1A l'échelle latino-américaine, le nouveau foyer industriel d'Esmeraldas apparaît bien modeste dans ses réalisations, même si au niveau équatorien il représente déjà la sixième ville par le nombre de ses habitants, après Quito, Guayaquil, Cuenca, Manta et Ambato. Mais entre les espoirs et la réalité dans ce pays qui cherche à effacer à grands pas un profond retard, les questions se posent déjà. En effet, l'arrivée du pétrole en 1972 et l'installation d'une raffinerie en 1977 et peut-être d'un complexe pétrochimique en 1980, réussiront-ils à réveiller cette immense zone forestière des confins septentrionaux de la côte à peine touchée par la colonisation et le développement côtier ?

2Les risques sont nombreux car la région d'Esmeraldas offre une certaine résistance liée à son isolement. Mais cette implantation dans la seule petite ville du Nord côtier est encouragée par Quito dans un esprit de meilleure organisation de l'espace pour déconcentrer les deux grandes métropoles nationales et commencer la mise en valeur de ses immenses territoires du Nord. Le pouvoir national réussira-t-il à déjouer les échecs répétés de liaison entre le petit port noir d'Esmeraldas et la capitale andine mais également à lutter contre l'influence de Guayaquil jusqu'ici monopolisatrice des activités portuaires et industrielles de l'ensemble de la côte et de la plus grande partie du pays ?

I. — LE FOYER INDUSTRIEL D'ESMERALDAS

3Actuellement, le foyer industriel repose sur l'installation d'une raffinerie de pétrole mise en marche en avril 1977, et située à 4 km de la ville d'Esmeraldas dans la petite vallée du Teaone séparée du Pacifique par quelques collines (croquis n^o 1). Cette localisation est liée à l'arrivée de l'oléoduc transandin en provenance de Lago Agrio en Amazonie septentrionale, après avoir franchi les deux cordillères à la hauteur de Quito et traversé le piémont occidental. Véritable exploit technique, long de plus de 500 km, il fut construit par une compagnie américaine en moins de deux ans pour démarrer les exportations de pétrole, qui s'élèvent à 55 millions de barils environ par an et qui placent l'Equateur au rang de deuxième pays exportateur de l'Amérique Latine (fiche n^o 1).

4Le choix d'Esmeraldas s'imposait géographiquement, techniquement et régionalement comme point d'aboutissement le plus proche sur le Pacifique. On y construisit donc un terminal pétrolier (Balao) constitué de quelques réservoirs de cru et d'une bouée flottante reliée par un pipe sous-marin au continent et assurant le ravitaillement en mer des pétroliers. Un terminal maritime pour la raffinerie est actuellement en projet. Enfin, un poliduc de capacité de 58 000 barils par jour et des réservoirs font en ce moment l'objet d'appel d'offre. Long de 259 km, il doit transporter à Quito des produits raffinés1. La raffinerie appartient à la Corporacion Estatal de Petroleo Ecuatoriano (CEPE) créée en 1971.

5A côté des activités pétrolières, l'industrie du bois constitue la transformation principale de la région liée aux immenses ressources forestières de 1'Esmeraldas. Depuis quelques années, le bois connaît un dynamisme nouveau. Des scieries se sont installées en amont de la ville, travaillant essentiellement à la transformation de grumes en planches à destination du marché intérieur (Quito et Guayaquil) et vers l'étranger.

Tableau n^o 1. L'industrie du bois en Esmeraldas

6L'indice de l'emploi dans le bois était de 100 en 1962 et atteint 202 en 1966 et 248 en 1970. On estime à environ 3 500 les travailleurs concernés par le bûcheronnage, le transport, les scieries. La demande en bois est largement assurée et de ce fait n'entraîne pas l'espoir de nouveaux emplois. Les petites scieries travaillent actuellement à 65 % de leur capacité et souffrent de l'irrégularité dans l'acheminement fluvial ou routier des troncs d'arbres.

7En 1973, s'est installée à l'entrée de la ville une usine de contreplaqué (CODESA) très moderne, fonctionnant électroniquement. Cette entreprise créée par des capitaux quiténiens de la même famille que la Plywood Ecuadorian Cie de Quito et fonctionnant depuis dix ans. Ces deux sociétés fabriquent 70 % de la consommation nationale. La dernière installation s'est faite à Esmeraldas pour profiter des avantages de la situation forestière et portuaire dans la perspective de pouvoir exporter un jour. Ses techniciens viennent de Quito, ses ouvriers de la ville2.

8Toutes les autres activités en sont encore au stade artisanal et concernent essentiellement l'alimentation liée aux besoins d'une ville de 70 000 habitants. La pêche, contrairement à Manta, ne fait pas l'objet de transformation sur place. Frigorifiques et conserveries restent absents, cependant on compte 2 500 pêcheurs, le quart des pêcheurs du pays, mais la pêche industrielle se pratique surtout par des bateaux venant de Guayaquil et de Manta, pour les langoustines en premier lieu.

II. — LES RAISONS D’IMPLANTATION DU FOYER INDUSTRIEL EN ESMERALDAS

9L'installation d'un foyer industriel en Esmeraldas, comme pôle de développement, correspond à un souci de stratégie économique nationale dont on peut espérer que les retombées du dynamisme profiteront à la ville et à la région.

10A l'échelle nationale, le choix s'explique assez bien dans la politique du gouvernement, c'est-à-dire Quito. En effet, malgré des progrès énormes de liaisons, le cloisonnement géographique maintient encore la division du pays en deux grandes zones d'influence et d'attraction : Quito et les bassins de la Sierra, avec une antenne sur la Côte à Santo Domingo, Guayaquil et son arrière-pays du Guayas entourés des régions du Manabi et de El Oro qui lui sont rattachées. Si l'on met à part tout l'Oriente pour des raisons d'éloignement et d'orbite serranaise, il reste donc tous les confins septentrionaux de la région occidentale demeurés historiquement et économiquement à l'écart. Ni Quito, malgré de nombreuses tentatives renouvelées régulièrement, ni Guayaquil n'ont pu agir sur cette région qui vécut en autarcie pratiquement secouée par moment par les fièvres de production, dont profitait éphémèrement et pleinement le Sud côtier, (fig. 1)

11Quito avait tenté de percer la barrière en gagnant San Lorenzo par un chemin de fer (1958) lié à l'exploitation du bois, puis s'est tourné vers les ports de Bahia et enfin de Manta, qui animaient un arrière-pays agricole dynamique mais concurrencés par la métropole du Guayas, étant trop proches de cette dernière et trop éloignés de Quito3. Le choix récent d'Esmeraldas apparaît raisonnable actuellement, les atouts sont en faveur de cette ville de population noire, "Perle du Pacifique équatorien".

12Depuis quelques années, 1'Esmeraldas est la grande zone d'attraction et d'immigration pour les petits colons du Manabi ou de Los Rios attirés par les terres vides. La perspective de nouvelles pistes et routes comme d'ailleurs du pétrole et du mythe des emplois qu'il crée, a attiré des immigrants de tout le pays, (fiche 2)

13La découverte du pétrole offre enfin à Quito les moyens d'avoir un port à soi, de casser le monopole guayaquilénien et de mettre en valeur en partie à son profit le Nord de la Côte. Cette opportunité fut saisie à temps grâce à une politique nationale pétrolière assez rigoureuse. En effet, les compagnies avaient envisagé un moment l'évacuation du brut par la Colombie avec le raccord au pipe line frontalier vers Tumaco. On pensa même au transport fluvial sur le Napo en direction du Brésil4. La construction de l'oléoduc vers Esmeraldas en dépit des difficultés techniques et financières apparaît donc comme une réussite nationale mais également de responsabilité régionale renforcée par la raffinerie envisagée également à un moment donné auprès des grands foyers de consommation de Quito ou de Guayaquil.

Fig 1. LE FOYER INDUSTRIEL D’ESMERALDAS EN EQUATEUR

14L'arrivée du pétrole se manifeste surtout par des possibilités financières nouvelles pour le pays qui vont lui permettre d'avoir des projets de développement et les moyens de les entreprendre. De plus, il apporte une certaine crédibilité nouvelle auprès des pays étrangers et des banques mondiales, qui vont investir plus facilement dans ce pays grâce aux garanties que procurent les ressources pétrolières. Le Plan Intégral de Transformation et de Développement fut élaboré pour la période de 1973-1977, en tenant compte des nouvelles possibilités.

15Depuis 1970, des préoccupations de développement régional semblent se manifester en Equateur pour la première fois avec le choix de quelques villes destinées à être des pôles régionaux. Esmeraldas, seule ville pour tous les confins septentrionaux, s'imposait par le nombre de ses habitants et par le fait qu'elle disposait comme capitale provinciale de quelques services administratifs. Mais malgré cette bonne volonté rien n'aurait changé sans le pétrole.

16La Loi de Développement Industriel (décret 1428) renforce l'idée de décentralisation (de 1 industrie concentrée pour 85 % à Quito et à Guayaquil, et accorde quelques avantages aux entreprises qui s'établissent en-dehors des deux provinces capitales. Si cette loi a encore peu d'effet, elle n'en montre pas moins les tendances nationales.

17La construction sur le littoral en région marginale ne se justifie que dans ce souci de créations d'activités initiatrices de développement. Certes, la diminution des frais de transport entre le cru, la raffinerie et la future usine de pétrochimie ne doit pas faire oublier que les grands centres de consommation du pays sont à 305 et 4 60 km respectivement. Toutefois, dans une perspective d'exportation, la position maritime au nord du pays raccourcit de deux jours le voyage entre Panama et Guayaquil5. La consommation actuelle est si basse en pétrole raffiné et en produits dérivés que le pays peut exporter encore pendant de nombreuses années.

18Sur place, l'industrie pétrolière bénéficie, outre de l'arrivée du cru, de certaines conditions avantageuses : des terrains bon marché, l'eau du Rio Esmeraldas pour le refroidissement, en quantité suffisante toute l'année. La présence d'une ville importante est donc indispensable pour trouver une certaine main-d'oeuvre saris avoir à la faire venir, mais également pour éviter des investissements coûteux en maisons, équipements urbains et services. La construction du pipe a obligé de remettre en état la route de Santo-Domingo-Esmeraldas, commencée vers 1948, mais fortement endommagée par les camions bananiers trop chargés pour une piste à peine terminée. D'autre part, le port de marchandises d'Esmeraldas est actuellement en construction.

III. — L’ISOLEMENT ET LE RETARD D’ESMERALDAS

1) La faiblesse de la mise en valeur

19Le dynamisme côtier n'a pas atteint 1'Esmeraldas au point de l'entraîner comme les autres régions côtières vers un développement agricole orienté vers l'exportation. L'éloignement des deux grands centres du pays et la faiblesse du peuplement ne sont pas les seuls facteurs responsables de cette situation.

20Le milieu forestier sempervirent avec de fortes précipitations réparties toute l’année, présente toutefois un littoral plus sec avec seulement 750 mm de pluies annuelles à la hauteur d'Esmeraldas. Les pentes des collines ne constituent pas des obstacles véritables, le Manabi le prouve bien. La vallée de 1'Esmeraldas offre comme le Guayas un axe de pénétration vers l'intérieur qui attira d'ailleurs sur ses terrasses les plantations de cacao, puis de bananes sur des surfaces non négligeables, tandis que la forêt fournissait ses bois, la tagua et le caoutchouc. Toutes productions qui, en dépit des crises qui les ont frappées successivement, ont permis au reste de la côte d'avoir une certaine croissance. Au recensement agricole de 1968, seulement 427 000 hectares sont mis en valeur, dont 96 800 hectares en culture.

2) La faiblesse du peuplement

21L'essentiel de la population est composée en majorité d'anciens esclaves réfugiés dans ces confins forestiers après avoir repoussé les Indiens cayapaz en amont des fleuves. Des manabites sont venus progressivement rejoindre le fond de population noire qui accueille également des anciens travailleurs noirs des mines d'or de la côte colombienne.

22Vivant à l'écart géographiquement et culturellement, la population esmeraldienne vit d'un peu de pêche et d'agriculture et n'apporte pas de gros excédents pour un commerce interne ou externe. Quelques-uns travaillent pour les compagnies forestières elles-mêmes peu nombreuses et peu actives jusqu'à ces dernières années.

23Avec 203 000 habitants, c'est la province la moins peuplée de la côte, et seulement trois provinces de la Sierra ont moins d'habitants (Canar, Carchi et Bolivar). Son taux de croissance augmente rapidement avec l'afflux de petits colons. La capitale regroupe 34 % de la population régionale avec près de 70 000 habitants en 1977, ce qui lui donne le 6ème rang pour le nombre d'habitants parmi les villes équatoriennes contre le 11ème en 1950. C'est montrer en fait le déséquilibre qui existe dans cette région vide avec une densité de 8 habitants au km2, mais où la concentration dans la capitale est très poussée. Esmeraldas, seule ville pour tout le Nord côtier, a multiplié par 4 sa population en 24 ans avec un taux de croissance moyen de 7,8 % par an.

24Le retard d'Esmeraldas s'explique en partie par la faiblesse de la ville qui n'a pratiquement pas eu de bourgeoisie rurale ou urbaine pour animer l'arrière-pays. Les seules spéculations sont le fait de gens venus d'autres provinces et de l'extérieur. La petite propriété d'autosubsistance dominante dans la région ne pouvait dégager des possibilités d'investissements. De plus, il n'était pas facile de faire face à l'avance de l'organisation commerciale de Guayaquil héritée de la période coloniale et renforcée par l'essor du cacao, source de la puissance de la métropole guayaquiléenne en Esmeraldas. Aussi, lors de la grande poussée bananière, c'est une compagnie étrangère et non pas l'élite locale qui mit en place les bananeraies esméraldéniennes. Enclave étrangère qui ne put pas non plus supporter la concurrence des autres compagnies, ni l'amélioration des installations portuaires de Guayaquil avec le nouveau port et encore moins financer la reconversion bananière qui frappa la région en pleine crise.

IV. — LES FREINS AU DÉMARRAGE D'ESMERALDAS COMME FOYER INDUSTRIEL

1) La faiblesse des activités portuaires

25Situé pour le trafic fluvial sur l'estuaire du fleuve Esmeraldas sur la rive gauche, le port d'Esmeraldas doit se tourner vers l'océan pour répondre aux besoins modernes et éviter les transbordements des gros bateaux ancrés à l'entrée de la ria. Quatrième port du pays derrière Guayaquil, Puerto Bolivar et Manta, il n'en est pas moins sous-équipé et très en retard dans son équipement projeté. Il n'a même pas pu servir pour le trafic de matériaux (tubes) pour l'oléoduc. Elément indispensable dans la politique régionale, il l'est également dans une perspective nationale puisqu'il doit servir à plus ou moins long terme de port d'importation pour la sierra Nord et Quito.

26Commencés en 1965, les travaux d'aménagement du port d'Esmeraldas ont pris un sérieux retard par suite du financement difficile à l'époque et du manque de coordination entre la construction des digues et jetées et le dragage indispensable, tant la sédimentation est forte.

3) L'absence de tradition industrielle

27A côté d'une population numériquement faible pour la mise en valeur agricole des forêts esméraldéniennes, la concentration de la population urbaine en ville n'a suscité aucun développement particulier de l'artisanat ou de l'industrie tant les initiatives ont manqué, mais aussi à cause du bas niveau de vie local. Même, le bois n'a provoqué que des scieries pour faire des planches. L'industrie du meuble, en dépit d'une certaine aptitude de la population pour les travaux d'ébénisterie n'a pu se développer sur place. Les exportations par le port n'ont fait l'objet d'aucune petite transformation. Aussi, cette absence de tradition industrielle responsable du sous-emploi urbain est également un obstacle majeur au développement industriel d'Esmeraldas. La sous-qualification aiguë gêne déjà les premières tentatives et l'on doit résoudre le problème en faisant venir des techniciens de la Sierra ou de l'étranger. Plus encore que le manque de qualification, c'est l'absence de régularité au travail, c'est la force de revendication particulièrement aiguë ici qui intervient même avant que le travail commence... les problèmes6 sociaux sont tels qu'ils découragent très vite les initiatives au profit d'autres régions moins favorisées mais plus tranquilles.

3) Le sous-équipement urbain

28Infrastructure et équipement urbain souffrent d'un grand retard pour répondre aux besoins les plus élémentaires d'une ville de 60 000 habitants et aussi pour satisfaire un foyer industriel et une population de cadres serranais ou étrangers. 30 % des maisons sont construites en dur. Les pluies transforment régulièrement en bourbier l'ensemble de la ville où seules les deux rues centrales sont cimentées. Les maisons traditionnelles sur pilotis, construites sur les pentes des collines, encerclent la ville, s'écroulent lors des glissements de terrain provoqués par les pluies trop fortes ou encore par les secousses sismiques qui ont détruit la ville en 1958 (5 % des maisons sont restées en bon état), et endommagé, dernièrement en 1976, les premiers immeubles de béton en construction (hôpital, école) mais affectant très peu la raffinerie. C'est surtout l'oléoduc qui a été coupé pendant un mois à la suite de glissements de terrain sur son parcours.

29L'énergie produite localement est très insuffisante. Il est prévu d'amplifier la centrale diésel actuelle de 5 à 9 000 kw, mais surtout INECEL doit construire une centrale de 50 000 kw avec une ligne de transmission vers Santo Domingo.

30D'autre part, la ville n’a pas d'espaces prévus pour développer et accueillir de nouveaux logements et des entreprises. L'environnement du port n'autorise même pas l'extension d'activités pour des dépôts, des silos, des chantiers de réparations navales, des pêcheries, tant la ville est enserrée par les collines. La seule solution est de les contourner. C'est la vallée du Teaone actuellement abri de la raffinerie, des logements pour les ouvriers et de CODESA qui devrait servir dans une première étape à condition de drainer et de contrôler les inondations. Toutefois, le complexe pétrochimique ne pourra pas s'installer ici par manque de place.

31L'isolement de la ville provient également du fait qu'elle est en cul de sac par rapport à toute la côte. La seule route qui la relie au reste du pays est encore en mauvais état sur bien des tronçons. Elle sert d'axe de développement pour toute la région en facilitant la colonisation linéaire. Les coûts de transport pour le ravitaillement urbain est majoré ici car les camions repartent à vide. Tout coûte plus cher à Esmeraldas. Or, les salaires lorsqu'ils existent sont faibles. Même ceux des cadres et techniciens du reste du pays ne sont pas majorés. Les logements corrects sont rares et très chers. Les fonctionnaires habitués à compter sur un deuxième emploi n'ont aucune possibilité ici.

V. — L’IMPACT NATIONAL

32Conçu dans un plan d'aménagement régional afin de rompre le déséquilibre Sierra-Côte et de remplir un vide regrettable dans le Nord côtier, le foyer industriel répond déjà en partie à ce souci. On a enfin réussi à créer quelque chose d'important et de vital pour le pays en-dehors des deux villes de Quito et Guayaquil. L'impulsion donnée par Quito qui en retirera également le maximum de profit, doit aboutir à créer une véritable force dans le Nord, capable de rompre la division en deux du pays. Mais la création d'un foyer industriel appelé à devenir un pôle de développement est également une gageure puisque le point de départ reste avant tout l'exploitation d'une ressource produite dans une autre région, pour des consommateurs également extérieurs et dans le cadre d'une politique andine ou mondiale régulièrement secouée par des ajustements d'échanges.

33Au niveau international, et surtout latino-américain, Esmeraldas apportera une certaine contribution. Dans le cadre du Pacte Andin (décision 91), il est prévu que l'Equateur produira 672 000 tonnes de produits pétrochimiques en 1985.

34Toutefois, le démarrage n'a pas provoqué de rush de la part des entreprises industrielles qui continuent de s'installer en grand nombre dans les deux métropoles nationales. Une fabrique de résine s'est créée à Guayaquil à partir des produits importés, et en 1979 doit fonctionner un complexe de fertilisants à partir du gaz du Golfe de Guayaquil, pour produire des engrais, de l'ammoniaque, de l'urée et du méthanol.

35Dans toute la province d'Esmeraldas, on a enregistré depuis 1970, seulement la création de CODESA, entreprise de taille au niveau national, mais rien d'autres. Les projets dont on parle depuis quelques années sont toujours à l'étude... et pendant ce temps, de petites et moyennes entreprises s'installent par dizaines à Quito et à Guayaquil.

36Le crédit offert durant les dernières années par les banques nationales continuent de favoriser le commerce et reflètent bien les faiblesses.

37En 1972, la Banque de Développement a attribué un million et demi de sucres pour 8 opérations en Esmeraldas contre deux milliards et demi de sucres pour tout le pays dans l'industrie.

VI. — L’IMPACT RÉGIONAL

38A Esmeraldas, on espère, sans y croire réellement, tant les résultats tardent à venir, en cette manne que procure le pétrole. La ville est couverte d'inscriptions hostiles qui montrent la méfiance locale vis-à-vis de cette intrusion dans les "affaires intérieures" par des étrangers. La population noire abandonnée culturellement par le pays vivait comme elle pouvait. Elle a dû supporter la venue de manabites attirés par les terres vides, la pêche et d'éventuelles activités, de libanais et de chinois, qui occupent le centre commercial, et maintenant elle doit accueillir des quiténiens dans son administration, des techniciens de Guayaquil, des coréens et des japonais et bien sûr, quelques américains et français (port). Pour tous ces étrangers, la population noire c'est le folklore... un reliquat, mais pour les noirs, ces étrangers représentent des ressources, des salaires et des soins auxquels eux, noirs,ont fort peu d'accès.

39La construction d'un foyer industriel à partir d'une industrie de pointe et hautement technifiée ne peut guère intéresser la population locale. Mais si celle-ci est hostile, on évite même d'y avoir recours. On fait appel à des "étrangers" à la région. Si l'on a besoin de main-d’œuvre pour le terrassement et le bûcheronnage, on appellera des travailleurs ruraux plutôt que des citadins.

40Dans l'avenir immédiat, l'impact local et régional est très faible. Il semble que la première étape industrielle ne puisse se faire qu'à partir de grosses unités très technifiées et encouragées par la position littoral travaillant pour l'exportation et à partir de produits pétroliers mais surtout demandant peu de main-d’œuvre. Ce n'est que dans une seconde étape que peuvent être envisagées des implantations locales travaillant au service des entreprises capables d'apporter des emplois et de favoriser la croissance des activités et revenus urbains.

41Ce ne sont que les débuts, aussi est-il difficile d'entrevoir le véritable impact de toute l'œuvre de planification régionale entreprise pour le Nord côtier. Un souci de contrôle des exploitations forestières avec une répartition en concessions doit, si les moyens de surveillance sont réels, empêcher le pillage des forêts et l'épuisement des ressources futures7. D'autre part, on veut contrôler l'installation des colons agricoles qui s'installent un peu partout le long des pistes, mais là encore, l'Institut National de Réforme Agraire et de Colonisation (IERAC), distribue, légalise sans encadrer ces mouvements.

42La construction de routes actuellement en cours doit désenclaver la région de l'axe Esmeraldas-Santo Domingo avec les deux pistes qui partent vers le Nord (la Tola) et vers le Sud (Bahía), à partir de la ville mais également avec la nouvelle route Quito-Los Bancos-Quininde, qui va raccourcir les relations entre la capitale et son futur port.

43Déjà depuis deux ans, fonctionne une ligne aérienne quotidienne entre la capitale et Esmeraldas. Il est prévu d'améliorer la piste qui se trouve sur la rive droite à Tachina. Enfin, pour relier l'aéroport à la ville sans avoir besoin de passer l'estuaire en pirogue ! un pont est en construction actuellement à quelques kilomètres au site le plus étroit. Premier pont suspendu qui servira bien sûr à désenclaver tout le littoral Nord relié uniquement par cabotage jusqu'ici.

44Les revenus du Consejo Provincial et du Municipio reflètent une prospérité soudaine avec les rentrées des taxes pétrolières.

45On discute encore de la répartition des tâches, du budget et on est loin de l'application et de l'amélioration de l'infrastructure. On a créé en collaboration avec JUNAPLA, l'Institut de Planification Régionale, una Oficina Integrada de Planificacion Esmeraldena (OIPE)8, qui doit jouer un rôle décisif avec une infrastructure technique et administrative. L'ampleur de son action dépasse la ville pour gagner les grands programmes de développement régional avec les projets agricoles, pastoraux, forestiers, et de la pêche. On prépare actuellement le Plan Intégral de Développement de tout le NORDOCCIDENT 1978 - 1982, qui englobe également le Nord de la Sierra et Quito.

Tableau n^o 7. Les projets pour la province d'Esmeraldas

• complexe pétrochimique.

• fabrique de ciment à Puerto Ostiones.

• raffinerie de sucre et plantation de canne dans la zone du Rio Verde, capacité : 100 000 tonnes.

• développement de la pêche. Frigorifique.

• Ganaderas Ecuatorianas (GANESA S.A.) prévoit la superficie pour 66 000 bovins. Frigorifiques pour le marché national et étranger.

• plantation de 50 000 cocoteraies. Huilerie.

• Huilerie pour les palmiers élaïs de Quininde (1 000 ha).

46Il en existe bien d'autres mais ceux-ci sont peut-être les plus raisonnables dans leur réalisation proche.

CONCLUSION

47La ville d'Esmeraldas essaye de tirer parti de ces nouvelles ressources pour améliorer ses équipements et services mais il est certain que la création d'emplois ne constitue pas le fait majeur actuellement et maintient l'hostilité de la population traditionnelle dérangée en quelque sorte dans sa misère qui ne change pas mais dont elle peut mesurer aujourd'hui l'importance comparative. Quel que soit l'avenir, l'impact national est déjà le plus fort. En effet, le détournement d'activités portuaires du Sud au profit du Nord constitue à plus ou moins long terme un des objectifs de Quito. Cette rivalité entre les deux métropoles profite donc à Esmeraldas qui n'aurait rien eu sans elle. Mais Guayaquil n'a pas encore répondu à cette décision du pouvoir quiténien. En effet, comment Quito et Esmeraldas réussiront-elles à passer par-dessus l'organisation commerciale des hommes d'affaires du Guayas riches d'une longue expérience ? Les achats de la Sierra seront-ils suffisants pour justifier au niveau des compagnies commerciales un dédoublement ? La faiblesse de l'arrière-pays côtier du Nord laisse envisager pour de longues années l'obligation de passer par Guayaquil et ses bateaux et ses usines de transformation. La métropole du Sud ne constitue-t-elle pas avec ses industries le premier acheteur des produits pétroliers de la raffinerie d'Esmeraldas ? Ses 800 000 habitants aujourd'hui sont autant de consommateurs capables de dynamiser les nouvelles créations industrielles qui continuent de se créer. En fait, la croissance générale du pays supporte cette rivalité et cette complémentarité entre les deux grandes villes, dont bénéficiera dans l'avenir le petit port d'Esmeraldas. Mais, actuellement, des problèmes urgents se posent avec beaucoup de gravité car la ville attire chaque jour de nouveaux migrants en quête de travail.

48NOTE :

49Au cours de la discussion, Claude Bataillon demande si Esmeraldas a disposé d'un petit groupe de pression pour obtenir le pipeline et la raffinerie, ou si Quito et l'Etat ont tout décidé. Que disent les cadres de Quito quand ils doivent travailler à Esmeraldas ?

• Effectivement, c'est Quito qui a choisi le site d'Esmeraldas. La force de pression locale sur ce choix était trop faible et même nulle, face au pouvoir quiténien ou guayaquilénien, qui se préoccupait surtout de conserver la transformation du pétrole sur place.

• Les cadres installés à Esmeraldas regrettent la capitale à cause du sous équipement de la ville (santé, école, commerce). Malgré la proximité des plages du Pacifique, la vie y est plus chère, les salaires ne sont pas majorés. Un fonctionnaire ne peut y trouver un second emploi (salaire), comme il en avait l'habitude à Quito. De plus, un serranais devient difficilement un costeño, sauf par nécessité.

Fiche n^o 2. LE RETARD D’ESMERALDAS