1En présence d’événements de la taille de ceux que la crise de la Vera Cruz de 1609-1610 a mis en évidence, le découpage en fluctuations primaires se brouille. La fluctuation primaire elle-même perd de sa réalité. Elle n’est plus guère conservée, que pour des raisons d’homogénéité, faciles à comprendre. On est, dans une large mesure, en présence d’une période de crise prolongée, qui, préparée au plus fort de la prospérité, en 1609, apparaît au grand jour en 1610 et se prolonge au-delà de la fluctuation étroitement définie de 1611 à 1613, jusqu’en 1614, sûrement, jusqu’en 1615, peut-être.

I. — RÉALITÉ DE LA CRISE (1612-1613)

2Elle n’est pas douteuse, à l’intérieur de la fluctuation et en dehors d’elle. Quel que soit le terme de référence que l’on choisisse, soit la fluctuation, soit globalement, la demi-décade apparaîtra comme un creux entre deux masses plus fortes, la grande prospérité des années triomphantes, autour de 1608, 1609, évidemment, voire même, ce qui est plus significatif encore, les années postérieures entre 1615 et 1618-1619 au cours desquelles le mouvement récupère une partie de ce qu’il a perdu, lors de la grande crise de 1609-1610.

LE CREUX DES GLOBAUX DANS LE CADRE DE LA FLUCTUATION

3La moyenne de 1612-1613 constitue un terme de comparaison valable.

4Entre les creux de 1611 et de 1613, pour des raisons qu’on n’a pas à examiner, ici, 1612 constitue un sommet relatif médiocre mais acceptable. Petite fluctuation, en grande partie imputable à de simples raisons de technique inhérentes à la navigation, elle doit être comptée en prenant soin de lui incorporer un point haut et un point bas. C’est pourquoi, la combinaison 1612-1613 convient assez bien à notre propos.

5Après les points hauts de la fluctuation médiane, 1612-1613 est très en contre-bas, à peu près à la même altitude que les premières années 1605-1607. En Allers, surtout, 19 604 toneladas, contre 29 252,25 toneladas (de 1608 à 1611), 33 214 toneladas (de 1608 à 1610) et 17 506,6 toneladas de 1605 à 1607. 19 604 toneladas, le creux subsiste par rapport à la suite, soit le niveau annuel moyen du cycle suivant (1614-1622), soit, plus encore, le niveau de la première fluctuation du cycle suivant (1614-1618).

6Pour les Allers et retours, le schéma reste valable. La fluctuation délimitée de 1612 à 1613 reste marquée en creux, entre 1608-1611 et, encore que plus faiblement, 1614-1622. Les 39 123,5 toneladas de la moyenne annuelle de 1612-1613 dépassent très légèrement les 37 501 toneladas de 1605-1607, mais ils se creusent par rapport aux 49 846,75 toneladas de 1608-1611 (54 883,33, de 1608 à 1610), voire même les 40 394,5 toneladas, moyenne annuelle de la fluctuation 1614-1618, d’une manière à peine perceptible, par contre, si on envisage l’ensemble du cycle 1614-1622, avec 39 255,18 toneladas.

7En Retours, par contre, le creux disparaît. Il y a, au contraire, très brutale décroissance depuis le niveau élevé mais très médiocrement détaché de 1608-1611. 1612-1613 (19 519,5 toneladas) pratiquement à égalité, avec 1605-1607 (19 994,3 toneladas), ne se détache plus qu’imperceptiblement de la fluctuation médiane, d’une contraction de l’ordre de 5 % seulement (20 594,5 toneladas de 1608 à 1611, 21 669,33 toneladas de 1608 à 1610), contre des replis de l’ordre de 33 ou plus de 40 % dans le cas précédent des Allers. Par rapport à la suite, par contre, le mouvement Retours de 1612-1613 se détache avec 19 519,5 toneladas, très proche de la moyenne du cycle 1605-1613, soit 20 155,5 toneladas, mais bien détaché, par contre, de la série plongeante qui s’esquisse au-delà, 17 778,7 toneladas de 1614 à 1618, 17 053,4 toneladas pour l’ensemble du cycle 1614-1622, 16 421,675 toneladas pour la dernière fluctuation 1619-1622.

1. L’anomalie des Retours dans le cadre de la fluctuation

8Ce comportement aberrant révèle l’anomalie des Retours dans le cadre de la fluctuation 1612 à 1613.

9De 1612 à 1613, 164 navires partent, 163 reviennent, soit 39 208 toneladas d’un côté à l’Aller, 39 039 toneladas, de l’autre, au Retour, entendez 50,1 % pour les Allers, 49,9 % pour les Retours. Il est inutile de rappeler combien ces positions s’écartent de la moyenne séculaire, 57 % d’un côté, 43 % de l’autre, d’une manière d’autant plus significative qu’il y a, en outre, entre 1612 et 1613, mutuelle égalisation des tonnages unitaires annuels moyens.

10Une telle situation, dans un trafic qui sera commandé, quand même, jusqu’au bout, pour l’essentiel, du Guadalquivir, traduit toujours une grave crise, le passage par une conjoncture difficile — mieux, ici, le renversement de la tendance majeure du trafic.

2. L’anomalie des Retours : sa véritable extension

11Une des preuves les plus sûres que l’on puisse invoquer concernant cette vue, à savoir celle d’une anomalie positive du mouvement Retours, qui serait un des signes les plus sûrs du renversement de la tendance majeure, réside dans l’extension de cette anomalie, qui dépasse, de beaucoup, le cadre de la fluctuation que l’on délimite, de 1612 à 1613.

12L’anomalie est telle qu’en 1611 et 1612, les moyennes mobiles médianes de cinq ans, Allers et Retours1 arrivent virtuellement à égalité (26 667,38 tonneaux et 24 977,04 tonneaux, pour les Allers, 25 398,72 tonneaux, 24 223,88 tonneaux pour les Retours).

13Elle s’étend sur une période de trois, quatre, voire cinq années, de 1611 à 1613, 1610-1613, 1610-1614.

14De 1611 à 1613, Allers et Retours s’équilibrent de la manière suivante, 56 575 toneladas, d’un côté à l’Aller, 56 409 toneladas de l’autre au Retour, de 1610 à 1613, 84 025 toneladas pour les Allers, 83 720 toneladas pour les Retours. De 1610 à 1614, sur cinq années, le déséquilibre reste très faible encore, 104 071 toneladas à l’Aller contre 100 932 toneladas pour les Retours... Même dans ce cas, les Retours représentent encore 49,24 % du total, contre 50,76 % pour les Allers. Même dans le cadre semi-décadaire (1611-1615)2, beaucoup moins favorable, l’anomalie des Retours, bien que très atténuée, se maintient. Cette anomalie n’est peut-être pas, quantitativement, la plus importante, mais, comme le montre bien le graphique « Déficit des Retours »3, elle est, certainement, la plus régulière. Elle marque bien un tournant décisif.

3. Le creux des globaux : sa véritable extension

15Ce qui est vrai de l’anomalie positive des Retours, l’est aussi de l’ensemble des mouvements globaux. Elle dépasse largement le cadre étroit de la fluctuation courte 1612-1613, comme le prouvent les moyennes mobiles de cinq ans4, comme le montreraient, a fortiori, les fluctuations plus courtes de quatre, trois ou deux ans.

16Pour se borner aux moyennes médianes de cinq ans, médiocrement sensibles à l’accidentel, en raison de leur longueur, on observera l’ampleur du creux, sa largeur plus que sa profondeur, sa régularité surtout, en Allers et en Allers et retours, du moins, sinon en Retours où l’ensellement existe pourtant. Certes, il y a, dans l’histoire recensée de la Carrera des creux cycliques plus profondément marqués, au-delà de 1550, mais on ne peut parler, alors de récession intercyclique — après l'Invincible Armada, pour des raisons en partie accidentelles et externes ; certes, il existe encore un creux comparable autour de 1640, lors de la double brisure de l’empire espagnol, avec le double soulèvement du Portugal et de la Catalogne, mais il n’en existe pas de plus réguliers et de plus parfaitement dessinés5. Une puissante dépression du trafic, centrée sur 1612 et 1613, dépasse donc largement le cadre étroit de ces deux ans.

17Le creux est tellement sensible que même un découpage indépendant de la fluctuation le laisse subsister ; c’est le cas du découpage des globaux, dans un cadre semi-décadaire6, où en Allers, Retours et Allers et retours, la demi-décade de 1611-1615 est profondément creusée entre les demi-décades encadrantes de 1608-1610 et 1616-1620.

LES GRANDES ARTICULATIONS DU MOUVEMENT

18Deux éléments achèvent de donner la caractéristique de la fluctuation, hardiment replacée au sein d’une période plus large de contraction : le rôle de la Nouvelle Espagne, à l’Aller, et l’exclusion temporaire des « marginaux » du complexe.

1. L’axe nouvel-espagnol

19On se trouve au sein d’une période, au sens large, dominée par le trafic avec la Nouvelle Espagne. Il en va, ainsi, à l’Aller, très clairement, sur vingt-cinq ans au moins, en pleine contraction, on vient de le prouver longuement. Cette crise, qui dépasse le cadre chronologique étroit de la fluctuation, a son expression la plus sensible et son origine en Nouvelle Espagne, sur le marché de la Vera Cruz. La position de la Nouvelle Espagne, au départ, est, dans ces conditions, d’autant plus significative.

20L’ampleur de la crise et l’importance de la récession tiennent, précisément, au fait que, malgré ses efforts dans ce sens7, le commerce de Séville n’a pas réussi à faire reprendre à la Terre Ferme la place qu’elle a perdue à la charnière des années 1580 et 1590. C’est donc la Nouvelle Espagne blessée qui continue à tenir la tête des départs, avec 85 navires sur 164 (51,9 %), 21 202 toneladas sur 39 208 toneladas (54 %) ; si les chiffres absolus sont faibles, beaucoup plus faibles que pour le cycle et, a fortiori, pour la fluctuation médiane de 1608 à 1611, les pourcentages sont plus forts que pour aucune période antérieure (mouvement unitaire, 51,9 %, de 1612 à 1613, contre 46,1 % et 47,6 % de 1608 à 1611, de 1605 à 1607 et de 1605 à 1613 ; mouvement en tonnage 54 % contre 51,5 % de 1608 à 1611, 49,7 % de 1605 à 1607 et 52,2 % pour l’ensemble du cycle 1605-1613).

21Dans le même laps de temps, toujours à l’Aller, on sera frappé, par contre, de la faible participation de la Terre Ferme, la plus faible du cycle : 45 navires, 13 260 toneladas, soit, respectivement, 27,4 % et 36,1 %. On peut l’attribuer à des causes propres à la Terre Ferme et déjà dénoncées8, ou à un simple problème technique. La réduction, grâce à la paix, du niveau de l'Armada de la Guardia, pose un problème de substitution ou de retour au système ancien de la flotte. Quoiqu’il en soit, elle montre l’ampleur de la catastrophe et l’étroite dépendance — plus que jamais, peut-être — de la Carrera, à l’égard des événements de la Vera Cruz.

2. Le complexe portuaire, ses lignes de force

22Autre caractéristique de ces deux ans, et cela constitue, aussi, un symptôme grave de crise de longue durée : l’élimination, à peu près complète, des marginaux »9 sur deux ans et l’élimination totale des négriers sur trois ans. L’ensemble Canariens/négriers, que l’on a coutume de grouper sous la rubrique des « marginaux », représente, en tonnage, 16,22 % lors de la première fluctuation déprimée de 1605 à 1607, 20,8 % pendant la fluctuation de la plus grande expansion, de 1608 à 1611, 17,17 % pour l’ensemble du cycle 1605-1613, 8,4 % seulement, au cours de la dernière fluctuation déprimée de 1612-1613. Cela, avec le pourcentage insolite des navires marchands de Séville et de Cádiz (Séville/marchands : 60 % de 1612 à 1613, contre 51,8 % de 1608 à 1611, 45,8 % de 1605 à 1607, 51,6 % pour l’ensemble du cycle 1605-1613 — ensemble les navires marchands de Séville/Cádiz atteignent 73,2 % du tonnage d’ensemble des départs de 1612 à 1613, contre 61,8 % de 1608 à 1611, 56,9 % de 1605 à 1607, 62,5 % pour l’ensemble du cycle 1605-1613) doit être considéré replacé dans son contexte comme un syndrome de crise.

3. Le secteur négrier

23Les négriers constituent le secteur sensible, en l’occurrence, celui qui commande le recul de l’ensemble des marginaux. L’asiento avec la firme portugaise touche à son terme entre 1608 et 1609. Il n’a pas été renouvelé. Une période de réaction et d’hésitations, comme le veut Georges Scelle10, s’ouvre alors, dans l’histoire négrière de la Carrera, de 1609 à 1615. Abandon du système manifestement plus efficace de l'asiento avec, théoriquement, recours à la régie. Il est intéressant de constater à quel point les données de l’histoire chiffrée et évolutive recoupent celles d’une bonne historiographie institutionnelle.

24La période de la régie et des hésitations que Georges Scelle délimitait, de la fin de 1609 à 1615, correspond, dans nos séries chiffrées, à un vide à peu près total11. L’énorme poussée négrière de 1608 (52 unités, 6 900 toneladas) de 1609, surtout, record officiel d’un siècle et demi vu de Séville (57 unités, 7 310 toneladas), le niveau fort encore, par rapport à ce qui va suivre, de 1610 (21 unités, 3 150 toneladas), représentent la liquidation de l'asiento portugais. Les asientos, G. Scelle l’avait déjà observé, sont toujours en retard sur leurs programmes ; d’où le nœud de la fin et au-delà du terme légal du contrat. L’asiento portugais traduisait une période de facilités, celle de la conjoncture haute des bonnes années de la décade, donc de moindre xénophobie et de gros besoins des Indes en nègres.

25Le refus de renouvellement et le creux de 1609-1615 correspond au gros accident de conjoncture au milieu duquel la petite fluctuation 1612-1613 est placée. D’une part, la prodigieuse poussée antiportugaise : nos preuves, tout au long des notes aux tableaux12, s’ajoutent aux preuves particulières de Georges Scelle13, rendait impraticable le recours au seul moyen efficace de se procurer du nègre, le contrat avec les plus grosses maisons du capitalisme portugais. N’a-t-on pas vu la contrebande portugaise ou, du moins, le relais portugais de Terre Ferme mis directement en cause14 dans la récession du trafic en direction de Carthagène et de l’isthme ?

26Cette attitude négative, d’autre part, l’absence d’une véritable prise en charge de l’entreprise pour les groupes rivaux des Coutinho, ceux-là même, notamment, qui tiennent le Consulat de Séville et dont on a vu les réflexes conservatoires, à courte vue, sans doute, face à la crise puissante qui, de la Vera Cruz, a balayé tout l’espace colonial nouvellement saisi de l’Europe, des Philippines à Séville, de Mexico au Potosí, au-delà, peut-être, a été rendue possible par la crise elle-même qui, en profondeur, paralyse les Indes.

27La crise de 1609, comme toute crise, se marque par un ralentissement des besoins en biens d’investissement. Or, les nègres, qu’est-ce, aux Indes, si ce n’est, par excellence, le bien de production ? Une économie indienne, dans sa phase dynamique, aurait su faire sauter, elle l’a fait en d’autres circonstances, la barrière fragile, quand même, placée par les groupes du Monopole, sur la route de son approvisionnement. Elle y parviendra, au-delà de 1615, dans la phase à nouveau ascendante du trafic, en période de reprise conjoncturelle limitée.

28On peut affirmer, en outre, que l’ampleur de la récession négrière des années 1611-161615 a gêné, ensuite, la reprise. Il suffit pour s’en convaincre de bien se rappeler le lien étroit qui unit à la masse globale de nègres disponibles, certains secteurs clefs de la production coloniale, l’or, les perles, les plantations, voire même l’argent, par la bande, dans la mesure où le nègre est un instrument par lequel on fait travailler l’indien, une sorte de catalyseur dans un procès de production, où l’indien est la matière première de base.

29L’effacement négrier, d’une part, la montée relative de Séville — elle s’accompagne d’un déclin en valeurs absolues — d’autre part, constituent bien des signes de la crise de ces années délicates.

4. Quelques signes concordants

30Il y a bien d’autres signes concordants. Une certaine diminution des pertes16, en raison de la paix, en raison d’un moindre effort, d’une moindre tension exercée sur l’armement.

31Autre signe, d’une interprétation plus difficile, mais qu’on ne peut, toutefois, écarter, a priori, le rythme de rotation des convois.

32On sait, qu’en gros, dans le cadre de structures identiques (on peut affirmer, sans crainte de démenti, qu’entre le milieu du xvi^e siècle et la deuxième moitié du xvii^e siècle17, les conditions techniques de la navigation en convois ont peu évolué), les périodes de conjoncture difficile sont des périodes de ralentissement de la vitesse des convois, en raison des plus longues attentes au port, tandis que les périodes d’expansion sont des périodes de rythme plus rapide18.

33On pourra hésiter, toutefois, à tirer argument du rythme de rotation des convois, en raison de la médiocrité des séries disponibles et surtout, en raison du caractère contradictoire, au premier coup d’œil des séries Nouvelle Espagne et Terre Ferme19.

34L’objection, toutefois, ne résiste pas à un long examen. Les séries Nouvelle Espagne, Terre Ferme, sont d’utilité très inégale pour notre propos. Les séries avec la Nouvelle Espagne sont plus fournies. A l’Aller, par exemple, le rapport est de l’ordre de 40 et 39 voyages recensés d’une part à 32 et 37 voyages recensés d’autre part20.

35Les séries de la Nouvelle Espagne sont plus homogènes, puisqu’elles ne portent que sur des flottes. Pour la Terre Ferme, par contre, il y a la flotte et l'Armada. L’Armada, dans l’ensemble, est plus rapide. Elle obéit, d’ailleurs, au premier chef, à d’autres mobiles qu’à des mobiles économiques. Or, de 1611 à 1615, le nombre des flottes est particulièrement insignifiant et l'Armada donne le ton. Pour toutes ces raisons, à l’époque qui nous intéresse, le rythme de rotation de la navigation en convois en direction et en provenance de la Terre Ferme est un mauvais baromètre à conjoncture.

36Si on se tourne, par contre, comme le raisonnement, a priori, y invitait, vers la seule navigation sur l’axe de la Nouvelle Espagne, on observera que le réactif réagit dans le sens attendu21. De San Lúcar à la Vera Cruz (particulièrement précieux, en raison du temps d’arrêt à Cádiz), les 94 jours (départs de San Lúcar) et les 75 jours (départ de Cádiz) de la demi-décade de 1611-1615 constituent un temps long par rapport, non seulement aux périodes qui précèdent et à celles qui suivent immédiatement, mais par rapport, aussi, à la moyenne séculaire22. De San Lúcar à la Vera Cruz, cela est évident. Mais la constatation reste valable de Càdiz à la Vera Cruz ; malgré la non-incorporation du temps de séjour à Cádiz, alors que, seuls, interviennent des arrêts secondaires aux Antilles, la période 1611-1615, avec une moyenne de 73,4 jours se détache entre 1601 et 163023, mieux, arrive à égalité avec une moyenne séculaire de 74,93 jours.

37Au Retour24 avec les arrêts de la Havane qui pèsent lourd, les 133,5 jours de la demi-décade 1611-1615 ne s’en détachent pas d’une manière moins significative, entre 1601 et 1620, avec des écarts de l’ordre de 30 à 40 jours, par rapport aux temps de parcours moyens des demi-décades voisines, voire même, par rapport à la moyenne séculaire, de 128,5 jours, qu’elle excède encore de cinq jours.

INTERPRÉTATION

38Pas plus qu’il ne pouvait y avoir25 d’explication valable pour la seule année 1611, il ne peut y en avoir, pour la fluctuation 1612-1613, isolée de son contexte. C’est, en réalité, d’une longue dépression qu’il faut rendre compte, depuis la crise spectaculaire de 1609-1610, jusqu’aux hésitantes reprises de la demi-décade 1616-1620.

39La crise de 1609, sur laquelle il n’y a plus à revenir, a révélé, on l’a vu, des structures sous-jacentes, moins favorables que celles du xvi^e siècle, aux échanges à trop long terme, à travers un Atlantique et une Amérique nouvellement dominés. 1612-1613, mieux, 1610-1614, c’est déjà le xvii^e siècle de la contraction séculaire, un xvii^e siècle que la reprise de prospérité de 1616-1620 pourra, un moment, masquer, mais sans parvenir à l’effacer. La crise de 1609-1610, c’est l’événement qui ne pouvait pas ne pas se produire un jour et qui a révélé ce qui aurait, de toute façon, fini par apparaître.

1. Les moteurs bloqués

40De même qu’on a pu établir pour l’espace des Indes, dans son ensemble, une série de hiérarchies géographiques variables suivant les périodes, dans le cadre temporel, en gros, de l’intercycle, — 1590-1620 étant dominée, dans cette optique, par les échanges avec le plateau mexicain — on peut estimer qu’il y a à l’intérieur de ces espaces hiérarchisés, des activités dominantes, celles-là même, précisément, qui alimentent les échanges à plus long terme. Ce fut d’abord, à peu près exclusivement, le placer et la mine ; c’est la mine, toujours, désormais, et la plantation, en seconde position, loin derrière.

41Or, on a tout lieu d’augurer un sérieux ralentissement sur deux, au moins, des indices d’activité les plus importants de ces secteurs privilégiés, points dominants à l’intérieur d’une économie déjà dominante : l’activité des mines et l’activité des plantations. On ne les saisit, il est vrai, que par la bande, d’une manière assez efficace, toutefois.

42a. Trésors. — On saisit l’activité des mines, par l’approche officielle des importations des trésors26. Il n’y a pas à revenir sur les conditions d’une critique. En fait, s’il y a lieu de se prémunir sur une période longue contre des dangers de distorsion, on a peu de raisons, on l’a dit souvent27, à court terme, de se méfier. 1611-1615 est une période de paix et de fiscalité raisonnable — dans le cadre, bien sûr, de la fiscalité de la Carrera.

43On peut présumer des événements (énormes ponctions de la faillite de 1607 et des embargos qui l’ont précédé28, reprise des hostilités à la rupture de la Trêve de Douze ans, après 1621, puis bientôt, de la grande politique espagnole dans la guerre dite de Trente Ans, sur les champs de bataille de l’Empire) qu’il y a moins de raisons de se méfier de l’approche officielle des trésors lors de la demi-décade de 1611-1615 qu’on est en droit de le faire des chiffres de 1606-1610 et de 1621-1625, 1626-1630. 1610-1615 est plus sûr, plus complet, sans doute, que 1621-1630. En dépit de cette présomption, le niveau officiel des trésors importés en Espagne de 1611 à 1615 est inférieur à celui des époques encadrantes pour lesquelles on a tout lieu de penser que la fraude a été plus grande. On peut donc, sans crainte, écouter la leçon de ces chiffres. Autre raison de penser que l’indication de ralentissement ainsi perçu est bien à prendre au sérieux, la chronologie du découpage 1611-1615, ne correspond pas, on l’a vu, à la meilleure définition du ralentissement conjoncturel. Étant donné les relations étroites qu’on peut supposer entre la marche des trésors et celle de l’ensemble du trafic, on voit que l’indication d’un creux profond sur la demi-décade 1611-1615 est bien à prendre au pied de la lettre.

441611-1615 est le pendant très exact de 1601-1605. Les mobiles de fraude tout en étant présumés moins contraignants de 1611 à 1615, qu’ils ne le sont, vraisemblablement de 1601 à 1605, le creux de la demi-décade 1611-1615 est, au moins, équivalent au creux de la demi-décade 1601-1605.

45Le niveau des importations de métaux précieux tombe de 31 405 207 pesos à 24 528 120,5 pesos (24 403 328 en 1601-1605), soit un recul de plus de 18 % par rapport à la demi-décade précédente et d’un bon tiers, par rapport au record de 1591-1595, compte non tenu, pourtant, dans l’intervalle, de la chute du pouvoir d’achat de l’argent. Le creux est très considérable, aussi, par rapport à 1616-1620, du même ordre, pratiquement, que par rapport à 1606-1620, puisqu’on passe de 24 millions et demi à 30 millions 112 mille maravedís. Fait beaucoup plus significatif, encore, le niveau des Retours d’argent globaux dans la Guadalquivir, de 1611 à 1615, est inférieur à celui des trois décades suivantes ; pour trouver un niveau inférieur, il faut aller jusqu’en 1631-1635. Le creux cyclique sur un trend descendant est donc marqué, ici, avec une vigueur exceptionnelle.

46Il est beaucoup plus sensible, encore, si l’on substitue à la série des entrées globales celle des seuls trésors des particuliers, les seuls, au vrai, qui soient directement et immédiatement engagés et réintroduits dans les circuits commerciaux de la Carrière des Indes.

47Non seulement l’amplitude du mouvement en creux est accentuée par rapport à 1606-1610 et plus encore, par rapport à 1616-1620 : 17 315 199 pesos (1611-1615) contre 22 855 528 (1606-1670) et 25 764 672 pesos (1616-1620), soit un creux de près de 25 % (au lieu de 18 %), par rapport à la demi-décade précédente et de 33 % (au lieu de 17 %), par rapport à la demi-décade suivante ; mais le niveau ainsi atteint est, désormais, le plus déprimé, sur un laps de temps très long de 40 ans, de 1591 à 1630.

48Sous l’angle de l’importation des trésors, la fluctuation primaire 1612-1613 se trouve donc au milieu d’une période de cinq ans exceptionnellement mauvaise.

49Qu’en déduire pour l’activité minière ? Un recul ou une immobilisation sur place d’une fraction plus grande de la production. Il n’est pas facile de trancher, mais il est inutile de le faire, pour la compréhension, à court terme, de la dynamique Atlantique. Ce qui compte, en effet, pour un trafic conduit, encore, pour l’essentiel, du Guadalquivir de Séville, ce sont les exportations vers l’Europe du précieux métal, puisque ce sont elles qui entraînent plus ou moins étroitement dans leur sillage l’ensemble du trafic.

50b. Les nègres. — Le second indice-clef d’activité que l’on sent se dérober, ce sont les nègres29. On a vu l’ampleur du ralentissement du trafic négrier, de 1611 à 1616, ampleur qui va, de 1612 à 1613, jusqu’à l’arrêt complet. Il est impossible (quelle que soit l’ampleur d’une fraude dont on a, d’ailleurs, à cette époque, aucune preuve particulière) qu’une telle défaillance ne s’accompagne pas d’un ralentissement ou d’une gêne des activités tributaires de la main-d’œuvre ou de l’encadrement nègre, soit que, d’abord, le ralentissement de l’approvisionnement noir apparaisse comme la conséquence d’une défaillance des économies consommatrices de nègres, soit que la pénurie de nègre n’étende, ensuite, la surface des secteurs frappés, ne prolonge et n’entretienne la crise, au-delà de ses limites premières. L’économie de plantations elle-même ne peut qu’en être affectée..., dans la mesure où pour quelques secteurs, l’économie de plantations est tributaire, déjà de l’approvisionnement négrier.

51Trésors à Séville, négriers aux Indes constituent deux indices sûrs d’un marasme profond. Faut-il parler de causes ? Il est plus sage de se borner aux symptômes liés d’un même mal. Mais les symptômes retenus sont graves, car ils affectent des secteurs, évidemment, moteurs du négoce transatlantique.

2. Prix et main-d’œuvre

52Le creux du trafic, de 1611 à 1613, est à mettre en relations, également, avec deux séries de phénomènes auxquels ils sont, évidemment, intimement liés : les prix des marchandises et les prix de la main-d’œuvre dans la péninsule ibérique.

53a. Les prix. — Là encore, sans chercher à trancher d’insolubles problèmes de causalité, on notera de troublantes corrélations. Le procès de 1611-1612 sur les courbes du trafic en volume et en valeur n’est plus à faire. On a déjà vu et on verra plus longuement encore, l’ampleur d’une défaillance.

54Or, si on se tourne vers la courbe la plus générale des prix-argent, on observe30 une importante corrélation. Après les points hauts de 1601 et de 1605, la courbe déprimée concave des prix-argent passe par trois points bas : 1611-1613, avec les indices 125,72, 126,55, 131,22 ; 1625-1626, avec les indices 124,21 et 119,48 ; 1640-1642, avec les indices 121,46, 116,52 et 101,45.

55Ces trois gros accidents négatifs des prix-argent peuvent être mis en corrélation avec quelques-uns des accidents du trafic les plus importants (c’est évident surtout pour 1611-1613 et 1650-1642). Mais ils ont, dans le fond, des significations très différentes. 1611-1613, en effet, est la seule de ces dépressions qui puisse être imputée aux prix seuls, 1625-1626 et 1640-1642 sont plus, d’abord, des accidents monétaires, des flambées d’inflation31. On sait, en effet, qu’en période d’inflation désordonnée, la montée des prix réels est plus que compensée par une surélévation corrélative des métaux monétaires. 1611-1613, dans ces conditions, peut revendiquer d’être le creux le plus incontestable des prix espagnols du xvii^e siècle.

561611-1613 au creux de la vague la plus creusée de tout le xvii^e siècle des prix ibériques, c’est vrai pour les prix métalliques, mais c’est encore, précisément, plus vrai pour les prix réels des secteurs géographiques castillans.

57Sur les prix réels32, aucune hésitation n’est plus possible. 1611-1613 sont le point bas de tout un siècle, mieux de plusieurs siècles33 depuis les points hauts des dernières années du xvi^e siècle et des premières années du xvii^e siècle. Seul l’espace valencien34 fait quelque peu bande à part, le creux y est beaucoup moins marqué et largement anticipé (l’indice 88,84 en 1607 contre l’indice 107,31 en 1601). Mais, aucune difficulté. Cette autonomie de la série Valencienne ne fait que confirmer, une fois de plus, la faible participation du Levant aux affaires atlantiques et américaines de Séville. Autre cause de perturbation, enfin, l’expulsion des Morisques35 a détruit surtout l’économie Valencienne, dans une zone ou la ponction humaine sélective s’est élevée, le plus souvent, au tiers de la population totale.

58Pour les autres secteurs, Nouvelle Castille, Vieille Castille/Léon, Andalousie, ceux qui, par définition sont, comme on a pu, maintes fois, le vérifier, les plus directement impliqués dans les affaires Atlantique, la corrélation est surprenante. En Andalousie, après les points hauts de 1604, 1605 (indices 99,23 et 98,22), 1611 marque le point le plus bas de tout un siècle (indice 80,67), et 1612 et 1613, très proches de 1611, restent très déprimés, 1612, avec 82,46 — le plus déprimé après 1611 — et 1615, 1613, avec 83,66, le plus déprimé après 1611, 1615 et 1619.

59En Nouvelle Castille, après les points hauts de 1605, 1603 (indices 86,69 et 86,61), 1612 marque le point bas de tout un siècle (indice 78,22), bien encadré par les deux points très bas encore de 1611 (indice 79,95) et de 1613 (indice 82,92). 1611 restant immédiatement après 1612, le point le plus bas de tout un siècle ; 1613 n’est dépassé en dépression qu’à deux reprises, en 1619 (indice 80,62) et en 1609 (indice 80,96), 1609 qui participe déjà à cette grande dépression des prix et des trafics au cœur de laquelle se trouve placée la fluctuation courte déprimée de 1611 à 1613.

60En Vieille Castille/Léon, dont les étroites connections conjoncturelles avec les Indes et l’Atlantique de Séville auront souvent frappé, la corrélation est plus étonnante encore. Après le sommet des prix qui est, ici, plus trapu et plus tardif (1604-1605-1606 : indices 94,33, 96,76, 95,09), celui-là même qu’on aura mis en relation avec la pointe conjoncturelle des trafics de 1608-160936, 1612 et 1613 sont au creux de tout un siècle (1612 : indice 79,95 ; 1613 : indice 79,50), 1609-1613, incontestablement, les cinq années les plus basses de tout le xvii^e siècle (80,13, 83,54, 83,06, 79,95 et 79,50)37. Sur la série Vieille Castille/Léon, une moyenne mobile de treize ans et des pourcentages d’écart à la moyenne placeraient, en 1612, incontestablement, la dépression relative la plus importante de tout le siècle.

61Une fois encore, il serait vain d’établir des hiérarchies faciles, seule, compte la corrélation. Elle est frappante. Entre les trafics dans l’Atlantique et les séries les plus importantes des prix dans toute l’étendue du Royaume de Castille. De semblables corrélations sont trop fréquentes, au cours d’un siècle et demi d’histoire, les séries des phénomènes envisagés, trop proches, quand même, pour qu’on puisse attribuer ces corrélations au seul hasard. Il importait, donc, de les établir d’une manière précise, remettant à plus tard, et peut-être à d’autres — quand on aura fait le tour des possibilités, dans ce domaine, de trois siècles d’histoire moderne — le soin de les expliquer parfaitement.

62b. La main-d’œuvre. — L’autre corrélation, sur laquelle il convient d’insister est celle qui lie, dans le cas de ces quelques dizaines d’années, le trafic, on a déjà eu l’occasion de le signaler38, au coût relatif de la main-d’œuvre. Il est inutile de reprendre une analyse à laquelle on n’aurait rien à ajouter.

63Que l’anomalie positive maximale de la rémunération des services ait été un des éléments essentiels de renversement de la tendance majeure entre 1605 et 1625, la chose n’est pas douteuse39.

64Il n’est pas douteux, non plus, qu’à l’intérieur de cette situation, s’établissent hiérarchies et gradations. Or, on est bien obligé de reconnaître que le creux 1611-1613 correspond au passage de l’anomalie par son maximum, tandis que la reprise des années 1615-1618 correspond à un ensellement dans la représentation graphique du phénomène rémunération réelle de la main-d’œuvre ibérique40.

651611-1612-1613, les trois années du creux, correspondent très exactement aux trois années d’écart maximum du prix de la main-d'œuvre, aux trois années de cherté maximale de la rémunération du travail en Espagne. Autant qu’on en puisse juger41, cette situation, vraie pour l’ensemble des Royaumes, est plus vraie encore en Castille que dans les Royaumes méditerranéens42.

66Ceci dit, les « composite index numbers of real wages » de Hamilton, pour 1611, 1612 et 1613, sont les plus importants d’un siècle et demi d’histoire (on comprend, ainsi, un des mécanismes et non des plus négligeables de l’effet dépressif des bas prix des denrées et des produits en période de progrès technique, négligeable à court terme). Les indices de salaire réel en 1611, 1612, 1613, 130,56, 127,96 et 128,09 dépassent même le niveau jusque là record de la crise, l’indice 127,83 de 1609. Les écarts de 1609, 1611, 1612 et 1613 ne seront jamais plus égalés, ils ne l’avaient jamais été de tout le xvi^e siècle43.

3. La paix. Incidence douteuse

67Tels se présentent les facteurs explicatifs essentiels. Ils éclipsent complètement la pacification acquise solidement depuis 1609. Ses effets, pourtant, on l'a vu pour les pertes44, ne sont pas négligeables. Deux séries d’hypothèses pour rendre compte de cette apparente anomalie, d’une pacification porteuse de troubles, de crise et de dépression, peuvent être évoquées. Elles incorporent vraisemblablement, l’une et l’autre, une part d’une vérité complexe que l’on ne saurait saisir d’un coup.

68La première consisterait à minimiser le rôle de la guerre, telle qu’elle a fait rage, un quart de siècle dînant, sur mer, comme facteur susceptible d’influencer le déroulement de la vie économique, voire même, le déroulement d’un grand trafic maritime, la forme, apparemment, la plus susceptible, pourtant, de subir son influence. En fait, la réduction du taux des pertes prouve que le passage de l’état de guerre « politique » à l’état de paix « politique » n’est pas indifférent, de même, l’ampleur, on l'a vu, du volume des armadas45 milite, dans le même sens.

69Cette première hypothèse ne peut donc être retenue comme facteur explicatif que dans une mesure limitée. Le facteur militaire n’est pas absent du déroulement des événements économiques, il ne doit être, toutefois, ni sous-estimé ni surestimé. Un double danger risque de découler de la tentation que Ton a peine à écarter, de transposer nos notions de guerre et paix dans un monde qui n’est pas le nôtre. La guerre sur mer comme sur terre suppose la rencontre ; or, la rencontre, dans les conditions, modalités et densité, de la navigation du temps, est difficile à obtenir et finalement peu probable. Les événements, comme l’incendie de la flotte à Cádiz (1587 et 1596) ou, plus tard, Matanzas (1628), de sinistre mémoire, se comptent sur les doigts. Il n’y a pas, enfin, entre la guerre et la paix, ces frontières bien délimitées que le milieu du xx^e siècle commence, à nouveau, à ignorer, mais dont le xix^e siècle européen se targuait volontiers, au moment de ses splendeurs.

70Les actes de violence ne sont que de bien loin liés, surtout, dans les mers de la lointaine Amérique hors des prises des Etats, à la chronologie des querelles des États. La désinvolture de la conjoncture du trafic, face à la pacification de 1609, invite, quand même, à refuser au grand événement de grande politique, une place de premier plan. De toute manière, dans le parallélogramme des forces qui s’établit, après 1609, entre les disparités des prix et l’expulsion des Morisques, d’une part, les conséquences de la paix de 1609, d’autre part, l’incidence de celle-ci est effacée par la pesanteur plus grande des effets du premier groupe.

71Mais cette construction suppose, implicitement, que tous les effets de la pacification de 1609 étaient, par nature, favorables au trafic. L’expérience prouve qu’une partie de ces effets, au contraire, furent défavorables.

72C’est la seconde série d’hypothèses.

73Effets très nuancés, au vrai, de la pacification de 1609, dont le bilan est loin d’être, de notre point de vue, uniquement positif.

74Facteur psychologique, peut-être, d’une grosse honte bue. La paix avec le rebelle, ce n’est pas la paix avec le Roi très chrétien, pas même avec l’Anglais schismatique, mais une humiliation, une déchirure de tout l’être, que l’on imagine mal ou trop bien, suivant ses humeurs. Mais qu’est-ce que cela a à voir avec le transit du métal blanc, des balles de coton ou des feuilles de tabac, le sceptique s’inquiète plus ou moins inconsciemment marqué par une atmosphère que l’on respire de marxisme approximatif. Le comportement des séries laisserait à penser qu’il y a à voir, plus qu’on ne l’aura cru. Il n’y a pas, au vrai, que mécanique, chiffres, bilans et équilibres au cœur de l’entreprise, mais l’homme tout entier, avec ses désirs, ses hardiesses et ses lâchetés, son acceptation ou son refus de l’avenir. Et c’est ainsi que le politique, sous son jour le plus traditionnel, est réintroduit au cœur même de la conjoncture économique d’un État. Optimisme et pessimisme sont des états globaux. La moyenne des hommes n’entreprend pas sans espérer. Un événement aussi cruellement ressenti que l’humiliante paix de 1609 a dû contribuer à atteindre, dans ses ressorts psychologiques, l’ensemble de l’entreprise sévillane. Elle l’aura fait d’autant plus que le Hollandais, ici, est bien connu. Sans doute, est-il accepté, voire souhaité, dans les rapports avec l’Europe, parce que plus efficace. On l’aura accepté, sans trop de difficultés, sous pavillon hanséat, jusqu’à la Trêve, comme Hermann Kellenbenz a eu le mérite de le bien montrer46, mais, de là, à la capitulation, de là, à supporter que les Indes lui soient ouvertes, il y a un pas qu’on n’est pas prêt à franchir.

75On retiendra d’autant plus volontiers l’hypothèse, comme élément d’explication entre beaucoup, que la crise de 1609-1610 est, d’abord, une crise de l’empire espagnol, on l’a vu d’ailleurs, à la différence de 1597-1599 ou de 1619, d’autant plus qu’une certaine ubiquité de l’accident ne pourrait lui être opposée. Si l’Atlantique de Séville constitue bien, ce n’est pas douteux, un des espaces dominants du monde économique, d’alors, toute crise spécifique qui le frappera deviendra, très rapidement, sous une forme atténuée, une crise générale. Puisque telle est bien une des propriétés majeures au xvii^e siècle comme de nos jours, des espaces dominants.

76Hypothèse en l’air ? Cela n’est pas sûr. On se rappellera que c’est à partir de 1610 et en 161147, encore, que l’on voit dénoncer la présence hollandaise en Terre Ferme, alors qu’il ne s’agit, manifestement, pas d’un fait nouveau.

77Dans cette brusque et, finalement, assez insolite apparition du Hollandais dans les préoccupations de Séville, on verrait volontiers deux aspects, nullement contradictoires. Une condamnation latente de la paix honteuse — et qu’on veuille bien croire qu’il n’y a pas contradiction, même si cette paix, on l’a désirée, même honteuse, même si on a fait pour qu’elle soit — l’accusé réception du choc psychologique face à un gros revers. D’autre part, la découverte, après coup, après la conclusion de la paix attendue, désirée et regrettée, du fait qu’elle ne favorisait pas les intérêts de Séville, même dans le domaine où on en attendait, peut-être, quelque chose.

78La Trêve de Douze Ans — est-il besoin de le redire, derrière l’historiographie traditionnelle, qui a bien éclairé cet aspect, derrière, tout récemment encore, le très beau Salvador de Sa de Charles Ralph Boxer48 ? — n’a rien arrêté. Elle a plus couvert, plus permis même qu’elle n’a empêché. Derrière elle, il y a, peut-être, un marché de dupes, la renonciation à défendre les positions portugaises dans l’Indien, contre l’espoir naïf de conserver l’Atlantique. Séville assistera, enfin, aussitôt la paix signée — les rapports de 1610 et de 1611 en font état, à un rythme plus rapide qu’auparavant, au pivotage, au repli, en direction des Indes de Castille des positions portugaises où elles s’enracinent en curieuse symbiose, souvent, avec les Hollandais. On a eu quelques beaux exemples récents en Terre Ferme, à en croire la Casa de la Contratación49.

79Loin de stopper l’arrivée massive et bientôt dominante des Hollandais dans le domaine colonial, jusqu’alors, pratiquement réservé des peuples ibériques, la fausse Trêve de Douze Ans, désistement momentané de l’État espagnol, loin de les entraver, aura facilité la tâche aux nouveaux arrivés.

80En manière de conclusion, on pourrait rappeler, en gros, les grandes lignes d’une hypothèse déjà présentée. L’annexion de nouveaux espaces à la vieille économie méditerranéenne a constitué le moteur de la conjoncture à long terme de l’époque moderne, avant l’accélération des techniques qui passent au premier plan, à la fin du xviii^e siècle, dans les espaces dominés par le peuplement européen.

81Au xvi^e siècle, correspond une première occupation aux mailles particulièrement lâches, une forme d’exploitation médiate, dont l’Indien est un élément indispensable, mais elle est proche de ses bornes physiques, quand, à l’extrême fin du siècle, s’opère la ruée en masse des peuples du Nord, dont le fer de lance a nom Hollande. Cette surcharge provoque la rupture. L’accélération géographique va manquer. Le monde colonial a, pour reprendre son rôle, au xvii^e siècle, besoin de nouvelles modalités d’exploitations plus directes et plus efficaces. Les Hollandais en préparent quelques-unes, sans attendre, dans l’organisation notamment50 de circuits commerciaux complexes auxquels les Portugais n’avaient pas songé, un siècle durant. Mais il faut du temps pour que la relève soit à pied d’œuvre.

82Pour l’heure, les difficultés et les fructueuses adaptations de la dure contraction attendent les hommes et, au tout premier plan, les hommes d’un siècle qui ne reviendra plus, les hommes de Séville.

II — 1612 : UNE FAUSSE REPRISE

83Au cours des deux années qui viennent, on sera amené à introduire des divisions, à constater des oppositions, dont il ne faut pas exagérer l’importance En réalité, entre 1610 et 1613, règne une seule et même conjoncture, avec une série concordante de signes d’aggravation. Aucune surprise. Les mécanismes de la récession sont évidents. Une fois introduite, la récession, comme la prospérité, s’alimente d’elle-même, à sa propre source. S’il faut faire un effort de compréhension, ce n’est pas sur l’accentuation de la récession, de 1610 à 1613, qu’il sera nécessaire de la faire porter, mais dans la reprise modérée, certaine pourtant, qui se fera jour au-delà.

LA LEÇON DES CHIFFRES

84Les chiffres globaux de 1612 risquent d’être facteurs d’illusion, c’est contre eux, qu’il faudra se prémunir. A suivre trop facilement les leçons du découpage annuel, on serait amené à supposer une courte période d’expansion, à la hauteur de 1612 — expansion qui résulte, en grande partie, d’une illusion d’optique.

85Les chiffres, tels que le découpage annuel les donne, n’en constituent pas moins une réalité tangible dont il faut partir d’abord. En Allers, Retours et Allers et retours, ils donnent l’impression, par rapport au médiocre terme de référence de 1611, d’une nette reprise.

1. Allers

86De 84 navires en 1611 à 97 unités en 1612, de 17 367 toneladas (20 840,4 tonneaux) à 23 951 toneladas (28 741,2 tonneaux), la progression est, respectivement, de 15,5 % sur le mouvement unitaire et de 37,4 % sur le mouvement volumétrique. Elle est due pour plus de moitié à un fort accroissement du tonnage unitaire moyen des navires. De 206,7 toneladas, en 1611, on passe à 246,9 toneladas en 1612, soit un niveau très proche du niveau de 1610 (259 toneladas). On ne peut en tirer argument, toutefois, il implique, simplement, une modification des structures des Allers, d’une année sur l’autre, apparition d’une seconde flotte, la flotte biennale de Terre Ferme, réduction à zéro du nombre des négriers.

2. Retours

87L’accroissement des Retours, de 75 navires à 96 unités, de 17 370 toneladas (20 844 tonneaux) à 22 576 toneladas (27 091,2 tonneaux), est exactement analogue, dans ses grandes lignes, à celui des Allers : 28 % sur le mouvement unitaire, 29,9 % sur le mouvement en tonnage. Le tonnage unitaire ne change pas (231,6 toneladas en 161151, 235,2 toneladas en 1612), à tel point que, reflet des Allers de 161152, dont le tonnage unitaire était particulièrement faible, 206,7 toneladas, le tonnage moyen des Retours est, paradoxalement, en 1612, légèrement inférieur au tonnage unitaire des Allers (Retours, 235,2 toneladas, Allers, 246,9 toneladas).

88Cet accroissement des Retours, un peu surprenant, de prime abord, alors que, pris dans leur ensemble, les Allers fléchissent, est un signe tangible des difficultés conjoncturelles. Le coefficient des navires qui bouclent le circuit s’élève, les stocks de navires aux Indes diminuent, signe de passage d’une conjoncture élevée à une conjoncture basse. La forte proportion des Retours, par rapport aux Allers (beaucoup plus sûrement encore que par les rapports dans le cadre de l'année53 : 50,01 % en 1611, 48,53 % en 1612), est fournie par le rapport sur deux ans, en décalé. Il suffit de comparer les Allers de 1610 et 1611 aux Retours de 1611 et 1612, soit 190 navires, 44 817 toneladas qui donnent une proportion très forte de Retours, 163 unités, 39 946 toneladas. La proportion établie dans les mêmes conditions (Allers de 1611 et 1612, Retours de 1612 et 1613) sera encore plus favorable aux Retours pour l’année 1613 (Allers, 181 navires, 41 318 toneladas ; Retours, 170 navires, 39 946 toneladas). Preuve, s’il en était besoin, de l’aggravation de la situation conjoncturelle d’une année sur l’autre.

3. Allers et retours

89Aucune surprise à attendre, en raison de l’identité d’allure des Allers et des Retours. De 159 navires en 1611, à 193 navires en 1612, de 34 737 toneladas (41 684,4 tonneaux) à 46 527 toneladas (55 832,4 tonneaux), la progression est, respectivement, de 21,4 % et de 34 %, avec une légère modification du tonnage unitaire imputable à la modification de la structure des Allers au départ de 218,48 toneladas à 241,0254, c’est-à-dire le retour à un tonnage moyen aussi conforme qu’on peut le rêver à la normale (moyenne du cycle : 243,78 toneladas ; moyenne de la fluctuation 1612-1613 : 239,2 toneladas).

4. Les pourcentages à la moyenne

90Il résulte de ce brusque redressement, en Allers, Retours et Allers et retours, une amélioration considérable de la position du trafic par rapport à la tendance majeure, à un moment où les tendances majeures passent, pourtant, par un sommet55 ; en Allers, la moyenne médiane de treize ans n’est plus qu’à 8 % du sommet de 1614, en Retours, à 1 % du sommet dépassé de 1611, en Allers et retours, à 3,5 % du sommet de 1614. Dans les trois cas, pourtant, le mouvement vrai vient de dépasser timidement les moyennes, il est vrai, à leur sommet56, avec des pourcentages respectifs de 104,39 %, 119,6 % et 108,41 % pour les trois axes essentiels.

INTERPRÉTATION

91Pour comprendre la véritable portée de ce phénomène, cette brusque et quelque peu paradoxale poussée du volume, il importe, une fois encore, de tenir compte de la biennalité des flottes de Terre Ferme.

1, La flotte de Terre Ferme

92La flotte de Don Juan de la Cueva y Mendoza, qui part de San Lúcar, le 13 février et fait voile de Cádiz, le 15 mars57, en direction de la Terre Ferme, est tout entière responsable de l’apparente disparité entre 1611 et 1612. Une fois la masse des deux flottes de Juan de la Cueva y Mendoza de 1610 et de 1612 ventilée, d’une manière moins inégale, on s’apercevra que 1610, 1611, 1612 et 1613 se placent sur un seul et même palier. La réalité, pourtant, est intermédiaire entre la série que donne le découpage annuel et celle qu’on obtiendrait par une ventilation complète. Il faut, certes, tenir compte de la date exacte des départs, sous peine, de perdre totalement de vue la réalité, il faut, toutefois, quand il s’agit des convois de Terre Ferme ne pas attribuer au seul moment du départ l’effort de longue haleine que représente leur mise en place.

93Depuis la crise du trafic de Séville avec la Terre Ferme, à la charnière des deux dernières décades du xvi^e siècle, il a fallu renoncer au système trop ambitieux de la flotte annuelle. L’annualité de la liaison est assurée par l'armada. La flotte, un moment même, dans la première demi-décade du xvii^e siècle est à peu près totalement abandonnée. Par rapport à cette situation ancienne, le retour à une biennalité bien assurée est un progrès. Il est la conséquence de la paix. La fin théorique des hostilités ne justifie plus les énormes armadas du temps de guerre. D’où le compromis tacite, après 1609, entre les arrière-pensées divergentes des groupes d’intérêt en présence dans la Carrière des Indes : une armada réduite de moitié, mais annuelle, une flotte très réduite biennale.

94Une fois de plus et dans ces conditions, une meilleure appréciation sera donnée de la situation en conjoncture, soit par une ventilation partielle, soit par une comparaison, deux ans par deux ans. La structure du trafic au départ, en 1612, appelle, en effet, celle de 161058 : une flotte de Terre Ferme, dont les préparatifs se sont étalés sur une partie de l’année précédente, une armada, une flotte de Nouvelle Espagne, une certaine proportion de marginaux. La première flotte Don Juan de la Cueva y Mendoza est partie de Cádiz, le 6 février, la seconde, le 15 mars. La première flotte de Juan de la Cueva est, beaucoup plus que la seconde, un convoi retardé de l’année précédente. Quoiqu’il en soit, les similitudes l’emportent de beaucoup sur les dissemblances et la comparaison légitime de termes parfaitement comparables nous éclairera sur la situation objective du trafic en 1612.

95Elle prouve, en effet, cette comparaison, qu’entre 1610 et 1612, la situation s’est considérablement détériorée. Entre 1608 et 1610, elle s’était beaucoup plus gâtée, encore. D’une année sur l’autre, en effet, il y a eu sensible réduction du volume de la flotte de Terre Ferme et décalage de la date de départ (de près de six semaines, du 6 février au 15 mars). Il y a eu réduction, aussi du trafic global, de 106 navires et 27 450 toneladas, au départ de 1610 : 97 navires et 23 951 toneladas, au départ, en 1612. Si le trafic s’équilibre, à peu de choses près, sur l’axe de la Nouvelle Espagne59, avec un léger gain pour 1612 (43 navires, 9 850 toneladas, d’un côté, en 1610, 39 navires, 10 940 toneladas de l’autre, en 1612), il y a gros reflux, par contre, sur la Terre Ferme, car la réduction du volume de l'Armada n’est pas compensée par un accroissement comparable de la flotte, au total, de 40 unités, 14 060 toneladas à 33 navires et 9 790 toneladas.

96Compte tenu de la biennalité du régime de la flotte de Terre Ferme, le trafic de 1612 s’aligne, à peu de choses près, sur celui de 1611. Par rapport aux trafics de même texture, au départ, de 1608 et de 1610, on appréciera mieux l’ampleur de la récession.

2. Valeurs

97L’ampleur de la récession est confirmée, par la série de l'avería60. Autant qu’on en puisse juger, aucune distorsion grave n’est intervenue qui vienne entraver, à court terme, à cette époque, les comparaisons sur le mouvement Allers, en valeur. Par rapport à 1610, le recul à l’Aller, semble être en valeur de 40 % (de 1 311 millions à 793 millions de maravedís), par rapport à 1611, il est plus grand encore, de l’ordre de 50 %, puisqu’on passe de 1 519 millions à 793 millions, avec un volume supérieur, pourtant.

98Qu’est-ce à dire ? Si ce n’est que la crise commencée, on a vu comment, au soir de 1609, continue à s’aggraver..., puisqu’elle affecte, désormais les valeurs. Entre 1610-1611 et 1612, il y a, sous cet angle, une détérioration qui va jusqu’à la rupture. Rupture apparente, puisque les attitudes des départs, à l’intérieur de ces années, sont indissociables. Entre 1610 et 1611, d’une part, 1612 et 1613, d’autre part, entre le début et l’apogée de la crise, une fois de plus, un tri du trafic a dû s’opérer.

99En face de la réduction autoritaire du volume des flottes au moment du départ, commandée par les groupes monopoleurs du Consulat, un phénomène de tri en faveur des marchandises les plus chères aura dû se produire. On s’est efforcé d’en retrouver les mécanismes psychologiques61. On a vu qu’à certains égards, la situation n’était pas sans rappeler celle créée par des données bien différentes, un goulot d’étranglement de l’armement, une réduction physique du volume des navires, comme en 1590/1592, par exemple. Il y aura, donc, eu, dans la première partie de la crise — celle qui est caractérisée par une rupture de pente des volumes — refoulement paradoxal des pondéreux. Une telle attitude aura contribué à aggraver la situation, en compromettant les effets que l’on pouvait attendre de la politique radicalement restrictive des groupes moteurs du Consulat. Elle aura, tout compte fait, prolongé, peut-être, la dépression d’un an au-delà de ce qu’elle aurait pu être.

100Mais le paradoxe ne peut se maintenir. Après le refoulement des marchandises les moins chères et l’accumulation des plus précieuses, le phénomène exactement inverse, épuisement des marchandises les plus chères, défoulement des pondéreux. Cela, d’autant plus facilement qu’on peut imaginer comme vraisemblable une crise particulièrement aiguë d’engorgement sur les produits les plus chers aux Indes, une certaine tension, par contre, sur les « pondéreux » d’Europe systématiquement écartés, une détente du prix du fret, sous l’action de l’accumulation sur le rivage d’Espagne, des navires revenus des Indes, en nombre proportionnellement plus fort que d’accoutumée, par rapport au niveau restreint des Allers.

101C’est ainsi, vraisemblablement, qu’il faut comprendre la syncope, entre 1611 et 1612, du mouvement-valeur, en sens inverse des volumes.

3. La flotte de Terre Ferme et les Retours

102La flotte de Terre Ferme de Don Juan de la Cueva y Mendoza renferme, aussi, le plus gros du secret des forts Retours de l’année. En fait, en raison de son départ précoce, le 15 mars 161262, elle sera de retour en novembre, battant un des records de célérité du rythme de rotation des flottes — cycle complet en huit mois, au lieu de quatorze mois en moyenne.

103A quoi faut-il attribuer cette brusque accélération ? Sans doute, pour beaucoup, à une série de hasards qui nous échappent. On aura suffisamment insisté63 sur le caractère essentiel, peut-être, de la navigation en convois, son imprévisibilité. Pas de temps moyens, des temps courts et des temps longs.

104Mais il n’y a pas que le hasard. La rapidité exceptionnelle de rotation tient, aussi, au volume limité de la flotte, à la faible valeur des marchandises à écouler, au désir des négociants, à court d’argent, d’écourter les circuits commerciaux, quitte pour cela à prendre des risques supplémentaires.

105On voit, donc, que la flotte de Terre Ferme contribue doublement, en Allers et en Retours, à gonfler, apparemment, le trafic, au profit de 1612.

4. Les grands axes du trafic

106Une analyse plus poussée du trafic confirmera les leçons précédentes, à savoir une majorité d’éléments négatifs avec, toutefois, quelques éléments qui laissent déjà prévoir les reprises ultérieures.

107a. Au départ du complexe portuaire. — Apparemment, les parties « fortes » du trafic sont bien représentées. En raison du fort barrage qui s’exerce, en 1612, contre les marginaux du trafic : exclusion totale des négriers64, barrage efficace contre les Canariens, en diminution par rapport à 161165, de 28 navires en 1611 à 16 unités en 1612, de 2 346 toneladas à 1 740 toneladas, un volume d'armada réduit depuis la paix (9 navires, 3 900 toneladas), dont les fluctuations sont faibles.

108Ces éléments ne sont pas nécessairement des éléments favorables. On a vu ce qu’il fallait penser de la disparition des négriers et du recul des Canariens. Il y a là, tout au contraire, un des aspects les moins contestables de la crise qui se déroule inexorablement. Quant à la réduction du volume de l'Armada de la Guardia depuis 1610, il s’agit, évidemment, d’une conséquence inévitable de la paix.

109Cette réduction des « marginaux » — elle ressemble plus à l’abandon du luxe des belles années qu’à une concentration autour des lignes de forces essentielles — entraîne, évidemment, comme conséquence, une poussée « relative » particulièrement sensible des deux axes essentiels, les navires marchands de Séville et de Cádiz. Avec 63 unités pour Séville, 9 pour Cádiz, 15 081 et 3 230 toneladas (72 navires, 18 311 toneladas, au total), les deux axes essentiels totalisent les pourcentages exceptionnellement élevés de 76 % pour le mouvement unitaire, de 77,8 % pour les tonnages, les plus forts de tout le cycle, à tel point qu’ils parviennent en chiffres absolus, pratiquement à égalité, sur les deux axes essentiels du trafic au départ, avec ceux de l’année de référence naturelle, 161066 : 72 navires et 18 311 toneladas pour 1612, 67 navires et 19 520 toneladas pour 1610.

110Et pourtant, l’égalisation d’une année sur l’autre serait une illusion trompeuse. La disparition des « marginaux » correspond bien à une perte de richesse. On a vu, en partant de quel schéma (le tri des valeurs avec alternance de refoulement et défoulement), on s’est efforcé d’en rendre compte67. Nos approches même grossières du mouvement-valeur à l’Aller68 nous empêchent d’en douter. En effet, même si on réserve la comparaison paradoxale entre 1611 et 1612 (1611 : 1 520 millions de maravedis ; 1612 : 793 millions de maravedís, alors que le volume des départs de 1612 dépasse en tonnage de 37,4 %69 celui de 1611), où le modèle du tri des valeurs et des alternances de refoulement et de défoulement des marchandises et des denrées pondéreuses joue à plein, la comparaison entre 1610 et 1612 est pleinement valable.

111On a vu qu’il s’agissait, au départ, de trafics de structure étonnamment semblable70, avec des volumes globaux, sensiblement équivalents (sur le mouvement unitaire, de 1612 à 1610, recul de 8,49 % sur le mouvement en tonnage, dans le même temps, recul de 12,7 %), dans ces conditions, la comparaison des présomptions du mouvement des valeurs fiscales, au départ, 1 312 millions (1610) et 793 millions (1612), prend toute sa signification.

112Quelles qu’aient pu être les variations intervenues dans l’appréciation fiscale des valeurs à deux ans d’intervalle — c’est une donnée qu’il ne faut pas confondre avec la fraude étrangère et le commerce au bout de la pique dont on dénonce, de Séville, une flambée aux Indes en 1611 et 161271 — elles ne peuvent masquer une évolution d’une telle importance. D’autant plus que rien ne nous autorise à supposer, entre 1610 et 1612, on s’est déjà expliqué sur ce point72, une modification sensible des appréciations du mouvement-valeur. D’un côté, repli volumétrique de 8,49 % (mouvement unitaire) à 12,7 % (mouvement en tonnage) de l’autre, repli en valeur de 39 %. Or, si on élimine les marginaux73, il y a, pratiquement, égalité entre les deux années, au départ, sur les axes essentiels des marchands de Séville et de Cádiz (progrès de 7,5 % du mouvement unitaire, recul de 6,5 % des tonnages). Le recul de 39 % des valeurs prend toute sa force dans un tel tableau.

113Même compte tenu du triage des valeurs entre 1611 et 1612, il y a bien dépression quantitative et qualitative qui donne au creux de la fausse fluctuation finale tout son poids74. Toutes les combinaisons que l’on pourra imaginer, révéleront, que le creux cyclique occupe pour la fluctuation déprimée finale, à la différence d’autres accidents cycliques — on pense à 1590-1592, par exemple — n’est pas seulement un accident des volumes, mais un accident des volumes renforcé d’une défaillance au moins comparable des valeurs.

114b. Les grands axes du trafic : aux Indes. — Si on se tourne vers la ventilation géographique « indienne » des départs de 161275, on fera des observations qui tendent plus, peut-être, à noyer la personnalité du trafic de l’année dans l’ensemble conjoncturel qui le comprend qu’à en souligner la spécificité véritablement médiocre.

115On avait cru entrevoir, un moment, en 1610, une velléité de reprise, au départ, de la Terre Ferme, sous le coup de la crise qui éclate, en 1609, à la Vera Cruz avec la violence que l’on sait. Cette tentative a tourné court. Pour deux raisons, parce que la Terre Ferme depuis longtemps compromise pour Séville ne permet pas une substitution. Plus ouverte que la Nouvelle Espagne aux attaques du « bout de la pique », elle pâtira beaucoup plus directement que la Nouvelle Espagne de la paix de 1609. Parce que, la réduction, conséquence de la paix, de l'Armada de la Guardia, pose un gros problème technique de substitution qu’il n’est pas facile de résoudre, du jour au lendemain.

116Là encore, c’est la comparaison, sur les ventilations géographiques fondamentales, entre 1610 et 1612, qui est bien la comparaison la plus fructueuse. On comprend, du premier coup d’oeil, sur deux années de même structure au départ, la raison de l’infériorité du trafic de 1612. Elle réside dans la Terre Ferme et non dans la Nouvelle Espagne.

117Depuis la crise spectaculaire qui, au soir de 1609, a ébranlé toute la Carrera, le trafic avec la Nouvelle Espagne s’est installé sur un niveau inférieur, légèrement croissant, toutefois de 1610 à 1616 : 1610, 43 navires, 9 850 toneladas, 1611, 33 navires et 9 870 toneladas, 1612, 39 navires et 10 940 toneladas, 1613, 46 navires et 10 262 toneladas, 1614, 44 navires et 11 435 toneladas, 1615, 44 navires et 12 157 toneladas, 1616, 51 unités et 12 659,5 toneladas. Le trafic avec la Nouvelle Espagne ne peut être mis en cause. Certes, il n’atteindra jamais plus les sommets d’avant la crise, ni les 76 navires et les 16 080 toneladas de 1609, ni, a fortiori, les 96 unités et 24 510 toneladas de 1610. 1616 et 1619 formeront, avec 51 et 69 navires, 12 659,5 toneladas et 14 235,5 toneladas, les points les plus hauts d’après le drame. Le krach de 1609 a bien marqué un tournant. Pourtant, débarrassée de ses excroissances, la Nouvelle Espagne tient vaillamment le coup, son trafic gagne même en régularité ce qu’il perd en dynamisme76. Le repli est dû, essentiellement, entre 1610 et 1612, à la Terre Ferme : 33 navires au lieu de 40 navires, en 1610, 9 790 toneladas au lieu de 14 060 toneladas en 1610. C’est là que la défaillance s’est produite, un peu comme si le fragile et médiocre équilibre de la Terre Ferme avait été emporté par la surcharge de 1610.

118La crise de la Nouvelle Espagne a été précipitée par la surcharge des départs en direction de la Vera Cruz en 1608 et 1609. C’est le krach de la Nouvelle Espagne en 1609 qui a poussé à l’imprudence commise en 1610 en direction de la Terre Ferme : la surcharge des 40 navires et des 14 060 toneladas du trafic de l’année. Les mêmes causes provoquant, dans des conditions très proches, les mêmes effets, les exportations excessives de 1610 en direction de l’isthme auront compromis le médiocre équilibre des années passées : d’où une crise dont le médiocre niveau des exportations vers la Terre Ferme, en 1612, rend bien compte.

5. Consulat et « Casa » face à la crise : la Terre Ferme

119Les réflexes de Séville en 1612, sont bien, d’ailleurs, autant qu’on en puisse juger, des réflexes de temps de crise.

120Un premier indice qui ne trompe pas, la densité des mémoires, des plaintes de toutes sortes qui, entre la fin de 1611 et de 1612, passent entre les mains des officiers de la Casa de la Contratación77. A nouveau — seconde indication — la Terre Ferme passe au premier plan des préoccupations.

121On en comprend, aisément, les mécanismes. On vient de voir comment la défaillance du trafic a été, d’abord, en 1612, une défaillance du trafic en direction de la Terre Ferme. Les chiffres sont là : dimensions réduites de la flotte de Don Juan de la Cueva y Mendoza78, dimensions réduites des départs globaux en direction de la Terre Ferme (33 navires et 9 790 toneladas au lieu de 40 navires et de 14 060 toneladas en 1610). La Terre Ferme s’est mal remise, au vrai, de la surcharge de l’offre sévillane, caditaine et canarienne à l’intérieur du Monopole, jointe à la surcharge de l’offre « au bout de la pique » que lui aura valu la paix.

122Mais les chiffres médiocres de 1612 (33 navires, 9 790 toneladas) sont d’autant plus éloquents qu’ils ne représentent pas, il s’en faut de beaucoup, le désir unanime des plus grosses affaires sévillanes. Ils résultent, tout au plus, d’un compromis tumultueux entre le négoce sévillan et le Conseil des Indes, obtenu, sous la pression des Peruleros dont on a déjà vu combien les intérêts79 divergeaient de ceux des grosses maisons du Consulado, sous l’entremise d’une Casa de la Contratación secrètement favorable aux attitudes d’extrême prudence du vieux négoce sévillan.

123Quand à l’été 161180 le problème d’une nouvelle flotte de Terre Ferme s’est posé, les marchands de Séville consultés81 se déclarèrent hostiles au projet qui finira par prendre corps, partiellement, dans la seconde flotte Juan de la Cueva y Mendoza, la flotte réduite de février/mars 1612. Le tableau qui motive ce refus est des plus sombres, outre la dénonciation classique des traditionnelles contrebandes, il apporte, au moins, deux éléments, il vaudrait mieux dire, une impression et un élément nouveau.

124Impression nouvelle : la paix a exacerbé les dangers et multiplié les fuites. Sur ce point, nul doute, au vrai, n’est possible. Reflux des Portugais entraînés dans un mouvement de bascule, rush hollandais82. Contre leurs techniques supérieures, contre un trafic, en outre, moins grevé que ne l’est celui du Monopole tout empêtré de ses obligations de lourde administration et de grande politique, l’état de guerre était pour Séville, à plus d’un égard, une protection et un bien, malgré ses dangers de violence, malgré ses dangers précis, moins redoutés, aujourd’hui, que la cautèle et les imprécises menaces de la fausse paix.

125Un élément nouveau : la crise de 1611. La crise de l’isthme, en 1611, rappelle à s’y méprendre la crise de la Vera Cruz, au soir de 1609. Moins encore que la crise de 1609 au Mexique83, elle ne prend au dépourvu, ni ne surprend, puisqu’elle éclate sur un marché, qu’à Séville, on sait malade depuis dix ans Mais elle frappe de stupeur par son ampleur. Surtout, comme la crise mexicaine de 1609, la crise de l’isthme de 1611, révélatrice de structures nouvelles au centre desquelles Séville ne trouve plus la place tout aussi dominante qu’à l’habitude, procède d’une erreur de calcul, d’une surcharge de l’offre — on a vu comment84 lors des préparatifs de la flotte de Juan Gutierrez de Garibay en 1609 et de la flotte de Don Juan de la Cueva y Mendoza85 en 1610.

126La nouvelle se répand à Séville, en 1611, de marchandises liquidées sur les marchés de la Terre Ferme, après d’interminables attentes, avec 30 % de perte86. Il est impossible, évidemment, de savoir comment ces 30 % sont appréciés. Le contexte engage à considérer que l’évaluation en est grandement exagérée. Toutefois, le procès-verbal du 15 juin 1611 nous renseigne sur l’opinion dominante qui régnait à Séville sur le bilan de la flotte de 1610. On ne peut être plus pessimiste. En présence d’une telle situation, l’attitude préconisée par les plus grosses maisons, celles qui constituent l’ossature même du Monopole de Séville, les maîtres du Monopole et du Consulat87 est conforme à l’attitude générale du Consulat face à la crise, au refus de charger. Mesure efficace, certes, mais qui suppose un Monopole, non pas seulement juridique mais, de fait, dans des limites d’efficacité qui ne sont plus celles de la Carrera en 1611 et 1612.

127L’expérience du passé88 invite à penser, qu’en d’autres circonstances, moins de dix ans plus tôt, le point de vue unanime du plus vieux Séville l’aurait aisément emporté. En 1611 et 1612, un compromis prévaut. Sans conteste, parce qu’à Séville, Séville — il vaudrait mieux dire Séville et l’Europe — ne domine plus seule. Le compromis a été possible et la petite flotte de Juan de la Cueva y Mendoza est partie, parce que, face à la thèse « classique » du Consulat, un Perulero, porte-parole des Peruleros, Francisco de Mandejana89 a présenté un point de vue hétérodoxe, celui, au vrai, du Consejo, mais pour des raisons différentes. Il ne nous importe pas que ses arguments de bon sens nous paraissent les meilleurs. En langage de l’économique du xx^e siècle, Mandejana dirait à peu près ceci : le raisonnement du Consulat est faux parce qu’il postule une condition qui n’existe plus en 1611-1612, un monopole de fait de Séville sur la Terre Ferme. Dans ces conditions, le seul moyen de ne pas perdre totalement ce qui reste du marché de Terre Ferme consiste donc, à s’accrocher, à persévérer, à lutter, s’adapter et trouver des solutions nouvelles. Mais en fait, le point de vue de Mandejana n’est pas celui qu’on vient, un instant, par jeu, de lui prêter. Il est celui du demandeur, représentant des intérêts du négoce américain, satisfait d’un effondrement des cours qui affecte si fort la majorité du vieux commerce sévillan dont la position inverse est celle de l’offre, celle à laquelle tout au long de cette histoire nous avons été habitués.

128Le fait le plus important qui éclate, lors des préparatifs de la deuxième flotte Juan de la Cueva y Mendoza, celle qui partira au début de 1612 réside bien dans cette situation nouvelle. Non seulement Séville a perdu son monopole de fait, le seul qui compte vraiment, sur la Terre Ferme, mais, et ce n’est pas la première fois que nous en décelons le signe90, le vieux groupe solidement cimenté des vieilles maisons sévillanes — entendez, de naturalité de plus ou moins fraîche date — est désormais contrebattu, sur son propre marché, par les Peruleros. Les effets à long terme de la politique restrictive du Consulat étaient, sans doute, contestables, ils avaient au moins le mérite d’une certaine cohérence. Il n’en va plus de même, désormais. Séville, de moins en moins simple, est de plus en plus désarmée, au fur et à mesure que la crise monte. Est-ce à dire que l’on se rapproche des conditions d’un marché vraiment libre, nécessairement mythique dans le monde de la Carrera du xvii^e siècle commençant. Dans une certaine mesure, peut-être, puisque le Monopole est plus limité et la politique de ses plus anciens tenants, plus bridée, qu’elle ne l’était, jadis, il y a quarante, trente ou vingt ans, seulement. Tout au plus, s’achemine-t-on vers un système particulièrement complexe de monopoles multiples.

6. Les roueries du Monopole

129Est-ce à dire que les vieilles maisons — celles que l’on associe, un peu vite, peut-être, avec leur porte-parole habituel, le Consulat—, se laissent facilement démettre ? Certes pas. Nous en avons, dans le cadre des préparatifs de la flotte de Terre Ferme, deux preuves au moins.

130Tout d’abord, le compromis d’une flotte réduite91. Le Conseil des Indes, donc le Roi n’a pas obtenu, malgré le renfort quelque peu imprévu du porte-parole du jeune négoce créole, victoire totale. Les maisons du Consulat ont réussi, cette fois, enfin, à la différence des années précédentes92, à maintenir le trafic à un niveau quantitativement et qualitativement très bas. Médiocre mérite, peut-être, en présence d’une conjoncture particulièrement mauvaise.

131Mais il n’est pas impossible que les plus grosses maisons de Séville n’aient pas renoncé jusqu’au bout à l’espoir, sinon d’empêcher le départ de la flotte Cueva y Mendoza du moins de la retarder, afin de permettre l’écoulement, sans doute, de stocks en difficulté en Terre Ferme.

132D’où le conflit de janvier 1612 autour des « relaciones juradas »93. On a vu quelle était la signification « en structures » de ces oppositions94. En fait, les conflits qui opposent almojarifes et cargadores de Séville autour de la qualité du contrôle ne peuvent nous surprendre. Ce qui surprend un peu, de prime abord, c’est la prétention en janvier 1612 d’infliger aux marchands un contrôle dont ils n’ont jamais voulu entendre parler. Ils ne l’ont pas accepté en période d’expansion, ils ne l’ont pas accepté quand ils poussaient unanimement à l’agrandissement et à la surcharge des convois, on les voit mal se résignant, au moment où tout se dérobe sous leurs pas, au moment où ils n’ont accepté de charger que sous un concours de pressions extérieures. Le conflit des « relations jurées » de 1612 sonne faux. La Casa a vite fait de faire tomber la prétention, mais la flotte, prête en janvier, ne partira que le 15 mars.

133D’où un soupçon, sans preuve à l’appui, malheureusement. Peut-être, simplement, les almojarifes ont-ils voulu réagir contre une trop grande extension des tolérances de douane, dont la conséquence serait l’accentuation du creux des valeurs95 ? Le moins que l’on puisse dire, toutefois, c’est que le moment était particulièrement mal choisi d’un renforcement fiscal. D’où l'hypothèse qui semble, dans le contexte général, la plus vraisemblable, bien qu’on manque de preuves documentaires à l’appui. Il est vrai que l’on voit mal comment la Casa de la Contratación étant ce qu’elle est, ces preuves eussent pu nous parvenir. Selon cette hypothèse, le conflit des relaciones juradas aura été provoqué par les maisons du Monopole elles-mêmes, mieux, par certaines d’entre elles, dans l’espoir de faire échouer ou, du moins, de retarder l’envoi de la flotte Cueva y Mendoza, en Terre Ferme. Le zèle de la Casa de la Contrataciân, en faveur de ses amis, les marchands de Séville, a, peut-être, quelque peu joué les pavés de l’ours, à l’égard d’une mise en scène que beaucoup d’entre eux avaient inspirée. Sous cet angle et si l’on admet notre hypothèse, on notera que le vieux commerce a remporté, après son échec, de son point de vue, un demi-succès.

7. La fraude à la Marguerite : autre aspect d’une atmosphère de dépression

134La petite affaire qui oppose quelques groupes d’intérêts rivaux autour de la Marguerite en 1611 et 161296 achève bien de caractériser l’atmosphère de cette crise. Il s’agit, en réalité, de punir — mais est-ce bien la punir ? et de se poser, à nouveau, le problème de l’efficacité de ces mesures — la Marguerite des facilités qu’elle est accusée d’avoir offerte à la pénétration de toute la côte de Terre Ferme par les marchandises de contrebande.

135La Marguerite avait obtenu du Roi, en 1611, l’autorisation de recevoir avec la flotte qui se prépare, trois tout petits bateaux. La collusion des cargadores du groupe du Consulat et de la Casa de la Contrataciân réduit, dans la pratique, l’autorisation à deux bateaux, seulement.

136La mesquinerie de la mesure surprend. Les vieilles maisons du Monopole et leur alliée, la Casa, désirent, sans doute, attirer l’attention du Conseil des Indes sur les circuits de fraude qui ont leur centre, quelque part, dans l’île aux perles. Peut-être, marchands et Casa désirent exercer une pression sur la population de l’île, dans l’espoir que, délaissée par le trafic « au bout de la pique » qui ne l’intéresse que par la bande, elle aura à souffrir de cette restriction volontaire de Séville à son égard et que, comprenant mieux les liens de dépendance qui l’unissent à sa Métropole, elle agira sur les fraudeurs pour qu’ils en usent à l’avenir plus modérément avec le Monopole. Tout cela est possible, on le devine même à l’arrière-plan. Mais cette affaire traduit plus sûrement un mouvement de mauvaise humeur, particulièrement révélateur d’une conjoncture de dépression et de crise. On peut vraiment douter, en effet, non seulement que la mesure fût efficace — car son inefficacité, voire même sa contre-efficacité, est évidente — mais que ses inspirateurs se fussent fait quelque illusion sur ses effets.

8. Incidence sur l’armement

137La crise, enfin, a pris une ampleur telle qu’elle commence, semble-t-il, à sensibiliser de nombreux secteurs, et, notamment, l’armement. On peut être tenté, en effet, d’attribuer à la parution en 1611 du fameux traité de Tomé Cano97 une signification en conjoncture. Dans la mesure où l’énorme contenu permanent du grand classique de la construction navale biscayenne98 n’étant pas en cause, on peut accorder un sens à la date de parution de l’ouvrage, on sera sensible au fait qu’il paraît dans un moment de sous-emploi du potentiel maritime de la Carrera. Or le traité de Cano est aussi un plaidoyer, un carnet lourd de revendications ; on comprend qu’on peut être tenté par le rapprochement.

9. Conclusions

138La conjoncture de 1612 est claire et elle ne paraît pas nécessiter des explications autres que celles placées en facteur commun en face des années 1612 et 161399.

139Tout au plus, pourrait-on noter une esquisse de détente, en 1612, par rapport aux années encadrantes de 1611 et de 1613, sur le couple prix-salaires100 ? Il pourrait être tentant de mettre cette détente en rapport avec la poussée, en 1612, du trafic global. Mais ce serait, sans conteste une entreprise dangereuse. Parce que la supériorité de 1612, on l’a vu, est sans doute, certaine, par rapport à 1613, mais vraiment douteuse par rapport à 1611, ne serait-ce qu’en raison du son de cloche discordant du mouvement-valeur d’une part, en raison de la biennalité de la flotte de Terre Ferme, d’autre part. Parce que la variation des indices est vraiment très faible (130,76, 127,96, 128,09), des variations aussi minimes, étant donné la précision de nos mesures, donnent tout au plus une indication, il faut renoncer à fonder sur elles, des systèmes d’explication inutilement compliqués.

140En fait, malgré les variations du mouvement global commandées, pour l’essentiel, par des raisons techniques inhérentes à la navigation et au rythme saccadé du flux des échanges, 1612 fait corps avec la longue disgrâce consécutive au gros ébranlement de la grave crise de la Vera Cruz de 1609.

III. — AU FOND DE LA CRISE (1613)

141Et pourtant, le trafic n’a pas encore, en 1613, atteint son point le plus bas. Le creux de la vague, pour une fois, fidèle aux apparences du découpage dans le cadre annuel, se situe en 1613. A l’appui de ce point de vue, séries et correspondance fournissent force arguments : le rapport Allers-Retours d’une part, le passage par un paroxysme des conflits qui opposent, au sein même de la Carrera, les divers groupes d’intérêts entre eux.

LA LEÇON DES CHIFFRÉS

142Pour cela, on peut suivre la leçon des chiffres, sans crainte de fausser la réalité. Il n’est même pas sûr qu’elle exagère une dépression difficilement surestimable.

1. Équilibres Allers et Retours

1431613 est au cœur de l’anomalie positive des Retours, beaucoup plus même que le rapport Retours-Allers, dans le cadre du découpage annuel ne le laisserait penser, avec son pourcentage fort de 51,90 %101. C’est à l’extrême fin de 1613, qu’après une longue anomalie positive de quatre années consécutives102, le volant des navires rentrés et non encore réemployés pèsera de la manière la plus décisive. Il est incontestable que la constitution de ce gros stock « le navires, avec toutes les facilités qu’il comporte pour le négoce, avec ses promesses d’un chargement aisé et d’un fret bon marché, va être un facteur de choix de la reprise cyclique de 1614.

144Mais, sous cet angle, le volant pèse aussi bien sur les Allers de 1613 que sur ceux de 1614. La reprise, pourtant, ne se produit pas en 1613, mais en 1614 et, plus sûrement encore en 1615. La non-utilisation du volant des Retours, de se-, facilités en capital et, beaucoup plus sûrement, en armement, est la meilleure preuve que l’on ait du marasme du creux de 1613.

145La puissance, en 1613, du volant non utilisé des Retours — le retour à un rythme insolite de l'armada y flota de Terre Ferme du Capitaine Général Don Juan de la Cueva y Mendoza103 a contribué encore à le renforcer — est bien donnée, soit par le couple Retours de 1612/Allers de 1613, soit par un couple Retours de 1611-1612 ou de 1610-1612, Allers de 1612-1613 ou de 1611-1613. Dans la première combinaison, on constate que les 96 navires et les 22 576 toneladas des Retours de 1612 ne sont équilibrés, en 1613, que par 67 navires et 15 257 toneladas, soit une anomalie positive des Retours de 59,4 % en tonnage, à tous égards, plus vraie, que celle donnée par le couple fictif des Retours et des Allers de 1613 : 59,4 % au lieu de 51,90 %. Sur des séries plus longues de deux et trois ans, on a 39 946 toneladas (Retours de 1611 et 1612) et 39 208 toneladas (Allers de 1612 et 1613), soit un pourcentage de Retours par rapport au tonnage global de 50,5 %, ou bien 67 257 toneladas (Retours de 1610 à 1612) et 56 575 toneladas (Allers de 1612 à 1613), soit un pourcentage des Retours par rapport au tonnage global de 54,5 %.

146A cet égard, il n’est pas douteux que le volant des Retours a pesé plus fort encore en 1613 qu’en 1614. Jamais, sous l’angle des possibilités offertes par de larges possibilités de tonnage, les conditions n’ont été meilleures qu’en 1613 — dans toute une vaste période — rarement elles auront été aussi mal utilisées.

147En effet, sous quelque angle qu’on veuille l’aborder, 1613 est l’année du marasme le plus franc et, politiquement, le moins explicable.

2. Allers

148Par rapport au médiocre terme de référence de 1612, 1613 est en recul très sensible : de 97 navires en 1612 à 67 unités en 1613, de 23 951 toneladas (28 741,2 tonneaux) en 1612 à 15 257 toneladas (18 308,4 tonneaux) en 1613, les pourcentages du recul sont, respectivement, de 30,9 % et de 36,3 %, tandis que le tonnage unitaire fléchit de 246,9 toneladas en 1612104 à 227,7 toneladas en 1613, soit un tonnage unitaire moyen qui rappelle un peu celui de 1611 (206,7 toneladas). Ce fléchissement, à l’Aller, du tonnage unitaire, doit être rattaché à la structure d’un mouvement qui ne compte plus qu’une seule flotte, à la différence de 1612, et au même titre, précisément, que les départs de 1611. Si on remonte la série, on notera la dissemblance avec 1610 (deux flottes) et la ressemblance, par contre, avec 1609 (une seule flotte). C’est bien là que réside la cause de ces brusques sautes d’humeur du tonnage unitaire. Elles sont plus apparentes que réelles, plus superficielles que profondes.

149Le creux accidentel de 1607 étant exclu, dont on a vu qu’il était dû à une série convergente de circonstances105 pour la plupart étrangères au déroulement du trafic, on notera l’importance exceptionnelle du creux cyclique de 1613, le plus creusé, pratiquement, en un laps de temps de trente-cinq à quarante ans, en valeur absolue et, a fortiori (avec un pourcentage de 65,62 % à la moyenne mobile médiane correspondante), en valeur relative. Pour retrouver un creux relatif aussi important sur la série des Allers, il faut aller jusqu’en 1641106.

150La biennalité de la flotte de Terre Ferme — 1613 correspond à un temps mort — est en partie responsable de cette situation, mais en partie seulement. En effet, si on veut mesurer sûrement le chemin parcouru, il suffit de comparer la situation de 1613 à celle de 1611 et de 1609, soit des années de structure analogue (une armada, une flotte de Nouvelle Espagne, des marginaux). Par rapport à une année de conjoncture haute, de structure à l’Aller, exactement comparable, la chute du trafic en 1613 (de 138 navires en 1609 à 67 unités en 1613, de 27 114 toneladas en 1609 à 15 257 toneladas en 1613) est de l’ordre, respectivement, de 51,4 % et de 43,7 %. Par rapport à 1611, année de conjoncture basse et de structure analogue à celle de 1613 ou 1609, il y a recul encore — et cette comparaison est décisive, en raison de l’extrême faiblesse des positions de 1611 — de 84 unités en 1611 à 67 unités en 1613, de 17 367 toneladas en 1611 à 15 257 toneladas en 1613, le recul est, respectivement, de 16,6 % et 12,15 %, puisque les termes sont exactement comparables. On a vu quelle était l’ampleur de la dépression en 1611107 et on ne peut qu’être frappé de l’aggravation survenue en l’espace de deux ans. 1613, sans conteste, est bien au creux de la vague.

3. Valeurs

151Doublement au creux de la vague, puisque, cette fois, comme en 1612, autant qu’on en puisse juger à travers les prises d’une fiscalité défaillante108, le recul des volumes s’accompagne bien d’un recul, au moins, comparable des valeurs. De 1612 à 1613, on est passé (valeur présumée des Allers) de 793 millions de maravedís à 604 millions. Mais c’est par rapport à 1611, surtout, que la distorsion est la plus surprenante. De 1611 à 1613, à l’Aller, dans le cadre d’un trafic de même structure, le recul en volume était de 16,6 % à 12,15 %, en valeur de 1 520 millions de maravedis à 604 millions, le recul est de plus de 60 %. On comprend ainsi, dans ces simples rapprochements, combien a joué, dans le cadre de la fluctuation 1611-1613, le phénomène du triage des marchandises. On mesure aussi combien plus catastrophique, la situation de 1613 que ne l’était celle de 1611. Par rapport à l’autre terme de comparaison possible (trafic de même structure) avec les départs de 1609 en conjoncture haute, on retrouve la même distorsion volume/valeur. De 1609 à 1613, le recul d’un mouvement Allers, qui se présente, extérieurement dans des conditions analogues, est de 43,7 % en tonnage (51,4 % mouvement unitaire), de 67 % en valeur.

152La concomitance du repli en volume et en valeur, sur l’axe qui reste moteur du trafic, les Allers, donne toute sa plénitude à la dépression conjoncturelle de 1613. Elle apparaît ainsi, comme une des plus parfaitement dessinées de toute une longue période.

4. En Retours

153Entre 1612 et 1613, la marche des Retours continue à épouser étroitement celle des Allers. Elle le doit un peu au hasard, l’accélération imprévue du mouvement, en 1612, de la flotte de Terre Ferme de Don Juan de la Cueva y Mendoza. Sans quoi, il y aurait eu un accroissement à peu près régulier des Retours sur trois ans, qui aurait répondu à l’anémie progressive des Allers.

154Le rythme de rotation anormalement rapide de la flotte de Terre Ferme de Don Juan de la Cueva y Mendoza maintient entre Allers et Retours dans le cadre du découpage annuel109 des pourcentages insolites (proportion des Retours aux globaux en tonnage, 48,53 % en 1612, 51,90 % en 1613, après les 50,01 et les 49,88 % de 1611 et 1610). De 1612 à 1613, le tassement des Retours est, dans ces conditions, presque aussi considérable que celui des Allers, de 96 navires en 1612 à 67 unités en 1613 (Allers de 97 unités à 67 unités), de 22 576 toneladas en 1612 à 16 463 toneladas en 1613 (Allers de 23 951 toneladas à 15 257 toneladas), soit, respectivement, un recul du mouvement unitaire de 30,2 % (Allers, 30,2 %) et de 27 % en tonnage (Allers, 36,3 %), avec un accroissement du tonnage unitaire de 235,2 toneladas à 245,7 toneladas. Le tonnage moyen des Retours suit donc, en les atténuant, les fluctuations du tonnage unitaire des Allers, la légère poussée de 1613 correspondant à la poussée du tonnage unitaire des Allers de 1612.

155Les fluctuations ne doivent pas faire perdre de vue l’essentiel, la forte position des Retours, par rapport aux Allers. On en a une autre preuve dans les pourcentages d’écart à la moyenne. Par rapport à la moyenne mobile correspondante110, le mouvement Retours est en position supérieure à la position des Allers par rapport à leur propre moyenne mobile de 1609 à 1614, tout au long de l’anomalie des Allers au sens le plus large. En 1609, position relative des Allers, 122,49 %, Retours, 125 % ; 1610, 121,48 %, et 152,2 %, puis 75,73 % et 83,6 %, en 1611, 104,39 % et 119,6 % en 1612 ; en 1613, 65,62 % et 88,49 % ; en 1614, 82,54 % en Allers, 90,06 % en Retours. La persistance, sur six ans, de l’anomalie positive des Retours, la constance d’une distorsion, qui délimite bien au sens le plus large le creux d’après le grand krach du marché de la Vera Cruz, est plus importante que le sens de variations courtes fortement influencées par l’accidentel de mer, le hasard de choix individuels..., en gros, l’extra-économique.

5. Allers et retours

156La concordance des mouvements, en Allers et en Retours, explique que le creux cyclique de 1613 soit aussi vigoureusement marqué sur les globaux Allers et retours111. Il en est, certes, de plus accusés : 1604'et 1607, tout récemment. En descendant le temps, il faudra aller, toutefois, jusqu’en 1622, jusqu’au terme du prochain cycle, pour rencontrer un point aussi bas. Il en est peu, de toute manière, qui soient aussi chargés de signification, en raison même du parfait synchronisme des éléments constitutifs. Rien qui soit attribuable, ici, au hasard, à l’accidentel de mer. On est bien en présence d’un gros accident imputable intégralement à la conjoncture économique défaillante du moment.

157De 1612 (artificiellement gonflé, on a vu comment112) à 1613, un important recul, naturellement, dont on ne peut trop induire, de 193 navires à 134 unités, de 46 527 toneladas à 31 720 toneladas, de 30,6 % et 31,8 %, avec un léger glissement du tonnage unitaire, de 241,42 toneladas113 à 236,7 toneladas. Mais c’est par rapport à la moyenne mobile114 qu’on appréciera, comme il convient, l’ampleur relative de la dépression de 1613, peu suspecte, dans la mesure où elle n’est pas due à un accident, par exemple, des Retours, comme cela se produit souvent, en période de conflit armé. C’est ainsi que l’écart à la moyenne des Allers et retours en 1613 (73,81 % contre 108,41 % en 1612 et 80,28 % en 1611) est le plus important de toute la série jusqu’en 1631.

ÉLÉMENTS D’APPRÉCIATION DE LA CRISE

158La crise, cela va sans dire, est confirmée par les moyens d’appréciation les plus traditionnellement utilisés.

1. Les grandes articulations régionales aux Indes115

159Les grandes articulations géographiques du trafic aux Indes nous montrent quelles sont, à l’Aller, les zones les plus atteintes.

160a. La Nouvelle Espagne. — La Nouvelle Espagne n’est pas remise encore, du choc de la série de la Vera Cruz — elle ne s’en remettra jamais totalement, dans le laps de temps et sous l’angle de prise de vue qui nous incombent. Elle reste installée, de 1610 à 1613 inclusivement, sur le palier de 10 000 toneladas. Et, pourtant, dans le cadre du très court terme, il semble qu’il y ait une légère amélioration qui s’ébauche.

161Pour être pleinement valable, la comparaison doit s’établir entre départs de structure analogue, c’est-à-dire entre 1613 et 1611 ou 1613 et 1609. Le deuxième couple (1609-1613) montre (de 84 navires à 46 unités, de 16 080 toneladas à 10 262 toneladas) quel dénivellement, sur l’axe longtemps moteur du trafic Espagne-Mexique, subsiste entre une année d’expansion, à la veille du krach de la Vera Cruz et une année du creux, après le krach de la Vera Cruz. Le premier couple, par contre (1611-1613), laisse la route ouverte à une présomption sérieuse d’esquisse déjà, d’un relèvement, de 33 navires à 46 navires, à l’Aller, de 9 870 toneladas à 10 262 toneladas.

162La comparaison entre la première phase (1610-1611) et la seconde phase (1612-1613) de la crise est plus sûre encore, dans une large mesure et valable, puisque chaque tranche chronologique de deux ans comprend la même somme d’éléments comparables, deux flottes de Nouvelle Espagne, deux Armadas de la Guardia, un volant variable de « marginaux », une seule flotte de Terre Ferme : d’une part (1610-1611), la Nouvelle Espagne reçoit 76 navires, totalisant 19 720 toneladas (moins de la moitié de ce qu’elle avait reçu au cours des deux années 1608-1609, au vrai, en tous points exceptionnelles qui précédèrent le krach, 170 navires, 40 590 toneladas), d’autre part, 85 unités, de 1612 à 1613, représentant 21 202 toneladas.

163Entre la première partie et la seconde partie de la dépression qui suit le retournement de la tendance majeure, il y a donc un très lent, certes, mais très sûr mouvement de récupération du trafic entre l’Espagne et la Nouvelle Espagne (2,45 % en tonnage, 11,8 % sur l’expression unitaire du mouvement). Ce lent mouvement de récupération, au fur et à mesure que Ton s’éloigne du choc de 1609, est d’autant plus sensible que dans le même temps le mouvement global des départs continue à décroître, il passe dans le même laps de temps, de 190 navires et 44 817 toneladas d’une part, de 1610 à 1611, à 164 navires et 39 208 toneladas, d’autre part, de 1612 à 1613, le pourcentage du mouvement de la Nouvelle Espagne aux totaux, passe donc, entre 1610-1611 et 1612-1613,de 44 à 54 %.

164b. Les Iles et la Terre Ferme. — C’est donc dans le domaine de la Terre Ferme, que se situe, assez curieusement, la grande défaillance. Dans le domaine ordinairement très stable des îles, la chute est considérable, aussi de beaucoup plus de moitié de 1612 à 1613, puisqu’on passe de 25 unités en 1612 à 9 unités en 1613, de 3 221 toneladas à 1 525 toneladas. Or, depuis 1609, voire même depuis 1607 (à condition de procéder à la ventilation sur deux ans qui s’impose, entre 1607 et 1608, pour des raisons que nous avons exposées à leur heure116), les départs vers les îles s’étaient tenus avec beaucoup de constance, à un niveau un peu supérieur à 3 000 toneladas117. Le décrochement est d’autant plus significatif qu’il se répercute sur deux ans : 1613 et 1614, 9 et 16 navires, 1 525 et 1 981 toneladas118.

165Il en va de même de la Terre Ferme. Ce qui est significatif, ici, ce n’est pas tant la chute normale de niveau entre 1612, année avec flotte et 1613, année sans flotte de 33 unités à 12 unités, de 9 790 toneladas à 3 470 toneladas, mais la comparaison, une fois de plus entre 1613 et 1611, toutes deux, années de crise, toutes deux, années de structure comparable, au départ. Or, on notera, entre 1611 et 1613, sur les îles, d’abord (de 35 unités à 9 unités, de 3 567 toneladas à 1 525 toneladas), un très net recul et pour la Terre Ferme, un repli sensible (25 % sur le mouvement unitaire, 11,2 % en tonnage). Au total, entre les deux années parfaitement comparables de 1611 et 1613, il y a eu, en direction de la Nouvelle Espagne, progrès de 39,4 % (mouvement unitaire) et de 2,5 % (en tonnage) en direction globalement des îles et de la Terre Ferme, un recul de 51 navires à 21 unités, de 7497 toneladas à 4995 toneladas, de 58,9 % (mouvement unitaire) et 29 % (en tonnage).

166En conséquence, si la rupture au moment du renversement de la tendance majeure a été commandée par un accident imputable à la Nouvelle Espagne, l’aggravation de la crise entre le début (1610-1611) et la fin (1612-1613) de la dépression, doit être attribuée au comportement conjugué des îles et de la Terre Ferme.

167Le marasme, ici, vu de Séville, était chose ancienne. En outre, ces espaces plus accessibles, plus facilement offerts aux atteintes du commerce « au bout de la pique », ont été, sans doute, plus facilement et plus directement exposés aux prises des commerces concurrents. Aussitôt le choc du krach de la Vera Cruz passé, n’est-ce pas, à nouveau, de préférence, à propos de la Terre Ferme, que s’expriment les angoisses du « commerce officiel » de Séville, telles qu’on peut les suivre à travers la correspondance de la Casa de la Contratación ?

2. Les grands axes du complexe portuaire au départ

168C’est également par le biais de la part relative des grandes articulations du complexe portuaire que l’on peut mesurer l’aggravation de la situation dans la seconde phase de la crise. Le bon terme de référence n’est pas, là non plus119, l’année 1612, en raison de la structure différente du trafic. L’évolution sur les séries : navires marchands de Séville et navires marchands de Cádiz (de 63 unités et 15 081 toneladas en 1612 à 36 unités et 8 510 toneladas en 1613, pour les navires marchands de Séville ; de 9 navires à 4 navires et de 3 230 toneladas à 1 980 toneladas pour les navires marchands de Càdiz), risque par exemple, d’accuser simplement le passage d’un régime à deux flottes à un régime à une flotte. Tout au plus, noterait-on par ce système, que les axes supposés économiquement les plus importants du trafic ont reculé, proportionnellement davantage, que ne l’a fait l’ensemble des départs, puisqu’ils représentaient plus de 76,4 % du total en 1612 et 68 % seulement en 1613.

169Mais là encore, c’est la comparaison avec 1611 qui risque de se révéler la plus fructueuse, en raison de l’identité profonde des situations. D’une année sur l’autre, le recul sur l’axe capital des navires marchands de Séville est très sensible. La position de 1613, dans ce secteur, 36 navires, 8 510 toneladas est la plus faible (1611, 40 navires, 9 501 toneladas), depuis 1606-1607. Le recul de l’ensemble marchand Séville-Cádiz, de 44 navires à 40 unités, de 11 151 toneladas à 10 490 toneladas, est également appréciable, de l’ordre de 5 %.

170Sous cet angle comme sous tous les autres angles, la conjoncture a achevé de se détériorer de 1611 à 1613. C’est bien ce qu’il apparaît à travers la correspondance des marchands.

LA CRISE VUE DE SÉVILLE

171Que 1613 soit une année de crise, de tension conjoncturelle extrême, la correspondance de la Casa de la Contratación le prouverait, s’il en était besoin : la densité, la véhémence des plaintes et des remèdes qui y sont présentés par tous les inventeurs de pierre philosophale.

1. Le capitalisme étranger à Séville

172Deux grands problèmes tiennent la vedette — deux grands problèmes qui, en réalité, n’en font qu’un : celui des étrangers et celui de l'avería.

173En 1613, la surprise est à son comble, l’irritation bien sûr, d’abord, mais, de plus en plus, une sorte d’angoisse craintive, en présence d’une crise qui choque, accessoirement, par son amplitude mais, bien plus encore, par sa durée. Le mémoire de Juan Gallardo de Cespedes120 — sur lequel on aura l’occasion de revenir — montre, entre autres, qu’à Séville, on commence à prendre conscience, clairement, de la gravité de la crise qu’on est en train de traverser. On ne peut qu’être frappé, derrière la maladresse du vocabulaire, de l’extraordinaire lucidité de la pensée.

174Lorsque la crise de la Vera Cruz a éclaté, au sommet d’une prospérité menacée, mais sans précédent, elle a surpris par son ampleur et par les dégâts qu’elle a, tout de suite, accumulés, dans un secteur du trafic jusqu’alors préservé. Mais, rien, disons, jusqu’à la fin de 1610 ou au début de 1611 ne pouvait laisser à penser qu’il n’en irait pas de cette crise, comme de toutes les crises, pratiquement, du dernier demi-siècle, comme de toutes les crises même de la Carrière des Indes, au cours du xvi^e siècle — à l’exception, peut-être, de la crise de 1550, désormais bien oubliée.

175Or, de 1611 à 1613, non seulement aucun signe de reprise valable n’est en vue — la Terre Ferme malade a rapidement pris le relais de la Nouvelle Espagne, en tête des facteurs de dépression — mais la situation n’a fait que s’aggraver. C’est pourquoi, entre la première phase et la seconde phase de cette crise de structure, le ton semble s’être modifié profondément. On songe superficiellement à la récession des années 30 du xx^e siècle, après la rupture de 1929 et du temps qu’il a fallu aux entrepreneurs et aux économistes pour comprendre qu’ils n’étaient pas en présence d’une crise comme les autres, d’où ces lenteurs à réagir, malgré toutes les supériorités du xx^e siècle sur les balbutiements de la première modernité. A côté de la simple exaspération du début, perce, désormais, toujours un peu plus d’angoisse et de réflexion.

176On sera frappé, en effet, du rôle considérable, en 1613, des grands mémoires de réflexion(1), un peu somme si le relâchement de l’activité économique avait laissé aux hommes de la Carrière des Indes le temps de penser. Tout vient s’organiser autour de deux documents clefs, le mémoire de Juan Gallardo de Cespedes, le défenseur des étrangers fixés à Séville, entendez un consul multinational, au sens ancien de défenseur des étrangers, dont l’activité gravite autour du commerce des Indes, et les offres de service, à la tête de l'avería, de la grande firme portugaise dirigée maintenant par Gonzalo Baez Coutinho. Aux arguments avancés par Juan Gallardo de Cespedes et par Gonzalo Baez Coutinho, le Consulat des marchands, entendez le vieux noyau du commerce sévillan monopoleur, répond par ses dénégations habituelles et par toute l’argumentation traditionnelle. Toutefois, s’il fait preuve, soutenu dans cette aventure par la Casa de la Contratación, d’une certaine hargne contre son vieil ennemi, la maison Coutinho, on remarquera la courtoisie(121) avec laquelle le porte-parole du Consulado oppose son argumentation à celle de Juan Gallardo de Cespedes. Cette courtoisie tient, sans doute, en grande partie, à des raisons personnelles et à la personnalité de Juan Gallardo de Cespedes, mais elle rend peut-être aussi un hommage implicite à la justesse de quelques-uns de ses arguments.

2. Essai d’interprétation

177De tout cela, une conclusion est certaine : l’attitude de Séville à l’égard des étrangers est en train de se modifier. A la xénophobie, pure et simple, du début de la crise, une attitude plus nuancée est en passe de se substituer. Dans la mesure où, au fond même de la crise, la nécessité de certaines liaisons est comprise, que l’on avait cru, en temps de prospérité, pouvoir ignorer.

178On peut d’autant plus sûrement faire fond sur les faits avancés dans son mémoire par Juan Gallardo de Cespedes que le Consulado, qui enregistre les conclusions, se garde bien de mettre en doute la matérialité des faits invoqués.

179Schématiquement, de quoi s’agit-il ? Pour une étude plus attentive et qui ne cherche pas à interpréter, on se reportera aux extraits et aux raccords qui sont donnés dans les notes aux tableaux122.

180De la vente à crédit et du rôle des firmes étrangères dans cette technique ? On sait combien peu prolixes sont nos documents sur les techniques des affaires, sur les choses qui touchent, au plus près, la vie même du trafic — ces choses qui vont sans dire et que l’on connaît mal pour cela même, — on l’a déjà expérimenté à propos de la fiscalité et des mécanismes de douane123.

181Il semble que les techniques de la vente à crédit ont été sinon introduites dans la Carrière des Indes, du moins étendues et généralisées par les firmes étrangères124. Capitalisme plus fort, plus hardi, mieux organisé, en train de prendre la relève de l’Espagne du Sud défaillante ( ?) C’est contre ces pratiques et, d’une manière non dissimulée, contre les étrangers qui y étaient passés maîtres, que les groupes du Monopole, Cespedes le dit et ses adversaires ne le nient pas, ont obtenu du Roi une cédule de 1608, responsable, à l’en croire, de la crise. Tout cela, l’exagération de l’avocat étant mise à part, se rattache assez bien au contexte des séries.

182Le renversement de la tendance de3 prix précède celle des trafics. Il est possible qu’aux premiers signes d’essoufflement des marchés, un effort ait été fait, — et pourquoi pas ? — par les étrangers, au premier chef, pour maintenir le rythme de croissance, en attendant une reprise de la demande des Indes. Ceci expliquerait une prise de conscience, alors, face à une technique certainement pas nouvelle, mais dont l’usage seul serait insolite. On a vu, d’autre part125 les inquiétudes des groupes sévillans du Monopole, ceux-là qui s’expriment par leur porte-parole, le Consulat, dès 1608,— on sait, outre leur jalousie, leur conservatisme exacerbé, leur hypertraditionalisme. Cette attitude timorée est, peut être, aussi, l’expression d’un certain retard technique, retard qui est, peut-être, lui-même, un peu fonction d’une position particulièrement privilégiée au sein du système. Les inquiétudes du Consulat, à la hauteur de l’année exceptionnelle d’expansion de 1608, s’expliqueraient, ainsi, si on accepte l’hypothèse, par le rôle des étrangers dans l’affaire et par le caractère révolutionnaire de l’emploi du crédit, sur une échelle exceptionnelle.

183On évitera la tentation des rapprochements superficiels, celui, par exemple, qui s’établirait superficiellement entre la situation d’avant 1609 dans la Carrière des Indes dominante et d’avant 1929, dans l’économie dominante nord-américaine. On sait toutefois, le rôle qu’aura joué dans ce dernier cas, un certain excès de crédit, en masquant l’essoufflement de la demande et des prix, dont il eût été, sans doute, préférable de se rendre compte plus tôt. La crise de 1609 aurait été, dans cette perspective, d’autant plus brutale, d’autant plus grave et destructrice que, plus décalée par rapport aux prix (on songe encore, à 1929, après le palier essoufflé des prix de 1920 à 1929), d’autant plus dangereuse que l’entrée en ligne de compte de nouveaux groupes et de nouveaux moyens, — nouveaux, du moins, par l’échelle de leur emploi, — en aurait retardé davantage, l’inévitable et salutaire échéance. Et l’événement, de donner raison, ainsi, à la prudence timorée des vieux groupes du Monopole.

184A partir de ce moment, les interprétations divergeront, sans qu’il soit habile pour autant d’en éliminer même les pôles, apparemment, contradictoires. Le décret de 1608 interdisant aux étrangers la vente à crédit, Gallardo de Cespedes prétend, sans être contredit, que c’était, pratiquement, les mettre hors circuit, en coupant la seule forme d’échanges possible en cette conjoncture.

185On devine la justification, a posteriori, du Monopole, la mesure d’assainissement que nous avions prévue, est intervenue trop tard. Elle a limité des dégâts, déjà énormes.

186L’exode du capital étranger, le départ de Séville avec armes et bagages d’un certain nombre de maisons, dont la liste est donnée, au terme du second mémoire de Gallardo de Cespedes126, est un fait incontestable. Ici, pas de doute possible, puisque partisans et adversaires du « New Deal » s’entendent sur ce point. Seule, la cause en est discutable. Le décret de 1608 serait-il, comme Gallardo l’implique, le primum mobile de l’exode du capital étranger et, partant de la crise ? Est-ce, au contraire, la crise et le renversement de la tendance qui, en provoquant l’exode du capital et de la technique étrangère, a révélé leur rôle dans le trafic ? La deuxième interprétation, celle qu’implique le porte-parole du Consulat, malgré sa terminologie rajeunie, est, sans doute, plus proche de la réalité.

187Elles sont, en fait, réconciliables. Le décret de 1608 est, sans doute, l’expression d’un malaise dont on a, à son heure, relevé plusieurs signes. Il exprime une victoire des maisons sévillanes et aussi, par la même occasion, une victoire des méthodes de prudence et de cautèle archaïques et timorées, dont l’abandon, un moment, aura contribué, avec d’autres facteurs, au feu d’artifice des départs de 1608. Il n’est pas la cause de la crise, mais un aspect de la crise montante. Il contribue, par ailleurs, à la précipiter.

188L’ampleur insolite de la crise, on en sait quelques unes des raisons profondes. Ce n’est pas une crise ordinaire, c’est une crise de structure, une crise de renversement de conjoncture. Les contemporains ne pouvaient en avoir, bien sûr, la claire vision : il leur manquait le recul et les techniques intellectuelles pour parvenir à cette approche de la complexe réalité. Dans l’immédiat, il est possible que le changement d’attitude brutal à l’égard du crédit et des étrangers — signe, en général, des plus graves crises de conjoncture, — ait précipité le rythme des événements, les ait aggravés au lieu de les atténuer. Nous dirons le passage sans transition et à contre-courant d’un libéralisme excessif à une orthodoxie rétrograde.

189Le plus clair, n’est-ce pas, devant l’ampleur des dégâts, comme une détente des attitudes xénophobes ? Sans rien abandonner, sans doute, de ses préjugés et de ses méfiances — à l’égard, surtout, des Continho, vieux ennemis du Consulat et qui, à propos de l'avería, ont l’impudence de chercher à prouver l’inefficacité du système et à couvrir de ridicules les plus vieilles maisons sévillanes et leur alliée naturelle, la Casa de la Contratación, — sans rien abandonner des préjugés anti-canariens, des préjugés contre l’« au bout de la pique », Buenos-Ayres, la nao de China, tous les adversaires traditionnels hors du Guadalquivir. Mais les maisons étrangères fixées à Séville, parties prenantes du Monopole, ont à l’égard de ces préjugés, — les rapports de Juan Gallardo le prouvent, — sensiblement la même attitude que les vieilles maisons sévillanes. Le négoce sévillan commence à comprendre que Séville ne peut pas se passer des maisons étrangères qui sont profondément enkystées dans sa chair. Sans elles, Séville n’est plus Séville. Si elle veut les conserver, elle devra faire des concessions, à l’égard des étrangers et à l’égard, aussi, des Peruleros dont on apprend, par la bande, les rapports étroits que plusieurs d’entre eux entretenaient avec les maisons étrangères.

190Ce que Gallardo de Cespedes sera, peut-être, parvenu à faire comprendre, c’est qu’à l’intérieur des grands axes du commerce officiel, une solidarité étroite existe entre les composants sévillans que sont, désormais, les Sévillans ou prétendus tels, les étrangers et les Peruleros. L’aveu en est fourni, dans la réponse du 26 décembre 1612 qui127 prouve qu’on a bien renoncé au décret de 1608. Reconnaissant ainsi qu’il fallait tout faire pour conserver à l’Espagne l’indispensable apport du capital et de la technique étrangère. La première phase de la crise aura exacerbé les conflits, la seconde phase de la crise aura ébauché une première esquisse de réconciliation, facteur indispensable des médiocres reprises des années qui viennent.

3. Sur l’ampleur de la crise

191Mais les arguments et les idées qui, entre 1612 et 1613, autour du problème des étrangers et la crise larvée de l'avería, en panne depuis la faillite de Nunez Correa, se sont croisés, ont apporté, encore, d’autres éclairages précieux.

192Dans toutes ces péripéties, il y a beaucoup de routine, beaucoup de préjugés et de redites... ne serait-ce, par exemple, que cette volonté systématique, aussi bien à la fin qu’au début de la crise, de tenir128 les Canaries le plus possible à l’écart du Monopole, sans trop bien comprendre que le refus de leur faire une place suffisante ouvre la voie à d’autres maux plus graves.

193Mais on y relèvera, aussi, un point de vue, extrêmement lucide, pour nous, extraordinairement précieux129. Celui d’une crise générale qui affecte simultanément tous les trafics de l’Espagne « esta quiebra esta en el trato y comercio de estos reynos (les Indes), sino tambien estan apurados los de Ynglaterra, Alemania, Flandes y Francia y lo de Italia... » Qu’est-ce à dire ? Sinon que la crise, née sur l’axe dominant (la Nouvelle Espagne de 1609) du trafic dominant (la Carrera), a atteint, deux, trois ans plus tard, tous les divers secteurs de l’économie d’échanges espagnole. Dix ans plus tard, elle commencera à gagner, plus au Nord et plus à l’Est, les économies sous-jacentes elles-mêmes.

194Il était normal que la crise de structure de la Carrera anticipât celle de l’Europe. Seule, la lenteur avec laquelle elle se déplace, peut surprendre des observateurs du xx^e siècle. Cette lenteur est inhérente aux structures de l’Ancien Régime économique.

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195Quant aux événements de 1613 inséparables de ceux qui les précèdent et de ceux qui les suivent, ils ne méritent pas d’autres commentaires et d’autres explications que ceux qui ont été présentés déjà en tête de la fluctuation et à propos des défaillances conjoncturelles de 1611 et de 1612130.