Le « processus de changement » en Bolivie
| ,Première partie. Les principales caractéristiques et actions du gouvernement d’Evo Morales
Conclusion
Texte intégral
1Après deux décennies de crise politique et économique, l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales en 2005 marque un tournant dans la vie politique bolivienne en instaurant une « révolution démocratique et culturelle ». Celle-ci s’articule autour d’une prise en compte des organisations sociales dans l’établissement de politiques publiques, une politique économique étatique jouant la carte des nationalisations et une politique sociale ciblant les secteurs les plus défavorisés.
- 1 P. Stefanoni et H. Do Alto, Nous serons des millions : Evo Morales et la gauche au pouvoir, Paris, (...)
- 2 J. Viana et S. Orozco, « El cierre de un ciclo y la compleja relación “movimientos sociales”: gobie (...)
2Bien que le MAS se considère souvent comme le premier parti autonome de la paysannerie, il se dote au fil de ses victoires électorales d’une élite dirigeante au pouvoir de décision de plus en plus autonome vis-à-vis des organisations paysannes et autochtones qui forment sa base historique, se rapprochant de ce fait des structures des partis dits « traditionnels ». L’élection de l’intellectuel Álvaro García Linera à la vice-présidence du pays en 2005 symbolise à elle seule cette ouverture du MAS vers le monde urbain et les classes moyennes, à travers l’alliance entre « le poncho et la cravate1 », avec d’un côté un bras politique paysan-autochtone — Evo Morales est encore le responsable des six fédérations de cocaleros du tropique de Cochabamba — et de l’autre un bras opérationnel composé d’intellectuels et de techniciens le plus souvent éloignés de la paysannerie. Peu à peu, ces derniers occupent majoritairement les espaces institutionnalisés du pouvoir au sein des ministères, si bien que de nombreuses critiques surgissent quant à la concentration des décisions prises par les dirigeants du parti et la soumission des organisations sociales à la figure tutélaire traditionnelle et conservatrice du « sauveur » ou caudillo Evo Morales2.
- 3 P. Stefanoni et H. Do Alto, Nous serons des millions, op. cit.
- 4 M. Svampa, « Evo ou l’articulation du “communautaire” au “national-populaire” », in F. Polet (dir.) (...)
- 5 R. E. Mayorga, « La crisis del sistema de partidos políticos en Bolivia », op. cit.
3Bien que contestée depuis le référendum de 2016, l’hégémonie du MAS a longtemps reposé sur les politiques économiques et sociales menées depuis 2006. Depuis sa lutte pour la défense de la feuille de coca jusqu’aux nationalisations des ressources naturelles, le gouvernement d’Evo Morales est parvenu à articuler les courants de pensée indianistes, marxistes et nationalistes révolutionnaires, auxquels se rajoute un fort élément productiviste. La nouvelle gauche bolivienne, cet « archipel de mouvements sociaux et syndicaux », ressemble peu à la gauche créole, partidaire et marxisante du passé. Dans ce contexte, Evo Morales a tenté de reconstruire une identité collective qui fusionne l’affirmation nationale indigène et les luttes sociales, réconciliant « le socialisme et l’homme3 ». Le point de convergence de ces différents courants se retrouve dans la reconquête des ressources naturelles en se fondant sur le mythe commun « national-populaire » fortement ancré dans la population : affirmation de la nation, État redistributeur et articulation entre un leader charismatique et le peuple4. Si cette articulation a pu être qualifiée de « populiste » ou de « fondamentalisme ethnique »5, c’est justement l’ouverture politique aux classes moyennes et aux autres courants politiques qui caractérise le plus la victoire d’Evo Morales, et qui a permis au gouvernement de contrôler l’opposition de la « Demi-lune », incapable de s’unir dans un projet politique alternatif.
4Ainsi, ce sont les nationalisations des secteurs stratégiques et ressources naturelles qui forment le fer de lance de la politique « souverainiste » du gouvernement du MAS et de son projet de « capitalisme andino-amazonien » proposant l’articulation entre les économies communautaire et familiale, privée et étatique. Le financement des politiques sociales à travers le seul IDH montre cependant les limites de la politique rentière du gouvernement, dépendante d’accords avec ses pays voisins ou alliés (voir partie 2) et confrontée en interne à des luttes entre organisations sociales et idéologies politiques (voir partie 3).
Notes
1 P. Stefanoni et H. Do Alto, Nous serons des millions : Evo Morales et la gauche au pouvoir, Paris, Raisons d’Agir, 2008.
2 J. Viana et S. Orozco, « El cierre de un ciclo y la compleja relación “movimientos sociales”: gobierno en Bolivia », Observatorio Social de América Latina, no 22, 2007, p. 119-129.
3 P. Stefanoni et H. Do Alto, Nous serons des millions, op. cit.
4 M. Svampa, « Evo ou l’articulation du “communautaire” au “national-populaire” », in F. Polet (dir.), La Bolivie d’Evo : démocratique, indianiste et socialiste ?, Paris/Louvain-la-Neuve, Syllepse/Centre Tricontinental, 2010, p. 45-62.
5 R. E. Mayorga, « La crisis del sistema de partidos políticos en Bolivia », op. cit.
© Éditions de l’IHEAL, 2019