1Quelles que soient les forces qui, irréversiblement, attirent l’Atlantique traditionnel de Séville dans l’ordre de la décroissance, et avec lui, à plus ou moins brève échéance, l’ensemble d’une économie d’échanges qui est étroitement subordonnée, la rupture ne peut être immédiate, en raison de l’énorme volant de vitesse acquise, d’habitudes, de richesses et de grandeur qui restent à dissiper. C’est pourquoi, après la puissante crise de 1619-1623, comme jadis, après la crise destructrice de 1609-1613, la Carrera donne l’impression de récupérer, encore, une partie de son ancienne splendeur. Le cycle 1623 à 1631 nous installe sur un nouveau plateau, sensiblement en contrebas de 1614-1622, très sensiblement en retrait par rapport au cycle triomphant de 1605 à 1613, et pourtant à un niveau beaucoup plus élevé qu’après la grande déroute des années 30 et 40. Cycle dramatique s’il en est que cette période de guerre renaissante où l’Espagne fatiguée doit porter à bout de bras la défense de l’Atlantique portugais, où l’immense empire espagnol de la Contre Réforme est écartelé entre les impératifs contradictoires de la terre et de la mer, sollicité par les perspectives immédiatement brillantes du soutien aux aventures impériales de l’annexe autrichienne et par les redoutables exigences, moins brillantes, rebutantes mêmes, du soutien à un Portugal associé mais concurrent.

2Cycle de la reprise de la guerre, à une époque où l’Atlantique espagnol n’est plus à même de la supporter. L’accroissement de difficultés qu’elle amène va hâter le saut dans le néant des années 30. Le changement d’atmosphère que la guerre traîne à sa suite est perceptible du premier coup d’œil sur la représentation graphique la plus simple1. (Au lieu du plateau stable du mouvement qui avait caractérisé de 1615 à 1621 la meilleure part de la fluctuation cyclique précédente, nous rencontrons, désormais, une représentation graphique en dents de scie avec des écarts énormes d’une année sur l’autre. La guerre est passée par là.

3Une guerre qui n’apporte rien de vraiment nouveau, mais révèle des faiblesses, hâte des évolutions, précipite des catastrophes.

4L’ampleur des transformations dont la Carrera est le théâtre, en profondeur, n’apparaît pas, tout de suite, c’est au terme, seulement, du cycle que les grandes ruptures sont imminentes. Tout au long du cycle, en effet, lentement mais sûrement, le mouvement bascule de l’étage médiocre où il s’était péniblement maintenu vers les profondeurs des années à venir.

LIMITES DU CYCLE

5Dans quelle mesure peut-on parler de fluctuation cyclique, de type traditionnel, sur les neuf années qui vont de 1623 à 1631 ? C’est une question qu’on est en droit et en devoir de se poser, dans la mesure où l’extrême amplitude des dénivellements à l’intérieur du cadre chronologique classique de neuf années risque de dérouter et de faire douter de la réalité d’un cycle qui n’a pas la facile continuité des séries au cours du temps cyclique de 1614 à 1625.

6Pourtant, l’hésitation ne saurait subsister longtemps, en raison, tout d’abord, de la vigueur de l’encadrement.

1. 1622-1623

7Il est inutile de revenir sur l’ampleur indiscutable du creux initial. On a vu quelle était la position de 16222, par rapport au cycle précédent. Le raisonnement est d’autant plus fort qu’il porte sur deux ans. En effet, la dépression du mouvement, en perte de vitesse, depuis 1620, s’étale sur deux ans. En Allers, et c’est ce qui compte, 1622 et 1623 sont, pratiquement, à la même altitude : 81 navires, 18 339 toneladas (22 00 6,8 tonneaux) en 1622, 82 navires, 18 415 toneladas (22 098 tonneaux) en 1623,83,43 % et 85,04 %3, à certains égards, même en volume, 1623 est, conjoncturellement, en creux par rapport à 1622, puisqu’il y a conservation de la dépression. Mais si on fait intervenir les valeurs, c’est une exécution. 1623, avec 385,7 millions4, valeur présumée des exportations, d’après l'avería, est le niveau-valeur le plus bas depuis 1607. Même compte tenu de l’aspiration de l’ensemble des valeurs fiscales sur deux ans, (par le trafic de niveau présumé des valeurs5 fiscales des Allers de 1622, 1 milliard, 622 millions), le niveau moyen 1622-1623 fait creux6, indiscutablement par rapport à ce qui précède. 1622 est, en volume (tonnage), le point le plus bas, sinon de tout le cycle, du moins de toute la première moitié du cycle. Quant à 1623, dont la position en volume est comparable à celle de 1622, sa situation en valeur est, autant qu’on en puisse juger sur des séries lacunaires7, la plus défectueuse, à l’Aller, de toute la fluctuation.

8En Retours, en volume, le creux de 1622, nullement accidentel, est impressionnant. La moyenne 1622-1623 une fois de plus, intervient en faveur d’un tel choix : pour retrouver une anomalie négative comparable, il faudrait aller jusqu’en 1628 et 1631.

9Mais c’est l’ensemble volumétrique, Allers et retours, qui donne le ton. 1622 est bien, sans conteste, le point le plus bas entre les deux fluctuations cycliques et, à l’intérieur du cycle 1623-1631, jusqu’en 1630, inclusivement. Seule 1631 (79 navires, 19 450 toneladas, 22 367,5 tonneaux, 59,22 %)8 est sur-creusée par rapport à 1623(124 navires, 28 677 toneladas, 34 412,4 tonneaux). Mais, là encore, le creux de 1623 vient épauler celui de 1622 et l’ensemble 1622-1623 constitue bien le point le plus bas jusqu’au symétrique de 1631-1632.

2. 1631-1632

10Ce n’est pas une des moindres caractéristiques du premier cycle incontestable de la décroissance, que la symétrie parfaite des deux dépressions, 1631. 1632, 1622-1623. Beaucoup plus sûrement que 1622-1623, le creux, étiré sur deux ans, de 1631-1632 est sans égal, à l’intérieur du cycle. Soit, par rapport aux moyennes mobiles rapidement décroissantes : 70,72 % pour les Allers en 1632, après la position relative de 1631 (91,33 %), 14,78 % et 101,4 %, en Retours, de 1631 et 1632, 59,22 % et 83,43 % de 1631 et 1632 en Allers et Retours.

11La parfaite symétrie réside non seulement dans la profondeur du creux, par rapport à un axe incliné dans le sens de la décroissance, mais dans la durée du creux, dans un cas, comme dans l’autre, largement étiré sur deux ans.

12Les limites de la fluctuation ne sont pas douteuses et les bornes du cycle sont bien marquées.

UNITÉ ET DISPARITÉS A L’INTÉRIEUR DE LA FLUCTUATION

13A l’intérieur de frontières bien délimitées par les creux de 1622-1623 et de 1631-1632, le problème qui se pose est de savoir si Ton est en présence d’une ou plusieurs fluctuations.

14Une fois de plus, on verra superposés les deux aspects fondamentaux de la fluctuation, une fluctuation courte, de Tordre de trois ans, une fluctuation longue, de Tordre de neuf ans.

15A ce propos, on sera sensible à un aspect important d’une modification fondamentale. Le raccourcissement de la fluctuation majeure, le cycle décennal. Alors qu’il dépassait les dix ans, au cours du xvi^e siècle, il évolue, dès le début du xvii^e siècle, vers une durée de neuf ans : 1605-1613, 1614-1622, 1623-1631, 1632-1641, 1642-1650, soit un raccourcissement très sensible de la fluctuation cyclique majeure de onze ans à neuf ans, un peu moins de trois mois. Cette évolution évidente, désormais, dès le cycle 1623-1631, traduit une modernisation de la dynamique cyclique du plus vieil Atlantique. On sait, en effet, que la durée moyenne du cycle dans les économies de structures modernes est nettement inférieure aux dix ans que ce dernier dépassait clairement, dans le trafic de Séville au xvi^e siècle.

16Mais peut-on parler d’un cycle ? Certainement, un cycle qui coiffe, toutefois, deux, voire trois fluctuations primaires admirablement individualisées.

17Le graphique, à ce propos, surtout, sur un canevas semi-logarithmique9, plus respectueux des amplitudes que des niveaux, représente un élément d’analyse plus commode que les séries10

1. Allers

18Le graphique des Allers révèle trois fluctuations bien délimitées et nettement décroissantes : une première fluctuation part du creux initial des années 1622-1623 (81 unités 18 339 toneladas ; 82 unités, 18 415 toneladas) et va jusqu’au creux second de 1625. Le creux secondaire (77 unités et 18 757 toneladas) est sensiblement égal au creux initial ; toutefois, il n’est que secondaire, pour deux raisons : il ne porte que sur un an — l’énorme supériorité des creux encadrants procède du fait qu’ils sont établis sur deux ans 1622-1623 et 1631-1632 — le trend est décroissant et par rapport au terme de référence obligatoire que la moyenne constitue, l’écart est moindre en 1625 qu’il ne Test en 1622, voire même en 1623 (90,36 % en 1625, 83,43 et 85,04 % en 1622 et 1623)11.

19Au-delà, une seconde fluctuation se dessine. Elle part, en Allers, du creux secondaire de 1625 et va jusqu’au creux secondaire de 1629. Elle constitue la fluctuation la mieux dessinée du cycle, avec un plateau décroissant étalé sur trois ans, de 1626 à 1628. Cette seconde fluctuation se place parfaitement dans le prolongement de la précédente dans une perspective de décroissance. Le sommet de 1626 sur un découpage annuel est placé en contrebas du sommet précédent (1624 : 103 unités, 25 852 toneladas ; 1626 : 81 unités, 23 918 toneladas, seulement), le creux intermédiaire de 1629 est, plus sûrement encore, en contrebas du creux précédent (48 unités, 16 654 toneladas, contre 77 unités et 18 757 toneladas en 1625 et 81 unités et 18 339 toneladas en 1622). Le creux médian de 1629, même compte tenu de l’étalement sur deux ans de l’accident initial, arrive pratiquement à égalité avec le creux initial de 1622-1623.

20L’accident négatif de 1629, en Allers, ne se trouve ramené en position secondaire, par rapport au creux initial de 1622-1623, qu’à la condition de le situer, face au creux suivant de 1631-1632 (étalé également sur deux ans), dans la perspective générale d’un cycle de la décroissance. S’il y avait eu un instant d’hésitation, entre 1622-1623 et 1631-1632, la référence à la moyenne mobile contracyclique trancherait le débat au profit des creux extrêmes. Le tonnage Allers de 1629 représente 87,79 % du niveau correspondant du trend, coincé entre les 112,04 % et les 107,01 % de 1628 et de 1630, au lieu des 83,43 %, 85,04 % de 1622-1623, au lieu des 91,33 % et 70,72 % de 1631-1632.

21Au-delà de ces deux fluctuations étroitement accolées, une troisième fluctuation, très en contrebas et très vigoureusement détachée, 1629-1631/1632, avec un point d’expansion cyclique secondaire, en 1630 (65 unités et 20 290 toneladas), un point de contraction très en contrebas par rapport à tous les creux précédents, creux secondaires de 1629 et de 1625, creux cyclique de 1622-1623 (61 unités et 45 unités, 17 300 toneladas et 13 300 toneladas en 1631 et 1632, contre 48 unités, mais 16 654 toneladas en 1629, 77 unités et 18 757 toneladas en 1625, 81 et 82 unités, 18 339 et 18 415 toneladas en 1622 et 1623).

22Ainsi, entre les frontières très bien délimitées de 1622-1623 et de 1631-1632, trois fluctuations primaires d’inégale importance apparemment, les deux premières fluctuations assez mal dégagées l’une par rapport à l’autre, la troisième seule, 1629-1631/1632, largement autonome.

23Ce verdict est pleinement confirmé par les moyennes mobiles12. Elles permettent d’établir la hiérarchie des fluctuations.

24Les moyennes longues, contracycliques, effacent toutes traces de fluctuations courtes ; elles laissent subsister, par contre, un dessin très effacé de la fluctuation cyclique décennale dans le cadre que nous lui avons tracé, entre les termes de 1622-1623 et de 1631-1632. Ce qui démontre clairement que la réalité du cycle dépasse celle de la fluctuation courte, puisqu’elle résiste à un rabotage intense, qui a facilement raison de la fluctuation primaire.

25Une moyenne mobile de treize ans appliquée à la série Allers, tonnage, en unités pondérées13 élimine, pratiquement, toute trace de fluctuation, courte ou moyenne, à la seule exception du trend descendant de la phase B du trafic. Toutefois, le gros accident initial du cycle résiste, preuve de sa dure réalité : sur la moyenne médiane, 1619 est, avec 25 070,38 tonneaux, encadré par les points hauts de 1618 : 26 149,8 tonneaux et de 1620 à 1624 (26 469,2 tonneaux 26 692,03 tonneaux, 26 375,87 tonneaux, 25 982,8 et 25 499,32 tonneaux). Sur une moyenne arrière, il en irait de même, 1625 étant encadré entre 1624 et 1626-1630. Le creux final, toutefois, a disparu ; tout au plus est-il indiqué par un palier sur la descente : 22 763,18 tonneaux et 22 752,95 tonneaux en 1629 et 1630 (moyenne médiane) et 1634-1635 (moyenne arrière). La moyenne mobile de treize ans laisse donc subsister la présomption d’une fluctuation globale de dix ans, avec une assymétrie qui correspond bien à la réalité, période ascendante de deux à trois ans, période descendante de sept à huit ans. Il est particulièrement significatif de constater que sur une moyenne mobile aussi vigoureusement contracyclique que la moyenne de treize ans en unités pondérées, le dessin d’une seule fluctuation englobante subsiste aussi clairement.

26L’épreuve sera encore plus concluante, avec la moyenne plus courte de onze ans14. Une seule fluctuation cyclique, le cycle de dix ans subsiste... tandis que, progrès par rapport à la série précédente, l’encoche de 1630 apparaît mieux marquée. Le cycle, ici, est conservé et il est conservé, seul, à l’exclusion de toute autre fluctuation primaire, avec ses deux anomalies négatives encadrantes, sa période d’expansion très courte et sa période de dépression profonde et souveraine.

27Une moyenne mobile beaucoup plus courte, la moyenne de cinq ans15, souligne très bien les contours extérieurs du cycle et la hiérarchie interne des fluctuations primaires à l’intérieur du cadre cyclique. Au départ un plateau déprimé (1621-1623), avec un point bas, à la hauteur de 1623 (24 972,36 tonneaux, 25 558,8 et 24 877,92 tonneaux). Au-delà, une phase courte descendante, 1623-1626, une phase longue descendante, 1627-1633, avec un creux final nettement marqué (puisque 1634-1635 et 1636 ont des valeurs supérieures à 1633 malgré une tendance décroissante extrêmement vigoureuse). A la hauteur de la moyenne mobile de cinq ans, la trace de deux fluctuations subsiste, autour du creux de la moyenne à la hauteur de 1627 (24 736,56 tonneaux contre 26 944,08 tonneaux en 1626 et 35 104.56 tonneaux en 1628). Le recours à des moyennes plus courtes, 3 et 2 ans, ferait la part plus belle encore aux deux fluctuations primaires qui composent le cycle.

28La contre-épreuve de la moyenne mobile nous donne, toutefois, une certitude : le cycle décennal existe bien. Il a largement le pas sur la fluctuation primaire qu’il efface pratiquement. La fluctuation cyclique est, donc, à l’Aller, beaucoup plus réelle qu’un coup d’œil superficiel ne l’aurait laissé à penser16.

2. Retours

29Il en ira dans une certaine mesure de même pour les Retours. Ici, pourtant, des difficultés nouvelles interviennent, en raison de l’impact de la guerre. A partir de 1627-1628, les Retours qui avaient fait preuve, en gros, d’une remarquable stabilité depuis le début du xvii^e siècle, retrouvent l’allure caractéristique en dents de scie17 de la fin du xvi^e siècle, au plus fort de la guerre contre l’Anglais.

30Le graphique (t. VII, p. 54-55) individualise vigoureusement deux fluctuations, voire trois fluctuations. A la différence de ce qui se produisait pour les Allers, on sera plus sensible, ici, à la fluctuation primaire qu’à la fluctuation cyclique globale. Il n’est pas douteux qu’il y a pour le mouvement d’ensemble, une nette tendance à la décroissance.

31On note, tout d’abord, deux fluctuations étroitement accolées et mal séparées les unes des autres. 1622-1624-1625, 1625-1626-1628. 1625 est un simple ensellement et la pointe de la deuxième fluctuation (1626 : 58 navires, 19 609 toneladas) est très en contrebas de la première pointe d’expansion. Cette première fluctuation est donc constituée par deux éléments très inégaux : 1623-1625, niveau annuel moyen des Retours 19 884,3 toneladas, 1626-1628, niveau annuel moyen 12 190,6 toneladas.

32A ces deux premières fluctuations qui, en réalité, n’en font qu’une, s’oppose la fluctuation 1628-1631, avec sa fantastique amplitude. Il importe peu que le sommet de 1630, 78 navires, 28 698 toneladas, dépasse 1624 (93 unités, 24 758 24 758 toneladas), en raison de l’altitude du mouvement annuel qui l’encadre. Beaucoup plus éclairante, par contre, la décroissance des creux, 43 unités et 10 338 toneladas en 1622, 17 unités et 4 184 toneladas en 1628, 18 unités et 2 150 toneladas en 1631.

33Si l’on doutait de la légitimité qu’il y a à réunir l’ensemble de ces trois fluctuations primaires en un seul et même cycle, on pourrait utilement faire valoir la ligne de décroissance qui rejoint les deux grandes fluctuations primaires constitutives : 16 037,5 toneladas (moyenne annuelle de la fluctuation 1623-1628). et 15 192,6 toneladas (moyenne annuelle de la fluctuation 1629-1631).

34Les moyennes mobiles, là aussi, serviront à établir les hiérarchies véritables. Elles ne parviennent pas à fondre aussi facilement qu’elles le font pour les Allers les deux fluctuations primaires constitutives.

35Sur les moyennes de treize ans en unités pondérées18, on sent très nettement le creux initial (1622-1623) et le creux final, mais tardivement en 1635..., entre les deux un palier très sensible 1628-1630, avec une encoche, 1628.

36Même la moyenne la plus longue de toutes celles que nous avons à l’ordinaire retenues, n’arrive pas à abolir totalement la grande articulation centrale, la fusion est incomplète.

37La moyenne de onze ans19 en unités non pondérées conserve mieux le dessin général d’une fluctuation cyclique : entre le creux de 1623-1624 (16 334,2 toneladas et 16 040,2 toneladas contre 17 587,1 toneladas pour 1622 et 16 952,8 toneladas en 1625) et les grosses encoches de 1633 et 1635. Le creux médian s’estompe, par contre. La moyenne de onze ans — et c’est normal en raison du raccourcissement du cycle — rend mieux, par conséquent, que celle de treize, la hiérarchie véritable du mouvement, entendez le pas auquel a droit la fluctuation décennale sur la fluctuation primaire.

38La moyenne de cinq ans remet très exactement les choses en place20. Entre les encoches de 1620-1621, d’une part, 1633, d’autre part, elle ne permet pas de douter de l’existence d’un cycle décennal. Mais elle n’en individualise pas moins, autour de 1627 et de 1629, deux fluctuations bien dessinées.

39Toute la différence, que souligne bien le graphique21, entre le mouvement Allers et le mouvement Retours, réside dans la hiérarchie des éléments constitutifs de la période. En Allers, on perçoit d’abord le cycle et derrière, les fluctuations, au Retour, il faut plus d’attention pour voir le cycle derrière les fluctuations.

3. Allers et retours

40Les globaux font, naturellement, la synthèse. Ici, on est vraiment en présence d’une grande fluctuation cyclique décennale, moins éclatante, sans doute, que lors de la période précédente, de 1614 à 1622, et, à l’intérieur de laquelle les fluctuations primaires gardent toute leur individualité. Cette situation de compromis s’explique d’autant mieux qu’on est en présence d’une corrélation parfaite et quelque peu surprenante entre les Allers et les Retours. Pour une fois, pendant dix années consécutives, il y a une identité à peu près totale de marche entre les Allers et les Retours, le mouvement Retours se bornant à agir comme un amplificateur d’oscillations par rapport aux Allers. L’allure générale de l’oscillation sur les globaux Allers et retours s’explique très facilement, dans ces conditions. Tout en conservant mieux que ne le font les Allers l’originalité de la fluctuation primaire, les Allers et retours respectent plus nettement que les Retours le dessin de la fluctuation décennale.

41On retrouvera tout d’abord, un peu comme dans les Retours (ce sont eux qui, en raison de l’amplitude plus grande, de leur mouvement imposent leur dessin à la courbe générale), les deux fluctuations accolées qui forment comme une première ébauche d’un cycle télescopé sur six ans : une première fluctuation va du creux de 1622 (124 unités, 28 677 toneladas, 34 412,4 tonneaux, 74,19 % par rapport au trend) au sommet de 1624 (196 unités, 50 610 toneladas, 60 732 tonneaux, 131,86 % par rapport au trend), puis ensellement médian sur 1625 (130 unités, 35 617 toneladas, 42 740,4 tonneaux, 97,05 % par rapport au trend). A partir de 1625, une petite fluctuation en contrebas vient prolonger, en quelque sorte, la phase descendante de cette première fluctuation, 1625-1626-1628.

42Comme dans le cas des fluctuations précédentes, on aura été sensible à la ligne décroissante, tant des crêtes que des creux22 : la pointe de la première fluctuation (1624 : 196 unités, 50 610 toneladas, 60 732 tonneaux, 131,86 %) est supérieure à celle de la seconde fluctuation (139 unités, 43 527 toneladas, 52 232,4 tonneaux, 122,90 %). Le creux médian de 1628, c’est une indication précieuse (79 unités, 25 722 toneladas, 36 866,4 tonneaux, 76,75 %), s’il est moins profondément sculpté que le creux cyclique de 1631 (79 unités, 19 450 toneladas, 22 367,5 tonneaux, 59,22 %), est beaucoup plus profondément dessiné que le creux relatif de 1625 (130 unités, 35 617 toneladas, 42 730,4 tonneaux, 97,05 %) — et cela va de soi — mais beaucoup plus creusé que le creux cyclique de 1622, ce qui est beaucoup plus significatif (124 unités, 28 677 toneladas, 34 412,4 tonneaux, 74,19 %).

43On aura recours, là aussi, aux moyennes mobiles, pour fixer la nature des hiérarchies à l’intérieur de la fluctuation. La moyenne mobile contracyclique de treize ans, sur une série exprimée en unités pondérées23 fournit un rabotage presque parfait : elle accuse, toutefois, l’importance du creux initial par une encoche, à la hauteur de 1623 et le creux final, fondu avec l’accident intercyclique, à la charnière des deux fluctuations, par un palier, à la hauteur des années 1629-1630. A la hauteur du rabotage par les moyennes de treize ans, seul, subsiste le trend de la décroissance, entre deux paliers marquant les limites d’un cycle qui n’est donc pas un mythe.

44La moyenne mobile de onze ans, sur les séries non pondérées24, est déjà plus respectueuse de la fluctuation. Non seulement les limites d’une fluctuation décennale y sont mieux marquées à la hauteur de 1620 et de 1633, mais l’emplacement de la grande jointure intercyclique est, en outre, mentionné, à la hauteur de l’année 1627. Voilà qui démontre l’importance relative du cycle et des deux fluctuations maîtresses.

45Ceci est tellement vrai que la moyenne de cinq ans sur unités pondérées25 ne procède pas autrement. Creux cycliques bien marqués, au départ et à l’arrivée : 1621 et 1623 d’une part, 1633, d’autre part (31 642,96 tonneaux, contre 35 772,06 et 35 865,76 tonneaux, pour 1632 et 1634). Mais, en outre, immédiatement après le dessin global du cycle qui prime, on retrouvera l’importance de la dépression médiane à la hauteur de 1627.

46De ces différentes analyses, quelques conclusions se dégagent définitivement, la période est dominée par l’existence semi-autonome de deux fluctuations de six et de trois ans. La première fluctuation procède elle-même de la fusion quasi complète de deux fluctuations primaires de trois ans, chacune. Ces fluctuations sont réunies entre elles par une ligne tendancielle fortement décroissante. La large autonomie des fluctuations constitutives ne doit pas faire oublier l’existence d’un cycle de neuf ans, moyennement réussi, perturbé quelque peu, vers la fin, par l’accélération de la décroissance.

L’ORDRE DE LA DÉCROISSANCE

47L’accélération de la chute, à l’intérieur du cycle, contribue, vraisemblablement, à désagréger la fluctuation, vers la fin, en Retours et Allers et retours. Les Allers, par contre, et c’est l’essentiel, conservent une forte homogénéité.

48Il ne faut pas perdre de vue, toutefois, que c’est au sein même de la fluctuation que se produisent les ruptures décisives. Jamais, en effet, depuis la fin de la première demi-phase longue d’expansion du demi-seizième siècle, on n’avait noté une telle dissymétrie26, à l’intérieur d’un même cycle. La comparaison entre les niveaux moyens du cycle et ceux du cycle précédent de 1614 à 1622 risque de masquer cette réalité.

1. Allers

49Le niveau annuel moyen des Allers, en toneladas, par exemple, passe de 22 201,7 toneladas (moyenne annuelle au cours du cycle 1614-1622) à 20 547,3 toneladas (moyenne annuelle, 1623-1631) et 15 339,2 toneladas (moyenne de 1632 à 1641). Apparemment, la rupture maximale se produit entre 1623-1631 et 1632-1641 ; en réalité, les brisures les plus graves se situent à l’extrême fin même du cycle 1623-1631.

50En effet, entre la dernière fluctuation 1619-1622 du cycle 1614-1622 et la première fluctuation du cycle suivant (1623-1625, à l’intérieur de 1623-1631), on note, à condition de ne retenir que le tonnage, un nivellement parfait : 21 409,1 toneladas, d’une part, 21 008 toneladas, d’autre part ; mieux, entre 1619-1622 et 1623-1628 (l’espace des deux premières fluctuations accolées), il y a croissance, à condition de ne pas tenir compte du mouvement unitaire contrebattu par l’évolution rapide du tonnage unitaire moyen (moyenne 21 409,1 toneladas, d’une part de 1619 à 1622, 21 780,3 toneladas, d’autre part, de 1623 à 1628). Il y a, plus nettement encore, progrès à contre courant si l’on compare le niveau moyen de 1619-1622, d’une part, soit 21 409,1 toneladas au niveau de la seconde fluctuation primaire du cycle 1626-1628, d’autre part, soit 22 552,6 toneladas.

51Si l’on veut apprécier ce qui a pu donner la modification du tonnage unitaire au cours de cette période, il suffit de comparer, par exemple, le niveau annuel moyen de 1626-1628, la deuxième fluctuation accolée du cycle, avec ses 22 552,6 toneladas déjà mentionnées, aux 22 201,733 toneladas, moyenne annuelle du cycle précédent de 1614 à 1622 ; presque plus probant encore, à la première fluctuation du cycle, moyenne annuelle de 22 835,8 toneladas. 22 552,6 toneladas, entre 1626 et 1628, 23 193 toneladas, niveau annuel moyen de 1605 à 1613, 18 081 toneladas, par contre, de 1635 à 1638, 11 759,6 toneladas de 1639 à 1641).

52On voit, par conséquent, où se trouve la décroissance, où se situe le véritable plan de clivage du mouvement. Cette brutale rupture de pente explique l’extrême dissymétrie du cycle et la difficulté qu’on en éprouve, sous un certain angle, à reconnaître la fluctuation décennale, tant cette cassure s’accompagne de convulsions quelque peu désordonnées, comme les séracs d’un glacier trop rapidement entraîné.

53Sur le mouvement unitaire, la rupture et l’accélération du rythme de la décroissance sont beaucoup plus rapides encore27, mais à la différence de ce qui se produit pour le tonnage, la descente du mouvement unitaire se fait sans heurts, d’un trait continu. Cette situation est due à la modification de la taille des navires. La grosse mutation du tonnage unitaire se produit, dans la première moitié du cycle, entre 1622 et 1628. Au cours de la première fluctuation double, elle arrive à masquer complètement la chute pourtant considérable du mouvement unitaire. Au cours de la dernière fluctuation primaire du cycle, par contre, le tonnage unitaire est pratiquement stabilisé sur un palier légèrement croissant : la chute du mouvement unitaire entraîne donc avec elle la chute du tonnage global.

54Le mouvement unitaire annuel moyen passe de 102,5 % au cours de la fluctuation 1619-1622 à 81,8 % de 1623 à 1628 pendant la période des deux fluctuations jumelées, mais en réalité la pente est continue à partir du cycle 1623-1631, puisque le mouvement s’articule ainsi : 103 navires de 1614 à 1618, 102,5 navires de 1619 à 1622, donc stabilité parfaite, puis 87,3 navires de 1623 à 1625 (si on analyse la fluctuation jumelée) et 76,3 navires de 1626 à 1628 et 58 navires de 1629 à 1631. Dans le même temps, il est vrai, il y a eu, d’abord, montée brutale du tonnage unitaire : 208,86 toneladas de 1619 à 1622, à 266,1 toneladas de 1623 à 1628 (240,5 toneladas de 1623 à 1625, 297,2 toneladas de 1626 à 1628), plateau légèrement croissant puis descendant, enfin (297,2 toneladas de 1626 à 1628, 311,7 toneladas de 1629 à 1631, 279,1 toneladas de 1632 à 1634, 245,9 toneladas de 1635 à 1638).

55Le résultat de ces actions combinées s’établit, donc, ainsi. Mutation rapide du mouvement unitaire tout au long du cycle 1623-1631 qui contraste avec la stabilité du mouvement à l’intérieur des cycles encadrants (moyenne de 102,72 navires de 1614 à 1622, de 57,2 navires de 1632 à 1641), entre les deux, descente du nombre des navires au départ par les échelons suivants : 87,3, 76,3 et 58 navires pour les moyennes annuelles respectives de 1623-1625, 1626-1628, 1629-1631. Mutation brutale du mouvement en tonnage à la fin du cycle 1623-1631, entre la première fluctuation jumelée de 1623-1628 et la deuxième fluctuation 1629-1631.

2. Retours

56Le schéma de la décroissance n’est pas sensiblement différent pour les Retours. La seule différence notable réside, assez paradoxalement, dans une anticipation, en quelque sorte, des Retours par rapport aux Allers. C’est à partir de 1625, dans la secondé partie du cycle, un peu plus tôt que pour les Allers, que se produit la rupture28.

57Une fois de plus, de 1619 à 1625 (pour les Allers, le palier était plus large, encore), le mouvement Retours en tonnage, du moins, est parfaitement étale, voire même, en très sensible reprise. En effet, la moyenne annuelle des Retours était de 17 053,4 toneladas, au cours du cycle 1614-1622 (17 778,7 toneladas de 1614 à 1618, 16 421,875 toneladas de 1619 à 1622), elle s’élève à 19 884,3 toneladas de 1623 à 1625, elle reste encore de 16 037,5 toneladas pour l’ensemble des deux fluctuations accolées, 1623-1628. De 1619 à 1628, le palier est parfaitement étale (16 421,875 toneladas et 16 037,5 toneladas) de 1619 à 1625, la tendance est croissante, de 16 421,875 toneladas à 19 884,3 toneladas. La rupture de pente n’en est que plus sensible encore, entre 1623-1625 et 1626-1628, voire 1626-1631, de 19 884,3 toneladas à 12 190,6 (1626-1628), 15 192,6 (1629-1631), 13 691,66 toneladas (1626-1631). De 13 691,66 toneladas, de 1626 à 1631, moyenne annuelle des Retours au cours des deux dernières fluctuations primaires du cycle, à 12 304,2 toneladas de 1632 à 1638, au cours des deux premières fluctuations primaires du cycle suivant, la pente continue, lentement descendante.

58Un peu moins clairement que pour les Allers (en raison de l’extraordinaire flambée de 1630, en partie dictée par des raisons d’ordre politique et militaire), le cycle des Retours accuse la même dissymétrie que précédemment. C’est à l’intérieur du cycle entre la phase ascendante normale et la phase descendante normale de la fluctuation, que se produit, un peu en avance sur les Allers, la grande rupture de pente de la décroissance.

59La distorsion est moindre entre le mouvement en tonnage et le mouvement unitaire pour les Retours qu’elle ne l’est pour les Allers. La mutation du tonnage unitaire y est moindre en raison de la tension extrême qui opposait, au cours du cycle précédent, le tonnage unitaire des Allers et des Retours. Le tonnage unitaire s’accroît lentement et l’écart excessif avec les Allers diminue normalement, au fur et à mesure que le stock excédentaire des navires à user, diminue 208,86 toneladas à l’Aller, 274,81 toneladas, tonnage unitaire moyen au Retour de 1619 à 1622, 240,5 toneladas et 280,6 toneladas de 1623 à 1625, 297,1 toneladas et 332,4 toneladas de 1626 à 1628, 311,7 toneladas et 314,4 toneladas de 1629 à 1631. Cette atténuation des écarts explique la conformité du mouvement unitaire Retours avec les Retours en tonnage, et les Allers. De 59,75 unités (moyenne annuelle des départs), au cours de la dernière fluctuation 1619-1622, on passe à 71 unités, de 1623 à 1625. Le décrochement, là encore, se produit entre 1623-1625 et 1626-1628, voire 1626-1631, par un brusque passage de 71 unités à 36,6 unités (1626-1628) et 42,5 navires (1626-1631). De 42,5 unités (moyenne annuelle des départs de 1626 à 1631) à 39,5 unités (moyenne annuelle des départs de 1632 à 1638), des deux dernières fluctuations primaires du cycle 1623-1631 aux deux premières fluctuations du cycle 1632-1641, la pente descendante est presque insensible.

60La dissymétrie du cycle, indice de la décroissance, apparaît clairement. La rupture précède seulement un peu, celle des Allers. Elle se situe à l’intérieur de la fluctuation cyclique 1623-1631.

3. Allers et retours

61L’ordre de la décroissance se manifestera, ici, de la même manière, par une profonde dissymétrie à l’intérieur du cycle.

62Entre la seconde fluctuation primaire (1619-1622) du cycle 1614-1622 (37 831 toneladas moyenne annuelle, en tonnage, des Allers et retours) et les deux premières fluctuations primaires (1623-1628) du cycle suivant (37 817,8 toneladas), la marée est étale.

63Entre la dernière fluctuation du cycle 1614-1622 et la première fluctuation du cycle suivant 1623-1625, il y a même progrès de 37 831 toneladas à 40 892,5 toneladas. La rupture et bien, à l’intérieur même du cycle, de 40 892,3 toneladas de 1623 à 1625 à 34 743,3 toneladas de 1626 à 1628 et 33 724 toneladas de 1629 à 1631. La situation et la même si on se tourne vers le mouvement unitaire, de 162,23 navires de 1619 à 1622, on s’était maintenu de 1623 à 1625 sur un plateau étale avec une moyenne annuelle de 158,3 navire allant et venant.

64La rupture, par contre, se produit au-delà, entre la première et la seconde fluctuation plus encore qu’entre la seconde et la troisième fluctuation, sur un chemin jalonné par les niveaux suivants : 162,25 unités, en moyenne, en Allers et retours, de 1619 à 1622, 158,3 unités de 1623 à 1625, 113 unités de 1626 à 1628 et 106,3 unités de 1629 à 1631 et 104,7 unités de 1632 à 1638. Les Allers et retours sont plus influencés finalement par le mouvement Retours aux amplitudes extrêmes que par les Allers, la grande dissociation se place donc, sans conteste, juste à la hauteur de 1625.

4. Les moyennes mobiles

65Ces dissymétries extrêmes que l’on retrouve, à l’intérieur du cycle, dans toutes les séries montrent à quel point, le cycle 1623-1631 est dominé par le renversement de la tendance majeure. Toutes les moyennes mobiles, les plus longues, surtout, celles de treize et de onze ans le confirmeront, le cycle 1623-1631 est profondément engagé dans l’ordre de la décroissance29.

66Une moyenne mobile arrière le montre. En Allers, on passe de 1622 à 1631, de 26 200,61 tonneaux à 24 908,46 tonneaux, le mouvement amorcé, vers dette vertigineuse des deux cycles suivants, de 24 908,46 tonneaux à 18 488,66 tonneaux de 1631 à 1641, de 18 488,66 tonneaux à 14 597,23 tonneaux de 1642 à 1639.

67En Retours, on passe, dans le même cadre chronologique, de 21 896,25 tonneaux : aux à 19 893,55 tonneaux, de 19 893,55 tonneaux à 13 913,01 tonneaux, de 13 913.01 tonneaux à 10 968,14 tonneaux ; en Allers et retours, de 49 477 tonneaux à 44 037,76 tonneaux, de 44 037,76 tonneaux à 31 552,38 tonneaux et de 31 532,38 tonneaux à 25 248,23 tonneaux.

68Dans les trois cas, il apparaît que la chute commencée dans les trois ou quatre dernières années du cycle, s’accélère brusquement et atteint sa vitesse maximale au cours du cycle suivant.

CARACTÈRES DU MOUVEMENT

69Le cycle 1623-1631, non seulement amorce la décroissance, mais il est caractérisé par toute une série de distorsions profondes.

70C’est, tout d’abord, dans l’ordre des navires, le ralentissement du vieillissement30, on l’a déjà vu31, c’est-à-dire, dans le domaine de l’armement, la descente d’un premier étage. Le tonnage réduit de la Carrera est en train de rattraper les besoins du négoce. Un volant s’est dissipé. Cette situation nouvelle, jointe à la guerre, amène une modification importante du tonnage unitaire. On a vu dans quelle proportion celui-ci s’accroît. C’est la dernière mutation du tonnage, elle implique une réduction du champ prospecté par la Carrière des Indes et le repli sur les positions jugées les plus fortes. Tout cela, éminemment caractéristique de la phase longue de la décroissance, l’est, au premier chef, du cycle 1623-1631 — ces structures nouvelles émergent, en effet, au cours des années du cycle. Elles sont indissolublement liées, au premier chef, à la diminution du volume total du trafic et à la guerre. On peut se demander dans quelle mesure, cette mutation du tonnage unitaire n’est pas liée étroitement, aussi, à la substitution au cours du cycle32 de la Terre Ferme à la Nouvelle Espagne en tête du trafic. Dans l’ensemble, les navires d'armada, qui protègent le trafic et qui desservent l’isthme, sont les plus gros navires. La mutation du tonnage unitaire apparaît, dans ces conditions, comme le sûr réactif des transformations les plus importantes dont l’Atlantique est le théâtre.

71La réduction de l’écart du tonnage unitaire entre les Allers et les Retours est également, indissociable de cette modification de comportement. Le triage n’est plus possible, mieux, il n’a plus de raison d’être, puisqu’on approche, pratiquement, du plafond du tonnage unitaire moyen possible dans le cadre des techniques du temps.

72Toutes ces transformations, effleurées déjà, ne sont pas autre chose qu’émergence de structures nouvelles valables pour trois cycles au moins. Elles sont valables pour presque toute la dernière demi-phase longue de contraction. L’originalité de la période qui nous retient réside, dans leur apparition et dans leur substitution à des structures anciennes, désormais, révolues.

HYPOTHÈSES : COVARIATION PRIX-TRAFIC

73L’apparition de ces structures n’est plus à expliquer. On s’est efforcé de le faire, déjà33, sans y bien parvenir sans doute. Pour le moment, on se bornera, écartant les explications globales, à essayer de comprendre les événements à court terme.

74Dans les structures nouvelles du xvii^e siècle qui sont, ici, des structures de la décroissance, ce qu’il importe de mieux comprendre, ce n’est pas tant la partie descendante du cycle que sa partie ascendante.

1. Nœud des retours

75Le paradoxe du cycle, ce n’est pas le fort décrochement des dernières années, mais bien plutôt, la belle reprise conjoncturelle qui suit le creux de 1622-1623.

76Cette poussée, quelque peu paradoxale, doit être mise en relation avec un certain nombre de faits voisins. L’importance exceptionnelle des Retours. Le niveau annuel moyen des Retours ne passe-t-il pas, de 59,75 unités, 16 421,875 toneladas de 1619 à 1622 à 71 unités, 19 884,3 toneladas de 1623 à 1625 ? Entre la fin du cycle 1614-1622 (on pourrait presque dire le cycle 1614-1622) et le début du cycle suivant 1623-1631, il y a eu un phénomène de triage des Retours. Un peu comme si, brusquement, les navires dûment accumulés aux Indes (part des Retours par rapport aux totaux Allers et retours, 43,4 % de 1614 à 1622, 44 % de 1614 à 1618, 43 % de 1619 à 1622) retrouvaient le chemin du Retour. C’est un phénomène qu’on aura observé souvent, au cours de l’histoire de la Carrera, au moment d’importantes reprises conjoncturelles. De 43 %, la part des Retours s’élève à 48,7 %, de 1623 à 1625. Cette poussée quantitative des Retours a été précédée, autant qu’on en puisse juger34, d’une poussée qualitative. L'avería laisse présumer, en effet, un niveau exceptionnel des Retours de 1620 à 1624 et surtout de 1622 à 1624. L’action des niveaux records du mouvement Retours en valeur aura, certainement, été décisive sur le démarrage des Allers, en décalé, au-delà de 1623.

2. Dernière flambée des trésors

77Importance quantitative et qualitative des Retours, donc. On notera, encore, cela n’ajoute rien mais corrobore et vérifie, qu’il en va de même des trésors. On note l’extraordinaire résistance35 des trésors, après la pointe secondaire de 1616-1620 jusqu’à 1630. C’est, très exactement, entre 1626-1630 et 1631-1635, que se produit la grande rupture dévastatrice. Une fois de plus, on sera sensible à l’effarante identité des comportements des mouvements généraux et des trésors. La mine restant, pour un temps encore, le secteur dominant de l’économie Atlantique.

78On a pu constater déjà36 que 1616-1620 était, paradoxalement, la demi-décade des importations officielles records d’argent des particuliers. Les trésors des particuliers sont ceux-là naturellement qui influencent le plus directement le trafic. Le record était donc plus probant que l’on se trouve, sans conteste, emporté par la vague insidieuse d’une contrebande croissante. En réalité, depuis le sommet des trésors (importations officielles), les importations d’argent se trouvent sur un plateau légèrement croissant ; le volume des trésors importés, par exemple, en millions de pesos à 450 maravedís, d’après Hamilton, évolue d’une manière favorable, jusque vers le milieu du cycle 1623-1631 : 55,8 millions de 1601 à 1610, 55,9 millions de 1606 à 1616, 54,6 millions de 1611 à 1620, 57 millions de 1616 à 1625, et 51,9 millions de 1621 à 1630. La phase descendante des importations officielles des trésors ne commence, donc, d’une manière certaine qu’à partir de la seconde moitié des années 20.

79Beaucoup plus probante encore, la série des trésors des particuliers seuls. Ce sont eux, en effet, qui influencent le plus directement le volume du trafic, ce sont eux, enfin qui sont le plus directement influencés par la poussée de la contrebande. Il faut donc admettre que l’écart tend à s’accroître au fur et à mesure que l’on avance dans le temps entre la réalité vraie et la réalité légale. Pour toutes ces raisons, la série des trésors particuliers telle qu’on peut la déduire du travail d’Hamilton est particulièrement probante :

80On voit, dans ces conditions, aux deux extrémités d’un long plateau concave, deux pointes, dont l’égalité est troublante : 1591-1600, 48,6 millions et 1616-1625, 47,9 millions. Compte tenu de la désintégration certaine du système de contrôle entre ces deux termes de référence, il y a présomption favorable en faveur de 1616-1625. Il est donc tout à fait naturel que, malgré l’émergence évidente des structures de la décroissance, l’importance des réalisations en argent de 1616 à 1625 constitue un élément très favorable pour expliquer la poussée des Allers de 1624 à 1628.

3. Prix et inflation

81Un dernier facteur, enfin, aura contribué à accentuer la dissymétrie du trafic sur le cycle 1623-1631. Pour paradoxal que cela puisse paraître, peut-être, l’inflation.

82Le fait monétaire du xvii^e siècle espagnol, l’inflation du billon fait son apparition avec le cycle 1623-1631. A long terme — elle dure soixante années, pratiquement, sans désemparer — il est peu d’événements aussi destructeurs. A court terme, un début d’inflation est toujours euphorique et stimulateur. Son action a souvent été comparée à celle de l’alcool sur l’organisme humain. Elle oblige à prélever sur des stocks, à dissiper des ressources longtemps accumulées.

83Si, à long terme, parce qu’il faut éliminer le facteur inflation, la covariation s’établit entre les trafics et les prix-argent, à court terme, au début de l’inflation, la covariation s’établit beaucoup mieux entre prix réels et trafics37. La flambée d’inflation qui culmine en Espagne, entre l’extrême fin de 1626 et le début de 1627, est une conséquence de la guerre. Elle provoque la première grande flambée des prix nominaux. Pour la première fois, depuis l’extrême fin du xvi^e siècle et le tout début du xvii^e, les prix réels une fois atteints et jamais retrouvés sont, désormais, non seulement égalés mais largement dépassés38. La retombée de l’inflation, dans la mesure où elle est révélatrice de la flambée destructrice de richesses de la période antérieure, est aussi celle de la retombée du trafic.

84Au cours du cycle 1623-1631 et dans le cadre, uniquement, d’une conjoncture courte, entendez décennale, il existe une covariation positive très astreignante prix nominaux andalous, nouveaux castillans, vieux castillans-léonais/trafic, ou si l’on veut — ce qui reviendrait sensiblement au même — une covariation positive, dans le même cadre géographique celui du Royaume de Castille, inflation/trafic. La dissymétrie extrême du cycle des trafics, calque donc et amplifie la courbe des prix nominaux et celle de l’inflation. Elle explique le paradoxe non de la contraction, structurelle, elle va de soi, mais de l’expansion, partant, le paradoxe d’une dissymétrie extrême, encore qu’elle aille dans le sens où on l’attend.

4. Prix de la main-d’œuvre, trafic

85Cette dissymétrie trouve encore un autre justificatif : le comportement du prix relatif de la main-d’œuvre39. Simple corrolaire de la poussée inflationniste des prix réels. C’est elle, en effet, qui essouffle le taux de la rémunération de la main-d’œuvre cancéreusement gonflée, lors de la récession des prix-argent. De 1623 à 1627, il y a chute libre de l’indice 120,16 à l’indice 97,82. C’est, évidemment, un facteur extrêmement favorable, qui aura permis le coup de fouet du trafic de 1624 à 1628. Et c’est par ce biais, mais par ce biais seul, que la première grande flambée inflationniste aura eu, dans l’immédiat, une action favorable. Dans la mesure où elle aura effacé, pour un trop court moment, le handicap majeur de l’économie espagnole : la somptuosité de sa rémunération du travail, avec tout ce que cela implique de désinvestissement et d’impossibilité de croissance.

86Là encore, il ne peut s’agir que d’un élément favorable à court terme. La poussée inflationniste corrigera, certes, mais sans l’abolir, l’anomalie positive de la rémunération du travail (les indices décennaux le prouvent : 110,75 de 1621 à 1630, 110,36 de 1631 à 1640). Dès 1631 (indice 110,89), une partie de l’allègement obtenu dans l’immédiat est à nouveau dissipé40. Les plaies béantes, les destructions énormes provoquées à la source même de la richesse espagnole par la folle dilapidation des vingt premières années du xvii^e siècle (1601-1610, prix de la main-d’œuvre par rapport aux prix des marchandises, 115,75 %, 1611-1620, 124,89 %), sont irréversibles. Il peut y avoir encore une joyeuse flambée, comme celle de 1624-1628 ; de retournement à long terme, pas.