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Les inflations sud-américaines

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Denis Lambert

Introduction

Testo integrale

  • 1 F. Perroux, Matériaux pour une analyse de la croissance économique, I.S.E.A., Cahiers, série D, no(...)

« L’analogie, ce péril des sciences sociales »
F. Perroux1

1Le développement accéléré des économies sud-américaines et les principaux déséquilibres économiques ou sociaux qui en résultent, ont été révélés au monde occidental au lendemain de la seconde guerre mondiale.

  • 2 Cf. l’ouvrage, paru en 1952 aux Éditions du Seuil, L’Amérique latine entre en scène, de Tibor Mend (...)

2En 1939, l’Amérique du Sud n’était pas encore entrée en scène2 et les problèmes économiques ou financiers de ces pays n’étaient connus que des spécialistes. Sans doute, savait-on que la crise économique des États-Unis avait eu d’amples répercussions en Amérique du Sud, contraignant le gouvernement brésilien à brûler ses stocks de café dans les chaudières de ses locomotives. En réalité, l’organisation économique de ces pays était très mal connue.

3Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les économies sud-américaines ont acquis une importance économique et diplomatique considérable.

4Du point de vue économique, l’industrialisation accélérée de l’Argentine, du Brésil ou du Chili permet à ces pays de se distinguer d’autres économies sous-développées et de prendre place aux côtés des grandes puissances. Il s’agit désormais de pays neufs, comme l’Australie ou le Canada, alors qu’au début du siècle, aucun indice n’eût permis de les distinguer des pays pauvres d’Afrique ou d’Asie. L’importance économique de l’Amérique du Sud est également liée à l’approvisionnement des économies occidentales, en pétrole, en minerais et en produits agricoles tropicaux, ainsi qu’aux intérêts économiques, possédés par ces grandes puissances. Mais surtout, le marché sud-américain constitue un marché d’exportation en constante expansion, en raison de l’accroissement de la population et de son pouvoir d’achat.

  • 3 J. R. Boudeville, L’enjeu fondamental de l’Occident dans les pays sous-développés, Revue politique (...)

5Du point de vue diplomatique, l’entrée des pays latino-américains dans les organisations internationales, et particulièrement aux Nations Unies, leur a donné une importance politique considérable. Mais surtout la mise en valeur des économies sud-américaines est un enjeu stratégique, dans la rivalité entre les nations occidentales et l’Europe de l’Est. Le développement de ces pays est un « test » de validité pour nos systèmes économiques occidentaux, dont l’échec renverserait totalement l’équilibre des forces en faveur du bloc de l’Est3.

6Le développement économique de l’Amérique du Sud a été très rapide depuis la guerre et a reposé principalement sur le système de l’initiative privée. Cependant, dans presque tous les cas, la croissance économique a été irrégulière et déséquilibrée, accompagnée de crises violentes des payements extérieurs, de troubles monétaires permanents et d’un développement très inégal des branches de production. Or, les systèmes d’économie planifiée promettent une croissance aussi rapide, sans crise et sans inflation. L’avenir de la libre entreprise et du capitalisme est d’autant plus menacé, en Amérique du Sud, que le système libéral, auquel les nations occidentales subordonnent leur aide économique, est lié au maintien des cadres politiques traditionnels et d’une organisation sociale de type féodal.

  • 4 Survey of Current Business, August, 1956.
    En 1955, les investissements nord-américains à l’étranger (...)
  • 5 Statistical Abstracts of the United States 1957, Washington, 1957.
    Dans la période 1945-1946, le mo (...)

7La politique économique des États-Unis à l’égard des républiques sud-américaines, depuis la guerre, s’est révélée peu clairvoyante dans ce domaine. Il faut rappeler, en effet, que les États-Unis consacrent 20 % de leurs investissements extérieurs à l’exploitation des richesses du sous-sol sud-américain4, mais que l’aide économique accordée à ces pays a été négligeable. En effet, depuis dix ans, l’ensemble des républiques latino-américaines a reçu moins de 2 % de l’aide totale à l’étranger des États-Unis et cette aide s’est manifestée principalement sous forme de crédits, accordés par l’Export-Import Bank5. La « politique du don », inaugurée par le « Point IV » du président Truman, a bénéficié aux pays du Sud-Est asiatique ou du Moyen-Orient, mais l’Amérique du Sud en a été pratiquement exclue.

8L’instabilité de la monnaie, des changes et des prix existe depuis longtemps, en Amérique du Sud, mais cette instabilité a augmenté depuis quelques années et ses inconvénients sont devenus beaucoup plus sensibles qu’auparavant. L’urbanisation accélérée et la naissance des classes ouvrières, ainsi que l’accroissement des effectifs de l’administration ont créé des problèmes sociaux nouveaux. C’est pourquoi la hausse du coût de la vie, qui avait peu d’effets il y a cinquante ans, lorsque la plus grande partie de la population vivait dans les zones rurales, sur des ressources d’auto-consommation, risque aujourd’hui d’abaisser brutalement le niveau de vie des salariés.

9L’inflation n’est pas seulement un danger social, car il s’agit également d’un phénomène qui peut créer des déséquilibres économiques durables, soit en orientant les capitaux disponibles vers des activités spéculatives et improductives, soit en décourageant l’épargne et en aggravant les goulots d’étranglement de la production. L’inflation peut alors conduire à la stagnation et à la régression économique. Enfin, l’instabilité des changes et les crises répétées de la balance des payements ralentissent les possibilités d’exportation et découragent les capitaux étrangers. Et cependant, l’inflation n’est-elle pas un mal nécessaire, dans ces pays, où le niveau d’épargne est très bas et où la mise en valeur suppose la réalisation d’une épargne forcée ?

10Le problème de la lutte contre l’inflation est aujourd’hui la préoccupation centrale de tous les gouvernements sud-américains, car toutes les décisions de politique économique sont subordonnées à l’attitude des gouvernements, en matière de monnaie, de prix et de changes. Le problème central est de savoir s’il est nécessaire, possible ou même souhaitable, de mener de front une politique de croissance et des mesures de contrôle monétaire. Faut-il préserver la stabilité de la monnaie et des prix, fût-ce au prix d’une moindre expansion et risquer cependant qu’une crise extérieure ne relance l’inflation ? Faut-il, au contraire, renoncer délibérément à la stabilité monétaire et encourager les entreprises à se développer, au risque de créer de profondes disparités économiques et sociales ?

11Les économies sud-américaines constituent à cet égard un terrain d’analyse très fructueux, car les phénomènes inflationnistes se sont déroulés sur une très longue période et ont profondément marqué les structures économiques et le processus même du développement. Aussi l’étude des inflations sud-américaines nous permettra-t-elle de souligner les aspects spécifiques de l’inflation dans les pays sous-développés. C’est pourquoi, avant de procéder à une analyse plus détaillée, nous exposerons, dans deux chapitres préliminaires, d’une part, les causes spécifiques et le rôle particulier de l’inflation, dans le cadre des économies sous-développées et, d’autre part, l’intérêt du choix des économies sud-américaines, en raison de l’ancienneté et de l’ampleur des phénomènes inflationnistes. Au cours de ces développements, nous serons amenés à définir certains concepts de base et à rechercher des méthodes d’analyse, adaptées au contexte économique et social de ces économies.

12Chapitre I. — Les phénomènes inflationnistes, le niveau de développement et les faits de croissance.

13Chapitre II. — Ancienneté et ampleur des phénomènes inflationnistes, en Amérique du Sud.

Note

1 F. Perroux, Matériaux pour une analyse de la croissance économique, I.S.E.A., Cahiers, série D, no 8.

2 Cf. l’ouvrage, paru en 1952 aux Éditions du Seuil, L’Amérique latine entre en scène, de Tibor Mende.

3 J. R. Boudeville, L’enjeu fondamental de l’Occident dans les pays sous-développés, Revue politique et parlementaire, mai 1952 ; Croissance économique des pays insuffisamment mis en valeur et peu peuplés, Cahiers économiques, juin 1956.
F. Perroux, La coexistence pacifique, t. III, P.U.F., 1958.
A. Philip, Quel régime fait le plus pour le peuple ?, Occident, mai 1958, p. 43.
T. Schultz, The economic test in Latin America, Ithaca, 1956.

4 Survey of Current Business, August, 1956.
En 1955, les investissements nord-américains à l’étranger ont atteint 45 milliards de dollars et l’Amérique latine en a reçu 9.

5 Statistical Abstracts of the United States 1957, Washington, 1957.
Dans la période 1945-1946, le montant net de l’aide à l’étranger a atteint 57,6 milliards de dollars ; les républiques latino-américaines ont reçu 1,1 milliard de dollars, mais le montant de l’aide économique, militaire et technique était seulement de 403 millions, moins de 1 % de cette forme d’aide (47 millions de dollars). La Grèce a reçu, au cours de cette période, autant que l’ensemble des économies sud-américaines.

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