Introduction

1En nous appuyant sur les initiatives des écrivains pour gagner en visibilité et revendiquer leurs droits aussi bien que sur les tentatives de l’État pour administrer et gérer les affaires culturelles, nous cherchons, dans cette partie, à rendre compte de l’institutionnalisation de l’espace intellectuel depuis les années 1930 ainsi que des clivages provoqués par les conflits politiques à l’arrivée du gouvernement de Juan Domingo Perón en 1946. Malgré la prétention d’un certain apolitisme qui permettait de réunir les intellectuels, leur voix publique s’inscrit dans un contexte politiquement bouleversé et clairement marqué, au niveau international par la guerre civile espagnole et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, et au niveau national par l’émergence du péronisme. Ces événements ne vont pas sans impact sur l’organisation des intellectuels et semblent creuser une fissure dans l’espace intellectuel. Afin d’inscrire la scission du champ intellectuel visible dans les années péronistes dans une temporalité plus longue, et dans un souci de contextualisation, nous nous attarderons premièrement sur l’organisation des intellectuels dans les années 1930 pour passer, dans un deuxième temps, à l’impact du gouvernement péroniste sur l’articulation et l’institutionnalisation de l’espace intellectuel lors du premier gouvernement (1946-1953). Nous nous centrerons d’abord sur le dédoublement institutionnel qui articule l’espace intellectuel dans les premières années du gouvernement de Perón et nous aborderons les stratégies d’approche du gouvernement envers les intellectuels, dont le projet d’un statut de travailleur intellectuel et celui de la Junte nationale d’intellectuels. Alors que la politique culturelle du péronisme semble oscillante et les projets restent inaboutis, afin de relever l’arc hétérogène d’intellectuels sur lesquels prend appui le péronisme, nous nous pencherons sur le projet de l’Argentina en marcha. Cela nous permettra, par ailleurs, de souligner l’effet du péronisme parmi les diplômés de la faculté de philosophie de Buenos Aires, et notamment parmi les philosophes comme nous pourrons le développer par la suite.