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Séville et l'Atlantique, 1504-1650 : Structures et conjoncture de l'Atlantique espagnol et hispano-américain (1504-1650). Tome II, volume 2

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Pierre Chaunu

Quatrième partie. Au sommet de l'Atlantique de Séville le renversement de la tendance majeure (1593-1622)

Chapitre IX. Le cycle du renversement de la tendance majeure (1605-1613). Les débuts de la première fluctuation primaire (1605-1608). De 1605 à 1606

Texte intégral

1Si, modifiant la distance de l’observateur par rapport au champ d’observation, on s’approche davantage de la réalité que l’on désire saisir, on sera frappé par les contours d’une fluctuation qui prend naissance dans le creux de 1604, s’élève brusquement, d’un élan rapide mais sans lendemain, jusqu’aux apparences quelque peu trompeuses de 1605, puis s’enfonce, lourdement et profondément, jusqu’au fond du creux de 1607.

2Le trafic à l’intérieur du découpage de l’année civile au cours des années 1604-1605-1607 dessine sur l’expression volumétrique du mouvement une fluctuation, cela n’est pas douteux, il en existe bien des preuves et c’est, précisément, cet aspect qu’on retiendra. Pourtant, la notion de la fluctuation n’exprime pas tout.

3Après avoir beaucoup reculé, face aux chiffres, pour ne plus voir que le cycle décennal et un cycle décennal qui ponctuait de sa propre dissymétrie l’intersection idéale, quelque part entre 1608 et 1610, de deux tendances majeures prolongées par la pensée dans la zone chaotique du long plateau des années 1590-1620, il suffit de restreindre le champ d’observation et de se rapprocher suffisamment, pour n’être plus sensible qu’à la fluctuation dissymétrique, tracée sur quatre ans, par la brusque expansion relative, de 1604 à 1605, suivie d’une descente spectaculaire et d’ailleurs exagérée, par rapport à la signification conjoncturelle dont elle est porteuse. Si, à nouveau, après s’être avancé de dix pas, on recule de deux pas, ou, si on préfère, on agrandit un peu, après l’avoir radicalement réduit, notre champ d’observation, on sera sensible à un autre aspect d’une même réalité : le maintien, à travers les dernières années du cycle précédent et les trois premières années du cycle 1605-1613, d’un long plateau déprimé.

I. — CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA PREMIÈRE FLUCTUATION PRIMAIRE

4Ce sont les divers aspects qu’il importe, d’abord, de définir, avant de pousser l'étude plus minutieuse du mouvement, année par année.

UN PLATEAU DÉPRIMÉ

5Ces années forment, avec 1603 et 1604, un vaste plateau déprimé et si on se place sous l’angle d’observation des Allers, on sera presque tenté de dire depuis 1602.

  • 1 On vient de voir (cf. ci-dessus, p. 1182) dans quelle mesure ce creux des Allers se retrouve égalem (...)

6Dépression, donc, de cinq à six ans, selon le champ d’observation choisi1. Entre 1602, inclusivement et 1607, aucun niveau des Allers n’arrive à égaler le niveau correspondant de la moyenne mobile médiane de treize ans.

  • 2 Cf. ci-dessous p. 1202-1212.

7Il en va exactement de même du mouvement global Allers et retours2, si on considère le caractère fictif de la ventilation des Retours, entre 1604 et 1605, partant de la position de 1605 sur les globaux Allers et retours, artificiellement gonflée par rapport à celle de 1604, tout aussi artificiellement déprimée, par contre, par rapport à 1605.

8Les trois premières années du cycle 1605-1613 sont exactement dans l’axe des trois dernières années du cycle 1593-1604. La preuve en est très simple. Il suffit de comparer entre elles les moyennes annuelles des mouvements Allers, Retours, Allers et retours en 1602-1604 et 1605-1607, d’une part, puis remettre ces chiffres dans l’encadrement des cycles précédant et suivant. Entre la fin du cycle 1593-1604, de 1602 à 1604 et les trois premières années du cycle suivant, la première fluctuation primaire 1605-1607, pas de différences notoires, on est bien, en gros, sur un même palier. De 1602 à 1604, en Allers, la moyenne annuelle des départs effectifs est de 76 navires et 18 766,3 toneladas, en Retours, 58 navires, 14 258 toneladas, en Allers et retours, 134 unités et 23 024,3 toneladas. Dans une autre hypothèse — si on compte la flotte avortée de l’année litigieuse 1604 — parce que l’on désire mesurer l’effort de la Carrera (plus que le résultat effectivement obtenu), on aura, 81 unités et 20 432,9 toneladas pour les Allers, 58 navires et 14 258 toneladas pour les Retours, 139 unités et 34 690,9 toneladas pour les Allers et retours.

  • 3 Cf. ci-dessus, p. 921-1157.
  • 4 Cf. ci-dessous, p. 1213-1397.

9Avec une répartition sensiblement différente des Allers et des Retours, les chiffres de 1605 appartiennent à une même famille. En Allers, la panique s’est accentuée, 72 navires au lieu de 76 navires ou 81 unités, 17 506,8 toneladas au lieu de 18 766,3 ou 20 342,9 toneladas, en Retours, par contre, il y a eu reprise, puisqu’on passe de 58 unités et 14 258 toneladas à 71,3 unités et 19 994,3 toneladas. Pour les Allers et retours, il y a, en gros, compensation : 134-139 unités, 33 024,3-34 590,9 toneladas d’une part, pour la période 1602-1604, 143,3 unités et 37 501 toneladas, d’autre part. Quelles que puissent être les divergences de détail, c’est à l’identité que l’on sera sensible. Surtout si on compare ces chiffres, soit à ceux des cycles qui les englobent, 1593-16043, 1605-16134, soit aux fluctuations primaires les plus proches 1600-1604 ou 1608-1611.

10En Allers, par exemple, 17 506,6 toneladas et 18 766,3 toneladas — 20 432,9 toneladas, 72 navires et 76-81 navires forment bien un niveau bas qui s’oppose aux niveaux cycliques encadrants : niveaux annuels moyens de 116,2 navires, 23 417,9 toneladas de 1593-1604, 101,11 navires, 23 193 toneladas de 1605-1613. Même opposition si on compare aussi les niveaux bas solidaires de 1602-1604 et de 1605 aux niveaux annuels moyens des Allers dans le cadre des fluctuations primaires 1600-1604, 1608-1611, soit, respectivement 95,2 unités et 22 628,2 toneladas, pour la dernière fluctuation primaire du cycle précédent et surtout les 132,5 unités et 29 252,25 toneladas de la fluctuation médiane du cycle du renversement de la tendance de 1608-1611. On voit, sans peine, en partant de ces quelques données, où sont les solutions de continuité. On voit bien à quel point s’homogénise et s’isole du contexte des années encadrantes l’ensemble des six ans qui va de 1602 à 1607.

11En Retours, toutefois — c’est moins important pour exprimer la conjoncture des affaires — cette opposition se dilue. Il n’y a plus qu’une large montée des Retours, 62,33 unités, 14 863,68 toneladas au cours du cycle 1593-1604, 63,2 unités et 16 478,2 toneladas de 1600 à 1604, 58 unités et 20 155,5 toneladas de 1605 à 1613, 81,25 navires et 20 594,5 toneladas, enfin, de 1608 à 1611.

12En Allers et retours, enfin, on retrouvera, en gros, la double solution de continuité qui isole en l’unifiant la période 1602-1607, face aux cycles et fluctuations précédentes et suivantes.

13Pour 1602-1604 et 1605-1607, 134-139 unités, 33 024,3-34 690,9 toneladas et 143,3 navires, 37 501 toneladas, d’une part. Face à ces niveaux, nous trouvons 178,58 unités, 38 281,6 toneladas (moyennes annuelles de 1593 à 1604), 158,4 unités et 39 106,5 toneladas (de 1600 à 1604), 179,1 unités, 43 348,5 toneladas (de 1605 à 1613), 213,75 unités, 49 846,75 toneladas (de 1608 à 1611). La solution de continuité est moins marquée avant qu’après. Il est légitime, quand même, d’être, quantitativement, plus sensible à ce que fait l’unité de la période 1602-1607, qu’à ce qui la fractionne.

LE ROLE DES RETOURS

14Le rôle tout à fait extraordinaire du mouvement Retours est un des autres aspects de la première fluctuation, de 1605 à 1607, mais un aspect qui, à la différence du précédent, souligne la solidarité du trafic de la première fluctuation, non plus avec la fin de la fluctuation et du cycle précédent, mais avec le reste du cycle, auquel ces années appartiennent.

15Il y a décalage entre Allers et Retours. Les Allers se sont profondément infléchis au cours de la période envisagée 1605-1607 (avec une moyenne annuelle des départs de 17 506,6 toneladas, 72 unités, contre les 95,2 navires, 22 628,2 toneladas de la fluctuation précédente 1600-1604, 132,5 unités et 29 252,25 toneladas de la fluctuation suivante (1608-1611). Les Retours semblent, au contraire, sur une phase rapidement ascendante. 62,33 navires, 14 863,68 toneladas de 1593 à 1604, 62 navires, 13 111,8 toneladas, de 1593 à 1597, 59,5 navires et 15 210 toneladas, de 1598 à 1599, 63,2 unités, 16 478,2 toneladas de 1600 à 1604, 71,3 unités et 19 994,3 toneladas de 1605 à 1607, 81,25 navires et 20 594,5 toneladas de 1608 à 1611.

16Cette importance insolite des Retours fait qu’ils occupent, par rapport à l’ensemble du mouvement, la proportion unique de 53,4 %, soit 10 % de plus que la part relative moyenne des Retours aux globaux, ou, si on préfère, une anomalie relative des Retours, par rapport au rang qu’ils occupent, le plus souvent, dans le trafic de la Carrera, de 20 % au moins. Dans l’immédiat, on entrevoit pas de conséquences importantes à cette situation. Les conséquences, pourtant, sont énormes, mais plus tardives. Il est impossible de ne pas être sensible à l’influence de ce coup de buttoir des Retours, de 1605 à 1607, sur le niveau exceptionnellement élevé du trafic lors de la fluctuation suivante de 1608 à 1611.

17D’autre part, si le rapport Allers/Retours est normal, lors de la fluctuation 1600-1604 (les Retours représentent alors 42 % du total des Allers et retours), s’il est encore normal de 1602 à 1604 (les Retours représentent alors 43,1 % ou 41,1 %, selon que l’on incorpore ou non la flotte avortée de Terre Ferme au mouvement de l’année 1604), il ne l’est plus, si on considère le rapport des Retours de la fluctuation 1600-1604 aux Allers de 1605-1607.

18Étant donné le rythme de rotation des navires, c’est pourtant ce rapport là qui exprime une réalité physique du mouvement et traduit l’influence possible des Retours sur les Allers, l’influence d’un éventuel soutien des Retours, soit en quantité, de tonnage rendu disponible, soit en capitaux mis à la disposition du négoce.

19Or, face aux Retours de 1600-1604, moyenne annuelle 63,2 unités, 16 478,2 toneladas, face à la moyenne élevée des Retours, sur sept ans consécutifs, 16 115,86 toneladas de 1598 à 1604, face à une moyenne plus élevée encore, sur dix années consécutives, si on incorpore les trois ans de 1605 à 1607, soit 17 279,4 toneladas, on a une moyenne Allers de 17 506,6 toneladas seulement de 1605 à 1607, soit un pourcentage des Retours aux Allers correspondant, de l’ordre de 48 % à 49,5 % suivant la combinaison adoptée (le rapport moyen des Retours à l’ensemble du mouvement global est de l’ordre de 43 % seulement).

20Autrement dit, la défection des Allers, de 1605 à 1607, doit être imputée uniquement à une défaillance propre au négoce. Il est impossible d’invoquer, comme on l’a fait en d’autres circonstances, l’action d’un goulot d’étranglement de l’armement. Les négociants auront disposé, sans hésitation possible, de 1605 à 1607, de tous les navires qu’ils ont pu souhaiter et si le niveau des départs n’a pas dépassé le niveau très bas de 17 506,6 toneladas, une défaillance spécifique au seul négoce, en est cause, due, bien précisément, au manque d’initiative du côté européen et non pas américain, indien de l’entreprise.

21La distorsion capitale d’un mouvement Retours totalement désolidarisé de celui des Allers invitera donc à prendre très au sérieux, sous l’angle de la conjoncture du trafic, la dépression des Allers de ces années. Les Allers, au cours de cette première décade du xviie siècle, sont à considérer en tout premier lieu. La concordance des mouvements avec les arrivées officielles des trésors à Séville et l’indice mercuriel souvent évoqué en donne une autre preuve, mouvement Retours et importations des trésors dans le Guadalquivir dénotent, en effet, une assez paradoxale indépendance.

  • 5 Cf. t. VI1, tables 139 et 143, p. 337 et 341.
  • 6 EJ. Hamilton, 1501-1650., op. cit., p. 34.
  • 7 Cf. ci-dessus, p. 1180-1182.
  • 8 Cf. ci-dessus, p. 1189-1190.

22On chercherait en vain sur les Retours des mouvements semi-décadaires5 — les seuls qui soient exactement comparables avec les importations des trésors à Séville calculées par Hamilton6 — l’énorme creux7 marqué sur les trésors par la demi-décade 1601-1605, entre les hauts niveaux de 1591-1600 et de 1606-1610. Tout au plus, sera-t-on sensible à un léger ralentissement sur une pente ascendante, 86 501,8 tonneaux (1601-1605), après les 86 278,5 tonneaux de 1596 à 1600, sur une série dont l’encadrement est formé par les 64 754 tonneaux de 1591-1595 et les 120 920,4 tonneaux de 1606-1610. Mais plus rien de comparable à l’échancrure des trésors que l’on retrouve, bien qu’atténuée, sur le mouvement volumétrique Allers8.

23La corrélation existe, par contre, entre le rythme des Allers et celui des trésors elle existe surtout entre les arrivées des trésors et le mouvement étrique Allers décalé de deux à trois ans. Le creux des trésors (1601-1605) se retrouve sur le mouvement Allers de 1601 à 1605, mais atténué ; il est, par contre, à peu près intégralement conservé, en Allers, de 1603 à 1607. Une corrélation aussi nettement dessinée, étant donné le décalage du creux des Allers par rapport à l'ensellement de la courbe des exportations des trésors d’Amérique, tend, en l’occurrence, au cours de cette courte période, à créer une présomption en faveur d’un lien de causalité, la chute des trésors apparaissant comme l’une des causes de la défaillance du mouvement Allers.

24Au moment de ces années critiques, la conjoncture semble mue, encore, pour le négoce, par les impressions ressenties à Séville et par les décisions qui nt prises, à titre plus lointain, peut-être, par les vicissitudes de la branche de l’économie la plus sensible, parce que la plus créatrice de richesses doué es d’une extrême mobilité, l’économie minière. Toutes choses que l’on savait, au demeurant, mais que l’on aime à vérifier, une fois encore. Ces caractéristiques quasi structurelles de l’espace Atlantique espagnol et hispano-américain sont toujours en place au début du xviie siècle. La grave crise qui se prépare ne les pas modifiées.

LE RÔLE DE LA NOUVELLE ESPAGNE

  • 9 Cf. ci-dessus p. 1971-1072.

25Le rôle du trafic animé par la Nouvelle Espagne, bien qu’il soit tout aussi évitent que celui des Retours, est peut-être moins caractéristique de cette période. On a vu comment9, en effet, depuis 1600 et jusqu’en 1622, au moins, l'ensemble des échanges dans l’Atlantique est dominé par le trafic de la Nouvelle Espagne avec l'Europe.

26Il est difficile, au vrai, de se prononcer sur des variations en pourcentages, très - faibles, entre les différents éléments de ce trafic. Pourtant, dans la mesure où il e-t possible de donner un sens à des présomptions plus qu’à de vraies indications, on se fera, en ce qui concerne le rôle de la Nouvelle Espagne, les trois remarques suivantes :

  • 10 En mouvement unitaire, les proportions sont moindres en raison de la taille des navires est venant (...)
  • 11 Cf. ci-dessus, p. 1071-1072.

27Le primat de la Nouvelle Espagne, tout d’abord est, maintenu au cours de la fluctuation, comme tout au long d’une période qui va de 1600 à 1622. Par rapport à l’ensemble du mouvement, on constatera, en effet, l’excellence des pourcentages en tonnage : 49,7 % en Allers, 51,2 % pour les Retours, 50,4 % pour les Allers et retours10. Rien là qui ne diffère sensiblement des fluctuations de toute la période de primat nouvel-espagnol sur les échanges dans l’Atlantique — entendez des vingt à vingt-cinq ans, de 1600 à 1622-1623. Ce qu’on a déjà déduit de cette situation11, pour l’ensemble de la période, s’applique, donc, tout particulièrement au laps de temps envisagé.

28Il pourra paraître, toutefois, nécessaire de dépasser cette première constatation absolument primordiale, même en dépit des marges extrêmement ténues des variations dont il sera fait état. On observera, tout d’abord, en tonnage, du moins et par rapport au contexte des fluctuations encadrantes, un presque imperceptible fléchissement, suffisant, toutefois, pour qu’on en retienne l’indication, de la proportion des Allers, en direction de la Nouvelle Espagne. Fléchissement d’autant plus symptomatique, peut-être, qu’il s’accompagne d’un gonflement du même ordre des Retours sur le même axe.

29Le fléchissement de la Nouvelle Espagne s’établit ainsi : en chiffres relatifs, 53,5 % de 1600 à 1604 (51,7 % quant au mouvement unitaire), il tombe à 49,7 % de 1605 à 1607 (48,1 % quant au mouvement unitaire), pour remonter à 51,5 % et 54 %, lors des deux fluctuations suivantes de 1608-1611 et de 1612-1613. Il est d’autant plus sérieux qu’il se double d’un fléchissement en chiffres absolus, beaucoup plus considérable, encore. La moyenne annuelle des départs en direction de la Nouvelle Espagne s’établit ainsi :

  • De 1600 à 1604, 11 909 toneladas ;

  • De 1605 à 1607, 8 671,3 toneladas ;

  • De 1608 à 1611, 15 077 toneladas ;

  • De 1612 à 1613, 10 601 toneladas.

30On voit bien, ainsi, ce que signifie la défaillance de la Nouvelle Espagne, au cours de ces années. On voit également comment le gonflement de 1603-1611 par rapport à 1605-1607 est assuré, virtuellement, par un presque doublement des départs en direction de la Nouvelle Espagne. Le très léger ralentissement (en chiffres relatifs), le sensible ralentissement (en chiffres absolus) des départs en direction de la Nouvelle Espagne paraît d’autant plus significatif que l’on est à l’intérieur d’une ample et vaste période à tendance nouvelle-espagnole, incontestablement, dominante, d’autant plus que le ralentissement triennal de 1605 à 1607 nuance, tout au plus, sans infirmer, en rien, la tendance majeure de la Nouvelle Espagne à dominer le trafic.

31Ce léger fléchissement des Allers en direction de la Nouvelle Espagne s’accompagne, d’ailleurs, d’un véritable laminage des îles et, par opposition, d’une montée de la Terre Ferme. Laminage des îles, dont le niveau est un des plus anormalement bas de toute la période. De 1605 à 1607, 33 navires représentant 3 580 toneladas, seulement, sont allés en direction des îles, 15,5 % des 216 navires qui constituent, sur trois ans, l’ensemble des départs, 6,84 % seulement des 52 520 toneladas du volume total du mouvement. Ces niveaux, particulièrement dérisoires, d’ailleurs, en valeurs absolues : moyenne annuelle de 11 bateaux, représentant 1 193,3 toneladas seulement, sont en contrebas des niveaux encadrants — en contrebas des niveaux absolus, bien sûr, mais en contrebas aussi, fait plus significatif, des 20,3 % sur l’expression unitaire du mouvement, 10,8 % en volume, par exemple pour l’ensemble du cycle 1605-1613, 21,2 % et 12,2 % pour la fluctuation centrale 1608-1611. Entre 1605-1607 et 1608-1611, il y a, très exactement, triplement du niveau annuel moyen des départs en direction de l’espace abandonné des îles de 11 à 29,25 unités (moyenne annuelle), de 1193,3 à 3 572,5 toneladas.

32Par contre, on observera, dans le même temps, un certain redressement, au moins, relatif de la Terre Ferme. Avec 36,2 % du nombre total des navires, 43,4 % du tonnage, 25,65 unités (moyenne annuelle), 7 575,3 toneladas, le niveau annuel des Allers vers la Terre Ferme de 1605 à 1607 tranche un peu sur les 31,8 % sur l’expression unitaire du mouvement et 37 % en volume de l’ensemble du cycle 1605-1613 et 38,5 % sur l’expression unitaire et 34,1 % en tonnage, lors de la fluctuation précédente 1600-1604.

33Mais le tableau de la situation est utilement complété par le gonflement concomitant des Retours de la Nouvelle Espagne. Au très léger fléchissement de la Nouvelle Espagne en Allers, répond un gonflement plus notable des Retours. Soit 40,6 % du mouvement unitaire global des Retours, 51,2 % en tonnage. Ce niveau est plus élevé même que celui de l’ensemble du cycle 1605-1613 (soit 34,6 % sur l’expression unitaire du mouvement, et 44,1 % en tonnage). Le niveau, tant relatif qu’absolu, des Retours de la Nouvelle Espagne l’emporte sur celui en Allers de la Nouvelle Espagne : 10 235 toneladas au lieu de 8 671,3 toneladas, soit un niveau qui correspond, comme il est finalement logique, au niveau des Allers en direction de la Nouvelle Espagne, de 1600 à 1604. Niveau annuel moyen des Retours de 1605 à 1607 : 10 235 toneladas, niveau annuel moyen des Allers en Nouvelle Espagne de 1600 à 1604 : 11 909 toneladas.

34Cette contre-épreuve supplémentaire montre bien que le moteur conjoncturel reste, au cours de ces années, du côté de l’Europe. Le fléchissement du trafic en direction de la Nouvelle Espagne ne peut pas s’expliquer autrement que par une défaillance imputable au négoce de Séville.

35Comme le gonflement de la part relative des Retours, le gonflement des Retours de la Nouvelle Espagne, parallèlement au léger fléchissement des Allers en direction de l’axe fondamental du moment, entre dans un faisceau concordant de crise.

36Cette crise, avec des modalités changeantes, traverse toute la période qui va de 1602 à 1607 et 1605, malgré certaines apparences, n’y échappe pas.

II. — 1605 : UN FAUX DÉPART

  • 12 Cf. ci-dessus, p. 1166-1167.

37Il ne s’agit pas, Lien sûr, de nier entre le creux de 1604 et celui de 1607, l’existence d’une fluctuation dont on s’est efforcé, ailleurs, de justifier la réalité et de fixer les limites12. Cette fluctuation existe, elle culmine en 1605 et accuse une dissymétrie (phase ascendante, d’un an, phase descendante de deux ans) qui va exactement dans le sens qu’on peut attendre en période de ralentissement conjoncturel. Elle est placée au terme d’une période de marasme, à cheval sur deux cycles : la phase descendante l’emporte donc sur la phase ascendante et c’est déjà là un caractère qui annonce la phase longue de contraction séculaire toute proche. La fluctuation, toutefois, ne doit pas faire perdre de vue tout ce qui rattache 1605, pointe secondaire d’expansion d’une fluctuation de marasme, au marasme commun aux années 1602-1607.

  • 13 Cf. ci-dessus, p. 1143-1148.

38La pointe très relative de 1605 n’est, quand même, pas douteuse, mais il y a dans la tentation qui consiste à opposer, sans critique suffisante, les chiffres de 1605 à ceux de 160413, une grande part d’illusion : une illusion qui ne résiste pas à l’analyse attentive des faits.

LA LEÇON DES CHIFFRES

39Après les deux années de 1603 et de 1604, dont on a vu le marasme et les difficultés, il est incontestable que le Guadalquivir dénote une activité beaucoup plus grande.

1. Allers

40Ce n’est pas en Allers, qu’intervient le changement le plus important. Il y a, toutefois, une consolidation quel que soit le terme de référence que l'on choisisse pour 1604.

41Si, sortant du domaine des velléités, on élimine des chiffres de 1604, la flotte fantôme de Francisco del Corral y Toledo, on aboutit entre 1604 et 1605, passant de 67 à 81 unités, de 18 037 à 24 962 toneladas, à un saut en avant de 20,9 % sur le mouvement unitaire et 38 % sur le mouvement en tonnage. Même la prise en considération, mais vraiment abusive sous cet angle de la flotte fantôme de 1604, laisserait encore un avantage de l’ordre de 8 % sur le mouvement en tonnage, de 1605, par rapport à 1604.

42On a, d’ailleurs, pour s’assurer, sans équivoque, des progrès réalisés en 1605, un autre procédé, la comparaison, soit avec 1603 (le creux des Allers), soit avec une moyenne des années 1603-1604. Ces combinaisons feraient apparaître un progrès, suivant la solution adoptée, soit un peu supérieur, soit un peu inférieur à 50 %.

  • 14 Cf. t. VI1, table 164, p. 363 ; t. VII, p. 52-53.

43Confirmation, bien sûr, par rapport à la moyenne mobile de treize ans, puisque de 63,89 % pour 1603, de 70 % ou 89,80 % pour 1604, on passe à 96,76 % en 1605. Un très court instant, le chiffre vrai du mouvement des. Allers s’approche du trend au point presque de se confondre avec lui14.

  • 15 Il peut y avoir, au-delà, une apparente contradiction, puisque, après s’être élevé jusqu’à 243,14 t (...)

44Ce progrès a été acquis, selon toute apparence, beaucoup plus par l’alourdissement du tonnage unitaire des navires que par la multiplication de leur nombre. En 1605, à l’aube du nouveau cycle du renversement de la tendance majeure des trafics dans l’Atlantique, on peut dire que toutes les séquelles des destructions massives de la guerre anglaise sont, maintenant, abolies. On se trouve, à nouveau, dans l’axe de l’accroissement, un instant, interrompu, du volume et des dimensions des navires. D’autant plus que les Canariens, avant 1606, n’ont pas fait, encore, leur réapparition. C’est ainsi que le tonnage unitaire moyen des navires, à l’Aller, au départ du complexe portuaire, passe de 181,82 toneladas de 1593 à 1597, 182,62 de 1598 à 1599, à 233,5 de 1600 à 1604, puis à 243,14 de 1604 à 160715.

45De 1604 à 1605, la tendance est bien confirmée, puisque on passe de 228,8 toncladas en 1601 à 224,2 toneladas en 1602, de 258,6 toneladas en 1603 à 269 toneladas en 1604 et au chiffre jamais atteint à cette date de 308,2 toneladas en 1605. Ce chiffre, extraordinairement élevé, tranche, d’ailleurs, avec les moyennes annuelles unitaires cycliques : 308,2 toneladas, moyenne de 1605, contre 229,16 toneladas seulement pour l’ensemble du cycle 1605-1613 et 201,4 toneladas de 1593 à 1604.

46Ce brusque gonflement du tonnage unitaire des navires est très sensible, cette année, sur le mouvement Allers. Le tonnage unitaire des Retours arrive seulement assez péniblement, à égalité, avec 302,8 toneladas contre 308,2 toneladas pour les Allers.

47Un tel gonflement — d’autant plus symptomatique qu’il prend anormalement le pas sur celui des Retours — est loin d’être, en conjoncture, un facteur favorable.

48D’une part, il souligne plus profondément encore, combien, sur la seule expression unitaire du mouvement le creux de ces années eût été marqué. La tenue du trafic est due uniquement au tonnage unitaire. D’autre part, l’infériorité relative anormale du tonnage unitaire moyen des Retours — anormale, puisqu’il est structurellement, supérieur à celui des Allers — joue dans le même sens.

  • 16 Cf. ci-dessus, p. 808-840.

49En fait, ces deux chiffres, tonnage unitaire moyen des Allers de 1605, 308,2 toneladas et 302,8 toneladas montrent que l’armement est resté en position de demandeur, face au négoce. Le négoce a le choix, il peut écarter les petits, les moins bons navires, à un point jamais atteint. Une telle sélection — il suffit, pour s’en convaincre de se remémorer16 les chiffres de tonnage unitaire autour des années 1590-1592 — ne peut aller avec le plein emploi dans l’utilisation du matériel naval. Entre 1590-1592 et 1605, les situations sont diamétralement opposées. Tous les petits bateaux de la période précédente ne sont pas arrivés hors d’âge, tous n’ont pu trouver leur fin d’emploi dans le cahotage d’Inde en Inde ou les chantiers de démolition américains pourvoyeurs de matières premières. Certains, peut-être, auront été rappelés par les divers cahotages, le long des côtes européennes, dont ils avaient été, un instant, détournés. Mais d’autres, sans doute, plus nombreux, auront, prématurément, pourris sur place pour avoir été condamnés à une inactivité également prématurée.

50D’autre part, il est manifeste, si on compare les tonnages unitaires respectifs des Allers et des Retours, que la sélection aux Indes n’a pu s’opérer. Les Indes, loin de retenir des navires, en auront presque rendu à l’Europe, Voilà une présomption de désinvestissement, du moins de non-investissement dans le domaine de la Carrera, de non-investissement du trafic sur la côte américaine, aux Indes.

51Tout cela, au simple vu de quelques chiffres de tonnage unitaire et sans risquer des interprétations qui n’ont pas leur place, ici. Il suffit pour bien comprendre la nature propre du creux des volumes des années 1602-1607, de ces années dont 1605 n’arrive pas à se détacher, de considérer le tonnage unitaire de 1590-1591 ou 1592 et celui de 1605. Il s’est accru, d’un terme de référence à l’autre, de 200 à 250 %.

52La comparaison s’impose d’autant plus que la position cyclique du trafic, est, de prime abord, identique, entre ces deux termes de référence. Dans l’un et l’autre sens, on est au milieu d’un creux intercyclique profond. Mais là s’arrête l’analogie, car le contraste est grand entre le creux purement volumétrique de 1590-1592, creux de tonnage, creux d’armement et les difficultés des années 1602-1607, Ce sont des difficultés beaucoup plus profondes, parce que liées au négoce.

2. L’équilibre des Allers et des Retours

  • 17 Cf. ci-dessus, p. 1143-1157.

53Il est un autre point par lequel 1605 se désolidarise — du moins formellement — beaucoup plus nettement encore de la situation de l’année précédente17, l’équilibre des Allers et des Retours.

  • 18 Cf. t. IV, p. 196 suiv. et ci-dessus, p. 1149-1197.

54Il ne fallait pas, on l’a vu, attribuer trop d’importance au déséquilibre Allers/Retours de l’année précédente, puisqu’il était dû, en partie en 1604, aux retards, quelque peu fortuits, subis par le convoi Don Luis Fernandez de Cérdoba, Juan Perez de Portu18, en partie aux caprices du découpage de l’année civile et plus particulièrement, au caprice des scribes de la Casa de la Contratacion. Il n’en est pas moins vrai que même en restituant à 1604 tout ou partie des Retours qu’on aurait pu lui attribuer, le trafic de 1604 restait, après deux années de Retours excédentaires, mieux, d’anomalie positive des Retours, une époque de mouvement Retours inférieur à la moyenne, d’anomalie négative.

  • 19 Cf. t. VI1, table 159, p. 356 ; t. VII, p. 52-53.

55Sur ce point, la situation de 1605 est tout à fait différente. Dans le découpage du calendrier, 80 navires rentrent, on leur attribue 24 224 toneladas (26 646 tonneaux), 81 navires partent, représentant 24 962 toneladas (27 458,2 tonneaux). Les deux masses s’équilibrent sensiblement, soit 49,25 % du total pour les Retours, 50,75 % pour les Allers. 49,25 % au lieu des 43 % moyens, constitue, déjà, une anomalie positive. Sur ce point, par conséquent, 1605 rejoint une des caractéristiques majeures de toute la période du creux 1602-1607, à savoir une forte anomalie positive des Retours que seule 1604 est venue contrecarrer (1602 : 53,58 %, 1603 : 51,83 %, 1604 : 7,5 % ; 1605 : 49,25 %, 1606 : 55,17 %, 1607 : 63,73, %)19.

56Au cours des trois ans de la première fluctuation, chaque année, un peu plus, la masse relative des Retours ira croissant face aux Allers (dans la mesure, simplement d’ailleurs, où son rythme descendant est moins rapide que celui des Allers), d’où finalement, la proportion tout à fait anormale des Retours au cours de ces trois années, 53,4 % (elle reste très forte encore, même si on prend l’ensemble des six années consécutives qui vont de 1602 à 1607, puisqu’elle est, dans ce laps de temps, de 48,5 %.)

3. Retours

  • 20 Cf. ci-dessus, p. 1146-1148, 1150-1151.

57Cette situation est due au redressement des Retours de 1604 à 1605 : de 16 bateaux à 80 bateaux, de 1 870 toneladas à 24 224 toneladas (de 2 057 tonneaux à 26 646,4 tonneaux). On notera un accroissement extraordinaire de 400 % sur le mouvement unitaire et de 1195 %, compte tenu des tonnages sur le mouvement volumétrique. En fait, rien là d’extraordinaire, cette croissance, est tout entière contenue dans l’anomalie du convoi différé de 160420 Elle est assurée, en partie, par une modification du tonnage unitaire, qui passe de 116,8 toneladas en 1604 à 302,8 toneladas en 1605. Ceci nous prouve que les quelques retours de 1604 ont été assumés uniquement par de tout petits navires « sueltos » ou des négriers, tandis que les Retours normaux de 1605 sont constitués par l’artillerie lourde de la navigation en convoi.

  • 21 Cf. t. VI1, table 164, p. 303 ; t. VII, p. 52-53.

58La position de 1605 par rapport au trend qui pourtant, se redresse très vigoureusement à cette époque sur l’expression la plus générale des Retours, est soulignée par le passage du pourcentage de 10,47 % (1604) à 137,55 % (1605)21,

59C’est là une belle position, nullement excessive, pourtant. Elle est dépassée en valeur relative par 1595, 1598, 1600 et 1602, lors du cycle précédent, elle est dépassée, encore, en 1610, lors du présent cycle, au cours de la fluctuation primaire médiane record du cycle.

60Cette masse doit, d’ailleurs, d’autant moins faire illusion, qu’elle procède du retard, en grande partie accidentel, des convois dont le retour attendu normalement à l’automne 1604, soit 12 000 toneladas qui auraient pu, à un jour ou deux près, être imputées à 1604 et non à 1605. On aurait eu, alors, 13 000 toneladas en 1604 et 13 000 toneladas en 1605, soit des masses très exactement équivalentes. Si on tient compte de cette particularité, l’apparente expansion du volume des Retours par rapport à l’année précédente, disparaît pour laisser la place, coincé entre 1602 et 1603 d’une part, 1606-1607 d’autre part, à un creux sensible des Retours, d’autant plus facilement remarqué, d’autant plus significatif, donc, à court terme, que l’on se trouve, par ailleurs, en pleine montée du volume global des Retours.

  • 22 Cf t. IV, p. 162.
  • 23 Ibid., p. 164.
  • 24 Cf. ci-dessus, p. 1146-1147.

61Pourtant, envisager les choses uniquement sous cet aspect serait pour éviter une faute, en commettre une autre. Entre juin 160322 et le 1er janvier 1605, aucune flotte n’est arrivée dans le Guadalquivir compte non tenu de l'armada des galions, porteuse de trésors mais pratiquement dépourvue d’autre type de marchandises en quantité appréciable. Entre novembre 160323 date de l’arrivée à Séville de l’armada de galions de Don Luis Fernandez de Córdoba et le début de janvier 1605, quatorze mois, sans autre visite que la poussière des petits sueltos de 1604, dont on a dit, ailleurs, l’insignifiance24. Au-delà, par contre, une plus grande masse de retours, mais aussi une plus grande régularité, un rapprochement des dates d’arrivée, janvier 1605, septembre 1605, quinze sueltos dans les neuf premiers mois de 1606, puis le gros convoi d’octobre 1606.

62Malgré la part d’arbitraire que comporte, une fois de plus, le découpage annuel, il rend compte, quand même, entre la série des Retours fournis et réguliers des toutes premières années du xviie siècle et la série abondante de 1605-1606, d’un ralentissement non illusoire bien centré sur la fin de 1603 et la plus grosse partie de l’année 1604.

63Si l’opposition 16 navires, 80 navires, 1 870 toneladas, 24 224 toneladas, grossit artificiellement l’ampleur de la contraction et celle conséquente de la reprise, l’égalisation totale sur deux ans (13 000 toneladas pour 1604,13 000 toneladas pour 1605) fausserait plus sûrement encore la réalité.

64Il y a bien, quoi qu’on fasse, sous l’angle des Retours, après un creux assez vigoureusement marqué entre la fin de 1603 et la plus grosse partie de l’année 1604, une très nette reprise. C’est bien ce qu’expriment — mais en l’exagérant démesurément — les pourcentages d’écart qu’on a pu calculer.

4. Allers et retours

65L’ambiguïté qui pèse sur l’interprétation de l’écart Allers, 1604-1605 et de l’écart Retours, dans le même laps de temps, risque de se retrouver, naturellement, sur les globaux, fortement impressionnés par la masse du volant des Retours. Il n’en faudra pas moins se cantonner d’abord à la leçon prudente des chiffres.

  • 25 Par rapport à la tendance (représentée par la moyenne mobile médiane de treize ans), le tonnage rée (...)

66De 1604 à 1605, on sera passé, suivant que l’on tient compte, ou non, du projet avorté de flotte de Terre Ferme de 1604, de 98 à 161 navires, de 24 957 toneladas (27 452,7 tonneaux) à 49186 toneladas (54 104,6 tonneaux), dans la première hypothèse, la plus douteuse peut-être, ou bien, dans la seconde hypothèse, de 83 à 161 navires de 19 957 à 49 186 toneladas25.

67Cela donne, de toute manière, des pourcentages énormes d’expansion. Dans la première hypothèse, l’accroissement aura été de 63 % pour le mouvement unitaire et de 99 % en tonnage. Dans la seconde hypothèse de 94 % à 147 %.

  • 26 Une fois de plus, on appréciera l’utilité pour l’approche conjoncturelle des Allers et retours au s (...)

68Comment choisir entre ces deux solutions ? Certes, le chiffre de 83 navires est le seul à retenir pour le mouvement dans les ports du complexe, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1604. Un autre facteur, toutefois, vient agir, dans l’autre sens, la masse des Retours différés de 1604 et leur arrivée au tout début de l’année 1605. Nous ne sommes pas en droit, pourtant, de déplacer 11 000 toneladas de 1605 sur 1604. On peut se demander, par contre, si les 5 000 toneladas un peu trop généreusement accordés à 1604, dans la première hypothèse, ne viennent pas utilement contrebalancer la part d’arbitraire qu’il y a, sans aucun doute, dans l’attribution intégrale des 11 000 toneladas du convoi de Fernandez de Cordoba et de Juan Perez de Portu à l’actif de l’année 1605. C’est pourquoi les 63 et 99 % de la première solution rendent certainement mieux compte de la réalité que les chiffres trop forts de la seconde hypothèse26.

  • 27 Cf. ci-dessus, p. 1197-1198.

69L’accroissement reste bien substantiel et il doit exprimer quelque chose. Il est acquis par une augmentation considérable du tonnage unitaire des navires, passé de 244,5 toneladas (navires effectivement partis et entrés), 265 toneladas (navires dont le mouvement a été effectif ou envisagé) à 305,5 toneladas. Ce chiffre est insolite, ici, comme il l’était en Allers, plus encore qu’en Retours : 305,5 toneladas contre 243,78 pour l’ensemble du cycle, 259,3 toneladas pour la première fluctuation, 1605-1607, 233,2 toneladas pour la seconde fluctuation et 239,2 toneladas pour la troisième fluctuation (1608-1611, 1612-1613). Un tel écart — on l’a déjà vu27 — n’est pas, forcément dans la conjoncture présente, un facteur favorable. Il crée, en effet, une présomption de non utilisation complète du potentiel de l’armement. L’hypothèse est d’autant plus solide que le point particulièrement élevé du tonnage unitaire de 1605, vient s’encastrer entre les niveaux beaucoup plus bas des années précédentes et suivantes. D’où la nécessité de dépasser, pour comprendre, l’étoite leçon des chiffres globaux.

UNE EXPANSION LIMITÉE

70Au cours de cette année, tel que les chiffres du trafic et les renseignements tirés des sources non chiffrées permettent de l’entrevoir, on pourra relever toute une série d’indices, contradictoires, de prime abord, qui permettent de se faire de la situation en conjoncture de 1605 une opinion nuancée. En fait, il est impossible d’écarter la réalité d’une reprise, sans lendemain, d’une part, mais il est impossible, d’autre part, de la prendre trop au sérieux. Ces éléments se réconcilient aisément, d’ailleurs, dans l’hypothèse d’un médiocre soubresaut, à l’intérieur d’une période de marasme sur les raisons duquel il n’y a plus à revenir.

1. Les Retours de l’année

  • 28 Cf. ci-dessus, p. 1072-1075, 1112-1113, 1164-1165.
  • 29 Cf. ci-dessus, p. 1150-1151.

71La période 1602-1607 constituait — on a vu à quel point — sur six ans, une anomalie relative du mouvement Retours28, puisque le pourcentage des Retours par rapport au mouvement, global au cours de ces six années consécutives, de 48,50 %, reste un des plus forts jamais atteints sur une aussi longue période dans toute l’histoire de la Carrera. On a tiré argument ailleurs29 et, plus particulièrement, des facilités toutes exceptionnelles fournies par les hauts niveaux des Retours de 1602 à 1603, pour souligner, au-delà, encore, d’apparences pourtant fâcheuses, la médiocrité du mouvement en 1604.

72La situation est-elle tellement différente en 1605 ?

  • 30 Cf. ci-dessus, p. 1197-1198, 1202.

73Le niveau exceptionnellement élevé30 du tonnage unitaire moyen des navires, sur les grands axes du mouvement : 308,2 toneladas en Allers, 302,8 toneladas aux Retours, 305,5 toneladas sur les globaux, la paradoxale supériorité des Allers sur les Retours, même dans le domaine de la taille des navires, tout cela tend à prouver à quel point on ne peut guère évoquer, pour expliquer les décisions du négoce en 1605, une quelconque insuffisance du stock des navires existants de l’armement. Le premier aspect de la réalité tendrait, prolongeant la portée des raisonnements échafaudés sur le gros des années 1603-1604, à minimiser l’importance de l’effort de reprise indiqué dans les chiffres.

74Cet aspect, par rapport à d’autres situations, celle, douze ans plus tôt, par exemple, de 1592-1593, est certainement l’aspect dominant de la période mais il est, pourtant, moins vrai, ici, en 1605, qu’il ne l’était en 1604 ou qu’il ne le sera en 1606 ou en 1607. A l’intérieur d’une période de grande facilité du négoce face à un armement richement pourvu de stock et placé en position de demandeur, 1605 a, peut-être, été, quand même, l’année où ce schéma aura été le moins valable.

  • 31 Cf. t. IV, p. 184.

75Après l’énorme apport des Retours de 1602 et 1603, face à des Allers déficitaires, la signification paraît en 1605 quelque peu modifiée. Moins, d’ailleurs, qu’il n’apparaît, en raison de la date d’arrivée du convoi de Don Luis Fernandez de Córdoba et Juan Perez de Portu, au tout début de janvier et qui a pu épauler les préparatifs, sinon tellement de Don Francisco del Corral y Toledo31, du moins de la flotte de Nouvelle Espagne de Alonso de Chaves Galindo.

76Quoiqu’il en soit, pour la première fois depuis 1603, les Allers n’auront pas trouvé, en 1605, l’appui, le soutien d’un volume de Retours, au cours de l’année précédente, supérieur au volume des départs correspondants de l’année suivante.

77Derrière les 16 292 toneladas des Allers de 1603, il y avait les 25 377 toneladas des Retours de 1602, derrière les 18 037 toneladas effectivement parties de 1604, les 17 527 toneladas de 1603 (mais renforcées par l’énorme excédent des Retours de 1602 sur les Allers de 1603), pour la première fois depuis trois ans, derrière les 24 962 toneladas des départs de 1605, il y aura, tout au plus, les 13 000 toneladas des sueltos et convois dont l’arrivée s’étire entre le 1er janvier 1604 et la mi-janvier 1605.

78Toute petite difficulté — le sursaut paradoxal du tonnage unitaire n’autorise pas à la prendre trop au sérieux — que le négoce n’a eu guère de mérite ou de peine à tourner. Elle ne modifie pas sensiblement le schéma traditionnel au cours de cette période de Retours excédentaires, elle oblige, pourtant, à le nuancer.

2. La structure du trafic

79La répartition des départs dans l’année conduit aussi à des conclusions semblables. On peut relever, en examinant les choses de près, autant de facteurs favorables que de facteurs défavorables dans la combinaison qui conduit à placer 1605, en position moyenne, à mi-pente d’une période d’expansion qui n’aura pas lieu avant 1608. Le trafic de 1605 fait bien le raccord entre le creux centré sur 1603-1604 et le plateau record de 1608-1610, à condition d’oublier la contre-pente — comme extérieure et accidentelle — de 1606-1607.

80a. Chronologie des départs. — 1605 ramasse, et c’est, quand même, un facteur favorable, sur un laps de temps relativement court de six mois, toute la série classique des départs de l’année.

  • 32 Ibid., p. 186.

81Pour la première fois depuis 1601, en effet, les départs du complexe comprennent outre l'Armada de la Guardia, outre un petit nombre de navires isolés et de négriers, les deux flottes classiques, la flotte de Terre Ferme sous le commandement de Francisco del Corral y Toledo et celle de Nouvelle-Espagne, sous le commandement de Alonso de Chaves Galindo32.

82Cet effort, d’autre part, s’échelonne à l’intérieur d’un éventail particulièrement fermé de l’ordre de quatre mois : Armada de la Guardia, selon toutes apparences, à la fin de février ou, à la rigueur, au tout début de mars, armada y flota de Terre Ferme, le 5 mai, armada y flota de Nouvelle Espagne, le 12 juillet. Cette concentration, si on la compare au schéma chronologique des années de plus en plus rares à deux flottes, est insolite. Lorsqu’une première flotte réussit à partir au début de l’année, il arrive fréquemment que le départ en soit combiné sous la protection de l'Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias qui en assure la protection, d’où économie ; il est plus classique, encore que cinq à six mois séparent le départ de la deuxième flotte de celui de la première. On aurait pu s’attendre, par exemple, à ce que la deuxième flotte, celle de Chaves Galindo, ne partît point avant l’automne de 1605. En fait, deux mois et une semaine ont séparé seulement les départs respectifs des deux gros convois, c’est, évidemment, très peu. C’est là presque un tour de force si on se reporte aux normes habituelles des meilleures années.

83Quels arguments tirer de cette situation ?

84Certainement, une impression d’aisance, de facilité rarement égalée. Mais de facilité plus technique, plus physique que conjoncturelle, sans doute. L’extrême densité des départs ramassés sur un laps de temps particulièrement court, d’un peu plus de quatre mois, prouve une certaine facilité physique de l’armement, l’existence d’importantes réserves, malgré un certain ralentissement des Retours à très court terme. Cette facilité à elle seule n’aurait pas permis la mise sur pied des convois, cette mise sur pied a été réalisée et voulue par le négoce de Séville. Tout ce que l’on peut déduire de cette chronologie resserrée, c’est que le négoce n’a pas rencontré, pour concrétiser ses desseins, de résistance sérieuse. Malgré cette facilité, le négoce n’a pas mis sur pied plus de 25 000 toneladas, niveau honnête, certes, en période creuse, on l’a vu, niveau médiocre, quand même, si on considère les conditions dans lesquelles cet effort s’est exercé.

85On fera intervenir, également, dans cette dissection, le long silence d’un an, pratiquement qui, après cette date, pèse, à l’Aller, sur le trafic dans l’Atlantique. Mis à part l'Armada de la Guardia de Don Gerónimo de Portugal y Córdoba, partie très tardivement, le 13 mai au lieu de la fin février, début mars, date de sortie la plus courante, entre le 12 juillet 1605 et le 8 juillet 1606, aucune sortie importante du Guadalquivir. Ce silence, cette inactivité, malgré les possibilités révélées par la forte densité des sorties de la fin février au début de juillet 1605, montrent bien que le négoce ne tient pas son activité au niveau des possibilités de l’armement.

86b. La Terre ferme. — On observera, une fois encore, si on va plus avant à l’intérieur du mouvement, que le trafic ne se comporte pas de la même manière suivant l’angle sous lequel on l’envisage. S’il existe encore de nombreux relents de crise et si des hésitations subsistent toujours dans la Carrera, elles sont localisées, de préférence, sur le secteur touché à l’époque, le secteur de la Terre-Ferme.

87En effet, tout aurait dû faciliter, normalement, dans l’hypothèse, dirons-nous, d’une conjoncture comparable à celle qui anime la Nouvelle-Espagne, le départ en 1605 d’une masse considérable de bateaux et de marchandises.

  • 33 Ibid., p. 154 et cf. ci-dessus, p. 1101-1102, 1133-1136.
  • 34 Cf. t. IV, p. 172-173, 178-179 et ci-dessus, p. 1152-1153.

88En effet, depuis la grande flotte de Don Francisco del Corral y Toledo, en 1601 et la demi-flotte de Hierónimo de Torres y Portugal33, en 1603, la Terre Ferme n’a presque rien reçu, à l’exception de quelques sueltos et des Armadas de la Guardia. On pouvait attendre un niveau d’autant plus élevé des départs en direction de la Terre Ferme, en 1605, que le projet tout à fait normal de flotte de Terre-Ferme, en 1604, avait échoué, on a vu comment34. Non seulement la Terre-Ferme devait rester sur sa faim de produits d’Espagne, mais il y avait à Séville l’ébauche d’un convoi.

89Or que voit-on ? Une Armada de la Guardia réduite, par rapport à la moyenne d’une période où les Armadas de la Guardia restent, en général, d’un niveau modeste. Mais avec moins de 3 500 toneladas, même par rapport aux normes de la période décennale encadrante, l’Armada de Don Luis Fernandez de Cordoba est médiocre.

90Le faible volume, 6 000 toneladas, environ, de la flotte de Don Francisco del Corral y Toledo surprend d’autant plus. Il est, dans ces conditions, symptomatique. On peut en tirer presque plus argument qu’on ne pouvait le faire de l’avortement de la flotte, l’année précédente. Les 6 000 toneladas de 1605 représentent le plafond des désirs du négoce en direction de la Terre Ferme. Alors que tout aurait pu inciter Séville à mettre sur pied une vraie flotte, elle s’est limitée, une fois de plus, comme en 1603, à une demi-flotte. Et Cádiz — le fait n’est peut-être pas dépourvu de signification — n’y participe pas. Entre 1601 et 1608, le trafic en direction de la Terre Ferme a vécu au rythme très ralenti, d’une Armada de la Guardia, de quelques sueltos et d’une demiflotte biennale. La position de 1605 ne doit pas faire illusion. En ce qui concerne la Terre Ferme, elle participe intégralement à une médiocrité à long terme. On peut même être plus affirmatif en 1605 que jamais.

91c. La Nouvelle Espagne. — Tout le dynamisme de 1605, par contre, malgré certaines apparences, est concentré sur le trafic avec la Nouvelle Espagne. Par cette division fondamentale, on peut vraisemblablement réconcilier ce qu’il y a de contradictoire, à l’intérieur de la conjoncture Atlantique, telle qu’on la voit du Guadalquivir. Tout ce qui rattache la situation de 1605, au marasme d’une période semi-décennale, est imputable au trafic avec la Terre Ferme, tout ce qui tranche, par contre, sur ce marasme et incline dans un autre sens, est imputable à la Nouvelle-Espagne.

92Quatre éléments, au moins, sont à l’actif de la Nouvelle Espagne :

93La masse, 15 000 toneladas, de 50 % supérieure à celle des départs vers la Terre Ferme, de 250 % supérieure, si on compare entre les deux éléments parfaitement comparables, la flotte de Alonso de Chaves Galindo et celle de Francisco del Corral y Toledo.

94Le fait que la flotte Francisco del Corral y Toledo suit d’un an exactement la flotte de Juan Gutierrez de Garribay, presque, aussi importante et qu’elle précède d’un an le convoi un peu plus faible mais non encore négligeable de Don Lope Diez de Armendariz.

95Le très faible laps de temps qui sépare la flotte de Nouvelle Espagne de Alonso de Chaves Galindo de celle de Francisco del Corral y Toledo, deux mois, à peine — plus une semaine — soit un temps exceptionnellement court, bon témoin, entre autres, de l’extrême aisance de l’approvisionnement en navires de l’époque.

  • 35 Cf. t. IV, p. 183-189 et t. VI1, table 183, p. 390.

96La forte participation des Caditains35 qui, fait à retenir, participent, non sans raison, à l’entreprise de Nouvelle Espagne et non à celle de Terre Ferme.

97Le trafic de la Nouvelle Espagne ne paraît affecté d’aucun passif. C’est à cette hauteur et à cette hauteur seule que se place le coup de butoir conjoncturel du trafic en 1605. La Nouvelle Espagne apparaît responsable de la fluctuation courte des années 1604-1607.

  • 36 Cf. t. VI2, table 227, p. 473.

98Cette interprétation est parfaitement corroborée par ce que l'almojarifazgo de la Vera Cruz36 laisse à penser du mouvement en valeur dans cette direction : puisqu’il y a pratiquement doublement des valeurs supposées, entre 1605-1606 d’une part, les années encadrantes, d’autre part.

99Le trafic avec la Nouvelle-Espagne porte, donc, toute entière, la responsabilité de la fluctuation 1604-1607.

3. La structure du trafic au départ du complexe portuaire

  • 37 Cf. t. VI1, table 189, p. 388-391.

100Année de prospérité mitigée et, de toute manière, très cantonnée, c’est également ce que confirme la ventilation des départs à l’intérieur du complexe portuaire37.

101a. Les marchands de Séville. — Sur l’axe essentiel des départs de Séville, la position de 1605 est très forte : avec 66 navires et 16 895 toneladas, elle est la plus élevée entre 1601 et 1608 ; elle vient, immédiatement, après les niveaux de ces deux années records.

102Par rapport au creux des deux années précédentes, on appréciera l’ampleur du saut en avant sur la partie la plus décisive du trafic. De 1604 à 1605, trois départs effectifs des navires marchands de Séville font un vrai bond en avant, passant de 32 à 56 unités, de 9 400 à 16 895 toneladas, soit un progrès respectivement de l’ordre de 75 % sur l’expression unitaire du mouvement, de 69 % en tonnage.

  • 38 Cf. ci-dessus p. 1197-1198, 1202.
  • 39 Cf. la composition de la flotte de Don Francisco del Corral y Toledo, où l’on observera une certain (...)

103Ce progrès s’accompagne d’un fléchissement partiel du tonnage unitaire — ce fléchissement exprime, sous l’angle particulier des navires marchands partant en convoi, de Séville, des conditions différentes de celles qui sont valables38 pour l’ensemble du mouvement. Il implique, notamment, que s’il y a eu pléthore de navires dans le complexe portuaire pris dans son acception la plus large, il y a pu avoir, par contre, une légère tension à l’intérieur du secteur économiquement le plus important, celui des « navires marchands en convoi de Séville »... et, d’une manière plus précise, tension en direction de La Terre Ferme39.

104Quoiqu’il en soit, ces deux éléments fournissent des indications parfaitement concordantes : en effet, la grosse augmentation du volume disponible de l’ordre de 70 % sur l’axe essentiel des navires marchands de Séville, le très léger fléchissement du tonnage unitaire agissant à contre-courant, non seulement d’une période mais aussi de l’ensemble du mouvement de l’année... tendent bien à souligner qu’au départ de Séville même, il y a eu, pendant le court intervalle de quelques mois, une certaine pression du négoce, un indice de poussée conjoncturelle que la suite des événements nous montrent malheureusement sans lendemain.

105b. Négriers. — Le corollaire de cette indication précieuse, sera fourni par la chute des négriers. C’est, précisément leur retrait, de 20 à 6 bateaux, de 2 610 à 860 toneladas, qui permet de dégager la marche en avant des « marchands de Séville » plus décisive, on l’a vu, que celle des globaux.

106Deux facteurs favorables, donc, invitent à ne pas trop négliger, par conséquent, la première leçon des chiffres globaux. Ce qui se passe, par contre, sur les séries « Armada » et « Cádiz » n’autorise pas à conclure.

107c. Armada et Caditains. — Il y a, certes, progrès, de l’ordre, sans doute, de 150 toneladas pour les armadas, de 500 toneladas pour Cadiz. On retiendra, tout au plus, que ces indications ne contredisent pas la conclusion précédente.

108L’articulation interne des départs, la ventilation du mouvement à l’intérieur, du complexe portuaire, invite, quand même, à prendre au sérieux, l’indication fournie par les séries les plus générales du mouvement.

4. Hypothèses et justifications

  • 40 Cf. t. VI1, table 227, p. 473.

109Les séries volumétriques semblent, d’ailleurs, pour une fois, être en parfaite conformité avec le mouvement valeur. Malgré la lacune des comptes de l’arería, l'almojarifazgo de la Vera Cruz et de Puerto-Belo40 permet de supposer un niveau très fort des valeurs fiscales en 1605. Très vraisemblablement, le plus élevé depuis les précédents records cycliques de 1600 et 1596. 1 milliard et demi de maravedís dans la ligne précédente constitue une hypothèse raisonnable. En valeur, la masse globale des exportations de 1605 a peut-être représenté près des deux tiers du niveau record de 1608. Malgré les facilités offertes par l’armement (facilités plus ou moins larges suivant les secteurs envisagés), le négoce n'a pas eu recours à une poussée de pondéreux. Il n’y a pas eu de retour en arrière sur ce point capital. C’est une perspective d’une grande portée.

110C'est cette expansion, limitée, mais certaine qu’il convient d'expliquer

  • 41 Cf. ci-dessus p. 1184-1187.

111a. Les prix. — Il y a concordance— on a vu dans quelle mesure41 et jusqu'il quel point — entre les prix espagnols et la conjoncture du trafic à l’échelle du renversement de la tendance majeure et de la fluctuation décennale.

112La concordance est beaucoup plus sensible, encore, à l’intérieur de la période la moins longue — entendez de la fluctuation courte que l’on est certain d’avoir reconnue entre 1603-160-1 et 1607.

  • 42 E.J. Hamilton. 1501-1650, op. cit., p. 103 ; t. VI1, table 161, p. 363.

113On ne peut qu’être frappé, en effet, de la corrélation complète qui existe entre les indices globaux des prix-argent42 et le mouvement du trafic Allers, voir Allers et retours.

114Après le sommet des prix de 1601 — que l’on retrouvait si parfaitement sur le trafic, — il y a eu chute des prix et des trafics. De l’indice 143,55 on passait à 138,40 puis à 138,70 en 1602 et 1603. Le creux du trafic Allers se trouve en 1603, de même que, pour les prix, l’indice 138,70, venant après l’indice 138,40 représente non pas une reprise mais, au contraire, une confirmation de la rupture qui a suivi le record de 1601.

  • 43 Cf. ci-dessus, p. 1196-1199

115La reprise ne se situe pas entre 1602 et 1603, mais sur les prix, entre 1603 et 1604, puisqu’on passe alors, de l’indice 138,70 à l’indice 140,38. La reprise même en Allers n’est pas immédiatement sensible sur les trafics malgré la sensible amélioration43 des Allers en 1604 par rapport à 1603. C’est en 1605, par contre, que le court élan des prix se retrouvera sur les trafics. Le passage, entre 1603 et 1604, de l’indice 138,70 à l’indice 140,38 aura eu le temps de porter son plein effet, d’autant plus sûrement que, de 1604 à 1605, la montée des prix s’est poursuivie, la série la plus générale des prix-argent passant de l'indice 140,38 à l’indice 142,20.

116Le moins surprenant n’est-ce pas cette parfaite identité entre la démarche des prix et celle des trafics, dont la descente après le point haut synchrone de 1605 s’effectue de 1605 à 1607, d’une allure parfaitement symétrique : de l'indice 142,20 en 1605, on passe à l’indice 137,52 en 1606 et 133,59 en 1607.

  • 44 Cf. E.J. Hamilton. 1501-1650, p. 215.

117Le caractère efficace de ce schéma dynamique est souligné par le fait que les prix-argent globaux empruntent davantage aux secteurs géographiques les plus directement associés à la fortune de l’océan44 : Andalousie, bien sûr. mais plus encore, en l’occurrence, Nouvelle Castille et Vieille Castille/Léon. Tandis que Valence suit un dessin aberrant.

118Une fois de plus, prix et trafics, auront pu paraître, mus au même rythme, dans le détail même des courbes — il faudrait dire, en l’occurrence, dans le détail, surtout des courbes — de la fluctuation la plus courte. Cette corrélation n’est pas exclusive d’autres aspects, susceptibles d’expliquer le trafic.

119b. Trafic et politique. — L’Atlantique vu d’Europe s’achemine, à grands pas, vers la paix. Le traité de Londres a mis fin officiellement, en 1604, à un conflit qui était mort, déjà, en grande partie, de lui-même, avant que la lettre des traités n’en vînt officialiser le décès effectif.

120Le réflexe du trafic devant l’événement est — au demeurant — parfaitement logique. Il est très conforme à ce qu’on a le plus couramment observé.

  • 45 Cf. t. VI2, tables 603, 607, 611, p. 863, 867 et 871.

121La paix avec l’Angleterre ne lève pas d’obstacle majeur, celui qui angoisse réellement le monde du trafic. Il suffirait pour s’en convaincre de suivre la b'gne des pertes et les pertes si sévères encore, au cours de 160545. La plus grosse menace, ne serait-ce qu’en raison des liaisons qu’elle entretient avec le Maghreb occidental et le poids de ce dernier sur le réseau des communications atlantiques de Séville, demeure bien la Hollande. La paix avec l’Angleterre, la paix anglaise, pourtant, l’issue d’une guerre dont les énormes ravages sont trop proches pour ne pas être bien présents à tous les esprits, ne peut que donner un coup de fouet aux affaires et lever une vague d’optimisme.

  • 46 Cf. ci-dessus, p. 457.

122Mais il arrive souvent, quand la paix est attendue (on l’a déjà expérimenté46). qu’elle provoque, juste avant l’événement, une action dépressive. Comment risquer un transfert, quand on peut espérer dans les mois à venir une amélioration sensible de la sécurité ?

123C’est bien cette action dépressive que la paix anglaise imminente semble avoir obtenue, sur 1603, surtout et 1604 accessoirement, avec l’inévitable corollaire de la poussée relaxatrice et compensatrice de 1605.

124Puis, l’euphorie passée, l’euphorie jugée, peut-être, à la lueur d’un niveau encore élevé des pertes, on songera, davantage, à ce qui manque encore, à la parfaite pacification de l’Atlantique, d’où, en 1606 et 1607, sans doute, une sensibilisation au maintien du péril hollandais. Action dépressive, d’abord, dans l’attente de l’événement heureux, action tonique, ensuite, au moment où l’on savoure l’avantage attendu, sensibilisation, pour finir, au secteur qui reste en guerre. Tout cela, parfaitement conforme à un schéma plausible et souvent vérifié.

125Mais là ne se borne pas la chaîne des interréactions entre trafic et politique.

  • 47 K Braudel. Méditerranée, op. cité, p. 397.

126Les événements extérieurs ont eu, en effet, de lourdes répercussions sur les finances espagnoles. On sait comment en 1607, le Roi s’en tirera, une fois de plus, par la banqueroute, mais une banqueroute qui suit de dix ans seulement47, la précédente banqueroute, au lieu de vingt ans. Ces difficultés financières — le rythme des banqueroutes se précipite — sont causées par la guerre. Elles sont, peut-être, aggravées, encore par la modification de la conjoncture générale de l’Atlantique. Tous ces facteurs, en fait, apparaissent indissociables. Les difficultés financières — et partant, un commencement de ralentissement conjoncturel — auront hâté la conclusion des paix en chaîne des premières années du xviie siècle.

  • 48 Cf. t. IV, p. 190, note 3.
  • 49 Cf. t. IV, p. 190 et 191 et t. I, p. 88 à 97.
  • 50 Cf. t. I, p. 111 à 113.

127Quoi qu’il en soit, l’incidence sur le trafic des difficultés financières montantes est certaine, dès 1605. La Casa de la Contratación nous met, semble-t-il, sur le chemin des vraies explications. Les prélèvements d’argent sur les arrivées à Séville48, les énormes détournements en direction de Gênes, entendez, le poids de la grande politique européenne et flamande de l’Espagne. Un conflit qui dure presque un an, avec l’almojarifazgo de Séville49. On a vu, ailleurs50, la signification de cette opposition classique. Que les grosses maisons de Séville sortent, finalement, victorieuses, avec l’aide de leurs alliés, les juges officiels de la Casa, la chose n’est pas surprenante et d’autant moins que la conjoncture n’était pas bonne pour une semblable entreprise. La prospérité en 1605 — la revendication des almojarifes venait après les deux années désastreuses de 1603 et de 1604 — trop fragile, trop menacée, apparaissait trop à Séville comme une juste compensation trop longtemps attendue, pour qu’elle pût détendre les volontés et qu’elle fût susceptible de créer, du côté des cargadores, cette indulgence des temps heureux.

128Mais ce n’est pas cet aspect qui éclaire la conjoncture de l’année. Il faut aller chercher une indication du côté des almojarifazgos. Que ces derniers présentent, après un long silence, une revendication sans espoir, qu’est-ce à dire, sinon que l’administration financière, face à la banqueroute qui vient, cherche à augmenter, selon le schéma classique, la portée contributive du trafic Atlantique et hispano-indien ?

129La revendication des officiers de police est donc la simple expression, sous l’angle qui lui est propre, du marasme des finances royales. Elle a les mêmes causes que les prélèvements d’argent en direction de Gênes, dont on se plaint à Séville. Ces deux effets d’une même cause ont eu sur la Carrera action cumulative, cette double interférence de l’Etat a, incontestablement, gêné le trafic. On peut suivre la Casa de la Contratación sur cette voie, malgré le caractère partisan de ses interventions et de ses jugements.

130Ce qu’il devient ainsi, possible d’expliquer — mais n’est-ce pas, finalement ce qu’il fallait expliquer, le seul point qui ne fût pas bien éclairé par le contexte économique des prix, par exemple ? — ce n’est pas tellement la poursuite de l’expansion, qui va suffisamment de soi, mais bien plutôt l’échec de l’expansion. Échec surprenant, aussi rapide, aussi total, aussi complet, lors de la très profonde dépression des années 1603 à 1607.

131L’énorme solde financier de vingt années de guerres inexpiables et d’une trop grande politique avec sa conclusion logique, la banqueroute de 1607, l’urgent besoin d’en finir avec la guerre de Hollande, tout cela explique un creux beaucoup plus précoce, beaucoup plus important qu’on ne serait en droit de le prévoir.

132Mieux, en commandant et en accentuant un creux un peu à contre courant, l’interférence du facteur politique est responsable de l’extrême gonflement des années 1608-1610. Ni la localisation, ni l’extrême ampleur du trafic de ces trois ans 1608-1609-1610 ne sont justiciables d’une problématique simple. Il est incontestable qu’il y a, chez elle, quelque chose d’une prospérité différée et le bénéfice d’un large effet de compensation. En justifiant l’avance à l’allumage et l’exagération du creux des années 1606-1607 par l’échec partiel de l’ébauche de grand essor de 1605, l’interférence des facteurs de politique intérieure et extérieure auront pesé d’un grand poids sur l’écoulement du flux économique de ces années.

Notes

1 On vient de voir (cf. ci-dessus, p. 1182) dans quelle mesure ce creux des Allers se retrouve également sur l’indice d’activité essentiel des exportations et de la consommation du mercure. Sur le mouvement annuel, on notera que le creux maximal des exportations de mercure européen aux Indes se place d’une manière précise, de 1602 à 1605, inclusivement, sur quatre ans. Ce creux correspond donc, très exactement, en le précédant, comme il est normal, de deux ans, au creux du mouvement volumétrique Allers.

2 Cf. ci-dessous p. 1202-1212.

3 Cf. ci-dessus, p. 921-1157.

4 Cf. ci-dessous, p. 1213-1397.

5 Cf. t. VI1, tables 139 et 143, p. 337 et 341.

6 EJ. Hamilton, 1501-1650., op. cit., p. 34.

7 Cf. ci-dessus, p. 1180-1182.

8 Cf. ci-dessus, p. 1189-1190.

9 Cf. ci-dessus p. 1971-1072.

10 En mouvement unitaire, les proportions sont moindres en raison de la taille des navires est venant de la Nouvelle Espagne : 43,1 % pour les Allers, 40,6 % pour les Retours, 44,3 % pour les Allers et retours.

11 Cf. ci-dessus, p. 1071-1072.

12 Cf. ci-dessus, p. 1166-1167.

13 Cf. ci-dessus, p. 1143-1148.

14 Cf. t. VI1, table 164, p. 363 ; t. VII, p. 52-53.

15 Il peut y avoir, au-delà, une apparente contradiction, puisque, après s’être élevé jusqu’à 243,14 toneladas en Allers, lors de la première fluctuation primaire, le tonnage unitaire redescend à 220,77 toneladas de 1608 à 1611 et 239 toneladas de 1612 à 1613. Mais cette apparente contradiction est due à peu près uniquement à l’entrée en jeu des Canariens. Si on les écartait des calculs, on retrouverait la ligne ascendante de tonnage unitaire moyen. L’entrée en jeu des Canariens se retrouve sur les Retours et l’ensemble Allers et retours, dont la baisse un peu à contre courant se confirme : 280,3 toneladas de 1605 à 1607 en Retours, 253,4 toneladas et 239,4 toneladas de 1608 à 1611 et de 1612 à 1613. En Allers et retours, de 259,3 toneladas, on passe à 233,2 toneladas et 239,2 toneladas.

16 Cf. ci-dessus, p. 808-840.

17 Cf. ci-dessus, p. 1143-1157.

18 Cf. t. IV, p. 196 suiv. et ci-dessus, p. 1149-1197.

19 Cf. t. VI1, table 159, p. 356 ; t. VII, p. 52-53.

20 Cf. ci-dessus, p. 1146-1148, 1150-1151.

21 Cf. t. VI1, table 164, p. 303 ; t. VII, p. 52-53.

22 Cf t. IV, p. 162.

23 Ibid., p. 164.

24 Cf. ci-dessus, p. 1146-1147.

25 Par rapport à la tendance (représentée par la moyenne mobile médiane de treize ans), le tonnage réel se place à 109,72 %, la seule position positive des Allers et retours sur un laps de temps de cinq années consécutives de 1602 à 1608. L’écart reste faible, toutefois, et ces 109,72 % montrent bien, en toutes circonstances, les limites de la courte flambée d’expansion de l’année.

26 Une fois de plus, on appréciera l’utilité pour l’approche conjoncturelle des Allers et retours au sein desquels les causes possibles de distorsion tendent à se contrarier et les erreurs à s’éliminer.

27 Cf. ci-dessus, p. 1197-1198.

28 Cf. ci-dessus, p. 1072-1075, 1112-1113, 1164-1165.

29 Cf. ci-dessus, p. 1150-1151.

30 Cf. ci-dessus, p. 1197-1198, 1202.

31 Cf. t. IV, p. 184.

32 Ibid., p. 186.

33 Ibid., p. 154 et cf. ci-dessus, p. 1101-1102, 1133-1136.

34 Cf. t. IV, p. 172-173, 178-179 et ci-dessus, p. 1152-1153.

35 Cf. t. IV, p. 183-189 et t. VI1, table 183, p. 390.

36 Cf. t. VI2, table 227, p. 473.

37 Cf. t. VI1, table 189, p. 388-391.

38 Cf. ci-dessus p. 1197-1198, 1202.

39 Cf. la composition de la flotte de Don Francisco del Corral y Toledo, où l’on observera une certaine hétérogénéité des éléments composants.

40 Cf. t. VI1, table 227, p. 473.

41 Cf. ci-dessus p. 1184-1187.

42 E.J. Hamilton. 1501-1650, op. cit., p. 103 ; t. VI1, table 161, p. 363.

43 Cf. ci-dessus, p. 1196-1199

44 Cf. E.J. Hamilton. 1501-1650, p. 215.

45 Cf. t. VI2, tables 603, 607, 611, p. 863, 867 et 871.

46 Cf. ci-dessus, p. 457.

47 K Braudel. Méditerranée, op. cité, p. 397.

48 Cf. t. IV, p. 190, note 3.

49 Cf. t. IV, p. 190 et 191 et t. I, p. 88 à 97.

50 Cf. t. I, p. 111 à 113.

© Éditions de l’IHEAL, 1959

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