesures strictes. Un « état de calamité publique » est décrété le 9 mars 2020 et suivi de multiples restrictions sur tout le territoire : couvre-feu, interdiction de déplacements, entre autres. À la mi-avril 2021, le pays enregistre officiellement plus de 185 000 cas d’infection à la Covid-19 et près de 7 000 décès.
2Près d’un an après le premier cas de contamination, la pandémie semble d’abord devoir être analysée comme un révélateur et un amplificateur des inégalités sociales et économiques dans le pays [Cahier, 2020]. Elle a rendu visible l’incurie et l’impéritie de l’État, avec des conséquences exacerbées pour les populations les plus marginalisées. Le système de santé, déjà fragile, a été particulièrement éprouvé. Plus globalement, les promesses concédées par l’État avec la signature des Accords de paix en 1996 semblent s’éloigner à mesure que la crise sanitaire se mue en une crise généralisée. À cette crise sociale, politique et institutionnelle, s’est ajoutée une crise environnementale avec le passage des ouragans Eta et Iota en novembre 2020.
3Les restrictions sanitaires sévères et les injonctions à rester chez soi n’ont cependant pas empêché la revitalisation de nombreux mouvements au sein de la société civile. Face à un État inapte à répondre à cette crise polymorphe de manière satisfaisante, des mobilisations multiples ont été organisées et ont culminé à l’automne 2020. Dès lors, cette contribution examine comment les acteurs de la société civile se sont mobilisés durant la pandémie, tout en réinventant des formes d’action collective dans un contexte qui ne semblait a priori pas propice aux rassemblements.
4Si la Covid-19 semble avoir accéléré certaines mutations des modes d’action, elle a également brouillé les méthodes traditionnelles d’étude de ces mobilisations. En effet, comment comprendre un phénomène social à l’heure où les prérogatives sanitaires nous imposent l’isolement ? Nous avons ainsi choisi d’approcher les ruptures et les continuités dans les récentes mobilisations sociales au Guatemala par une réflexion en deux temps. Nous interrogeons tout d’abord les outils mobilisables pour conduire cette analyse à distance et leurs écueils, tout en soulignant les spécificités d’une telle enquête en temps de pandémie. Cette étape réflexive nous a semblé nécessaire pour rendre explicites les limites imposées par un terrain dual, autant numérique que physique. Nous proposons, dans un second temps, une analyse exploratoire des ruptures et continuités dans les mobilisations sociales guatémaltèques depuis le début de la pandémie. Ces deux dimensions de l’étude sont envisagées à partir de deux lignes de fracture structurantes et exacerbées par la crise de la Covid-19, à savoir les inégalités socioéconomiques et la fracture numérique qui en découle.
Réflexivité et ethnographie en temps de pandémie : entre ruptures et continuités dans l’étude « à distance(s) » des mobilisations sociales au Guatemala
5Le constat est sans équivoque : la Covid-19 a profondément bouleversé les méthodes d’enquête traditionnelles. Tandis que nous nous trouvons à plusieurs milliers de kilomètres du Guatemala, tenter de saisir les dynamiques sociales qui ont récemment secoué le pays suppose des questionnements réflexifs et préalables quant aux outils méthodologiques mobilisables. L’enjeu est, in fine, de rendre compte des distances multiples qui nous séparent de ce terrain d’étude, afin de considérer les ruptures et continuités dans les manières de l’appréhender et d’évaluer ce que les outils numériques rendent accessible ou non. Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que la pandémie a rendu la fracture numérique plus saillante encore.
Évaluer les distances géographiques, temporelles et personnelles
6Si elle est l’une des composantes fondamentales de toute démarche ethnographique, l’immersion physique au sein du terrain est rendue impossible par les restrictions sanitaires actuelles. La fermeture des frontières internationales et les multiples confinements nationaux imposent un éloignement géographique durable de notre terrain commun, le Guatemala. Si les technologies de l’information et de la communication (TIC) offrent des opportunités dématérialisées pour la conduite d’enquêtes à distance, il convient toutefois d’en interroger les limites.
7D’une part, la pandémie a non seulement bousculé les impératifs des chercheurs, mais aussi de celles et ceux qui sont au cœur de ces recherches. Parmi les contraintes habituelles de tout terrain, les interrogations éthiques relatives à la place et au temps que prendraient ces enquêtes sont renforcées, dans un contexte où les activités quotidiennes ont été bouleversées par un réarrangement, généralement vital, des priorités. À l’heure où de nombreux Guatémaltèques, souvent les plus marginalisés, jonglent déjà entre de multiples combats (reconstruction des villages à la suite des ouragans, mobilisations contre les inégalités, soutien d’urgence aux plus démunis), les demandes d’entretiens ethnographiques nous ont semblé plus difficiles à formuler qu’à l’accoutumée. Tandis que la dimension chronophage de certains entretiens n’est pas nouvelle, la pandémie a chamboulé l’organisation temporelle de chacun, d’autant que les personnes avec lesquels nous aurions souhaité nous entretenir n’étaient pas nécessairement en mesure de pouvoir rester confinées du fait de leurs activités professionnelles. En outre, ces échanges distanciés ne sauraient rendre pleinement compte de toute la richesse qu’offre un terrain physique dans ses recoins les plus informels, à l’image des repas ou moments plus personnels partagés avec les actrices et acteurs qui sont au cœur de nos enquêtes.
8Conscientes de ces obstacles, nous avons envisagé différentes possibilités pour les dépasser. Les TIC offrent notamment des avantages notables puisqu’ils permettent d’entretenir un contact continu malgré la distance ou de revenir ponctuellement sur les détails d’une conversation au moment de l’analyse des données.
9Ainsi, la présente analyse se fonde sur des informations récoltées tant au sein de nos réseaux établis lors de précédentes enquêtes au Guatemala (amis, collègues, rencontres fortuites) que sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter) et dans les médias locaux, nationaux et internationaux. Bien que cette alternative nous ait permis d’approcher le sujet à distance, elle impose d’éviter deux écueils qui, s’ils sont propres à toute enquête ethnographique, ont été accentués par la pandémie. D’une part, une analyse critique est nécessaire lors du recours aux données médiatiques ou militantes, puisqu’elles sont possiblement sujettes à certains biais, nécessitant alors de s’appuyer sur la triangulation de l’information. D’autre part, le panel de sources se limitant aux contacts établis lors d’enquêtes antérieures, le risque d’obtenir une information parcellaire ne peut être écarté que par la multiplication des sources au-delà de nos réseaux habituels. Tandis que ces obstacles caractérisent toute enquête ethnographique, la pandémie de la Covid-19 les a toutefois rendus plus évidents, complexifiant les possibilités de les dépasser du fait de la distance géographique avec notre terrain d’enquête. Si nous avons choisi de fonder notre récolte de données sur une stratégie de diversification des sources, une nouvelle difficulté a rapidement surgi en lien avec la profusion d’informations disponibles en ligne. Dès lors, il nous a fallu sélectionner une quantité raisonnable de contenus pouvant être traités dans un temps restreint, supposant une irréductible part d’arbitraire dans ces choix. Au-delà de la pandémie actuelle, il est possible que ces multiples interrogations se posent de façon accrue à l’avenir tant les réseaux sociaux sont devenus des sources indispensables pour nombre d’enquêtes, supposant dès lors une méthode de travail mixte, en passe de devenir la norme.
10Par ailleurs, aux obstacles propres à l’éloignement géographiques’ajoutent également des difficultés liées à des temporalités décalées à double titre.
11Premièrement, s’intéresser aux mobilisations sociales récentes en recourant aux réseaux sociaux, notamment Facebook, suppose de prendre en compte la temporalité propre aux supports immatériels de diffusion de l’information. En effet, les posts Facebook ou les appels à manifester sur les réseaux sociaux répondent à une chronologie quasi fictive, souvent décalée par rapport au déroulé des faits dans la réalité. De plus, la probabilité d’être « touché » par une information numérique est modelée par des algorithmes qui jouent un rôle croissant dans la sélection des contenus qui nous sont présentés, ce qui doit nécessairement nous amener à relativiser la visibilité de certains groupes ou événements ainsi que la place qu’ils doivent occuper dans notre analyse. Ces algorithmes, souvent opaques, sont fondés sur des schémas antérieurs de consommation de l’information supposés représenter nos goûts, nos intérêts et nos attentes. Il convient donc de considérer ce biais de confirmation tant il peut agir sur le moment où nous est présentée une information. Par ailleurs, il est difficile de dater les prémices des manifestations de novembre 2020 en nous fondant uniquement sur les posts Facebook de certaines organisations militantes, compte tenu de la grande diversité des acteurs ayant pris part à ces mobilisations et leur rapport différencié aux réseaux sociaux – certains, par exemple, en sont totalement absents. En somme, il s’agit d’adopter des stratégies actives de recherche de l’information sur les réseaux sociaux, en écumant les groupes et pages Facebook, les posts Twitter, ou les publications Instagram, puis en croisant les données récoltées.
12Globalement, ce décalage entre temporalité des réseaux sociaux et temporalité des mobilisations collectives dans le réel induit un risque de compréhension partielle des mouvements sociaux. Depuis la France et le Canada, nous avons vu les manifestations de novembre faire la une des médias et des réseaux sociaux, sans que ces événements ne soient analysés dans le temps long. Cette situation rappelle que toute recherche sur des sujets d’actualité brûlants doit se doubler d’une prise de recul analytique. Si l’une des caractéristiques de la recherche scientifique est bien de s’inscrire dans le temps long, comment interpréter des phénomènes liés à la pandémie actuelle, alors même que nombre d’incertitudes demeurent quant à ses conséquences sanitaires, mais également sociales, politiques et économiques ? À défaut de pouvoir bénéficier d’un recul pleinement satisfaisant quant à l’incidence polymorphe de la pandémie, il nous a paru nécessaire de réinscrire nos pistes de réflexion dans une analyse de fond, à l’instar de la démarche qui a caractérisé le blog COVIDAM dès son lancement au printemps 2020. Dans le cas du Guatemala, l’analyse de la pandémie se devait donc d’être rattachée à la question des inégalités sociales et économiques, de la corruption endémique, ou des faiblesses institutionnelles.
13Ce choix nous a semblé évident au regard d’un dernier travers propre à toute recherche ayant pour objet d’étude un phénomène social en temps de crise, quelle que soit la nature de cette dernière. Ce travers consisterait en une analyse au prisme unique de la Covid-19, dans un contexte où la situation sanitaire domine l’actualité mondiale depuis plus d’un an, ainsi que notre quotidien plus personnel.
- 1 Entre 1960 et 1996, le Guatemala a connu un conflit armé interne d’une extrême violence. Le 29 déce (...)
14Pour autant, elle ne saurait constituer l’unique angle d’analyse de phénomènes sociaux ancrés dans des histoires locales plus longues et spécifiques, telles que celles du Guatemala. De surcroît, la manière dont nous faisons l’expérience de cette pandémie, en tant que jeunes chercheuses vivant en France et au Canada, est relative, profondément subjective et intime. Il nous a fallu fournir un effort de discernement pour ne pas projeter sur les acteurs mobilisés au Guatemala nos propres perceptions, craintes ou autres biais cognitifs. Ces expériences subjectives sont aussi modelées par une vision différenciée de ce qui constitue un état d’exception. Notre expérience vécue de mesures inédites (couvre-feu, attestation de déplacement, confinement) en France et au Canada diffère certainement de celle de personnes vivant dans un pays marqué par plus de trente-six années de guerre civile, durant lesquelles des couvre-feux ont été édictés à de multiples reprises1. À titre de comparaison, en France, le dernier couvre-feu national remonte à la Seconde Guerre mondiale, bien que des couvre-feux plus localisés aient été instaurés durant la guerre d’Algérie ou les émeutes de 2005. Finalement, la pandémie de la Covid-19 rappelle que nos analyses sont, plus ou moins consciemment, modelées par nos représentations et nos propres contextes de production du savoir. Elle confirme, en outre, l’importance d’abandonner la prétention des sciences sociales à l’objectivité parfaite, tout en renouvelant nos efforts pour prendre conscience de nos propres biais [Bourdieu, 2004 ; Flyvbjerg, 2001].
Terrain à distance, terrain en ligne : écueils, opportunités et pistes de réflexion futures
15Compte tenu de cette distanciation physique, temporelle et subjective, nous avons tenté d’effectuer un terrain « à distance » pour traiter de la question des mouvements sociaux durant la pandémie via le recours aux espaces numériques. Si cette démarche permet de penser notre objet d’étude malgré l’éloignement, elle comporte là encore des écueils liés au format et aux conditions d’accès à ces espaces dématérialisés.
16La seule analyse des dynamiques observables dans l’espace numérique laisserait penser que la pandémie de la Covid-19 a conduit à une digitalisation massive des mobilisations sociales. Or ce constat doit être nuancé puisque la forte présence en ligne de certaines organisations militantes n’est pas nécessairement corrélée avec leur importance dans l’espace public physique. À l’inverse, certains acteurs prépondérants dans les manifestations récentes ne sont que peu représentés dans l’espace numérique. Il en va ainsi des leaders autochtones qui, s’ils se sont massivement mobilisés dans plusieurs régions à l’instar des quarante-huit cantons de Totonicapán, ont été moins visibles sur les réseaux sociaux que d’autres organisations militantes [TeleSURtv, 2020]. Ce possible biais de visibilité doit nous inciter à relativiser le dynamisme ou, au contraire, l’absence de mobilisation de la part des groupes concernés. À cet égard, croiser les informations en nous intéressant notamment aux articles de la presse locale ou en contactant des militants sur place permet de mieux rendre compte de l’implication des groupes absents des réseaux sociaux.
17De la même manière, l’accès différencié des acteurs à Internet conditionne leur présence dans l’espace numérique. Selon le recensement de 2018, seuls 29 % des Guatémaltèques disposent d’un accès régulier à internet [INE, 2018]. Ces chiffres soulignent l’existence d’une fracture numérique reposant sur des critères socioéconomiques et géographiques. Nous observons un taux d’accès plus élevé dans les régions les plus riches et urbanisées, avec 54 % dans le département de Guatemala ou 38 % dans le département de Sacatepéquez, tandis qu’il chute dans les périphéries géographiques et économiques du pays, lesquelles concentrent les populations autochtones. Seulement 13 % de la population a accès à Internet dans les départements d’Alta Verapaz ou de Quiché, et 18 % dans le département de Totonicapán (Figure 1).
Figure 1. Taux d’utilisation des TIC par département (téléphone portable, ordinateur, Internet) en pourcentage.

Source : Élaboration par les autrices à partir des données du recensement national de 2018 [INE, 2018]
18Ces inégalités d’accès aux espaces numériques doivent être prises en compte dans l’analyse des mobilisations sociales. Dans le cadre d’une enquête, certains groupes de la société guatémaltèque, totalement absents des réseaux sociaux, ne peuvent être entendus autrement que lors de déplacements physiques sur le terrain. Avec la pandémie de la Covid-19 et du fait d’un accès impossible au terrain, leur parole est plus difficilement audible et leur participation moins visible. Entrer en contact avec eux et les intégrer à notre étude suppose de passer par des canaux interpersonnels, à l’instar de conversations WhatsApp avec certains leaders ou militants, à condition, là encore, qu’ils disposent d’une connexion Internet. Enfin, il semble indispensable de distinguer les réseaux ouverts – pages et groupes publics sur Facebook, certains comptes Instagram – des groupes et conversations privés et restreints, inaccessibles à celles et ceux qui y sont extérieurs. Ainsi, une part non négligeable des échanges en ligne échappent à cette recherche à distance, alors même qu’elle enrichirait l’analyse des mobilisations (modalités concrètes d’organisation, éventuelles dissensions au sein des mouvements, etc.).
19Il est possible d’imaginer des façons de « faire du terrain » qui ne prendraient plus appui sur une ethnographie à distance – si tant est que cette expression ne relève pas de l’oxymore – mais plutôt sur une ethnographie en ligne à proprement dit. Cette méthode supposerait de modifier la focale, en examinant spécifiquement la manière dont certaines organisations et individus se (re)présentent et (ré)agissent dans l’espace numérique. Une telle démarche impliquerait de procéder à une véritable redéfinition de l’objet d’étude, et induirait, à l’instar d’un terrain physique, une immersion de longue durée dans le terrain numérique. Si nous avons envisagé cette piste, nous lui avons toutefois préféré une enquête à distance, compte tenu de l’objet d’étude considéré, ancré dans la réalité physique, et des contraintes temporelles qui nous étaient imposées.
20Ayant évoqué les réflexions méthodologiques qui ont modelé cette enquête, il convient dès lors d’esquisser quelques pistes d’interprétation relatives aux ruptures et continuités dans les mobilisations sociales guatémaltèques depuis le début de la pandémie, dans un contexte où cette dernière a accentué les fractures socioéconomiques et numériques.
Action collective en temps de pandémie : entre ruptures et continuités des revendications, alliances et formes de mobilisations sociales au Guatemala
Des revendications nouvelles et conjoncturelles à la réactivation de demandes plus anciennes et structurelles
21Les mesures visant à limiter la mobilité et la présence dans l’espace public ont, dans un premier temps, porté un coup d’arrêt à la plupart des mobilisations sociales. Un important contraste a été observé entre, d’un côté, des citoyens empêchés de se réunir pour porter leurs revendications et, de l’autre, une collusion grandissante entre élites politiques, économiques et investisseurs étrangers. Ce fut le cas à El Estor où la mine russo-suisse de nickel CGN Pronico a pu poursuivre ses activités malgré les restrictions sanitaires et l’apparition de cas d’infection à la Covid-19 [Rivera, 2020]. L’entreprise avait été sommée de suspendre ses activités par la Cour constitutionnelle quelques mois auparavant. Le cas d’El Estor est symptomatique du traitement de faveur dont ont bénéficié ces entreprises privées, tandis que les autorités ont simultanément profité des mesures restrictives liées à la pandémie pour renforcer le contrôle de certaines régions marquées par des conflits liés à l’extractivisme [Guégan & Schilis-Gallego, 2019 ; Robert, 2020]. Plusieurs leaders sociaux protestant contre ces projets ont été victimes de harcèlement de la part des entreprises extractives qui ont multiplié les procédures pénales, souvent sans fondement, à leur encontre. Plus généralement, ces attaques dirigées contre les leaders sociaux relèvent d’un processus avéré de criminalisation des luttes sociales [Sieder, 2017] que nous retrouvons ailleurs en Amérique latine [Doran, 2015]. Dans ces espaces sous « haute tension », le déploiement des forces de l’ordre, officiellement pour lutter contre le narcotrafic, fait actuellement craindre la militarisation de plusieurs zones, notamment à El Estor, Morales et Livingston dans le département d’Izabal ou à Panzós et Santa Catarina la Tinta dans le département d’Alta Verapaz [García, 2020].
22Dès les débuts de la pandémie, des mobilisations ponctuelles en lien direct avec la crise sanitaire se sont néanmoins développées, comme dans le Parque de la Industria entre avril et juin 2020. Les soignants de l’hôpital temporaire destiné à accueillir des patients Covid-19 ont réclamé le paiement de leurs salaires et des conditions de travail dignes [Coronado & Domínguez, 2020]. À la suite des nombreuses critiques relatives au manque de transparence et d’efficacité du gouvernement face à la crise sanitaire, le ministre de la Santé, Hugo Monroy, est destitué fin juin 2020. Malgré cela, le 6 août 2020, une manifestation a regroupé plusieurs acteurs du secteur hospitalier, allant jusqu’à l’occupation du ministère de la Santé.
23Dans tout le pays, les drapeaux blancs accrochés aux fenêtres ou agités sur le bord des routes ont rapidement été utilisés comme symbole de la situation critique dans laquelle s’est retrouvée toute une partie de la population, n’ayant plus de quoi se nourrir du fait de la perte de revenus [Rentería & Menchú, 2020]. En réponse à cette urgence, notamment alimentaire, les initiatives citoyennes visant à pallier les insuffisances de l’État se sont multipliées, au sein des communautés autochtones comme dans les zones urbanisées, contrastant ainsi avec l’incurie étatique [Robert, 2020]. Dès le 7 avril 2020, le programme La Olla Communitaria a, par exemple, distribué plus de 100 000 repas durant 200 jours consécutifs dans la capitale. Cette initiative a été répliquée à Antigua, Cobán ou encore Santa Lucía Cotzumalguapa. À la collecte de nourriture pour les familles ou communautés en quarantaine se sont ajoutées des mesures d’autocontrôle de l’entrée dans les communautés, souvent rurales et isolées, pour prévenir la diffusion du virus. Bien que destinées à répondre à des besoins basiques, nombre de ces initiatives ont dû cesser par manque de ressources.
24Par ailleurs, si les griefs se sont d’abord concentrés sur les effets négatifs de la pandémie et la gestion jugée insatisfaisante de la Covid-19 par les autorités publiques, les revendications des mouvements sociaux se sont élargies dès la fin de l’été 2020 et l’allègement des restrictions. En effet, début septembre 2020, l’amélioration de la situation sanitaire s’est traduite par la reprise des transports publics, la levée du couvre-feu, la réouverture des commerces non essentiels, l’autorisation des déplacements hors département et des manifestations sur la voie publique. Dans ce contexte, le 18 novembre 2020, le mécontentement de la population, déjà attisé par la gestion de la pandémie par les pouvoirs publics, a explosé à la suite du vote par le Congrès du budget 2021. Pour l’Institut centraméricain d’études fiscales, ce dernier, « approuvé de manière opaque et excluante, contient des anomalies graves et laisse une large place à la corruption » [Muñoz Lima, 2020]. Les critiques ont alors porté sur une répartition des dépenses nationales jugée inégalitaire et inadaptée aux besoins de la population qui, pour la majorité, subissait déjà les effets de la pandémie. Par exemple, ce budget prévoyait de rehausser les allocations des députés, tandis que les fonds alloués à la lutte contre la malnutrition ou à des programmes sociaux pour l’enfance étaient réduits, voire supprimés. De plus, le texte faisait la part belle aux grands projets d’infrastructures conduits par des entreprises proches du gouvernement, nourrissant la critique d’une corruption généralisée. Le mécontentement a également visé la forme, puisque le vote a été effectué la nuit, en catimini.
25Cette décision du Congrès a mis le feu aux poudres dans le contexte d’une crise institutionnelle, sociale et politique plus profonde. À l’instar des manifestations de 2015, l’effervescence de l’automne 2020 témoigne alors d’un malaise nourri par la « cooptation de l’État » et par une structure criminelle de type mafieux longtemps dénoncées par la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG). Pour Isabel Messina, sociologue guatémaltèque et coordinatrice de la Friedrich-Ebert-Stiftung au Guatemala, l’exaspération a également été aggravée par la crise sanitaire, à laquelle le gouvernement a fait face de manière « insatisfaisante, avec très peu de ressources, malgré tous les prêts consentis, car les institutions ne les ont pas exécutés » [Muñoz Lima, 2020]. La répartition des ressources dans le budget est ainsi devenue le symbole des soubassements profondément inégalitaires de la société guatémaltèque.
26En décembre 2020, le président Giammattei a tenté d’apaiser la colère des manifestants en annonçant la suspension du budget. Cette déclaration, interprétée comme une preuve supplémentaire de l’autoritarisme avec lequel il dirige l’État, a provoqué la généralisation des protestations à l’ensemble du pays.
27Si l’attention médiatique, notamment internationale, s’est rapidement centrée sur les manifestations dans la capitale, d’autres villes ont été le théâtre de rassemblements massifs, comme Antigua et Quetzaltenango. Principales cibles des revendications, les représentants à la tête de l’État ne sont cependant pas les seuls à avoir été condamnés. Ainsi, à Nebaj, les autorités autochtones ancestrales ont réclamé la démission des responsables municipaux pour leur inaction à la suite du passage des ouragans Eta et Iota [Herrera, 2020].
28Comme en 2015, les manifestations se sont tenues tous les samedis jusqu’à la mi-décembre 2020 et souvent dans les mêmes lieux, à l’image de la place de la Constitution à Guatemala City. Les deux premières semaines ont été marquées par une mobilisation plus forte et visible. Le samedi 28 novembre 2020, les images du Congrès de la République en flammes ont fait le tour du monde. Elles ont permis aux dirigeants de décrédibiliser l’ensemble des demandes des manifestants. Pourtant, cette attaque, autour de laquelle règne une grande opacité, s’est faite en marge d’une manifestation massive et pacifique. En réponse à ces mobilisations, les policiers ont fait usage de la force de manière indifférenciée, ce que le médiateur guatémaltèque des droits de l’homme tout comme l’Organisation des États américains et les Nations Unies ont réprouvé.
29Au-delà des exigences particulières et propres à chaque mouvement, des orientations communes ont rapidement émergé, dépassant la question de l’abrogation du budget. Ces demandes conjoncturelles – critiques de la gestion gouvernementale face à la crise sanitaire, démission du Président et des députés à l’origine du vote – se sont articulées à des revendications institutionnelles plus profondes, prodémocratiques et dénonçant la corruption, l’impunité et les inégalités. L’idée de l’élection d’une nouvelle Assemblée constituante est réapparue, faisant écho aux demandes de 2015 qui appelaient à un changement de régime pour mettre un terme à la corruption et, dans une moindre mesure, aux protestations contre la fermeture de la CICIG par Jimmy Morales en 2018. C’est également l’occasion pour les groupes autochtones de réactiver une proposition née à la suite de l’échec du référendum constitutionnel de 1999, visant à une meilleure reconnaissance et protection de leurs droits par l’instauration d’un État plurinational, aujourd’hui en partie inspirée par le modèle bolivien et cette fois soutenue par des groupes divers [AsambleaSPGuatemala, 2020].
Profil des acteurs : anciennes et nouvelles convergences
30Si des groupes multiples et hétérogènes ont conjointement dénoncé la corruption et l’incurie de l’État face à la gestion de la crise polymorphe précédemment décrite, aucune organisation ne s’est véritablement affichée comme « leader ». Ainsi, un grand nombre d’associations, de collectifs et d’individus ont initié les appels à la mobilisation et les ont relayés sur les réseaux sociaux. Certaines organisations ont acquis une visibilité sans précédent, à l’instar du collectif Otra Guatemala Ya.
- 2 Notons que la « classe moyenne » au Guatemala est extrêmement restreinte du fait du caractère inéga (...)
31Au-delà de leur diversité, il est possible d’identifier plusieurs acteurs clés de ces rassemblements – ces derniers étant les groupes les plus actifs, politiquement parlant, au sein de la société civile guatémaltèque actuelle [Morán Reyes, 2021]. Les peuples autochtones se sont trouvés au premier plan, aux côtés des « communautés en résistance » luttant contre les mégaprojets extractifs dans leurs territoires. À cet égard, les leaders réunis au sein du collectif Los 48 Cantones de Totonicapán ont joué un rôle fondamental. De plus, les mouvements féministes ont été largement mobilisés, avec une présence marquée des jeunes femmes. De manière générale, les jeunes ont été très actifs : dès novembre 2020, les étudiants de l’université publique de San Carlos se sont rassemblés aux côtés d’étudiants issus de classes privilégiées, des universités privées Rafael Landivar et del Valle. La « classe moyenne2 » guatémaltèque a également été impliquée : si elle ne s’est pas nécessairement identifiée à un mouvement précis, elle a subi les conséquences socioéconomiques de la crise sanitaire de plein fouet et conserve des attentes importantes vis-à-vis de l’État – contrairement à d’autres groupes plus marginalisés qui ont plutôt opté pour l’auto-organisation. Finalement, même une partie des élites s’est ralliée à la proposition de démission de Giammattei, à l’image du vice-président Castillo qui, le 20 novembre, a demandé explicitement sa démission et celle de tout son cabinet pour « éviter une crise institutionnelle plus profonde » [De la Cruz, 2020].
32Les évènements de novembre 2020 ont ainsi constitué une véritable fenêtre d’opportunités pour (re)mettre en avant certaines revendications communes, tout en élargissant des alliances déjà établies. C’est notamment le cas de plusieurs groupes autochtones qui, habituellement engagés autour de problématiques plus locales et territorialisées, cherchent depuis plusieurs années à développer des alliances nationales. À travers la création d’un front commun Maya-Xinka-Garífuna, ils revendiquent une gouvernance nationale plus inclusive des peuples autochtones [Morán Reyes, 2021]. À cet égard, les élections présidentielles de 2019 avaient déjà révélé la place croissante des peuples autochtones dans la politique partisane nationale, puisque Thelma Cabrera, candidate maya mam du parti Movimiento para la Liberación de los Pueblos (MLP), avait obtenu un score jusqu’alors inédit (10,3 %), la plaçant en quatrième position lors du premier tour.
Entre reconfigurations et permanence des répertoires d’action traditionnels
33À la suite de la mise en place de mesures sanitaires en mars 2020, l’activité en ligne a semblé connaître un véritable essor. L’impossibilité de se réunir physiquement a conduit au développement de nombreux espaces numériques afin de prolonger ces mobilisations : les événements virtuels, live Facebook et marches virtuelles en sont autant d’exemples.
34En plus d’être des espaces de luttes, ces outils sont des instruments de communication permettant aux groupes de se faire connaître et d’atteindre des publics hors de leur sphère militante. Les campagnes numériques, souvent initiées par des hashtags communément partagés et relayés, ont été nombreuses. Les hashtags #Presupuesto2021, #BastaYa, #YaBasta, #24N, #RenunciaGiammattei ont été largement utilisés pour appeler à manifester en novembre 2020. Le recours aux réseaux sociaux a permis de toucher plus aisément les individus issus de la « classe moyenne », tout en amenant les mouvements à surprendre par leur réactivité lorsqu’ils ont organisé des rassemblements avec une rapidité sans précédent. Toutefois, cet usage des outils digitaux est largement antérieur à la pandémie [Rodriguez, 2019].
35La circulation numérique et élargie de l’information pourrait en partie expliquer le fait que, lors des manifestations de 2015 comme celles de 2020, des citoyens « autoconvoqués » se sont majoritairement mobilisés, selon l’un de nos contacts sur place, étudiant guatémaltèque et membre du collectif Otra Guatemala Ya. En effet, beaucoup ne sont pas affiliés à des groupes politiques ou collectifs particuliers. Ils revendiquent plutôt leur refus d’être étiquetés ou encartés ainsi que l’absence de hiérarchie, pour des raisons politiques – besoin de « plus de démocratie » – et stratégiques – moins de chances d’être réprimés. Cette tendance, que nous retrouvons également au Chili, au Nicaragua ou au Pérou, est là encore antérieure à la pandémie [Rocha, 2019].
36Ce recours aux outils numériques, à la fois comme espaces et instruments de lutte, participe de la transnationalisation des mouvements sociaux. La multiplication des événements en ligne s’accompagne en effet de leur relative internationalisation, du fait de la réduction des coûts associés à leur organisation (absence de frais de séjour, de déplacement, etc.) et d’une diffusion transnationale facilitée par l’usage d’outils comme Facebook ou Zoom. Toutefois, ces événements n’ont pas nécessairement été synonymes d’une participation démocratique accrue ou élargie. D’une part, assister à un événement en ligne n’implique pas forcément d’intervenir, à l’image du format webinaire. En outre, dans le cas du Guatemala, la fracture numérique a limité l’accès aux mobilisations pour certaines classes sociales déjà marginalisées – d’autant que le Guatemala est le pays où l’accès à Internet s’est le moins élargi durant la pandémie [Gandera, 2021] (voir figures 3 et 4). De surcroît, de multiples interrogations demeurent quant à la capacité des mobilisations sociales numériques à provoquer des changements politiques concrets, notamment en matière électorale – à titre d’exemple, un live Facebook pourrait-il amener à modifier des intentions de vote ?
Figures 3 et 4. Accès à Internet (haut) et augmentation du taux de pénétration pour l’année 2020 (bas) en Amérique centrale.

Source : Élaboration propre des autrices à partir des données de https://datareportal.com
37Le supposé « saut numérique » lié à la crise sanitaire est donc à nuancer : si les restrictions sanitaires ont pu laisser penser à un retranchement dans l’espace digital, la nature et le nombre des mobilisations qui ont suivi leur suspension ont démontré que les modes d’action physiques et présentiels demeurent des éléments essentiels de la contestation sociale.
Conclusion
38Tandis qu’un terrain « à distance » suppose une réflexivité accrue et une méthodologie partiellement renouvelée, il permet de dégager des pistes de réflexion exploratoires pour tenter de saisir les ruptures et continuités dans les dynamiques des mouvements sociaux au Guatemala. Si la pandémie de la Covid-19 a approfondi les fractures socioéconomiques et numériques qui existent au Guatemala, elle semble avoir – contre-intuitivement ? – accéléré un processus de mobilisation de la population à l’encontre des élites économiques et politiques, et pour davantage de justice sociale, notamment à la suite de la levée des restrictions de mobilité.
39Si cette trajectoire est relativement singulière parmi les pays de l’isthme centraméricain, ce dynamisme se retrouve dans d’autres mouvements de protestation latino-américains, comme au Chili ou au Pérou. Dans le cas du Guatemala, la pandémie aurait accéléré des dynamiques profondes et antérieures à l’apparition de la Covid-19, sans pour autant marquer de véritable rupture avec les tendances passées, à l’image des inégalités socioéconomiques et numériques. Toutefois, la pandémie a, dans une certaine mesure, permis de démontrer la résilience de certains groupes face à l’incurie de l’État et, par là même, de renouveler le champ des possibles en termes d’action collective.
40Depuis le début de l’année 2021, ce sont principalement des mobilisations par des groupes traditionnellement actifs qui subsistent, souvent en opposition aux projets extractivistes. Dans un contexte où la situation sanitaire est loin d’être sous contrôle, le mécontentement reste immense dans le pays et la popularité du gouvernement continue de décroître. Malgré la crainte de voir apparaître de nouveaux variants de la Covid-19 et les incertitudes du processus vaccinal, la majorité des citoyens ne semble pas, à ce jour, résignée. Comme l’ont démontré les évènements de novembre 2020, la volonté de contestation dépasse la peur de la contamination pour de nombreux militants et collectifs.
41À l’heure où de multiples zones d’ombre demeurent quant aux effets à plus long terme de la pandémie, il est possible de s’interroger sur le futur de ces mouvements sociaux. Si une sortie de crise venait à se dessiner, cela conduirait-il à une convergence renforcée des mouvements comme en novembre 2020 ou, au contraire, à un recentrement sur des enjeux plus spécifiques ? Enfin, ces mobilisations parviendront-elles à impulser des changements profonds de paradigmes politiques, sociaux et économiques, ou n’amèneront-elles qu’à des (ré)ajustements mineurs ?
Bibliographie
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Notes
1 Entre 1960 et 1996, le Guatemala a connu un conflit armé interne d’une extrême violence. Le 29 décembre 1996, la signature des Accords de paix met officiellement fin à trente-six années de conflit armé qui, selon la Commission d’éclaircissement historique, ont fait plus de 200 000 morts, 45 000 disparitions forcées et un million de déplacés internes.
2 Notons que la « classe moyenne » au Guatemala est extrêmement restreinte du fait du caractère inégalitaire de la société, d’où le choix des auteures d’utiliser des guillemets. Dans cet article, le terme fait référence à un groupe de la société, représentant à peine 9 % de la population, qui est majoritairement urbain, non-autochtone, et composé de professionnels diplômés, tant indépendants que salariés, de techniciens et d’employés de bureau ayant une formation secondaire [Díaz, 2012].
Table des illustrations
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Titre | Figure 1. Taux d’utilisation des TIC par département (téléphone portable, ordinateur, Internet) en pourcentage. |
Crédits | Source : Élaboration par les autrices à partir des données du recensement national de 2018 [INE, 2018] |
URL | http://books.openedition.org/iheal/docannexe/image/9927/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 328k |
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Titre | Figure 2. Départements du Guatemala |
Crédits | Source : d-maps.com |
URL | http://books.openedition.org/iheal/docannexe/image/9927/img-2.png |
Fichier | image/png, 179k |
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Titre | Figures 3 et 4. Accès à Internet (haut) et augmentation du taux de pénétration pour l’année 2020 (bas) en Amérique centrale. |
Crédits | Source : Élaboration propre des autrices à partir des données de https://datareportal.com |
URL | http://books.openedition.org/iheal/docannexe/image/9927/img-3.png |
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