1Une vaste étendue semi-désertique parsemée d’arbustes et de cactées, au loin des montagnes qui se détachent sur un ciel ensoleillé, une clarté lumineuse, éblouissante, méditerranéenne... Nous sommes au Nord du Mexique, dans l’État de Coahuila, à 2 heures à peine de la frontière des États-Unis et du Texas ; la route excellente, long ruban monotone de béton ou d’asphalte où l’on roule à plus de 100 kilomètres à l’heure, vient de Monclova, cité prospère grâce à la Société des Altos Hornos de México dont l’usine sidérurgique ne cesse de se développer sous la direction de son créateur et animateur, M. H. R. Pape qui a vécu longtemps en France et en reste l’ami fidèle.

2Qui pourrait penser que cette étendue semi-désertique recèle, à peu de profondeur, plusieurs gisements de charbon de l’époque secondaire (crétacé) avec des charbons gras ou flambants ? La Ruhr et ses usines puissantes que voilent la brume et les fumées, la Lorraine vallonnée, fraîche et verte, le Nord, Pas-de-Calais champêtre et industriel, même notre Provence minière sont loin... L’eau n’existe qu’à une certaine profondeur et pas partout, notamment comme nous le verrons à Palau. Ces gisements forment des cuvettes elliptiques de plus ou moins grandes dimensions et portent nom : Fuente, Sabinas, Esperanzas, Saltillo y Lampacitos, San Blas et San Patricio (voir carte p. 115).

3Grâce à l’obligeance de la Direction Générale des Altos-Hornos de México, et à M. Heitz qui dirige leurs exploitations charbonnières, nous avons pu visiter la mine Sauceda à Palau, celle de Barroteran et les installations de surface de l’American Smelting et Refining Co qui exploite, près de Rosita, quatre mines de charbon pour alimenter en coke à la fois sa propre usine et la Société des Hauts fourneaux de Monterrey.

4Avant de parler de ces mines, situons la part du charbon dans le bilan énergétique de ce pays, à la fois si ancien et si neuf qu’est le Mexique.

Le charbon dans l’économie mexicaine.

5Les statistiques publiées par l’Ο. N. U. indiquent que le Mexique a consommé, en 1953, par habitant, une quantité d’énergie égale à environ 640 kg. de houille (contre 2 330 kg. en France, et 6 100 kg. aux États-Unis). Si, en France, la part du charbon dans cette consommation est de 2/3 environ — soit environ 1 600 kg. par habitant et par an — aux États-Unis 1/3 environ avec 2 200 kg. environ — au Mexique, — le charbon n’intervient que pour 7 % avec 44 kg. de charbon par habitant par an. Il n’y joue donc qu’un rôle minime si l’on se reporte aux statistiques énergétiques.

6Actuellement, le Mexique dispose en abondance de pétrole et de gaz naturel. Un exemple est typique : la centrale de l’usine de Rosita de l’Α. S. R. Co peut brûler indifféremment, au choix, du pétrole mexicain, du gaz de four à coke, et enfin du gaz qu’un pipe-line amène du Texas voisin.

7La production mexicaine de charbon est cependant plus importante pour le pays que ne l’indiquent les chiffres, puisque, sans elle, il n’y aurait pas de sidérurgie à l’échelle industrielle : pas de hauts fourneaux à Monclova et à Monterrey, pas de fonderie importante de plomb à Sanluis Potosi et de zinc à Rosita. Pour alimenter ces installations sidérurgiques et métallurgiques, le Mexique produit actuellement environ 1 400 000 tonnes de charbon par an qui proviennent uniquement du Nord du pays : des mines de Palau et Barroteran contrôlées par les Hauts Fourneaux de Monclova, ou des mines de l’A. S. R. Co près de Rosita (Sabinas, Mezquite, etc.).

8Le Mexique possède d’autres gisements houillers plus ou moins bien connus, dans divers États : Sonora et Oaxaca par exemple ; ces gisements ne sont pas exploités. L’industrie dispose en effet en abondance et à bas prix du pétrole mexicain (13 500 000 t. en 1954 dont 2 200 000 t. ont été exportées) et du gaz naturel indigène ou importé du Texas (au total probablement environ 2 milliards de mètres cubes par an). Enfin, fin 1953, les réssources hydro-électriques exploitées représentaient une puissance installée de 734 000 KVA sur un total de 1 701 000 KVA installés.

9Certaines des houillères exploitées actuellement appartenaient, jadis, aux chemins de fer ; tel fut le cas pour la mine de Sauceda à Palau. Les combustibles liquides ayant remplacé le charbon dans la traction, ces mines cessèrent d’être exploitées. Palau devint la propriété des ouvriers ; puis en 1947, ceux-ci cédèrent l’exploitation à la sidérurgie pour la production de coke.

10L’approvisionnement en coke de la sidérurgie mexicaine varie d’une usine à l’autre, l’une, Monterrey étant une société anonyme ordinaire, l’autre, Monclova étant une société mixte dont la moitié du capital appartient à l’État mexicain.

111. L’usine sidérurgique de Monterrey —-affaire privée — ne fabrique pas son coke. Elle l’achète à l’usine de Rosita de l’American Smelting and Refining Co qui exploite des charbonnages autour de Sabinas (52 000 t. par mois) et une cokerie à Rosita.

122. La Société Altos Hornos de Monclova exploite des mines à Palau et Barroteran, achète du charbon à de petites mines pour faire face aux pointes, dispose ainsi au total de 48 500 t/mois, dont le charbon lavé qui sera transformé en coke, et celui destiné à la consommation des centrales de Monclova et Palau. A Monclova se trouve, à côté de deux hauts fourneaux de 800 et de 350 t., une batterie moderne de fours à coke Koppers. Le coke est donc fait par Altos Hornos à Monclova même, avec le charbon produit par ses soins, sans intermédiaire.

Allure générale des gisements exploités a Palau, Barroteran et Sabinas

13Comme déjà indiqué, il s’agit généralement de cuvettes très plates dont les bords affleurent en plusieurs endroits. Les exploitations sont peu profondes : maximum 150 mètres. Pratiquement une seule couche serait exploitable dans la région : 1,35 m à Sauceda, 1,80 m. à Barroteran. Charbon assez dur. Pour l’exploitation de ces couches, l’influence technique des U. S. A. a été jusqu’ici déterminante.

14Les réserves connues dépassent 100 millions de tonnes.

15Le charbon donne sans mélange un très bon coke. Comme le minerai de fer est excellent, on se borne généralement à laver le charbon brut —· qui fait 34 % de cendres — pour obtenir des produits lavés à 15 %.

16On note beaucoup de grisou à Rosita, un peu à Barroteran. Sauceda n’en a pratiquement pas. On prend des précautions contre les poussières, sauf à Sauceda, Palau où la mine est très humide puisque l’exhaure atteint 5 m³ d’eau par tonne extraite.

17A la différence de ce qui existe aux U.S.A., les toits demandent un boisage genre européen, souvent un bois au mètre carré dans les dépilages. Un tel boisage est un obstacle à la mécanisation classique avec chargeuses américaines, obstacle difficilement surmontable.

Méthode d’exploitation

18Une seule est pratiquée : la méthode des chambres et piliers, avec récupération des piliers, importée des États-Unis.

19Comme il vient de l’être indiqué, le toit demande un soutènement assez dense ; outre cet obstacle à une mécanisation très poussée, comme aux U. S. A., un autre est le pendage qui atteint jusqu’à 18 %.

20Qu’il s’agisse de l’une ou de l’autre exploitation, les seuls travaux au rocher se limitent à quelques creusements des fendues, ou travers-bancs inclinés qui permettent d’atteindre rapidement la couche exploitée.

21Les rendements en taille (en brut réduit à 30 % de cendres) des zones les meilleures, sont en moyenne de 5,5 t. (6,5 t. en dépilage et 4,5 t. dans les traçages).

22A Sauceda, les traçages larges de 3,6 m sont faits avec des haveuses short-wall électriques (courant alternatif triphasé 440 volts 60 périodes). Les chambres ont d’axe en axe 14 à 17 mètres.

23Le déblocage est généralement assuré par berlines de 2 ou 3 t. de capacité. Toutefois, la mine de Sauceda n’a pas de voie ; tout le charbon est transporté en taille par des chaînes à raclettes et des couloirs oscillants, puis en galerie par bandes de 650 et en fendue de 900 mm.

Préparation mécanique des charbons

24Nous avons vu deux lavoirs (Sauceda et Rosita) qui datent de quelques années et comportent tous uniquement

• des bacs à piston Jeffrey,
• des tables humides Deister.

25Le lavoir de Palau, mis en route en février 1953, et celui de Barroteran ont des bacs à piston à action directe (plaques circulaires complétées par un diaphragme de caoutchouc actionnées mécaniquement). Le lavoir de Rosita utilise le système Baum à piston à air comprimé.

26Les schlamms ne sont pas traités ni utilisés.

27A Sauceda, le rendement théorique du lavage s’établit d’après la courbe de lavage à 65 %. Il est dans la pratique de 50,7 %.

28A Rosita, le rendement pratique serait du même ordre de grandeur. Les lavoirs sont à peu près semblables, mais les charbons d’origine variable. La différence entre le rendement théorique et les rendements pratiqués est due aux pertes par les schlamms. Aussi le problème du traitement des schlamms préoccupe-t-il les deux exploitants.

29Dans l’ensemble, il apparaît que le problème de la préparation mécanique mériterait une étude nouvelle approfondie ; les exploitants n’en semblent pas encore persuadés, en dehors de l’intérêt qu’ils commencent à montrer pour résoudre le problème des schlamms.

Rendements, Salaires, Prix de revient

30Chez les deux exploitants, les rendements sont à peu près égaux en taille dans les zones les meilleures : 5,5 à 6 t. (charbon brut à 30 % de cendres).

31A Sauceda, le rendement fond (toujours en brut à 30 %) est de 1 900 kg. par homme poste (à noter que l’on travaille dans cette mine à 3 postes).

32Le salaire moyen s’établit à 18 pesos1 sans charges sociales (celles-ci sont de 50 % en sus), soit 28 pesos avec charges sociales. Ce salaire moyen comprend le personnel du jour. Le piqueur gagne en moyenne 37 pesos, le conducteur de baveuse 75 et ses deux aides 66 pesos.

33Le prix de revient, toutes charges incluses, varie selon les mois de 100 à 112 pesos par tonne marchande. Dans ce prix, la part salaires (charges sociales et surveillance comprises) représente 66 pesos et les fournitures 36,50. La part soutènement, réalisé avec des bois exclusivement, est de 6 pesos.

Perspectives d’avenir

34Les deux usines sidérurgiques, l’une privée Monterrey, l’autre mixte Monclova, envisagent d’accroître fortement leur production dans les années qui viennent. Monclova notamment se propose de passer de 150 000 à 500 000 t. de fonte par an.

35Il en résulte que l’on doit dès maintenant préparer une forte augmentation de la production de charbon. Cette augmentation est déjà à l’étude à Palau et Barroteran.

Problèmes actuels

36La mécanisation des dépilages, avec la méthode actuelle des chambres et piliers, se heurte à l’obstacle du boisage imposé par un toit médiocre.

37Mon impression et la conclusion sont que l’adoption de la longue taille équipée avec un matériel convenable donnera des résultats bien supérieurs à ceux acquis actuellement.

38Il convient de remarquer que l’introduction de la méthode d’exploitation par longue taille se trouve grandement facilitée par le découpage déjà réalisé du gisement qui comporte des panneaux de bonnes relevées et par le déblocage excellent existant,

39C’est là un premier problème pour lequel nous pouvons apporter à nos amis mexicains une aide précieuse, puisque fondée sur une vaste expérience dans les exploitations similaires. Une augmentation importante de rendement apparaît pouvoir être ainsi obtenue.

40Le second problème qui préoccupe les dirigeants de cette mine est celui des schlamms. C’est également un problème pour lequel une collaboration franco-mexicaine sera utile et profitable.

Conclusion

41Pour un pays qui dispose en abondance de pétrole et de gaz naturel, l’étude des gisements de combustibles solides, charbon et lignite peut apparaître tout à fait secondaire. Mais le présent n’assure pas la sécurité des besoins pour l’avenir. On sait déjà que notre civilisation risque de connaître, avant un siècle, malgré les possibilités nouvelles offertes par l’énergie nucléaire, une véritable famine d’énergie... Les gisements de pétrole et de gaz s’épuisent, les ressources hydrauliques sont limitées, comme les réserves minérales ; d’où la nécessité vitale pour un pays de bien connaître ses ressources en combustibles et de procéder à des études préliminaires d’exploitation et de rentabilité dans le cadre des plans nationaux de développement économique.

42Jusqu’à maintenant, le Mexique s’est tourné surtout vers les États-Unis pour l’agencement de l’exploitation de ses gisements de charbon. Il apparaît certain — et c’est la conclusion essentielle à dégager de nos visites des charbonnages mexicains — que ce pays ami, si proche de nous par la culture, l’économie et les traditions humaines, si éloigné du gigantisme industriel américain, gagnerait à être mieux informé des méthodes et des problèmes miniers tels qu’ils sont résolus couramment en France ou en Union française, car ils sont souvent très similaires de ceux que le Mexique a à résoudre.

43Le cas des charbonnages mexicains visités, les problèmes de l’utilisation de certains gisements de charbon de médiocre qualité, montrent bien qu’il est tout à fait indiqué que des contacts plus fréquents s’établissent entre les deux industries houillères du Mexique et de la France. La France détient le record de l’augmentation de la production et de la productivité du charbon en Europe par rapport à l’avant-guerre (1938) ou à l’après-guerre (1946) avec des gisements de nature très diverse, qui sont parmi les plus difficiles à exploiter dans le monde. Aussi est-elle mieux qualifiée que tout autre pays pour une collaboration technique et économique dans le domaine du charbon avec le Mexique. Ce souhait d’une telle collaboration économique et technique entre nos deux pays amis accompagne ces impressions, recueillies au cours d’un séjour que l’auteur eut aimé moins bref ; il en garde le meilleur souvenir grâce à l’accueil excellent reçu partout et en remercie encore nos amis mexicains.