1Dans le cycle précédent, comme dans celui de 1575-1592 la masse de la fluctuation cyclique se découpait en un certain nombre de fluctuations primaires, fortement individualisées. Il n’en va plus de même ici. Une seule chose est certaine : un découpage est utile, mais entre les deux fluctuations, un no man’s land se place à l’intérieur duquel il a fallu se résigner à tailler arbitrairement1. Et pour couper court à toute difficulté d’interprétation, à tout danger de subjectivisme, on a suivi le dessin de la courbe du mouvement global allers et retours en tonnage2.

2Pour médiocre que soit la solution adoptée, – elle ne dispense pas de considérer aussi le cycle dans son unité, comme un vaste plateau au bord raide, qui va de 1615 à 1619-1620 – elle a, du moins, le mérite de laisser deviner une tendance qu’on aurait pu, sans cette solution, laisser échapper.

3Malgré l’ampleur de récupérations des premières années, malgré la solidité apparente de ces succès limités, le cycle 1614-1622 est bien, un cycle de la décadence. Parce que son trafic ne réussit jamais à s’approcher, même d’assez loin, des niveaux atteints, lors des précédentes années d’expansion cyclique et parce qu’on y décèle, surtout, de graves dissymétries. La moyenne annuelle des allers, de 1614 à 1618, est de 103 navires et 22 835,8 toneladas, de 1619 à 1622, elle n’est plus que de 102,5 unités et 21 409,1 toneladas, les moyennes du cycle suivant 1623-1631, 73,8 navires, 20 547,3 toneladas. La décroissance est lente, mais indiscutable. En retours, dans les mêmes conditions, 68,5 unités, et 17 778,7 toneladas de 1614 à 1618, 59,75 unités te 16421,875 toneladas de 1619 à 1622 entre les moyennes annuelles cycliques de 78 unités, 20 155,5 toneladas (1605-1613) et de 52 unités, 15 755,8 toneladas (1623-1631). En Allers et retours, 171,6 unités, 40 394,5 toneladas (1614-1618), 162,25 unités, 37 831 toneladas (1619-1622), entre des moyennes cycliques de 179,1 unités, 43 348,5 toneladas (1605-1613), 125,8 unités, 36 303,2 toneladas (1623-1631).

4Le découpage interne du cycle révèle encore un autre signe de décroissance, la dissymétrie des deux fluctuations. La première fluctuation comprend, en gros, deux années d’expansion, deux années de plateau légèrement ascendant, une seule année de franche contraction. La seconde fluctuation (1619-1622) est tout autre, une année d’expansion, trois de contraction. Preuve supplémentaire, s’il était besoin, d’un cycle déjà saisi par l’implacable dialectique de la décroissance.

I. — LA PÉRIODE ASCENDANTE (1614-1615)

5En deux ans, tout ce qui était récupérable, à très peu de choses près, sera récupéré. En 1615, on pouvait attendre de nouveaux succès. Mais la montée s’arrête et sur cinq ans, s’essouffle. Après ce sera la défaite. 1614 et 1615 ont, peut-être, été, dans l’histoire de la Carrière des Indes, des années de dupes.

1614 : UNE ANNÉE DE REPRISE NUANCÉE

6De 1611 à 1613, on l’a vu, la Carrera est au fond de l’abîme3. En 1613, surtout. Frappée comme d’inhibition, face à une crise qui, manifestement, encore qu’elle l’ait crainte à l’avance et, dans certains secteurs, prévue, la surprend. Elle surprend, surtout, par son ampleur et sa durée.

7Il était impossible, pourtant, d’en rester là. En raison, notamment, de l’énorme matériel naval qui encombrait le Guadalquivir et pesait, fatalement, sur le prix du fret. Depuis 1609, on a vu comment4, la persistance de l’anomalie positive des Retours tendait à créer, pour le négoce, face à l’armement, une situation exceptionnellement favorable. Facilités dangereuses à long terme, mais, à court terme, facilités. Nous avons démonté5 les mécanismes du volant des navires et de la phase unique de désinvestissement qui va s’ouvrir. Le processus est commencé, en 1614. Nous en avons deux preuves, au moins. Une insolite divergence entre le Consulat et la Casa, à propos du volume de la flotte de Nouvelle Espagne, des conflits entre armateurs et les reflets qui nous en parviennent à l’intérieur du conflit second qui oppose leur organe représentatif, la Universidad de Mareantes, à la Casa de la Contratación6. Tous ces facteurs vont entraîner une reprise encore hésitante, toute pleine des échos de la crise destructrice des années passées. Une reprise, on hésite, d’ailleurs, à écrire le mot, il serait plus exact de parler, peut-être, d’un simple coup de frein dans la débâcle.

1. La leçon des chiffres

8Un simple coup d’œil sur les séries du mouvement global induirait à conclure à une reprise, en réalité, extrêmement discutable, ou du moins, à une reprise qui n’est défendable qu’à la condition de se placer dans la perspective des années à venir. Tout dépend, en effet, du terme de référence qu’on aura choisi. Il est certain que, vus avec quelque recul, les Allers donnent l’impression d’une marche ascendante prématurément stoppée, de 1614 à 1615. Il en va de même en Retours, avec plus de repentirs et un décalage normal d’un an, par rapport aux Allers et sur la série des Allers et retours, calqué sur les Allers, qui donnent le ton de 1613 à 1615.

9a. Allers. — Le niveau du mouvement Allers en 1614, 93 navires, 20 046 toneladas (24 055,2 tonneaux)7, se situe à mi-chemin, entre 1613 et le sommet temporaire de 1615, soit un décrochement, par rapport à 1613, de 38,8 % (mouvement unitaire) et de 31,5 % (mouvement en tonnage). Le mouvement est accompagné d’un certain tassement du tonnage unitaire8 de 227,7 toneladas à 215,5 toneladas, soit un tonnage assez proche du niveau de 1611 (206,7 toneladas). Depuis 1612, il y a donc, dans l’ensemble, tendance à la décrue du tonnage unitaire.

10Cette tendance vient s’incorporer dans un mouvement général. Le tonnage unitaire moyen des Allers s’établit, en effet, de la manière suivante : 233,5 toneladas lors de la fluctuation 1600-1604, 243,14 toneladas de 1605 à 1607, 220,77 toneladas de 1608 à 1611, 239 toneladas de 1612 à 1613, 221,7 toneladas de 1614 à 1618, 208,86 toneladas de 1619 à 1622. On peut hésiter à lui attribuer une trop grande signification. En fait, le fléchissement, de 1608 à 1611, est un fléchissement de prospérité, à un moment où une certaine tension s’est quand même exercée sur l’armement, à une époque où la prospérité a contraint, à un large recours aux « marginaux » du trafic. De 1614 à 1622, période de désinvestissement dans le domaine de l’armement, on a vu comment et pourquoi9, il semble — mais la base de l’assertion est assez mince — que le non-remplacement ait, plus particulièrement, porté sur les plus gros navires. Plus tard, après 1630, la tradition sera renouée et la tendance au gonflement du tonnage ira s’affermissant. Cette longue contrepente, sur plus de dix ans, sur laquelle 1614 est placée, n’est certainement pas le fait du hasard. L’élimination très relative des gros navires est, peut-être, un réflexe devant la crise. On hésite d’abord à charger de trop grosses masses. Simple hypothèse qu’il était bon d’invoquer.

11La position de 1614 par rapport à la moyenne mobile se rapproche de la normale, sans l’atteindre, de 65,619 % par rapport à la moyenne en 1619 à 82,54 % en 1615.

12Mais le terme de référence est médiocre. On peut et doit le récuser. Pas trop vite, pourtant10.

13b. Retours. — Il y a croissance, également, des Retours, moindre que celle des Allers. C’est la première fois depuis 1610 que le mouvement Retours n’épouse pas exactement la marche du mouvement des Allers11, puisque la part des Retours aux globaux en tonnage de 49,88 %, 50,01 %, 48,53 % et 51,90 %, tombe à 46,20 %, définition beaucoup plus normale que les définitions antérieures.

14Et pourtant, cet apparent recul relatif du mouvement des Retours se solde, au contraire, par une avance de fait. Les Retours de 1614 correspondent, en effet, au creux extrême des Allers de 1613 : il convient d’aligner leurs 72 navires, 17 212 toneladas (20 654,4 tonneaux) 12 face aux 67 navires, 15 257 toneladas des Allers de 1613. Cette anomalie n’est pas due tant à un épuisement des stocks de navires de la Carrera restés aux Indes, — il n’en reste pratiquement plus et l’activité des chantiers créoles ne donne pas encore à plein, — qu’au rythme particulièrement rapide de la flotte de Terre Ferme de Don Lope Diez de Armendariz13, parfaitement solidaire de l'Armada de la Guardia, qui tend, désormais, à l’absorber. Quoi qu’il en soit, 1614 représente, en quelque sorte, par rapport aux Allers, le point culminant relatif réel du mouvement Retours.

15Par rapport à 1613, d’ailleurs, on observera un progrès non négligeable. De 67 à 72 navires, de 16 463 toneladas à 17 212 toneladas, de 8 % (mouvement unitaire) et de 4 % (tonnage), avec un très léger fléchissement du tonnage unitaire, de 245,7 toneladas à 237,9 toneladas, qui reproduit, en l’atténuant, comme il est naturel, l’évolution du tonnage unitaire Allers, de 1612 à 1613, de 246,9 toneladas à 227,7 toneladas. Reporté à la moyenne, l’écart reste perceptible14, de 88,49 % à 90,06 %. La comparaison de ces pourcentages à ceux correspondants des Allers, 65,62 % et 82,54 %, corroborera l’impression qu’on a déjà eue, par ailleurs, d’un creux cyclique moins marqué sur les Retours que sur les Allers.

16c. Allers et retours. — Par rapport à 1613, il y aura, naturellement, progrès des chiffres globaux et recul du tonnage unitaire. De 134 à 165 unités, progrès de 23,13 %, de 31 720 toneladas (38 064 tonneaux) à 37 258 toneladas (44 709,6 tonneaux), progrès de 17,4 %. Le tonnage unitaire passe de 241,02 toneladas en 1612 et 236,7, en 1613, à 225,6 en 1614. On est bien sur la ligne légèrement déclive soulignée, tout à l’heure15. Par rapport à la moyenne, le creux s’atténue, sans disparaître, de 73,81 à 83,93 %. L’écart est faible, il ne faut oublier, en effet, que le renversement de la tendance séculaire s’ajoute ici, à la contraction cyclique. 1614 ne constitue-t-il pas, sur la moyenne mobile de treize ans, le point de rebroussement, le point culminant de la rupture de pente16 ?

2. L’interprétation des chiffres

17À suivre, trop fidèlement cette première leçon des chiffres globaux, on aura conclu trop rapidement, peut-être, à une esquisse de reprise, en fonction, surtout, des perspectives de 1615. Mais on peut douter de la valeur du terme de référence choisi, en raison, précisément, de la position très particulière, on s’en souvient, de 161317. Le rythme de la flotte de Terre Ferme est, depuis longtemps, biennal. On ne peut guère, de ce chef, tirer argument de la position du mouvement, en 1614, année où il y a flotte de Terre Ferme, par rapport à 1613, qui n’en comporte pas. On se souvient que l’on a tiré parti, plusieurs fois18, d’un tel argument et, notamment, pour dénier à 1612 les apparences du découpage annuel.

18a. Le problème de la flotte de Terre Ferme. — Le problème est d’importance, puisqu’il tend à mettre en cause toute l’interprétation de l’année 1614.

19Que l’on applique, en effet, à 1614, la règle de la biennalité. La comparaison avec 1613 perd tout crédit, seul vaudra le rapport avec 1612 et 1610.

20Aux comparaisons avantageuses suggérées, tout à l’heure, il faudra préférer une ligne19 qui placera 1614 en position difficile : 106 unités et 27 450 toneladas pour 1610, 97 navires et 23 951 toneladas pour 1612, 93 navires et 20046 toneladas pour 1614. Toutes les comparaisons que l’on sera tenté de faire, à l’intérieur des catégories dominantes du complexe portuaire andalou canarien20, conduiront à des conclusions comparables. Pour les navires marchands de Séville, on a une orientation descendante de 60 navires, 17 710 toneladas, en 1610, 63 navires, mais 15 081 toneladas seulement en 1612,48 unités, 12 868 toneladas, enfin, seulement en 1614. Pour les caditains, on aura respectivement, 7 navires et 2 810 toneladas, 9 navires et 3 230 toneladas, 7 navires et 2 360 toneladas. Beaucoup plus probant, l’ensemble marchand sévillan-caditain suivant : 67 navires et 19 520 toneladas, 72 navires et 18 311 toneladas, et seulement 55 navires et 15 678 toneladas en 1614. De cette confrontation, on conclurait aisément à un déclin. Il faudrait, ainsi, malgré les apparences du découpage annuel, prolonger d’un an la dépression qui suit la spectaculaire crise commencée, à l’automne 1609, par le krach du marché de la Vera Cruz et mettre en 1614 le fond d’une dépression que d’autres raisons conduisaient à situer en 1613.

21Une fois de plus, la vérité sera moins simple, plus proche, vraisemblablement, de la première solution — la comparaison avec 1613 — que de la seconde — la comparaison le long de l’axe 1610-1612-1614.

22La structure de la flotte de Terre Ferme de Don Lope Diez de Armendariz fournit la réponse. En effet, entre le cycle 1605-1613 et le cycle 1614-1622, une importante modification est intervenue, sans crier gare, dans l’organisation des communications avec la Terre Ferme. On a vu comment avait prévalu, au cours du cycle de tous les records21 un système de flotte biennale entre l’Espagne et la Terre Ferme, tempéré par l’annualité d’une Armada de la Guardia, théoriquement destinée à la défense et aux impératifs des liaisons impériales, en fait, très largement porteuse de cargaisons marchandes.

23En 1614, survient une modification radicale du système22 : effort de rationalisation et d’allègement, grâce à la paix. Une armada officiellement commercialisée par la légalisation, pour les navires de guerre, du transport d’un certain quota de marchandises et une flotte réduite partiront ensemble. Mais armada et petite flotte constitueront, chaque année, un convoi, à peu près homogène.

24Les partisans d’une histoire trop exclusivement juridique crieront à la modification, en profondeur, des conditions de la navigation et du trafic. Mais on sait que la reconnaissance des quota — et par conséquent, l’adjonction, au départ, de registres aux navires de guerre facilitera grandement la tâche de l’historien — ne modifie pas, elle entérine une situation de fait. Une attitude purement critique doit, pourtant, être écartée. Les quota ont été immédiatement submergés. Le niveau de 200 toneladas par galion était caduc bien avant qu’il fût autorisé. Pourtant, la reconnaissance légale du droit de charger sur les navires de guerre allait pratiquement aboutir, grâce aux paresses de la paix, à la disparition du navire de guerre, en tant que force militaire. La paix aidant, le processus ira se développant, puis, par le jeu de l’habitude, il se poursuivra, la guerre revenue. Au bout de la pente, il y a Matanzas23, la première grande défaite, en haute mer, de feu l'Invincible Armada de la Carrière des Indes.

25Économiquement, sans conteste, la solution est avantageuse. Elle évite des à-coups dans l’approvisionnement de la Terre Ferme, qui furent si pernicieux pour Séville dans cet important secteur de son empire ; elle diminue les frais des communications impériales et de la défense, en la supprimant, il est vrai.

26Le système de l'armada et de la petite flotte accolées fonctionne en 161424, en 1615, on a deux convois autonomes25, qui partent à six mois d’intervalle, aux extrémités de l’année utile, l'Armada de la Guardia de Don Lope de Armendariz et la flotte de Diego de Santurze Orozco. En 1616, défaillance de la flotte de Terre Ferme, mais l’expédition de secours au Chili de Juan de Salas y Valdes26 en tient lieu. En 1617, par contre, une flotte de Terre Ferme normale, avec Francisco Barnegas27 en 1613, à nouveau, une armada et une importante flotte de Terre Ferme combinées28 ; même solution mais plus modeste en 1619.

27De tout cela, on peut tirer quelques certitudes. La Terre Ferme bénéficie, désormais, d’un approvisionnement sinon plus important, du moins plus régulier. Malgré résistances et repentirs, Armada de la Guardia et flotte de Terre Ferme perdent beaucoup de leur autonomie réciproque et la différenciation navire de guerre-navire de commerce s’oblitère encore un peu plus. 1614, de ce fait, se trouve, à la fois, au terme d’une période au cours de laquelle la biennalité a prévalu, sur la ligne de la Terre Ferme et au début d’une période, où l’on revient pour longtemps à l’annualité.

28Il en résulte que si la comparaison 1614-1613 n’est pas tout à fait valable, la comparaison 1610,1612, 1614 ne l’est pas plus, à moins d’attribuer à 1614 le volume de la flotte de Terre Ferme de 1615... ce qui reviendrait à placer 1614 en position intermédiaire entre 1612 et 1610, plus proche de 1612 que de 1610.

29Il n’est pas interdit d’attribuer, de ce fait, à 1614, une position en conjoncture, au moins égale, sinon très légèrement supérieure à celle de 1613. On notera, en 1614, malgré sa très large participation au grand marasme de la seconde moitié du cycle de renversement de la tendance, quelques indices timides d’amélioration.

30b. Les grands axes géographiques.

31Toutes les prises que l’on sera tenté de prendre sur le mouvement de 1614 seront marquées de cette grave ambiguïté. Au tout premier chef, l’appréciation du mouvement en direction de la Terre Ferme29.

32Terre Ferme. — 33 navires, 6 630 toneladas, c’est beaucoup par rapport aux 12 unités et 3 470 toneladas de 1613, c’est peu, par rapport aux 33 navires totalisant 9 790 toneladas de 1612. Et pourtant, quand on y réfléchit bien et qu’on rapproche de ce chiffre le niveau de 1615, 35 navires, 9 665 toneladas, on dégagera la présomption d’un léger accroissement, par rapport au niveau le plus bas de 1611-1613, très en dessous, pourtant, des hauteurs de 1608-1610 ; en fait, sans véritable terme de comparaison avec elles.

33La Nouvelle Espagne et les îles. — Là, quelques indices très ténus, d’une reprise qu’on ose, à peine, définir comme telle. Les îles restent très désavantagées, par rapport aux niveaux qu’elles ont réussi à maintenir constamment, de 1608 à 1612. Le trou n’est pas comblé, mais avec les 16 navires, 1981 toneladas entre les 9 navires et 1 525 toneladas de 1613 et les 24 ou 25 navires, 3 141 ou 3 221 toneladas de 1615 ou 1612, on est presque à mi-chemin de le faire.

34Plus symptomatique, encore, l’axe de la Nouvelle Espagne, dont le rôle tant à l’expansion (1608-1609) qu’à la contraction, dans la première phase de la contraction surtout, a été dominant. Ne passe-t-on pas, notamment, entre 1613 et 1614, de 46 à 44 navires, certes, mais ce qui compte de 10 262 à 11 435 toneladas : progrès d’autant plus valable que 1613 est une année à une seule flotte, la flotte de Nouvelle Espagne, tandis que 1614 est une année à deux flottes, soit une flotte réduite de Terre Ferme, en plus de la flotte normale destinée à la Nouvelle Espagne ?

35c. Les équilibres au sein du complexe portuaire30. — On se heurtera aux mêmes ambiguïtés que tout à l’heure, en raison de l’incidence d’un nouveau type de communications avec la Terre Ferme. On pourra retenir, toutefois, comme présomption favorable, le faible pourcentage des marginaux (plus faible qu’en 1613), par rapport aux éléments réputés forts, navires marchands de Séville, de Cádiz et Armada de la Guardia, elle-même, en raison de son ouverture plus large encore que de coutume à la fonction commerciale, en 161431.

36d. Les Valeurs32. — Cette présomption de reprise est largement corroborée par l'avería. L’avería donne, à l’Aller, par rapport à 1613, une présomption d’accroissement de 50 % et par rapport à 1612, encore, de 25 %. Pour les Retours, belle croissance également. Quelle que soit la prudence avec laquelle il faut manier l'avería des Retours, plus encore que celle des Allers, il est certain que l’on assiste en 1614, tant en ce qui concerne le stock des navires, que pour les rentrées de capitaux, à la formation d’un très lourd volant, dont le poids suffira, en 1615, à faire repartir de lui-même le mécanisme de l’expansion cyclique longuement bloqué par la crise de l’automne 1609 et ses séquelles.

37En ce qui concerne l’accroissement présumé des valeurs de 50 % à l’Aller par rapport à 1613, les registres de l'armada conseillent une certaine prudence, puisque une cause de fraude aura été supprimée. Il n’est pas douteux, toutefois, que le rush du chargement sur les galions, à la suite de cette facilité, n’a été que partiellement enregistré par l'avería, si bien que, l’un portant l’autre, on peut accepter l’indication de la série.

38D’autant plus qu’un indice sur lequel on aura l’occasion de revenir, l’accrochage entre le Consulado et la Contratación sur le volume à donner à la flotte de Nouvelle Espagne33 laisse à penser qu’un tri important s’est opéré en faveur des marchandises chères. L’attitude de la Casa ne peut s’expliquer, en effet, que grâce à une forte hostilité manifestée au sein de la Carrera contre l’attitude ultra restrictive des maisons du groupe monopoleur sévillan du Consulado. Il n’en faut pas plus pour ouvrir la porte à des spéculations optimistes quant aux perspectives de la flotte, à un tri, donc, selon un mécanisme que l’on a vu, plusieurs fois, à l’œuvre34, en faveur des marchandises les plus chères.

3. Les éléments qualitatifs. Des éléments de crise et des présomptions de timide reprise

39Les éléments que l’on relève à travers la correspondance de la Casa de la Contratación ne sont pas d’une interprétation commode. Ils disent marasme, tension persistante de la crise et pourtant n’excluent pas quelques éléments de reprise.

40a. Flotte et armada de Terre Ferme. — La nouvelle organisation qui tend à prévaloir dans les relations en direction de la Terre Ferme, par exemple, est sans conteste, le résultat d’un bilan lourdement négatif35. Sans la crise de l’avería qui dure depuis 1609 comme la crise du trafic lui-même, sans l’al légement financier que l’on recherche à tout prix, il est peu probable que les marchands eussent souhaité et plus improbable, qu’ils eussent obtenu des officiers du Roi une telle atteinte à un minimum de protection jugé toujours jusque là, indispensable. Malgré la paix officielle qui n’exclut pas tous les risques. Ni les boucaniers, ni, proche de la côte andalouse, la course musulmane qui connaît en 161436, un formidable regain, de vigueur et d’efficacité. Les pertes sont lourdes en 161437. On sait que la course ouest-maghrébine38 a été, au cours de ces années, en grande partie, réorganisée par des forces chrétiennes du Nord, hollandaises et anglaises, qu’une paix malencontreuse laissait sans emploi. Réduire l’appareil de protection dans de telles circonstances était une imprudence. Les pertes de 1614 et les hésitations des années à venir le prouvent.

41Pourtant cette mesure de simplification, fruit de la crise, n’en est pas moins, une mesure efficace. Une mesure qui va contribuer à un regain non négligeable des communications avec la Terre Ferme39. Il en va, pratiquement, ainsi, de tous les indices relevés dans la correspondance de la Casa de la Contratación, nées d’une atmosphère de crise, elles impliquent le plus souvent une volonté de reprise.

42b. La crise des « parents pauvres ». — Cette reprise, toutefois, n’affecte pas également tous les axes du trafic. Malgré l’indication d’un relèvement substantiel, mais très insuffisant, si on compare le niveau de 1614 avec celui des années 1608-1612, des départs en direction des îles40, la Carrera continue à se désister, pratiquement, sur une part immense de son territoire. C’est la raison pour laquelle la côte de Santa Marta au nord de la Terre Ferme continue régulièrement41 à se plaindre de n’être pas approvisionnée et de n’avoir pas la possibilité matérielle d’écouler ses produits.

43On a vu qu’un pareil isolement, depuis, pratiquement, le milieu du xvi^e siècle et le transfert en direction des plateaux de fort peuplement indien sédentaire du centre de gravité, des Indes de Castille, était endémique, donc structurel. Il n’en est pas moins vrai que ces structures sont particulièrement saillantes, soit, en période d’expansion extrême quand les perspectives énormes des marchés dominants de la Nouvelle Espagne et de l’isthme attirent à eux, à l’exclusion de tout autre secteur, la totalité des forces — armement et négoce — de la Carrière des Indes, soit en période de dépression où la faible rentabilité du trafic et le médiocre dynamisme des gens d’affaires les amènent à ne s’intéresser qu’aux morceaux les meilleurs.

44Les plaintes de Santa Marta sont, d’ailleurs, en écho surtout des années passées. Elles appartiennent, cela va sans dire, à une situation du second type.

45c. Le problème du volume de la flotte de Nouvelle Espagne.

46Les accrochages qui se produisent autour de la formation de la flotte de Nouvelle Espagne, l’élément essentiel du trafic42, expriment bien une situation, finalement, très complexe.

47Crise de fret. — Il y a, tout d’abord, la question du choix des navires. Elle sera, de nombreuses années durant, pendant toute la contraction à long terme et jusqu’à la destruction totale du stock des navires, au centre des préoccupations de la Casa de la Contratación.

48Puisque tous les bateaux ne peuvent être utilisés pour un trafic en voie de rétraction, il faut choisir ceux qui partiront. La loi de l’offre et de la demande ne saurait seule y suffire. Ce n’est ni dans l’esprit d’une époque, ni dans celui du Monopole de Séville. Dans cet ensemble réglé par les lois de la concurrence monopolistique, où des groupes fortement charpentés s’opposent, dans le cadre d’une organisation compliquée et d’une législation aussi tracassière qu’ordinairement inefficace, le choix se fait sous l’arbitrage de la Casa de la Contratación, et en application, en gros, de la règle dite de l’« antigüedad », entendez la queue qu’il faut prendre, après d’interminables attentes destructrices dans le Rio, attentes que l’on voudrait, dans la mesure du possible, répartir en tranches égales, pour tous.

49C’est la première fois, en 1614, que l’on voit s’instaurer, d’une manière aussi franche, ce système de la grande dépression. Il est fatal qu’il s’accompagne, au début surtout, dans sa phase d’installation et de mise en place de quelques flottements et de sérieux conflits. C’est bien ce qui se produit en 1614 et ce qu'on voit à travers le document du 23 avril 1614.

50L’université des gens de mer — réplique, pour l’armement, du Consulat des marchands, pour le négoce — reproche à la Casa de ne pas avoir respecté, toujours, dans ses choix en vue de la composition de la flotte de Don Juan de la Cueva y Mendoza, la règle de la « antigüedad ».

51L’incident est, en fait, porteur de significations multiples. Preuve, s’il en était besoin, que la Carrière des Indes, en pleine crise cyclique, ne travaille pas à son régime. Mais il exprime, aussi, un grave conflit au sein de l’armement. La Casa, dans ses choix, à supposer qu’ils furent dictés par ce qu’elle considérait comme un intérêt supérieur, se sera écartée des désirs de l’Université des Marchands, entendez du groupe du vieil armement à tendance majeure biscayno-cantabrique. Peut-être, a-t-elle préféré des navires étrangers — des naves non biscayennes — des créoles, notamment, il y en a43 — d’où le reproche de défectuosité.

52Le petit conflit de 1614 exprime littérairement, ce que les chiffres ont établi44, l’expulsion de la Carrière des Indes de la construction navale défaillante du nord de l’Espagne. Elle soulève quelques protestations. Faut-il s’en étonner ou s’étonner, plutôt, de la facilité avec laquelle elle se détache comme un fruit mûr ?

53La Casa de la Contratación liée au vieux négoce sévillan par de nombreux liens, que l’on a vus souvent à l’œuvre, n’a pas cherché à défendre l’armement biscayno-cantabrique, comme elle l’a fait de l’antique prépondérance des vieilles maisons andalouses. C’est pourquoi, peut-être, entre autres explications possibles, la défaite des uns a été plus rapide et moins dramatique que celle des autres.

54Les naves médiocres que les officiers de la Contratación auront choisies, ne sont, sans doute, médiocres que parce qu’elles ne sont pas biscayennes. La Casa, sachant la défaillance de la construction de Biscaye, moins liée à elle qu’elle ne l’est au négoce sévillan, aura voulu conserver, à Séville, d’autres sources de navires susceptibles d’assurer la relève de la Cantabrique à bout de souffle. Elle aura visé, sans doute, au moins cher, critère suivant lequel les Biscayens sont, de toute évidence, de plus en plus entravés.

55Reprises et « Malthusianisme ». — Les préparatifs de la flotte de Nouvelle Espagne allaient susciter une autre divergence, de prime abord, plus surprenante puisqu’elle oppose la Casa aux groupes monopoleurs de Séville représentés par le Consulat. Elle oppose deux points de vue, dès janvier 161445, à propos du volume à donner à la flotte de Nouvelle Espagne et c’est le projet fort, celui de la Casa qui finit par l’emporter.

56Il est surprenant de ne pas voir la Casa emboîter le pas au Consulat. Les maisons du vieux fonds sévillan restent fidèles à leur attitude du temps de crise, celle d’une restriction volontaire des volumes en deçà du volume supposé susceptible d’être absorbé par les marchés des Indes : n’est-on pas en période de contraction ? La demande restrictive du Consulado s’accompagne, en outre, d’un autre comportement de crise, l’hostilité active à l’égard des concurrents. Car la demande d’un volume restreint, au départ, comporte, en outre, une élimination autoritaire du négoce créole « mexicain » supposé en rapports étroits avec Cádiz, d’une attitude donc, anti-créole et anti-caditaine.

57Or la Casa, pour une fois, n’emboîte pas tout à fait le pas aux négociants sévillans du Consulat. Preuve qu’elle a, en face d’elle, d’autres forces importantes dont il lui faut tenir compte, et que ces autres forces poussent à la reprise, une reprise que freine de son mieux, les forces traditionnelles du Monopole le plus proprement sévillan, toujours prêtes à remâcher déboires passés et vieilles rancunes. De ces forces nous en avons vu une à l’œuvre, les armateurs de l’université des gens de mer46, désireux de voir augmenter les quota des navires débloqués ; il y a certainement, en outre, au premier chef, les maisons créoles visées par le Consulat, les caditains, peut-être, également. Le vieux Séville est débordé et c’est en fonction de ce dépassement que l’Atlantique renaît. Le mouvement valeur47 prouve que cette renaissance n’est pas une illusion et que l’arbitrage de la Casa de la Contratación était raisonnable.

58d. Fraudes et faillites. — Les deux derniers événements, qui achèvent d’individualiser 1614, sont des séquelles d’une crise gigantesque en voie de cicatrisation lente.

59Un long plaidoyer en faveur des « manifestaciones »48, en faveur, en fait, d’un allégement fiscal. Rien de surprenant : c’est là une vieille histoire49 qui émerge toujours à la crise.

60L'avería montre, néanmoins, que les Retours de 1614 furent particulièrement copieux50. Il est possible, par contre, que Séville n’en bénéficiera que partiellement, en raison des faillites de Martin Ruíz de Vidazaval et d’Estevan de Arze51 et de l’énorme hémorragie de capitaux étrangers que l’événement entraîna. À telle enseigne que l’on envisage même une réorganisation de la profession de Compradores de oro y plata. Sans suite, vraisemblablement.

61Mais les faillites de 1614, — elles se situent avant le retour des flottes et la mise au service de la Carrière des Indes des énormes richesses qu’elles ramènent, se placent sur un plan de liquidation. Si 1614 appartient plus au marasme qu’à une reprise dont on sollicite tout au plus quelques signes avant-coureurs, 1615, par contre, est déjà l’année d’une prospérité partielle restaurée.

1615 : LA REPRISE

62Si, en 1614, les signes de contraction l’emportaient sur ceux de l’expansion, d’une reprise de l’expansion qui n’était encore qu’une promesse d’avenir, la hiérarchie des signes est désormais inversée en 1615, les présomptions de reprise l’emportent sur les séquelles de la crise.

1. La leçon des chiffres

63La leçon des chiffres qu’il faut, comme toujours, écouter, d’abord, est beaucoup plus claire.

64a. Le rapport Allers et Retours. — Pour la première fois, depuis 1609 et dans une certaine mesure même depuis 161052, il y a distorsion importante entre le volume des Allers, nettement en flèche et celui des Retours. La participation des Retours à l’ensemble des globaux Allers et retours passe de 51,90 % en 1613, à 38,13 % en 1615, en passant par les 46,20 % de 1614.

65Ce rapport n’a rien de surprenant, si on songe à l’énorme volant de navires qui s’est constitué, de 1609 à 1614, dans le Guadalquivir53 et dont on a vu encore les effets en 161454, lors des préparatifs de la flotte de Don Juan de la Cueva de Mendoza. En face de cette masse, les départs de 1615 n’ont rien d’excessif, face aux Retours de 1614, la proportion des Allers est normale, 59 % (41 % pour les Retours de 1614, à l’intérieur du complexe Retours de 1614 — Allers de 1615).

66Le retour incontestable à un équilibre normal, pour la première fois depuis six ans, marque une frontière : le passage de la dépression complète à un marasme partiel.

67b. Les Allers. — De 93 navires à 103 navires, de 20 046 toneladas à 24 963 toneladas (de 24 055,2 tonneaux à 29 955,6 tonneaux), la marche en avant continue, de 10,7 % sur le mouvement unitaire, de 24,5 % sur le mouvement en tonnage, avec une reprise du tonnage unitaire, qui, dans le cas présent, est un facteur favorable55 de 215,5 toneladas à 242,36 toneladas. Par rapport à la moyenne mobile, l’expansion relative de 1615 (110,90 % contre 82,54 % en 1614) est la plus importante depuis 161056.

68Or, à la différence de 161457, l’expansion des Allers, en 1615, ne saurait laisser de place au doute, puisqu’elle subsiste, quel que soit le terme de référence. 1615 n’égale pas tout à fait encore les Allers de 1610, dont la structure est identique (2 flottes, l'Armada de la Guardia, des marginaux), (103 navires au lieu de 106 navires, 24 963 toneladas au lieu de 27 450 toneladas.) Ils dépassent largement, par contre, les Allers de 1612, 103 unités au lieu de 97 unités, 24 963 toneladas au lieu de 23 951 toneladas, un décrochement positif de l’ordre de 4 %.

69Progrès, donc, incontestable. Mais la comparaison avec 161258, dont on avait longuement souligné, alors, la médiocrité, à l’intérieur du cycle 1605-1613, montre combien la récupération partielle s’avère encore lente, malgré une accumulation étonnante de facteurs favorables.

70c. Les Retours, — Mais c’est au tour du mouvement Retours, par contre, de céder, en tonnage, uniquement, d’ailleurs : 72 navires en 1614 et 72 en 1615, pas de changement sur le mouvement unitaire, mais ces Retours de 1615 totalisent plus, alors que 15 383 toneladas (18 459,6 tonneaux), au lieu de 17 212 (20 654,4 tonneaux), l’année précédente59, soit un recul de 10,5 %. Ces chiffres sont les plus bas (en tonnage, du moins) depuis 1607. Ils s’accompagnent d’un fléchissement important du tonnage unitaire — qui reproduit le fléchissement du tonnage unitaire des Allers, au cours des années précédentes, — de 245,7 toneladas et 237,9 toneladas en 1613 et 1614 à 213,6 toneladas en 1615. On notera les positions respectives, extrêmement curieuses, des tonnages unitaires en Allers et en Retours, la situation (Allers : 242,36 toneladas, Retours : 213,6 toneladas) est d’autant plus anormale que l’écart, au cours du cycle, dans le sens naturel, le niveau des Retours primant celui des Allers, est d’autant plus fort (moyennes respectives au cours du cycle, Allers, 216,01 toneladas, Retours, 263,71 toneladas). Cette distorsion doit être considérée comme un signe de reprise et de brusque accélération.

71Cette défaillance du tonnage unitaire, au cours des Retours de l’année, est bien notée, face à la moyenne mobile, avec l’écart négatif, le plus important depuis 1607, soit un pourcentage à la moyenne de 80,03 % seulement.

72d. Les Allers et retours. — C’est le mouvement ascensionnel des Allers qui l’emporte, avec 175 navires au lieu de 165 navires, 40 346 toneladas (48 415,2 tonneaux), au lieu de 37 258 toneladas (44 709,6 tonneaux)60, soit un progrès respectif de 6 % (mouvement unitaire) et de 8,25 % (en tonnage), avec un tonnage unitaire moyen sensiblement équivalent : 230,5 toneladas à celui des années précédentes (236,7 en 1613, 225,6 en 1614, 234,4 moyenne du cycle 1614-1622, 235,3, moyenne de la fluctuation 1614-1618).

73Le résultat reste assez médiocre, si on le compare à une moyenne mobile encore très haute (94,24 % au lieu de 83,93 % et 73,81 % au cours des années précédentes)61. Pour rencontrer à l’intérieur du cycle des écarts positifs (1617, 1619, 1620, 1621) il faut attendre que le trend s’abaisse : décrochement le plus rapide se situe sur la moyenne mobile de treize ans entre 1614 et 161762.

74Ce niveau de 40 346 toneladas pourra sembler modeste. Il l’est, en réalité, puisqu’il reste en deçà de la pointe, pourtant médiocre, de 1612 (46 527 toneladas, 193 unités), due, essentiellement, il est vrai, à une poussée des Retours, il l’est plus encore, par rapport aux niveaux records de 1608 à 1610, que l’on ose, à peine, évoquer. Et pourtant, il se situe sur un palier dont le mouvement, pratiquement, ne s’écartera plus, de sept ans, de 1615 à 1621, avec des variations infimes, l’écart qui sépare 1615 (175 navires, 40 495,5 toneladas) est infime, 11,4 % mouvement unitaire, 7,5 % en tonnage.

75L’affirmation de l’expansion réside plus dans la solidité et la durée du médiocre avantage acquis que dans l’importance absolue des masses mises en cause. Malgré la médiocrité de ces masses pourtant, c’est bien l’expansion qui domine.

2. Confirmations latérales

76Le jugement est confirmé par toute une série d’autres prises auxquelles on peut recourir.

77a. Mouvement en valeur. — L'avería Allers accuse une progression de l’ordre de 5 %63 et donne une présomption forte des valeurs des Allers de plus d’un milliard de maravedís. Ce niveau compense largement un glissement des Retours en valeur. Les Retours se maintiennent, d’ailleurs, à un niveau très élevé et le fléchissement tout relatif de 1614 à 1615 se répercutera, mais, plus tard, seulement, sur les Allers.

78b. Le rôle de la Terre Ferme. — Une bonne partie du redressement de la situation s’est faite en direction de la Terre Ferme. Le niveau de 35 navires, 9 665 toneladas, est en progrès de près de 50 %, en tonnage. Progrès, au vrai, non réfutable, puisque 1614, comme 1615, comportait une Armada et une flotte de Terre Ferme.

79On est revenu, pourtant, en 1615, au système traditionnel et la Terre Ferme a bénéficié, en fait, d’une richesse peu commune depuis bien longtemps.

80L'Armada de Don Lope Diez de Armendariz, tout d’abord64 part le 8 avril 1615 : le commerce — on peut, du moins, le penser, après le précédent de l'Armada d’avril 1614, généreusement ouverte au négoce — a dû la mettre largement à contribution. Malgré l'Armada, malgré la petite flotte de Terre Ferme de 1615 une seconde flotte d’automne65 est préparée, sous le commandement de Diego de Santurze Orozco. Elle part tardivement de Cádiz, le 9 novembre de bonne heure, par contre, de San Lúcar, le 4 septembre, à peine plus de deux mois, — rapprochement peu commun — après le départ de la flotte de Nouvelle Espagne de Martin de Vallecilla66. La moyenne, sur deux ans (1614-1615) ou sur trois ans (1614-1616), des départs en direction de la Terre Ferme dépasse tout ce qui avait été atteint dans cette direction depuis 1610.

81Par rapport à un creux dessiné, sur quatre ans, de 1611 à 1614 inclusivement. 1615 marque en direction de la Terre Ferme une articulation accusée.

82c. Nouvelle Espagne et îles. — Pour les îles67, avec 24 unités et 3 141 toneladas au lieu de 16 unités et 1 981 toneladas, l'an précédent, il y a simplement, presque retour à la normale.

83La Nouvelle Espagne — on a dit son rôle de 1600 à 1622 — continue à récupérer, après le choc de 1609. Avec 44 unités et 12 157 toneladas au lieu de 44 unités mais seulement 11 435 toneladas. 1614, on est très proche du point haut de 1616 et pas trop éloigné du point record de 1619 (69 unités, 14 235,5 toneladas). Le niveau de 1615 est le plus élevé dans cette direction depuis 1608 et 1609, certes, il est loin en deçà, car les conditions sont changées, mais reste très appréciable.

84d. Le complexe portuaire68. — 1615, là encore, se trouve en bonne position.

85La réapparition timide (2 navires, 245 toneladas) d’un mouvement négrier différencié n’est pas chose mauvaise en soi. Les Canariens restent constants (entre 20 et 22 navires, 1 688 toneladas et 1 878 toneladas). Les marginaux se sont, globalement, moins accrus que l’ensemble des Allers. Il y a une nette reprise, par contre, de l’Armada de la Guardia69 de 7 et 8 unités, 3 190 et 3 130 toneladas (en 1613 et 1614) à 9 unités et 3 900 toneladas.

86Dans la conjoncture de 1615, c’est un facteur doublement positif. Parce que l'Armada, en 1614, a renforcé sa fonction commerciale. Parce que le renforcement de l'Armada implique, quand même, par rapport à 1614, du moins, un renforcement des marges de défense, que les pressions du dehors rendent utiles.

87Enfin et surtout, les deux grands axes moteurs passent par un point haut : 63 unités, 15 840 toneladas, en 1615, pour les marchands de Séville, 7 navires, 3 100 toneladas, pour les navires marchands de Càdiz, soit, pour chacune de ces deux catégories motrices, les niveaux les plus élevés de tout le cycle 1614-1622... Au total, 70 navires, 18 910 toneladas. Pour trouver des chiffres supérieurs sur cet ensemble essentiel il faut remonter jusqu’en 1608, l’année de tous les records et fait plus probant encore, ce niveau ne sera jamais plus égalé.

3. Éléments qualitatifs

88Et pourtant, malgré des chiffres qui classent l’année 1615 à un niveau très élevé, par rapport à ce qui suit, beaucoup plus que par rapport à ce qui précède, le tableau que l’on peut reconstituer, à travers la correspondance de la Casa de la Contratación70, n’est pas unanimement positif. Il ne pouvait en être autrement, évidemment, étant donné l’importance des séquelles de crise observées en 1614.

89a. Fréquence des départs. — Le facteur positif, par excellence, reste, plus encore, peut-être, que le volume, la fréquence des départs, et l’abandon, pour un moment, du système de l'Armada et de la demi-flotte de Terre Ferme combinées. Trois convois moyens, l'Armada de Lope Diez de Armendariz, le 8 avril 1615, la flotte de Martin de Vallecilla, le 24 juin et la flotte de Diego de Santurze Orozco, le 4 septembre, se succèdent en moins de cinq mois d’intervalle. Une telle situation ne se retrouverait pas avant 1608, avec des masses beaucoup plus considérables, il est vrai.

90b. Les échos de la guerre. — Ces réussites sont d’autant plus méritoires que l’Atlantique espagnol ressent, de plus en plus, les contrecoups de la lutte décisive que les Hollandais, malgré la trêve — on est tenté d’écrire, grâce à la Trêve — livrent aux restes de la puissance ibérique, portugaise surtout, dans l’ensemble de l’océan Indien-Pacifique Sud-Ouest. L’incidence en est double. L’Espagne71, nonobstant les assertions fragiles de l’historiographie portugaise, prélève sur ses forces pour soulager ce royaume associé du Portugal, cet effort — pour dégager l'India portugueza et les Philippines72 — c’est naturellement Séville qui le fait. Les prélèvements de navires ne lui pèsent guère, en cette période de récession du trafic et de sous-emploi du matériel de mer. Il n’en va pas de même des hommes, techniciens de la mer et marins, dont le goulot, de toute manière, eût étranglé l’expansion du trafic, on le verra plus particulièrement, lors des préparatifs73 de la seconde flotte et du troisième convoi de l’année, l'armada y flota du capitaine général Diego de Santurze Orozco74.

91En toute autre période, la crise de marins, que l’on signale comme paralysante, lors des préparatifs du second convoi de Terre Ferme75, aurait été portée à l’actif de l’année, comme une preuve d’expansion. Elle est, d’abord, l’expression de la crise structurelle de main-d’œuvre76, qui est une des causes espagnoles, on l’a vu, du renversement de la tendance majeure des activités77. Elle est, aussi, le signe du plein emploi qui, sur ce point limité, utilisation de la main-d’œuvre maritime, a été réalisée en 1615, grâce à une expansion réduite. On ne saurait mieux mesurer l’amplitude des rétrécissements, dont la Carrera a souffert, au cours des années de crise qu’elle vient de franchir péniblement. Cicatrisée, certes, mais au prix de quelle atrophie ! Les Portugais — seconde incidence, enfin — se replient, de plus en plus, sur l’Atlantique.

92c. Nouvelle politique en faveur de la Terre Ferme. — C’est, sans doute, une des raisons pour lesquelles, le Consulado78, ayant conscience que la Terre Ferme avait cessé d’être, pour Séville, un monopole de fait, sinon de droit, a modifié son attitude à l’égard de son marché. Il accepte, désormais, une petite flotte annuelle, tout en déplorant l’ampleur de la contrebande et des concurrences, dont ce territoire est le théâtre.

93Cette modification d’attitude est lourde de sens. Sa reconnaissance est aussi importante que le changement survenu depuis 1614 dans les faits. Elle prouve qu’en 1615, la Terre Ferme apparaissait, de Séville, comme un marché pour lequel il valait la peine d’accepter de lutter.

94d. Les ennemis de Séville. — Et pourtant, malgré tous ces signes encourageants, quelques graves signes de difficultés subsistent.

95Séville entame, avec une véhémence, qu’on ne lui a jamais connue encore, la lutte contre ses associés du Monopole. S’il en est, ainsi, c’est bien que Séville se sent étreinte par la récession et par une récession qui la touche depuis peu, elle en a pleinement conscience, d’une manière sélective, proportionnellement, beaucoup plus que l’autre partie prenante.

96Ce qui compte, ce n’est pas tant la passe d’armes devenue rituelle avec les Canaries79, mais Cádiz.

97Cádiz, le vieil associé, le vieil adversaire, devient brusquement l’ennemi. Son rôle, au vrai, a crû démesurément, sans rapport avec sa part officiellement reconnue80 — on peut en suivre l’insidieuse marche, avec le temps d’escale, au départ de Cádiz. Le cas de la flotte de Diego de Santurze Orozco81 nous place, avec un séjour de neuf semaines, du 4 septembre au 9 novembre, en présence d’une véritable révolution. Les navires chargent, parfois, l’essentiel, le plus précieux, sans conteste, de leurs cargaisons, ce qui vient de l’étranger, à Cádiz. La paix dans l’Atlantique avec les grandes puissances maritimes du Nord avantage Cádiz plus exposée, l’histoire l’approuvé, aux coups du dehors. La décadence brutale de l’industrie espagnole, aussi, après le renversement de la tendance démographique attestée par l’anomalie relative de la rémunération du travail82.

98Tout cela, le Consulat le dit à sa manière, particularité et passionnée, dans ses véhémentes dénonciations, des collusions du négoce de Cádiz avec le négoce hispano-américain et étranger.

99Cádiz passera, pour un temps, au cœur des préoccupations des milieux d’affaires, dont la Casa de la Contratación se fait, avec délice, l’écho attentif et bienveillant. Signe à la fois d’une grande modification, en structure, preuve de l’élimination de la plus grande part de l’Espagne d’une affaire qui la dépasse. La nouvelle Carrière des Indes, à composante caditaine, canalise et redistribue, suivant les lignes de force du vieil Atlantique, des richesses qui viennent de toute l’Europe et non plus — ou qu’accessoirement — du Royaume de Castille.

1001615, dans ce domaine, constitue une grande date. La date d’une prise de conscience. La prospérité des années qui viennent est, en partie, une prospérité autre. Raison de plus pour nous montrer l’ampleur des modifications structurelles qui auront cheminé à l’ombre de la grande Crise, de la crise capitale, de la crise tendancielle des années 1609-1614.

101La phobie caditaine83 traduit, en outre, la puissance des tensions dans l’Atlantique du Monopole. Tensions et violences, en raison de la crise structurelle qui se déroule à un rythme brusquement accéléré, tensions en raison, aussi, d’une conjoncture meilleure qui accroît avec les désirs, le goût de la lutte — ce goût de la lutte, sans lequel il n’y a pas de progrès, voire, pas de vie — qui s’estompe au creux de la dépression.

102Mais Séville va se découvrir d’autres ennemis, des ennemis qui sont des complices et que la Casa dénonce, un peu gênée, pour la première fois, avec autant de précision : l’Algarve, et les fuites, au retour, des trésors, en direction de la côte portugaise84, lourde de tentations multiples. C’est sur la brusque fréquence de ces textes, à partir de 1615, que repose le meilleur de notre critique de la courbe des entrées des métaux précieux de Earl J. Hamilton85. Là aussi, mutation, cassure, problématique nouvelle.

103À l’Aller, par Cádiz, au Retour par l’Algarve, le vieil Atlantique du Monopole s’ouvre beaucoup plus largement sur le dehors. Faiblesse, limite vue de Séville, mais enrichissement, dans une certaine mesure. Par ce double biais, une plus large part d’Europe est appelée à participer plus directement, aux Pactoles américains..., par la route traditionnelle qui conservera ses avantages, sinon tout son prestige, jusqu’aux modifications techniques de la fin du xvii^e siècle.

104Cet émiettement ne va pas sans inconvénient. Pour l’Espagne, c’est évident, elle participe de moins en moins aux richesses que son empire et que son océan, bien réglé et bien délimité, véhicule. Pour l’ensemble de l’économie européenne, enfin. Elle était habituée à recevoir de l’Amérique par Séville le choc cumulatif de toutes ces richesses. La masse globale pourra rester identique, en se morcelant, elle perd de son efficacité. Le moteur s’affaiblit. Et c’est pour cela, entre autres, un peu pour cela, aussi, parce que le vieil Atlantique de Séville fuit à Cádiz et saigne dans l'Algarve, que l’Europe s’apprête à tourner la page optimiste du vieux xvi^e siècle qui ne se résigne pas à mourir.

4. Hypothèse

105La reprise de 1615 n’a pas besoin d’explications particulières86. Le mouvement a bénéficié essentiellement, de l’accumulation des volants de navires et de capitaux, d’une anomalie, sur six ans, du mouvement Retours, elle-même, fruit de la crise et de la contraction.

106À titre de simple hypothèse, on retiendra pour situer, plus particulièrement en 1615, le maximum de la reprise — la reprise de la contraction et de la décadence — un léger relâchement de l’anomalie des salaires, l’année précédente, en 161487, avec une chute sérieuse de l’indice 128,09 à l’indice 122.85... et une légère poussée des prix à la même hauteur88. En 1614, l’indice 131,22 de l’année se détache sur les indices composés des prix-argent entre l’indice 126,58 en 1613 et l’indice 127,86 en 1615, avec une position relative de 100,98 % entre le creux profond et étiré des années 1609 à 1613 (96,42 % en 1609, 98,89 % en 1610, 95,51 % en 1611, 95,71 % en 1612, 97,17 % en 1613, et le creux court (98,68 % de 1615). L’accident est particulièrement marqué sur les indices géographiques des prix nominaux89 qui intéressent le plus directement le trafic, Andalousie, Nouvelle Castille et surtout Vieille Castille/Léon, dont on observera, une fois de plus la sensibilité aux respirations de l’Atlantique du Monopole.

107La meilleure preuve, en faveur de l’action de ces accidents secondaires, pour expliquer la brusque accélération du mouvement entre 1614 et 1615, n’est-ce pas qu’elle reste sans lendemain ? Au delà, quand l’excitant manque et que seul subsiste le poids des volants..., les demi-victoires de 1615 sont, en gros, à peu près consolidées, jamais vraiment exploitées. C’est toute l’histoire d’une demi-victoire, qui se pourrit peu à peu dans une défaite sans gloire.

II. — 1616 : UNE VICTOIRE SANS LENDEMAIN HÉSITATIONS ET REPENTIRS

108Les difficultés et les échecs de 1616 font mieux ressortir le bonheur sans lendemain de 1615. 1616, est, en réalité, une année de « petite crise », de rechute, dont une série de circonstances particulières tend à masquer l’ampleur sur les mouvements généraux. C’est, donc, avec une extrême méfiance qu’il faudra écouter, d’abord, la leçon des chiffres.

LA LEÇON DES CHIFFRES

1. Allers

109Par rapport à 1615, en Allers, mais c’est là ce qui compte, 1616 est une année de contraction et au-delà même de ce que le découpage annuel ne laisserait à penser. De 103 à 88 navires, de 24 963 toneladas à 20 911 toneladas, le mouvement nous ramène à une position comparable à celle de 1614 (plus mauvaise, en fait, en raison de l’importance des armadas et au tout premier chef, de l’expédition très particulière de Juan de Salas y Valdes, au Chili, dont on pourrait, à la rigueur, ne pas tenir compte dans nos calculs90), soit, dans l’hypothèse incontestablement trop optimiste du découpage annuel, des reculs respectifs de 14,56 % et 16,2 %, avec un léger fléchissement du tonnage unitaire moyen de 242,6 toneladas à 238,76 toneladas. Fléchissement, dont on pourrait être tenté de tirer argument91. Tant il semble qu’entre 1614 et 1616, la fluctuation du tonnage unitaire Aller épouse un peu l’allure de la conjoncture générale. Dans la mesure où le renforcement du tonnage unitaire pouvait être interprété comme un facteur favorable en 1615, son léger recul est, peut-être, en 1616, l’expression, entre autres, d’une gêne.

110Par rapport à la moyenne mobile92, le repli du trafic est bien marqué de 110,90 en 1615, à 95,77 % en 1616, mais la réalité, en raison de la position ambiguë exposée tout à l’heure, d’une bonne partie du mouvement d’armada, va au-delà d’un tel recul.

2. Retours et équilibre Allers-retours

111L'année 1616 constitue, à bien des égards, dans le cadre, naturellement, d’une conjoncture à court terme, sensible, essentiellement, aux détails, le symétrique de 1615.

112Au moment où les Allers fléchissent, les Retours, par contre, progressent, en raison d’ailleurs, d’une substantielle reprise du tonnage unitaire. Dans la mesure où nous avions pu invoquer, en 161593, le retour du rapport Allers-Retours au sein de l’année à une position plus normale et plus favorable aux Allers comme un facteur de reprise et de dissociation d’avec le temps de crise, on peut et doit retourner, ici, l’argument, en invoquant le passage, entre 1615 et 1616, du pourcentage en tonnage des Retours aux totaux, de 38,13 % à 48,22 %94 — 48,22 % un rapport qui rappelle ceux de la grande anomalie positive du mouvement Retours de 1609 à 1614 — comme un signe de dépression. Cela, d’autant plus que le rapport est nécessairement gonflé en faveur des Allers, par la présence, sous cette rubrique, de la « Jornada » Juan de Salas y Valdes95 qui n’a pas tous les titres pour y figurer.

113L’important niveau des Retours de 1616 forme, en quelque sorte, l’écho des Allers de 1615. De 72 à 70 navires, il y a eu recul de 2,7 % du mouvement unitaire, mais de 15 383 toneladas à 19 468 toneladas (de 18 459,6 tonneaux à 23 361,6 tonneaux), il y a eu progrès, par contre, en tonnage, de 26,5 %. Par rapport à la moyenne, croissance, donc, de 80,03 % à 106,6 %, avec reprise du tonnage unitaire de 213,6 toneladas à 278,2 toneladas.

114Sur ce point encore, il y a renversement total des positions : à l’anomalie négative du tonnage unitaire des Retours, en 1615 (Allers : 242,36 toneladas, Retours : 213,6 toneladas), correspond, en 1616, un rapport beaucoup plus normal (Allers : 238,76 toneladas, Retours : 278,1 toneladas) qui se rapproche davantage de la moyenne de la fluctuation et du cycle, soit 221,7 toneladas à l’Aller et 255,9 toneladas au Retour de 1614 à 1618, 216,01 toneladas et 263,71 toneladas de 1614 à 1622.

115Raison de plus pour opposer l’atmosphère de 1616 à celle de 1615. Sous cet angle encore, tout ce qu’on a pu évoquer en faveur de 1615 se retourne contre 1616.

3. Allers et retours

116L’équilibre qui semble prévaloir sur les globaux est donc purement fictif, puisqu’il est obtenu à partir d’éléments contradictoires et d’inégale valeur.

117De 175 à 158 navires, recul d’un peu moins de 10 %, de 40 346 à 40 479 toneladas (48 415,2 et 48 454,8 tonneaux), progrès de 0,75 %. Par rapport à la moyenne96, si l’écart diminue (94,24 % en 1615, 97,93 % en 1616) c’est en raison de l’affaissement rapide de la tendance majeure après 1614. L’accroissement du tonnage unitaire, de 230,5 toneladas, en 1615, à 255,56 toneladas en 1616, résulte d’éléments contraires. Il ne faudrait donc pas lui conférer trop grande signification.

4. Les Valeurs

118L’approche du mouvement Valeur par l’avería97 corrobore pleinement le jugement que l’on peut tirer du mouvement global Allers.

119Certes, il y a eu, dans l’ensemble — si on envisage la totalité de la fluctuation et du cycle à l’intérieur duquel elle est encastrée — renforcement de la valeur unitaire du mouvement, d’autant plus sûrement qu’on est en période de recul des prix. La montée de Cádiz et la plus large ouverture qu’elle implique aux marchandises non espagnoles, l’élimination qu’elle suppose des produits de la terre andalouse, vient appuyer et éclairer cet aspect.

120À plus court terme, il y a équivalence entre 1615 et 1616 sur la série des Retours de 3 868 à 3 818 millions de maravedís98. Mais cette équivalence, en raison de la fraude et des retards que l’arrivée des navires à Lisbonne a entraînés99, suppose un accroissement sensible des valeurs.

121En Allers, par contre et c’est ce qui compte, au premier chef, de 1615 à 1616, le mouvement en valeur marque un recul de l’ordre de 50 % (de 1 010 à 516 millions). Cette diminution est due à l’effondrement de la Terre Ferme, en raison de l’échec de la flotte en cette direction100. Elle s’accompagne, par contre, d’un accroissement101 des exportations de direction de la Nouvelle Espagne. Mais la Nouvelle Espagne n’est pas capable de combler le gros manque à gagner représenté par l’avortement de la flotte de Terre Ferme.

122Ainsi donc, si on reste sensible, essentiellement, au mouvement valeur des Allers, celui qui serre au plus près la conjoncture de l’année dans l’ensemble économique du complexe portuaire, on voit que la récession relative, en 1616, dépasse de beaucoup ce que le mouvement global en tonnage tendait, d’abord, à impliquer.

123Le niveau-valeur présumé de 1616 (516 millions) se place en position inférieure à celui de 1613 et à celui de 1606. Ne constitue-t-il pas, dans ce domaine, le point le plus bas, entre 1607 et 1623 ?

CONFIRMATION LATÉRALE

124Une analyse plus poussée des séries voisines souligne l’importance du fléchissement, à la hauteur de 1616.

1. Le complexe portuaire

125L'Armada de secours au Chili de Juan de Salas y Valdes — premier élément à apprécier, s’élèverait à 1 720 toneladas. Que représente ce volume sous l’angle économique ? Peu de chose. C’est un prélèvement sur la substance vive de la Carrera. On l’a compté comme tel et parce que ces navires allaient aux Indes par un chemin insolite.

126Il faut la rapprocher de l'Armada de Filipinas102 de Don Alonso Faxardo de Tenza, partie au début de 1617 et de la petite expédition, à une échelle très réduite, sortie le 27 septembre 1618, en direction du détroit de Magellan. Ce sont des expéditions de circonstance. Elles relèvent d’une situation qu’on peut schématiser de la manière suivante. La Trêve de Douze ans n’a pas fait taire la rivalité coloniale qui oppose les forces anciennes et usées de la péninsule ibérique au dynamisme du Nord. La Trêve de Douze ans n’est qu’une trêve Atlantique — partielle, puisque la course marocaine a été réorganisée et rendue plus efficace par des cadres hollandais et anglais — : le centre de gravité des luttes qui se poursuivent se trouve, désormais, dans l’Indien et le Pacifique.

127Un problème s’est donc posé. Fallait-il compter ces expéditions qui ne font partie que par la bande des activités globales de la Carrière des Indes, sans participer, toutefois, à son économie ? Il a paru plus sage de le faire. Le risque était moindre, puisque l’on peut toujours, le cas échéant, en faire abstraction dans l’analyse détaillée.

128Aussi le mouvement normal de 1616, abstraction faite de l’expédition aberrante de Juan de Salas y Valdes, s’élèverait à 82 unités et 19 191 toneladas. L’infériorité de l’année, par rapport à 1615, est considérablement accrue, 20,4 % au lieu de 14,56 % (mouvement unitaire), 23,1 % au lieu de 16,2 % (mouvement en tonnage). Et il en va, ainsi, de toutes les définitions qui ont paru annoncer le marasme par rapport à 1615103 : tonnage unitaire, 234,03 toneladas au lieu de 238 toneladas, rapport des Retours aux globaux, 50,35 % au lieu de 48,22 %, etc.

129De toute manière, que l’on compte, ou non, l’expédition de Juan de Salas y Valdes dans les départs de l’année 1616, le fléchissement des éléments les plus denses du trafic sera extrêmement sensible.

130Avec ou sans l'Armada de Juan de Salas y Valdes, il y aura grossissement de 1615 à 1616 du volume des départs d'armada104 : 9 à 16 unités, de 3 900 toneladas à 6 020 toneladas, avec l'Armada de secours au Chili, de 9 à 10 unités, de 3 900 à 4 300 toneladas, sans elle. Si les 4 300 toneladas constituent, en l’absence d’une flotte de Terre Ferme dont on avait dû, en raison des circonstances, prévoir l’avortement assez tôt, une valeur économique sûre, aussi sûre, vraisemblablement, que les 3 900 toneladas de 1615, il faut renoncer à donner aux 6 020 toneladas de l’ensemble une valeur supérieure à celle des deux années précédentes, 1614 et 1615.

131Le grossissement du mouvement officiel des négriers ne serait pas, en soi, au contraire, un élément négatif ; joint, toutefois, à la masse, qui reste forte, des Canariens, il y a même un gonflement relatif des éléments « marginaux du trafic (29 navires, 2 171 toneladas), par conséquent, une présomption d’affaiblissement de la valeur unitaire du mouvement. Elle tend à renforcer la créance qu’on accordera, cette année, aux indications à court terme du mouvement valeur.

132Il en résulte, par contre-coup, un fléchissement extrêmement important sur les principaux axes du mouvement : navires marchands de Séville qui passent de 63 à 34 unités, de 15 840 à 10 730 toneladas et caditains, de 7 à 6, de 3 100 à 1 990 toneladas, soit au total et c’est là le chiffre le plus important, de 70 navires, totalisant 18 910 toneladas à 40 navires représentant 12 720 toneladas. La contraction, dans ce cas, est de 42,8 % (mouvement unitaire) et de 32,7 % (mouvement volumétrique).

133On notera que, prise de cette manière — économiquement sans doute, la meilleure — la contraction du mouvement en volume se rapproche de la contraction en valeur 48 %.

134L’affaiblissement des volumes totaux s’est doublé d’un affaiblissement des valeurs unitaires. Il s’explique par l’avortement de la flotte de Terre Ferme, la Terre Ferme continuant à l’emporter, même à cette époque, par la valeur unitaire des cargaisons. Il n’en demeure pas moins que les deux séries donnent, cette correction faite, des ordres de grandeur qui s’étayent.

2. Les grands axes du trafic

135L’accident de 1616 est un accident de la Terre Ferme. Cette constatation permet, à la fois, de l’apprécier et de le situer.

136D’où le schéma suivant105 : décroissance en direction des îles, décroissance en direction de la Terre Ferme, au-delà même de ce qui apparaît de prime abord, conjoncture haute en Nouvelle Espagne ou, du moins, sur l’axe du trafic de la Nouvelle Espagne qui bénéficie dans une certaine mesure, d’un transfert.

137a. Les îles. — Dans ce domaine, le niveau de trois mille toneladas retrouvé, en 1615, ne pourra être maintenu. Le commerce officiel, en difficulté, n’a que faire de ravitailler les secteurs « parents pauvres » où le profit est mince. Le niveau des navires destinés aux îles, au départ de 1616, 18 unités, 1 836,5 toneladas, au lieu de 24 unités et 3 141 toneladas en 1615, est très proche de la moyenne cyclique, aux alentours de 2 000 toneladas.

138b. La Terre Ferme. — Toute la dépression est concentrée sur la Terre Ferme, dont la flotte avorte, gênée par le départ tardif de Cádiz de la flotte de Diego de Santurze Orozco, le 9 novembre 1615. La structure même de l'Armada est mise en cause106. On peut penser, un moment, qu’il y a eu lien étroit entre les deux phénomènes, les attaques contre la structure actuelle de l'Armada et le non-départ de la petite flotte de Terre Ferme, dont les préparatifs ont commencé en janvier. Cet échec, semble-t-il, procède d’abord de la rivalité, entre les vieilles maisons sévillanes du Consulat et les Peruleros — on dirait, presque, les Peruleros/Caditains, reprenant, sur ce point, une accusation non gratuite, sans doute, qui court à Séville.

139Il n’est pas très facile de savoir ce que Séville cherche exactement — entendez les vieilles maisons du Consulado qui, avec l’aide de la Casa de la Contratación, mènent l’attaque, en 1616. Il semble, toutefois, qu’elles visent, entre autres, dans la mesure où leurs plaintes tendent vers un but, un allègement des charges fiscales et des charges de la défense. La première revendication contre la structure de l'Armada date de 1609, l’année de la paix. Depuis 1615, on voit à travers les conflits dans les océans Indien et Pacifique, l’ombre d’un effort militaire se profiler à nouveau. D’où, sans doute, en prévision d’un accroissement vraisemblable des charges — il a fallu participer aux nouvelles armadas lointaines — l’attaque contre l'Armada traditionnelle.

140Dans les rapports sur l'Armada, les maisons hispano-américaines sont également visées. Séville cherche, sans doute, à monnayer son effort de quelques mesures contre les Peruleros dont on apprend, un peu après, qu’ils furent les seuls à désirer la mise en route de la petite flotte de Terre Ferme qui ne partira pas.

141En 1615, bonne année107, Séville cède — on l’a vu — à l’idée « perulera » de l’annualité du convoi. En 1616, année moins bonne, Séville ne cède pas, et derrière un fort écran de fumée — les attaques contre l'Armada — fait prévaloir son vieux point de vue de restriction volontaire. En conjoncture haute, les vieilles maisons sévillanes sont prêtes à courir leurs chances, sur un marché devenu trop concurrentiel à leur gré ; en conjoncture basse, elles sont reprises de leur vieille tentation restrictive, le refus de charger dans l’espoir d’entraîner, dans la même attitude, une partie, au moins, de leurs adversaires et, au premier chef, l’adversaire du jour, ces nouvelles maisons hispano-américaines représentées, depuis quelques années, par leurs facteurs et dont les disgrâces sont nombreuses. Non seulement elles sont étrangères et de la pire espèce puisque des Indes, que l’on n’est pas accoutumé d’accepter dans cette attitude, mais elles ont un comportement diamétralement différent des maisons européennes. Ne cherchent-elles pas un approvisionnement régulier alors que Séville cherchera, d’abord, l’occasion de spéculations fructueuses ? Dans ces échanges, dans cette dialectique Séville, maisons sévillanes/Amérique, Perulero, il y a un élément, nécessairement, qui fait objet. Pour Séville, les Indes, pour le Perulero, Séville. D’où drame !

142On supporte le Perulero en conjoncture bonne. On s’en accommode de mauvaise grâce en 1615, par exemple. En 1616, par contre, les tensions s’exaspèrent et le plus clair du résultat c’est le non-départ de la flotte, dont l’annualité avait été virtuellement réacquise, en 1614, à l’entrée d’un cycle nouveau.

143Défalcation faite de l'armada de secours au Chili, les départs en direction de la Terre Ferme, œil de la crise en 1616, sont les plus bas de tout le cycle, 13 bateaux, 4 695 toneladas (19 unités et 6 415 toneladas, l’expédition Juan de Salas y Valdes incluse).

144c. La Nouvelle Espagne. — Cette exaspération de conflit, sur le terrain de la Terre Ferme, a favorisé, dans une certaine mesure, le trafic avec le Mexique. Et pointant au début, le Consulado avait obtenu, la réduction autoritaire108 du volume de la flotte. Ses méfiances à l’égard de ce marché dont la surcharge, dans l’esprit de ses membres, avait été responsable de la terrible crise de l’automne 1609, ne désarment pas, pourtant, comme le prouvent les plaintes persistantes contre la concurrence d’Acapulco et les projets de contrôles renforcés contre une invasion qui se donne de plus en plus carrière. À telle enseigne que Séville se sent de plus en plus menacée dans les derniers retranchements de son Monopole.

145Et pourtant, sous la pression d’événements qui auront déjoué les calculs du Consulat, en raison, peut-être, des lenteurs des préparatifs de la flotte de Don Juan de la Cueva y Mendoza, le volume du convoi a excédé le volume qu’on avait voulu, d’abord, lui donner. Une partie des affaires qui n’ont pu se conclure sur la flotte de Terre Ferme, que le Consulat avec un art consommé, a fait avorter, se sont rabattues sur la flotte de Nouvelle Espagne. Aussi, peut-on expliquer la différence entre le volume prévu d’abord et le volume finalement atteint par la flotte.

146L’existence de ces transferts — ils sont prouvés par le niveau vraiment important, le plus fort de tout le cycle, à part 1619, le plus important depuis 1608-1609, à l’exception de 1619, jusqu’en 1650, 51 navires, 12 659,5 toneladas montre bien que la réduction du volume des départs a dépassé ce que la conjoncture commandait et qu’il y a eu, dans les décisions prises, quelque chose de spéculatif ; ce fut le résultat, en fait, de conflits d’une extrême violence, qui dérivaient eux-mêmes, des difficultés globales du commerce, en cette année.

3. L’accident des Retours

147Il fallait, pour couronner l’année, un arrivage à Lisbonne109. Il pèse toujours sur les situations de ce genre — on l’a vu — par les possibilités qu’elles offrent, par les interminables conflits qu’elles créent, un soupçon de fraude.

148L’événement sous l’angle des structures est très précieux puisqu’il ouvre des horizons sur l’importance des marges de fraude et sur l’inanité des contrôles. Sans cela, on comprendrait mal la résistance et la peur panique des marchands devant la perspective d’un acheminement de l’argent par terre.

149Sur la cause de l’abordage à Lisbonne, malgré les doutes qu’on puisse en avoir, il est difficile de parler de mauvaise foi de la part du Général. Tout au plus, peut-on inculper un départ trop tardif des Indes. Tout au plus, présomption de malaise...

150Quant aux incidences de l’événement sur le commerce, il est difficile de les apprécier. Les possibilités de fraude ont dû être réduites par la décision maintenue de transport par terre. Les frais de transport, en outre, ont été gravement accrus.

151S’il y avait eu calcul dans la décision d’abordage à Lisbonne, la fermeté du Consejo, une fois n’est pas coutume, l’aura, en partie, déjoué. Tout compte fait, malgré les retards dans la libre disposition des trésors, le commerce n’a pas dû avoir trop à souffrir de ce contretemps partiel.

HYPOTHÈSE

152Là encore, il ne peut s’agir que d’hypothèses susceptibles d’éclairer un accident local, car la situation de 1616, en soi, n’est pas surprenante. En raison des structures de la décroissance110 qui émergent, désormais, le démarrage de 1615, sous le poids des volants nés de la crise elle-même, ne pourrait être de bien longue durée. Il aura suffi, à la limite, de l’effort de la « jornada » du Chili et des préparatifs de l’expédition de secours des Philippines — partie, le 6 janvier 1617111, elle aura pesé beaucoup plus sur le destin de 1616 que sur celui de 1617 — pour stopper dans l’œuf, cette médiocre reprise de la contraction.

153L’expédition du Chili et celle des Philippines ont pu suffire à perturber le mouvement. Ne serait-ce, à la limite qu’en renforçant la pénurie en gens de mer.

154On notera, en outre, simple hasard, peut-être, avec le décalage d’un an de nos corrélations prix-trafic : le fléchissement des prix en 1615112, qui correspond à la pointe relative de 1614, la poussée, par contre, de l’anomalie positive des salaires en 1615113. Tout cela se paye, on le croirait du moins, un an plus tard, en 1616.

155En ce qui concerne les indices les plus généraux des prix, on note le fléchissement à la hauteur de 1615, 127,86 au lieu de l’indice 131,22 en 1614, un des points les plus bas du xvii^e siècle. Il est dû, exclusivement, aux séries géographiques, les plus directement impliquées dans le trafic Atlantique, par ordre d’importance du décrochement114 : Nouvelle Castille, Andalousie, Vieille Castille/Léon, à l’exclusion de Valence, effectivement hors de cause.

156Pour la main d’œuvre, par contre, en liaison étroite avec les prix, il y avait tension relative de 122,85 en 1614 à 126,57 en 1615.

157Facteurs contrariants, non facteurs de crise.

1581617, sans trop de peine, renouera avec les succès médiocres de 1615, un moment compromis.

III. — 1617 : REPRISE PARTIELLE

159En 1617, la situation s’améliore. Non qu’une série de contre temps ne continue à entraver les premiers mois du trafic. Il en résulte des retards et un véritable télescopage des départs en un laps de temps ramassé. Mais la manière dont la Carrière des Indes, en 1617, se tire d’une situation, quand même, difficile, suppose une vigueur et un dynamisme qu’il faut mettre à l’actif de l’année.

LA LEÇON DES CHIFFRES

160Elle n’est, pas plus qu’en 1616, facile à dégager, en raison de la présence d'armadas aberrantes qui constituent plus une perte, un prélèvement sur les forces vives de la Carrera qu’un gain pour elle.

161L’interprétation est rendue plus difficile, encore, par la date de départ et par le parcours inhabituel — Philippines via le Cap et l’océan Indien — de l'Armada de secours de Don Alonso Faxardo de Tenza : premier départ, au début janvier, vrai départ en avril115. L’incidence de ces préparatifs aura pesé davantage encore sur le trafic de 1616 qu’il ne l’a fait sur 1617. D’où la nécessité de deux séries de chiffres, avec ou sans l'Armada de Tenza.

1. Allers

162Compte tenu de l'Armada des Philippines, le niveau des départs de 1617 est, en tonnage, du moins, sinon en nombre, le plus élevé du cycle, 106 navires, 25 529 toneladas (30 634,8 tonneaux), soit, par rapport à 1616, un progrès de 20,45 % sur le mouvement unitaire et de 22,1 % en tonnage. Si on accepte cette définition, 1617 est, en Allers, le point le plus élevé de la fluctuation du cycle, avec, au moins, 500 toneladas de plus qu’en 1615. Médiocre sommet cyclique, de toute manière, qui ne représente guère que 52,9 % et 56,6 % du nombre d’unités et des tonnages du précédent sommet cyclique de 1608.

163On observera, en outre, un léger accroissement du tonnage unitaire, de 238,76 toneladas en 1616 à 241,78 toneladas en 1617, ce qui constituerait, d’après l’hypothèse précédemment retenue, une première présomption de facteur favorable116.

164Ces chiffres, toutefois, peuvent être, à juste titre, contestés, puisqu’ils incorporent l'Armada de secours de Faxardo de Tenza. Sans elle, le niveau des départs utiles de 1617 s’élève, alors, à 98 unités et 21 529 toneladas, soit une position inférieure à 1615.

165Par rapport au mouvement utile de 1616, c’est-à-dire, à l’exclusion de l’armada de secours du Chili de Juan de Salas y Valdes, dont la position est à peu près identique à celle de l'armada de Faxardo de Tenza en 1617, une marge substantielle de progrès demeure, de 82 unités et 19 191 toneladas117 à 98 unités et 21 529 toneladas, elle est, encore, de 19,5 % et 12,1 %. Ces rapports traduisent assez bien ce qu’est la relation vraie des forces économiques de la Carrera entre 1616 et 1617. Le pourcentage à la moyenne, 120,76 %118, en raison de la baisse brutale de la tendance et de la situation ambiguë des 4 000 toneladas de l'Armada de Tenza, exagère certainement la position vraie en conjoncture de l’année 1617.

2. Retours

166Il y a recul, par contre, des Retours. Ce qui est normal, puisque la fluctuation des Retours reproduit, en gros, avec un décalage d’un an, la fluctuation des Allers. De 70 à 59 unités, de 19 468 toneladas (23 361,6 tonneaux) à 17 965 toneladas (21 558 tonneaux), le recul est de 15,7 % et 8,9 % avec accroissement du tonnage unitaire de 278,1 à 304,3 toneladas.

167Le rapport des Retours aux totaux119 diminue à nouveau de 48,22 à 41,31 %, moins qu’il n’apparaît, en raison du gonflement quelque peu artificiel des Allers par l’expédition des Philippines. Le rapport des Retours au total économique utile pondéré s’élève à 45,5 %. Il se place à mi-chemin à peu près, entre le 38,13 % de 1615 et le 50,35 % de 1616 (rapport au total économique utile). Cette position moyenne traduit assez bien la position conjoncturelle moyenne de 1617, à mi-chemin à peu près entre l’expansion relative de 1615 et la dépression relative de 1616, une position de demi-reprise.

168Par rapport au trend, la situation moyenne des Retours de 1617 est assez bien exprimée, par un pourcentage voisin du recouvrement intégral, 102,4 % en 1617 au lieu de 106,6 % en 1616120.

3. Allers et retours

169L’ambiguïté des 4 000 toneladas du mouvement Allers se retrouvera, naturellement, sur les globaux.

170Compte tenu de l’Armada des Philippines, 1617, en tonnage, semble le point le plus élevé de la fluctuation et du cycle, soit un accroissement substantiel de 158 navires à 165 navires, de 40 379,1 à 43 494,1 toneladas (48 454,8 tonneaux à 52 191,8 tonneaux), 4,4 % et 7,7 %, sans grande modification du tonnage unitaire, de 255,56 toneladas à 263,6 toneladas. Un accroissement plus considérable encore par rapport à une tendance rapidement décroissante, de 97,93 % à 109,22 %.

171Mais on arriverait à des résultats quelque peu différents sans le convoi de secours aux Philippines, 157 navires et 39 494 toneladas, qu’il faudrait mettre en regard, alors, des totaux de 1616, moins l’expédition de secours au Chili, soit 153 navires et 38 659 toneladas.

172La supériorité de 1617 s’estompe — par rapport à la moyenne mobile correspondante, au lieu de 109,22 %, on tombe pratiquement à 100 % — elle subsiste d’autant plus sûrement, pourtant, au-delà d’un accroissement apparent de 5 %, que la participation des Retours est plus forte en 1616 qu’en 1617.

4. Valeurs

173Les valeurs, telles qu’on les entrevoit, à travers l'avería et les impôts ad valorem des Indes121, corroborent assez bien la première impression tirée de l’évolution des volumes.

174La décroissance des Retours ne surprend pas, elle accuse la défaillance de 1616. En Allers, par contre, malgré les difficultés auxquelles le trafic a eu à faire face, en raison de l’abordage à Lisbonne, des retards et des frais dans l’acheminement des trésors, des mécomptes auxquels on s’est heurté à cause de la résistance imprévue du Conseil des Indes au transport des trésors par mer désiré par les maisons sévillanes du Consulado, au tout premier chef, il y a eu une reprise des valeurs qui excède, très sensiblement, la reprise des volumes, de 516 millions, pratiquement, à 930 millions de maravedís, soit un accroissement de 80 %. A très peu de choses près, le mouvement-valeur de 1617, à l’Aller, s’égalise sur celui de 1614 (964 millions) et à moins de 10 % près, ce qui est, quand même, très peu de choses, sur celui de 1615 (1 010 millions). Ce rétablissement s’explique par la réapparition de la Terre Ferme. Il prouve, rétroactivement, l’importance de l’accident de 1616.

CONFIRMATIONS LATÉRALES

175Toute une série d’indices incitent à situer 1617, moins en flèche qu’en position intermédiaire, entre les bonnes années et les moins bonnes d’un cycle de succès médiocre.

1. Chronologie des départs et handicap surmonté

176Toute appréciation du trafic de 1617, qui ne tiendrait pas compte des lourdes difficultés surmontées, risquerait de sous-estimer l’amplitude d’une reprise qui s’accentue au-delà. Contrarié en 1618122, par le manque d’hommes, entre autres, le fil de la poussée renoué en 1617 s’affirmera par une extrême croissance des valeurs123.

177Ces difficultés sont, essentiellement, de deux ordres. L’argent, qui constitue l’essentiel des bénéfices réalisés au cours des précédents circuits commerciaux, reste bloqué à Lisbonne. Sans doute, peut-on tirer du papier sur lui, mais l’accident des retours de 1616 constitue une gêne sérieuse.

178À cette gêne s’ajoute l’énorme effort du convoi de secours aux Philippines124, dont Séville n’arrive pas à se désembourber ; elle pèse sur les trois premiers mois de l’année et après avoir contribué à l’avortement de la deuxième flotte de 1616, elle contribuera au retard de l'armada y flota de Terre Ferme de Francisco Barnegas. Elle ne part pas avant le 13 avril 1617.

179Dans ces conditions, n’est-il pas remarquable que la Carrière des Indes ait réussi, en moins de trois mois, à faire partir trois convois : l'armada y flota de Terre Ferme de Francisco Barnegas — elle sort de Cádiz, le 13 avril 1617125 —, l'Armada de la Guardia du Capitaine Général marquis de Cadereyta126, le 6 mai et l'armada y flota de Juan de Salas y Valdes, le 9 juillet, de San Lúcar. le 16 du même mois, de Cádiz ?

180Trois convois en trois mois, ce rythme constitue un record. Il suppose, au point de vue navires, notamment, l’existence d’un gros volant : on en mesurera, ici, l’un des effets, on en a eu la preuve par ailleurs127. Tout aussi remarquable, la solution coûteuse, luxueuse, se risquera-t-on à écrire, qui a été adoptée et assez insolite, au vrai. Les deux éléments destinés à la Terre Ferme auraient pu être bloqués en un seul convoi, comme en 1614128. Il n’en est rien. Sans doute, la flotte de 1617 est-elle un élément différé de 1616. D’où cette solution peu commune, d’une flotte de Terre Ferme, qui précède, de moins d’un mois, l'Armada avec regroupement à Carthagène et, de ce fait, protection assurée dans la partie du voyage qui est la moins sûre, la plus exposée, le cas échéant, aux entreprises boucanières, — renversement de position par rapport aux périodes de guerre officielle contre les grandes puissances maritimes du Nord.

181Tout cela, après la grosse ponction de l'Armada des Philippines129, suppose un sérieux désir de négoce à tout prix. On peut donc, parler, en 1617, d’une certaine tension conjoncturelle.

2. La Terre Ferme

182Cette tension, autant qu’on en puisse juger, est concentrée sur la Terre Ferme. L'échec de la flotte de 1616 a dû ouvrir à Séville de sérieux espoirs en direction de ce marché. D’où une participation assez impressionnante, 38 navires, 9 225 toneladas, sur un ensemble utile, au départ, de 98 unités et 21 529 toneladas, soit un niveau équivalent à celui de 1615 ou de 1612. Cette forte participation commande, sans conteste, la remontée des valeurs. La table 227130 — malgré ses dangers d’exagération systématique et ses lacunes — prouve, mieux que de longs discours, la part dominante en valeur, en 1617, de la Terre Ferme, dans le mouvement Allers.

3. Les îles et la Nouvelle Espagne

183Dans ces deux directions, par contre131, le trafic se tient en retrait. En direction des îles, le tassement se précise, 13 au lieu de 18 navires, 1 720 toneladas au lieu de 1 836,5 toneladas. Que la conjoncture soit favorable ou mauvaise, presque à coup sûr, les « parents pauvres » sont abandonnés. Dans un cas comme dans l’autre, on ne juge plus opportun de distraire beaucoup de forces en leur direction. Vidées d’hommes, offertes à la piraterie et bientôt à d’autres colonisations, les îles sortent, imperceptiblement, sans qu’on y prenne bien garde, du domaine de l’Espagne.

184La Nouvelle Espagne, dont le rôle n’est pas en cause, subit, sans doute, le contrecoup des conditions trop favorables qu’elle avait connues, l’année précédente. De 51 navires à 47 unités, de 12 659,5 toneladas à 10 584 toneladas, le trafic est en retrait de près de 20 %. Il n’en demeure pas moins qu’on peut difficilement parler de récession. La flotte de Nouvelle Espagne, expédiée deux mois à peine après l'Armada de la Guardia, trois mois après la flotte de Terre Ferme et une armada extraordinaire en direction des Philippines, constitue, finalement, un assez beau tour de force et une marque d’optimisme.

4. Les grands axes du complexe portuaire

185L’analyse du mouvement, départ du complexe portuaire, donne le même signe d’une reprise appréciable dans le cadre des difficultés du cycle.

186a. Marginaux. — L’opposition de Séville à l’égard des Canaries ne désarme plus132. À très court terme133, elle remportera la victoire — à la Pyrrhus — qu’elle aura désirée. Elle a obtenu, en 1617, une nouvelle réduction des quota, de 20 à 15 navires, de 1 396 à 1 292 toneladas (contre 1 878 et 1 688 toneladas, il y a deux et trois ans, encore).

187Les négriers, par contre, sont en voie de récupération rapide. On s’achemine, après le vide complet de 1612 à 1614, vers une reconstitution d’une seconde prospérité négrière officielle, de 2 et 9 unités, de 245 toneladas et 775 toneladas (en 1615 et 1616) à 16 unités et 2 025 toneladas en 1617 et bientôt, 44 navires, 45 navires, 4 115 toneladas et 4 428 toneladas en 1618 et 1619. Ce mouvement en ciseaux qui caractérise cette période dans le secteur des « marginaux « entendez, réduction des Canariens et large augmentation du trafic négrier officiel, aura été, pour le trafic, malgré les inconvénients que l'augmentation des marginaux peut présenter, pour les secteurs les plus « lourds », riche en éléments positifs.

188La reprise des négriers est, sans conteste, un élément favorable pour l’économie des Indes. On peut les supposer, désormais, mieux approvisionnées que durant les années 1612-1614, où la contrebande, pourtant, a dû se charger de combler le hiatus du trafic négrier officiel. Élément favorable, aussi, pour l’économie du complexe portuaire, en dépit des concurrents portugais.

189b. L’Armada. — Il faut, naturellement, de ces 17 navires et 7 900 toneladas, retrancher l’Armada de secours aux Philippines, car opposer les 16 navires et 6 020 toneladas de 1616 aux 17 navires et 7 900 toneladas de 1617 ne servirait pas à grand chose. Pas même à apprécier, très exactement, l’effort respectif de défense fourni par la Carrera au cours de ces deux ans... puisque les préparatifs de l’Armada de secours aux Philippines, partie au début de 1617 appartiennent, pour l’essentiel, à l’effort de 1616. En fait, l’effort d’armada doit être pris globalement pour l’ensemble 1616-1617 considéré comme une seule entité.

190Quant à la signification économique du mouvement d’armada — le mouvement d’armada sous cet angle se confond avec l’Armada de la Guardia —, on observera son étonnante constance 9 unités et 3 900 toneladas en 1617, 10 unités, 4 300 toneladas en 1616, 9 unités et 3 900 toneladas en 1615. Rien n’autorise à attribuer au mouvement une valeur sensiblement différente, au cours de ces trois ans. L’Armada de la Guardia, dont le rôle militaire n’a cessé de reculer, devant son rôle économique, fait fonction, au cours de ces années, de volant. L’Armada, en 1616, ne se dément pas de son rôle.

191c. Séville et Cádiz. — Tout le poids du trafic et, a fortiori, toute la différence conjoncturelle, entre 1616 et 1617, est imputable aux deux axes essentiels, les navires marchands de Séville et de Cádiz.

192On note ici, un substantiel progrès. Pour Séville, par exemple, de 34 à 50 navires, de 10 730 à 11 612 toneladas et pour Cádiz, de 6 à 8 navires et de 1 990 à 2 700 toneladas.

193Mais ce qui compte, c’est l’ensemble. Les deux axes Séville-Cádiz réunis totalisent, en 1617, 58 navires, 14 312 toneladas, contre 40 unités et 12 720 toneladas, de 1616 et 70 navires et 18 910 toneladas, en 1615.

194Le progrès volumétrique substantiel sur le mouvement unitaire nous amène à un niveau beaucoup plus proche de 1616 que de 1615 ; le mouvement en valeur, par contre, a repris beaucoup plus rapidement. Ceci implique, évidemment, un triage en faveur des marchandises les plus chères qui s’accentuera encore, l’année suivante, en 1618.

195On est donc en présence d’une série d’éléments convergents qui permettent de situer le mouvement de 1617 à mi-chemin, à peu près, entre 1615 et 1616, plus proche quand même, à l’Aller, en raison des valeurs, de 1615 que de 1616.

HYPOTHÈSES

196La situation de 1617 n’a pas besoin d’un système d’explications particulier. Elle découle de l’accident qui a creusé les départs de 1616. Le simple jeu des volants devait, après la longue crise de 1609-1613, provoquer un nouveau départ. Des circonstances particulières134 ont, un moment, contrarié la reprise, par gravitation du mouvement, en 1616. Leur simple retrait suffit à provoquer un nouveau départ.

197On notera, toujours à titre de simple hypothèse et dans le cadre d’une localisation à court terme, quelques éléments qui ont pu favoriser 1617 et les années suivantes.

198Pour les prix, par exemple (indices globaux des prix argent135 il y a reprise) — reprise relative à l’intérieur d’un creux — à partir de 1616 jusqu’en 1618. Or c’est, précisément, le décrochement secondaire, entre 1615 et 1616, sur les prix que Ton trouve, suivant une relation, maintes fois soulignée et avec le décalage normal d’un an, entre 1616 et 1617 sur le trafic.

199De 127,86 (1615), les indices sautent à 133,75, 135,02 et 133,34 de 1616 à 1618, soit, en pourcentages d’écart à la moyenne mobile médiane de treize ans, 103,11 %, 104,26 % et 103,13 % contre 98,08 % (1615) et 98,66 % (1619). Ces écarts sont d’autant plus significatifs qu’ils sont vrais, surtout pour les indices des prix réels, en Andalousie et en Nouvelle Castille136, au tout premier chef. En Andalousie : les indices 84,05, 84,63 et 88,57 pour 1616-1617 et 1618 se placent entre 81,43 en 1615 et 82,79 en 1619. En Nouvelle Castille : les indices 88,56, 89,90 et 88,38 pour 1616-1617 et 1618, se placent entre 84,17 en 1615 et 80,62 en 1619 et, dans une large mesure, en Vieille Castille/Léon même mouvement : les indices 88,36 et 86,39 pour 1616-1617 se placent entre 83,84 en 1615 et 82,84 en 1618 tandis que le Royaume de Valence aberrant, sans lien, pour ainsi dire, avec la Carrière des Indes, mène sa vie propre et obéit à un rythme différent.

200De la même manière, dans le cadre de la grande anomalie positive137 de la rémunération de la main-d’œuvre, 1616, 1617 et 1618 représentent une détente. Le changement de comportement se situe entre 1615 et 1616 ; si une répercussion peut en être attendue sur le trafic, elle le sera, naturellement, entre 1616 et 1617. C’est là qu’on la trouve. Quant à l’anomalie des salaires, il est incontestable qu’elle fléchit sur trois ans138 : 121,45, 119,81 et 122,90 de 1616 à 1618, entre 1615 (126,57) et 1619 (127,08).

201On comprend, dans ces conditions, que la reprise ait eu la voie facilitée entre 1616 et 1617.

202Une reprise qui, malgré les apparences, se poursuit au-delà.

IV. — 1618 : LE FAUX CREUX

203La conjoncture de 1618 ne se laisse pas résoudre aisément. Elle est pleine, en effet, d’éléments contradictoires. Si on se cantonne à une appréciation reposant sur un critère mécanique, celui, par exemple, du tonnage effectivement entré et sorti de l’ensemble du complexe portuaire, on sera tenté de considérer 1618 comme une année de creux cyclique.

204Mais il existe une série de raisons valables, pour écarter ce point de vue et faire de 1618, avec 1617 et 1619, le centre d’une fluctuation un peu lourde dont la partie déprimée serait formée par 1616 et 1620. On verrait ainsi, entre les deux fluctuations plus fermement dessinées de 1613-1614-1615 et de 1620-1623, une fluctuation aux contours imprécis et au sommet hésitant. Choses certaines dans la masse inorganique de cette fluctuation : le plateau central et les creux frontière 1613, d’une part, 1622-1623 de l’autre, entre les deux un long plateau particulièrement rebelle à l’analyse.

2051618 en fait partie. Il en a les pièges et les illusions. On sera, particulièrement, en garde, par conséquent, contre les leçons du découpage annuel.

LA LEÇON DES CHIFFRES

2061618 marque un important tournant, une modification de toute première importance. C’est une des raisons, d’ailleurs, qui a pu légitimer la ligne frontière que l’on a, un peu arbitrairement, voulu faire passer entre 1618 et 1619.

1. Allers

207Le fait le plus important, en Aller, comme en Retour, est une brutale modification du tonnage unitaire.

208De 106 navires et 25 529 toneladas (30 634,8 tonneaux), le mouvement Allers passe à 125 unités et 22 730 toneladas (27 276 tonneaux), en raison d’une brusque flambée des « marginaux » du trafic139. On est, donc, en présence d’une grave distorsion, d’une part, accroissement de 17,9 % du mouvement unitaire, d’autre part recul de près de 11 % du mouvement en tonnage. En tonnage, le niveau de 1618 est très proche de la moyenne de la fluctuation et du cycle (22 835,8 toneladas ; 22 201,733 toneladas pour la fluctuation). Sur le mouvement unitaire, par contre, 1618 est très au-dessus, 125 unités au lieu de 103 navires (de 1614 à 1618) ou 102,75 navires (de 1614 à 1622). Par rapport à la moyenne mobile, le niveau en tonnage se tient légèrement en retrait, de 109,22 en 1617 à 98,665 % en 1618. Mais ces chiffres ne tiennent évidemment pas compte de la croissance du mouvement unitaire.

209Tout l’équilibre de l’année se trouve mis en cause, en effet, par un brusque retour du trafic négrier au premier plan de la vie de la Carrière des Indes. Il entraîne une réinjection dans le système d’un volant considérable de petits et de moyens navires qui en avaient été tenus à l’écart au cours des années passées140. Il en résulte un dénivellement extrêmement important du ton. nage unitaire, de 238,76 toneladas et 241,78 toneladas en 1616 et 1617 à 181,84 toneladas en 1618. Il est impossible de lui attribuer, en conjoncture, la même signification qu’on avait cru entrevoir de 1615 à 1617141, il s’agit tout simplement, ici, d’une brusque modification de l’équilibre des « marginaux », d’une flambée d’activité négrière. Elle n’est pas dépourvue de signification, certes, mais l’interprétation doit en être réservée, elle n’appartient pas, de toute manière, au schéma antérieur.

2. Retours

210On notera avec quelle rapidité, le mouvement Retours calque son comportement sur celui des Allers, en raison, très vraisemblablement, du rythme de rotation très rapide des petits navires de la catégorie des « marginaux » qui ont pénétré dans le système, par le biais des départs de cette année même de 1618142. Il en résulte cette situation presque paradoxale d’un mouvement Retours qui, en 1618, se modèle davantage sur les Allers de Tannée qu’il ne le fait, comme il est normal, sur ceux de 1617.

211En effet, de 1617 à 1618, alors que le mouvement unitaire s’accroît très considérablement, de 59 unités à 70 navires, de 18,6 %, tandis que le tonnage fléchit de 17 965 toneladas (21 558 tonneaux) à 17 765,5 toneladas (21 318,6 tonneaux), soit un recul très faible, mais une présomption de léger tassement, quand même, de 1,1 %. Cette situation paradoxale est due au fort fléchissement du tonnage unitaire, de 278,1, 304,3 toneladas (niveaux de 1616 et 1617) à 253,8 toneladas, niveau de 1618. Outre une brusque accélération du rythme de rotation de la catégorie nouvellement réintroduite des petits navires par le truchement du trafic négrier, ce fléchissement exprime la fin d’une anomalie, un retour à la normale (tonnage unitaire moyen des Retours, de 1614 à 1618, 255,9 toneladas, de 1614 à 1622, 263,71 toneladas).

212Par rapport à la moyenne mobile, seul, compte le tonnage total, il y a donc fléchissement de 102,4 % à 97,8 %.

3. Allers et retours

213La concordance des comportements des Allers et des Retours va se retrouver, naturellement, sur les globaux. Même distorsion curieuse entre mouvement unitaire et mouvement en tonnage. Réduction, par contre, de l’écart au sein du mouvement entre Allers et Retours. En tonnage, le pourcentage des Retours aux globaux remonte de 41,31 %143 à 45,88 %. La variation, il est vrai, est pratiquement nulle, si on tient compte des rapports au total économique utile, de 45,5 %144 en 1617, à 45,88 % ou mieux à 46 %145 en 1618.

214La relation 1617-1618 est dominée, par contre, par la chute du tonnage unitaire. Elle est importante. Elle explique le paradoxe d’un mouvement unitaire record (en Aller, 125 unités, le niveau le plus important du cycle surclasse nettement les 115 navires de 1619 et 1621 ou les 106 navires de 1617. En Retours, 70 unités égalent presque les niveaux les plus forts, ceux de 1614 et 1615, 72 navires). En Allers et retours, les 195 unités de 1618 sont sans équivalent (loin devant les 183 navires de 1619 et les 176 et 175 navires de 1621 et de 1615), mais cette situation est associée à une position assez médiocre en tonnage, position médiocre qu’atteste le pourcentage à la moyenne de 98,665 % contre 109,22 % en 1617.

215Par rapport au terme de référence de 1617, la position de 1618 est marquée par la distorsion mouvement unitaire/tonnage, rencontrée déjà sur les Allers et sur les Retours. On passe de 165 à 195 toneladas (48 594,6 tonneaux), soit une contraction de 6,8 %.

216Il en va ainsi, bien sûr, en raison d’une réduction brutale du tonnage unitaire, de 263,6 toneladas en 1617 à 207,6 toneladas en 1618. Cette réduction est, elle-même, le signe de la rentrée en ligne, d’un important matériel négrier.

217Cette importante mutation du tonnage unitaire n’implique pas un jugement défavorable sur la conjoncture de 1618, tout au contraire. Elle renforce, par contre, la signification de la coupure proposée entre la fin et le début d’une possibilité de fluctuation primaire.

4. Valeurs

218Le mouvement valeur, quelle que soit la prudence avec laquelle il faille le manier, offre de solides raisons de ne pas surestimer le creux de 1618.

219On manque, malheureusement, d’éléments qui permettent d’apprécier les retours146. Pour les Allers, par contre, on est mieux pourvu. De 930 millions en 1617, le niveau passe à 1 569,5 millions en 1618, soit un accroissement de l’ordre de 60 %. Ce chiffre de 1 569 millions place 1618, en excellente position, à égalité presque avec les meilleures années du cycle précédent.

220La situation du couple volume-valeur, en 1618, s’apparente, donc, étroitement, à celle de 1592-1593. Les racines doivent en être cherchées en 1617. On a cru déceler, alors, une sorte de frein qui venait du dehors147, non pas le frein habituel — jadis, dans les périodes d’expansion d’avant le retournement de la tendance — du manque de navires mais le frein du manque de marins, tout aussi grave, en raison des grosses ponctions d'armada qui viennent s’ajouter à bien d’autres raisons, sur lesquelles il n’y a plus à revenir. D’où pour forcer le goulot, un phénomène de triage en faveur des seuls éléments les plus lourds, économiquement, les plus denses, selon un processus bien souvent rencontré. Le creux de 1618 semble, dans ces conditions, un creux très particulier, dont il serait dangereux d’exagérer l’importance, puisqu’il n’est pas exclusif d’un fort désir de commercer.

221On ne peut construire, toutefois, sur la seule indication de l'avería, un système trop lourd et trop complexe. Il n’est pas exclu, en effet, que les marchands aient fait preuve d’une plus grande complaisance à se laisser taxer, en raison des propositions de Juan Nunez Correa sur l’administration de l'avería148. Un plus fort rendement de l’avería constituerait auprès du Roi un moyen de l’aider à ne pas céder aux offres alléchantes du magnat portugais.

222La marge, toutefois, de 930 à 1 569 millions de maravedís est telle qu’elle ne peut être uniquement imputable à de légères différences dans les marges de tolérance. Elle indique, nécessairement, une tendance.

CONFIRMATIONS LATÉRALES

223Rien ne permet, par ailleurs, d’affirmer, entre 1617 et 1618, une modification sensible d’atmosphère. Le temps de la facilité, du dehors, est révolu, s’il est vrai qu’il ait jamais marqué les années qui suivirent immédiatement la Trêve de Douze Ans.

1. Menaces du dehors

224De nouveaux ennemis rôdent. Walter Raleigh a soumis à rude épreuve toute la côte de la Terre Ferme149. Combats, raids dévastateurs, large ouverture, naturellement, aux échanges frauduleux, que comporte toujours ce genre d’opération. Tout cela conduit, peu à peu, aux rudes réalités des années 20.

225Le centre de gravité des dangers qui pèsent sur l’empire des ibériques est, ailleurs, toutefois, dans le Pacifique et l’Indien, l’expédition de la petite armada de deux caravelles aux détroits de Magellan, partie le 27 septembre150, en prouverait, si besoin était, la persistance.

226Ces difficultés ne sont pas niables. Il est possible qu’elles aient contribué à ramener au premier plan la grave question de l’administration de l'avería, toujours en suspens, depuis 1609..., puisqu’aux raisons financières qu’il pouvait y avoir à donner au problème une véritable solution, c’est à dire, un asiento en bonne et due forme, s’ajoutaient, désormais, des considérations de plus grande efficacité, dans l’ordre militaire151.

2. Tension des groupes

227Le barrage exercé par les vieilles maisons sévillanes avec l’aide de la Casa de la Contratación réussit, une fois encore, à écarter des dangereux contrôles le Portugais abhorré. Les documents qui constituent le dossier dont une partie a été résumée dans les notes aux tableaux152, sont précieux par la récapitulation qu’ils contiennent de tous les procédés de fraude. Le point de vue est passionné. Ces documents dénotent, toutefois, d’une part, une grande hostilité à l’égard du capitalisme portugais. L’invasion de la Carrera par le capitalisme portugais en retraite de l’océan Indien et de ses positions extrême-orientales sur les Indes de Castille a provoqué une exaspération qui achemine, peu à peu, la Carrera vers la série complexe de réactions en chaîne qui sont au cœur de la rupture de 1640.

228Ils révèlent, enfin, l’état de désorganisation militaire complet de l'Armada de la Guardia. On a pris conscience du danger... mais Séville ne se ressaisira pas avant d’avoir subi les irréparables revers de Matanzas (1628). L'Armada est devenue une entreprise essentiellement commerciale, dont l’action démoralisatrice semble être admise par tous.

229La crise, toutefois, n’est pas suffisante pour qu’on en abandonne la direction au Portugais. Ce tableau, malgré les faiblesses qu’il révèle, est, quand même, assez réconfortant. Il montre un Guadalquivir encore bien vivant, en dépit de sa gangrène. Des intérêts douteux pour la possession desquels on se bat du dehors. Juan Nunez Correa, le tout-puissant magnat portugais, ne déploierait pas tant d’efforts pour accroître son empire sur le trafic des Indes, si le trafic de Séville ne restait en 1618, une grosse affaire digne de lui. Les vieilles maisons du Monopole de Séville ne se défendraient pas si avidement si elles n’avaient plus rien à défendre. Les violences anti-portugaises et l’âpreté de la lutte pour l'avería sont un signe, en 1618, des difficultés, certes, inhérentes à toute une époque, mais d’une vitalité certaine. Ne serait-ce qu’en raison de toute cette vie débordante, revendicatrice de la place des autres et agressive, 1618 n’apparaît pas comme une période de dépression pure et simple.

230Les frottements153 qui opposent Séville aux Caditains, dont la part s’accroît, subrepticement, d’année en année, procèdent du même état d’esprit. Séville recule, certes, mais pied à pied. L’intensité des oppositions, à l’intérieur même du Monopole, prouve qu’il y a encore quelque chose à se disputer.

231La Carrière des Indes, en outre, continue à remuer des volumes importants, un nombre plus grand de navires, des richesses accrues, malgré les menaces qui se précisent — et ce n’est pas un facteur négligeable — en dépit de Raleigh et de la nécessité de défendre le détroit de Magellan contre d’éventuelles incursions du dehors. Cela milite en faveur d’un certain tonus du trafic.

3. Chronologie du trafic et problèmes des navires

232L’expansion relative de 1618 souligne quelques aspects particuliers, a priori, quelque peu déroutants de l’histoire des navires. Le cycle 1614-1622, dans son ensemble, a été une période de tonnage abondant et facile154. Si un goulot a gêné, un moment, le trafic — il est difficile d’en écarter l’hypothèse, en raison du triage des valeurs que l’on observe, entre 1616 et 1618 — ce fut un goulot de main-d’œuvre : le manque de marins155. Le vieillissement rapide du stock des navires le prouve156.

233Cette situation vraie, en gros, à l’échelle de la fluctuation cyclique, n’exclut pas, dans la vie de chaque jour, des situations curieuses, qui éclairent, finalement, le processus du vieillissement des navires. On a observé, en 1618, qu’un certain nombre de navires, partis en 1617157, « al traves », entendez, destinés à ne pas revenir, mais à être vendus aux chantiers de démolition de la côte américaine, sont revenus et repartent.

234Comment expliquer le phénomène ? Il peut être l’effet d’une saturation aux Indes. Le vieux navire représente, essentiellement, soit un moyen de cabotage, soit, toujours, en dernier ressort, de la matière première pour la construction navale. Le problème des faux « al traves », peut simplement exprimer un certain marasme aux Indes, ralentissement des besoins du cabotage d’îles en îles, des besoins en matière première des chantiers de construction navale. Mais il peut être plus sûrement, un signe positif du côté espagnol, dans le cadre étroit de la conjoncture annuelle s’entend..., un jeu, sans doute, aussi, d’une politique de priorité et de rationnement.

235Le désinvestissement de l’armement et le vieillissement des navires a été particulièrement rapide, comme le prouve le tableau correspondant (1616-1620) de la table 16158. Il n’y a pas contradiction, dans ces conditions, à ce que des vagues contraires se forment en surface. Un certain besoin de navires, difficile à satisfaire et attirant, de ce fait, des retours d’al traves. Jeu d’autant plus tentant que la législation, la règle de la antigüedad, législation et règle de crise, crée une prime en faveur des plus vieux navires et de ceux qui, considérés comme à bout de course, s’en vont al traves. Malgré tout, sous l’angle étroit de Séville, le retour surprenant, en 1618, d’un paquet de faux « al traves » de 1617, peut, à la rigueur, être interprété comme constituant une présomption favorable en faveur de l’année. Le Schéma est assez conforme à ce que laisse à penser l’évolution de l'avería Allers.

236Un autre facteur semble militer en faveur d’une certaine tenue conjoncturelle du trafic, en 1618 : la densité des départs, non de Cádiz, mais du Guadalquivir. La flotte de Terre Ferme et l'Armada de la Guardia partent de San Lúcar, à partir du 26 avril et la flotte de Nouvelle Espagne de Don Carlos de Ibarra fait de même, aux environs du 29 mai159 ; à un mois, seulement, d’intervalle, quinze mille toneladas quittent le Guadalquivir. Une telle cadence vaut les plus beaux records.

237Cadence extrêmement rapide, au sortir de San Lúcar —et ceci atténue cela—, il n’en va plus de même à la sortie de Cádiz. L'Armada de la Guardia et la flotte de Terre Ferme, en effet, partent de Cádiz, après un arrêt raisonnable d’une dizaine de jours (26 avril, 7 mai 1618). La flotte de Nouvelle Espagne, par contre, de Don Carlos de Ibarra fait à Cádiz un stage de près d’un mois et demi (29 mai-6 juillet 1618).

238Le rythme des départs de Cádiz (7 mai, 6 juillet) — bien que plus modeste que celui de San Lucar (26 avril-29 mai), 60 jours au lieu de 33 —, est un rythme assez rapide et heurté. Il témoigne d’un grand dynamisme du trafic, au cours du premier semestre de l’année, du moins.

239L’accroissement des délais à Cádiz, on l’avait noté déjà en 1616160, fait écho aux plaintes qui émanent de Séville, dont la Casa de la Contratación recueille, précisément, les échos161. L’un et l’autre prouvent, suivant un schéma bien connu et souvent décrit162, le développement relatif de Cádiz, à l’intérieur du complexe.

240Cette croissance n’apparaît pas, comme on pourrait s’y attendre, sur la ventilation à l’intérieur du complexe163. En effet, la part de Cádiz est infiniment plus une participation au chargement des navires de Séville qu’un chargement sur les navires de Cádiz eux-mêmes. S’il en est allé ainsi, en 1618, c’est en raison, notamment, d’un certain désistement de Séville, qui a dû laisser la voie à Cádiz, plus apte à saisir l’occasion offerte.

4. Ventilation à l’intérieur du complexe

241a. Négriers. — Le fait le plus frappant, c’est la reconstitution du trafic négrier officiel164. Avec 44 unités, 4115 toneladas, le volume officiel des exportations négrières atteint un point haut. Il ne sera plus dépassé qu’une fois jusqu’en 1650, l’année suivante, en 1619.Même au cours des bonnes années qui précédèrent la crise de 1609, le niveau, 44 unités, 4 115 toneladas, se place sur la série négrière à un rang honorable165. Le niveau négrier de 1618 et 1619 constitue une présomption de conjoncture favorable aux Indes. Besoins de la mine, besoins des plantations ? Quelle que puisse être l’incidence d’un tel gonflement sur les autres éléments du trafic, l’élément est favorable.

242b. Canariens. — Le trafic canarien « officiel » par contre, ne cesse de se détériorer, sous l’action de la jalousie de Séville. 16 navires, en 1618, au lieu de 15, 1 220 au lieu de 1 292 toneladas. 1619 est à peu près à égalité, encore, avec 18 unités, 1 316 toneladas, mais au-delà, la part canarienne se désagrège rapidement.

243c. Armada. — Le niveau de l'Armada de la Guardia, élimination faite de deux caravelles, destinées à renforcer les positions espagnoles du détroit de Magellan166, s’élève, exactement, à 9 unités et à 3 900 toneladas, que l’on peut pratiquement considérer au même titre que des navires marchands de Séville167. Les documents présentés lors de la tentative de main-mise sur l'avería de Juan Nunez Correa montrent une Armada presque totalement dépourvue de signification militaire. Dans ce domaine, l’évolution s’est hâtée depuis 1614.

244Cela d’autant qu’elle accompagne, cette année, comme elle l’avait fait, précisément en 1614, l’armada de Terre Ferme168. C’est une solution économique, on l’a vu169 qui sacrifie, un peu plus que de coutume, les impératifs politiques et militaires, mais une solution qui tend à mêler navires d'armada et navires de flotte, plus intimement que de coutume, qui tend à renforcer encore le caractère mercantile de l'Armada de la Guardia.

245d. Séville et Cadiz. — La part des navires marchands de Séville et de Cádiz s’en trouve quelque peu laminée.

246Pour Séville, on passe de 50 à 73 unités, en 1618, mais avec une présomption de tassement des tonnages (10 810 au lieu de 11 612 toneladas) ; pour Cádiz, de 8 à 5 et de 2 700 à 2 525 toneladas, sans que, bien au contraire, la participation de Cádiz en soit affectée. On a vu ce que signifiait l’interminable séjour, sous cet angle, de la flotte de Nouvelle Espagne, du 29 mai au 6 juillet 1618, dans la vieille cité phénicienne170.

247Au total, il y a donc, présomption forte de réduction globale du tonnage « marchand » sur les deux axes combinés de Séville et Cádiz : 70 navires et 18 910 toneladas en 1615, 40 navires et 12 720 toneladas en 1616, 58 navires et 14 312 toneladas en 1617, 78 navires, par contre, mais 13 335 toneladas, en 1618.

248Ce léger tassement explique le triage des marchandises et le forçage, seulement, de la route des Indes par les éléments les plus chers, selon un processus bien connu.

5. Secteurs géographiques fondamentaux171

249L’équilibre en volume est parfait entre Nouvelle Espagne et Terre Ferme : 58 navires, 10 355 toneladas, d’une part, 46 et 9 695 d’autre part.

250S’il y a crise en 1618, c’est la Nouvelle Espagne qui est affectée. La flotte de Don Carlos de Ibarra172 est particulièrement squelettique. La part de Séville, surtout, est particulièrement dérisoire, — le niveau le plus bas de tout le cycle, à l’exception de 1622. La défaillance volumétrique semble corroborée par la défaillance parallèle du mouvement-valeur.

251La Terre Ferme, par contre, apparaît victorieuse, malgré les attaques de Walter Raleigh, avec 46 unités et 9 695 toneladas, en volume, en unités et, très vraisemblablement, en valeur173.

252Les îles, aussi, sont en progrès et leur niveau au départ, 18 unités, 2 450 toneladas, est important pour le cycle.

253On notera, en présence d’un tel tableau, que la conjoncture de 1618 est bien moins mauvaise qu’on pouvait être tenté de le croire sur le seul témoignage des tonnages globaux.

HYPOTHÈSES

254L’explication, qu’on sera tenté de présenter, pour rendre compte de ces événements, est absolument indissociable de celle qu’on avait avancée, en 1617174. 1618 se situe au milieu de cette période de demi-expansion qui se place au lendemain du renversement de la tendance des trafics.

255À l’intérieur de cette période, 1618 est apparue comme une année d’expansion relative, masquée par un goulot extérieur, celui, non des navires, mais des marins175. D’où l’apparente contradiction de valeurs extrêmement élevées et d’un tonnage réduit. La poussée négrière est, à elle seule, un élément positif, dont on peut présumer beaucoup.

256Le trafic, en 1618, bénéficie, d’ailleurs, d’un relâchement sur les deux séries qui sont intimement liées à la vie que l’on a choisi de retrouver : les prix en Espagne et le coût relatif de la main-d’œuvre espagnole. 1618 est, on l’a vu, absolument solidaire de 1617.

257Il existe sur ces deux séries clefs176, un facteur d’expansion — augmentation à court terme des prix des marchands, diminution du coût relatif de la main-d’œuvre — à l’intérieur d’un élément dépressif de longue durée, — anomalie négative, des prix, anomalie positive de la main-d’œuvre, — un facteur limité d’expansion de 1616 à 1618, répercutable sur les trafics de 1617 à 1619.

258Le goulot de la main-d’œuvre de mer est responsable, entre autres facteurs, de l’ensellement du tonnage global en 1618, largement compensé par le triage des valeurs, en direction de la Terre Ferme, au tout premier chef.