La compagnie minière de l’Ogooué (Comilog), son influence locale, régionale et nationale
p. 63-77
Texte intégral
1Le Gabon est habituellement présenté comme un Etat riche, un "Emirat équatorial". Le pétrole, le manganèse, l'uranium, l'okoumé, lui assurent de substantiels revenus, auxquels, demain, s'ajouteront ceux du fer de Belinga. Et cependant, en milieu rural, la population est encore restée, assez largement, à l'écart du développement et de la prospérité. La croissance n'a eu, jusqu'ici, que peu d'effets d'entrainement, sauf dans les villes et les activités tertiaires. Les deux mines du Haut-Ogooué, situées à 30 km l'une de l'autre, la COMILOG de Moanda, et la COMUF (Compagnie des mines d'Uranium de Franceville) de Mounana, sont un excellent exemple de pôle de développement minier et industriel isolé en milieu traditionnel rural attardé. Il vaut la peine d'analyser l'influence géographique locale, régionale et nationale de cette activité moderne.
I. — LE HAUT OGOOUE RURAL TRADITIONNEL
1. UNE REGION ISOLEE
2Le Haut Ogooué est l'une des neuf "régions" administratives du Gabon. C'est une région excentrique, périphérique, mal reliée à Libreville, située à l'extrême Sud-Est du pays. De 1925 à 1947, elle fut rattachée à la colonie du Moyen-Congo (devenue République populaire du Congo) et avait plus de relations avec Brazzaville qu'avec Libreville ou Port-Gentil. En dehors de médiocres pistes et de quelques routes en latérite, difficilement praticables en saison des pluies, Franceville n'était reliée aux régions côtières que par le fleuve Ogooué, au cours haché de rapides, voie longue et incommode. L'isolement, tel est bien le premier caractère du Haut-Ogooué. (fig. 1).
2. UNE REGION TRES PEU PEUPLEE
3La carte des densités de la population rurale au Gabon montre que la majeure partie du territoire du Haut-Ogooué se situe dans la tranche de 1 à 2 hab/km2. Seules quelques taches limitées circonscrivent des espaces ayant 2 à 3 hab/km2 (axe Franceville-Okondja), voire 3 à 6 hab/km2 (environs de Franceville). La population rurale est dispersée en petits villages égrenés le long des pistes et routes, séparés par de vastes solitudes.
4Cette population clairsemée est, en outre, divisée en un grand nombre de groupes ethniques. La région est située entre l'aire Kota, au Nord, Téké à l'Est et Nzabi, à l'Ouest. Certes, les peuples du Haut-Ogooué sont le plus souvent apparentés par la langue et la coutume, mais ils tiennent à leur identité ethnique, qui se manifeste par des usages sociaux et rituels particuliers. Citons, parmi les principales ethnies, les Obamba, les Ndumu, les Bahumbou, les Bandassa, les Mbédé et les Téké, de plus en plus nombreux.
5La situation démographique est ici particulièrement médiocre1. On a pu parler d'"agonie démographique" et de "neurasthénie raciale". La faiblesse des taux de natalité avait retenu l'attention des observateurs qui l'expliquaient par les endémies tropicales (paludisme, maladies intestinales, trypanosomiase, qui fit de terribles ravages de 1910 à 1930), les maladies vénériennes, véhiculées lé long de 1'Ogooué, la stérilité féminine qui en est l'une des conséquences, l'usage abusif d'alcool, et enfin les effets de la traite négrière, qui avait particulièrement atteint cette région. Le pays, plus récemment, avait été frappé par l'exode rural dirigé vers les chantiers forestiers et les villes (Libreville, Port-Gentil, Brazzaville). On assiste depuis quelques décennies à un lent redressement démographique régional.
3. UNE REGION RURALE ATTARDEE
6Le caractère attardé de la vie rurale est à la fois cause et conséquence de cette asthénie démographique : peu de bras, population essentiellement formée d'adultes vieux et de jeunes enfants confiés à la garde de la famille du village. Les paysans pratiquent ici l'agriculture traditionnelle sur brûlis à longue jachère. L'espace ne manque pas et il n'est point nécessaire de stabiliser les terroirs en ayant recours à d'autres techniques d'enrichissement du sol que la cendre des incendies de brousse. La culture essentielle est celle du manioc, accompagnée de celle d'autres "racines" vivrières : taro, macabo, ignames. La banane-plantain est également cultivée.
7Quelques plantations paysannes de café, révèlent, près des villages, la pénétration encore bien modeste, de l'économie de marché. Pas d'élevage, hormis celui de quelques volailles et cabris. La case rurale végétale rectangulaire, de type classique, couverte de "tuiles" de palmier-raphia, exceptionnellement en milieu rural, de tôle ondulée, replace la région de Franceville dans le vaste ensemble des sociétés rurales de l'Afrique Centrale. Comme ailleurs, les activités de chasse et de cueillette jouent encore un rôle essentiel, surtout ches les Téké, et plus encore chez les Pygmées, qui subsistent en "campements" épars.
8Cette vie rurale se développe dans un paysage aux larges horizons et aux vastes clairières de savanes. Bassin sédimentaire situé au Nord du massif ancien de Chaillu, la région de Franceville se présente comme une vieille surface d'aplanissement recoupant la série sédimentaire des grès et schistes précambriens du Francevillien. Un plateau, entaillé de larges vallées, se développe entre 450 et 550 mètres d'altitude. La savane est ici la formation végétale dominante, avec tout un lacis de forêts-galeries. Ces vastes étendues herbeuses cloisonnées par des bandes forestières ("mosaïque forêt-savane") assurent la transition entre les grandes forêts du Chaillu et les savanes du pays téké. Quant à Franceville, le chef-lieu de la région, il était jusqu'à une époque récente, un modeste poste administratif de brousse. Celui-ci avait été fondé en 1880 par Savorgnan de Brazza, sur la route Libreville-Brazzaville par la vallée de l'Ogooué. On sait que la piste des caravanes (Loango-vallée du Niari-Brazzaville), fut préférée à celle de 1'Ogooué pour relier la région de Brazzaville et du Pool au littoral atlantique. Franceville ne fut jamais un poste très animé. La découverte et l'exploitation des mines du Haut-Ogooué, la volonté politique du Président Bongo, originaire de cette région, ont entraîné le réveil et le développement accéléré de la ville et de sa région.
II. — LES EXPLOITATIONS MINIÈRES DU HAUT-OGOOUE
9Il y a longtemps que les géologues avaient repéré la présence de manganèse dans la région de Franceville, puisque Barrat le signala en 1895. Les recherches systématiques, par le Bureau Minier de la France d'Outre-Mer et l'U.S. Steel Corporation remontent à 1951. Quant aux recherches d'uranium, elles commencèrent en 1948, et c'est en décembre 1956 que furent découverts les indices du gisement de Mounana.
1. LES SOCIETES MINIERES
10LA COMPAGNIE DES MINES D'URANIUM DE FRANCEVILLE (COMUF) fut créée en 1958 pour exploiter le gisement d'uranium de Mounana qui offrait un intérêt économique certain. Actuellement, le capital, qui est de 1 333 000 000 francs CFA (26 660 000 francs), est réparti de la manière suivante : 25 % à l'Etat gabonais, 18,75 % à la Compagnie de Mokta, 18,75 % à la Société minière Péchiney-Mokta, 18,75 % au Commissariat français à l'énergie atomique, 15 % à la Compagnie française des mines d'Uranium, le reste se répartissant entre divers petits actionnaires, dont Ugine-Kuhlman. La COMUF aura investi, après l'achèvement, en 1980, du programme de développement en cours, la somme de dix milliards CFA (200 millions de francs). Les réserves d'un minerai à 4 ‰ de teneur (ce qui est très bon pour l'uranium) sont estimées à 5 millions de tonnes environ, soit 20 000 tonnes d'uranium métal. La capacité de l'usine d'enrichissement du minerai, qui est actuellement de 170 000 t. par an, doit être portée à 250 000 t., ce qui permettra de passer d'une production de 680 t. métal par an à 1 000 tonnes métal. Afin de réduire le coût du transport du minerai, actuellement enrichi à 35 - 45 % de métal, sous forme d'uranate de magnésie, la nouvelle usine le concentrera à 75-80 % (yellow cake).Le chiffre d'affaires actuel de la COMUF est de 3 milliards CFA par an (60 millions de francs).
11LA COMPAGNIE MINIERE DE L'OGOOUE (COMILOG) est beaucoup plus puissante que la COMUF. Elle fut constituée en septembre 1953 pour exploiter le manganèse de MOANDA. Les deux mines ne sont séparées que par 30 km, le long de la route de Lastourville-Franceville.
12Le capital, qui est de 7 855 millions CFA (157 millions de francs) est réparti entre l'Etat gabonais (10 %), l'U.S. Steel (44 %), le Bureau de Recherche Géologique et Minière (20 %), la Compagnie de Mokta (17 %) et le groupe de la Banque de Paris et des Pays-Bas (9 %). Les réserves de minerai de manganèse sont estimées à 100 millions de tonnes de minerai marchand, mais il existe d’autres gisements déjà découverts. L'extraction annuelle se fait actuellement au rythme de 2 300 000 tonnes. En 1976, le total des investissements faits par COMILOG atteignait 40 milliards CFA (200 millions de francs) d'ici à 1981, de manière à doubler l'extraction lorsque la mine sera atteinte par la voie ferrée du transgabonais. Le chiffre d'affaires actuel de COMILOG est de 25 milliards CFA (500 millions de francs).
13Au total, ces deux compagnies minières auront investi vers 1980, dans la région du Haut-Ogooué, environ 60 milliards CFA, soit 1 milliard 200 millions de francs, 240 millions de dollars. Leurs chiffres d'affaires annuels cumulés sont de 28 milliards CFA (560 millions de francs, soit 112 millions de dollars). Ce sont là des sommes considérables, dont l'effet d'entraînement sur la région ne saurait être négligeable.
2. L'EVACUATION DES MINERAIS
14Le gros problème qui s'est posé à COMILOG a été celui de l'évacuation de plus de 2 millions de tonnes de minerai de manganèse par an. Ce problème était moins ardu pour COMUF, étant donné que les tonnages ne portaient que sur 1 700 t. d'uranate, à évacuer en petits fûts de bois. La COMUF transporte ce minerai enrichi par camion, en utilisant la nouvelle route ouverte par COMILOG pour construire la voie ferrée raccordant MOANDA au Chemin de Fer du Congo-Océan (CFCO). Comme le manganèse, l'uranium part d'Afrique par Pointe-Noire.
15Avant d'étudier la manière dont COMILOG a réglé le problème du transport du manganèse jusqu'au port d'embarquement, il convient d'indiquer brièvement quels sont les procédés d'extraction et de traitement des minerais sur le carreau de la mine. En ce qui concerne l'uranium, le minerai a longtemps été exploité en carrière (Mounana, Oklo), puis par galeries souterraines. Quant au minerai de manganèse, il s'étend en surface, sur le plateau Bangambé, sous forme de plaquettes, sous une couche stérile de 4 à 5 mètres. Des draglines décapent la couche stérile, la rejettent en arrière du front de taille et extraient le minerai qui est chargé dans des camions de trente tonnes. La couche stérile peut être également décapée au scraper.
16A Mounana, le minerai d'uranium est enrichi dans une usine qui porte la concentration de 4 % à 40 %, soit un enrichissement de 100 fois. L'acide sulfurique nécessaire à l'obtention de l'uranate de magnésie est produit sur place à partir du soufre importé. De même, les fûts de contreplaqué sont fabriqués à Mounana. La COMUF a donc une véritable activité industrielle.
17Rien de tel à COMILOG, qui se borne à trier et à concasser le minerai extrait, qui est à 50 % de teneur. COMILOG, par suite de la situation du gisement, est essentiellement devenue une entreprise de transport.
18Trop d'obstacles séparaient Moanda du littoral gabonais (lequel n'offrait d'ailleurs pas de port minéralier équipé) pour qu'on pût envisager d'évacuer le manganèse par le Gabon. La proximité de la frontière du Congo, l'existence du CFCO et du port en eau profonde de Pointe-Noire ont fait opter pour la solution congolaise. Le minerai quitte la mine par un téléphérique de 76 km, le plus long du monde : 858 pylônes, 3 000 bennes circulant à la vitesse de 4,5 mètres par seconde. C'est une magnifique horlogerie dont s'enorgueillit à juste titre COMILOG. Arrivé à M'Binda, à la frontière congolaise, le minerai est déchargé dans des wagons qui circulent sur la nouvelle voie ferrée, de 286 km de long, ouverte par la compagnie minière, et qui rejoint le CFCO à Mont Belo, à l'Est de Dolisie (Loubomo) et du Massif du Mayombe. Le minerai circule ensuite sur le chemin de fer du Congo-Océan pendant 200 km avant d'atteindre les installations de chargement à bord des navires minéraliers, à Pointe-Noire. Au total, 562 km de transport, dont 362 pour le téléphérique et le rail COMILOG. Ajoutons que le téléphérique et la voie ferrée sont doublés par une route dont l'influence est grande sur les populations voisines. (Fig. 2).
3. LE PERSONNEL
19La COMUF emploie un millier de personnes. Le fichier du personnel d'origine africaine, dépouillé par M.R. Pourtier en 1971, donnait les origines suivantes : Haut-Ogooué, 586 employés ; Ogooué Lolo, 282 ; N'Gounié, 21 ; reste du Gabon, 21. Le recrutement est donc essentiellement régional : plus des deux-tiers du personnel africain a été recruté dans la région où est installée la mine, et 32 % dans la région voisine de 1'Ogooué-Lolo. (Fig. 3).
20La COMILOG emploie, au total, environ 2 000 employés africains au Gabon (à Moanda et pour le téléphérique) et 1 700 pour le transport et les manutentions au Congo, soit au total 3 700 salariés africains. Au Gabon, en 1976, les 2 000 travailleurs se répartissent en 1 163 salariés à Moanda (mine, usine, bureaux, etc...) et 800 pour le téléphérique. Au Congo, 450 salariés travaillent au téléphérique à M'Binda, et 1 171 au chemin de fer et à Pointe-Noire. Les salaires mensuels perçus au Gabon par la main-d’œuvre africaine sont de 201 millions de francs CFA. Au total, dans les deux Etats, la COMILOG verse un peu plus de 300 millions de francs CFA de salaire par mois (6 millions de francs). Le personnel africain comportait, en 1976, 33 cadres, 43 agents de maîtrise, le reste étant formé de manœuvres. Les "expatriés", essentiellement des Français, ne sont que 217 : 165 au Gabon et 52 au Congo.
21A ces emplois directs, s'ajoutent environ 2 000 emplois indirects dans le secteur tertiaire : commerce, administration, services, transports. Au total, dans la région de Franceville, la COMILOG et la COMUF ont créé 5 000 emplois directs ou indirects, et font vivre, par conséquent, environ 20 000 personnes, ce qui représente une fraction considérable de la population régionale. A elles deux, COMUF et COMILOG versent 300 millions CFA de salaires par mois dans la région, auxquels s'ajoutent 100 millions versés au Congo (rail, manutentions Pointe-Noire). Ces chiffres nous permettent d'entrevoir l'importance de l'influence locale et régionale de ces activités minières.
III. — LES INFLUENCES GÉOGRAPHIQUES DES ENTREPRISES MINIÈRES DE MOANDA-MOUNANA
22Pour la clarté de l'exposé, nous distinguerons les influences locales, régionales et nationales. En ce qui concerne la COMILOG, nous devrons même évoquer son influence géographique en République populaire du Congo, par l'intermédiaire du rail et de la route.
1. L'INFLUENCE LOCALE
a) La création de deux villes minières : Moanda et Mounana
23L'effet le plus spectaculaire de l'installation de ces deux puissantes sociétés et de leur activité minière a été la naissance de deux villes, Moanda, cité du manganèse (Fig. 4), Mounana, cité de l'uranium (Fig. 5).
24Les deux villes, destinées à loger le personnel de l'exploitation industrielle, sont bâties selon les mêmes principes : l'usine de traitement des minerais, ainsi que les bureaux, sont rapprochés de la mine ; la cité, un peu à l'écart, est formée de plusieurs quartiers, dont l'un est réservé aux cadres, pour la plupart des expatriés avec leur famille (surtout des Français), les autres au personnel africain et, à Moanda, une cité commerciale et un centre administratif. Autour de la ville planifiée en quartiers nettement séparés, sont nés des villages traditionnels spontanés où vivent parfois des salariés de l'entreprise, mais plus souvent des Africains vivant des activités agricoles ou tertiaires induites par la mine.
25Moanda, de beaucoup la plus importante, totalise, dans l'ensemble de son périmètre municipal, environ 10 000 habitants. Elle a été érigée en commune de plein exercice le 16 janvier 1969. La mine, l'usine et les bureaux administratifs sont situés sur le plateau Bangombé, vers 550 mètres d'altitude. A quelques kilomètres se trouve l'aéroport de Moanda, également localisé sur le plateau. La ville se distribue sur le versant du plateau et dans la plaine de la rivière M'Bérécé, à 420 mètres d'altitude. La cité des cadres, magnifique cité-jardin aux belles villas individuelles, s'étage sur les pentes du plateau, en un site bien aéré et frais. Les techniciens français et leur famille se retrouvent au cercle, à la piscine, au cinéma, à la bibliothèque ou sur les courts de tennis. Des chambres de passage sont annexées au cercle, ainsi qu'un bar-restaurant.
26La cité ouvrière abrite 260 cases destinées à loger les salariés africains. Elle est située dans la plaine, au pied de la cité des cadres. Non loin d'elle s'est installé le quartier commercial. C'est le long de la route Franceville-Lastourville, au Nord de 1'agglomération, que se trouve le centre administratif. Le service des douanes, la gendarmerie et la mairie renforcent la fonction administrative.
27Enfin, des "villages" africains, aux cases traditionnelles, sont nés spontanément à la périphérie de la ville planifiée : Alliance et Mont Moanda, le long de la route du téléphérique ; Samba, qui englobe l'ancien village de Moanda, et Miosso, au Sud de l'agglomération ; Lokolo, non loin de la cité africaine ; Leyima, où les Téké sont particulièrement nombreux, au Sud-Est de la ville, le long de la route de Franceville ; et enfin, à l'opposé, sur la route de Lastourville, au Nord de l'agglomération, le village de Bellevue.
28La cité de l'uranium, Mounana, a un plan plus simple puisqu'elle n'a ni fonction administrative, ni fonction commerciale. Elle dépend de Moanda, qui profite donc de son développement. Ici les quartiers résidentiels dominent les carrières d'où est extrait le minerai d'uranium, et qui sont dans la vallée. La cité des cadres, flanquée de la cité des boys s'allonge au Sud-Est de l'agglomération avec ses villas isolés dans la verdure et les fleurs. Une école pour les enfants des cadres expatriés, un économat et un cercle complètent ce quartier. Non loin de l'usine, des ateliers et des bureaux de la COMUF, voici la cité des spécialistes, logeant les ouvriers spécialisés et les agents de maîtrise africains. Une nouvelle cité des spécialistes, la cité Rénovation, est d'un meilleur standing. Un stade, un cercle des employés, une mission et un hôpital complètent ces quartiers. Plus au Nord se trouvent les cités ouvrières des manoeuvres africains, plus modestes, et le village traditionnel de Mounana, qui a donné son nom au petit centre de l'uranium.
b. Les fonctions urbaines
29Les Africains viennent à Mounana ou à Moanda pour travailler. Ils y trouvent des possibilités d'emploi, nombreuses, car les activités sont déjà variées, surtout dans la cité du manganèse, la plus importante.
30La première fonction est évidemment industrielle. Mounana et Moanda sont des villes minières. Elles abritent le personnel africain et français qui travaille à la mine, à l'usine, dans les bureaux et services annexes : garages, magasins, ateliers, eau, électricité, etc. Nous avons dit précédemment l'importance de cette main-d’œuvre salariée par les compagnies minières : un millier d'emplois à Mounana, 2 000 à Moanda.
31Une fonction industrielle dérivée anime aussi Moanda : entreprise générale de bâtiments et travaux publics, la SOTRAHO (Société des Travaux du Haut Ogooué) ; entreprise de peinture (SAPLE), fabrique d'agglomérés, ateliers de menuiserie, fabrique de meubles. L'artisanat local est déjà bien développé.
32La fonction commerciale est liée à l'existence de deux agglomérations totalisant 12 000 consommateurs. Elle est fort active dans le "centre commercial" de Moanda, à l'aspect nettement urbain, avec ses magasins, ses banques, ses bars et restaurants, son marché couvert, ses écoles et l'église de la mission. Le commerce est d'autant plus florissant qu'il s'appuie sur une masse salariale importante distribuée par les Compagnies minières et par l'Etat ou la municipalité. Le nombre des commerçants, l'animation du marché, l'activité des banques et des magasins de type divers, disent l'importance de la fonction commerciale. Les marchandises arrivent essentiellement par le port de Pointe-Noire, puis par camion de M'Binda à Moanda : engins, voitures, ciment, fer, carburant, soufre, mais aussi vêtement, chaussures, riz, pâtes, viande, conserves, vin, bière, etc. L'avion contribue au ravitaillement en viande et vivres frais. Moanda est le centre d'un trafic d'importations considérable, avec redistribution vers Mounana, les villages de la région, et même Franceville. De grosses sociétés commerciales installées au Gabon ont des succursales à Moanda : Gaboprix, Hatton et Cookson, CECA-GADIS, Bata, etc. Les petis commerçants sont plusieurs centaines, dont de nombreux commerçants musulmans tenant boutique près du marché. Deux banques sont installées à Moanda, la BIAO et la BICI.
33L'étude de la fonction commerciale, et du ravitaillement en vivres de l'agglomération, conduit à examiner le rôle de l'activité agricole intra et péri-urbaine. Les quartiers périphériques de l'agglomération ont conservé leur aspect rural, et les villages sont entourés de manioc, de maïs, de taro, de bananiers, de palmiers et d'arbres fruitiers variés. Moutons, chèvres et volailles animent ces villages. Ces producteurs couvrent en partie leurs besoins et vendent également les produits de leur culture et de leur élevage à la ville. Il est peu d'agriculteurs spécialisés dans la vente d'une ou deux denrées. C'est seulement dans le quartier de Layima, qu'une spécialisation agricole, due aux Téké peut être dicernée, avec les cultures de manioc et d'ignames sur buttes et billons montant à l'escalade des pentes. Dans les environs de Moanda se trouve une station avicole et une exploitation tenue par les "volontaires du progrès" (cultures et élevage laitier) qui vendent leur production à la ville.
34La fonction administrative, bien que moins importante que la fonction commerciale, n'est pas négligeable, Moanda étant à la fois commune de plein exercice, sous-préfecture, et un poste de dédouanement. Une chambre de commerce, une inspection du travail, un poste de gendarmerie, un bureau des douanes, s'ajoutent aux services préfectoraux et municipaux.
35Le rôle médical et culturel de Moanda prolonge la fonction administrative. Mais en ce domaine, Mounana reprend son autonomie, la COMUF ayant son hôpital, ses écoles, sa mission. L'hôpital de la COMUF, comme celui de la COMILOG, soigne gratuitement non seulement les ouvriers de l'entreprise, mais de nombreux malades venus de toute la région. Un hôpital administratif de 50 lits existe, en outre, à Moanda. Les écoles de la cité du manganèse sont fréquentées par 2 900 élèves, se distribuant entre les écoles primaires publiques ou privées, un CEG, un lycée technique et le Centre de Formation professionnelle de la COMILOG. Du point de vue religieux, Moanda dispose d'une église, d'un temple protestant et d'une mosquée. Entre Mounana, qui est une simple cité minière, et Franceville, qui est une ville en devenir, Moanda fait figure de pôle économique du Haut-Ogooué.
2. L’INFLUENCE REGIONALE
36Autour du pôle de Moanda-Mounana, s'organise la région économique du Haut-Ogooué, ou "région de Franceville". L'activité économique du Gabon, jusqu'ici concentrée autour de deux pôles de Libreville et de Port-Gentil, trouve une nouvelle assise.
a) L'équipement en voies de communication et en moyens de liaison
37Le déblocage de la région, nous l'avons vu, a été l'un des premiers effets de l'installation des sociétés minières, la possibilité d'évacuation des minerais commandant l'extraction.
38COMILOG a elle-même construit la voie ferrée unissant M'Binda, terminus du téléphérique, à Mont-Belo, sur le CFCO. Une route en latérite compactée, de viabilité très satisfaisante, va de Moanda à la route Nationale congolaise Brazzaville-Pointe-Noire. Tout ce qui est nécessaire à la vie de Moanda et de Mounana, emprunte ces deux axes de communication. Les marchandises arrivent par train de Pointe-Noire, puis sont transportées par camion à partir de M'Binda où sont installées deux entreprises de transport routier, la Société Matlowski et la Société Poussard-Faucon. Ces entreprises transportent 40 à 50 tonnes de fret par mois, et parfois 100 à 200 tonnes.
39Le réseau routier régional a été amélioré. Une excellente route goudronnée réunit Mounana et Moanda à Franceville. La route Franceville-Lastourville sera bientôt asphaltée. La route Libreville-Franceville par Kango, Ndjolé, Booué et Lastourville a été bien améliorée et les liaisons sont mieux assurées que par le passé.
40L'une des premières tâches des Sociétés minières a été de se doter d'un terrain d'aviation. Celui de Moanda est utilisé par les lignes régulières d'Air-Gabon. Franceville dispose également d'un bon aérodrome. Un terrain d'aviation gigantesque, de classe internationale, a été édifié à quelques dizaines de kilomètres au Sud-Ouest de Franceville, à Mvengué. Il reçoit des avions cargos dont certains, venant d'Afrique Orientale, transportent de la viande et des vivres. Les dimensions de ce terrain d'aviation donnent à penser qu'il joue également un rôle dans l'équipement aérien stratégique de l'Afrique.
41Toujours près de Franceville, à Moyabi, un centre émetteur ondes courtes, d'une puissance peu commune (500 KW) est en cours d'achèvement. Il a demandé 20 milliards CFA d'investissement (400 millions de francs). Le Haut-Ogooué est donc maintenant doté de tous les moyens de liaison modernes.
42Afin d'augmenter la production de minerai de manganèse, limitée à 2 300 000 t. par le débit du téléphérique, et pour permettre la mise en exploitation du gisement de minerai de fer de Belinga (Ogooué-Ivindo, au Nord de Makokou), le gouvernement gabonais a décidé de relier ces ceux centres miniers à la région de Libreville par une voie ferrée qui pourrait entrer en service en 1980 (Fig.1). Etant donné l'importance de cette entreprise, il conviendra d'en étudier l'influence à l'échelle non plus régionale, mais nationale.
b) L'équipement énergétique de la région de Franceville
43Les besoins en énergie des deux centres miniers et des villes qu'ils ont engendrées, ceux de Franceville, ont incité le gouvernement gabonais à doter la région d'une centrale hydro-électrique. Un site favorable, situé à 15 km à vol d'oiseau au Sud de Franceville, a été découvert sur 1Ogooué, à Poubara. Par suite de l'influence d'une faille, le cours de 1'Ogooué est coupé par une chute de 11 mètres, prolongée par des rapides à l'amont et à l'aval. Une prise d'eau, située en amont des chutes, un canal d'amenée prolongé par deux conduites forcées, conduisent les eaux à l'usine installée à une quarantaine de mètres en contrebas. Deux turbines sont déjà en activité et l'équipement complet de Poubara comportera quatre groupes de 4 600 KW chacun, soit une productibilité totale de 160 millions de KW/heures. L'investissement est de l'ordre de 7 milliards CFA (140 millions de francs). COMILOG et COMUF ont participé aux emprunts faits par le Gouvernement gabonais. Sous tension de 63 000 volts, une ligne dessert Moanda, le téléphérique, les installations industrielles, et Mounana. Une deuxième ligne dessert Mvengué et Franceville. La région dispose donc de son indépendance énergétique.
44Afin de couvrir les besoins d'une région en plein développement, un nouvel équipement hydroélectrique est déjà programmé. Connue sous le nom de "Grand Poubara", installée sur la rivière Mpassa, l'usine aura une puissance dix fois supérieure à celle de Poubara, avec six groupes de 42 000 KW et une productibilité de 1,7 milliards de KW/h. Cette énergie alimentera le centre émetteur de Moyabi et permettra la construction d'une usine de ferromanganèse actuellement à l'étude pour l'horizon 1980.
c) Franceville et sa "région économique"
45Franceville, préfecture de région, enregistre les effets de ce dynamisme économique. Mais il est difficile, dans la fièvre de développement de l'agglomération, de dire ce qui revient aux effets induits de l'activité minière et ce qui relève de la volonté politique du Président Bongo, originaire de cette région. En regardant les bulldozers et les graders en actions à Franceville, on pense à Yamoussoukro, village du Président Houphouët-Boigny, devenu ville par la seule volonté du Chef d'Etat de la Côte d'ivoire. Il faut bien observer, en effet, que Mounana et Moanda peuvent absolument se passer de Franceville, chaque société minière ayant conçu son installation comme un tout parfaitement autonome. Aucune insertion dans un maillage urbain ou un réseau de services régionaux. Ou plutôt ce maillage urbain et des "services" sont organisés linéairement le long de la route et de la voie ferrée (COMILOG) et n'ont pour objet que de couvrir les besoins de la mine. Moanda peut court-circuiter toutes les villes gabonaises, ayant créé ses propres villes et les services qui lux sont nécessaires. C'est le propre des grandes entreprises minières, industrielles ou agricoles installées dans les pays du Tiers-Monde que de constituer de puissants ensembles économiques isolés, déconnectés des villes voisines, dont ils n'ont que faire pour assurer leur fonctionnement. Il y a discontinuité économique entre une entreprise relevant du monde industrialisé, et l'environnement dépendant d'une société rurale traditionnelle d'âge pré-industriel. On peut parler, en utilisant le vocabulaire des géologues, d'un plan de discordance fondamental entre deux univers économiques et deux modes de vie. Nulle part plus qu'à Moanda, ce caractère d'enclave, de centre économique enkysté est évident. Franceville, situé à une cinquantaine de kilomètres de la cité du Manganèse, n'est en rien un pôle nécessaire à la vie de Moanda. Mais Franceville ne serait pas ce qu'il est en train de devenir sans le manganèse et sans l'uranium, ne serait-ce que par les retombées financières des exportations de minerai dans la trésorerie de l'Etat gabonais, ce qui lui permet de faire de grands travaux d'aménagement. Franceville, après Libreville, est le grand bénéficiaire d'une volonté politique de rénovation et de développement urbain menée sous l'impulsion directe du Président Bongo, qui y possède une résidence présidentielle.
46Pour le thème que nous traitons ici, il n'est peut-être pas nécessaire de s'attarder longuement sur la description de l'agglomération de Franceville (Fig. 6). Elle est constituée de deux éléments principaux : une ville haute sur un éperon dépassant 400 m. d'altitude et allongé d'Ouest en Est au-dessus de la plaine alluviale de la Mpassa, située 100 mètres en contrebas. L'ensemble du site, dont on imagine la vigueur des pentes, s'inscrit dans une grande boucle de la rivière. Sur le plateau était le poste administratif et la petite ville de style européen ; dans la ville basse, les quartiers africains et les villages "spontanés". Dans la plaine sont également installés la mission catholique St. Benoist, la Brasserie du Haut-Ogooué (SBHO), la Société d'Energie et d'eau du Gabon (SEEG), quelques hôtels (Poubara, le Plateau), l'ancien hôpital de région et le nouvel hôpital moderne qui vient d'être construit.
47Les bouleversements essentiels concernent la ville haute et l'aménagement des pentes qui la relient à la ville basse. En avril 1976, lorsque nous visitions la ville, elle n'était qu'un vaste chantier. La circulation automobile était extrêmement périlleuse sur les avenues et rues en construction, taillées dans les altérités rouges gorgées d'eau, et en forte pente. Le plan ci-joint permet de localiser les différents quartiers de la ville. Le grand commerce est installé le long de l'avenue Leon M'Ba, où se trouvent des magasins de vente de matériel importé (électro-ménager, autos et motos, radio), des banques, des sièges de services. Les autres centres commerciaux se localisent près de l'extrémité Est de la ville haute, non loin de la préfecture et de la mairie, et dans la plaine, au carrefour des quartiers Dakar et Poto-Poto. Toute l'administration s'étire le long de la dorsale de la ville haute : armée, lycée, Travaux Publics, Poste, Chambre de Commerce, tribunal, mairie, commissariat de police et gendarmerie, sous-préfecture, etc. L'Hôtel des hôtes de marque et l'hôtel Massoukou sont également situés dans la ville haute. Les zones loties révèlent la volonté de créer de nouveaux quartiers de style moderne, immeubles ou pavillons individuels, qui sont en construction sur les pentes entre le plateau et les anciens quartiers de la Mpassa. Un grand bâtiment retient l'attention, celui d'une unité médicale internationale chargée de l'étude de la fécondité féminine. L'expansion urbaine de Franceville a trouvé des conditions favorables au Sud-Ouest, sur des terrains presque plats. Là, ont été installés le stade, l'école de police et une usine de fabrication de piles électriques grâce au bioxyde de manganèse fabriqué par COMILOG. Depuis 1970, Franceville a diversifié et amplifié ses activités tertiaires (administration, commerce, banques, services sanitaires et culturels, évêchés, etc...) et s'est doté de quelques activités industrielles : brasserie, usine de piles, industrie du bâtiment et des travaux publics (SOCOBA, SOTRAHO), en pleine activité.
48Autour de Franceville, de manière encore ponctuelle, se sont mis en place, ou vont s'installer à bref délai, des centres d'activités économiques modernes. Pour le récent passé, les usines et les cités du manganèse et de l'uranium, l'usine de piles sèches, le ranch d'élevage de bovins d'Okouma, la centrale de Poubara, l'aéroport de Mvengué. En cours d'équipement ; l'émetteur de Moyabi, le chemin de fer transgabonais (la première pierre de la gare de Franceville a été posée fin 1974) et le complexe agro-industriel sucrier de la Société Sucrière du Haut-Ogooué (SOSUHO), dans la plaine de 1'Ogooué, près de Poubara : 6 000 ha. de canne devant assurer une production de 30 000 t. de sucre. Les investissements sont de 14 milliards CFA (140 millions de francs). Enfin, dans un proche avenir, l'usine hydro-électrique du Grand Poubara et l'usine de ferro-alliages qui pourrait devenir opérationnelle en 1981-1982, après l'achèvement de cette puissante centrale, et celui du transgabonais. La Société Gabonaise de ferro-alliages (SOGAFERRA) envisage d'investir 10 milliards CFA dans cette usine (200 millions de francs) laquelle produira 85 000 t. de ferro-manganèse et 50 000 t. de silico-manganèse par an. Les capitaux seront fournis par l'Etat Gabonais (10 %), la COMILOG et cinq entreprises de rang mondial. Il est également envisagé d'installer un complexe industriel chimique du manganèse : la "Société Gabonaise des dérivés du manganèse" (SOGADEMA) est en cours de constitution. Il n'est donc pas exagéré de parler d'une région économique de Franceville, région qui va prendre une plus grande épaisseur économique dans les cinq ans à venir.
3. L'INFLUENCE NATIONALE DE COMILOG
49Nous présentons ici, l'impact local, régional et national de COMILOG au Gabon. Mais nous ne saurions passer sous silence son influence géographique en République populaire du Congo par laquelle transite le minerai.
a) L'impact national de COMILOG au Gabon
Sur le budget de l'Etat
50L'uranium est exploité depuis 1961 et la manganèse depuis 1962. Ils avaient été précédés par l'extraction pétrolière, commencée en 1957. En 1960, à la veille de la mise en exploitation des mines du Haut-Ogooué, le bois représentait 72 % en valeur des exportations gabonaises, le pétrole 21 %, 7 % revenant aux divers. En 1973, les parts respectives dans la valeur des exportations étaient les suivantes : pétrole, 43 % ; bois, 32,4 % ; manganèse, 15,5 % ; uranium, 2,8 % ; divers, 6,3 %. Manganèse et uranium représentaient 18,3 % des exportations. Par suite de la hausse très importante depuis 1973, du prix du pétrole brut, la part du pétrole a atteint 71 % en 1975, le manganèse (11,6 %) et l'uranium (3 %) totalisant 14,6 %, tandis que les exportations de bois ne représentaient plus que 12,8 %, et les divers 1,6 %. En valeur, sur 211 milliards CFA de produits exportés, les produits miniers représentaient 181 milliards (85,6 %) dont 150 milliards CFA pour le pétrole, 24,5 milliards CFA pour le manganèse et 6,5 milliards CFA pour l'uranium. Bien que très importants, l'uranium et le manganèse (31 milliards CFA d'exportation) sont actuellement éclipsés par le pétrole dont les cours mondiaux ont vertigineusement augmenté.
51La balance commerciale gabonaise est fortement excédentaire. En 1975, les Exportations ont atteint une valeur de 211 milliards CFA alors que les importations n'atteignaient que 130 milliards CFA, soit un solde de 81 milliards CFA. La balance des paiements elle-même est positive, avec plus de 10 milliards CFA d'excédent.
52Le budget de l'Etat est passé de 24,5 milliards CFA en 1970 à 193 milliards CFA en 1976 ! Le Gabon, dont la trésorerie est très à l'aise, a pu dégager 68 % de cette somme pour l'équipement ce qui place le Gabon au premier rang des Etats de l'Afrique noire francophone pour le montant du budget d'équipement.
53Il est pratiquement impossible de calculer la part qui revient au manganèse et à l'uranium dans le budget de l'Etat par suite de l'importance des effets induits, générateurs à leur tour d'activités d'aval. Aux impositions directes qui frappent les compagnies minières et les minerais (impôts sur les Sociétés, droits à l'exportation, revenus du domaine, etc...) s'ajoutent les recettes tirées de toutes les activités dont l'origine, de près ou de loin, remonte à ces activités minières, et qui touchent à presque tous les secteurs de la vie économique. Elles sont à leur tour atteintes par les impôts directs et indirects, par les taxes sur les chiffres d'affaires, par les droits à l'importation, par l'impôt sur les salaires, etc... Si bien que l'on ne peut juger de l'importance des mines du Haut-Ogooué dans le budget de l'Etat par les seuls revenus perçus directement sur le minerai et les sociétés. Ils atteignent cependant des sommes considérables : 3,4 milliards CFA en 1974, 4 milliards CFA en 19762.
54Cette richesse de l'Etat Gabonais lui permet de mener une politique d'investissement destinée à assurer le développement économique et social du pays, dans le cadre d'une politique définie par le Président Bongo, lui-même comme "un libéralisme économique dirigé et planifié". L'étude même succinte de ces retombées économiques et sociales déborderait le cadre de cette communication3. Il faut cependant les avoir présentes à l'esprit pour juger de l'impact minier. Le pétrole, il est vrai, assure à lui seul les deux-tiers du budget de l'Etat, contre 12,4 % en 1970.
Le Chemin de fer transgabonais
55On ne saurait étudier l'impact national des mines du Haut-Ogooué au Gabon sans réserver une place particulière au Transgabonais, qui est destiné à avoir de grandes influences sur les structures économiques et sociales du Gabon. On sait que la réalisation de cette voie ferrée est l'objectif prioritaire du Président de la République gabonaise. Commencés en janvier 1975, les travaux de construction du chemin de fer se poursuivent selon les prévisions de l'Office du Chemin de fer transgabonais (OCTRA). Les dépenses prévues sont de l'ordre de 200 milliards CFA (4 milliards de francs), dont 80 milliards CFA à la charge de l'Etat Gabonais.
56Sur le plan économique, le chemin de fer, nous l'avons vu, va permettre de doubler la production de manganèse. Il permettra d'extraire le minerai de fer de la mine de Belinga (500 millions de tonnes de réserve, à 60 % de teneur), destiné à relayer le pétrole lorsque celui-ci arrivera à épuisement. On envisage, dans une première phase, vers 1982, une extraction de 10 millions de tonnes de minerai par an dont 6 seront consommées par l'usine sidérurgique gabonaise, à construire, (4 millions de tonnes d'acier), et 4 seront exportées par le port minéralier off shore de Santa Clara, également programmé.
57Le chemin de fer permettra également de mettre en valeur la troisième zone forestière, jusqu'ici inexploitée faute de moyen d'évacuation. Les trains achemineront vers Owendo okoumé et bois divers.
58Le Gouvernement attend du Transgabonais une meilleure intégration de l'économie nationale : facilités pour les produits agricoles et artisanaux des campagnes d'atteindre les villes, distribution des produits importés et des productions de l'industrie nationale à l'intérieur du pays. Ces courants d'échange, nouveaux et renforcés, seront de puissants facteurs d'intégration économique et de monétarisation des activités traditionnelles.
59Sur le plan politique enfin, les effets du transgabonais sont loin d'être négligeables puisque l'unification du pays sera accélérée : politique de regroupement spontané ou dirigé des villages le long de la voie ferrée, ce qui facilitera la création d'équipements collectifs ; écoles, dispensaires, marchés, etc.
b) L'impact de COMILOG au Congo
60Il s'agit ici d'une influence extérieure à l'Etat Gabonais, due au chemin de fer et à la route COMILOG branchée sur le CFCO. Cette étude constitue l'essentiel de la thèse de Mme Villien-Rossi4. Nous nous bornerons à en dégager les principaux thèmes.
61La présence d'une nouvelle voie ferrée au Congo a permis l'exploitation forestière dans le massif du Chaillu et sur les plateaux qui l'entourent. Elle a favorisé l'installation d'entrepreneurs congolais dans des concessions proches du rail, et de puissantes sociétés étrangères dans les zones plus éloignées. Toutes ont déchargé leurs grumes dans les petites stations COMILOG (Dihessé, Mabafi, Thomas, Vouka, Tsinguidi) et dans les gares importantes de la Compagnie : M'Binda, Mossendjo, Makabana. Cet essor a été malheureusement affecté par la crise de mévente des bois qui sévit depuis 1974, mais il a été générateur de grandes richesses, et d'équipements durables : routes, ponts, etc.
62La voie ferrée COMILOG a eu une seconde et très grande importance, à savoir l'apparition de centres urbains dans des régions restées presque entièrement rurales.
63Les villes les plus modestes sont de simples centres assurant le transport du manganèse. De ce type relève Bakumba, au Gabon, qui est le centre de direction du téléphérique installé à mi-parcours du cable. Autour de la "ville" industrielle, administrative et résidentielle de COMILOG, s'est greffé un gros "village" africain. Au total, Bakumba est un centre de 2 000 habitants, promu sous-préfecture. Au Congo, relèvent de cette même catégorie M'Binda et Mont Belo. M'Binda est né de la rupture de charge du téléphérique au chemin de fer. C'est une création COMILOG qui dépasse aujourd'hui 3 000 habitants : quartier du téléphérique, quartier Direction du Chemin de fer (DCF), quartier Matlowski, du nom de l'entreprise de transports routiers, quartier commercial, quartier des fonctionnaires, quartiers spontanés africains. Quant à Mont Belo, c'est un carrefour ferroviaire à la rencontre COMIRAIL-CFCO. Son développement a été gêné par la proximité de la ville et de la gare de Dolisie, et elle n'a qu'un millier d'habitants : quartier de la gare, cité Comilog, "villages" africains, se distribuant en nombreux quartiers où se sont installés les nouveaux arrivants.
64La seconde catégorie de villes concerne des agglomérations plus importantes parce qu'elles ont une véritable activité industrielle. Relève du cette catégorie, au Gabon, la ville de Moanda, précédemment présentée. Au Congo, Makabana est également une ville COMILOG, puisqu'il s'agit du centre des ateliers d'entretien de la voie ferrée. Une véritable ville est née en moins de dix ans à peu près à mi-parcours entre Moanda et Pointe-Noire. On y dénombre près de 7 000 habitants répartis entre les quartiers africains de Minguelé et les quartiers liés plus directement à l'action COMILOG : cité résidentielle des cadres, cité COMILOG pour le logement des travailleurs africains, centre industriel.
65La ville de Mosendjo, tirée de son assoupissement par les activités nouvelles nées du rail, a aujourd'hui plus de 7 000 habitants. Elle apparaît comme une petite capitale régionale, avec des fonctions essentiellement administratives, commerciales, scolaires et sanitaires. Les quartiers africains y sont plus ordonnés qu'ailleurs, et surtout le centre administratif porte la marque de l'ancien chef-lieu de région colonial.
66Moins immédiatement visible, mais également considérable, est l'influence du rail et de la route sur le monde rural. La migration de la plupart des villages vers l'axe de circulation COMILOG a donné au peuplement une distribution linéaire, avec, comme points forts, les gares et les centres urbains. Les routes parallèles à l'axe Comilog se sont au contraire vidées. Evidemment les routes forestières ont également fixé de nouveaux villages. Ces migrations ont eu pour corollaire des changements dans la démographie et la répartition des ethnies, finement analysées par Mme Villien-Rossi. Par contre, il ne semble pas qu'il y ait eu une profonde transformation des activités paysannes. Les techniques agricoles n'ont pas évolué, la répartition des tâches entre sexes est restée la même. Peut-être peut-on observer une commercialisation plus poussée (manioc, vin de palme, huile de palme) et l'apparition, bien modeste encore, des cultures maraîchères.
CONCLUSION
67La marginalité du monde rural marque les limites de l'impact COMILOG. La vie paysanne, à la fois au Gabon et au Congo, n'a guère profité de l'effet d'entraînement du pôle économique de Moanda. Les structures agraires et les systèmes de culture n'ont pas été transformés, les surplus commercialisés restent modestes en quantité et en valeur, les régimes alimentaires, un peu plus variés près des villes, sont restés fondamentalement traditionnels. Dans l'ensemble, le monde rural a été plus perdant que gagnant puisque les activités modernes ont accéléré l'exode rural et affaibli la force de travail des villages. Il y a désertification des campagnes, dans des régions déjà gravement atteintes par le sous-peuplement5.
68L'activité minière dans le Haut-Ogooué a donc pour effet de renforcer les contrastes, entre les villes, animées par les activités relevant de la société industrielle, et les milieux ruraux, restés fidèles aux civilisations agraires africaines traditionnelles. Les "Jets" qui se posent à Mvengué survolent des femmes batéké rentrant, la hotte au dos, de la plantation, voire des campements de chasseurs et de cueilleurs pygmées. Peut-on espérer que les effets de l'activité moderne atteindront un jour les campagnes et les vivifieront ? C'est le pari et l'espoir du gouvernement gabonais. Mais le danger est grand que les villes et les centres miniers et industriels n'abaissent les densités rurales au-dessous du seuil critique, souvent déjà atteint. En ce cas, le développement du Gabon serait pris au piège de son sous-peuplement rural.
Notes de bas de page
1 LOTTE (Médecin-Colonel A.J.).- Situation démographique du district de Franceville (Gabon). Bull. Inst. Et. Centrafricaines, 1 953, no 6, pp. 165-166.
2 Sur les 3,4 milliards CFA perçus par l'Etat en 1974 sur les activités minières, 2 milliards revenaient au manganèse : 327 millions de redevance minière, 718 millions de droits de douane, 601 millions d'impôts directs, 363 millions d'impôts sur les dividendes. On peut consulter utilement : L'économie gabonaise, No spécial du bulletin de l'Afrique Noire, EDIAFRIC, La documentation africaine, 1976. ; Gabon, Données Statistiques sur les activités économiques, culturelles et sociales, Ministère de la Coopération, service des Etudes économiques et des questions internationales, Paris, Sept. 1976, 241 pages.
3 BOUQUEREL, Jacqueline, Le Gabon, PUF, Paris, Que sais-je, 2e édition, 1976.
4 VILLIEN-ROSSI, Marie-Louise, La Compagnie minière de l'Ogooué. Son influence géographique au Gabon et au Congo. Thèse de Doctorat d'Etat, Université de Bordeaux III, 1976, 3 vol. ronéotypés, 675 pages, bibl., planches et cartes hors texte.
5 SAUTTER, Gilles. De l'Atlantique au fleuve Congo. Une géographie du sous-peuplement. Mouton, 1966.
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