Changement et continuité chez les Mayas du Mexique
|Troisième partie. Les mouvements de réaction et de réorganisation
Les mouvements de réaction et de réorganisation
Texte intégral
1Depuis le xvie et plus précisément depuis le xixe siècle, l’organisation sociale des Tzotzil-Tzeltal a subi d’importantes transformations. Les grandes tenures collectives se sont fractionnées et individualisées. Les clans et les lignages se sont effondrés. Les groupes de descendance se sont dissouts en unités familiales restreintes. Le système de parenté s’est bilatéralisé. Les rapports de consanguinité et d’affinité se sont distendus, malgré le développement du compairage et l’introduction plus récente et sans doute aussi plus localisée du mariage préférentiel.
2Et cependant, ce qui frappe, ce n’est ni l’étendue, ni la profondeur de ces changements pourtant considérables, mais bien plutôt la continuité qui leur est sous-jacente, et la permanence de la situation qui les a déterminés et qu’assez paradoxalement ils déterminent à leur tour. En effet, si l’organisation interne de la communauté s’est remaniée, la structure communautaire n’a pas changé, et il semble même que l’organisation interne de la communauté se soit remaniée pour que la structure communautaire ne change pas. A bien des égards, les changements que nous venons d’analyser, peuvent être considérés comme autant de réponses adaptatives grâce auxquelles s’est maintenue la communauté, et avec elle le système colonial dont elle représente un des éléments essentiels.
3En dépit — et nous devrions dire : à cause — de ces changements, la distance culturelle et les rapports sociaux entre Tzotzil-Tzeltal et ladinos ne se sont nullement modifiés. Les premiers ne se sont pas assimilés aux seconds, et les seconds n’ont pas absorbé les premiers. L'Indien est resté indien dans la mesure où il n’a pas cessé d’appartenir à une communauté, c’est-à-dire, à une institution qui le protège du ladino tout en le marginalisant par rapport à celui-ci. Nous pouvons penser que tant que cette protection se révèlera nécessaire — et elle se révèlera nécessaire aussi longtemps que subsistera le système colonial — la communauté demeurera ce qu’elle est et ses membres ce qu’ils sont.
4Au cours des pages qui suivent, nous désirerions examiner deux mouvements qui, bien que très différents dans leurs origines, dans leur nature et dans leurs formes, tendent d’une manière ou d’une autre à remettre en cause l’institution communautaire traditionnelle. Le premier de ces mouvements est endogène. Il s’agit du chalikisme, mouvement d’inspiration messianique dérivé d’un vieux fonds maya, qui s’est développé pendant la seconde moitié du siècle passé, et qui a abouti à l'organisation d’une éphémère « supracommunauté » tzotzil-tzeltal. Le second est exogène. Il s’agit de l’indigénisme, mouvement issu d’un courant idéologique au demeurant fort ambigu, qui est né en milieu non-indien vers le tournant du siècle, et qui a débouché à partir des années 1940 sur un programme officiel visant à transformer la communauté de l’intérieur. L’analyse de ces mouvements, de leur portée et de leurs limites, nous permettra d’aborder les aspects théoriques et pratiques essentiels de ce qu’il est convenu d’appeler bien à tort d'ailleurs le « problème tzotzil-tzeltal », et d’établir avec une plus grande précision les conditions de sa solution.
© Éditions de l’IHEAL, 1971