1La coupure de 1618 ne vaut guère, puisqu’elle est commandée par des facteurs extérieurs à la dynamique économique. Tout au plus, peut-on lui accorder une valeur pratique, puisqu’elle permet de mieux sentir la tendance général du cycle.

2Cette tendance porte à la détérioration de positions déjà médiocres. Pour cette appréciation, le découpage autour de l’année 1618 est commode : il coupe le cycle particulier, à la hauteur d’un ensellement artificiel du trafic, à la bissectrice, dans le fond, de l’expansion.

3Si on essaie de caractériser, rapidement, 1619-1622 par rapport à 1614-1618, la seconde partie par rapport à la première partie du cycle, on notera que le volume du trafic s’est détérioré.

4Comme toujours, c’est sur le découpage annuel du mouvement volumétrique qu’on appréciera les changements les plus significatifs.

5A l’Aller, par exemple, la moyenne annuelle passe de 22 835,8 toneladas à 21 409,1 toneladas, en Retours, de 17 778,7 à 16 421,875 toneladas, en Allers et retours, de 40 394,5 à 37 831 toneladas, soit un recul incontestable de l’ordre de 6,5 %.

6Ce recul est assumé à l’Aller, par le seul fléchissement du tonnage unitaire ; le mouvement unitaire se maintient : 103 navires, en moyenne, de 1614 à 1618, 102,5, en moyenne, de 1619 à 1622, le tonnage unitaire moyen, par contre, glisse de 221,7 à 208,86 toneladas.

7Au Retour, par contre, le recul porte, uniquement, sur le nombre des navires, de 68,5 à 59,75 navires, contre une progression en tonnage unitaire de 255,9 toneladas à 274,8 toneladas.

8Cette opposition s’explique par la reconstitution, à l’Aller, du mouvement négrier. En soi, il n’y a rien là de défavorable, au contraire. La croissance des marginaux est responsable, pour l’essentiel, du fléchissement du tonnage unitaire. Pas uniquement, pourtant, il peut y avoir un fait d’usure. Les plus gros navires, les plus chers ne sont pas remplacés. Expression possible et des difficultés économiques à long terme, et de l’arrêt d’activité des chantiers de construction du nord de l’Espagne, lieu de prédilection, on s’en souvient, de la construction des plus gros navires.

9Dans l’opposition qui s’accuse entre tonnage unitaire moyen des Allers et tonnage unitaire des Retours (de 1614 à 1618, 221,7 toneladas à l’Aller, 255,9 toneladas au Retour ; de 1619 à 1622, 208,86 toneladas à l’Aller, 274,8 toneladas au Retour), peut-être y a-t-il une part de distorsion systématique, une plus grande fraction des « marginaux » échapperait à nos prises sur le chemin du Retour. Il y a, surtout, avec la détérioration conjoncturelle, l'importance qui s’accroît de la fixation des navires aux Indes.

10Cette fixation est imparfaitement rendue par le pourcentage du tonnage des Retours à l’ensemble des globaux, Allers et retours, car ces pourcentages1 sont calculés en tonnage ; de 1614-1618 à 1619-1622, le recul en tonnage de la participation des Retours aux globaux est trop faible, 44 % à 43 %, pour qu’on puisse utilement en faire état. Mais compte tenu seulement du nombre des navires, la distorsion est beaucoup plus grande. Le nombre des navires qui reviennent représente, de 1614 à 1618, 39,96 % des totaux, 66,6 % des navires qui partent. De 1619 à 1622, ces proportions s’abaissent à 36,8 % et à 58,29 %.

11En admettant même, une plus grande dérobade des petits aux contrôles du Monopole, au Retour, cette distorsion s’explique par l’extraordinaire pouvoir recouvré par les Indes de fixer, comme une glu, les petits navires de la Carrière. Cette propension s’est accrue considérablement entre le début et la fin de la fluctuation cyclique, en raison de la plus grande proportion des petits navires à y participer, en raison, aussi, du vieillissement2 du stock des navires qui s'accroît avec une extrême rapidité au cours de la fluctuation cyclique. C’est sans conteste, lors de la deuxième fluctuation du cycle que le rythme du vieillissement, entendez la proportion du non-remplacement, est le plus rapide. Étant donné la propension des navires de la Carrera à mourir aux Indes, qui dit rythme rapide du vieillissement dit, nécessairement, accentuation du déséquilibre Allers/Retours au profit des Allers et élimination préférentielle des petits navires, d’autant plus que les petits navires sont, moins exclusivement que les gros, spécifique de la Carrera.

***

12Cette propension des navires à fuir la Carrera risque, à la limite, vers le terme de la fluctuation, de reconstituer un goulot, auquel vient s’ajouter l’effet du manque de marins, provoqué par la conjonction de l’effort d'armada en direction de l’océan Indien, du Pacifique et du renversement, en Espagne, de la tendance démographique.

13Les différents secteurs sont diversement touchés par la contraction des volumes. Dans l’ensemble, la rétraction des échanges est un peu plus sensible en direction et provenance de la Terre Ferme qu’elle ne l’est, pour la Nouvelle Espagne. A l’intérieur du complexe portuaire, enfin, il y a diminution de la part des navires marchands de Séville (50,3 % de 1619 à 1622 en tonnage, contre 54,1 % de 1614 à 1618), légère augmentation relative de Cádiz (11,8 % de 1614 à 1618,12,4 % de 1619 à 1622), diminution des Canaries et de la part des navires d'armada (4,14 % et 18,2 % de 1619 à 1622 contre 6,58 % et 21,9 % de 1614 à 1618), augmentation massive, par contre, des négriers (14,8 % de 1619 à 1622 contre 6,2 % de 1614 à 1618).

14Dans l’ensemble, de 1614-1618 à 1619-1622, il y a accroissement des difficultés. On s’achemine vers la reprise officielle des hostilités avec les Provinces Unies au terme de la Trêve de Douze Ans en 1621. L’incidence de la défense et de la guerre va se faire, brusquement, plus lourde. Il n’y a pas d’illusion dans cette assertion, il suffit pour s’en convaincre de se tourner vers les tables des pertes3. Elles montrent un brusque gonflement, à la hauteur des années 1621 et 1622.

15On peut donc déduire de ces éléments qu’il y a eu renforcement, dans la seconde partie du cycle, des goulots extérieurs d’étranglement au trafic. Ce sont ces goulots qui expliquent, vraisemblablement, le tassement des volumes, puisqu’il a été compensé — et c’est là le signe clinique, par excellence — et au-delà, par la poussée différentielle des valeurs4.

16On a donc l’impression d’un mouvement d’expansion cyclique modérée, qui a été long à se mettre en route, qui a fini par se soutenir de son propre poids, de son propre élan, mais qui s’est trouvé peu à peu, au cours de la seconde fluctuation, avant d’arriver à son point naturel d’essoufflement, freiné et contraint. Il en résulte, sur le mouvement valeur, une opposition entre la première et la seconde fluctuation... exactement l’inverse de l’opposition, qui a cours sur la série des tonnages. Les valeurs des marchandises échangées sont supérieures, au cours de la seconde fluctuation, à celles de la première. Il y a donc distorsion volume-valeur, selon un schéma qu’on a souvent rencontré et de 1590 à 1592, avec une toute particulière netteté.

17Cette distorsion correspond à la montée de Cádiz, à la montée relative et absolue des marchandises importées, en simple transit, autres qu’espagnoles.

18La division du cycle homogène 1614-1622 en deux fluctuations de cinq et quatre ans, autour de 1618-1619, conjoncturellement, médiocrement justifiable, trouve sa raison d’être dans la mesure où elle permet d’appréhender, commodément, les transformations qui cheminent en profondeur, au cours du cycle 1614-1622.

I. — 1619 : REMONTÉE DES VOLUMES ?

191619, si on s’en tient aux apparences les plus superficielles, compte tenu d’un redressement évident du tonnage unitaire, est en expansion, par rapport à 1618. D’autant plus qu’on a renoncé à compter l’expédition avortée des Philippines détruite par la tempête au large du Guadalquivir5, parce qu’en raison de son échec et de la direction qu’elle a prise, elle ne nous est pas apparue, par aucun biais, justiciable de la Carrière des Indes6. Il ne faudra pas oublier, toutefois, pour apprécier à sa juste valeur l’effort de 1619, d’ajouter les 4 000 toneladas, environ, de l'Armada à l’effort global de l’année.

20Montée des volumes, à telle enseigne que, sous cet angle, 1619 constitue le point haut de la seconde fluctuation, mais qui ne paraît pas suivi par les valeurs sur toute la ligne. A certains égards, 1619 constitue le négatif de 1618. Volume en hausse, valeur en baisse, Nouvelle Espagne en expansion, crise en Terre Ferme. Tous points sur lesquels les situations de 1618 et de 1619 s’opposent.

LA LEÇON DES CHIFFRES

21Elle laisse apparaître un progrès sensible en tonnage, non suivi par le mouvement unitaire.

22Plus encore, si on fait entrer en ligne de compte l’Armada malheureuse des Philippines.

1. Allers

23En Allers, Retours et Allers et retours, 1619 se trouve en position intermédiaire entre 1618 et 1617.

24De 125 à 115 unités, au départ, il y a recul de 8 % du mouvement unitaire Allers, un accroissement, par contre, du tonnage de 22 730 toneladas (27 276 tonneaux) à 23 408,5 toneladas (28 090,2 tonneaux), soit un accroissement de 3 %. Par rapport à la moyenne mobile, en raison du fléchissement rapide du trend7, on note une reprise sensible de 104,30 % à 112,04 %. Cette modification est due à une reprise du tonnage unitaire, l’anomalie de 1618 s’estompant, de 181,94 toneladas à 203,55 toneladas. On tend ainsi, après l’écart de 1618, à s’aligner sur la normale, soit 208,86 toneladas pour la fluctuation 1619-1622, 216,01 toneladas pour le cycle 1614-1622 et 221,7 toneladas pour la fluctuation 1614-1622.

25Si on faisait intervenir l'Armada des Philippines que l’on peut évaluer, forfaitairement, à 8 unités et 4 000 toneladas, sur le modèle de l'Armada Tenza de 16178, la position de 1619 serait beaucoup plus forte encore : 125 à 123 navires, il y aurait recul du mouvement unitaire, mais de 1,6 % seulement ; de 22 730 à 27 408,5 toneladas, par contre, il y aurait progrès mais de 20,6 % au lieu de 3 %. Par rapport au trend, on arriverait jusqu’à 230 %. Le tonnage unitaire serait plus fort, 222,8 toneladas. Le niveau des Allers, tant absolu que relatif, constituerait, désormais, en tonnage, le record non plus seulement de la seconde fluctuation, mais de l’ensemble du cycle.

2. Retours

26Pour les retours, mais à une échelle plus réduite, même distorsion, de 70 à 68 unités, recul de l’ordre de 3 %, de 17 765,5 à 18 860 toneladas (21318,5 à 22 632 tonneaux) avance de près de 6 %. Cela suffit, par rapport à la moyenne mobile, pour changer le sens du mouvement, de 97,8 % à 106,7 %. Grâce à l’accroissement du tonnage unitaire, de 253,8 toneladas en 1618 à 277,35 toneladas en 1619.

27L’écart entre le mouvement Allers et le mouvement Retours — fait décisif — est un écart normal, que l’on reporte les Retours de 1619 aux Allers de la même année ou à ceux de 1618. En tonnage, dans le cadre de l’année, le pourcentage des Retours aux totaux passe de 45,88 % (en 1618) à 44,62 % (en 1619)9. Compte non tenu de l’expédition aux Philippines, sinon, la part des Retours, en tonnage, tomberait à 40,7 %. Un nombre de navires proportionnellement moindre encore, revient par rapport à l’ensemble Allers + Retours, 37 %, compte non tenu de l’expédition aux Philippines, les Retours ne représentant plus que 35,6 % des totaux sur le mouvement unitaire, si on incorpore aux Allers, les navires de l’expédition aux Philippines.

3. Allers et retours

28On retrouvera, naturellement, sur les globaux, le même élan, recul du mouvement unitaire de 195 navires à 183 navires ou de 195 navires à 191 navires (suivant que l’on incorpore ou non l'Armada de secours au mouvement), de 6 % ou de 2 %. Progrès, par contre, des tonnages, de 40 495,5 toneladas (48 594,6 tonneaux) à 42 268,5 toneladas (50 722,2 tonneaux), de l’ordre de 4 %, mais de plus de 14 %, si on attribue à 1619, le convoi de secours destiné aux Philippines.

29C’est pourquoi, par rapport à la moyenne mobile10, on passe, brusquement, de 98,66 % à 105,14 %. Si on tenait compte de l’expédition aux Philippines, on passerait de 98,66 à 115 % environ. En même temps, on observe un accroissement notable du tonnage unitaire, de 207,6 toneladas à 230,9 toneladas (242,9 toneladas, si on introduit dans le comput les bateaux des Philippines).

30Si on s’en tient aux volumes, la poussée des petits navires absorbée et le tonnage unitaire revenu à une position normale (les tonnages unitaires moyens s’établissent à l’intérieur du cycle et des fluctuations, 1614-1622, 1614-1618, 1619-1622, aux niveaux suivants, 234,4 toneladas, 235,3 toneladas et 233,16 toneladas) il est incontestable qu’il y a, entre 1618 et 1619, une substantielle reprise.

31Il n’est pas sûr pour autant que cette inflation du trafic soit pur gain. En effet, après l’effarante poussée des valeurs, à la hauteur de 1618, on assiste en 1619, autant qu’on en puisse juger, à un repli sur des positions plus normales.

4. Le problème des valeurs

32Son approche n’est, malheureusement, pas facile, en raison de la dérobade de la meilleure de nos sources : l'avería11. On possède, toutefois, une série de remplacement, le maravedí al millar12. Les niveaux intrinsèques, que donne ce faux impôt ad valorem, sont très inférieurs à la réalité. Toutefois, une comparaison entre les séries issues de l’avería et celles du maravedí al millar prouve que le maravedí conserve la fluctuation à court terme. On peut donc, conclure, entre 1618 et 1619 du repli du maravedí au repli du mouvement valeur. Ce repli est de l’ordre de près de 50 %. Le niveau valeur du mouvement en 1619 peut être présumé à un échelon intermédiaire entre 1616 et 1617, entre 7 et 800 millions de maravedís.

33Mais les séries valeur — celle de l'almojarifazgo de la Vera Cruz13, notamment — laissent à penser, aussi, une autre modification. S'il y a, par rapport à 1618, recul des valeurs en ce qui concerne les volumes et repli du mouvement sur des positions antérieures à celles de l’anomalie positive des valeurs de 1617 à 1618, il y a, en outre, présomption de transfert en faveur de la Nouvelle Espagne et au détriment de la Terre Ferme.

34Qu’en déduire ?

35Relâchement des goulots qui paralysaient l’expansion quantitative des exportations, ralentissement de l’ébauche de reprise conjoncturelle des années 1617-1618, au-delà de 1618 ? Ou plus simplement, position exactement symétrique et véritablement indissociable de celle de 1618, deux formes d'un même mouvement d’expansion, en 1618, avec l’accent sur les valeurs et la Terre Ferme, avec l’accent sur les volumes et la Nouvelle Espagne, en 1619.

CARACTÉRISTIQUES DU MOUVEMENT

36La différenciation entre 1618 et 1619 est faible. C’est la raison pour laquelle, malgré et en raison, peut-être, des différences du niveau-valeur du mouvement, les deux années sont proprement indissociables.

1. Complexe portuaire

37A l’intérieur du complexe portuaire14, on notera combien les éléments de stabilité l’emportent sur les éléments de différenciation.

38Stabilité des Canaries, en baisse sous le tir précis de Séville, malgré un sursaut sans lendemain (de 16 à 18 unités, de 1 220 toneladas à 1 316 toneladas, suivi d’une rupture de 1 316 toneladas à 8-10 ou 825 toneladas, entre 1619, d’une part, 1620, 1621, 1622, d’autre part). Seconde apogée du mouvement négrier qui culmine, avec 45 bateaux, et 4 428 toneladas, contre 44 unités et 4 115 toneladas en 1618. Globalement, il y a eu sensible accroissement de ce qu’il est convenu d’appeler les « marginaux », à tel point qu’ils couvrent tout l’accroissement observé entre 1618 et 1619.

39Les navires d’armada sont en légère baisse, élimination faite des convois aberrants. De 9 à 8 navires, de 3 900 à 3 670 toneladas, pour l'Armada de la Guardia, le seul élément du groupe d'armada qui ait une fonction économique de premier plan.

40Les deux axes essentiels, les navires marchands de Séville et de Cádiz, s’équilibrent sensiblement, mais avec des modalités différentes. Pour les navires de Séville, par exemple, il y a recul de 49 navires à 37 navires, soit un repli de 24,5 %, un repli infime des tonnages, de 10 810 à 10 784,5 toneladas, soit, à l’échelle de la précision de nos mesures, une forte présomption d’égalité. Autrement dit, tout le jeu du tonnage unitaire, d’une année sur l’autre, se situe dans l’axe essentiel du trafic, celui des navires marchands de Séville, de 220,6 toneladas on passe à 289,3 toneladas. Pour Cádiz, par contre, il y a progrès, de 5 navires à 7 navires, de 2 525 toneladas à 3 220 toneladas, soit le sommet du trafic de Cádiz, à l’intérieur du cycle. C’est là, évidemment, un facteur très favorable. Si on prend, toutefois, l’ensemble Séville-Cádiz, on notera un progrès très faible, de 1618 à 1619, soit un recul de 54 à 44 navires, compensé par une augmentation du tonnage unitaire, qui commande le passage de 13 335 toneladas à 14 004,5 toneladas.

2. Directions fondamentales

41a. Nouvelle Espagne. — Le trafic de 1619 est placé, sans conteste, sous le signe de la Nouvelle Espagne. De 58 à 69 unités, de 10 355 à 14 235,5 toneladas15, le progrès en tonnage est proche de 40 %. Ce niveau est le plus élevé depuis 1609, il constitue le niveau record des Allers en direction de la Nouvelle Espagne de 1609 à 1650. Il y a,, ici, d’ailleurs, concordance parfaite entre volumes et valeurs. Sur la série de l'almojarifazgo de la Vera Cruz16, autant qu’on en puisse juger par une série incomplète17, le niveau record des volumes correspond bien, aussi, pour une fois, au niveau record des valeurs, non seulement à l’intérieur du cycle (470 442 416,5 maravedís), mais pour toute la période, aussi, de 1609 à 1650. Le niveau record, en volume, de la deuxième fluctuation, le point haut au-delà duquel la ligne se retourne est dû au trafic avec la Nouvelle Espagne, qui imprime, cette fois encore, son allure au mouvement.

42Les perspectives sont excellentes en direction de la Nouvelle Espagne. D’où une convergence vers Séville de navires de Flandre et de France18 désireux de profiter de préparatifs de la flotte de Lope de Hoces y Córdoba. D’autant plus favorables que les contrôles, semble-t-il, et la fiscalité, ont été particulièrement indulgents pour les étrangers. Quant aux perspectives optimistes de juin 1619, elles ne semblent pas avoir été mal placées, si on en juge par les nouvelles apportées à l’automne. Quand Lope de Hoces partait, le marché de Nouvelle Espagne19 restait dépourvu de tout et les perspectives restaient bonnes, en raison de l’insuffisance des départs de 1618. On a l’impression, en 1619, un instant, que Séville a retrouvé le marché de la Nouvelle Espagne et réparé, pour un temps trop bref, les ruines de la crise de 1609.

43b. Iles et Terre Ferme. — Ailleurs, par contre, le mouvement bat en retraite. En direction des îles, le point haut de 1618 n’est pas maintenu, de 18 à 18 navires, certes, mais de 2 450 à 2 162 toneladas.

44Toute la différence, entre 1618 et 1619, réside dans les perspectives offertes par le marché de la Terre Ferme. Il y a, dans cette direction, un tournant dont on ne saurait surestimer l’ampleur : de 46 à 28 navires, de 9 695 toneladas à 7 011 toneladas (replis respectifs de 39 et 28 %, avec accroissement, dans cette voie, du tonnage unitaire, de 210,7 toneladas à 286,1 toneladas).

45Le repli, sur la Terre Ferme, dépasse les limites ainsi fixées. On a tout lieu de supposer, en effet, que l’optimisme de 1618, sur les volumes mais plus encore sur les valeurs, s’est révélé excessif, d’où rupture et crise.

46Ceci est tellement vrai qu’au moment des préparatifs du convoi combiné formé par la flotte de Terre Ferme et l'Armada de la Guardia, on n’arrive pas à trouver le fret nécessaire — fait véritablement extraordinaire, en raison des facilités qu’un tel chargement offre toujours — même pour l'Armada20. La crise de la Terre Ferme est bien, en 1619, une crise générale. L'Armada n’en est pas exempte et, fait plus probant, encore, elle réalise l’unanimité des maisons sévillanes et créoles. La réduction du volume de la flotte a été demandée d’un seul mouvement par les administrateurs de l'avería, entendez le Consulat21 et les Peruleros. Tout au long des années précédentes, on avait vu, au contraire22, les plus vieilles maisons sévillanes groupées autour du Consulado et les facteurs peruleros nouvellement installés s’opposer. En règle générale, les Peruleros poussaient à l’augmentation du volume des exportations, tandis que Séville préconisait, dans l’ensemble, une politique restrictive qu’elle était, le plus souvent, à même de faire prévaloir. Devant cette insolite conjonction, on ne peut guère évoquer une modification d’attitude des Peruleros, qui se traduirait par une victoire des marchands de Séville sur des adversaires qu’ils auraient réussi à s’annexer. On manque d’éléments pour une pareille hypothèse. Il est beaucoup plus raisonnable de penser que la crise de la Terre Ferme — volumes et valeurs nous invitent à le faire — est telle, en 1619, qu’elle ne supporte pas de divergences d’opinions, telle que Sévillans et Peruleros se trouvent, enfin, d’accord pour préconiser l’abstention.

47Autre signe de crise, la solution économique qui est adoptée, d’un départ combiné de l'Armada et de la flotte de la Terre Ferme, le tout représentant, d’ailleurs, une masse très réduite. En gros, depuis, qu’en 1614, on est revenu à l’annualité de la flotte de Terre Ferme, on aura pu observer, qu’à l’intérieur de ce cadre chronologique et cette solution admise, les départs combinés de l'Armada et de la flotte étaient la solution des mauvaises années et les deux départs, les solutions riches des années heureuses dans l’ordre du trafic avec la Terre Ferme.

48Mais la preuve la plus décisive de la crise de la Terre Ferme est contenue dans les chiffres. Malgré la défaillance de l'almojarifazgo de Puerto Belo et de l'avería en 1619, une lueur peut jaillir des morceaux raccordés de l'avería, du maravedí al millar et de l'almojarifazgo de la Vera Cruz23, on peut induire que le recul des exportations en direction de la Terre Ferme, entre 1618 et 1619, a dû être dans la relation de 1 300 millions à 300 millions de maravedís (valeurs exprimées en prix de douane nécessairement très inférieurs aux prix réels).

49Le plus clair de cette situation réside dans le déphasage qui se produit à la hauteur des années 1618 et 1619, entre la conjoncture de la Nouvelle Espagne et celle de Terre Ferme. Ce décalage est assez insolite et d’une amplitude assez considérable pour qu’on s’y arrête un instant. A l’ordinaire, en effet, quel que soit, par ailleurs, le secteur géographique qui domine, à l’intérieur de l'intercycle envisagé, il est rare que Nouvelle Espagne et Terre Ferme semblent, sous l’angle du trafic vu de Séville, animées par une conjoncture tout à fait différente. C’est bien ce qui se produit ici. Ce qui est paradoxal, en effet, ce n’est pas l’attitude du marché de la Terre Ferme. Il est assez conforme à tout ce qu’on a pu observer, qu’un espace anticipe la hausse ou la baisse, entraînant, ensuite, en quelque sorte, une conjoncture hésitante. La pointe, à contre courant, dans une certaine mesure, de la Nouvelle Espagne, est plus difficile à expliquer. En réalité, ces hésitations et ces vibrations contradictoires montrent à quel point le plateau du trafic de la demi-décade est un plateau essoufflé.

3. Les hésitations de Séville

50Séville, en 1619, est placée, de plus en plus, devant des options qui la dépassent.

51a. Avería et Tonnage. — Le Consulado vient de remporter une victoire24, en écartant le grand capitaliste portugais, Juan Nuñez Correa, de l’administration de l'avería. L’administration des « hombres de negocios », entendez, des plus vieilles maisons de Séville, celles qui s’expriment couramment, par leurs porte-paroles, les Prieur et Consuls, fait preuve d’un zèle qui ne durera pas. Ils réclament, à cor et à cri, que l’on hâte le départ de la flotte25. En toute autre circonstance, on serait tenté d’induire d’un tel zèle à une conjoncture forte. Tout le reste, malheureusement, le dément.

52Et, notamment, le grand problème des navires. La Carrière des Indes, en effet, souffre d’un excédent manifeste de tonnage26, malgré l’arrêt, pratiquement, de la construction navale dans les chantiers traditionnellement au service de Séville. D’où conflits27. Certains navires attendent, depuis trois ans28, leur incorporation dans un convoi. Ils se heurtent aux prétentions contraires du Roi qui vend avec licence ses vieux galions hors d’usage. La Casa de la Contratación intervient en faveur des propriétaires de navires contre le Roi. Dans des conflits qui opposaient, voici quelque temps29, négoce et armement, la Casa, on s’en souvient, prenait le parti du négoce, contre l’armement. Dans un conflit qui oppose l’armement particulier et le Roi armateur, la Casa prend, ici, le parti de l’armement privé. Dont la cause certainement, est juste. L’attitude, toutefois, vaut d’être soulignée. Quoiqu’il en soit, guerre des navires dans le Rio, embouteillage et conflits dans l’attente du fret, chantage à la vente de licences,... tous ces symptômes ne trompent pas. Ce sont, quoiqu’il puisse paraître, par ailleurs, des symptômes de crise, d’une crise grave de structures que des agitations superficielles et des élans localisés ne parviennent pas à masquer.

53b. Séville et le Pacifique. — Mais il y a d’autres symptômes d’une grave crise de structures : la densité des rapports qui vont et viennent des bureaux de la Casa de la Contratación. Les notes aux tableaux des tomes IV et V transmettent un assez bon reflet de l’importance, sous cet angle, de l’activité administrative de la Casa de la Contratación. Si les notes aux tableaux de 1619 et de 1620 sont les plus longues30 d’une série qui porte sur un siècle et demi, ce n’est ni effet du hasard, ni artifice. La gravité des problèmes qui se posent est un signe d’un grand renversement de la tendance du trafic, de modifications en profondeur des structures.

54La problématique de Séville, en 161931, telle qu’elle apparaît, à travers nos documents, s’articule autour de quelques grands thèmes. Les Indes se dérobent. Non qu’elles s’appauvrissent, — le Pérou est toujours aussi prospère, mais sa richesse n’alimente plus, au même titre, Séville et l’Espagne. Il s’ensuit des plaintes que l’on a analysées à leur heure. Ces thèmes ne sont pas très neufs, seules valent l’intensité et l’insistance avec lesquelles le tableau est présenté.

55On retiendra, pourtant, les aveux que renferment ces documents, d’une Espagne qui a perdu, pratiquement, la possibilité — il ne s’agit plus de Monopole — d’exporter des produits travaillés en direction des Indes. On a vu, en 1619, même, le rôle qu’avaient joué l’afflux des navires français et flamands, dans les heureux préparatifs de la flotte de Lope de Hoces y Cordoba. On retiendra, aussi, au tout premier chef la haine à l’encontre des Portugais.

56L’invasion portugaise des Indes de Castille n’avait jamais été ressentie, comme en 1619. Entre 1619 et 1620, l’empire portugais a achevé de basculer sur l’Atlantique de Séville et sur les Indes de Castille. Jamais, non plus, cette présence étrangère n’avait suscité autant d’impatience. La prise de conscience, la sensibilisation face à une intromission qui n’est pas nouvelle, même si elle s’aggrave et se précise, doit être retenue. En conjoncture, c’est ce qui compte. A cet égard, 1619-1620 nous placent à un nouveau tournant. Les unes après les autres, on a vu émerger les caractéristiques de la décroissance. Après la crise des années 1619-1620, elles sont toutes là. Le cap, abordé en 1609, est franchi définitivement, entre 1619 et 1620.

57Mais 1619 a d’autres mérites, celui de placer Séville devant une tentation, on n’ose pas écrire une chance révélatrice.

581619 a été l’année des préparatifs, combien pénibles de l'armada de secours aux Philippines. Le problème, finalement, est assez simple.

59L’empire de l’Espagne, dans le Pacifique, est menacé32. Le Pacifique, offert, aux deux extrémités, aux convoitises des gens du Nord, échappe au Monopole des Ibériques.

60L’antique système reposait sur l’exploitation des Moluques, depuis l’India portugueza et Malacca, du côté portugais, sur la ligne Acapulco-Manille, du côté espagnol. On sait les rivalités qui opposaient Séville à la Nao de China.

61Pour faire face à des périls nouveaux, il faut des forces nouvelles. Le Roi cherche à entraîner Séville dans un grand effort. Elle seule, le centre de ce qui reste à l’Espagne, de puissance navale et de capital disponible pour le grand commerce, peut encore agir. Pour le Roi, il est vital de mobiliser Séville. D’où l’offre qui lui est faite d’atteindre directement, sans les relais de la Nouvelle Espagne, les richesses des épices et de la Chine.

62Le Roi offre à Séville, aux vieilles maisons du Monopole, d’ajouter l’Indien et le Pacifique à leur domaine Atlantique, en échange d’une participation plus forte à la défense. Séville accepte l’offre, mais refuse la contrepartie. Elle participera, si le Roi assume frais et risques.

63Cette sagesse — c’était, évidemment, de la sagesse — est révélatrice. Séville a perdu, en 1619, tout esprit d’aventure et d’invention. Le domaine qui lui reste, chaque jour, un peu plus compromis, un peu plus envahi, dépasse, malgré ses plaintes, ses véritables ambitions. Séville peut encore défendre, elle ne veut plus conquérir.

64Le refus du Pacifique, en 1619, fait époque.

65La Carrière des Indes, en 1619, en dépit de ses prestiges, en dépit de sa grandeur et de la masse de manœuvre qu’elle tient, encore, solidement en main, n’est plus, en 1619, une force conquérante. Elle est, à l’heure de la sagesse, donc, proche de la mort.

HYPOTHÈSES

66Séville se sent contrainte à la défensive. Le système de l’Atlantique bien délimité, de la Péninsule ibérique sud à la Méditerranée américaine — et c’est la leçon de 1619 — est définitivement clos. Il n’y a plus d’agrandissement. Sur ce point, depuis dix ans — dirons-nous depuis trente ans ? — il n’y a plus de doute à avoir : le système commandé de Séville a atteint ses limites, il peut encore organiser, aménager son espace, il ne peut plus l’étendre : circonstance plus grave, il n’est même plus tenté de le faire.

67Quand le Roi, aux abois, offre aux groupes fidèles du plus vieux Monopole de rattacher directement à leur espace, l’Extrême-Orient des épices, pour lequel, un siècle plus tôt Séville s’était battue contre Lisbonne, sa rivale heureuse, Séville refuse de se laisser tenter. Et, précisément, en 1619. Or, 1619 marque une pointe cyclique secondaire du mouvement volume et 1618, une pointe cyclique absolue du mouvement en valeur. Le rejet de la tentation — la plus grande de toutes celles auxquelles Séville pouvait être soumise — a d’autant plus de poids qu’elle se place en conjoncture haute, ou plus exactement, au début de la deuxième grande crise de structure qui s’apprête à secouer le commerce du Monopole.

68En réalité, dès 1619 et malgré certaines apparences, l’expansion tend d’elle-même à s’effacer. Une fois de plus, il n’est, peut-être, pas inutile de relever les analogies avec les prix.

69Si on admet, en effet, qu’au sein du creux des prix qui correspond, à très long terme, au creux des trafics, il existe des relations à court terme, entre prix et trafics, on constatera que les années 1616-1618 forment un dos d’expansion très relative, entre les deux creux de 1615 et 161933. 1619, par conséquent, si les relations que l’on a toujours observées, s’appliquent, encore, ici, se trouve placé sous le signe favorable de 1616-1618, mais dont l’action va, tout naturellement, en s’estompant. La fin de 1619 se situe sous le signe d’une conjoncture en voie de détérioration. On trouverait, sans peine, hors d’Espagne, des analogies ou des échos34. En Italie, en France, notamment, où les concordances semblent valables.

70De toute manière, c’est entre 1618 et 1619, que la brisure secondaire s’établit sur les indices les plus généraux, en Espagne35, de l’indice global 133,74 à l’indice global 127,86 par rapport au trend, de 103,13 % à 98,60 %. Sur des indices plus détaillés36, on note le même renversement, pour l’Andalousie et la Nouvelle Castille, de 1618 à 1619, pour la Vieille Castille et le Léon, par contre, de 1617 à 1618, un an plus tôt. On comprend, ainsi, qu’un commencement de difficultés plus sérieuses aille se précisant sur nos trafics peu à peu à partir de 1619.

71Le coût relatif de la main-d’œuvre37 présente, sans doute, de nouvelles difficultés en 1619 : puisque l’année constitue un point haut secondaire (de l’indice 119,81 et 122,90, en 1617, 1618 à l’indice 127,08 en 1619), après le point haut absolu de 1611. Sous l’angle particulier qui intéresse plus directement le trafic, celui du coût de recrutement de la main-d’œuvre de mer, il semble que 1619 ait été, en effet, une année d’autant plus difficile qu’il y avait à pourvoir le convoi de secours aux Philippines.

72A partir de 1619, les volumes battent en retraite et, pratiquement, jusqu’en 1623. L’accident est particulièrement grave. Il s’accompagne, d’ailleurs, de la reprise officielle des hostilités, dans l’océan Atlantique, tandis, qu’en Europe, la guerre s’installe dans l’Empire, avec, pour l’Espagne, de nouvelles obligations et des charges de plus en plus lourdes.

II — 1620 : LE RENVERSEMENT DÉFINITIF DE LA TENDANCE MAJEURE

73La crise qui se dessine au-delà de 1619 est d’autant plus grave qu’elle est moins spectaculaire. C’est une lente et presque imperceptible détérioration, qui intervient peu à peu et paralysera l’ensemble de la Carrière des Indes.

LA LEÇON DES CHIFFRES

74Les principales expressions chiffrées du mouvement, rendront assez bien compte de la lente et presque imperceptible détérioration de 1619, voire de 1618, jusqu’en 1622 ou 1623.

75Sur les globaux, Allers et retours, en volume38, la descente est régulière, de 1619 à 1622 : lente, de 1619 à 1620, presque stoppée de 1620 à 1621, brutale de 1621 à 1622. Sur le mouvement unitaire, à une hésitation près, entre 1620 et 1621 (de 166 à 176 bateaux), la pente est plus longue encore, de 1618 à 1622, partant de 195 navires pour arriver à 124 navires seulement. Pour les Allers39, volume et mouvement unitaire, à quelques hésitations près, la pente est descendante, en tonnage, de 1619 à 1622-1623, sur le mouvement unitaire, de 1618 à 1622-1623. La différence entre 1622 et 1623 est infime (82 unités et 18 339 toneladas, en 1622, 83 navires et 18 415 toneladas en 1623). A certains égards, on pourrait affirmer que la décroissance va de 1617-1618 à 1622-1623. C’est bien cette leçon que la moyenne mobile médiane de cinq ans semble dégager pour sa part. En Allers40, elle délimite un secteur volumétrique de décroissance de 1617 à 1623, avec une respiration symptomatique, à la hauteur de 1619 et de 1621-1622. En Allers et retours41, elle fait de même de 1617-1619 (1617 : 49 676,04 tonneaux ; 1618 : 46 642,92 tonneaux ; 1619 : 49 592,76 tonneaux) à 1621-1623 (1621 : 45 067,72 tonneaux ; 1622 : 47 067,72 tonneaux ; 1623 : 45 965,76 tonneaux). Cette décroissance est un peu celle, aussi, des valeurs sur le mouvement Allers42, encore qu’atténuée.

76Elle n’apparaît, en raison des phénomènes de triage des marchandises auxquels on s’est constamment heurté43, qu’au prix d’une moyenne simple deux ans par deux ans. Ainsi, on comparera, deux ans par deux ans, les valeurs des Allers en 1618-161944, 1620-1621, 1622-1623 et 1624-1625. On observera45 qu’elles dessinent une courbe légèrement mais régulièrement décroissante : de 1 150 millions (moyenne annuelle pour 1618-1619) à 1115 millions (moyenne annuelle 1620-1621), à 1 000 millions (moyenne pour 1622-1623) et 940 millions (moyenne de 1624-1625)46.

77Les Retours et, partant, dans une très large mesure, les Allers et retours esquissent un mouvement inverse, en valeur évaluée des Allers — mais conjoncturellement, seuls comptent les Allers. Le point haut des Retours fait écho, avec deux ou trois ans de décalage, au point haut du mouvement-valeur en Allers, le temps qu’il fallait aux capitaux engagés à l’Aller pour fructifier aux Indes.

78En dépit des discordances minimes et toujours en surface, en simple apparence, on peut donc considérer qu’une importante décrue commence à partir de 1619. C’est ainsi que le repli de 1620 par rapport à 1619 ne prend sa vraie signification qu’à condition d’être replacé dans la perspective des années suivantes.

1. Allers

79Par rapport au point haut relatif de 1619, les Allers de 1620 baltent en retraite. De 115 à 99 navires, il y a recul de 13,9 % par rapport à 1618, le retrait sur le mouvement unitaire est plus sensible encore, de 20,8 % (voilà qui souligne l’importance de l’anomalie du tonnage unitaire de 1618). En tonnage, de 23 408,5 toneladas à 21 594 toneladas (de 28 090,8 tonneaux à 25 912,8 tonneaux), le recul est moindre de 7,4 % seulement. Le mouvement en tonnage a changé de position par rapport à la moyenne mobile, de 112,04 % à 97,89 %. A s’en tenir aux apparences, il y a croissance de tonnage unitaire, de 203,55 toneladas à 218,12 toneladas.

80Ce recul procède, en réalité, d’une double illusion. D’une sous-estimation, peut-être, du tonnage unitaire de 1619. Si on tenait compte de l'Armada en direction des Philippines, on aurait vraisemblablement un terme de référence supérieur (222,8 toneladas)47. D’une ventilation différente des départs à l’intérieur des éléments du complexe portuaire48. Le gonflement ou le maintien apparent du tonnage unitaire est une illusion qui procède, essentiellement, du repli des Canariens et des négriers. Sur l’axe des navires marchands de Séville, par contre, sur l’ensemble Séville-Cádiz, il y a tassement. D’autres sources le mettront en valeur49. Ce sont les plus gros navires, en effet, qui restent le plus longtemps, sans emploi, dans le Guadalquivir, au cours de ces années, tandis que les plus petits trouvent plus commodément à se faufiler, un peu comme si leur taille n’était plus à l’échelle des besoins de l’époque.

811620 apporte la preuve irréfutable. Le tonnage unitaire des navires marchands de Séville passe de 1619 à 1620, de 291,47 à 238,58 toneladas. Sur l’axe combiné des navires marchands de Séville et de Cádiz, de 44 navires pour 14 004,5 toneladas à 56 navires pour 14 399 toneladas, le tonnage unitaire moyen passe de 318,28 toneladas à 257,12 toneladas.

82Contrairement aux apparences, la diminution du tonnage unitaire est donc substantielle. Elle est, les sources invitent à le penser, au cours de ces années, un signe de crise puisque, dans les queues qui s’établissent dans le Guadalquivir — la coutume s’est désormais implantée — ce sont les petits navires qui parviennent le plus facilement à se faufiler.

2. Retours

83Le mouvement Retours fait preuve, par contre, d’une étonnante stabilité ; de 68 à 67 unités, de 18 860 à 18 614,5 toneladas (de 22 632 à 22 337,4 tonneaux) le recul de moins 1,5 % est, pratiquement, négligeable, à l’échelle de la précision de nos mesures. Le tonnage unitaire reste constant, de 277,35 toneladas, en 1619 à 277,83 toneladas en 1620. Le rapport Allers/Retours, dans le cadre annuel ou dans des découpages en diagonale (Allers de 1619, Retours de 1620) varie peu : 45,88 % en 1618 ; 44,62 % en 1619 ; 46,30 % en 162050. Le pourcentage des navires qui reviennent, par rapport à ceux qui partent51, reste faible au cours de toute la période. C’est la preuve qu’un très important triage s’opère aux Indes et paradoxalement en raison de ce qu’on vient de dire, au détriment des petits, qui sont, le plus souvent, condamnés à ne pas revenir. Mais ce qui se comprend finalement assez facilement. Les petits navires sont mieux adaptés que les gros au cabotage d’Inde en Inde et d’île en île. Tous les navires al traves ne sont pas voués à la démolition immédiate, bon nombre continuent leur existence au service des échanges côtiers américains. Pour ce travail, les gros galions sont impropres. Raison de plus pour comprendre comment, comme nous l’expliquent nos textes et nos chiffres52, les plus gros navires attendent plus longtemps dans le Rio que ne le font les petits. Parce que cette perspective d’une utilisation pour le cabotage d’Inde en Inde leur est fermée et qu’ils sont condamnés à rentrer presque tous, comme le prouve le rapprochement des tonnages unitaires à l’Aller et au Retour (au cours de la fluctuation 1619-1622, tonnage unitaire moyen Aller : 208,86 toneladas, Retour : 274,8 toneladas).

3. Allers et retours

84Sur les globaux, il y a contraction du mouvement en tonnage, mais lentement. De 183 à 166 unités, le recul est de 9 % environ, par rapport aux 195 navires de 1618, le repli serait de 14,9 %. En tonnage, par contre, par rapport à 1619, le recul est moindre : de 42 268,5 toneladas à 40 208,5 toneladas53 (de 50 722,2 à 48 250,2 tonneaux)54, le repli n’est plus que de 4,8 %. Il y a donc eu légère croissance du tonnage unitaire55, de 230,9 toneladas à 242,2 toneladas. Si on faisait intervenir en 1619 l’Armada destinée aux Philippines56, on serait en face d’une parfaite égalité : 242,2 toneladas en 1619, 242,2 toneladas en 1620.

85Mais cette parfaite égalité, comme la légère croissance du tonnage uni taire57, masque, en réalité, une sensible décroissance réelle du tonnage unitaire, à la fin de ce cycle. Elle constitue, en l’occurrence, et sans conteste, un signe entre plusieurs, de la paralysie croissante de secteurs de plus en plus larges du trafic. Par rapport aux moyennes mobiles — elles-mêmes en très nette et très rapide décroissance58 — le mouvement esquisse un sensible repli59 : en Retours, de 106,7 % à 103,9 %, en Allers et retours, de 105,14 % à 100,58 %.

4. Valeurs

86Mais ce repli, une fois de plus, doit être nuancé, en raison du comportement particulier du mouvement valeur.

87On laissera de côté60, pour le moment, la croissance à contre-courant, de 1617 à 1623, du mouvement en valeur des Retours, de 2 788 à 5 616 millions de maravedís, suivant une pente, autant qu’on en puisse juger, malgré les lacunes de 1618 et 1619, régulière et sans à-coup. Il semble qu’elle fasse écho au haut niveau du mouvement valeur à l’Aller de 1617 à 1620 et qu’elle le prolonge. Ce décalage plus prononcé, peut-être, que de coutume, joue un rôle décisif dans la courte mais brutale reprise cyclique de 1623 à 1631, pour l’heure, on peut l’ignorer, pour concentrer toute l’attention sur le seul mouvement en valeur des Allers.

88La lecture61 du mouvement valeur Allers n’est pas commode, en raison des phénomènes de triage, qui se produisent constamment, dans le cadre d’un découpage biennal. Par rapport à 1619, pour laquelle on a procédé à une extrapolation en partant de la série de remplacement du maravedí al millar — on arrive à une évaluation raisonnable, en valeur fiscale tirée des comptes de l'avería — les valeurs des exportations de 1620 paraissent placées sur un point haut (1 226 501 052 maravedís). La clef de cette poussée réside dans l’équilibre à l’intérieur de l’année des exportations en direction de la Nouvelle Espagne et de la Terre Ferme62. La crise de la Terre Ferme s’est estompée et l’équilibre des exportations entre les secteurs respectifs, Nouvelle Espagne et Terre Ferme, se rapproche de la situation de 1618, antithèse, elle-même, de celle de 161963

89Ces surprises à court terme ne sont pas dépourvues, pour autant, d’intérêt. Elles prouvent, de toute manière, qu’il existe sur le mouvement en valeur, un rythme sur deux ans, indépendant du cycle et de la fluctuation primaire, indépendant des volumes et, dans une large mesure, dicté par une alternance de la Terre Ferme et de la Nouvelle Espagne, en position motrice, à la tête du mouvement. Les années de fort niveau valeur sont marquées par la Terre Ferme, les années en creux des valeurs par la Nouvelle Espagne.

90Ce rythme ne doit pas masquer, pourtant, une autre réalité, la décrue cyclique des valeurs, qui suit, en l’atténuant, le mouvement de décrue des volumes. Cette décrue est certaine, à condition d’adopter un système de moyennes sur deux ans. Il y a décrue de 1617-1618, 2 500 millions de maravedís à 1619-1620, 2 100 millions. Il y a décrue, aussi de 1618-1619 à 1620-1621, de 2 300 millions de maravedís à 2 230 millions. Quel que soit le découpage que l’on adopte et en dépit du rythme court sur deux ans, il n’est pas douteux que la décroissance du mouvement valeur Allers commence à se faire sentir dès 1620.

91Depuis la fin de 1619, une seconde grande crise commence à frapper la Carrière des Indes, incomplètement remise de la crise de 1609. On appréciera, d’entrée de jeu, tout ce qui oppose, dans le cadre de l’Atlantique de Séville, la première crise spectaculaire, brutale — elle éclate comme un coup de tonnerre, ébranle tout et détruit tout sous son inexorable onde de choc —, à la crise des années 1619-1623, insidieuse, imperceptible, d’abord, sous la forme, d’un marasme qui, lent et sournois, englue, alourdit, paralyse et submerge. Deux crises, deux modalités antithétiques, au bout du compte, le passage de la phase A à la phase B.

CARACTÉRISTIQUES DU MOUVEMENT ET CONFIRMATIONS LATÉRALES DE LA CRISE

92La correspondance de la Casa de la Contratación64 — on en a livré pour 1620, une analyse et des extraits à l’échelle de sa richesse, de la densité des problèmes qu’elle éclaire et des prises de conscience qu’elle révèle — montre une crise de structures qui met en cause, en profondeur, la vie la plus intime de l’Atlantique de Séville mais d’un cheminement lent, quasi insaisissable, un marasme plus qu’une crise, bien différent de la crise brutale de 1609. L’analyse des séries donne de nombreuses confirmations de ce jugement.

1. La ventilation à l’intérieur du complexe portuaire

93Par rapport à 1619, 1620 n’est pas en retrait, bien au contraire, dans toutes les séries qui composent le complexe. La rupture se place à la hauteur, surtout, des canariens et des négriers65, à la hauteur de ce qu’on a convenu d’appeler les « marginaux » du trafic. Le recul des négriers, entendez du trafic officiel, les rapports qui parviennent à la Casa laissent à penser dès avant 1620, à l’existence d’un trafic négrier en fraude66 qui échappe, par conséquent, aux contrôles du Monopole, donc, aux prises de l’histoire statistique, — paraît, à quelques crochets secondaires près (1621, notamment), pratiquement irréversible.

94a. Négriers. — En soi, l’indication est sérieuse. Pour deux raisons, au moins. Quelle que soit l’importance du trafic parallèle dans le domaine négrier, secteur privilégié, très tôt, au xvii^e siècle de la fraude, il ne nous paraît pas susceptible de masquer, totalement, la signification du trafic officiel du nègre. Il nous est apparu que les fluctuations de la demande en noirs commandaient, à l’intérieur d’une relation assez simple et assez astreignante, sans trop gros décalages temporels, les fluctuations de l’offre, à Séville et à Lisbonne, de « noirs », officiels et enregistrables. Or cette demande en « noirs » c’est, donc, à peu de choses près, une ébauche grossière de la courbe de la demande en biens d’investissement. S’il y a décroissance dans ce secteur, il y a présomption d’une crise grave, d’un ralentissement conjoncturel qui s’exprime par un ralentissement de l’investissement. Sans doute, y a-t-il, en raison de la fragilité des sources et de la minceur de la réalité saisie, une grande part d’arbitraire. Toutefois, à condition de limiter le raisonnement au terme le plus court, le risque de distorsion systématique est très mince.

95Nous considérerons, donc, comme une indication valable pour une conjoncture à court terme, le repli négrier qui s’esquisse à partir de 1619, malgré quelques hésitations comme celle de 1621, comme un signe tangible de dépression. Il en va ainsi, même si, par contre-coup, la part des secteurs réputés les plus lourds de la Carrera est gonflée d’autant.

96b. Canaries. — Très sensible, par contre, le recul des Canaries. 1620 marque une étape décisive vers l’étranglement des Canaries par Séville. De 1619 à 1620, le repli est de tout premier ordre, de 18 à 7 unités, de 1316 à 575 toneladas. Il pourra y avoir des reprises partielles, ensuite, c’est bien entre 1619 et 1620 que se produit la brisure.

97Pour obtenir l’élimination des Canaries du commerce officiel, le vieux noyau du commerce officiel — il l’avait déjà obtenue pour de courtes périodes au moment de sérieuses difficultés conjoncturelles67 — n’a pas ménagé sa peine. Chaque année, les longs rapports, de plus en plus longs, de plus en plus véhéments, de plus en plus pessimistes et pressants, émanant du Consulat ou de ses alliés, transmis avec avis favorable par la Casa de la Contratación, dénoncent les fuites, par les Canaries, dans l’Atlantique du Monopole. Les attaques sont particulièrement vives, en 162068, au cours de l’année, précisément où Séville — les chiffres le prouvent — réussit à porter à son vieil adversaire, un coup dont il ne se remettra pas. Cette simultanéité implique un lien de cause à effet. Les difficultés de conjoncture contre lesquelles butte Séville, l’entraînent à accentuer, encore, son intransigeance à l’encontre du groupe canarien..., à accroître sa pression jusqu’au moment où elle aura réussi à le chasser « officiellement », sinon, forcément, en fait, du circuit. La géographie a des exigences contre lesquelles les coalitions les plus puissantes demeurent sans effet.

98La pression accrue qui aboutit, à une mise hors circuit beaucoup plus grande des navires que l’archipel canarien accordait traditionnellement aux flottes, ce décrochage radical de l’archipel, dont le recul est de l’ordre presque des deux tiers, est un facteur de contraction comme le repli des négriers. Quelque puisse être l’effet d’un pareil recul sur la part relative des secteurs réputés lourds de Séville et de Cádiz, il constitue un signe de freinage conjoncturel. Même si ce freinage se marque par une élimination des plus légers au profit des plus lourds. Même si le freinage du mouvement volume tend à diminuer la chute corrélative du mouvement en valeur.

99c. Armada. — Compte non tenu, en 1619, de l’expédition malheureuse aux Philippines, il y a très légère croissance du mouvement d’armada de 8 à 9 unités, de 3 670 à 3 830 toneladas. On peut retenir cette présomption de croissance, car elle indique une résistance du trafic. Cette résistance est corroborée par la croissance entre 1619 et 1620 des valeurs69. Le mouvement d’armada est indissociable, au cours de cette année plus particulièrement du mouvement marchand en direction de la Terre Ferme, puisque l'Armada de la Guardia de Don Lope Diez de Armendariz, marquis de Cadereyta et la flotte de Terre Ferme de Miguel de Chaçarretta70 partent, ensemble. En 1620, encore, la solution économique d’un seul et même convoi, a prévalu, de telle sorte que la fonction d’armada s’estompe au profit d’une seule et même fonction commerciale.

100d. Séville et Cádiz. — Il résulte de ces mouvements secondaires sur les négriers et les Canariens et de la relative stabilité des navires d’armada, une part relative plus grande des navires marchands de Séville et de l’ensemble, Séville, Cádiz.

101Pour Séville71, la croissance est considérable de 37 à 50 unités, de 10 784 à 11 929 toneladas. Pour Cádiz, la tendance est contrariée de 7 à 6 unités, de 3 220 à 2 470 toneladas. Pour l’ensemble Séville/Cádiz, un léger progrès subsiste, donc de 44'navires à 56, de 10 004,5 à 14 399 toneladas. C’est en écho, un peu, à cette légère croissance sur les trafics qui portant les plus grandes valeurs, que répond la poussée à contre-courant des exportations en valeur de 1619 à 162072. Cette montée s’accompagne, toutefois, on l’a vu, d’une chute du tonnage unitaire dont les chiffres sont corroborés par la correspondance de la Casa, de 291,47 toneladas à 238,58 toneladas sur le seul axe des navires marchands de Séville, de 318,28 toneladas à 257,12 toneladas, pour l’ensemble Séville-Cádiz. Cette chute de tonnage unitaire — on a expliqué comment73 — est, elle-même, fonction de la crise du fret. Entre la montée accidentelle du volume du mouvement sur l’axe essentiel Séville-Cádiz, l’indication fournie par la chute du tonnage unitaire, il faut préférer la chute du tonnage unitaire, signe annonciateur d’une vague de marasme croissant.

2. Les grands espaces indiens

102Cette impression est précisée par la ventilation des Allers entre les grands secteurs de l’espace hispano-américain.

103En effet, s’il y a stabilité entre 1619 et 1620, sur l’axe « volant » des îles (de 18 à 16 unités, de 2 162 à 2 155 toneladas74), de bien plus graves modifications se produisent sur les axes essentiels de la Nouvelle Espagne et de la Terre Ferme.

104a. Nouvelle Espagne, — Pour la Nouvelle Espagne, le repli est très net : de 69 à 47 unités, de 14 235, à 10 629 toneladas. Il n’est certainement pas le fait du hasard. L’effort qui avait été demandé en 1619 au marché de la Vera Cruz devait se payer en 1620. Les nouvelles que devait amener à Séville, le premier aviso de 162075, ne sont pas bonnes. La Casa de la Contratación les interprète, on l’a vu, comme franchement catastrophiques. Les vins semblent avoir été visés au premier chef76. Cela se comprend assez bien. La Nouvelle Espagne touchée par la crise plus tard que la Terre Ferme a conservé un trafic de structures archaïques, où les « pondéreux alimentaires » continuent à jouer un rôle considérable. La différence énorme entre la valeur unitaire des exportations dans les deux grandes directions prouve cet archaïsme.

105Il n’en demeure pas moins que cet archaïsme est, désormais, menacé. La Casa cite, d’abord les vins comme ayant été frappés, au premier chef, par la crise.

106Cet événement en direction de la Nouvelle Espagne est fort intéressant, car il rappelle, à dix années d’intervalle, exactement, le schéma de la crise de 1609. En 1619, comme en 1608-1609, des difficultés survenues en direction du marché de Terre Ferme ont amené le négoce de Séville, à l’ordinaire si prudent, à commettre une grosse imprudence, l’envoi d’une quantité excessive de marchandises irrecevables (une forte proportion de vins, sans doute) en Nouvelle Espagne. D’où cassure, désarroi et brisure. Là s’arrête l’analogie, car les masses exportées en 1618 et 1619 ne représentent pas plus de 60 % des masses exportées en 1608 et 1609 en direction de la même Nouvelle Espagne (170 navires totalisant 40 590 toneladas de 1608 à 1609, 127 navires totalisant 24 590,5 toneladas de 1618 à 1619), car la crise du marché de la Vera Cruz en 1619-1620 n’a pas, même de très loin, l’ampleur de la crise de 1608-1609.

107Si mince soit-elle, l’analogie n’est pas à dédaigner. A l’origine des deux plus grandes crises de l’histoire de la Carrera, les deux grandes crises de structure qui préparent le renversement de la tendance séculaire, on aura observé, premier signe avant-coureur, le complexe suivant.

108Sur le marché plus concurrenciel et plus évolué de l’isthme — plus concurrenciel et plus évolué, c’est pourquoi la valeur unitaire des marchandises d’Europe qui y sont présentées est double ou triple en apparence du moins, de celles offertes sur le marché de la Vera Cruz — des signes de fatigue qui se notent par un fléchissement des valeurs. En 1619, on l’a vu, les valeurs exportées en direction de la Terre Ferme n’atteignent pas le quart du niveau qu’elles ont atteint en 1618. Cet incident qui peut passer inaperçu, car il affecte non les volumes mais les valeurs plus suspectes, plus difficilement cernables, provoque une flambée de confiance en direction du marché de la Vera Cruz — marché de type ancien, par rapport au marché plus neuf de l’isthme — et, par conséquent, un gonflement excessif des volumes en direction de la Nouvelle Espagne77.

109Le schéma 1618-1620 reproduit, avec des amplitudes très atténuées, le schéma 1608-1610. L’atténuation des amplitudes prouve que la leçon n’a pas été perdue, la répétition du schéma démontre qu’elle n’a pas été complète ment gardée. Mais pouvait-elle l’être ? Le renversement de la tendance s’est donc produit dans un espace hétérogène, avec deux marchés moteurs, Puerto-Belo, la Vera Cruz, antithétiques, de texture très différente. Ce qui rend particulièrement difficiles les transferts d’un marché à l’autre. En 1620, comme en 1610, la Vera Cruz est atteinte par la surestimation de ses possibilités, lors de la mise en route de la flotte de 1619 (comme elle l’avait été en 1609). Mais la différence de potentiel est moindre dans la mesure où les niveaux du point haut étaient très inférieurs. La Carrera ne s’est jamais complètement remise de la première grande crise de structure de 1609. D’autre part, le malaise qui a frappé la Terre Ferme en 1619 n’a rien de comparable à celui qui l’atteignait dès 1608-1609. Là encore, la chute est moindre dans la mesure où le point de départ était plus médiocre.

110C’est pourquoi, le marché de la Terre Ferme est moins cruellement atteint ; c’est pourquoi il fait preuve, à un échelon plus modeste, de plus de forces de récupération qu’il n’avait semblé en avoir en 1610.

111b. La Terre Ferme. — On peut trouver, en effet, en direction de la Terre Ferme autant de raisons de satisfaction que de méfiance. Comme en 1619, la situation reste médiocre, malgré une augmentation non négligeable des volumes, de 28 à 36 navires, de 7 011 à 8 810 toneladas. Mais la médiocrité des perspectives du marché de la Terre Ferme, telles qu’elles se présentent en 1620, vues de Séville, est démontrée par la fusion en un seul convoi de l'Armada de la Guardia de Don Lope Diez de Armendariz et d’une flotte de Terre Ferme réduite, sous le commandement de Miguel de Chaçarreta78. Cette solution, à une époque où on ne peut affirmer qu’elle n’est pas totalement passée encore dans les mœurs, est une solution économique, à moindre frais. Elle permet de supposer des perspectives difficiles79.

112Perspectives difficiles, malgré des signes encourageants. Le grand rapport clef des juges officiers de la Real Hacienda de Puerto Belo80, en date du 7 juillet 1620 — on peut le tirer, à nous, puisque, au moment où il est signé, le convoi combiné de Lope Diez de Armendariz et Miguel de Chaçarreta, vient d’arriver à l’isthme — fait état de la médiocrité de la situation en Terre Ferme Il s’appuie sur une situation déjà ancienne, quasi structurelle. Il ne serait pas parti, cependant, cette année, ou du moins, il n’aurait pas pris les formes que nous lui voyons revêtir, s’il avait été contredit, dans l’immédiat, par une conjoncture forte.

113Cela n’empêche pas, pourtant, le même rapport, dont le ton dans l’ensemble est si pessimiste, de constater que la chute des volumes a été, sur le marché de la Terre Ferme, plus que compensée par la croissance des valeurs. Cet aveu81 prend un relief exceptionnel. Parce qu’il n’est pas accoutumé de la part d’officiers royaux, dont il tend, à la limite, à condamner l’action. Il n’est pas douteux, en effet, les séries le prouvent, que le rendement des almojarifazgos des Indes, sur lesquels les oficiales ont, quand même, la haute main, n’a pas suivi, ni de loin, cette croissance malencontreusement avouée des valeurs.

114L’aveu est d’autant plus précieux qu’il est moins suspect. Ne va-t-il pas à l’encontre du penchant naturel des hommes de la Carrera, de leur tendance à déplorer le temps passé, mieux le jugement va à l’encontre des perspectives historiques objectives. En cela, d’ailleurs, beaucoup plus sensible, encore, que nous ne le sommes au mirage du temps passé, les hommes de la Carrera sont des hommes de leur temps, des hommes de l’Ancien Régime. L’idée de progrès ne leur est pas familière ; ainsi libellée, elle est ignorée. L’impression de croissance ne fait pas partie de leur « moi », comme elle est incorporée à notre être, nous, contemporains des explosions et des développements exponentiels du nouvel âge, et, pourtant, elle n’a pas réussi totalement à dissiper toutes les illusions du bon temps passé. A bien plus forte raison, les oficiales reales de Puerto Belo, en 1620. Partant, leur aveu exprime une lourde, une écrasante évidence. Or cet aveu date de 1620. Il éclaire 1620, aussi, il confirme la validité de nos séries-valeurs.

115Car les séries-valeurs font état d’une substantielle reprise des exportations entre 1619 et 1620 : une reprise sans commune mesure avec celle des volumes82. On ne cerne que très indirectement, avec l’aide de l'almojarifazgo, du maravedí al millar et de l'avería, une présomption raisonnable des valeurs en douane des exportations d’Espagne vers l’isthme83.

116De 1619 à 1620, la valeur présumée en douane des exportations globales passe de 750 millions (évaluation) à 1 226,5 millions. Dans le même temps, la Vera Cruz connue par l'almojarifazgos passe de 470,5 à 316,5 millions. On sait que compte tenu des crecimientos del valor (bien qu’ils soient toujours très inférieurs à la plus-value réelle subie par les marchandises en traversant l’eau) les valeurs en douane dans les deux ports de la Vera Cruz et de Puerto Belo dépassent la valeur en douane de l’ensemble des exportations au départ du complexe portuaire. Dans ces conditions, on peut estimer que de 1619 à 1620, la valeur présumée en douane des marchandises exportées du complexe vers l’isthme est passée de 300 millions environ à 800 ou 900 millions, soit un accroissement de 250 à 300 %. 8 à 900 millions, ordre de grandeur entre les 1 400 millions présumés de 1 618 et les 300 millions de 1619. Il y a donc eu récupération mais récupération partielle seulement. De toute manière, sur l’axe du trafic avec la Terre Ferme, 1619-1620 constitue un point bas par rapport aux deux ans qui précèdent 1617-1618, dont le trafic en valeur avait été très fortement axé sur la Terre Ferme. C’est donc le mouvement-valeur vers la Terre Ferme qui a commandé de loin le repli conjoncturel, tandis que les volumes en direction de la Nouvelle Espagne accusent le coup et l’amplifient.

L’ATMOSPHÈRE DE 1620

117L’atmosphère de l’année 1620 est une atmosphère de crise de structure, les notes aux tableaux84, par leur ampleur insolite, — elles sont le reflet elles-mêmes, de la densité des documents que les Archives ont conservé sur la vie de ces mois très denses, — le prouvent.

118On a l’impression qu’en 1620, pour la première fois, avec autant de vigueur, dans une absolue clarté, tous les éléments constitutifs du plus vieil Atlantique de la Carrera ont pris conscience simultanément de la crise qui affecte, en profondeur, et modifie toutes les activités de ce puissant espace dominant.

1. Les navires

119On est, en 1620, au sommet, sans conteste, de l’excédent du tonnage par rapport au fret à transporter. Les plus gros navires, on l’a vu, ont des difficultés toutes particulières à se faire accepter85. Et c’est, sans doute, sous cet angle que l’on saisit le mieux les difficultés d’adaptation de la Carrera en période de contraction.

2. Une théorie générale

120Les officiers de la Carrera — oficiales reales des ports des Indes, on pense au rapport des officiers de Puerto Belo, en date du 7 juillet 1620, déjà cité86^, les officiers de la Casa de la Contratación en écho — les grandes maisons de Séville, toute la Carrera officielle a élaboré ce que l’on pourrait appeler une théorie générale de la récession, axée sur la fraude. Bien sûr, les explications que les contemporains responsables de la vie de cette complexe machine ont achevé, en 1620, de se construire pour eux et pour le Roi, n’englobent qu’une partie d’une réalité qui, nécessairement, leur échappait. Telles qu’elles sont, toutefois, elles forment un bloc qui, désormais, cessera pratiquement de progresser. 1620 est l’année, sous cet angle, de la prise de conscience, une prise de conscience qui s’achève.

121Cette théorie générale, le trait a son importance, a été édifiée autour du cas de la Terre Ferme — pièce maîtresse, longtemps, de l’Atlantique de Séville — le premier secteur touché.

122Le système prend son point de départ, dans un aveu, particulièrement précieux, étant donné la catégorie sociale de ceux qui le font : la chute du rendement des impôts ad valorem, la baisse de rentabilité de l’administration des Indes. En ce qui concerne l'almojarifazgo de Puerto Belo des ordres de grandeur édifiants et vraisemblables sont donnés.

123Cette chute de rentabilité s’accompagne d’une chute de volumes, mais non d’une baisse corrélative des valeurs. Au contraire, l’élimination depuis longtemps en direction de la Terre Ferme des produits agricoles et des produits manufacturés grossiers, que le travail local réussit à fournir, laisse à supposer qu’au-delà du renversement de la tendance des volumes, la tendance des valeurs a continué sa marche ascendante.

124Ce remarquable aveu de la part de fonctionnaires, dirons-nous, chargés de l’application de la loi, est accompagné d’une explication, qui est plus qu’une simple excuse. La fraude interne est mise en cause. On s’en est expliqué, déjà87. Les officiers, enfin, confessent leur impuissance à se faire respecter de la force militaire que représente l'Armada. Parallèlement aux grandes transformations économiques, on devine des transformations sociales analogues..., la dévaluation des officiers, letrados, devant l’aristocratie militaire des capitaines généraux. On notera une concomitance, sans chercher à trancher, une fois de plus, d’un rapport de cause à effet.

125De la fraude, couverte par un retour offensif de l’épée contre la toge, on passe aux « vilains » du système. Les Canariens, Séville, on a vu comment, achève de les étrangler. Les îles et les côtes à l’est de Carthagène, avec leur économie de plantations qui s’organise, en dehors des prises du trafic officiel la chute du trafic, dans cette direction, est symptomatique, Séville les a abandonnées, parce qu’elles représentaient un lieu de moindre rentabilité, mais de ces franges ouvertes, l’empire a été rayé.

1261620 nous place, encore, au paroxysme anti-portugais. Ces Portugais qui ont participé à toutes les attaques pernicieuses menées contre les Indes, en Terre Ferme, au nord du Brésil, leur hase, à travers la Plata, en direction du Potosí, par la route souvent décrite des Andes, à Séville même et à Lisbonne, d’où ils contrôlent le commerce négrier et jettent des tentacules contre l'avería. En 1620, le Consulat, a réussi à écarter, une fois de plus, les prétentions réitérées de Juan Nuñez Correa.

3. L’économie de plantations

127Enfin, 1620 montre une nouvelle prise de conscience de la Carrière des Indes : la naissance, en dehors d’elle, d’une économie de plantations. La cochenille espagnole — on l’a vu — a périclité88, le tabac, qui croît à la Marguerite et sur la côte de Terre Ferme, échappe à la Carrera89.

128Les plantations ne travaillent pas pour les besoins de l’Espagne. Elles dépassent ces besoins. Elles nécessitent un matériel naval que le commerce du Monopole n’a plus à sa disposition. Un matériel de navires petits, nombreux, mobiles, navigant seuls ou par petits paquets, avec un rythme de rotation plus rapide. Cette économie diffère, radicalement, de l’économie coloniale à composante majeure minière des Indes.

129Fait plus grave : elle fait écran entre les plateaux américains et l’Afrique. Elle intercepte les négriers, d’autant plus aisément que ce sont les mêmes hommes, Portugais et Hollandais90 qui les transportent et les utilisent, que les économies de plantations, en expansion, risquent d’être de rentabilité meilleure que les vieilles économies minières de l’intérieur. L’un portant l’autre, les plantations accélèrent le processus de décroissance — il s’agit plus d’une décroissance relative que d’une décroissance absolue jusqu’en 1630, du moins — dans la mesure où elles entravent l’approvisionnement en « noirs », des mines. Le noir ne joue dans la mine, quantitativement, qu’un rôle minime, qualitativement important, toutefois, comme cadre secondaire.

130Les responsables de la Carrera ont pris conscience, avec irritation, en 1620, de l’expansion d’une économie de plantations nouvelle, d’une économie qui leur échappe, et qui les irrite d’autant plus qu’elle s’étend sur un domaine, théoriquement, le sien.

131Au moment, par conséquent, où le vieil Atlantique des convois immuables, de l’Andalousie, commandé de Séville, alimenté par le métal des mines, bascule et coule, une nouvelle économie appelée à être dominante, moins d’un siècle plus tard, se crée sur le territoire espagnol de l’Amérique, mais en dehors de l’Espagne décadente. On le sait, désormais, à Séville, comme on le sait à Puerto Belo.

132Deux grandes crises, celle de 1609-1613 et celle de 1619-1623, auront raison de l’Atlantique de Séville. En 1609, Séville croit encore à sa résurrection, elle ne comprend pas très bien ce qui lui arrive. En 1619-1620, les jeux sont faits, Séville se sait perdue. Elle sait, en gros, pourquoi. Telle est toute la différence.

4. Cádiz

133Cette nouvelle situation exaspère, encore, les rivalités internes traditionnelles. Séville se sait, non seulement touchée du dehors, mais à l’intérieur même du système, du fait de Cádiz, sa rivale. La Carrière des Indes se prolonge, en renforçant ses archaïsmes mêmes.

134La nouvelle économie coloniale, l’économie des plantations — qui sera la grande aventure des dernières décades du xvii^e siècle et de presque tout le xviii^e siècle — nécessite, sur le plan maritime, beaucoup de navires et une grande capacité de chargement et de transport. Le sucre, voire le tabac, à l’échelle de l’or et de l’argent, qu’est-ce, sinon un pondéreux ? Devant cette évolution, la Carrera réduit ses volumes et se replie sur le seul transport des marchandises les plus chères. Elle se condamne à perdre les trafics nouveaux pour lesquels elle n’était pas faite, mais elle s’applique à se défendre, en renforçant ses archaïsmes.

135Seulement, dans la mesure où le vieil Atlantique de l’Espagne se cantonne plus étroitement dans l’exportation des seuls produits les plus chers, nécessairement étrangers, assumés par des navires rapides et bien défendus donc calant profond, Séville doit décroître et Cádiz s’accroître. De ce processus, l’arrêt à Cádiz, en septembre 162091, au mépris de toute règle, de l'armada y flota de Don Lope de Hoces y Córdoba, constitue un épisode notoire. Tout comme les plaintes et protestations que l’abus, vu de Séville, y a suscitées.

1361620 marque une étape. Là encore. Puisque jusqu’ici, la concurrence de Cádiz s’était cantonnée, surtout, à l’Aller. La faille qui se dessine au Retour montre qu’en 1620, sous cet angle, encore, un tournant est pris.

137L’atmosphère de 1620 est donc celle d’une mutation, d’une crise de structure, d’une prise de conscience aussi. La Carrera sait ce qui lui échappe, s’y résigne presque, accepte virtuellement de se replier sur quelques lignes de force. Elle renforce aussi sa résistance dans le présent et pour un proche avenir — la suite le prouvera bien —, mais elle se ferme les chemins de l’avenir et s’interdit de participer aux prospérités de demain.

HYPOTHÈSES

138Ce qu’il y a d’exceptionnellement significatif dans cette prise de conscience, c'est qu’elle précède de plus d’un an la reprise capitale des hostilités, l’ouverture de cette nouvelle et dernière manche de conflit ibéro-hollandais, dont Charles Ralph Boxer92 vient d’écrire, pour un aspect capital, avec autorité, l’histoire définitive.

139Privé d’explications faciles du dehors, on en est réduit, pour tenter de localiser l’événement de 1620, à s’interroger sur les possibles analogies de l’histoire des prix ibériques. Et l’on retrouve le creux des prix et l’exaspération de l’anomalie des salaires de 161993. Il n’y a rien à ajouter. 1619 et 1620 constituent, en conjoncture, un ensemble parfaitement solidaire. Entre les deux années, des triages se sont faits. L’influence de l’accident des prix de 1619 se comprend mieux sur 1620 qu’elle ne le fait sur 1619, selon nos schémas habituels.

140Mais, ces analogies mises à part, on arrive en 1620 au terme normal d’une période d’expansion très relative. En période de contraction, les années de prospérité relative reculent devant les années de marasme. 1620 n’est peut-être pas autre chose que le terme normal, naturel de la reprise médiocre qui a suivi la grande catastrophe de 1609 à 1613.

141Au-delà de 1620, la crise se précise, lentement, presque imperceptiblement. Les translations volume-valeur en rendent l’appréciation particulièrement difficile. Le passage, dans l’Atlantique, de la guerre couverte à la guerre ouverte contre le Hollandais, va créer, pour la Carrera, une grosse difficulté supplémentaire et favoriser la contraction.

III. — 1621 : NOUVELLES HÉSITATIONS, MAIS LA CRISE SE PRÉCISE

142En 1621, la Trêve de Douze ans est arrivée à expiration. Personne n’aura vraiment songé à la renouveler.

143La reprise des hostilités ouvertes ne se marque pas immédiatement94, par une gêne décisive sur la navigation95. Les pertes, pourtant, s’accroissent : 1622 sera touché, déjà, par la présence de la guerre. La transition en sera d’autant moins brutale, que la paix des années précédentes n’avait été, semble-t-il, tout au plus, qu’une demi-paix. Il n’est pas sûr que la Carrera n’ait vu revenir la guerre ouverte autrement, d’abord, que comme une simplification. Avant de découvrir qu’il s’agissait bien, cette fois, d’une vraie guerre, inexpiable sur mer, à laquelle l’Espagne peut d’autant plus difficilement faire face, qu’elle est empêtrée dans les jeux complexes de la guerre de Trente Ans, dans l’Empire où elle porte à bout de bras les victoires fragiles de la Contre-Réforme.

144Par rapport à 1620, 1621 marque un palier sur le mouvement en volume et un fléchissement, par contre, des valeurs. On a l’impression d’un marasme qui gagne de son propre mouvement, sans intervention du dehors. Le rythme de la décroissance ne se précisera qu’après, au-delà de 1621, ou 1622 et 1623, avec l’entrée en ligne de compte de la guerre.

LA LEÇON DES CHIFFRES

145C’est donc d’un arrêt dans la récession que les chiffres donnent, d’abord, l’impression trompeuse.

1. Allers

146En Allers, par exemple, de 99 à 116 navires, il y a, sur le mouvement unitaire, remontée de tout le chemin descendu de 1619 à 1620, avec un décrochement positif de 16,6 %. Le fléchissement qui se précise, par contre, du tonnage unitaire empêche qu’il en aille de même pour les tonnages. Après une descente de 23 408,5 toneladas à 21 594 toneladas (de 28 090,2 tonneaux à 25 912,8 tonneaux), de 1619 à 1620, la reprise de 1620 à 1621, de 21 594 à 22 295 toneladas, de 25 912,8 à 26 754 tonneaux n’est qu’une reprise partielle, de 3,25 %. Dans le même temps, en effet, il y a eu tassement du tonnage unitaire, de 203,53, 218,12 toneladas, en 1619 et 162096 à 192 toneladas. Par rapport à la tendance majeure dégagée par la moyenne mobile médiane de treize ans97, on passe de 97,89 % à 100,23 %. Cette très légère variation est due, essentiellement, à une poussée à contre-courant des Canariens et surtout des négriers, un accident, ici, sur une série normalement descendante.

147Le fait le plus important à retenir est, peut-être, la baisse du tonnage uni taire. Elle est indépendante, en effet, des fluctuations des séries canariennes et négrières. Elle affecte, et cela seul est important, les axes essentiels des navires marchands de Séville et de Cádiz. Dans la catégorie des navires marchands de Séville, il y a eu recul, de 1619 à 1621, de 291,47 toneladas en 1619, à 238,58 toneladas en 1620 et 210,69 toneladas en 1621. Pour l’ensemble sévillan-caditain, le recul global du tonnage unitaire moyen s’effectue parallèlement depuis le niveau 318,28 toneladas en 1619, à 257,12 toneladas en 1620 et à 228,5 toneladas en 1621 (avec 56 navires et 12 792 toneladas).

148Ce repli traduit en l’occurrence les grosses difficultés du trafic. Le rythme de rotation des gros navires est, on a vu pourquoi, plus directement affecté par la récession des échanges que ne le sont les petits navires98. Ce mouvement de recul sans lendemain paraît d’autant plus probant qu’il va à l’inverse d’une évolution générale qui, à travers un siècle et demi d’histoire aboutissait à un sextuplement en gros, de la taille des navires en usage dans l’Atlantique du Monopole. Il ne peut être qu’un signe incontestable de marasme. La chute du tonnage unitaire est particulièrement sensible99 sur la flotte de Terre Ferme de Juan Flores de Rabanal. De plus en plus, en effet, l’évolution se précise, depuis que le départ de la flotte de Terre Ferme s’effectue régulièrement en même temps que celui de l'Armada de la Guardia, la flotte de Terre Ferme tend à n’être plus composée que de tout petits bateaux : 5 navires de Séville, seulement, destinés à l’isthme, de 345 toneladas, 240, 230, 219 et 185 toneladas100, une seule nave de Cádiz, de 650 toneladas101, il est vrai. Tout cela, malgré une adjonction importante de petits navires destinés aux petits ports de la Terre Ferme, ne fait guère qu’une caricature de flotte. On ne peut pas douter que les gros navires ont été tenus à l’écart.

2. Retours

149A partir de 1621, le mouvement Retours, en volume, se désolidarise de plus en plus des Allers. Le rapport Allers-Retours le montre clairement, puisque le pourcentage des Retours aux globaux102 passe en tonnage de 46,30 % en 1620, à 44,50 % en 1621 et 36,05 % en 1622. De 1621 à 1622, quand le mouvement Allers s’accroît en volume, le mouvement Retours se tasse légèrement de 67 à 61 unités, de 18 614,5 à 17 875 toneladas (de 22 337,4 tonneaux à 21450 tonneaux), respectivement de 9 % et 4 %. Il y a donc présomption d’accroissement du tonnage unitaire de 274,8 toneladas à 293,03 toneladas. Par rapport à 1620103 l’écart déjà très fort des tonnages unitaires s’accroît encore (1620, Allers, 218,12 toneladas ; Retours, 277,83 toneladas) il est, désormais, de l’ordre de 100 toneladas (1621, Allers, 192 toneladas, Retours, 293,03 toneladas). Ce qui prouve, au terme de cette période de contraction et de désinvestissement dans le domaine de l’armement, l’importance des navires qui vont finir dans les chantiers de démolition des Indes. Cet écart, par conséquent, peut-être, en l’occurrence, porté au compte, aussi, des difficultés conjoncturelles du moment.

150Par rapport à la tendance fléchissante du trafic volumétrique Retours, le fléchissement.de 1620 à 1621 est peu marqué, de 103,9 % à 101,8 %104.

151La situation se complique, car il semble que le fléchissement des Retours soit limité aux volumes, tandis que les valeurs font preuve d’une grande indépendance. Indépendance par rapport au mouvement Retours volumétrique, indépendance par rapport aux Allers, puisqu’il y a accroissement des valeurs Retours, d’une manière sûre, de 1620 à 1623105, de 3 502 millions à 5 616 millions. Cette distorsion est d’autant moins surprenante qu’on sait le rôle, en Retours, des métaux précieux. Il n’y a pas, nécessairement, relation, dans ces conditions, entre les volumes et les valeurs. Il n’est même pas surprenant que l’indépendance entre les deux mouvements aille jusqu’à la corrélation inverse. En effet, ce que les valeurs des Retours répercutent, entre 1621 et 1623, ce sont les points hauts des volumes à l’Aller de 1615 à 1619. Et ce sont ces trésors qui, à leur tour, contribuent à la reprise des Allers, au début du cycle suivant.

3. Allers et retours

152Sur les globaux, les pistes se brouillent. Il y a palier des volumes de 40 208,5 toneladas à 40 170 toneladas de 1620 à 1621, de 48 250,8 tonneaux à 48 204 tonneaux. A l’échelle de la précision de nos mesures, on peut considérer qu’il y a égalité. Sur le mouvement unitaire, par contre, en raison du fléchissement du tonnage unitaire, il y a progression apparente de onze navires de 166 navires à 177 unités, un progrès apparent de 7 % dû simplement au glissement du tonnage unitaire de 242,2 toneladas en 1619 et 1620 à 226,9 toneladas en 1621. Ce fléchissement du tonnage unitaire moyen exprime des difficultés conjoncturelles qui se traduisent, ici, par une immobilisation relativement plus grande des plus gros navires et leur non-remplacement. Pour renverser la tendance et renouer avec l’expansion « structurelle », en quelque sorte, du tonnage unitaire, il faut attendre la reprise officielle des hostilités. La guerre prouvera l'intérêt que présentent, dans la stratégie espagnole, les plus navires. Par rapport à la tendance moyenne, il n’en résulte aucune modification : de 100,58 à 100,99 %106.

153Ce palier des volumes est aussi un palier des valeurs107.

4. Valeurs

154Entre 1620 et 1621, s’effectue, à une moindre échelle, la permutation déjà notée entre 1618 et 1619. Entre 1620 et 1621, il y a recul du mouvement Allers en valeur, ce qui tendrait à impliquer que la porte a été plus largement ouverte à des marchandises moins denses. Ce fléchissement des valeurs n’est pas surprenant, il correspond, en gros, de 1226,5 à 1 003,6 millions, à un fléchissement correspondant des volumes sur les deux axes qui donnent le ton : les navires marchands de Séville et de Càdiz. Une légère remontée des valeurs au Retour de 3 502 à 3 625 millions ne compense pas, sur l’ensemble du mouvement-valeur, le tassement des Allers.

155On se trouve bien, par conséquent, en présence d’une contraction qui se poursuit.

LES CONFIRMATIONS LATÉRALES

156Les présomptions, en faveur de la poursuite de la contraction, ne manquent

1. La ventilation du mouvement à l’intérieur du complexe portuaire108

157On ne peut tirer argument de la légère poussée canarienne et de la remontée des négriers. Ce sont là des convulsions à trop court terme et trop à contre-courant, pour qu’elles aient une véritable portée109. Tout au plus, on observera que cette poussée colatérale tend à masquer sur l’axe central un fléchissement qui est évident.

158Dans le même ordre d’idée, la montée de l’ensemble armada. De 9 à 11 unité.-, de 3 330 à 5 013 toneladas, même défalcation faite de l’expédition de peuplement de Maldonado Saavedra110 (3 navires, S13 toneladas), la marge de décrochement des navires d'armada reste substantielle, en tonnage, de 3 830 à 4 465 toneladas.

159Sur les navires marchands soit de Séville, soit de l’ensemble dominant, Séville-Cádiz, il y a donc recul — du même ordre que le recul, à l’Aller, des valeurs.

160De 50 à 47 navires, de 11 929 à 9 902 toneladas, le repli serait de 17 %. Malgré l’action contrariante de Cádiz, il reste important sur l’ensemble Séville-Cádiz : de 14 004,5 toneladas en 1619, 14 399 toneladas en 1620, à 12 792 toneladas, avec le même nombre de navires en 1620 et en 1621, il est encore de l’ordre de 11,16 %. Le recul du mouvement en valeur, en Allers, on l’a vu111. de 1 226,5 millions à 1 003,6 millions, était de l’ordre de 19 %. On retrouve, quoiqu’il en soit, des ordres de grandeur analogues, bien que la fluctuation des valeurs reproduise, en l’accentuant, celle des volumes.

161Le repli se trouve, en quelque sorte, aggravé par le fléchissement du tonnage unitaire. Pour le seul axe des navires marchands de Séville, par exemple, il y a glissement de 291,47 toneladas en 1619 à 238,50 toneladas en 1620 et 210,67 toneladas en 1621. Pour l’axe combiné de Séville et de Cádiz, la chute est du même ordre, de 318,28 toneladas en 1619 à 257,12 toneladas en 1620 et 228,4 toneladas en 1621. Ce repli du tonnage unitaire112, au terme d’une longue période de renouvellement insuffisant des navires et de désinvestissement dans le secteur de l’armement, exprime, à sa manière, un grave malaise conjoncturel.

2. Répartition entre les grands secteurs géographiques

162Là encore, le malaise se précise.

163Le fléchissement tend à se préciser, en direction de la Nouvelle Espagne : de 47 à 53 navires, certes, mais en raison de la poussée canarienne et négrière. La flotte de Fernando de Sousa113 proprement dite se réduit à fort peu de choses : douze navires, seulement, partent de Séville et de Cádiz pour la Vera Cruz. Il est vrai qu’il y a là quelques grosses naves, à la différence de la flotte de Terre Ferme, réduite à une véritable poussière. Au total, avec toute la prolifération parallèle, de 10 629 à 10 415 toneladas, il y a tassement du tonnage, ou du moins, présomption d’égalité. Même recul en valeur, si on suit les leçons de l'amojarifazgo, mais plus accentué (à la Vera Cruz, chute de 470,4 millions en 1619 à 316,5 millions en 1620 et 257,9 en 1621). Un recul aussi sensible, sur un espace aussi important, ne peut être pris à la légère, d’autant plus qu’il se poursuit très au-delà, en valeur, jusqu’en 1624-1625114, sur une route jalonnée depuis les 470,4, 316,5, 257,9 millions de 1619 à 1621, par les 236, 171,4, 156,9 et 159,4 millions de 1622, 1623, 1624 et 1625.

164Pour les îles, aucune modification qui vaille d’être signalée, on s’est définitivement installé sur un plateau bas, même si on note d’imperceptibles soubresauts : de 16 à 18 unités, de 2 155 à 2 229 toneladas.

165C’est la Terre Ferme115, par contre, qui doit retenir l’attention. L’évolution apparente des directions fondamentales masque vraisemblablement, ici, les mouvements profonds.

166De 36 à 44 navires, de 8 810 à 9 651 toneladas, il y a marche en avant. Mais elle est due au jeu du mouvement d'armada (de 3 830 à 5 013 toneladas116). Compte non tenu des armadas, il y aurait, au contraire, repli en tonnage, du moins, de 4 980 à 4 638 toneladas, sinon sur le mouvement unitaire qui évolue de 28 à 33 unités, à contre-courant. Compte non tenu des navires d'armada, il y a non seulement fléchissement du tonnage global, mais plus significatif, peut être, encore, fléchissement du tonnage unitaire, de 177,8 à 140,5 toneladas. On peut contester, bien sûr, une comparaison qui ne fait pas entrer l'Armada de la Guardia en ligne de compte. Il est logique, par contre, d’éliminer l'armada exceptionnelle de secours au Darien117 et dans ces conditions, le dénivellement se trouve, de toute manière, réduit, de 36 à 41 unités, de 8 810 à 9 103 toneladas.

167Trois facteurs, au moins, militent en faveur d’une présomption de contraction sur la Terre Ferme. La part beaucoup plus grande du tissu d'armada dans le mouvement, le caractère particulièrement défectueux de la flotte de Juan Flores de Rabana118, une présomption de fléchissement des valeurs. Ce dernier point, seulement, mérite quelques éclaircissements supplémentaires. Bien qu’on ne possède pas pour cette période l’almojarifazgo de Puerto Belo119, le simple rapprochement, selon une méthode déjà utilisée120, de l'avería et de l’almojarifazgo de la Vera Cruz, laisse à penser qu’après le répit de 1620, il y a eu, à nouveau, tassement en direction de la Terre Ferme.

3. Signes de marasme

168C'est en direction de la Terre Ferme, d’ailleurs, que se manifeste, dès l’extrême fin de 1620, des signes tangibles de difficultés. Une extrême confusion aura régné, au cours des préparatifs de convoi de la Terre Ferme121, comme le prouve, d’ailleurs, la date extrêmement tardive de départ, le 1^er mai, seulement de Cádiz. On aura remarqué, également, l’extrême médiocrité de l’ensemble, dominé, ce qui n’est pas sain, par une armada brutalement gonflée.

169Conséquence de ce premier départ tardif et conséquence, aussi, des difficultés propres à l’année, le départ non moins tardif, le 4 juillet 1621, de la flotte de Nouvelle Espagne, Fernando de Sousa122.

170Au Retour, depuis plusieurs années, un nouveau système tend à s’instaurer. Celui des deux convois, au lieu du convoi unique. La flotte de Nouvelle Espagne123 revient, d’abord, mais après avoir laissé ses trésors à la Havane. Ceux-ci reviennent, ensuite, avec la flotte de Terre Ferme, sous la protection et dans les coffres des galions. Ce serait une erreur d’imputer le système à la guerre. Ne précède-t-il pas la reprise des hostilités ? En fait, il est lié au système du départ combiné de la flotte de Terre Ferme et de l'Armada. Le rythme de l'Armada est un rythme le plus souvent annuel. On a tendance à forcer les cadences, ici, par raison d’économie. Celui de la flotte de Nouvelle Espagne se déroule sur deux ans. Il y a toujours deux flottes de Nouvelle Espagne, l’une prête à partir dans le Rio, l’autre en attente aux Indes. Le procédé permet, ainsi, tout en offrant à la flotte de Nouvelle Espagne la perspective d’une navigation à une époque moins risquée, parce que plus avancée au cours de l’année, une meilleure protection des trésors et une protection moins coûteuse. Le retour en deux temps, nous paraît, moins qu’à la guerre, lié à une certaine forme de marasme dans la Carrière des Indes.

HYPOTHÈSES

171La récession n’est pas imputable à la reprise officielle de la guerre. Tout au plus, la perspective de la fin de la Trêve de Douze ans, dont on sait bien qu’elle ne sera pas renouvelée, a-t-elle pesé comme un facteur paralysant.

172Le net accroissement des pertes marque une césure124. Il aura, par ricochet, engendré un malaise, et contribué à creuser le trafic sinon en 1622, du moins en 1623.

173Beaucoup plus qu’à des facteurs extérieurs, même aussi graves que la rupture de la paix et le retour à la guerre une guerre de trente années, sur mer, aussi, — c’est à des facteurs internes qu’il faut attribuer le passage à la dépression.

174Il n’y a pas à justifier la dépression, elle n’est que trop compréhensible125 Il suffit, pour qu’elle se donne libre cours, que les facteurs secondaires contrariants de la reprise cessent de freiner la dépression.

175Or, avant la poussée inflationniste provoquée, en grande partie, par la guerre, aucun élément décisif ne vient plus masquer les effets dépressifs décrits jadis126, En période de marasme, comme on l’est au cours de ces années, l’expansion cyclique s’use vite. C’est bien le cas, ici. De lui-même le mouvement devait engendrer la crise. Les éléments du dehors vont le renforcer.

IV. — 1622 : LE CREUX DES VOLUMES

176C’est en 1622 et en 1623 que la dépression passe par son point bas qui s’étale largement sur deux ans : en 1622, creux des volumes, en 1623, par contre, creux des valeurs. Le creux des années 1622-1623 correspond, sans doute, à des éléments inhérents à la dynamique même du cycle, mais il a été accentué, également, par une série de facteurs extérieurs liés à la guerre.

LA LEÇON DES CHIFFRES

177La situation de 1622 n’est pas sans présenter quelques analogies superficielles, d’ailleurs, avec celle de 1592127. Là aussi, on avait un point bas sur le mouvement volume qui correspondait à un point haut sur les valeurs. Là, toutefois, s’arrête l’analogie. En 1592, on est à la veille d’une formidable poussée d’expansion, à l’intérieur du goulot d’étranglement constitué par le manque de tonnage. Mais cette insuffisance du tonnage est due, pour l’essentiel, aux ponctions massives que la guerre vient d’exercer sur la Carrera. En 1622, par contre, on arrive aux portes de la grande récession, au terme d’une période de contraction, qui est due non plus à une insuffisance du tonnage, mais bien, à l’origine, à une insuffisance du fret par rapport à la capacité des navires. Au terme toutefois, d’une période de désinvestissement complet dans le domaine de l’armement, en 1622, on est aux abords d’une nouvelle crise de tonnage, d’une certaine gêne, du moins. Cette gêne, à laquelle s’ajoutent les perspectives d’un conflit de longue haleine,... a provoqué, selon toute vraisemblance, un mouvement de triage qui, sans influer sur les volumes, a gonflé les valeurs, et, par contre-coup, en provoquant un effort disproportionné en période de conjoncture basse, a épuisé les possibilités de 1623.

1. Allers

178La dépression est très sensible, tout d’abord, sur le mouvement volumétrique Allers. On passe, en effet, de 1621 à 1622, de 116 à 81 unités, de 22 295 toneladas (26 754 tonneaux) à 18 339 toneladas (22 006,8 tonneaux), soit, respectivement, une chute de 30 à 17,7 % sur le mouvement unitaire et en tonnage, avec atténuation de l’anomalie négative du tonnage unitaire, de 192 toneladas à 226,4 toneladas.

179Cette atténuation de l’anomalie négative du tonnage, cette remontée à un niveau plus normal est due pour beaucoup à une atténuation des marginaux, Canariens, négriers, mais pas uniquement, toutefois, et c’est en cela qu’elle a une signification. Elle affecte, aussi, les axes Séville/Cádiz.

180Pour les seuls navires marchands de Séville, le tonnage unitaire moyen passe, en effet, de 210,69 toneladas en 1621 à 250,45 toneladas en 1622, niveau assez proche, encore qu’un peu supérieur à celui de 1620 soit 238,58 toneladas, en 1619, 293,47 toneladas.

181Pour l’ensemble Séville-Cádiz, le tonnage unitaire remonte de 228,4 toneladas, en 1621 à 274,3 toneladas (46 navires, 12 619 toneladas) ; soit un niveau intermédiaire entre celui de 1619 (318,28 toneladas) et celui de 1620 (257,12 toneladas). Dans la conjoncture présente, cette remontée du tonnage unitaire venant après une lente et régulière pente descendante, loin d’être interprétée comme un signe avant-coureur d’une quelconque reprise, doit être considérée, au contraire, comme un signe du marasme qui se précise : on est obligé de remettre en service les vieux navires qui pourrissaient aux ports, non pas que le fret à transporter se fût accru et qu’il exigeât de plus amples moyens de transport. Bien au contraire, ce recours est commandé par le fait que toute possibilité de triage, au départ, dans le Guadalquivir a, désormais, disparu128.

182Quoi qu’il en soit, et par rapport à la moyenne mobile129, le creux est profondément et vigoureusement accentué de 100,201 % en 1621, à 83,43 % en 1622 et 85,04 % en 1623. Quel que soit l’angle choisi, la dépression est vigoureusement et profondément marquée. En chiffres absolus, le creux de 1622 est le plus profond depuis 1613, en pourcentage à la moyenne, il arrive à égalité avec 1614 (83,23 % en 1622, 82,54 % en 1614).

2. Retours

183C’est en Retour, que l’accident de 1622 est le plus nettement creusé. Tout le mécanisme de la dépression 1622-1623 est marqué par la défaillance des Retours de 1622. Le départ tardif de l'Armada de la Guardia, plus encore, l’usure du matériel130, la crainte que la reprise des hostilités officielles avec les Provinces Unies fait peser, expliquent l’échec des Retours de Terre Ferme en 1622. Cet échec nous paraît responsable, au premier chef, de la défaillance des valeurs de 1623.

184Cette défaillance relative, tout à fait exceptionnelle des Retours, se note très bien par la participation des Retours à l’ensemble Allers et retours annuel131. La proportion 36,05 % ne se retrouve pas de tout le cycle. Elle constitue le point bas relatif des Retours au mouvement global de l’année pour toute la période qui va de 1608 à 1628.

185La chute est, en effet, extrêmement brutale, de 61 navires à 43 unités, de 17 875 à 10 338 toneladas (de 21 450 tonneaux à 12 405 tonneaux), soit, respectivement, 29,5 % sur le mouvement unitaire et 42 % en tonnage, avec un recul considérable du tonnage unitaire de 293,03 toneladas à 240,4 toneladas, entendez un des chiffres les plus bas du cycle.

186Les variations du tonnage unitaire entre 1621 et 1622 représentent une distorsion d’une telle ampleur qu’on ne saurait véritablement en surestimer l’indication. De 218,12 toneladas pour les Allers à 277,83 toneladas pour les Retours en 1620, de 192 toneladas pour les Allers à 293,03 toneladas pour les Retours en 1621, l’écart se réduit brusquement à presque rien en 1622, 226,4 toneladas pour les Allers, 240,4 toneladas pour les Retours.

187Là encore, cette indication doit être prise très au sérieux. Sans doute, la chute du tonnage unitaire des Retours de 1621 à 1622 a pu être influencée, dans une légère mesure, par la non-réapparition de l'Armada de la Guardia et de la flotte de Terre Ferme. Dans une très frêle mesure, seulement. En effet, si l'Armada constitue l’élément, par excellence, des plus gros navires, la flotte de Terre Ferme vient très loin dans ce domaine, derrière la flotte de Nouvelle Espagne qui, elle, participe aux Retours de 1622. La distorsion viendra tout au plus d’une proportion un peu plus forte que de coutume des éléments « sueltos » et avisos132 par rapport aux éléments lourds de la navigation en convois133.

188Cette chute s’explique plus sûrement par la baisse régulière du tonnage unitaire à l’Aller134, qui devait bien finir par se répercuter, un jour, sur le mouvement des Retours. Baisse qui s’est répercutée — et c’est ici qu’intervient la distorsion — au moment où le mécanisme du triage des navires aux Indes n’est plus possible. En 1622, par conséquent, on est passé d’une phase d’excédent de tonnage à une phase d’insuffisance de tonnage ou, si on préfère, pour reprendre une terminologie éprouvée, de la crise de fret à la crise de tonnage. Il serait, peut-être, plus exact de dire, qu’à la première difficulté commence à s’ajouter la seconde difficulté. Voilà encore un signe qu’il faudra reprendre, avec d’autres, d’une esquisse d’une importante modification dans les rapports intimes négoce/armement.

189Par rapport à la tendance majeure, en chiffres relatifs135, tout autant qu’en chiffres absolus, le creux en volume de 1622 constitue bien une défaillance de première grandeur, puisqu’on passe brusquement de 101,8 à 61,9 %.

3. Allers et retours

190Le mouvement global est très sensible au gros accident des Retours. Tout compte fait, il y avait vingt ans environ — la valeur de deux cycles, — que rien de semblable ne s’était produit et que les Retours sensibles à la paix s’étaient soumis à un rythme particulièrement régulier. Il en résulte une grosse défaillance des globaux, Allers et retours, aussi nette, en chiffres absolus que relatifs et qui peut, presque, faire illusion.

191En chiffres absolus, de 177 à 124 unités, de 40 170 toneladas à 28 677 toneladas (de 48 204 tonneaux à 34 412,4 tonneaux), les décrochements respectifs sont de 29,99 % et 28,5 %, avec un tonnage unitaire sensiblement équivalent à celui de 1621, mais de structure très différente, de 226,9 toneladas en 1621 à 231,27 toneladas en 1622.

192Par rapport à la tendance majeure136, il en résulte un glissement sensible 100,99 % à 74,19 %. C’est ce creux des volumes qui se répercute en valeur, l’année suivante en 1623.

4. Valeurs

193Le mouvement-valeur, en effet, autant qu’on puisse le saisir à travers les approximations des impôts ad valorem, — outre la fraude et les marges de tolérance137, il faut tenir compte, aussi, des différences qui peuvent surgir dans les ventilations annuelles, — fait preuve, en 1622, d’une grande indépendance à l’égard des volumes. C’est en Retour que le comportement surprendra le plus138... puisque les trésors de 1622 ne reviennent, effectivement, qu’en 1623. Mais on est en présence, ici, d’un simple artifice de comptabilité. Ce qui vaut pour les Retours, c’est l’ensemble 1622-1623, soit une moyenne annuelle, pour les valeurs fiscales, de l’ordre de cinq milliards trois cents millions de maravedís.

194Pour les Allers, par contre, il n’est pas douteux qu’on est en présence d'une grosse anomalie positive des valeurs de 1 003 642 000 à 1 622 121 266 maravedís139^, une anomalie qui choque d’autant plus qu’elle va à l’encontre des volumes. Le rapprochement que l’on peut faire entre les séries avería au départ et almojarifazgo, à l’arrivée de la Vera Cruz, montre que la poussée de 1622 a été assumée, tout entière, par le trafic en direction de la Terre Ferme. Compte tenu de la réduction des volumes dans le même temps, c’est, pratiquement, au doublement de la valeur unitaire des marchandises exportées d’Europe vers l’Amérique que l’on assiste, entre 1621 et 1622. Tout cela n’empêche pas que, considérées globalement, comme il faut le faire, les deux années 1622-1623 constituent un creux bien dessiné, comme on s’est attaché à le montrer ailleurs140, du mouvement valeur. Il n’y a pas contradiction à parler d’anomalie négative pour l’ensemble de la période 1622-1623 et de forte anomalie positive pour la seule année 1622.

195Cette seconde anomalie s’explique par la formation d’un commencement de goulot d’étranglement du tonnage. On a vu sur quels indices cette conception s’étayait141. Elle s’explique surtout, on inclinerait volontiers à le penser, sur la reprise de l’état de guerre. On peut imaginer que, bien payés pour supposer des difficultés qui ne manqueront certainement pas d’ailleurs de se produire, bientôt, les marchands de Séville ont cherché à faire un effort extraordinaire au cours des derniers mois supposés relativement favorables. De même que des perspectives de paix creusent des trous et provoquent des phénomènes « d’accumulation arrière », osera-t-on écrire, — on l’a bien vu, un peu avant la conclusion de la Trêve de Douze ans, notamment, — des perspectives de guerre (ce qui compte, ici, c’est moins la déclaration officielle que le déclenchement effectif des opérations) provoquent, au contraire, des phénomènes d’accélération et d’anticipation, des phénomènes, devrait-on écrire, d’accumulation avant.

196Telle est la clef, certainement, des graves distorsions du mouvement en 1621, 1622 et 1623.

CARACTÉRISTIQUES DE L’ANNÉE ET CONFIRMATIONS LATÉRALES

1971622 constitue, solidairement avec 1623, le creux cyclique qui sépare la fluctuation 1614-1622 et 1623-1631. Ce creux signifie beaucoup plus encore, puisqu’il marque l’articulation entre le plateau descendant qui prolonge au delà de 1608-1609 la phase A du xvi^e siècle et la phase longue de contraction du xvii^e siècle.

1. L’usure des bateaux

198La principale caractéristique, peut-être, de ces années capitales de fin de crise, c’est l’usure du matériel d’armement qui transparaît de plus en plus clairement.

199La brusque augmentation du tonnage unitaire au départ et le non moins brutal fléchissement au Retour constituent, sans conteste, deux indices convergents. Étant donné ce que l’on a pu constater, en effet, des désirs du négoce, au cours de ce moment cyclique de contraction, la demande tendait vers le petit navire à l’Aller, et le gros bâtiment au Retour. Il en fut ainsi — et de plus en plus, — tant qu’il y a eu possibilité de choix. Or, désormais, tout le laisse à penser, cette possibilité vient à manquer.

200En effet, la politique de désinvestissement dans le secteur de l’armement commence à porter ses fruits. L’expansion du cycle 1614-1622 a été payée, dans une large mesure, on l’a vu — au prix d’un remplacement à 50 % seulement, du stock des navires. Entre les demi-décades 1611-1615, d’une part, 1616-1620, d’autre part, l’âge moyen des navires de la Carrera est passé de 5 ans à 7 ans et demi142. On approche, toutefois, du point de saturation. Il n’y a pratiquement plus guère de possibilités de vieillissement. Il faut, désormais, même pour n’assurer qu’un trafic réduit, remplacer la plus grande partie des navires arrivés à bout de course (la vie d’un navire au service de la Carrera, n’excède pas beaucoup dix années, surtout, quand il y a, comme c’est le cas, en contraction, de longs temps d’arrêt au port). De 1616-1620 à 1621-1625, il n’y a, pratiquement, plus de possibilité de vieillissement de 7 ans, 5 à 7 ans, 9, puis à 8 ans, 4 et 9 ans, 75 en 1626-1630 et 1631-1635143. Au-delà, il y aura même rajeunissement. On peut estimer, tout compte fait — et le brusque renversement de la tendance des tonnages unitaires le prouve, que c’est au tout début de la demi-décade 1621-1625 que se situe l’arrêt des possibilités d’utilisation du stock des navires, par suite de l’épuisement même du stock de ces navires, legs des prospérités saines d’antan.

201Une autre preuve d’épuisement nous est donnée par le rythme des pertes. L’extraordinaire flambée des pertes de 1621 et 1622144 n’est pas due à la guerre. Elle peut être imputable, bien sûr, à un accidentel météorologique qu’il serait ridicule d’écarter.

202Pourtant, l’anomalie des pertes s’étend sur deux ans : 1621 et 1622 (10 navires, 2 627 toneladas en 1621, 6,53 % ; 15 navires, 4 900 toneladas, 17,08 % en 1622). Elle n’est due qu’accessoirement à l’ennemi. Elle arrive au terme d’une longue période de vieillissement et de non-remplacement des navires.

203En 1622, la correspondance de la Casa prouve clairement145 qu’on vient Je prendre conscience des dangers d’une telle politique. Au moment, en effet, où le matériel naval arrive à bout de course, au moment, par conséquent, où une reprise se dessine, sur la demande des chantiers navals, la Carrera se heurte à un goulot technique : la pénurie des matières premières, par suite du blocus hollandais. On a vu, ailleurs, quels en étaient l’ampleur et les ravages. Les retards que subissent, en 1622, les départs des flottes sont dûs, en partie, aussi, à cette usure des navires : l'Armada et la flotte de Terre Ferme ne quittent pas Cádiz avant le 24 avril 1622146, la flotte de Nouvelle Espagne, avant le 7 juillet147. On objectera que l'Armada de 1621 était sortie le 1^er mai seulement148. Passé la mi-avril, le retour dans l’année est chanceux. Le fait qu’il ait été possible, en 1621, ne permet pas de rien augurer en ce qui concerne les possibilités de retour en 1622. On a vu qu’en 1622, le retour de l'Armada n’a pu se faire, malgré un départ de Carthagène des Indes, le 3 août 1622. D’où la désorganisation de la Carrera et son étalement sur deux ans en lourdes vagues.

204A la limite donc, le non-retour de l'Armada et tout ce qu’il comporte, tout ce qu’il porte comme conséquence, sort de l’usure des navires. Cette usure est d’autant plus grave, qu’après avoir laissé dépérir son capital dans un secteur aussi important que celui du stock des navires, l’Espagne, du fait de la guerre avec la Hollande, se trouve dans l’impossibilité de reconstituer ce stock. La crise de l’armement a été d’abord le simple reflet de l’essoufflement du négoce et de l’économie d’échanges à long rayon d’action149, elle a été aussi la conséquence des disparités de prix à l’intérieur de la péninsule ibérique et notamment des disparités matières premières, marchandise/main-d’œuvre (ces disparités sont elles-mêmes l’expression de graves distorsions économiques que nous devinons sans parvenir à la mesurer). Le coût excessif du navire ayant réagi, à son tour, en l’aggravant, sur la crise du négoce.

205En 1622, la Carrera, tout entière, est placée devant des difficultés nouvelles, qui viennent s’ajouter aux difficultés anciennes et provoquent, précisément, la crise de rupture des années 1622-1623. La crise de tonnage rejoint la crise de fret. La lourdeur exceptionnelle des pertes est, à la fois conséquence et cause, puisqu’elle contribue, d’une manière décisive, à la pénurie des navires. Le facteur politique aidant, — le blocus hollandais coupe l’Espagne de son indispensable ravitaillement en matières premières du Nord, — la reprise de la construction gênée, en plus des causes économiques classiques, par des facteurs politiques, la pénurie des navires, arrive au premier plan des prises de conscience de la Carrera.

2. Les articulations du complexe

206Quand on étudie d’une manière plus précise l’organisation interne du mouvement en 1622, on a l’impression d’une crise — fait nouveau et essentiel — qui porte plus sur l’armement que sur le négoce. On comprend, sans en mini miser l’importance, d’ailleurs, le mécanisme de l’anomalie positive des valeur ; à l’Aller. En effet, la chute de tonnage à l’Aller, de 1621 à 1622, n’affecte guère que les éléments marginaux, économiquement de moindre importance.

207Pour l’ensemble Canariens-Négriers150, par exemple, 1622 renoue, par-delà l’anomalie de 1621, avec la pente décroissante depuis le plateau haut, de 1618 1619. On passe, en effet, de 49 unités, 4 490 toneladas en 1621 à 28 unités 2 600 toneladas en 1627, soit un niveau très inférieur non seulement à celui de 1621, ce qui va de soi, mais aussi, ce qui est infiniment plus probant, au niveau de 1620, 35 navires, 3 455 toneladas.

208Il en va de même des armadas. Le niveau de 1623 est intrinsèquement très bas, beaucoup plus bas même qu’il n’apparaît (7 bateaux, 3 120 toneladas), en raison des pertes, deux galions, au moins, totalisant 1 200 toneladas.

209Ce niveau, avec ou sans les pertes, est le plus bas de tout le cycle, le plus bas. même, de toute la période de cinquante ans qui va de 1592 à 1641. La guerre n’intervient donc pas directement, encore, dans la structure de la Carrera. On peut dater cette intervention de la mutation survenue dans la taille de l'Armada, entre 1623 et 1624 (passage entre 4 660 toneladas et 6 228 toneladas). 1624 correspond, d’ailleurs, au début de l’intervention hollandaise au Brésil151. La relation est évidente.

210Quoi qu’il en soit, sur l’ensemble supposé le moins bas du mouvement, négriers, canariens, Armada, l’ampleur du décrochement ne correspond en rien à celui que l’on note sur la série des Allers globaux de près de moitié, de 60 unités et 9 503 toneladas en 1621 à 33 unités et 5 720 toneladas, seulement en 1622.

211Il en résulte une surprise, pour l’ensemble des navires marchands de Séville et pour l’ensemble marchand, Séville plus Cádiz. D’une part, un accroissement du tonnage unitaire152, dans les deux cas, d’autre part, un accroissement du tonnage total, dans les deux cas. L’accroissement du tonnage unitaire moyen masque et au-delà, l’effet de recul du mouvement unitaire. Pour les navires marchands de Séville, on passe, en effet, de 47 navires à 42 navires, de 9 902 toneladas, par contre, à 10 519 toneladas, soit un recul de 10,6 %, d’un côté sur le mouvement unitaire et un progrès de 6,3 % de l’autre, sur la série en tonnage. Pour l’ensemble Séville-Cádiz, le progrès du tonnage uni taire réussit encore sur les tonnages globaux à éliminer pratiquement l’effet de la chute du mouvement unitaire, puisqu’on passe de 56 à 46 navires, mais de 12 792 à 12 619 toneladas, seulement, soit des replis respectifs de 17,8 % et un élément comparable à 1,5 % près.

212Le creux de 1622 est donc un creux d’une nature très particulière. Il donne bien l’impression d’avoir été dicté au négoce du dehors. Le négoce a été contraint à se modifier plutôt qu’à capituler. Plus exactement, il a évité une capitulation au prix d’une modification, d’une de ces métamorphoses passagères auxquelles la Carrière des Indes nous a accoutumés.

3. Géographie « conjoncturelle » des Indes

213A priori, il y a peu à déduire de la ventilation indienne du mouvement.

214a. Iles. — Le tassement en direction des îles (de 18 à 10 navires, de 2 229 toneladas à 1 535 toneladas, respectivement de 44,4 % et 31,13 %) est, à la fois, le plus spectaculaire et le moins important. Il a peu de signification en conjoncture. On sait, en effet, le rôle médiocre des îles dans le commerce des Indes et qu’il s’agit là d’un trafic, depuis de nombreuses années, hors des prises du Monopole.

215b. Nouvelle Espagne. — Beaucoup plus significatif, par contre, ce qui se passe en direction de la Nouvelle Espagne. En tonnage le recul est de l’ordre de 10 % (de 10 415 à 9 470 toneladas), sur le mouvement unitaire, le tassement, par contre, est beaucoup plus considérable, puisqu’il va de 53 à 37 unités. Autant qu’on en puisse juger, ce tassement n’est pas uniquement volumétrique, il existe aussi, en valeur. L'almojarifazgo de la Vera Cruz continue, entre 1621 et 1622, à donner une présomption de tassement de l’ordre d’un peu moins de 10 % de 258 à 236 millions de maravedís153.

216La détérioration du trafic154 avec la Nouvelle Espagne va devenir le trait majeur de la grande récession. De 1612 à 1621, les départs en direction de la Nouvelle Espagne s’étaient tenus, toujours, au-dessus de 10 000 toneladas. En 1622, on tombe, pour la première fois depuis longtemps155, en dessous du niveau des 10 000 toneladas. Ce niveau ne sera jamais plus atteint156. 10 415 toneladas en 1621, 9 470 toneladas en 1622, 6 915 toneladas en 1623... telles sont les étapes d’une descente décisive. 1622 constitue donc, un point de flexion important sur le trafic essentiel avec la Nouvelle Espagne.

217c. Terre Ferme. — Le fléchissement des départs vers la Terre Ferme est plus important en valeurs absolues et relatives qu’il n’apparaît sur la Nouvelle Espagne, de 44 navires à 34 unités, de 9 651 toneladas à 7 334 toneladas, soit des replis respectifs de 22,9 % et 23 %. Mais en apparence seulement, et pour plusieurs raisons.

218Tout d’abord, parce que la défaillance des départs en direction de la Terre Ferme, en 1622 et en 1623, est purement accidentelle —la Terre Ferme étant destinée à prendre, lors de la grande récession, à partir de 1626, le relais de la Nouvelle Espagne en tête du mouvement, comme pour y livrer un suprême combat d’arrière-garde.

219Parce que le décrochement est grossi par la part différente des navires d’Armada dans le trafic de 1621 et de 1622, avec la Terre Ferme. Compte non tenu du trafic d'Armada, le décrochement de 33 unités à 27 navires, de 4 638 à 4 214 toneladas, s’amenuise très considérablement... On pourrait presque parler d’un plan d’égalité.

220Le mouvement valeur intervient, toutefois. La comparaison des séries157 existantes laisse à penser qu’il y a eu, vers la Terre Ferme, malgré un apparent recul des volumes, une montée des valeurs. C’est sur la Terre Ferme, que le triage, que l’on a imaginé entre 1622 et 1623, aura joué à plein. Cette poussée des valeurs vers la Terre Ferme a peut-être été une des raisons, entre autres, du départ tardif de Carthagène des Indes, le 3 août158, seulement et, par conséquent, une des raisons, finalement, de l’échec des Retours.

4. L’échec des Retours

221C’est la grosse question. L’ampleur de la perturbation dépasse largement ce que le découpage annuel des tonnages laisserait à penser.

222En raison des pertes, en raison des retards159, la flotte de Nouvelle Espagne de Fernando de Sousa n’arrive pas à San Lúcar avant le 8 décembre 1622. Elle arrive très éprouvée. Et ce qui est infiniment plus grave, elle arrive sans l’argent160 resté à la Havane. Il y restera jusqu’au printemps 1623 et n’arrivera pas à Séville avant la mi-juin 1623161.

223Ni l'Armada, ni la flotte de Terre Ferme ne sont de retour avant 1623. Les trésors de Terre Ferme, comme ceux de Nouvelle Espagne arriveront en Espagne avec neuf mois pleins de retard.

224D’où tension, d’où dangers, qui portent en eux l’échec complet de 1623.

225Puisqu’en fait, malgré les apparences, le vrai creux cyclique chevauche 1622 et 1623, puisque, malgré les apparences, la vraie reprise du cycle suivant ne se produit pas avant l’extrême fin de 1623 et le tout début de 1624162.