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L’économie du Mexique d'aujourd'hui

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Jacques Rueff

Préface

Jacques Rueff

Texte intégral

1Les leçons qui constituent le présent ouvrage dessinent la silhouette du Mexique moderne. Elles montrent en lui dans son originalitéle plus jeune et le plus vivace des très vieux pays.

2Très vieux, il l’est par un passé prestigieux dont les fastes remplissent, depuis l’aurore de la préhistoire, la longue période précolombienne, les trois siècles d’obédience espagnole et les cent cinquante années d’indépendance.

3Qui n’a pas vu les monuments grandioses laissés par les civilisations autochtones, les temples de Teotihuacan, les édifices livrés par les fouilles de Monte Alban ou de Mitla, les prodigieuses cités de Chichèn-Itza ou d’Uxmal, peut avoir une large information livresque, il n’a pas senti les subtiles exigences esthétiques, le goût de l’harmonie et de la logique qui marquent le haut degré d’évolution des cultures précolombiennes.

4Qui n’a pas évoqué, sur le plateau qui portait les splendeurs de Tenochtitlan, la lutte de Cortez et de Moctezuma, qui n’a pas suivi dans les cités coloniales les progrès de la conquête espagnole ne peut donner tout son sens à la prodigieuse épopée de la Nouvelle Espagne.

5Qui n’a pas, enfin, parcouru les routes de la libération nationale, visité ses principaux sanctuaires, ne peut mesurer la profondeur de l’empreinte dont elle a marqué la renaissance mexicaine.

6Qu’il n’ouvre pas ce livre, celui qui n’aura pas constamment à l’esprit les trois chapitres de cette glorieuse histoire ; il ne lui apporterait rien.

7Au contraire, à tous ceux qui connaîtront les sources d’où procède le destin mexicain, les conférences qui suivent fourniront les matériaux indispensables à la compréhension du Mexique moderne.

8Elles le conduiront à cette conclusion majeure que le Mexique, malgré les immenses progrès réalisés au cours des dernières décennies, est encore à l’aube de son essor économique. S’il peut être, de ce fait, considéré, sur le plan strictement technique, comme un pays sous-développé, c’est parce que son développement n’est limité, ni par ses ressources naturelles, ni par ses possibilités humaines, mais par des facteurs d’ordre historique, dont l’influence s’atténuera avec le temps, cependant que mûriront les récoltes que sa situation démographique, les richesses de son sol et de son sous-sol et les virtualités qu’implique sa situation géographique lui donnent la certitude d’engranger.

9Le Mexique est un très grand pays, le troisième, en superficie, de l’Amérique latine.

10Il n’est que de lire la belle conférence de M. Espinosa Olvera pour mesurer le prodigieux dynamisme de sa population. Son envolée date de 1920. Elle doublera dans les vint-cinq prochaines années pour atteindre, vraisemblablement, 60 millions d’habitants en 1980.

11Tous les indices économiques augmentent rapidement. Celui de la production industrielle, rapporté à la base 100 en 1949, est passé de 110,2 en 1950 à 127,9 en 1954.

12La croissance est donc certaine. Mais tout marque qu’elle est à ses débuts.

13C’est encore M. Espinosa Olvera qui constate que « au Mexique, seulement 32 % environ de la population totale participe à des activités économiques, tandis que dans d’autres pays plus développés on enregistre des pourcentages plus importants. Une moyenne prise, dans les vingt et un pays économiquement les plus développés, nous donne un chiffre voisin de 46 %, dans d’autres pays comme la France, ce pourcentage atteint 48 %. Au Mexique les activités primaires comprenant l’agriculture, l’élevage et la pêche absorbèrent en 1950 presque 58 % des forces de travail », alors que le même pourcentage était déjà, en 1934, de 19 % pour les États-Unis et de 25 % pour la France et qu’il est tombé pour les États-Unis à 17 % en 1940.

14Ainsi, le Mexique est encore aux premières phases de son développement économique, mais celui-ci progresse très rapidement.

15Comprendre et poser le problème mexicain, c’est expliquer ces deux caractéristiques : l’état actuel et la tendance.

***

16L’état actuel, s’il est l’aboutissement d’un passé immémorial, est le produit de quelques influences dominantes, toutes récentes, puisque issues de l’indépendance.

17On ne saurait oublier, en effet, que le Traité de Cordoba est du 24 août 1821, la reconnaissance de l’indépendance par l’Espagne, de 1836. Il n’y a donc qu’un peu plus d’un siècle que le Mexique existe en tant qu’État indépendant.

18C’est à forger l’unité nationale qu’ont dû s’employer, directement ou indirectement, souvent à travers de larges détours, les Gouvernements qui se sont succédé au Mexique depuis l’indépendance. La tâche qu’ils ont affrontée était immense. Le pays était sorti de l’ère coloniale avec une population divisée, dont les éléments les plus nombreux étaient peu préparés aux disciplines d’un État moderne.

19C’est par une méthode originale que le Mexique a voulu résoudre son problème ethnique. Sans sacrifier aucun élément de ses populations, il a cherché à fondre en une unité nouvelle, proprement mexicaine, les groupes divers qu’elles constituaient. L’étape parcourue dans cette voie est déjà importante, compte tenu du court intervalle de temps qui s’est écoulé depuis que la tâche a été entreprise. Qu’il me soit permis de saluer ici les efforts de l’Institut indigéniste et l’œuvre accomplie par le grand savant et le généreux sociologue qu’est Alfonso Caso, pour construire le présent sans rien sacrifier du passé.

20Qui a visité l’Université de México ne peut douter que le Mexique ait vu dans l’éducation et l’enseignement le principal instrument d’édification nationale. C’est une coïncidence, qui ne peut être tenue pour fortuite, qui a confié à un grand ministre de l’Instruction publique du Mexique, M. Torres Bodet, la charge de concevoir et d’appliquer, comme Directeur général de l’U. N. E. S. C. O., le programme d’éducation de base. Nul doute que grâce aux efforts consacrés aux divers degrés d’enseignement, le Mexique ne réussisse à brûler les étapes sur la route longue et difficile qui conduit à l’unification nationale.

21L’élaboration progressive des Institutions s’est faite aussi, au Mexique, à un rythme qui semble accéléré, si on le compare à celui qu’ont connu les vieux pays de l’Occident.

22Au stade actuel, l’évolution se poursuit. Elle paraît soumise à trois lignes de force, qui trouvent leur commune origine dans les aspirations que l’histoire et les modalités de la libération nationale ont laissées dans le cœur de la majorité des Mexicains.

23La première traduit l’immense appétit de propriété terrienne qui anime des populations, longtemps privées du sol qu’elles considéraient comme le leur. « Terre et liberté » fut, il y a moins d’un demi-siècle, le cri de guerre des Zapatistes. Cette faim de terre a fait de la réforme agraire le trait le plus marquant de l’action des Gouvernements issus de la Révolution mexicaine. Mais, en même temps, elle leur a imposé un immense programme de bonification agricole et d’irrigation, seul susceptible de fournir les suppléments de surfaces cultivables tant désirés.

24La seconde traduit une volonté d’industrialisation, qui s’est manifestée surtout par le développement des industries de transformation. Elle a entraîné des transferts importants de population des campagnes vers les villes, en même temps qu’une croissance rapide des syndicats ouvriers et leur influence politique et sociale.

25La troisième ligne de force répond au désir de protéger le Mexique contre une emprise indue des capitaux étrangers. Prolongement des réactions suscitées par le statut colonial, elle s’est traduite, occasionnellement, par la nationalisation du pétrole, et laisse, dans la politique financière du Mexique, des traces que l’on ne saurait négliger.

***

26Les trois influences qui contribuent à modeler la politique économique mexicaine convergent en une même conséquence, qui est de créer d’immenses besoins de capitaux.

27Expansion agricole et expansion industrielle, équipement public et équipement privé exigent des investissements massifs, générateurs, à concurrence de leur montant, d’une demande de disponibilités à long ou moyen terme.

28Cette demande a suscité au Mexique, depuis de nombreuses années, une véritable soif de capitaux, jamais assouvie par les trop maigres disponibilités qui s’offraient à l’apaiser.

29Dans la belle conférence qui termine cet ouvrage, le gouverneur Eduardo Villaseñor a montré comment les autorités mexicaines avaient tenté de résoudre le problème.

30Qu’il me soit permis ici de rendre hommage à la sagesse dont elles ont fait preuve en repoussant, toujours, la tentation du financement en circuit fermé. Un régime d’« inflation réprimée », à la manière du Dr Schacht, aurait été pour la prospérité du Mexique et pour la liberté des Mexicains un véritable désastre.

31Mais en refusant le mensonge d’une monnaie maintenue par voie d’autorité à l’abri des contrôles et des rationnements, les autorités mexicaines n’ont pu élever les épargnes disponibles au niveau des investissements indispensables. Refusant de limiter ceux-ci, elles ont dû dépasser le niveau de celles-là et, de ce fait, accepter annuellement une certaine dose d’inflation.

32M. Villaseñor pense que, du fait de l’augmentation de la richesse nationale, le moment approche où le pays pourra trouver dans sa propre économie les ressources nécessaires à ses investissements.

33Dans la courte période de sa renaissance nationale, le Mexique a résolu de nombreux et difficiles problèmes. La prochaine étape devra lui permettre de concilier la poursuite d’une expansion économique indispensable et le maintien d’une rigoureuse stabilité monétaire. Leur coexistence acheminera le Mexique, dans l’ordre, vers le grand avenir que l’histoire et la géographie lui promettent et qui sera, demain, la suite glorieuse de sa prestigieuse histoire.

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