L’économie du Mexique d'aujourd'hui
|L’industrie du Pétrole au Mexique1
Texte intégral
- 1 Conférence faite à Paris, à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine, le 11 mai 1956.
1Sans aucun doute, ce qui retient le plus l’attention d’un observateur, c’est la nationalisation de l’industrie pétrolière mexicaine. Toutes les questions politiques et économiques tournent autour de cette question. Il convient donc de rappeler les grandes lignes de son évolution historique.
2C’est en 1901 que jaillissait le premier puits de pétrole du Mexique. En 1908, l’incendie du puits « Dos Bocas », révéla les possibilités de production du sous-sol, confirmées deux ans plus tard par les puits « Juan Cusiano et Potero del Ilano » et en 1916, par le puits « Cerro Azul 4 », qui a produit le plus de pétrole dans le monde.
3Tel est le point de départ d’un développement qui devait atteindre son apogée en 1921. A cette époque, le Mexique arrivait au deuxième rang des pays producteurs de pétrole. Mais, de pair avec la production, surgissait une « question pétrolière », de caractère politique et juridique.
4Bien qu’ayant été agitée déjà, cette question eut un réveil tragique quand, en 1917, la Révolution mexicaine donna au pays la Constitution actuellement en vigueur. L’article 27 de cette Constitution stipule que la propriété du sous-sol appartient à l’État, selon la tradition juridique mexicaine dont l’origine remonte à l’ère coloniale espagnole. L’application de cet article insistait pour que l’exploitation du pétrole par les entreprises privées fût soumise à l’autorité des pouvoirs publics et subordonnée à l’intérêt national.
5Or les grandes compagnies pétrolières estimèrent que la Constitution lésait ce qu’elles considéraient comme leurs droits acquis, et que, par conséquent, son application était rétroactive.
6Pendant onze années, les discussions entre le Gouvernement et les compagnies, les litiges et les négociations diplomatiques se multiplièrent, jusqu’à ce que, en 1925, puis en 1928, le Gouvernement cédât sous la pression des circonstances ; il promulgua une législation « de fait », écartant du régime constitutionnel le sous-sol pétrolifère déjà exploité ou que l’on avait l’intention d’exploiter avant 1917.
7Sept millions d’hectares de terrains pétrolifères restèrent, de ce fait, en dehors du régime constitutionnel et un million et demi d’hectares seulement tombèrent sous le coup de la loi. L’exception devenait donc la règle.
8En 1937, le Syndicat des Travailleurs du pétrole de la République mexicaine (qui avait unifié les syndicats d’entreprise), exerçant un droit, qui appartenait aux travailleurs, sollicitent l’arbitrage des tribunaux du travail, en vue d’obtenir des conditions nouvelles et uniformes pour toute l’industrie.
9La Commission de Conciliation et d’Arbitrage rendit un arrêt qui ne fut pas accepté par les compagnies pétrolières.
10La Cour Suprême de Justice, la plus haute instance de la nation, devant laquelle les compagnies pétrolières avaient porté le problème, confirma la légalité de la décision arbitrale prise par les tribunaux du travail.
11Un nouveau refus des Compagnies de se soumettre à cette décision menaçait de paralyser totalement l’industrie. Mais, aux yeux du pays, c’était l’autorité même de l’État qui, de toute évidence, se trouvait en jeu.
12Le 18 mars 1938, le Président de la République, Lázaro Cardenas, décréta l’expropriation des biens des compagnies pétrolières.
13Par la suite, fut créé un établissement public, « Petróleos Mexicanos », doté d’une personnalité juridique et d’une autonomie financière propre, et ayant capacité pour effectuer toutes les opérations de l’industrie pétrolière.
14Une solution radicale et définitive avait été ainsi donnée à la question pétrolière. En 1940, entrait en vigueur une réforme constitutionnelle qui consacrait la nationalisation de l’industrie : dès lors non seulement le sous-sol pétrolier appartenait à l’État, mais encore ce dernier pouvait seul en assumer l’exploitation.
15La question de l’indemnisation restait à résoudre. La première convention fut signée au cours de cette même année 1940, avec le groupe Sinclair ; en 1942, on arriva à un accord avec les autres compagnies nord-américaines. Pendant la guerre, les relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne, qui avaient été malheureusement interrompues par suite de l’expropriation, furent renouées et, en 1947, un accord intervint avec les compagnies anglaises.
16La question, primitivement posée en termes politiques et juridiques, était résolue.
17Que représente donc pour le Mexique sur le plan économique, la nationalisation de l’industrie pétrolière ?
18Le pétrole est la principale source d’énergie au Mexique. Le charbon n’a pas été à la base du développement industriel, comme il l’a été dans d’autres pays ; on peut même dire que le Mexique s’industrialise en entrant directement dans l’ère du pétrole.
19Et, même ainsi, son importance relative n’a cessé de croître au cours des années. Tandis qu’en 1930, le pétrole et le gaz représentaient 64,5 % de l’énergie non animale consommée, ils atteignaient, en 1950, 82 %, alors que les autres sources d’énergie représentaient respectivement : charbon et coke 6 %, charbon de bois et bois 4 %, chutes d’eau 8 %. Aujourd’hui, on estime que le pétrole et le gaz représentent 85 % de l’énergie non animale.
- En ce qui concerne les transports, s’il est normal que les transports routiers et aériens soient entièrement tributaires du pétrole, il faut noter qu’en outre les chemins de fer l’utilisent aussi exclusivement, sous forme de combustible lourd ou de diesel. Le charbon n’est pas utilisé pour les locomotives et l’emploi de l’énergie électrique est si minime, qu’il n’a aucune importance.
- La production thermique de l’énergie électrique dépend, de son côté, pour 75 % du pétrole et du gaz. Les centrales hydroélectriques constituaient jadis la principale source d’énergie et si, en 1933, elles représentaient 83 % de la capacité totale de production, à partir de 1949, elles ont cédé la place aux centrales thermo-électriques, pour n’atteindre, aujourd’hui, qu’un pourcentage inférieur à 45 %.
- Les manufactures dépendent presque entièrement du pétrole et du gaz, exclusion faite de tous autres combustibles. La métallurgie elle-même emploie le pétrole dans une très large mesure, soit directement, soit sous forme d’énergie thermique.
- L’agriculture, à son tour, depuis quelques années, est devenue tributaire du pétrole : en effet le nombre des tracteurs employés dans ce secteur a crû considérablement depuis vingt-cinq ans, passant de 3 875 en 1930 à 23 000 en 1950 et à 50 000 en 1955.
- Enfin, dans l’économie domestique, le pétrole (principalement sous forme de pétrole lampant, d’huile de pétrole ou de gaz liquéfié et, dans de moindres proportions, de gaz naturel), a progressivement remplacé l’emploi du bois et du charbon végétal.
20On voit donc l’ampleur prise par le pétrole dans l’économie du Mexique actuel.
21Aussi le Mexique est-il au premier rang des pays consommateurs de pétrole. Il n’est devancé que par les États-Unis, le Canada, l’Angleterre, l’Union Soviétique et la France. Le Mexique consomme une quantité de pétrole sensiblement égale à celle de l’Allemagne occidentale ou de l’Italie.
22La consommation actuelle atteint 234 000 barils par jour, soit 85,6 millions de barils par an (7 barils représentant une tonne environ). Il n’en a toutefois pas toujours été ainsi. La consommation des dérivés du pétrole est un bon indice du développement du Mexique. En 1937, 20,2 millions de barils furent consommés et, en 1955, 79,3 millions de barils, soit une augmentation de 393 % en 18 ans. La ville de Mexico consomma, au cours de l’année passée, deux fois plus d’essence que n’en avait consommé le pays tout entier en 1938.
23On remarquera que la nationalisation de l’industrie pétrolière a été un long processus d’intégration de la richesse pétrolière à l’économie interne du pays. Ce pari engagé sur le développement du marché intérieur, sur le progrès économique du Mexique, en somme, réclamait un changement de structure. L’industrie orientée naguère vers l’exportation, comme le prouve l’emplacement des raffineries et des pipe-lines avant 1938, s’est transformée en une industrie chargée principalement de satisfaire les besoins locaux et d’en créer de nouveaux.
24Le Mexique a pu sortir ainsi du cadre d’une économie dirigée vers l’exportation de matières premières. En effet, si c’est au marché national que l’industrie pétrolière doit son essor, il ne faut pas oublier cependant que sans le pétrole, l’industrie, l’agriculture et les transports n’auraient pas atteint leur développement actuel.
25Telle est la signification économique de la nationalisation de l’industrie du pétrole.
26Pour pouvoir apprécier avec justesse sa situation actuelle et ses perspectives d’avenir, nous allons essayer de tracer les grandes lignes de l’évolution de la demande et la façon dont les « Petróleos Mexicanos » ont suscité et satisfait cette demande.
27La demande de produits pétroliers au Mexique repose sur deux caractéristiques fondamentales :
- Un rythme de développement constant qui, au cours des dix-huit dernières années, représente une moyenne de 7,9 % par an. Cette constance s’oppose aux variations que l’on a pu observer dans le reste du monde au cours de la même période (croissance irrégulière avec diminution de la demande à certains moments).
- Une évolution vers un emploi croissant de produits légers. Tandis qu’en 1938, le marché demandait 73,3 % de produits lourds et seulement 26,7 % de produits raffinés légers, en 1956, nous envisageons de fournir au marché intérieur 42,6 % seulement de résidus et 57,4 % de produits raffinés.
28Une analyse plus approfondie de la demande nous fait connaître les conditions actuelles et les perspectives futures de développement.
29L’agriculture ne représente qu’un très faible pourcentage de la consommation totale, bien que le machinisme se soit développé avec intensité spécialement depuis 1940. En effet, 45 % seulement de l’énergie utilisée par l’agriculture était d’origine non animale. Les 55 % restant qui demeurent d’origine animale prouvent l’importance de la demande potentielle de produits pétroliers.
30L’industrie d’extraction et les manufactures, y compris l’industrie pétrolière, représentent un important secteur de consommation. La production industrielle croît à un rythme moyen de 7 % par an.
31Toutefois ce sont les transports, y compris les automobiles particulières qui représentent le secteur le plus important du marché (avec un pourcentage de 47,6 %).
32En 1938, le pays n’avait guère plus de 8 000 kilomètres de routes, mais en 1955, il en comptait plus de 32 000. Les véhicules à moteur à combustion interne sont passés de 127 000 en 1938, à près d’un demi-million en 1955.
33Les chemins de fer représentent environ 22 % de la consommation totale de pétrole. Au cours des dernières années, les chemins de fer mexicains ont remplacé leurs locomotives à vapeur, qui brûlaient du combustible lourd, par des locomotives diesel. La consommation du diesel a augmenté de 778 % entre 1938 et 1954.
34Comme le développement des transports et des moyens de communications est essentiel au progrès du Mexique (ce que les gouvernements ont fort bien compris) puisqu’ils leur ont accordé la préférence dans leur programme de travaux publics), il en résulte que l’industrie pétrolière peut compter, dans ce secteur, sur un marché en continuel développement.
35La consommation domestique, enfin, représente la fraction la moins importante lors de la consommation totale. L’emploi de combustibles minéraux a contribué toutefois à augmenter d’une façon très importante cette consommation. La demande de gaz liquéfié est passée de 7 632 litres par jour en 1938 à 1 019 600 litres en 1955. Entre ces deux mêmes dates, la consommation de pétrole lampant dans la ville de México passait de 30 000 litres à 1 250 000 par jour.
36Les facteurs les plus importants de l’accroissement de la demande sont cependant, l’augmentation du revenu réel « per capita » et l’augmentation de la population qui est de l’ordre de 3 % par an en moyenne.
37L’action conjuguée de tous ces facteurs est une assurance que l’indice élevé de l’accroissement de la demande se maintiendra fermement dans l’avenir.
38Un marché qui peut se développer à une telle vitesse présente de grands avantages pour l’industrie pétrolière, mais il est en même temps pour elle un véritable défi.
39La réponse des « Petroleos Mexicanos » à ce défi revêt trois aspects différents :
- L’augmentation constante de la production.
- Le changement de structure de l’industrie pétrolière, afin de s’adapter à la demande, tant du point de vue qualitatif que du point de vue de la distribution.
- La politique de bas prix.
401° Les travaux de prospection ont augmenté constamment depuis 1938 et tout spécialement depuis 1946. Actuellement, on compte 47 équipes qui prospectent les zones susceptibles de renfermer du pétrole, de la Péninsule de la Basse Californie à celle du Yucatan.
41Le forage s’est développé également de façon considérable. En 1955, 330 puits furent forés, contre 45 seulement en 1937. Au cours de l’année écoulée, 456 000 mètres furent forés, ce qui représente le chiffre le plus élevé atteint dans l’histoire de l’industrie du pétrole au Mexique.
42En 1938, quatre grandes zones ou provinces productrices de pétrole étaient exploitées au Mexique.
- La zone de Tampico-Pánuco, la première découverte.
- La « Faja de Oro » ou Ceinture d’Or, dont la production dépassa 400 000 barils par jour, mais déclina rapidement à partir de 1924. Elle est aujourd’hui presque tarie.
- Poza Rica » ou Puits Riche, découvert en 1931, et qui était en 1938, aux premiers stades de son développement. Il donne, aujourd’hui, l’exemple d’un champ pétrolifère bien développé, suivant les meilleures techniques de conservation, et,
- Enfin, la zone de production de l’isthme.
43La découverte de 81 nouveaux gisements depuis 1946 a permis d’ajouter aux quatre régions précitées, quatre nouvelles provinces productrices, qui sont :
- La zone Nord-Est, exploitée depuis 1946, et dont la capacité de production de gaz dépasse actuellement 8,5 millions de mètres cubes par jour, pour une durée de vingt ans et pour laquelle on prévoit de grandes possibilités de développement.
- La nouvelle « Ceinture d’Or », exploitée depuis 1952 et qui, actuellement, produit un peu plus du 25 % de la production totale de pétrole.
- Le bassin de Veracruz, découvert en 1953 et dont la capacité actuelle de production est de 25 000 barils par jour, soit le 8 % de cette même production.
- La zone de Tabasco, qui, jusqu’à présent, produit principalement du gaz et qui a d’importantes réserves : celles du « Campo Colomo » à elles seules dépassant celles de la zone Nord-Est toute entière.
44Ces quatre zones en sont encore au premier stade de leur développement.
45En outre, les « Petróleos Mexicanos » poursuivent leurs sondages de prospection, aux confins de la République : dans la Péninsule de Basse Californie, au Yucatan et dans l’État de Chiapas, près de la frontière guatémaltèque.
- 2 Cette estimation tient compte à la fois du pétrole et du gaz, ce dernier étant calculé d’après son (...)
46A la suite de ces travaux de prospection, l’estimation des réserves du sous-sol passa de 835 millions de barils (l’estimation faite en 1938) à 2 800 millions de barils2.
47Tout cela influe naturellement sur la production.
48En 1921, le Mexique était le second producteur de pétrole du monde avec une production de 193 millions de barils. Mais, ensuite, la production se mit à décroître, lentement d’abord, puis très rapidement. Cette baisse de la production était due principalement, d’ailleurs, aux systèmes d’exploitation alors en usage. L’année 1932 fut celle où la production atteignit son niveau le plus bas avec seulement 32 805 000 barils.
49Les « Petróleos Mexicanos » ont fait passer la production de 38,5 millions de barils en 1938, à 91,3 millions en 1955. Cette année (1956), le chiffre de 100 millions sera certainement atteint et peut-être même dépassé.
50La production de pétrole a toujours été supérieure à la demande. En 1955, l’excédent net a dépassé 12 millions de barils.
512° L’augmentation de la production s’accompagna d’un changement de structure, déterminé par les facteurs suivants :
52La zone productrice se trouve localisée sur le versant du golfe du Mexique tandis que la majeure partie de la population demeure dans la partie centrale. Jusqu’en 1938, ce fait ne présenta pas une importance considérable parce que l’industrie était tournée vers l’exportation. Les ports du golfe du Mexique raffinaient alors 90 % des produits pétroliers et les 10 % restant seulement étaient raffinés à México. Mais à partir de 1938, l’accroissement et la modification de la demande intérieure de produits pétroliers rendirent nécessaire une relocalisation de l’industrie.
53En effet, la demande de la côte du Golfe représente désormais 8 % de la demande totale, celle de la région du Pacifique, 12 % et celle du Centre et celle du Nord 80 %, dont 50 % pour le Centre et 30 % pour le Nord.
54Il était donc de toute première nécessité de déplacer le système de raffinage vers le Centre du pays.
55Une nouvelle raffinerie, d’une capacité de production de 50 000 barils par jour fut inaugurée à México en 1946. Grâce à elle le pourcentage de la production du Centre fut ainsi porté à 29 %. En même temps, la capacité du pipe-line de Posa Rica était proportionnellement augmentée. C’était là le premier pas vers une évolution qui a complètement transformé la géographie pétrolifère du pays. Une deuxième raffinerie complète fut inaugurée en 1950 à Salamanca, ville située au centre géographique du pays. Ses 30 000 barils quotidiens firent monter à 43 % le pourcentage de la production du Centre.
56Pour approvisionner cette raffinerie, un pipe-line de 32 cm. de diamètre sur 450 km. de longueur fut construit, à partir de la région de Poza Rica. A la même époque, une petite raffinerie, pouvant produire 4 000 barils par jour, fut construite à Reynosa, ville située près de la frontière des États-Unis. A la fin de l’année 1954, la capacité totale de raffinage était passée de 102 000 barils par jour en 1938 à 234 500 barils par jour : la région centrale avait le pourcentage de 44 % et la région du golfe celui de 56 % de la capacité totale de production.
57On avait atteint ainsi un équilibre acceptable. En 1955, la capacité de production de la raffinerie de México fut doublée, passant ainsi à 100 000 barils par jour. Pour l’approvisionner, un nouveau pipe-line fut construit. Le jumelage des deux pipe-lines permet de fournir 115 000 barils par jour. La capacité du pipe-line et de la raffinerie de Salamanca fut portée de son côté à 50 000 barils par jour.
58Dans le Nord du pays, des travaux importants sont en voie d’achèvement : l’agrandissement de la raffinerie de Reynosa qui doit lui permettre de traiter 10 000 barils par jour, et la construction d’un pipe-line de 32 cm. de diamètre sur 500 km. de longueur, de Tampico à Monterrey, entièrement construit avec des tuyauteries françaises. Ce pipe-line qui transportera 20 000 barils par jour (et ce chiffre pourra être porté à 50 000 barils par jour), a permis de vaincre les difficultés de transport que représentait la « Sierra Madré » Orientale et fera de Monterrey un centre de distribution dont la capacité s’étendra jusqu’aux États de Durango et de Chihuahua.
59Ce pipe-line évite la création de nouvelles raffineries dans le Nord du pays et crée une unité de distribution pour les régions Centre-Nord et Nord-Est, jusqu’à Tampico.
60A la marche vers le Centre, devait succéder la marche vers la Côte du Pacifique.
61En 1952, un pipe-line débitant 15 000 barils par jour a été construit à travers l’isthme de Tehuantepec, permettant ainsi le transport des produits pétroliers de la raffinerie de Minatitlán au port de Salina Cruz et, de là, par voie maritime, vers la partie occidentale du pays. Mais l’augmentation de la demande dans le Nord-Ouest du pays (région où le taux d’accroissement de la population est le plus élevé, et qui a connu un grand développement agricole), exigeait des installations plus importantes.
62Au mois de février de cette année, la capacité du pipe-line de l’isthme a été doublée, passant ainsi à 30 000 barils par jour et une nouvelle raffinerie de 50 000 barils par jour a été inaugurée à Minatitlán. Cette raffinerie peut en plus de l’approvisionnement de sa propre région et de la péninsule du Yucatan fournir des produits pétroliers, par voie maritime, à la côte du Pacifique. Ainsi, un pipe-line et une flotte pétrolière permettent à une seule raffinerie d’approvisionner des marchés aussi éloignés les uns des autres, situés à l’une et l’autre extrémité du pays.
63La capacité totale de raffinage atteint actuellement 334 500 barils par jour. Elle a donc plus que triplé en dix-huit ans, et elle excède de beaucoup, les besoins du marché national.
64Tout cela ne représente pas l’histoire complète de l’industrie du pétrole. Il ne faut pas oublier, non plus, en effet la rapide augmentation de la demande de produits légers. Cette demande fut satisfaite, au début, grâce aux produits obtenus par la désintégration thermique du pétrole, mais il fallut bientôt, en raison de son accroissement considérable, recourir à la désintégration par catalyse. La capacité de désintégration qui était de 14 000 barils par jour en 1938, atteignit, successivement, 32 000 barils par jour en 1951, puis 47 000 lorsque l’installation catalytique de Minatitlán (la première installée au Mexique) fut mise en activité. Trois installations semblables seront mises en route dans les raffineries de México, Salamanca et Tampico. Il faut, enfin, tenir compte de l’essence et des autres produits liquéfiables produits à partir du gaz à Poza Rica, Reynosa et Tabasco.
65Dans peu de temps, le Mexique aura également des excédents de produits légers pour l’exportation.
66Les faits et les observations que nous avons signalés, nous amènent à nous préoccuper maintenant des deux problèmes, les plus importants, peut-être, qu’aient eu à résoudre les « Petróleos Mexicanos » : celui de la distribution et celui de l’importation des produits légers.
67Les communications sont difficiles au Mexique ; à de rares exceptions près, nous n’avons pas de fleuves navigables. Le Plateau Central s’élève à plus de 2 000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Deux cordillères, parallèles aux côtes, se divisent en de nombreuses vallées et chaînes de montagnes. A une distance de 200 à 300 kilomètres des côtes, les routes, voies ferrées, et pipelines doivent franchir des cols situés à plus de 2 700 mètres d’altitude, avant d’atteindre le Plateau, qui se prolonge, au Nord, par un désert. Sous le Tropique, près des côtes, la végétation exubérante rend difficile l’entretien des routes. Le transport et la distribution des produits doivent en conséquence surmonter les plus grands obstacles.
68La solution donnée à ce problème du transport des produits légers fut la même que celle adoptée pour les autres produits pétroliers : le pipe-line, qui, ici encore, remplace le transport routier et ferroviaire. Le premier de ces pipelines fut celui construit à travers l’isthme de Tehuantepec.
69Mais, le centre du pays est la zone qui consomme le plus de produits pétroliers. En conséquence, plusieurs pipe-lines furent construits à partir de Salamanca jusqu’à Morelia, vers le Sud, Lagos-Guadalajara, vers l’Ouest et même Aguascalientes, vers le Nord-Ouest. La longueur totale de ces pipe-lines du centre est de 500 kilomètres.
70L’actuel réseau de pipe-lines pour le transport des produits raffinés, y compris celui de Monterrey, s’étend sur 1 057 kilomètres.
71Le programme de construction de ce genre de pipe-lines comprend le prolongement de celui de Monterrey jusqu’à Tozréon, important centre cotonnier ; de celui de Aguascalientes jusqu’à Zacatecas, centre minier et, plus tard, jusqu’à Durango et Torreón. Ainsi sera clos le circuit de pipe-lines, et ceci permettra, sans aucun doute, une très grande flexibilité de l’acheminement des produits pétroliers.
72La longueur totale des pipe-lines pour le transport du pétrole brut et des produits raffinés (y compris ceux qui sont en voie d’achèvement) est de 5 500 kilomètres.
73D’autres mesures ont été prises, telles la construction et l’agrandissement des entrepôts dans tout le pays, ainsi que l’augmentation du nombre des wagons-citernes et des camions-citernes. Enfin la flotte a joué un rôle important dans la distribution des produits pétroliers : il n’y avait qu’un seul pétrolier en 1938 ; on en compte actuellement 17. Le tonnage total de la flotte pétrolière est de 230 000 tonnes.
74Un dernier mot pour compléter ce tableau de la distribution : la vente des produits au détail et, dans certains secteurs, au stade du demi-gros, est aux mains de l’initiative privée.
75Abordons maintenant le problème des importations. Les difficultés de transport et l’éloignement de certaines régions par rapport aux centres producteurs, obligent le Mexique, en dépit de l’excédent de sa production sur sa consommation, à importer des produits pétroliers pour satisfaire la demande de la région Nord-Ouest et Centre-Nord du pays. En outre, certains sous-produits, tels que les lubrifiants, les graisses et la paraffine, n’étant pas produits en quantités suffisantes, leur importation est nécessaire.
76L’augmentation de la demande (spécialement dans les régions Nord-Ouest et Centre-Nord) et son orientation vers les produits légers, fut pendant une période de trois ans, plus rapide que la construction des diverses installations dont nous venons de parler, et rendit nécessaire une augmentation des importations jusqu’à un niveau excessif. Le problème est en voie de solution, grâce à la nouvelle raffinerie de Minatitlán dans la région Nord-Ouest, au pipe-line de Monterrey et à la raffinerie de Reynosa dans le Nord. En outre, en 1955, une nouvelle usine dont la production permet de satisfaire toute la demande nationale de lubrifiants, de graisses et de paraffines a été inaugurée à Salamanca. Cette usine a permis de diminuer les importations d’un montant supérieur à 15 millions de dollars par an.
77Les exportations ont repris leur rythme normal d’accroissement à partir de 1954. Au cours de l’an dernier, près de 26 millions de barils, soit environ 4 000 000 de tonnes, dont plus de 80 % était du combustible lourd et des produits raffinés ont été exportés.
78L’accroissement de la production permettra de disposer d’excédents de plus en plus importants, même en produits légers, qui seront mis à la disposition du marché international.
79Le gaz naturel de la région Nord-Est, par son abondance, ses perspectives de développement et sa localisation, constitue également une source d’exportation. Les contrats qui ont été récemment signés permettront d’exporter du méthane pour une somme qui peut atteindre 10 millions de dollars par an.
80L’industrie du gaz naturel s’est développée au Mexique à partir de 1946. Auparavant, sa production était liée à celle du pétrole et la plus grande partie en était brûlée dans l’air. Le développement de cette industrie s’est fait par étapes :
81a) Découverte de nouvelles et importantes réserves de gaz, surtout au Nord-Est et à Tabasco.
82b) Traitement du gaz naturel en vue d’obtenir du soufre, de l’essence, du butane et du propane. Deux usines ont été construites à Poza Rica. La première produit du soufre. Le développement de ses installations a permis à la production d’atteindre 220 tonnes par jour. La seconde traite le gaz naturel en vue d’obtenir de l’essence, du butane, du propane. Elle fut inaugurée en 1947 et sa capacité de production a doublé en 1955. Son rendement actuel est de 8 000 barils par jour.
83Une usine semblable a été inaugurée à Reynosa en décembre dernier. Elle permet de traiter 8,5 millions de mètres cubes par jour. On obtient ainsi 8 000 barils par jour d’essence et de gaz liquéfiés. Une usine analogue et de même capacité est actuellement en construction à Tabasco.
84c) Emploi du gaz pour maintenir la pression dans le gisement de Poza Rica.
85d) Utilisation du gaz comme combustible dans la ville de México, à la frontière Nord-Ouest, à Monterrey et dans le Sud-Est. Pour cela deux pipe-lines furent construits, d’une longueur totale de 468 kilomètres. Monterrey possède, en outre, deux autres conduites de gaz, propriété d’entreprises privées, qui viennent depuis la frontière. Presque toutes les importations de gaz ont été remplacées par du gaz produit au Mexique.
86e) Emploi du gaz enfin comme matière première de l’industrie chimico-pétrolière, en plus de l’industrie de soufre et d’engrais.
873° La nationalisation des pétroles mexicains a entraîné un développement extrêmement rapide de l’industrie pétrolière. Ce développement, d’une part, et d’autre part, l’abandon par les « Petroleos Mexicanos » de la recherche du plus grand profit monétaire possible immédiat, ont permis une politique de bas prix qui rend les produits pétroliers mexicains parmi les meilleurs marchés du monde.
88En voici quelques exemples : L’essence ordinaire (indice d’octane 70-72) est vendue au prix de 52 cents le litre, soit 14 fr 84.
89Le pétrole lampant à 15 cents le litre, soit 4 fr 20.
90Le gas-oil à 18 cents le litre, soit 5 fr 04.
91Le combustible lourd à 9 cents le litre, soit 2 fr 52.
92En 1937, l’essence était vendue 20 % plus cher au Mexique qu’à New York. Aujourd’hui, elle est 80 % plus chère à New York qu’au Mexique.
93En outre, différents secteurs, tels que les transports publics urbains, jouissent de subventions, sous forme de prix encore moins élevés. On peut donner un exemple plus frappant encore de cette politique de bas prix : les « Petroleos Mexicanos », en effet, vendent aux régions du Pacifique et du Nord les produits pétroliers qu’ils importent à un prix inférieur à leur prix d’achat. Au cours de la seule année 1955, la différence entre le prix d’achat et le prix de vente de ces importations atteignit 265 millions de pesos. Cette somme a été entièrement supportée par l’Industrie Pétrolière mexicaine nationale, dans l’intérêt des consommateurs de produits pétroliers.
94Parfois, la hausse des prix de revient, résultant de l’augmentation des prix et des services nationaux et internationaux, entraîne une modification des prix de vente, mais cela n’altère pas le système de bas prix.
95La création de capitaux, dans les autres secteurs de l’économie, a été favorisée par cette politique qui constitue, il faut le remarquer, un véritable encouragement pour l’initiative privée. Ainsi le gaz et le soufre furent fournis gratuitement pendant plus d’un an, aux fabricants d’engrais, ce qui leur permit d’augmenter rapidement la production de sulfates ammoniacaux.
96De leur côté, les « Petroleos Mexicanos » ont réinvesti 4 500 millions de pesos depuis 1938, dont 3 000 millions depuis 1951 et presque 1 000 millions pour 1955 seulement.
97Cet investissement a été rendu possible, grâce aux recettes fournies par la vente de produits pétroliers.
98L’industrie pétrolière a été l’un des principaux contribuables du budget du Gouvernement Fédéral mexicain. De 1901 à 1937, l’industrie pétrolière avait produit 1 895 millions de barils, dont la plus grande partie avait été exportée et l’État avait reçu 777 millions de pesos d’impôts. De 1938 à ce jour, les « Petróleos Mexicanos » ont produit 1 025 millions de barils et ont payé 5 000 millions de pesos d’impôt.
99Les indemnisations que le Gouvernement Mexicain devait verser aux compagnies expropriées, ont été payées grâce à des fonds intégralement versés par les « Petróleos Mexicanos ».
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100L’industrie pétrolière mexicaine, du point de vue technique, présente deux caractéristiques fondamentales : sa politique de conservation et sa formation de techniciens mexicains. La conservation est la norme fondamentale qui régit l’activité technique. Le forage, la production, l’exploitation unitaire des gisements se font, non pour obtenir un bénéfice immédiat, mais pour pouvoir obtenir le plus grand montage économique final. Près de 500 millions de pesos ont été investis à cette seule fin, à Poza Rica. Les derniers travaux, inaugurés en 1955, comprennent des installations destinées à purifier et apporter de l’eau au gisement et à maintenir la pression du gaz.
101La production annuelle a toujours été maintenue à un niveau tel qu’elle ne dépasse jamais 5,5 % des réserves connues.
102Par tous les moyens en son pouvoir, l’industrie nationale du pétrole a toujours eu à cœur de former des techniciens mexicains et, actuellement, elle possède un groupe de techniciens, dont l’âge moyen ne dépasse pas 45 ans, et qui dirigent les opérations dans tous les secteurs de l’industrie.
103Nous profitons, surtout, des progrès de l’industrie pétrolière mondiale et, particulièrement de l’industrie nord-américaine, qui est un champ fécond d’expériences et de progrès techniques. Et si le Mexique n’est pas encore entré de plein pied dans la recherche scientifique, par contre, il n’y a aucun aspect de la technologie du pétrole, qui ne puisse être assimilé, adapté et mis en pratique par les techniciens mexicains du pétrole.
104Une étape va être franchie dans l’histoire de l’industrie pétrolière mexicaine. L’équilibre géographique a été atteint ; bientôt sera atteint l’équilibre qualitatif, grâce aux usines que l’on construit actuellement. L’évolution structurelle de l’industrie pétrolière, qui donne sa signification économique profonde à la nationalisation, sera ainsi achevé. Dans l’avenir, il ne sera plus question de structure, mais plutôt de rythme de production. Et tout : marchés, terrains pétrolifères, organisation, intégration, crédit et prestige au Mexique et à l’étranger, personnel technique et ouvriers spécialisés, tout, dis-je, s’oriente vers un développement continuel et croissant. L’industrie pétrolière mexicaine est une force économique en plein épanouissement.
105Une perspective nouvelle s’ouvre devant elle : après avoir été à l’origine du développement de la productivité du pays, elle deviendra, en outre, une source d’entrée de devises, grâce aux exportations de produits raffinés et de résidus excédentaires. Ce rôle de l’industrie pétrolière, quoique secondaire, n’est toutefois pas négligeable.
106Telle est la perspective que, à l’époque actuelle, l’industrie pétrolière peut offrir à l’économie mexicaine.
107Nous n’entreprendrons pas d’énumérer ici dans le détail les nombreux travaux que les « Petróleos Mexicanos » ont entrepris et réalisés pour le bien commun. Qu’il me soit cependant permis de citer et, ceci, uniquement à titre d’exemple, les 500 kilomètres de routes carrossables qui ont été construits autour des raffineries et des champs pétroliers dans les forêts et près des barrages de Tabasco, Veracruz et Chiapas. Des hôpitaux modernes, pouvant donner les soins médicaux et chirurgicaux, des écoles pouvant recevoir plus de 1 000 élèves chacune, se dressent aujourd’hui à la lisière même de la forêt, là où le paludisme et les maladies parasitaires ne sont plus un fléau terrible pour l’homme.
108De tous côtés s’élèvent des groupes de maisons, confortables et hygiéniques, qui appartiennent aux travailleurs et qui sont construites grâce à l’aide financière de l’entreprise.
109Quiconque a survolé, la nuit, les grandes forêts du Sud, et a aperçu au loin, dans l’obscurité impénétrable, pareils à de petits îlots, les villages pétroliers, éclairés par la lumière électrique et par l’éclat des becs où sont brûlés les gaz inutilisables, comprend immédiatement que la nationalisation de l’industrie pétrolière, outre sa signification économique, a une très grande portée spirituelle. La forêt ne triomphera pas et ne détruira pas cette fois, l’effort de l’homme. La nature n’oppresse plus l’homme, c’est lui qui, désormais, lui impose sa volonté et la domine.
110C’est une libération et, obscurément ou clairement, la plupart des Mexicains l’ont compris ainsi. Cela signifie que l’industrie pétrolière nationalisée n’a pas été intégrée uniquement à l’économie, mais aussi, et de façon indissoluble, à la conscience nationale du Mexique.
Notes
1 Conférence faite à Paris, à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine, le 11 mai 1956.
2 Cette estimation tient compte à la fois du pétrole et du gaz, ce dernier étant calculé d’après son équivalence thermique.
© Éditions de l’IHEAL, 1957