Tableau de militantes en 1945

« Prosopography is used as a tool with which to attack […] the analysis of the social and economic affiliations of political groupings […]¹. » [Stone Lawrence, 1971, p. 46-47.]

« Another set is concerned with the determination of the degree of social mobility at certain levels by a study of the family origins, social and geographical, of recruits of a certain political status or occupational position […]². » [Stone Lawrence, 1971, p. 46-47.]

1L’image ci-dessous, tirée du mémoire de Juliana Dela Torres [Dela Torres Juliana, 2009, p. 132], représente trois femmes : l’une porte un chapeau et une robe, la seconde une salopette et la troisième un chemisier, une jupe et un cartable. D’après l’étudiante qui la commenta, elle était accompagnée d’un texte qui « valorisait le parti comme guide, défenseur […] celui qui “indique”, “oriente” et “dirige” la lutte féminine dans la recherche du bonheur » [Dela Torres Juliana, 2009, p. 132]. Juliana Dela Torres interprète ce support iconographique comme le symbole de la volonté du parti d’unir les femmes sous son égide, la preuve de son intention de s’adresser à « toute la masse féminine » et de « pointer l’intégration entre la femme au chapeau, élégante, l’ouvrière en salopette au centre, et l’employée de bureau avec une pochette » [Dela Torres Juliana, 2009, p. 132].

Image 1.

2Ce dernier point surtout nous intéresse : dans la perspective de l’organisation politique des femmes, remarquons ici la primauté de critères autres que les intérêts de classe dans cette union – et quoique le parti en conclût une soumission commune à ses idéaux. Quelles qu’aient été les motivations premières et individuelles de chacune de ces femmes pour rejoindre le PCB, la reconnaissance réciproque de femmes d’origine sociale distincte dans un environnement politique est inédite ; selon nous, celle-ci ne précéda pas l’adhésion au PCB, elle en fut le résultat. Les femmes ne s’unissaient peut-être pas pour rendre plus efficace la politique du parti ; mais, dans la mesure où chacune opta pour cette formation politique, qui les appelait comme « mère, travailleuse et citoyenne » [Dela Torres Juliana, 2009, p. 132], elles se rencontrèrent, entre elles, comme femmes politisées. Cependant, il ne s’agit encore ici que d’une hypothèse, basée sur une image diffusée par l’un des journaux officiels du Parti communiste.

3Dans la lignée de notre problématique et de la démarche méthodologique adoptée, cette partie se propose donc plusieurs objectifs pour mettre à l’épreuve l’idée selon laquelle 1945 marquerait le processus de démocratisation de la participation politique des femmes. Nous n’entendons pas seulement l’accès de femmes plus pauvres à des occupations jusqu’alors réservées à celles de l’élite, qui se mesure ici en termes de segments de la population féminine touchés par le militantisme. Nous analysons aussi l’atténuation de la rigidité de ces strates, quand les frontières entre elles deviennent poreuses et que, d’une part, les contacts entre des personnes d’origine différente se trouvent plus fréquents, d’autre part, l’approche d’un milieu politique par une personne dépend moins de l’endroit où elle naît, et particulièrement de son ancrage familial. Il s’agit de vérifier que, en 1945, les conditions furent réunies pour que s’établisse une nouvelle cohésion entre les femmes, qui permet d’envisager la constitution d’une génération à part entière. Pour cela, différentes étapes et plusieurs niveaux d’analyse se distinguent.

4Cette première partie évalue la justesse de la cohorte en regard du groupe politique étudié, soit sa représentativité par rapport à l’ensemble des femmes communistes. Elle observe ensuite ses membres d’un point de vue extérieur, c’est-à-dire sans entrer dans les dynamiques internes du fonctionnement de ce groupe, décrivant, pour analyser sa composition, les caractéristiques sociologiques des femmes concernées, afin de le situer dans la société, mais aussi de constater ses « affiliations sociales et économiques³ ». Toutefois, cela ne satisfait pas entièrement nos desseins : il faut encore interroger les modalités de la construction historique de cette cohorte, pour se demander si elle rend compte de la démocratisation que nous avançons. Ce qui oblige à constater, ou pas, une correspondance entre l’origine sociale des sujets et leur rapprochement, à différents moments de leur biographie, du Parti communiste. Ajouter à cette dimension la prise en compte du mode d’entrée dans ce dernier, grâce à une approche plus individuelle, devrait pallier les déficiences de la proposition précédente pour la cohérence du raisonnement dans son ensemble. Ainsi, cette première partie se fragmente en trois chapitres, qui traitent chacun sous un angle distinct l’objectif qu’elle ambitionne : présenter les femmes qui nous occupent en fonction de leurs attributs sociaux et de leurs rapports à la société, des différents moments et modalités d’entrée dans le parti et, enfin, de leurs expériences antérieures à leur engagement partisan.