Séville et l'Atlantique, 1504-1650 : Structures et conjoncture de l'Atlantique espagnol et hispano-américain (1504-1650). Tome II, volume 2
|Quatrième partie. Au sommet de l'Atlantique de Séville le renversement de la tendance majeure (1593-1622)
Chapitre VIII. Le cycle de la révolution du trafic et du renversement de la tendance majeure (1605-1613). Caractères généraux
Texte intégral
1En 1605, la Carrière des Indes semble avoir recouvré sa vitalité et certaines données chiffrées sur le mouvement atteignent les meilleurs niveaux des deux grandes fluctuations précédentes. Il y a, pourtant, une grande part d’illusion dans cette situation. La crise qui secoue la Carrière des Indes, sans que la défaillance de la correspondance de la Casa de la Contratación permette, toujours, d’en bien préciser les causes et les contours, se prolongera jusqu’à la fin de 1607. Mais c’est pour permettre à la Carrière des Indes d’atteindre, sur trois années consécutives, à des sommets qui n’ont jamais été approchés et qui ne seront jamais plus égalés. Ce cycle apparaît donc comme formé par la masse médiane, insolite et exorbitante des années 1608 à 1610, entre les deux zones déprimées de 1605-1607 surtout et, dans une assez large mesure, aussi, de 1612-1613. Pour un temps, mais pour un temps, seulement et de courte durée, les mouvements semblent, à courte vue, s’être désolidarisés des prix ibériques.
2Cette période présente pour la compréhension de la Carrière des Indes, une importance tout à fait exceptionnelle. N’est-ce pas entre 1608 et 1610, en effet, sur trois ans, que sous tous les angles, simultanément, le volume des échanges transatlantiques passe par un sommet dont la signification déborde largement le cadre de l’histoire qui est la nôtre, puisqu’il semble, jusqu’à plus ample informé, que jamais, avant le xviiie siècle et assez avant, peut-être, dans le xviiie siècle, aucune forme d’échange, réunissant deux espaces continentaux assez éloignés, n’ait mis en œuvre, sur une telle distance, de telles masses, représentant des valeurs comparables. Jusqu’à nouvel ordre, par conséquent, le volume des échanges atteint au cours de ce cycle central, entre 1608 et 1610, du moins, aura représenté comme une des limites physiques, dans un certain domaine, des deux premiers siècles de la Modernité ; on peut se demander dans quelle mesure il ne s’agit pas d’une limite physique supérieure de l’ancien régime économique.
3Pour faire cette étude, et préciser des contours dont la portée est très vaste, dépasse le cadre même de l’Atlantique hispano-américain de Séville, on possède, heureusement, une masse suffisante de données chiffrées précises.
I. — PRÉCISION DE LA CONNAISSANCE
- 1 Cf. t. I, p. 63 à 148.
4Grâce aux séries de la correspondance de la Casa de la Contratación, à nouveau complètes, qui viennent s’ajouter aux autres sources, de plus en plus nombreuses et aux registres1, on possède à nouveau beaucoup de renseignements précis, tant sur le tonnage des navires, que sur le matériel utilisé.
LE TONNAGE
5Le système — on sait que la connaissance du tonnage en est la clef — est, désormais, proche de la perfection. Les résultats obtenus, concernant le tonnage, durant le cycle 1593 1604, sont égalés puis dépassés, au cours d’une progression continue.
1. Allers
- 2 T. VII, p. 42-43.
- 3 Cf. t. I, p. 296.
- 4 Ibid., p. 294-302.
6Sur les Allers, par exemple2 — c’est là que les proportions sont les meilleures, puisque les renseignements que Ton peut obtenir directement sur le tonnage des navires ont trait toujours aux Allers seuls3 — le tonnage connu directement4 était de 55,82 % de 1593 à 1604 (il avait fléchi régulièrement i une fluctuation primaire à l’autre, de 60 % à 58,06 % de 1593-1597 à 1598-1599 puis de 58,06 à 51,11 % de 1598-1599 à 1600-1604). Le tonnage connu directement est de 60,1 % au cours du présent cycle de 1605 à 1613, mais à la différence de ce qui s’est produit lors de la précédente fluctuation cyclique, le pourcentage, au cours du cycle central, ne cesse de s’améliorer, au fur et à mesure que Ton s’éloigne de l’accident dû à la défaillance de la correspondance de la Casa : 44 % de connus directement, de 1605 à 1607, 60,9 % de 1608 à 1611, 80,9 % de 1612 à 1613.
- 5 Ibid., p. 302-313.
- 6 Ibid., p. 313-322.
- 7 84,8 %, et 15,2 % de 1614 à 1622 ; 79,1 % et 20,9 % de 1623 à 1631, 84,5 % et 15,5 % de 1632 à 164 (...)
- 8 T. VII, p. 46-47.
7Évolution identique pour les connus indirectement5, partant, pour l’ensemble des connus par rapport aux évalués. La catégorie des connus indirectement subit une évolution un peu analogue, 17,7 % de 1605 à 1613 contre 15,45 % seulement de 1593 à 1604 (18,8 % de 1605 à 1607, 19,9 % de 1608 à 1611, 12,2 % de 1612 à 1613). A plus forte raison, bien sûr, même mouvement pour l’ensemble des connus : 77,8 % de 1605 à 1613, pour 22,2 % seulement d’évalués6. Les proportions, est-il besoin de le rappeler, n’étaient encore, respectivement, que de 71,3 % et 28,7 % de 1593 à 1604, 59,4 et 40,6 % de 1579 à 1592, 35,5 % et 64,5 % de 1572 à 1578. La proportion des connus, 77,8 % en Allers, est déjà très proche de celle obtenue dans les meilleures conditions dans les années à venir7. Seules, les proportions du dernier cycle seront nettement meilleures. Elles portent, il est vrai, sur un nombre beaucoup plus restreint de navires8 moins de la moitié, on arrive alors à 93,34 % de connus et 6,66 % d’évalués. Mais, au cours du cycle 1605-1613, la proportion des connus ne cesse de s’améliorer : 62,8 % et 37,2 % de 1605 à 1607, 80,8 % et 19,2 % de 1608 à 1611, 93,1 % et 6,9 % de 1612 à 1613. La marge d’approximation et la certitude de tomber juste dans l’évaluation des navires est proportionnelle au nombre des navires connus ; on appréciera donc le chemin parcouru.
2. Retours
- 9 T. VII, p. 42-43.
8Les Retours présentent sensiblement le même mouvement9, légèrement en retrait. La proportion des connus directement est de 54,3 % au lieu de 44,9 % seulement, lors du cycle précédent, avec le progrès presque continu : 47,8 % de 1605 à 1607, 58 % de 1608 à 1611, 55,5 % de 1612 à 1613. A côté, les connus indirectement forment un appoint d’importance quelque peu décroissante : 15,7 % pour le cycle de 1605 à 1613, 18,9 % de 1605 à 1607, 15,3 % de 1608 à 1611, 12,5 % de 1612 à 1613. L’ensemble des connus (directement et indirectement) progresse jusqu’au milieu du cycle, puis décroît légèrement, ensuite : 70,1 % de 1605 à 1613, contre 29,9 % pour les évalués, 66,8 % de 1605 à 1607 contre 33,2 %, 73,6 et 26,4 % de 1608 à 1610, 68 et 32 % de 1612 à 1613.
3. Allers et retours
- 10 Mais le mouvement ne totalise plus, alors, qu’un nombre très inférieur de navires.
9En Allers et retours les proportions sont intermédiaires, comme toujours, entre des Allers plus favorisés et des Retours un peu en retrait. En progrès, surtout, tout au long de la fluctuation cyclique. De 1605 à 1613, les connus directement s’élèvent à 57,6 % contre 48,1 % de 1593 à 1604 et 11,5 % seulement de 1572 à 1578 (on mesurera ainsi le chemin parcouru en peu de temps), l’ensemble des connus à 74,7 % (de 1605 à 1607, 64,9 % contre 35,1 % pour les évalués ; de 1608 à 1611, 59,9 % et 77,9 % et 22,1 % aux évalués ; de 1612 à 1613, 67 %, 79,2 % et 20,8 % aux évalués). Ces proportions très fortes et très rassurantes ne sont délibérément dépassées que, tout à la fin, lors des années 4010.
10Il n’y a donc plus aucune inquiétude à avoir sur la précision du tonnage, donnée clef du système. Et puisque tout est, finalement, lié au comput, un à un, des navires, c’est une connaissance indispensable à l’appréciation de la conjoncture qui se trouve dans la même proportion améliorée.
LE MATÉRIEL
- 11 Cf. t. VI1, table 12 E., p. 166-167.
- 12 Cf. t. VI1, tables 18 à 128, p. 178 à 319.
- 13 Cf. t. VI1, tables 15 et 16, p. 172, 175.
- 14 Cf. t. VI1, tables 198 à 229, p. 414 à 474.
- 15 Cf. t. IV, notes aux tableaux, p. 190 à 409 et, plus particulièrement, l’année 1607 (ibid., p. 230 (...)
11Types, catégories et provenances des bateaux sont bien connus, dans la proportion d’un tiers environ11, vitesse de rotation des convois12, âge des navires13, une particulière abondance des données sur les valeurs14, une plus grande densité de la correspondance de la Casa de la Contratación (c’est l’ère des grands rapports)15…, tous ces facteurs concourent aussi à donner une assise plus large et plus sûre à la construction conjoncturelle.
II. — LIMITES DU CYCLE
- 16 Cf. ci-dessus p. 216-253, 297-317.
- 17 T. VII, p. 50-51.
12Peu de fluctuations cycliques — à l’exception, peut-être, de la grande fluctuation continue 1544-155416 — sont d’une lecture aussi sûre et aussi fertile17. Le cycle est, en effet, tout entier construit autour d’une masse énorme centrale, celle des années 1608-1610, pour les Allers et pour les globaux Allers et retours, 1609-1610 pour les Retours, avec deux grandes zones déprimées, à cheval sur la fin de la précédente fluctuation et le début de la présente fluctuation cyclique, au début du cycle, à cheval sur les deux dernières années du cycle et les premières années du cycle suivant.
CHIFFRES VRAIS. POINT HAUT ET ZONES DÉPRIMÉES
13On commencera, tout d’abord, sans sortir du découpage volumétrique année par le repérage des articulations dans leurs grandes masses.
1. La masse centrale
- 18 Cf. t. VI1, table et p. 171.
14Quel que soit l’angle de prise de vue — que l’on prenne les tonnages exprimées en unités non pondérées, la toneladas, en unités pondérées, le tonneau jauge, à plus forte raison, que l’on recourt à l’expression unitaire du mou ment, voire même aux valeurs fiscales telles qu'elles transparaissent grossièrement des séries de compte de la Casa à Séville18 ou des almojarifazgos des Indes, une présomption se dégage d’un point haut, mieux, une certitude En valeur, les chiffres de 1608-1610 seront, vraisemblablement, encore que dans ce domaine, il faille se montrer très prudent, dépassés entre 1616 et 1620. Mais en volume, la donnée la plus sûre, les chiffres tant absolus que relatifs des trois années 1608-1610 constituent bien le record absolu de tous la Carrière des Indes.
15Non seulement 1608 constitue le point haut de toute l’histoire de la Carrera en Allers et en Allers et retours..., non seulement 1610 constitue pour Retours les points les plus hauts à peu près à égalité avec 1587, 1600 et 1608 mais, ce qui est infiniment plus précieux, la moyenne annuelle des trois années consécutives 1608-1609-1610, pour les Allers et les Allers et retours et 10 1610-1611, pour les Retours, est, de toute manière, de beaucoup la plus : importante que l’on puisse calculer ainsi sur la Carrera. Jamais et de beaucoup un tel niveau ne sera plus atteint. La moyenne de 1608-1610 départ de 10 % environ celle des années 1617-1618-1619, la seule partie du mouvement que l’on puisse essayer de comparer à l’ensemble des trois années 1600 à 1610.
16Jamais, en conséquence, on ne notera une série d’écarts positifs à la moyenne aussi considérables que celle de ces trois ans (soit les pourcentages relatifs suivants : 207,10 % 122,49 % et 121,48 % en Allers ; 147,26 %, 120,2 et 131,38 % en Allers et retours, de 1603 à 1610, 128,86 % 154,44 et 91,12 %, en Retours pour les trois années de 1609 à 1611).
17Mais la masse centrale ne se définit pas seulement en elle-même, elle définit, presque plus sûrement encore, par son encadrement.
2. Les zones déprimées
18a. Allers. — De part et d’autre de cette masse centrale, deux zones déprimées.
- 19 Cf. t. VI1, table 164, p. 363 ; t. VII, p. 52-53.
- 20 Cf. ci-dessus, p. 1144-1157.
19C’est en Allers, surtout, que le mouvement est particulièrement sensible, en Allers, sur l’axe, donc, le plus important. De 1602 inclusivement à 1607, six années consécutives d’anomalie négative du trafic. Elle est même plus nette encore que ne le laisserait à penser la table 16419, puisque le 89,80 % de 1604 ne traduit pas correctement la position conjoncturelle de l’année20 : elle serait plus fidèlement exprimée, on a vu pourquoi, par une position relative de l’ordre de quelque 70 %.
- 21 Cf. ci-dessous, p. 1189-1252.
20Que 1603 ou 1604 marque le terme du précédent cycle, parce que le centre de ce long plateau déprimé, qui ébauche entre 1603-1604 et 1607, on le verra plus loin21, une première fluctuation fortement dissymétrique, n’empêche pas que, vue avec un certain recul, la période 1602-1607 est toute entière une vaste zone déprimée, d’un long marasme au cours duquel se préparent les conditions de la grande prospérité de la fin de la décade (la prospérité de la paix, enfin retrouvée).
- 22 Cf. ci-dessous, p. 1370-1384.
- 23 Cf. t. VI1, table 164, p. 363 ; t. VII, p. 52-53.
21Au-delà de 1610, nouvelle zone déprimée — moins profonde, moins continue que pour la période précédente. Toutefois, elle est suffisamment marquée, en Allers, du moins, pour n’être pas douteuse. Si on porte, comme on doit le faire, la position relative de 1612, au compte d’un accident local22 — le 104,39 % par rapport au trend23 de 1612 est plus que largement compensé par les 75,73 % de 1605 et le 65,62 % de 1613 — c’est bien à une zone déprimée de quatre ans, au moins, au lieu de six, précédemment, symétrique de la précédente par rapport aux trois fortes années de 1608-1610 que l’on a affaire. Avec une série qui comprend les positions suivantes : 75,73 %, 104,39 %, 65,62 % et 82,54 %, de 1611 à 1615, suivi d’une reprise en dégradé sur deux uns de 1615 à 1616 (110,90 % et 95,77 %) qui débouche pour finir sur le point haut central du nouveau cycle (soit de 1617 à 1619, les écarts suivants : 120,76 %, 104,30 %, 112,04 %).
22b. Retours. — En Retours, la situation est différente et, pourtant, aussi claire.
- 24 Cf. ci-dessous, p. 1338, 1353-1355.
23Une forte masse centrale, charpente du cycle, va de 1609 à 1612. Elle est très normalement décalée de un à deux ans par rapport au pilier central identique des Allers. Il est très légitime, en effet, on verra comment24, d’englober les 20 844 tonneaux de 1611 (91,12 % du point correspondant de la moyenne mobile médiane de treize ans), dans la masse des 26 539,6, 32 773,2 et 27 091,2 tonneaux de 1609-1610 et 1612, avec des écarts respectifs de 128,86 %, 154,44 % et 119,78 %.
24Cette masse haute centrale est bien détachée entre deux zones déprimées, l’une, en tête, courte mais profonde, correspond aux années 1607-1608, l’autre moins creusée, peut-être, mais de beaucoup plus longue durée, va jusqu’en 1615 (sur trois ans), voire, dans une certaine mesure, jusqu’en 1623, sur plus de dix années.
25c. Allers et retours. — La situation des globaux est très proche des Allers et le cycle en est bien vigoureusement dessiné.
26Au centre, une partie haute de trois ans, les 147,26 %, 120,1 % et 131,38 % de 1608, 1609 et 1610, entre deux creux symétriques.
- 25 Ils résultent, on s’en souvient, d’une situation particulière des Retours, dans le cadre du découp (...)
27La partie déprimée initiale va pratiquement de 1603 à 1607, puisqu’il est commode de faire un sort aux 109,72 %25 de 1605, noyés entre les 79,10 %, 55,45 % de 1603-1604 et 97,71 % et 53,01 % de 1606-1607.
28Le creux terminal, symétrique du premier est plus important, encore. Après le dégradé de 1611-1612, il va jusqu’en 1616, soit de quatre a six années, suivant le point de départ qui sera choisi.
29L’existence d’une belle fluctuation cyclique en gros décennale des trafics, n’est pas douteuse, dans ces conditions.
LES MOYENNES MOBILES
- 26 T. VII, p. 50-51.
30Les moyennes mobiles courtes (de cinq ans, notamment) permettent de dégager, sans équivoque, la réalité objective de cette fluctuation26.
1. Allers
- 27 Cf. t. VI1, table 152, p. 349.
- 28 Voilà qui corrobore, d’autre part, la solution adoptée, qui consiste à marquer, en 1604, plutôt qu (...)
- 29 Cela apparaît très bien sur un graphique (t. VII, p. 50-51).
31En Allers, par exemple27, le creux part de 1605, sur les moyennes mobiles médianes de cinq ans — on notera la conformité, à très peu de chose près, avec le mouvement vrai28 (20 768,94 tonneaux, moyenne de cinq ans, contre 28 377,24 tonneaux, moyenne de treize ans et 27 458,2 tonneaux, chiffre vrai) — puis la fluctuation se dessine sans hésitation, partie ascendante de 1605 à 1608 (20 768,94 tonneaux en 1605, moyenne de cinq ans, 28 003,42 tonneaux en 1606, 29 431,64 tonneaux en 1607, et 30 528 tonneaux en 1608), plateau légèrement ascendant de 1608 à 1610 (1608 : 30 528 ; 1609 : 30 038,80 ; 1610 : 33 830,40 tonneaux), phase descendante régulière au-delà de 1610 à 1613 (1610 : 33 830,40 tonneaux ; 1611 : 26 007,36 tonneaux ; 1612 : 24 977,04 tonneaux ; 1613 : 24 380,16 tonneaux). On notera la localisation, en 1610 sur la moyenne courte, la plus utile, de cinq ans, du point culminant du cycle et de tout le mouvement, avec un écart majeur entre la moyenne de cinq et la moyenne de treize ans. La localisation du point haut de la moyenne de cinq ans, en 1610, traduit bien l’effet cumulatif des forts niveaux de 1608-1609 et 1610. On ne peut nier qu’on est en présence, sur le mouvement Allers, de la fluctuation décennale la plus vigoureusement dessinée sur les moyennes mobiles de cinq ans, depuis celle de 1544-155429.
2. Retours30
- 30 Cf. t. VI1, table 155, p. 352.
- 31 Cf. t. VI1, table 152, p. 349.
32La fluctuation, on pouvait s’y attendre, est, ici, plus hésitante. En effet, on peut hésiter sur les moyennes mobiles, entre 1603 et 1606, pour placer le point de départ du cycle. Entre les deux, les moyennes mobiles médianes de cinq ans n’ont pas réussi à effacer totalement les bornes d’une petite fluctuation, la première fluctuation primaire de la fluctuation cyclique décennale résultante, dont le dessin, parce que beaucoup plus vigoureux, est moins facilement réductible. De 1606, après le quasi plateau, par conséquent, de 1603 à 1606, la fluctuation part, enfin, ébauchant une phase ascendante, d’une régularité presque parfaite, de 1606 à 1611 (1606 : 18 064,2 tonneaux ; 1607 : 22 958,72 tonneaux ; 1608 : 24 134,08 tonneaux ; 1609 : 23 064,48 tonneaux ; 1610 : 25 188,96 tonneaux ; 1611 : 25 398,72 tonneaux) sur cinq ans, puis descend, par une phase descendante à peu près régulière, sur quatre années consécutives, de 1611 à 1615 (1611 : 25 398,72 tonneaux ; 1612 : 24 223,88 tonneaux ; 1613 : 21 360,92 tonneaux ; 1614 : 21 864,48 tonneaux ; et, 1615 : 20 757,84 tonneaux). On notera que l’on trouve dessiné sur une période de neuf ans. de 1606 à 1615, le même type de fluctuation qu’en Allers, de 1605 à 161331,
3. Allers et retours32
- 32 Cf. t. VI1, table 158, p. 355.
33On trouvera, par conséquent, a fortiori, une situation analogue. Les moyennes mobiles de cinq ans dessinent, en effet, entre 1605 et 1613, un cycle continu à peu près parfait. Avec une phase ascendante de 1605 à 1610 (1605 : 38 947,68 tonneaux ; 1606 : 46 067,75 tonneaux ; 1607 : 52 390,36 tonneaux ; 1608 : 54 712,20 tonneaux ; 1609 : 53 103,36 tonneaux ; et 1610 : 58 619,36 tonneaux), avec une phase descendante de 1610 à 1613 (1610 : 58 619,36 tonneaux ; 1611 : 51 672,01 tonneaux ; 1612 : 48 800,72 tonneaux ; 1613 : 45 741,12 tonneaux). Comme pour les Allers, 1610 et pour les Retours, 1611, le niveau atteint, sur les Allers et retours, par une moyenne mobile de cinq ans, est le plus élevé de tout un siècle et demi d’histoire. 1610 dépasse, là aussi et substantiellement, le niveau de 1608, ce qui prouve, comme pour les Allers, qu’il y a effet cumulatif.
34L’existence d’une vaste fluctuation, qui englobe les quelque neuf années qui s’organisent autour du point haut record de toute la Carrera des années 1608-1610, ne fait pas de doute. Les preuves, on vient de le voir, sont particulièrement décisives.
35La puissante unité de la période n’empêche pas de distinguer, au prix d’une analyse plus attentive, trois indiscutables fluctuations primaires.
III. — LES PRINCIPALES ARTICULATIONS DE LA PÉRIODE
36Là encore, aucun doute possible. Rarement, découpage n’aura été aussi sûr, parce qu’aussi homogène, sur les grandes articulations du trafic.
- 33 Cf. ci-dessus, p. 1130-1142, 1149-1157.
37On a vu les raisons33 qui conduisent à placer, soit en 1603, soit beaucoup plus vraisemblablement en 1604, la fin du cycle précédent.
38Mais l’année 1603, ou, mieux, 1604 n’est pratiquement pas autre chose que le fond d’une zone déprimée qui s’étend sur plusieurs années.
LA PREMIÈRE FLUCTUATION PRIMAIRE : 1603-1604-1607
39Au début du cycle, en Allers, Retours et Allers et retours, sur les axes fondamentaux du trafic dans l’Atlantique, un plateau déprimé qui peut apparaître, aussi, comme l’esquisse d’une fluctuation.
1. Allers
- 34 Cf. ci-dessus, p. 754-755.
40En Allers, par exemple, à s’en tenir au découpage volumétrique annuel, on est en présence, sur quatre ans, d’une première fluctuation qui part de 1603 (63 navires, 16 292 toneladas, 17 921,2 tonneaux, 63,89 % de la moyenne mobile de treize ans) s’élève jusqu’en 1605 (81 unités, 24 962 toneladas, 27 458,2 tonneaux, 96,76 % de la moyenne mobile), puis s’abaisse jusqu’au creux extrême de 1607 (37 navires, 8 153 et 9 783,6 toneladas ou tonneaux, 35,88 % de la moyenne mobile). Le creux intracyclique de 1607 est particulièrement marqué. C’est l’année, entre autres, d’une nouvelle banqueroute — la banqueroute qui liquide, après la guerre anglaise, le passif de la guerre hollandaise. Or, on a vu déjà les importantes corrélations qui unissent volume et prospérité des trafics aux avatars du Trésor public. Il n’est pas douteux, que l’on soit en présence, en 1607, d’une corrélation de ce type. Le creux de 1607, en partie accidentel, constitue une anomalie particulièrement importante, la plus profondément marquée depuis 158634. Il est donc, tout à fait légitime de placer là, une articulation importante de la conjoncture.
2. Retours
- 35 Cf. t. IV, p. 196, 201.
41En Retours, on ne peut qu’être sensible à l’absolue identité des deux mouvements, le mouvement des Allers et celui des Retours. Creux initial en 1604. On a vu ce qu’il fallait en penser, il vaudrait mieux dire creux, à cheval, sur deux ans, 1604 et 1605, en raison de la date d’arrivée du convoi Don Luis Fernandez de Córdoba/Juan Perez de Portu35. Sommet en 1606, puisque le caprice du découpage annuel ne joue plus ici et qu’on peut parler d’effet cumulatif avec 75 bateaux, 22 035 toneladas, 26 642 tonneaux, d’une position relative au trend de 127,23 %, soit un écart positif de 27,23 %. Puis, fléchissement bien marqué en 1607, même pour les Retours, avec 59 navires, 13 724 toneladas (16 648,8 tonneaux). Avec un niveau relatif plus élevé à l’expansion, le mouvement des Retours calque étroitement la démarche des Allers, d’une manière peu commune dans la Carrera.
3. Allers et retours
42En Allers et retours, cette concordance plus étroite que de coutume entre Allers et Retours se retrouvera, naturellement. Il suffit de se reporter à la marche des globaux.
- 36 Sur l’interprétation à donner aux chiffres de ces années, cf. ci dessus, p. 1129-1142.
43Creux initial, non douteux en 1604, mieux encore qu’en 160336. Point culminant entre 1605 et 1606, on peut légitimement hésiter, en raison de la situation particulière des Retours de 1605, descente, bien sûr, sur 1607, avec 96 navires, seulement, 21 877 toneladas (26 252,4 tonneaux), 59,01 % du trend.
SECONDE FLUCTUATION PRIMAIRE : 1607-1611
44Elle part, naturellement, du creux commun de 1607.
1. Allers
- 37 On en a la preuve, en comparant, par exemple, la masse globale des départs sur une période de deux (...)
- 38 Cf. ci-dessous, p. 1282-1296, 1305-1318, 1321-1335.
45Les Allers montent en flèche et culminent en 1608. Si on tient compte, toutefois, du creux de 1607 et du phénomène de compensation dont a nécessairement bénéficié le trafic, au départ, l’année suivante, on pourrait parler même en Allers, à ne s’en tenir qu’aux volumes de conjoncture montante de 1607 à 1610. La mise sur pied en 1610 de 106 navires (27 450 toneladas ; 32 940 tonneaux) malgré le gros effort fourni au cours des deux dernières années (202 bateaux, 45 078 toneladas, 53 093,6 tonneaux, en 1608 ; 138 navires, 27 114 toneladas, 32 536,8 tonneaux en 1609), traduirait, peut-être, une situation conjoncturelle aussi bonne que les 202 navires (45 078 toneladas, 54 093,6 tonneaux) de 1608 venant aussitôt après le creux de 1607 (37 navires, 8 153 toneladas, 9 783,6 tonneaux37. On pourrait, du moins, le penser s’il n’existait pas, par ailleurs38 des signes sérieux permettant de nuancer ce jugement. Puis, il y a brusque chute sur le creux de 1611 (84 navires, 17 367 toneladas à 20 840,4 tonneaux), d’autant plus significatif que les faibles Allers de l’année sont épaulés, pourtant, par de forts Retours, l’année précédente, en 1610. C’est donc bien entre 1610 et 1611 que se place le tournant.
2. Retours
46Pour les Retours, même mouvement, après départ du creux de 1607, mais la montée est plus lente — ce qui s’explique facilement par le décalage normal du mouvement Retours par rapport aux Allers. Pas d’hésitation donc, comme pour les Allers, on placera, sans crainte, le point culminant du mouvement en 1610. On est passé de 59 unités à 81,74 et 95 navires, de 13 724 toneladas, à 15 589, 22 108 et 27 311 toneladas (16 468,8 tonneaux, 18 716,8, 26 529,6, 32 773,2 tonneaux), soit par rapport à la moyenne, de 1607 à 1610, 82,64 % 90,66 %, 128,86 % et 154,44 %. La chute n’en est, ensuite, que plus brutale de 1610 à 1611, de 154,44 % à 91,12 % (de 95 navires, 27 311 toneladas, à 32 773,2 tonneaux à 75 navires, 17 370 toneladas et 20 844 tonneaux).
3. Allers et retours
- 39 Cf. ci-dessous, p. 1238-1251, 1282-1296.
47En Allers et retours, à nouveau, en raison de la troublante homogénéité des séries Allers et Retours, on aura une phase ascensionnelle brutale de 1607 à 1608, puis une période de plateau apparemment concave et déprimé, en fait, l’analyse attentive de la situation respective de 1607 et de 160839 permet de conclure à une lente croissance qui se poursuit de 1608 à 1610. Suivi d’une chute particulièrement rapide de 1610 à 1611.
TROISIÈME FLUCTUATION PRIMAIRE : 1611-1613
48Au-delà de l’incontestable et unique pilier record des années 1608-1610, tout dépend de l’angle de prise de vue que l’on décide d’adopter. On peut n’être sensible qu’au plateau de dépression relative qui sépare le solide bastion des années 1608-1610 de la conjoncture à nouveau meilleure de 1615 à 1619. Mais on peut considérer, aussi, au sein de ce marasme relatif, de rapides mouvements. Allers, Retours et globaux Allers et retours dessinent une fluctuation 1611-1612-1613 — conjoncture croissante de 1611 à 1612, décroissante de 1612 à 1613. Ce mouvement ne peut être tout à fait une simple illusion, en raison, précisément, de l’identité des réactions sur les deux axes du trafic. Après un soubresaut en 1612, le trafic descend sur le creux des années 1613-1614, frontière, sans équivoque, du cycle de la Révolution des trafics au cycle de la dernière grande prospérité.
49Peu de fluctuations cycliques, à l’intérieur de cette histoire, se seront laissées si facilement découper en un certain nombre de fluctuations primaires, qui, loin de diminuer la portée de la fluctuation globale, contribuent, au contraire, à en appuyer le mouvement.
IV. — LES CARACTÉRISTIQUES DE LA PÉRIODE
50C’est entre 1605 et 1613, on l’a vu déjà, et, plus particulièrement, de 1608 à 1610, que le volume du trafic culmine.
51La plupart des chiffres atteints au cours de cette période ne seront jamais plus égalés et c’est là, évidemment, que réside la caractéristique première de ces années.
L’APOGÉE DES VOLUMES
52Des distinctions, toutefois, s’imposent. En effet, si les trois années 1608, 1609 et 1610 totalisent des chiffres jamais égalés, voire même si la fluctuation primaire centrale en y adjoignant le creux de 1611 atteint un niveau qui est bien sans équivalent, il n’en va plus tout à fait de même, déjà, pour l’ensemble du cycle.
53Beaucoup plus qu’à une cassure bien nette, entre deux phases trop bien limitées, c’est bien une longue période d’hésitations, de rebroussements, de repentirs qui s’étale sur trente ans.
54C’est ainsi que les niveaux du trafic au cours du cycle 1605-1613 ne l’emportent à coup sûr sur ceux du cycle précédent qu’à condition de faire entrer pleinement en ligne de compte la pondération proposée des tonnages.
- 40 T. VII, p. 4647.
55Si on se reporte au seul mouvement unitaire40, on constatera, par exemple, que sous cet angle, le dernier cycle du xvie siècle est parfaitement à égalité avec les niveaux de la fluctuation 1605-1613. De 1593 à 1604, la moyenne annuelle du mouvement unitaire Allers est de 116,2 navires, il est de 101,11 navires de 1605 à 1613. Moins de navires mis en cause, par conséquent. Le recul paraîtra même plus accentué, si on compare, entre elles, les deux fluctuations primaires, respectivement, les plus avantagées sous cet angle : 140,2 unités, à la moyenne annuelle des départs de 1593 à 1597, 138,5 navires de 1608 à 1611.
- 41 On comprend, ainsi comment, sans tenir compte du tonnage des navires, on aura pu avoir tendance à (...)
56Il est vrai qu’il y a compensation sur les Retours : 78 navires, en moyenne, de 1605 à 1613 contre 62,33 bateaux seulement de 1593-1604. D’où, égalité si on considère l’ensemble des Allers et retours. Moyenne unitaire du mouvement, 178,58 navires de 1593 à 1604, 179,1 navires de 1605 à 1613. La fluctuation centrale, pourtant (mouvement unitaire moyen de 213,75 unités de 1608 à 1611), l’emporte, même, sous cet angle, sur la fluctuation primaire la plus avantagée du cycle précédent (201,8 navires de 1593 à 1597)41.
- 42 Cf. t. VI1, table 129, p. 327.
57En volume, exprimé en toneladas, le niveau annuel moyen des Allers de 1605 à 1613 n’arrive pas à égaler celui du cycle précédent, soit 23 193 toneladas de 1605 à 1613 et 23 417,9 toneladas de 1593 à 1604 (22 201,733 toneladas de 1614 à 1622). Seule, la prise en considération des taux de pondération42 permet de donner à 1605-1613 un léger avantage, sur le cycle précédent de 1593 à 1604.
58Il est vrai, pourtant, que l’entrée en ligne de compte des Retours renverserait la balance délibérément en faveur de 1605-1613. 20 155,5 toneladas (moyenne annuelle des Retours de 1605 à 1613) contre 14 863,68 toneladas (moyenne de 1593 à 1604). Sur les globaux, l’écart reste considérable : 38 281,6 toneladas de 1593 à 1604, 43 348,5 toneladas de 1605 à 1613 (il le serait encore davantage, si on faisait intervenir les taux différents de pondération).
59On retiendra, toutefois, au moins, ceci. Si le niveau moyen du trafic l'emporte largement de 1605 à 1613 sur le niveau de tous les cycles précédents et suivants, il ne le fait que grâce à une forte poussée des Retours (46,5 % de l’ensemble du mouvement de 1605 à 1613, contre 38,83 % de 1593 à 1601 et 42 à 43 %, en moyenne pour l’ensemble du siècle et demi d’histoire qui est embrassé), d’une part, grâce à une poussée du tonnage unitaire moyen des navires : en Allers, 201,4 toneladas de 1593 à 1604, 229,16 toneladas de 1605 à 1613, en Retours, 258,4 toneladas de 1605 à 1613 au lieu de 237,51 toneladas, lors du cycle précédent, en Allers et retours, 243,78 toneladas, désormais, au lieu de 214,3 toneladas précédemment, grâce à l’évolution qui continue, selon notre hypothèse, dans la conception de la mesure du tonnage des navires, d’autre part. C’est cette évolution que le taux de pondération s’est efforcé de respecter.
60Cycle de niveau élevé du trafic, la période est pleine d’importantes dénivellations.
61De 1605 à 1607, par exemple, le niveau annuel moyen des Allers ne dépasse pas 72 navires, 17 506,6 toneladas, soit un niveau très inférieur même à la fluctuation la plus désavantagée du cyle précédent (1598-1599, soit 109 bateaux représentant encore 19 906 toneladas). Ce niveau annuel moyen des Allers de 1605 à 1607 ne représente guère que 60 % du niveau annuel moyen de l’ensemble de la fluctuation décennale record, de 1605 à 1613, 132,5 unités représentant 29 252,25 toneladas, mieux encore, pratiquement la moitié, seulement, du niveau annuel moyen des départs des trois années records 1608-1610 (148,6 unités, 33 214 toneladas).
62Quant à la dernière fluctuation primaire 1612-1613, elle est, aussi, en Allers, très en contrebas par rapport à la fluctuation primaire précédente, soit 82 bateaux, 19 604 toneladas (si on ne fait pas intervenir la pondération du tonnage), cette fluctuation inférieure encore au creux médian des Allers en 1598-1599, lors du cycle précédent (soit, 109 bateaux, 19 906 toneladas).
63On ne retrouve pas, par contre, cette situation sur les Retours, dont la masse est, au contraire, pendant la période qui va de 1605 à 1613, particulièrement homogène, soit de 1605 à 1607, 71,3 navires et 19 994,3 toneladas, 81,25 navires et 20 594,5 toneladas de 1608 à 1611, 81,5 navires et 19 519,5 toneladas de 1612 à 1613. Les Allers et retours, par contre, emprunteront aux Allers leurs importantes oscillations : 143,3 navires et 37 501 toneladas, de 1605 à 1607, 213,75 navires et 49 846,75 toneladas de 1608 à 1611, 163,5 navires et 39 123,5 toneladas de 1612 à 1613. On notera que la fluctuation primaire 1605-1607 se trouve, malgré l’apport d’un fort mouvement de Retours et compte non tenu de la pondération possible des tonnages, à un niveau inférieur à celui du cycle 1593-1604 et de toutes les fluctuations internes dudit cycle, (1593-1597) et (1600-1604), dépression médiane de 1598-1599 exceptée.
LE PROBLÈME DES RETOURS
64On en arrive, ainsi, à une seconde caractéristique de la fluctuation, le rôle très particulier que le mouvement Retours semble y jouer.
65Le poids exceptionnel des Retours est particulièrement lourd, au cours de cette fluctuation cyclique.
66Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer le pourcentage respectif des Allers et des Retours dans les trois cycles successifs 1593-1604, 1605-1613,1611-1622, 66,15 % pour les Allers et 38,83 % seulement, pour les Retours de 1593 à 1601, 53,4 % pour les Allers et 46,6 % pour les Retours, de 1605 à 1613 et position plus normale de 1614 à 1622, soit 56,6 % pour les Allers et 43,4 pour les Retours.
67Le mouvement Retours a donc joué, au cours de cette période, un rôle de tout premier plan, d'autant plus déterminant, sans doute, que le pourcentage respectif des deux pentes du trafic Europe-Amérique et Amérique Europe varie considérablement. De 1605 à 1607, le pourcentage des Retour dépasse même sensiblement celui des Allers : 53,4 % contre 46,6 % D 1612 à 1613, l’anomalie s’accentue à nouveau : 49,9 % pour les Retours et 50,1 % pour les Allers. C’est seulement entre 1608 et 1611, au sommet de trafic, que l’on arrive à un rapport Allers et Retours normal, avec 58,8'pour les Allers, 41,2 % pour les Retours.
68Si on suit l’évolution de l’équilibre Allers et Retours au cours du cycle précédent, on se souviendra que, en gros, la part des Retours extrêmement faible de 1588 à 1597, augmente de 1598 à 1604. Elle est forte entre 1598 et 1599 très forte de 1602 à 1603, elle sera exceptionnellement forte de 1605 à 1607.
69Qu’est-ce à dire ? L’accumulation d’une forte proportion de navires au retour des Indes avec leurs cargaisons a dû contribuer à faciliter l’énorme poussée des Allers de 1608 à 1610.
- 43 Attestée, notamment, par l’indice d’activité mercurielle (cf. ci-dessous, Appendice, p. 105 1970.
70On sera sensible, en effet, à cette espèce de balancement. Anomalie positive des Retours de 1576 à 1587. Anomalie positive des Allers de 1588 à 1597. Anomalie positive des Retours de 1598 à 1607. De 1588 à 1597, l’Europe a dû, selon toute vraisemblance, reconstituer le stock de navires des Indes, épuisé par l’énorme appel des années précédentes, d’une part, les destructions exceptionnellement lourdes de la guerre, d’autre part. Il aura fallu également, peut-être, faire face aux besoins accrus, sous l’effet d’une grande prospérité américaine43 des échanges d’Inde en Inde.
- 44 Part des Retours à l'ensemble du mouvement, de 1576 à 1570, 43,3 %, de 1579 à l 47,6 %, 1584-1537, (...)
71On sera sensible, également, à l’analogie des situations entre 1584-1589 et 1608-1610. Le premier groupe de trois ans, représente le sommet, la pointe le fer de lance de ce qu’il a été convenu d’appeler la seconde phase longueur d’expansion du xvie siècle. Le second groupe de trois ans constitue le fer de lance du dernier intercycle ascendant de la Carrera traditionnelle. On tous deux sont situés au terme d’une période d’anomalie positive des Retourné44.
72Que signifie cette anomalie ? Est-elle simplement, le signe d’une forte pression conjoncturelle du négoce en Andalousie que les ressources en navires ne permettraient pas de satisfaire ? Ou bien est-elle une des causes qui, en contribuant à assurer au négoce des facilités de transport, en aurait favorisé l’essor ? Un peu l’un et l’autre, sans doute. On est bien obligé, toutefois, de noter la répétition. Il serait surprenant qu’elle ne fût pas chargée de sens.
LES AXES FONDAMENTAUX DU TRAFIC
73Au cours du cycle 1605-1613, une caractéristique déjà observée, au cours de la période précédente, la part croissante de la Nouvelle Espagne s’accentue encore.
74La Nouvelle Espagne prend, entre 1600 et 1620, la relève de la Terre Ferme, soit que la Terre Ferme échappe plus tôt au Monopole ibérique, soit que la prospérité de son économie coloniale se révèle plus sensible que celle de la Nouvelle Espagne à la disgrâce d’un xviie siècle qui vient, avec ses lenteurs, se3 difficultés et ses limites.
- 45 Cf. ci-dessus, p. 615-517, 687-691.
75Au moment du creux de la Nouvelle Espagne, lors de la dernière fluctuation du cycle 1579-1592, de 1588 à 1592, la part de la Nouvelle-Espagne, à l’Aller, ne représentait plus que 34,2 % du nombre des navires et 38,4 % du tonnage, on face, la Terre Ferme alignait, respectivement, 52,4 % et 52,06 % du mouvement (le reste, 13,4 % du mouvement unitaire et 9,5 % du tonnage représentant la part des îles). En Retours et, a fortiori, en Allers et retours, en gros, même verdict45, avec, tout au plus, quelques modalités particulières.
76Depuis lors, d’une manière presque régulière, la part de la Terre Ferme ne cesse de se dérober devant celle montante de la Nouvelle Espagne (ce qui est vrai pour les niveaux relatifs des volumes, l’est, aussi, en gros, en chiffres absolus).
77En Allers — le plus probant — la part relative de la Nouvelle Espagne ne va pas cesser, pratiquement de croître au détriment de la Terre Ferme. De 1593 à 1597 et de 1598 à 1599, la Nouvelle Espagne reste à un niveau peu différent de celui du creux des années 1588-1592, soit, respectivement, on expression unitaire et en tonnage, 34,2 % et 43,6 %, 33 % et 39,7 %, contre 40 % et 38,6 %, 59 et 55,6 %, pour la Terre Ferme, de 1593 à 1597, d’une part et de 1598 à 1599.
78Entre la première partie (1593-1599) et la seconde partie du cycle (1600 à 1604), les proportions se renversent — et se renversent durablement.
79De 1600 à 1604, Nouvelle Espagne et Terre Ferme occupent, à l’Aller, sur la série unitaire de l’expression tonnage du mouvement, les proportions suivantes : 51,7 % et 53,5 %, 38,5 % et 34,2 %. Il y a eu, en gros, permutation. Mais, et cela confère à cette révolution sa pleine signification, ce3 proportions se maintiennent, s’accentuent et bien au-delà du cycle.
80De 1605 à 1607, la Nouvelle Espagne, à l’Aller, en unités et en tonnage, représente 48,1 % et 49,7 % contre 36,2 % et 43,4 % pour la Terre Ferme. Il y a très léger fléchissement relatif de la Nouvelle-Espagne, toutes les positions précédemment acquises ne sont pas maintenues. La Nouvelle Espagne tout en demeurant dominante — précisément parce qu’elle est dominante — accuse et commande le ralentissement cyclique, la Terre Ferme jouant un peu, alors, comme les îles en seconde position, le rôle de volant. C’est normal. Mais, au cours de l’ensemble de la fluctuation cyclique décennale, de fluctuation primaire en fluctuation primaire, ce faux repentir se dissipe et la part de la Nouvelle Espagne se précise.
81De 1608 à 1611, face aux 46,1 % (mouvement unitaire) et 51,5 % (mouvement en tonnage) de la Nouvelle Espagne, la Terre Ferme ne représente plus que 31,5 % (mouvement unitaire) et 36,2 % (mouvement en tonnage). De 1612 à 1613, 51,9 % (mouvement unitaire) et 54 % (mouvement en tonnage) d’une part, 27,4 et 36,1 % d’autre part. Au cours de ces années, 1608-1611 et 1612-1613, le trafic, à l’Aller, avec la Terre Ferme représente moins de 70,7 % et 62,5 % du trafic Aller avec la Nouvelle Espagne.
- 46 On trouverait une situation identique sur les Retours et sur les globaux Allers et retours. De 160 (...)
82Avec cette circonstance aggravante, qu’on ne peut faire entrer en ligne de compte dans cette rapide ébauche, qu’il s’agit, pour la meilleure part, à la différence du tonnage destiné à la Nouvelle Espagne, d’un volume d'armada, donc, d’un volume utile pour le négoce, moindre que celui des navires de flotte qui vont à la Nouvelle Espagne, d’une manière à peu près exclusive. La situation reste la même, jusqu’en 1622, très exactement. Soit 48,6 % (mouvement unitaire) et 51,5 % (mouvement en tonnage ; part de la Nouvelle Espagne à l’Aller) contre 33,8 % (mouvement unitaire) et 30,7 % (mouvement en tonnage ; pour la Terre Ferme) de 1614 à 1622, contre 47,6 % (mouvement unitaire) et 52,2 % (mouvement en tonnage) pour la Nouvelle Espagne, face à 31,8 % (mouvement unitaire) et 37 % (mouvement en tonnage) seulement pour la Terre Ferme, pour l’ensemble du cycle 1605-1613. Il n’est pas douteux que c’est, désormais, la Nouvelle Espagne qui mène le jeu46.
- 47 Cf. ci-dessus, p. 1062-1065.
83Il n’est pas commode d’expliquer en deux mots semblable situation. Elle déborde, d’ailleurs, le cadre de la présente fluctuation, puisqu’elle s’applique à la période de vingt-trois ans qui va de 1600 à 1622 et il faut, peut-être, en chercher une des causes les plus décisives, très loin47, dans l’invasion de l’océan Indien par la poussée hollandaise.
- 48 Cf. Les Philippines et le Pacifique des Ibériques.
- 49 Ibid.
84Les Hollandais ne se sont pas emparés d’emblée48 de tout le trafic d’Extrême-Orient, puisque les comptes du port de Manille permettent de l’établir49, un filet secondaire se sera constitué précisément de 1600 à 1622, à travers le Pacifique et l’Atlantique, par le relais des Philippines et de la Nouvelle Espagne, de la Chine vers l’Europe. Bien mince filet pour les masses qu’il met en cause, puissant par les richesses qu’il brasse et les prolongements qu’il pousse dans la masse tout entière de l’économie d’échanges nouvelle-espagnole.
85Sans doute, est-ce là une vraie raison ? On ne peut guère en invoquer d’autres qui soient décisives. La population indienne dominée de la Nouvelle Espagne continue à décroître, plus vite, peut-être encore, — on manque, il est vrai, de termes de référence — plus vite que celle du Pérou, moteur de la Terre Ferme. La population coloniale, croissante, se rattrape, en modifiant les formes d’exploitation au sein du couple dominant-dominé. Mais il est peu vraisemblable que cette modification soit suffisante pour renverser totalement la tendance donnée par l’évolution de la population globale du Nord des Indes espagnoles.
86Une partie plus grande du trafic de la Terre Ferme peut bien échapper au monopole andalou-canarien, cela peut expliquer le recul relatif de la Terre Ferme, non pas la poussée en chiffres absolus de la Nouvelle Espagne, la principale caractéristique de la plus grande partie de la période d’hésitations et de confluence des tendances de 1600 à 1622, et plus particulièrement, celle du cycle 1605-1613. L’apogée du trafic d’Acapulco avec l’Extrême-Orient coïncide avec l’apogée du trafic de la Vera-Cruz avec Séville et l’Europe. Entre La fermeture de l’océan Indien au grand trafic de Lisbonne et la coupure virtuelle des communications entre les Philippines et la Chine, un peu plus de vingt années s’écoulent. La Nouvelle Espagne est alors, une artère de grande portée — un grand second plan ou un petit premier plan, comme on voudra. Les chiffres rapidement évoqués, tout à l’heure, nous en ont montré les répercussions de Séville sur la Carrera.
HYPOTHÈSES EN GUISE D’EXPLICATIONS
- 50 Cf. t. VI1, tables 174-176, p. 373-375.
87Une analyse même sommaire du rapport, entre eux, des grands axes du trafic conduit sur la voie d’une première explication, ou, si on veut, d’une première hypothèse. Parler de l’apogée du trafic de 1605 à 1613 — et plus particulièrement de 1608 à 1610, c’est évoquer, en fait, on vient de le dire, l’apogée du trafic de la Nouvelle Espagne. Sur les tables de répartition semi-décadaire du mouvement entre directions et provenances fondamentales50, le pourcentage le plus élevé du trafic en volume avec la Nouvelle Espagne se situe entre 1611 et 1615, en Retours et en Allers et retours de 1601 à 1605, en chiffres absolus par contre, de 1606 à 1610, dans le cadre exactement de la présente fluctuation cyclique.
- 51 Soit 55 813 toneladas allant en Terre Ferme de 1626 à 1630, contre 61 329 toneladas allant en Nouv (...)
88La Nouvelle Espagne est, avec le groupe des îles, l’axe géographique fondamental du trafic, dont le point culminant coïncide avec celui de l’ensemble du mouvement. Il n’en va plus de même pour la Terre Ferme, dont le point culminant se situe beaucoup plus tard et à contre courant, entre 1626 et 1630. Elle arrive, alors, mais alors seulement, à égaler pratiquement les précédents records de la Nouvelle Espagne51.
89Cette simple comparaison prouve, sans hésiter, le rôle déterminant joué par la Nouvelle-Espagne dans la conjoncture du trafic Atlantique au cours de ces années : c’est elle qui détermine en dernier ressort, l’allure la plus générale du trafic total.
1. — LA PAIX
- 52 Cf. ci-dessus, p. 823-827.
90Fluctuation de la Nouvelle Espagne, mais aussi, fluctuation de la paix dans l’Atlantique. Il peut paraître paradoxal d’accorder, brusquement, au politique et à l’exogène une importance qu’on a semblé, le plus souvent, leur refuser. C’est entre le milieu des années 1580 et le milieu de la décade des années 1590 que le conflit a pesé le plus lourdement sur l’Atlantique espagnol. La tension politique et militaire, les pertes de richesses qu’elle a entraînées, ont contribué à creuser ce fossé dans le mouvement qui sépare d’une manière si tranchée le cycle 1579-1592, du cycle 1593-1604. Et pourtant, même dans les années qui suivent la catastrophe de l'Invincible Armada, quand l’Atlantique semble entraîné avec le monde ouvert sur l’économie d’échanges dans le courant d’une irrésistible montée de prospérité, le facteur quelque peu exogène de la guerre coupe dans les volumes mais laisse intact le global des valeurs52.
91On a pu se demander dans quelle mesure, même, la perte de volume n’était pas compensée, au-delà, par une transformation substantielle des marchandises et une augmentation concomitante des valeurs transportées. La chute quelque peu extérieure des volumes, à la charnière des cycles 1579-1592, 1593-1604, traduit donc moins une perte qu’une transformation en réponse à un défi. Il est vrai qu’on est en pleine, irrésistible montée, à une époque où le cycle a moins d’existence dans l’anomalie négative que dans l’anomalie positive qu’il comporte.
92La guerre, dans ces conditions, est, elle-même, un facteur tellement extérieur à la prospérité qu’elle semble impuissante, sur une période moyenne, à la contrarier. N’y a-t-il pas des guerres de prospérité ? La richesse, chaque fois, plus provocante de l’Atlantique espagnol et hispano-américain, n’a-t-elle pas été, en profondeur, le premier facteur du déchaînement contre son domaine des impérialismes contraires des jeunes puissances montantes du Nord ? La prospérité, enfin, en lubrifiant les impossibles finances des jeunes États voraces, facilite ce luxe : la guerre (la guerre impérialiste de prospérité, s’entend). La guerre n’est que, sous un certain angle, extérieure à la conjoncture, par d’autre, elle en subit l’influence, elle est sous sa dépendance, tout en réagissant sur elle. La dernière grande flambée de prospérité du xvie siècle a été porteuse de conflits. Les conflits qu’elle a portés ont réagi sur elle, ils l’ont freinée, sans doute, ils ont contraint le négoce à réagir devant le défi que la guerre lui a lancé. Plus que ralentissement, ils auront apporté des transformations, précipité des évolutions, au demeurant, logiques.
- 53 Henri Hauser, Prépondérance espagnole, op. cit., p. 341.
93Tout cela est vrai. Or, voici qu’à la fin du xvie siècle, cette situation se modifie. Les uns après les autres, les grands conflits s’éteignent. La guerre civile française, attisée, entretenue d’Espagne, a préparé, en mourant, la fin d’un conflit extérieur, qui, sans cet alibi, n’avait plus de raison d’être. Ce fut Vervins (1598). Plus tard, en 1604, la « paix bâclée »53 de Londres établit le procès-verbal de la fin d’une guerre, pratiquement arrêtée, faute de combattants désireux de combattre.
- 54 Cette accélération dont Frank C. Spooner (Économie mondiale, op. cit., p. 327) a si vigoureusement (...)
94Or, ces deux conflits majeurs — on pourrait presque dire, qu’ils ont recouvert tout le xvie siècle — se sont terminés, c’est là l’essentiel, pratiquement, sans vainqueur. Ils se sont terminés sans vainqueurs ni vaincus, n’est-ce pas simplement parce que les trois grands états de l’Extrême-Occident européen, Espagne, France et Angleterre, sont à bout de souffle, quand l’accélération de la conjoncture leur vient à manquer54 ? Le troisième conflit qui s’éteint — pourra-t-on dire, car s’il renaît, douze ans plus tard, c’est sous une forme vraiment nouvelle, sans commune mesure avec ce qu’il avait été jadis, quand les sept provinces luttaient effectivement pour acquérir leur droit à l’indépendance et plus simplement à la vie — en 1609, avec la Trêve de Douze ans, diffère beaucoup des deux premiers.
95Ici, il y a un vainqueur, nul ne peut s’y tromper, et ce vainqueur, c’est le Hollandais. Ne fallait-il pas que l’Espagne fût bien épuisée, au sortir de sa banqueroute, celle de 1607 — ces banqueroutes dont le rythme s’accélère et la fréquence s’exaspère, la dernière est de 1596-1597 —, pour qu’elle se résigne à cette fausse paix blanche qui était, en fait, la première capitulation que la Castille ait dû signer ? Mais, la capitulation n’affecte pas l’espace Atlantique, la seule perte subie, tacitement acceptée, pour l’heure — même si on a le ferme propos de reprendre ultérieurement la lutte, et on l’a et on le tiendra — l’Espagne la consent par personnes interposées, dans l’océan Indien, tacitement, du moins, aux dépens du Royaume associé du Portugal. C’est pourquoi, dans l’Atlantique, du moins, la Trêve de Douze ans, qui entérine un amenuisement progressif de la lutte est, malgré les apparences, malgré ses modalités luso-indiennes, une paix blanche par épuisement et par lassitude.
961598, 1604, 1609. Ces événements de la « grande histoire » politique ne sont-ils pas un peu des jalons sur la route de la lassitude, de la fatigue et de l’épuisement ?
97De même que l’exaspération des grands conflits impérialistes à composante maritime — ces conflits coûteux sont des conflits de riches — avait accompagné et traduit, à sa manière, une des phases de l’expansion maximale de la conjoncture des trafics..., tout en agissant sur elle, un peu, comme un frein, il n’est pas exclu que le retour à la paix — mais une paix particulière, qui n’a rien à voir avec la paix de 1648 et celles de 1659 — ait été l’expression d’une première détérioration de la conjoncture générale des prix, des trafics, des activités et des prospérités. Dans la mesure où ces paix, avant-coureuses de grandes prospérités finissantes, ces paix sur une lancée, qui furent des paix blanches, n’ont rien à voir avec les traités de 1648 ou de 1659, paix avec un vainqueur et un vaincu, paix révolutionnaires, perturbantes, destructrices d’équilibres anciens, porteuses d’équilibres nouveaux. A la différence des trêves de 1598, 1604 et 1609, ces paix de première lassitude, les véritables paix de 1648 et de 1659, mettent fin aux grands conflits acharnés et révolutionnaires du fond de la récession séculaire.
98Paix liquidatrices des conflits de phase A, les traités de 1598 à 1609 sont des paix consolidatrices, réflectrices de situations anciennes, maintenues comme en surfusion. Ce sont, dirons-nous, des paix conservatrices. Les paix de 1648 et 1659, au terme de vrais conflits, ou, si on préfère, de guerres de phase B, sans quartier, auront été des paix révolutionnaires.
- 55 Cf. ci-dessus, p. 900-904, 916-919.
99La série de 1598-1604 et 1609 marque peut-être, une première gêne, due, sans doute, pour beaucoup, à la prolongation outre mesure, de guerres nécessairement destructrices, due aussi aux premiers symptômes d’un ralentissement conjoncturel dont la courbe des importations de trésors de E. J. Hamilton donne bien le signal, malgré toutes les justes réserves que l’on peut faire dans le détail, sur sa trop naïve acceptation55.
- 56 Fernand Braudel. La Méditerranée, op. cit., p. 546-550.
100Mais si la moindre expansion, si les premiers symptômes importants de quelque chose qui va moins bien qu’avant contraignent, en quelque sorte, à la paix, les états puissants et les trop vastes empires, Fernand Braudel56 n’a-t-il pas dit que ces premières années 1600 avaient sonné l’heure des états moyens, en Méditerranée, comme ailleurs ? D’où la paradoxale fortune, ici, de la Hollande. Les premiers craquements conjoncturaux les plus graves, en condamnant à la paix les riverains de l’Atlantique, auront la paradoxale conséquence de relancer par la paix, grâce à la paix acquise d’une manière malsaine, la prospérité une première fois stoppée. D’où les cycles 1605-1613, puis 1614-1622, avec leurs niveaux énormes, jusqu’au jour — officiellement, 1621, en fait, 1625 — où cette prospérité, un peu artificiellement recouvrée, un peu paradoxalement prolongée, en réengendrant des conflits, brisera l’équilibre, somme toute, précaire des années 10 et 20 du xviie siècle. Car la reprise de la guerre avec la Hollande peut être classée, encore, dans la catégorie des conflits de prospérité. Mais avec l’entrée en guerre de la France, puis de l’Angleterre, beaucoup plus tard, très vite la guerre..., la guerre hispano-hollandaise, elle-même, dégénérera, avec la détérioration conjoncturelle qu’elle aura contribué à hâter, en inexpiables conflits de phase B.
101D’où, pour se borner à la seule situation des années qui nous intéressent, le schéma suivant :
102Paix en série, paix blanches, signe de quelque chose qui va moins bien. La guerre pèse, la guerre coûte, elle est un luxe de temps et d’espace riche.
103Mais la paix — par l’allègement qu’elle procure — peut relancer une prospérité encore toute proche, à laquelle un siècle prestigieux a accoutumé, pratiquement, sans solution de continuité, les riverains de l’Atlantique. Les paix des années 1598-1609, après avoir exprimé un marasme, conditionne une reprise, décalant l’indice d’activité du volume global des trafics transatlantiques par rapport à d’autres indices d’activité ibériques plus pressés de céder le pas.
- 57 Cf. ci-dessous, p. 1235-1275.
104La paix aura bien été, dans cette perspective, un élément clef, nécessaire à la bonne compréhension de ces années si lourdes de signification. D’autant plus que la date de 1609 est, sous l’angle qui nous importe, une date trompe l’œil. Les paix de ces années 1598-1609 — faut-il les appeler des paix de fin d’accélération, le hiatus étant toujours mieux marqué en ces économies anciennes entre l’arrêt de l’accélération, entre la rupture de pente ascendante et la rupture volumétrique absolue que dans nos économies modernes — sont des paix entérinantes, des paix d’inanition, l’aurons-nous assez dit, des procès-verbaux de carence de guerre, des justifications, a posteriori. Par conséquent, 1609 ne donne rien. C’est entre 1607 et 1608 que l’on peut placer la vraie césure, si elle existe. La césure qui correspond exactement à la coupure entre la première fluctuation primaire déprimée et la seconde fluctuation primaire, celle-là même de tous les records57.
2. Les Trésors
- 58 Cf. ci-dessus, p. 1166-1169.
105Un des aspects qui nous aura le plus frappé dans le comportement global du trafic au cours de ces années, aura été, en Allers du moins, et, a fortiori, sur les globaux Allers et retours58, l’extrême amplitude de la fluctuation, entendez l’énorme écart entre le creux et l’expansion cyclique (moyenne annuelle de la première fluctuation à l’Aller, 17 506,6 toneladas de 1605 à 1607 ; moyenne annuelle de la dernière fluctuation 1612-1613, 19 604 toneladas ; moyenne annuelle de la fluctuation médiane 1608-1611, 29 252,35 toneladas ; moyenne annuelle de 1608 à 1610, 34 214 toneladas).
- 59 EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 34-35.
106Cette extrême amplitude s’accompagne, par contre, d’un mouvement volumétrique, Retours, particulièrement étale (19 994,3 toneladas de 1605 à 1607 ; 19 519,5 toneladas de 1612 à 1613, 20 594,5 toneladas de 1608 à 1611, moyennes annuelles). Cette égalité n’exclut pas, au contraire, une forte présomption de grosses variations en valeur : le mouvement des importations des métaux précieux à Séville59 l’atteste. Physiquement, partie intégrante du mouvement Retours, le marché des trésors n’en décalque pas moins, avec une fidélité déconcertante, la fluctuation des Allers. Cette corrélation n’implique pas, nécessairement, un lien de cause à effet, elle implique, par contre, une corrélation et de fortes présomptions d’interréaction.
- 60 Et, d'ailleurs, aussi, la même dénivellation sur les Retours, plus accentuée, si on les examine da (...)
107Le découpage semi-décadaire de Hamilton, malgré sa rigidité, permet de retrouver l’extrême dénivellation des Allers60, dans le même laps de temps. Après les 35 184 862,5 pesos de 1591-1595, les 34 428 500,5 pesos de 1596-1600, on tombe, brusquement, de 1601 à 1605, aux deux tiers, pratiquement, du niveau antérieur moyen, 24 403 328 pesos. Soit le décrochement le plus important, sinon, peut-être, en importance relative, du moins et sans conteste, en chiffres absolus. Ce creux des trésors correspond assez bien au creux cyclique constaté entre la demi-décade 1596-1600 et la demi-décade 1601-1605.
- 61 Soit de 23 417,9 toneladas (ou 22 628,2 tonneaux) à 17 506,6 toneladas.
108Mais il est beaucoup plus marqué sur la courbe des trésors qu’il ne l’est sur les courbes semi-décadaires correspondantes du trafic volumétrique (de 1596-1600 à 1601-1605, en Allers, passage de 120 645 toneladas à 118 363 ou 113 374 toneladas, 132 709,5 tonneaux à 130 199,3 ou 124 711,4 tonneaux, en Retours, passage de 78 435 à 78 638 toneladas, 86 278,5 à 86 501,8 tonneaux en Allers et retours, de 199 080 toneladas, 218 988 tonneaux, à 197 001 toneladas, 216 701,1 tonneaux). Le décrochage présumé des trésors de la demi-décade 1596-1600 à 1601-1605 est de l’ordre, au moins, du décrochage observé sur les volumes Allers, plus tard, de 1593-1604, par exemple, ou 1600-1604 à 1605-160761.
109Même contraste, cela va sans dire, au-delà du creux relatif de 1601-1605. Les trésors globaux présumés s’élèvent à nouveau, de 1606 à 1610, à un niveau très proche des anciens niveaux records de 1591-1600, 31 405 207 pesos, au lieu de 24 403 328 pesos, dans les cinq années qui précèdent, et une moyenne quinquennale d’un peu moins de 35 millions, dans la dernière décade du xvie siècle. Au-delà, par contre, on retombe, aussitôt, de 1611 à 1615, à un niveau comparable à 1601-1605,24 528 120,5 pesos, au lieu de 24 403 328 pesos. Entre les deux, les insolites 31 405 207 pesos de 1606-1610. C’est presque plus vrai encore sur la série la plus importante, celle des importations présumées des trésors particuliers. 1606-1610 se dresse, sur cette série, avec 22 855 528 pesos, très proche des 25 161 514 pesos et 23 454 182,5 pesos des records précédents de 1591-1595, 1596-1600, très détaché, par contre, des creux encadrants de 1601-1605, et de 1611-1615, 17 883 442,5 pesos et 17 315 399,0 pesos.
110Pour retrouver une situation exactement analogue sur les trafics volumétriques globaux, on pourrait avoir recours, aussi, au même découpage quinquennal, on la retrouverait, mais, avec une amplitude atténuée, dans le cadre des séries semi-décadaires (t. VII, table 139, et 143, p. 337 et 341). On la retrouve, par contre, avec un certain décalage chronologique mais avec une amplitude analogue, sur le découpage dans le cadre des fluctuations courtes. Pour trouver, sur le mouvement global Allers, des amplitudes comparables à celles observées sur les importations des trésors, il faut prendre le cadre 1604-1607 ; 1608-1611 ; 1611-1613, soit, à plus forte raison encore, 1602-1607, 1608-1610,1611-1613.
- 62 D’autant plus qu’on peut invoquer à l’appui les fluctuations assez proches d’un indice d’activité (...)
111Il y a donc mouvement, à très peu de chose près identique, entre la fluctuation décennale des trafics et une fluctuation des trésors d’une extrême amplitude. On peut contester, à la rigueur, les niveaux absolus, non l’ampleur, ni le sens de la fluctuation des trésors. On ne peut douter non plus qu’une telle identité n’exprime, à l’intérieur de l’économie indienne, un mouvement profond62.
3. Les Valeurs
- 63 T. VI1, tables 198 à 229. p. 414-474 et plus particulièrement, table 227, p. 473.
112Amplitude exceptionnelle de la fluctuation 1605-1613, c’est également après les trésors, ce qu’exprime, à sa manière, l’approche en valeur du mouvement Allers. Il suffit, par exemple, de se reporter aux leçons de la comptabilité de l'avería63 — en ne retenant, une fois encore, que l’indication des mouvements.
- 64 On supplée, dans la mesure du possible et avec prudence, à la carence de l'avería par les almojari (...)
113On retrouvera, mais infiniment plus accusé que sur l’expression volumétrique du mouvement, infiniment plus marqué, même — autant qu’on en peut juger avec des séries incomplètes et non exactement superposables64 — que sur la marche des exportations de métaux précieux de l’Amérique vers l’Europe, la fluctuation, en gros, décennale, indiquée avec une insistance insolite.
114Dans l’hypothèse même d’un chiffre assez fort pour 1605, disons, de d’ordre d’un milliard, un milliard et demi de maravedîs, le niveau du mouvement valeur Allers, lors de la première fluctuation primaire de 1605 à 1607, la fluctuation qui précède la banqueroute (1607) et l’avènement officiel de La paix légale (1609), apparaît extrêmement faible : 521 487 304 maravedîs en 1606, 125 114 375 maravedîs en 1607. (Soit, si l’on adopte une hypothèse raisonnable pour 1605, un niveau annuel moyen, en valeurs fiscales, de l’ordre de cinq cents millions, voire un peu moindre, pour la première fluctuation primaire.
- 65 2 470 181 923 maravedis en 1608, 1845 197 096 en 1609, 1 311 653 582 en 1610, 1 519 905 454 marave (...)
115Faible niveau valeur des exportations, également, pour la dernière fluctuation primaire du cycle 1612-1613, soit un niveau en valeurs fiscales de 700 millions (1612 : 792 961 733 ; 1613 : 604 309 375 maravedís). Entre les 500 millions — niveau moyen de 1605-1607 — dans une hypothèse très favorable — et les 700 millions de 1612-1613, la moyenne annuelle de la valeur fiscale des exportations, au cours des quatre années centrales de 1608 à 1611, dépasse 1 milliard 800 millions de maravedís65. Par rapport au niveau central, le niveau final est en retrait de plus de 60 %. Et si l’on désire souligner commodément les contrastes, on pourra noter que la valeur présumée des exportations de 1608 est en progrès de 1760 % par rapport au niveau de l’année précédente de 1607.
- 66 G était le cas, de la manière la plus nette, de 1590 à 1592. Cf. ci-dessus, p. 823-827.
116Le mouvement valeur reproduit donc, en l’exagérant, au cours du cycle 1605-1613, la marche du mouvement volumétrique. Il faut retenir cette accentuation des valeurs par rapport aux volumes. Elle est nouvelle, en effet. On a vu plutôt le contraire au xvie siècle, une atténuation, voire même une inversion des valeurs par rapport aux volumes66. Le processus du cycle 1579-1592, lors du creux purement physique de 1590-1592 est encore présent à l’esprit. C’est qu’au vrai, tout au long du second intercycle d’expansion rapide du second xvie siècle, il est arrivé souvent que le cycle d’affaires dans l’Atlantique soit commandé du dehors par des goulots, en grande partie, physiques, comme celui de l’armement. Ici, de cette concomitance des valeurs et des volumes, mieux de cette exagération de l’amplitude de la série des valeurs présumées, par rapport aux volumes, on peut déduire, avec certitude, que le moteur de la fluctuation est à l’intérieur même du négoce. Cycle d’affaires endogène, qui a trouvé, en lui-même, sa propre motivation, oserons-nous dire, au prix de quelques concessions d’un peu de complaisance et de beaucoup de simplification.
117Il serait sans doute dangereux, d’aller au-delà et de tirer des conclusions trop rapides quant aux causes de la fluctuation. Tout au plus, puisque nous avons su tirer de la comparaison des séries la certitude que ces causes étaient propres au commerce, sommes-nous, désormais, en présence de cette évidence : les déséquilibres générateurs de la fluctuation auront été beaucoup plus importants, à cette époque, que jamais.
118Mais cela, aussi est un signe ; un signe, peut-être qu’il y a, dès la première décade du xviie siècle, quelque chose qui a craqué dans les mécanismes traditionnels du trafic, quelque chose qui s’exprimerait par une espèce de déboussollement, d’affolement de la fluctuation, où, en valeur, du moins, l’accentuation du creux serait plus sensible encore que le gonflement de l’expansion du cycle.
119Telle apparaît, sur la courbe des valeurs fiscales, la caractéristique la plus profonde du cycle.
4. Les prix
120Les prix ibériques risquent de décevoir. Les corrélations qui existent entre les prix dans la péninsule ibérique et les trafics dans l’Atlantique ne sont pas aussi faciles à démêler qu’au cours des périodes précédentes.
- 67 Cf. E.J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403 ; t. VI1, table 164, p. 363.
- 68 Ibid., p. 215-216.
121On atteint, désormais, — il ne faudra pas le perdre de vue : les arbres en effet ne doivent pas masquer la forêt — la partie descendante des prix espagnols. La Révolution des prix est faite. Plus tôt qu’ailleurs, en Europe, à l’exception de la France, l'ère de l’expansion régulière des prix est close, en Espagne. Ce coup de frein à l’expansion est d’autant plus important qu’il n’affecte pas seulement les prix métalliques, les prix-argent67, mais aussi les prix nominaux68. Ni l’inflation du billon, puis du cuivre, ni la surélévation de la monnaie de compte (à la différence de ce qui se passe en France) ne vient encore prendre le relais d’une excitation monétaire défaillante. La période, globalement, est une période de creux, de contreflux des prix, quelle que soit l’expression choisie.
122Sur les prix-argent valables pour l’ensemble de l’Espagne, pente descendante évidente. La Révolution des prix est passée par une ligne de faîte, à la hauteur de l’année 1601, avec l’indice 143,55. On peut considérer, toutefois, que les cinq premières années du xviie siècle ont, dans l’ensemble, fort bien conservé les positions acquises lors de la brusque et fulgurante montée des dernières années du xvie siècle. De 1595-1596 à 1600-1601, n’était-on pas passé des indices 114,08/116,62 à 137,23/143,55 ? Or, quand on veut bien considérer que cette montée est celle des indices des prix-argent pour un espace aussi vaste, aussi monstrueusement étendu que celui de la péninsule ibérique de ce lointain Ancien Régime, que, dans ce rythme de croissance, jamais égalé, peut-être, dans de telles conditions, il n’entre aucune compromission, mais unique ment la chute du pouvoir d’achat de l’étalon monétaire, on est frappé de stupeur. Accroissement du plancher des prix de 23 % en cinq ans, de 5 % pratiquement par an. On imagine, sans peine, que l’onde de choc d’un ébranlement aussi prodigieux, soit susceptible de donner naissance à une houle puissante, longtemps perceptible au-delà de l’entraînement qui l’aura produit.
123Ceci étant, la période 1601-1605, les cinq années qui suivent, les cinq premières années du xviie siècle apparaîtront, d’abord, comme un plateau qui consolide la vertigineuse conquête des cinq ans qui précèdent.
124Certes, comme il fallait bien s’y attendre, 1602 (indice 138,40) aura lâché 1601 (indice 143,55), mais, aussitôt après, sur quatre ans, la reprise, il vaut mieux dire la consolidation, s’effectue, puisqu’on se trouve en 1605, avec l’indice 142,20, après une série ascendante ainsi jalonnée (indice 138,40 en 1602, 138,70, en 1603, 140,38 en 1604, 142,20 en 1605), à 0,85 % seulement de la pointe record de la première année du siècle. Tout dépend, par conséquent, de l’angle d’observation dont on dispose. Nous avons, en ce qui nous concerne, l’avantage sur les contemporains de connaître la suite des événements. Mais est-ce bien là un avantage ?
125En présence de la série de Hamilton, après avoir localisé, sans hésitation possible, en 1601, la ligne de faîte des prix, on parlera, de 1601 à 1612, d’une pente, pratiquement uniformément descendante, de l’indice 143,55 jusqu’à l’indice 125,35. L’économiste sera tenté d’adopter cette conception. Il aura raison, peut-être, de son point de vue, certainement, mais certainement pas de celui de l’historien.
126L’historien, comme le contemporain, doit ignorer la suite des événements. Or, jusqu’en 1605, au vrai, au-delà, rien d’insolite, de discernable. Après une pente ascendante, au vrai fabuleuse, de 23 % en cinq ans, se retrouver cinq ans plus tard, en 1605, à 0,85 % seulement de la pointe de 1601, peut être considéré, à juste titre, comme la continuation de l’expansion. En 1605, on peut attendre qu’après un, deux, trois ans, peut-être, d’hésitation, la marche ascendante recommencera. Le retournement de la tendance s’effectue au-delà de 1605 seulement, non plus seulement, aux yeux hypermétropes de l’économiste, mais aux yeux heureusement myopes de l’historien.
- 69 Parce que, purement qualitative. Les prix ne sont pas dégagés de la gangue concrète de la transact (...)
127Jusqu’en 1605, rien ne permettait d’augurer, à moins d’être prophète, ce que serait, au-delà, le comportement des prix ibériques. Le creux qui se dessine, entre 1605 et 1607 — il suffit de suivre le dessin antérieur de la courbe, seul élément dont les contemporains pouvaient avoir une connaissance confuse69 purement qualitative, bien sûr, — peut être le fléchissement attendu au cours duquel l’essor des années à venir se prépare. 1608 semblerait l’impliquer avec un commencement de reprise. Après 1608, seulement, l’idée avec toutes ses conséquences, a dû s’imposer qu’il y avait quelque chose de changé.
- 70 Cf. t. VI1, table 164, p. 363.
128Le procédé des moyennes mobiles exprime cette réalité70. Le chiffre raboté tient compte de l’effet cumulatif des années précédentes et des éléments dont les contemporains pouvaient honnêtement attendre la réapparition. La moyenne mobile de treize ans nous est apparue, pour les prix comme les trafics, pour les trafics certes, plus encore que pour les prix, la moyenne la meilleure, parce que la plus susceptible d’englober en son entier la fluctuation moyenne, la plus apparente et la plus importante, la fluctuation, en gros, décennale. Or, une moyenne mobile médiane situe le retournement de la tendance en 1604.
129Mais la moyenne mobile médiane valable, à l’intérieur de la phase longue, face à la réalité de la fluctuation courte, moyenne, voire demi-longue, — elle incorpore ce que les négociants les plus habiles confiants dans la répétition des phénomènes peuvent raisonnablement extrapoler du passé connu, dans un avenir incertain — cesse d’être utile au moment du renversement de la tendance. Alors, on lui préférera, sans hésiter, la moyenne arrière que beaucoup d’historiens des prix préconisent, d’ailleurs, en toute circonstance. Or, une moyenne mobile de treize ans placerait le renversement de la tendance, entre 1609 et 1610, une moyenne de onze ans, entre 1608 et 1609.
1301609 constitue bien un très honorable moyen terme. Entre 1608 et 1610, les négociants pourront raisonnablement observer qu’il y a eu quelque chose de modifié dans l’équilibre général des facteurs dominant le trafic à l’intérieur de l’espace hispano-américain. La certitude d’une irréversibilité est pour plus tard encore.
131La prise en considération des moyennes arrière permet donc de retrouver, au moment du renversement de la tendance majeure, l’état d’esprit et les perspectives des contemporains, de diviser le cycle en deux phases inégales, jusqu’en 1609, en gros, excitation positive encore des séries de prix, au-delà de 1609, au contraire, dépression. Le décalage normal des trafics sur les prix est cause que la rupture se soit placée, effectivement, ici, sur l’axe conjoncturellement moteur du trafic à l’Aller, entre 1610 et 1611.
132Faut-il aller plus loin encore ?
133Le profond décalage du trafic, par rapport aux indices bruts du trafic, la corrélation étroite qui l’unit, par contre, aux indices obtenus par une moyenne mobile arrière, respectueuse, donc au maximum, de l’effet cumulatif des années précédentes, tendrait à accréditer l'hypothèse, tendrait plutôt, à renforcer l’hypothèse courante d’une causalité des prix, face au trafic, au sein du complexe, prix-trafic, tant de fois évoqué. Disons mieux, d’une causalité commune au prix, au trafic, à l’ensemble de l’économie et des comportements extra-économiques, peut être, aussi mais s’exerçant, en partie par les prix, sur le reste de l’économie.
134Il faudrait, pour que l’on puisse se décider, beaucoup d’autres vérifications analogues. Le plus sage étant de se borner à noter la corrélation et la présomption de causalité en faveur des prix.
135On suivra avec beaucoup d’attention, au cours de ce cycle capital pour la compréhension du trafic, mais aussi pour celle des relations existant entre les divers secteurs de l’activité économique dans un espace maritime sous l’Ancien Régime, l’enchaînement des divers ordres de faits. Les renversements des tendances majeures, avec les modifications en profondeur des structures dont elles sont causes et effets, ont l’avantage de rendre perceptibles des enchaînements qui restent souvent cachés à l’observation, en période calme de structures rigides.
Notes
1 Cf. t. I, p. 63 à 148.
2 T. VII, p. 42-43.
3 Cf. t. I, p. 296.
4 Ibid., p. 294-302.
5 Ibid., p. 302-313.
6 Ibid., p. 313-322.
7 84,8 %, et 15,2 % de 1614 à 1622 ; 79,1 % et 20,9 % de 1623 à 1631, 84,5 % et 15,5 % de 1632 à 1641.
8 T. VII, p. 46-47.
9 T. VII, p. 42-43.
10 Mais le mouvement ne totalise plus, alors, qu’un nombre très inférieur de navires.
11 Cf. t. VI1, table 12 E., p. 166-167.
12 Cf. t. VI1, tables 18 à 128, p. 178 à 319.
13 Cf. t. VI1, tables 15 et 16, p. 172, 175.
14 Cf. t. VI1, tables 198 à 229, p. 414 à 474.
15 Cf. t. IV, notes aux tableaux, p. 190 à 409 et, plus particulièrement, l’année 1607 (ibid., p. 230 à 239)... 1610 (ibid., p. 312 à 321)... 1613 (ibid., p. 392 à 401).
16 Cf. ci-dessus p. 216-253, 297-317.
17 T. VII, p. 50-51.
18 Cf. t. VI1, table et p. 171.
19 Cf. t. VI1, table 164, p. 363 ; t. VII, p. 52-53.
20 Cf. ci-dessus, p. 1144-1157.
21 Cf. ci-dessous, p. 1189-1252.
22 Cf. ci-dessous, p. 1370-1384.
23 Cf. t. VI1, table 164, p. 363 ; t. VII, p. 52-53.
24 Cf. ci-dessous, p. 1338, 1353-1355.
25 Ils résultent, on s’en souvient, d’une situation particulière des Retours, dans le cadre du découpage annuel. Cf. ci-dessus, p. 1146. Il est donc tout à fait conforme à la réalité historique de procéder à une ventilation des chiffres, entre les années 1604 et 1605, en débarrassant le mouvement des anomalies de l’année civile.
26 T. VII, p. 50-51.
27 Cf. t. VI1, table 152, p. 349.
28 Voilà qui corrobore, d’autre part, la solution adoptée, qui consiste à marquer, en 1604, plutôt qu’en 1603, le creux frontière entre les deux fluctuations cycliques décennales de 159.-1604 et 1605-1613.
29 Cela apparaît très bien sur un graphique (t. VII, p. 50-51).
30 Cf. t. VI1, table 155, p. 352.
31 Cf. t. VI1, table 152, p. 349.
32 Cf. t. VI1, table 158, p. 355.
33 Cf. ci-dessus, p. 1130-1142, 1149-1157.
34 Cf. ci-dessus, p. 754-755.
35 Cf. t. IV, p. 196, 201.
36 Sur l’interprétation à donner aux chiffres de ces années, cf. ci dessus, p. 1129-1142.
37 On en a la preuve, en comparant, par exemple, la masse globale des départs sur une période de deux ans, 1607-1608, d’une part, 1609-1610, d’autre part, soit 239 navires et 53 231 toneladas pour le groupe d’années qui englobe 1608, 244 navires et 54 564 toneladas pour le groupe des années 1609-1610.
38 Cf. ci-dessous, p. 1282-1296, 1305-1318, 1321-1335.
39 Cf. ci-dessous, p. 1238-1251, 1282-1296.
40 T. VII, p. 4647.
41 On comprend, ainsi comment, sans tenir compte du tonnage des navires, on aura pu avoir tendance à ramener plus tôt dans le xvie siècle le point de flexion de la tendance majeure du trafic transatlantique.
42 Cf. t. VI1, table 129, p. 327.
43 Attestée, notamment, par l’indice d’activité mercurielle (cf. ci-dessous, Appendice, p. 105 1970.
44 Part des Retours à l'ensemble du mouvement, de 1576 à 1570, 43,3 %, de 1579 à l 47,6 %, 1584-1537, 52,3 %. Part dos Retours, de 1593 à 1599, 44,4 de 1609 à 1604, 44.4 de 1605 à 1607, 53,4 %, de 1603 à 1611, 41,2 %.
45 Cf. ci-dessus, p. 615-517, 687-691.
46 On trouverait une situation identique sur les Retours et sur les globaux Allers et retours. De 1600 à 1604, la Nouvelle Espagne représente, en Retours, 41,4 % (mouvement unitaire) et 48,3 % (tonnage), la Terre Ferme, 27,8 % (mouvement unitaire) et 32,2 % (tonnage).
De 1605 à 1607, 40,6 % (mouvement unitaire) et 51,2 % (tonnage) contre 21,9 % (mouvement unitaire) et 32,5 % (tonnage), de 1608 à 1611, 32,3 % (mouvement unitaire) et 40,4 % (tonnage) contre 24,6 % (mouvement unitaire) et 29,5 % (tonnage), de 1612 à 1613, 31,2 % (mouvement unitaire) et 41 % (tonnage) contre 21,4 % (mouvement unitaire) et 28,3 % (tonnage). Pour l’ensemble du cycle, 34,6 % et 44,1 % représentent la part de la Nouvelle Espagne, en unités et en volume, 21,6 % et 30,2 % la part de la Terre Ferme, respectivement, en unités et en tonnage.
En Allers et retours, de 1600 à 1604, la Nouvelle Espagne représente 47,5 % (mouvement unitaire) et 51,3 % (tonnage), la Terre Ferme 32,8 % (mouvement unitaire) et 33,3 % (tonnage) seulement. Et ainsi pendant toute la période qui suit sur le mouvement unitaire, d’abord, en tonnage, ensuite, de 1605 à 1607, 44,3 % et 50,4 % pour la Nouvelle Espagne face à 29,1 % et 37,5 % pour la Terre Ferme, de 1608 à 1611, 41 % et 46,9 % pour la Nouvelle Espagne face à 27,7 % et 33,4 % pour la Terre Ferme, de 1612 à 1613, 41,5 % et 47,5 % pour la Nouvelle Espagne, face à 24,4 et 31,1 % pour la Terre Ferme. Pour l’ensemble du cycle 42 % et 48,3 %, à la Nouvelle Espagne, contre 27,4 % et 34,1 % pour la Terre Ferme.
Même situation, encore de 1614 à 1622, soit 42,7 % (mouvement unitaire) et 47,9 % (tonnage) pour la Nouvelle Espagne, face à 33,5 (mouvement unitaire) et 36,7 % (tonnage) pour la Terre Ferme.
47 Cf. ci-dessus, p. 1062-1065.
48 Cf. Les Philippines et le Pacifique des Ibériques.
49 Ibid.
50 Cf. t. VI1, tables 174-176, p. 373-375.
51 Soit 55 813 toneladas allant en Terre Ferme de 1626 à 1630, contre 61 329 toneladas allant en Nouvelle Espagne de 1606 à 1610 (t. VI1, table 174, p. 373). Mieux, en Retours, le niveau le plus haut et tardif de la Terre Ferme, 45 910 toneladas dépasse le niveau record de Nouvelle Espagne 42 550 toneladas de 1606 à 1610 (t. VI1, table 175, p. 374). Dans les mêmes conditions, les globaux Allers et retours de Terre Ferme, pour 1626-1630, 101 723 toneladas, égalent pratiquement le chiffre-record de Nouvelle Espagne, 103 885 toneladas de 1606 à 1610 (t. VI1, table 176, p. 375). Ce qui n’implique nullement, d’ailleurs, que ces termes soient exactement comparables. En raison du temps qui les sépare, plusieurs décennies et de la part, dans le mouvement avec la Terre Ferme, du mouvement d'armada.
52 Cf. ci-dessus, p. 823-827.
53 Henri Hauser, Prépondérance espagnole, op. cit., p. 341.
54 Cette accélération dont Frank C. Spooner (Économie mondiale, op. cit., p. 327) a si vigoureusement et si justement marqué l’importance dans le domaine des métaux précieux.
55 Cf. ci-dessus, p. 900-904, 916-919.
56 Fernand Braudel. La Méditerranée, op. cit., p. 546-550.
57 Cf. ci-dessous, p. 1235-1275.
58 Cf. ci-dessus, p. 1166-1169.
59 EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 34-35.
60 Et, d'ailleurs, aussi, la même dénivellation sur les Retours, plus accentuée, si on les examine dans le même cadre semi-décennal, cf. t. VI1, table 139, p. 337, table 143, p. 341.
61 Soit de 23 417,9 toneladas (ou 22 628,2 tonneaux) à 17 506,6 toneladas.
62 D’autant plus qu’on peut invoquer à l’appui les fluctuations assez proches d’un indice d’activité capital — étroitement lié, on a vu comment, aux importations officielles des trésors — l’indice d’activité mercuriel (cf. ci-dessus, p. 1958-1978, Appendice).
Si on se reporte à la série semi-décadaire des importations de mercure d’Europe aux Indes, on note sinon un creux, du moins, un très net palier dans la courbe ascendante du mouvement. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer les 16 001 quintales de 1601-1605 aux 15 326 quintales de 1586 à 1590. Le déclenchement se situe plus tard, entre 1601-1605 et 1606-1610 et le mouvement ascensionnel se poursuit jusqu’en 1621-1625, 39 467 quintales.
Si on se reporte à la courbe de la consommation de mercure (cf. ci-dessus, Appendice, p. 1975), l’interprétation est plus facile encore. Il y a descente depuis le premier point haut (les 52 611,76 quintales de 1586 à 1590) jusqu’à un creux qui est bien celui de la demi-décade 1601-1605 (pour le mercure, comme pour les trésors, comme pour les trafics). De 50 611,76 quintales de 1586 à 1590, on passe à 50 661,86 de 1591 à 1595, 44 225,39 de 1596 à 1600, 34 495,58 de 1601 à 1605. De là, ü y a reprise, 36 914,93 de 1606 à 1610, 56 662,96 de 1611 à 1615, 51 005,24 quintales de 1616 à 1620, à 66 552,29 quintales, enfin, de 1621 à 1625.
A quelques variantes près, on retrouve donc, sur la série des indices mercuriels, le creux cyclique profond de la demi-décade 1601-1605.
63 T. VI1, tables 198 à 229. p. 414-474 et plus particulièrement, table 227, p. 473.
64 On supplée, dans la mesure du possible et avec prudence, à la carence de l'avería par les almojarifazgos de la Vera Cruz et de Puerto Belo (cf. notamment t. VI1, table 227, p. 473).
65 2 470 181 923 maravedis en 1608, 1845 197 096 en 1609, 1 311 653 582 en 1610, 1 519 905 454 maravedis en 1611 (d’après l'avería (cf. t. VI1, table 227, p. 473).
66 G était le cas, de la manière la plus nette, de 1590 à 1592. Cf. ci-dessus, p. 823-827.
67 Cf. E.J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403 ; t. VI1, table 164, p. 363.
68 Ibid., p. 215-216.
69 Parce que, purement qualitative. Les prix ne sont pas dégagés de la gangue concrète de la transaction. La notion d’indice et, à plus forte raison, de série d’indices, n’existe pas.
70 Cf. t. VI1, table 164, p. 363.
© Éditions de l’IHEAL, 1959