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Séville et l'Atlantique, 1504-1650 : Structures et conjoncture de l'Atlantique espagnol et hispano-américain (1504-1650). Tome II, volume 2

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Pierre Chaunu

Quatrième partie. Au sommet de l'Atlantique de Séville le renversement de la tendance majeure (1593-1622)

Chapitre premier. À la rencontre des deux tendances le lourd plateau bombé d’une prospérité prolongée limites et justification

Texte intégral

  • 1 Cf. ci-dessus, p. 827-840.
  • 2 Cf. ci-dessous, p. 1515-1525.

1Il est bien évident que, si 1592 et 1622 constituent, on l’a vu déjà pour le premier terme1 et on le verra sans peine pour le second terme de référence2, d’incontestables frontières cycliques, il n’en va plus de même au niveau de la tendance majeure, pour les expressions les plus générales du mouvement.

2Les points de rebroussement se situent presque tous, avec beaucoup de constance, soit au milieu, soit dans la deuxième moitié, de toute manière, à l’intérieur de la tranche chronologique de trente ans que l’on vient de dessiner.

I. — DESCRIPTION

3Il importe donc, cette phase longue d’hésitations sur trente ans, entre une incontestable phase longue d’expansion et une incontestable phase longue de contraction, de la justifier longuement, en lui rendant son autonomie, au détriment des phases dynamiques encadrantes, puisque son existence individuelle ne saute pas immédiatement aux yeux. Pour cela, une analyse attentive des séries quantitatives dans le cadre du découpage individuel ne suffit pas, mais c’est par elle, toutefois, qu’il convient de commencer.

CHOIX DES POINTS DE REBROUSSEMENT

4La première démarche n’aboutit pas, d’abord, à justifier l’existence autonome de la période des trois cycles médians de renversement de la tendance majeure, elle consiste, une fois de plus, à retrouver le point de flexure vrai dans le cadre du découpage artificiel mais indispensable de l’année civile.

5A partir, si l’on préfère, de la certitude du retournement de 1608-1610.

1. La certitude de 1608-1610 sur le mouvement volumétrique

6Le premier élément certain est donné par l’année 1608.

  • 3 Cf. ci-dessous, p. 1276 à 1296 et surtout 1282 sq.

7Même si 1608 — c’est évident et on aura l’occasion de s’étendre longuement sur ce point3 — bénéficie d’une partie des départs qui auraient dû, normalement, se produire l’année précédente — 1607 est placé dans un creux : 37 bateaux, 8 153 toneladas (9 783, 6 tonneaux) à l’Aller, 35,88 % du trend, sa position unique, record pour toute la durée du trafic, est incontestable. À l’Aller, 202 navires constituent le record jamais égalé, totalisant 45 078 toneladas ; il le sera, à plus forte raison encore, si on fait intervenir la pondération et si on substitue à la donnée ancienne de la tonelada l’équivalent supposé en tonneaux de jauge internationaux de 2 m3 83, soit 54 093,6 tonneaux. La position relative de l’expression volumétrique du mouvement annuel par rapport à la moyenne, 207,10 %, est sans précédent et sans équivalent dans toute l’histoire de la navigation espagnole dans l’Atlantique hispano-américain jusqu’au vviiie siècle. La position de 1608, au Retour, n’a rien de comparable ; elle est, au contraire, en léger retrait par rapport à la moyenne, avec 81 navires, 15 589 toneladas (18 716,8 tonneaux) en position négative, 90,66 % seulement du trend.

  • 4 t. VI1, table 129, p. 327.
  • 5 En 1514, 1536, 1551, 1587, 1595, 1600, 1602, 1630. Cf. t. VI1, tables 162-164, p. 361-363 ; t. VII (...)

8C’est en 1610, par contre, avec un décalage chronologique tout à fait normal, que les Retours globaux portent le contre coup de l’anomalie de 1608, avec 95 bateaux 27 311 toneladas, soit 32 773,2 tonneaux selon nos conventions4, et un pourcentage à la moyenne de 154,44 %. Ce n’est plus, certes, exactement le point record : il est, en chiffres absolus, très légèrement dépassé même par trois ans, 1587, 1600 et 1630 ; en pourcentages d’écart, il est dépassé ou égalé, plus souvent encore5. 1610 serait rétabli, pourtant, dan3 sa position de sommet du mouvement volumétrique Retour, si, à l’année seule, on substituait l’année dans son encadrement, d’un ou deux, trois, quatre ans ou plus.

9La position record de l’année 1608 se retrouve sur les totaux Allers et retours. De la même manière, à peu de choses près, que pour les Allers, la position de 1608 est une position unique, record. Quelle que soit l’unité choisie, elle n’est jamais approchée. La faible position des Retours, cette année-là, retire au niveau de 1608 ce que le retard de 1607 sur le mouvement Allers aurait pu lui conférer d’artificiel. 1608 aligne, au total, 283 unités. Même, dans ce domaine, malgré l’accroissement du tonnage unitaire, la position de 1608 est sans équivalent. On rappellera, à titre d’exemple, quelques points records précédents, celui de 1550, au sommet de la première phase longue d’expansion, par exemple, alors que tout le poids du mouvement était assuré — à la différence de ce qui se passe ici — par une poussière de petits navires, n’atteignait encore que 215 unités. Au cours de la deuxième phase longue d’expansion, on songe superficiellement aux 213 unités de 1586, 217 navires de 1589, 219 navires de 1593, avec beaucoup plus de raisons, aux 224 et 238 navires de 1596 et de 1597, aux 210 de 1600. Mais 1608 surclasse, même sur le mouvement unitaire, tous ces points hauts de 25 à 30 %.

10Dans le domaine du tonnage, à bien plus forte raison, aucun doute possible, les 60 667 toneladas (72 800,4 tonneaux) sont sans équivalent, même lointain. Les 50 000 toneladas ne sont largement dépassées qu’une fois et c’est en 1610 (54 761 toneladas, 65 713,2 tonneaux), dans un temps qui contribue, par conséquent, à renforcer la position de 1608.

  • 6 Compte non tenu de la pondération par la modification de l’unité et des méthodes de jaugeage, elle (...)

11Les trois années 1608-1609-1610 ont une position beaucoup plus forte, encore, que celle de 1608 avec leurs niveaux respectifs alignés de 283, 212, 201 unités, 60 667, 49 222, 54 761 toneladas, 72 800,4, 59 066,4, 65 713,2 tonneaux, avec des positions relatives à la moyenne de 147,26, 120,17, 131,38 %. Aucun groupe de trois années consécutives — la chose est bien certaine — n’a jamais atteint et n’atteindra jamais plus, même à 15 % près, la moyenne annuelle, une fois, seulement obtenue sur trois années consécutives, de 232 bateaux et de 54 883,33 toneladas. Deux situations, seulement, sont comparables, mais d’assez loin, dans toute l’histoire de la Carrière des Indes, celles de 1584, 1585, 1586, juste avant le double accident de l’incendie de Cádiz et de la ponction de l'Invincible Armada, soit une moyenne annuelle sur trois années consécutives de 174 bateaux 1/3 et 43 595 toneladas, mais l’écart est encore de l’ordre du quart)6, la situation, des années 1600-1601-1602 dont la moyenne annuelle, sur trois années consécutives, s’élève à 192,3 navires et 47 202 toneladas.

  • 7 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403. T. VI 1, tables 162-164, p. 361-363.

12Même, avec ce terme de référence de 1600-1602 — dont l’importance est grande, hâtons-nous de le dire, et à un double point de vue, au moins, parce que ces trois ans constituent, par ordre de grandeur, le second terme en altitude, aussitôt après 1608-1610, parce qu’aussi 1600-1602 correspond au point culminant et au point de renversement de la tendance de la courbe espagnole des prix-argent7 — l’avantage de 1608-1610 reste de l’ordre de 20 %, (pour passer d’un terme à l’autre, du niveau annuel moyen précédemment record des premières années du xviie siècle, il a fallu un décrochement de 21 % quant au nombre de navires, de 16,7 % en tonnage).

13Plus que l’année 1608, choisie un peu arbitrairement, c’est l’ensemble 1608-1610 qui forme le point haut volumétrique de toute la Carrière des Indes, le véritable lieu du renversement de la tendance majeure des mouvements les plus importants.

2. Les moyennes mobiles

14Ce qui est évident, sur les simples séries brutes du mouvement, l’est, à plus forte raison, au terme d’une analyse très simple. Les moyennes mobiles corroborent ce point de vue. Elles invitent à pousser la phase ascendante des mouvements jusqu’à la fin de la première décade, voire même, le plus souvent, jusqu’au milieu de la seconde décade du xviie siècle.

15Toutes donnent des sons de cloche singulièrement concordants. Les moyennes médianes placent le point de rebroussement, soit peu après 1600, soit, le plus souvent, un peu après 1610.

  • 8 Cf. t. VI 1, table 144, p. 342.
  • 9 Une élémentaire prudence exige de tenir compte, avec une égale attention, au cours de cette périod (...)

16a. Allers. — Sur une moyenne médiane de onze ans, Allers8, en unités non pondérées9, 1612 est le point le plus haut, soit à cheval entre les niveaux records de 1608-1610 et ceux un peu moins élevés mais encore très impressionnants de 1614, 1615, 1616, 1617, 1612, il est vrai, est isolé. A tel point que 1604 à cheval entre le groupe record 1600-1602 et 1608-1610, se trouve en position presqu’égale avec une base beaucoup plus solide. La moyenne mobile médiane de onze ans en unités non pondérées invite, par conséquent, à ne pas prolonger la phase ascendante au delà du groupe des années 1608-1610. Les trois points 1603, 1604, 1605 forment entre eux un niveau un peu supérieur à celui des trois années alignées de 1611-1612-1613 ; cette particularité invite à conclure dans le même sens. On peut fournir d’autres éléments à l’appui.

  • 10 Cf. t. VI 1, tables 145, p. 343.
  • 11 Cf. ci-dessous, p. 1252-1525.

17L’indication est si peu objective qu’elle se trouve facilement appuyée par la leçon voisine des moyennes médianes de treize ans, sur unités pondérées10, soit une forme un peu différente de rabotage, un peu plus enveloppant. 1605 et 1613 jouent le même rôle sur la série, respectivement, que 1604 et 1612 dans la combinaison antérieure et pour les mêmes raisons. La position en flèche de 1613 apparaît plus clairement encore que celle précédente de 1612 sur la série. L’année 1605 est préférable, tout compte fait, à 1613, à ce niveau du raisonnement, comme, précédemment, 1604 à 1612, en raison des points très hauts de 1600, 1601, 1602, 1603, tous supérieurs à 1612 et 1614. La partie la plus élevée et la plus solide de la moyenne mobile est celle qui incorpore les pointes cycliques de 1600-1602 et de 1608-1610. Elle est, finalement, à préférer à la partie de la courbe qui incorpore 1608-1610 et 1614-1617, entendez, sur la moyenne 1615-1619. Deux points de rebroussements sont donc possibles sur l’expression volumétrique annuelle du mouvement, mais le bon terme est celui qui se place aussitôt, 1608-1610. Au delà, le mouvement ne se maintient — on verra comment11 — en dépit d’une certaine usure, qu’au prix d’une certaine perte de vitesse.

18b. Retours. — La situation sera, d’emblée, plus claire, sur les Retours qui témoignent, d’ailleurs, vis-à-vis des Allers, d’une certaine viscosité, d’une certaine lenteur à en reproduire les démarches. L’acceptation, ou non, de la pondération introduit, ici, de plus grands risques de divergence.

  • 12 Cf. t. VI1, tables 148-149, p. 345-346.

19Une moyenne mobile médiane de onze ans calculée en partant d’unités non pondérées12, marque un renversement de la tendance majeure, approximativement à la même hauteur.

20On pourra hésiter entre 1608, point le plus haut mais relativement isolé, et 1612, pratiquement à la même altitude, mais mieux appuyé par les points extrêmement élevés et très proches de 1611 et de 1613. Au delà de 1612, malgré quelques repentirs, la décrue commence.

  • 13 Ou notera, par exemple (cf. t. VI, table3l39, p. 337 et 143, p. 341), qu’en semi-décadaire, même e (...)
  • 14 Cf. t. VI1, tables 154-155, p. 351-352.

21La pondération introduit, ici, un élément plus sérieux de différenciation. D’autant plus que la descente du mouvement Retours est beaucoup moins rapide que celle des Allers13 Sur les moyennes mobiles médianes de treize ans en unités pondérées14, par exemple, aucune hésitation n’est possible entre 1610 et 1616 : 1616 est un point haut, le point culminant, sans hésitation, suivi de quatre points qui se maintiennent à une altitude beaucoup plus voisine de celle de 1616 que des hauteurs des points précédents, par rapport auxquels 1616 est vigoureusement détaché. Le retournement se marque clairement au terme du plateau 1616-1619, par une descente secouée de quelques brefs et médiocres repentirs.

22c. Allers et Retours. — On fera, ici, deux constatations. La pondération ne modifie rien, elle apporte, tout au plus, quelques nuances. Le schéma des globaux emprunte l’essentiel aux Allers, avec quelques modifications, toutefois, imputables aux Retours et, notamment, en ce qui concerne le choix qui s’impose d’un point de rebroussement plus tardif.

  • 15 Cf. t. VI1, tables 148-149, p. 345-346.
  • 16 Une autre approche de la répartition des masses du mouvement est donnée par la série demi-décennal (...)

23Sur une moyenne mobile médiane de onze ans en unités non pondérées15, on ne peut plus hésiter entre 1612 et 1605. 1612, mieux détachée, l’emporte sur toute la ligne par rapport à 1605. C’est bien là le vrai point de rebroussement16. Sur une moyenne mobile médiane de treize ans en unités pondérées, à plus forte raison, 1614, qui incorpore les points les plus hauts, ceux de 1608-1610 et ceux de 1615 à 1620, marque avec une grande clarté le terme de la montée.

  • 17 Cf. t. VI1, tables 154-155, p. 351-352.
  • 18 Des moyennes arrière plus conservatrices et plus atténuatrices, que certains historiens préfèrent (...)

24Les moyennes plus courtes, celles de cinq ans, notamment17, ramènent le point de rebroussement plus près de l’accident conjoncturel majeur de 1608-1610. Une moyenne mobile médiane de cinq ans, en unités pondérées, par exemple, renverse proprement la tendance à la hauteur même de l’année 160818.

25Quelles que soient les modalités retenues, il y a bien retournement de tendance sur les mouvements volumétriques globaux, mais, à quelques années près, dans la deuxième moitié de la tranche chronologique que l’on propose de délimiter de 1592 à 1622.

3. Mouvement en valeur

26D’autres séries, d’une manière moins décisive, certes, proposeraient des démarches identiques. Le mouvement en valeur, par exemple, autant qu’on en puisse juger, ne se comporte pas d’une manière fondamentalement différente.

  • 19 Cf. t. I, p. 88.

27Son appréciation, on le sait, est particulièrement délicate. En raison du caractère extrêmement fictif19 des bases qui servent au calcul d’une imposition qui n’est que, de très loin, ad valorem, en raison du caractère mouvant de la monnaie au cours de cette période ; en raison, enfin des lacunes que, à la différence des tonnages, les séries des mouvements en valeur comportent et des difficultés de leur utilisation qui en résultent. On ne saisit avec certitude que le poids d’une fiscalité et, à la rigueur, une valeur fiscale très relative du mouvement.

  • 20 Cf. t. VI1, tables 226-227, p. 471-473.

28Il est beaucoup plus difficile de situer sur la courbe de la valeur des exportations, d’après l'avería20, le retournement de la tendance, car les amplitudes du mouvement annuel sont, ici, beaucoup plus considérables.

  • 21 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403.
  • 22 4 140 206 451 mrs (cf. t. VI1, table 227, p. 473). Semblable niveau ne peut être que très partiell (...)
  • 23 Cf. ci-dessous, p. 1289 sq. et 1381 sq.

29Il n’y a plus un point haut, mais plusieurs sommets possibles. Un premier point haut, entre 1582 et 1584, correspond, en gros, à la fluctuation primaire centrale du cycle 1579-1592, juste avant l'Invincible. Viennent ensuite deux hauts plateaux-records qui s’équilibrent sensiblement : 1590-1594, 1608-1611. Si on ne faisait entrer en ligne de compte que l’évolution des prix (indice moyen 113, entre 1590 et 1594, 130, de 1608 à 1611)21 on donnerait la préférence, comme point possible du retournement de la tendance, à la période 1590-1594. Compte tenu, toutefois, d’un certain relâchement que l’on est en droit de supposer du système fiscal de la Carrera dans le même temps, on peut hésiter à choisir. On doit raisonnablement considérer, en effet, que le facteur-prix est grandement annulé et qu’il y a un accident important dans le comportement du mouvement-valeur des exportations entre 1608 et 1611, entendez, donc, là aussi, à la même hauteur que les volumes. Il est vrai, aussi, que l’évolution est loin d’être linéaire, comme dans le cas des volumes : l’extraordinaire importance des exportations de 1637 le montre22. La leçon des exportations en valeur est rapidement évoquée, ici, uniquement pour étayer la vraisemblance d’un choix, celui des années 1608-1610, commandé par les exigences des expressions volumétriques du mouvement, mais le mouvement-valeur rappelle nécessairement des études plus détaillées et plus nuancées23.

  • 24 Cf. t. VI1, table 201, p. 420, table 228, p. 474 et t. VIII, p. 58-59.

30Le mouvement des Retours24 présente avec celui des Allers d’évidentes analogies prévisibles, a priori. Là aussi, le retournement s’impose au delà de 1606-1610, avec, toutefois, une singulière résistance des valeurs qui décrochent moins rapidement que les volumes (1621-1625, par exemple équilibre à 3 % près le niveau de 1606-1610). On pourrait multiplier presque indéfiniment des prises de position semblables, toutes aboutiraient à des conclusions analogues ; le mouvement, dans ses expressions les plus générales, les plus valables, les plus représentatives reste ascendant jusqu’en 1608-1610, c’est au-delà et après 1619-1620, surtout, sans conteste, que commence la décrue.

31Dans ces conditions, la question reste entière : convenait-il de séparer les deux cycles 1592-1604, 1604-1613 de la seconde montée du xvie siècle de la seconde demi phase longue d’expansion à laquelle ils appartiennent par tant de traits, pour les réunir avec le cycle 1613-1622, où les premiers signes certains du grand retournement sont déjà si nombreux, pour bâtir l’unité factice d’une période autour de données, a priori, totalement contradictoires ?

32Oui, en dépit des apparences. Les cycles 1592-1604, 1604-1613 — et c’est en ce sens qu’ils offrent tant de sûres analogies avec 1613-1622 — n’appartiennent plus déjà, malgré leur puissance majestueuse, malgré la masse des volumes et des valeurs qu’ils déplacent, à l’allègre montée du xvie siècle. Il n’y a plus, ici, que plafonnement, consolidation, plafonnement ascendant sur vingt ans, commencement d’un dégonflement au delà, une masse qui continue, entraînée par elle-même, à remporter des victoires, mais au terme d’un siècle de croissance, le moteur vient à manquer, le mouvement cesse d’être entraîné, la marée est étale..., bientôt viendra le reflux.

DISPERSION ET DISCORDANCES

33Un élément sûr de différenciation procède des discordances qui, désormais, se font jour, à l’intérieur des ventilations fondamentales du trafic. C’est par là que l’on peut, sans hésiter, opposer la période de 1592-1622 à la grande phase longue d’expansion du xvie siècle.

34Tant au cours de la première que de la seconde phase longue d’expansion du xvie siècle, en effet, il y avait eu toujours unanimité des signes. C’est vrai, en très gros, jusqu’à la fin, de la fluctuation primaire mue par la puissance de l’argent péruvien et qui trébuche sur l'Invincible Armada. Montée des mouvements unitaires, montée des Allers et retours, progrès dans chacune des grandes directions et provenances fondamentales, progrès du tonnage unitaire moyen, progrès des diverses expressions des mouvements en valeur. Unanimité des signes qui n’était pas exclusive, bien sûr, de quelques moments de court reflux.

35Il n’en ira plus de même, désormais. Le premier grand trait qu’il faut signaler de cette période, ce sont ses discordances. Les mouvements globaux pourront continuer à progresser, mais sous l’effet, seulement, d’un nombre restreint de facteurs, sous l’action d’une résultante. Le rythme d’accroissement, surtout quand l’accroissement est maintenu, n’a plus rien de comparable avec celui du passé.

1. Le mouvement unitaire des navires

36Le mouvement unitaire des navires n’est plus animé d’une seule tendance, mais de tendances souvent contradictoires. Il est vrai que sur ces séries, la progression avait été beaucoup moins unanime. moins marquée et moins simple, que sur l’expression volumétrique du trafic. Depuis 1540, au moins, 1550-1560, certainement, le progrès d’ensemble du trafic du mouvement est assuré, sinon exclusivement, du moins, pour l’essentiel par le progrès du tonnage unitaire des navires mis en cause par la navigation atlantique.

  • 25 Cf. t. VI1, table 139, p. 337.
  • 26 Cf. ci-dessus, p. 355-522.

37Le mouvement unitaire des navires25, dans l’ensemble, a été animé d’une poussée ascensionnelle, pratiquement unanime et sans repentirs, de 1506 à 1550. Le repli, occasionné par la grande récession du demi-seizième siècle et la substitution d’un matériel nouveau au matériel ancien, se prolonge très longtemps, incomparablement au-delà de la récession des tonnages, close26, on s’en souvient, dix à douze ans à peine, après l’accident qui suit la crise des années 1550-1551.

  • 27 556 unités, au départ de 1586 à 1590, au lieu de 504, seulement de 1546 à 1550, lors du précédent (...)

38Pour que le mouvement unitaire des navires en Allers de la demi-décade 1546-1550 soit dépassé et largement dépassé, il faut attendre 1586-159027 ; le niveau du mouvement unitaire restera, vingt-cinq ans durant, au-dessus de l’altitude atteinte par le mouvement de 1546 à 1550, soit de 1586 à 1600, pendant trois demi-décades consécutives, puis au cours de deux demi-décades isolées, encore, de 1606 à 1610, de 1616 à 1620, au total, vingt-cinq ans. Sur les Retours, le niveau quinquennal du mouvement unitaire de 1546 à 1550 (370 unités) est dépassé deux fois, seulement, de 1606 à 1610 et de 1611 à 1615 (384 et 382 unités, respectivement). En Allers et retours, le premier record du mouvement unitaire de 1546 à 1550 (864 unités) est dépassé une première fois en 1586-1590 (886 unités), dix ans durant, ensuite, de 1591 à 1600, soit, pour une durée de quinze ans, au cours de trois demi décades successives, puis une nouvelle fois, de 1606 à 1610, avec le niveau record de 965 unités. Une fois encore, même sur l’expression unitaire du mouvement, on retrouve la fatidique demi-décade 1606-1610.

  • 28 Cf. ci-dessus, p. 609-766.
  • 29 Cf. ci-dessous, p. 1353-1525.
  • 30 À noter que l’avería (cf. t. VI1, table 226, p. 471) donne, à la même hauteur (1590-1594), une for (...)
  • 31 Cf. ci-dessus, p. 853-859.

39On retiendra, toutefois, ce fait. Depuis le creux correspondant à la demi-décade 1556-1560, — elle forme sur les séries du mouvement unitaire comme sur celles des tonnages globaux, la partie la plus déprimée de la grande récession du demi xvie siècle —, il y a, à un rythme plus ou moins rapide, à quelques divergences et brefs repentirs près, progrès — outre la croissance à peu près régulière du tonnage unitaire moyen — du nombre des navires. Avec, pourtant, des divergences sensibles : le mouvement unitaire à l’Aller culmine, quelque quinze à vingt années plus tôt que celui des Retours qui commande le comportement des globaux Allers et retours. Cette divergence montre, entre autres, que le maintien des hauts niveaux, longtemps après le terme de la seconde phase longue d’expansion, est assuré, en grande partie, par l’action des Retours, d’un mouvement des Retours qui continue sur sa lancée au delà des Allers. Il se passe, alors, toutes choses étant égales, mais sur un plus grand laps de temps, ce qu’on a observé, entre 1580 et 158628, quand le retour sur l’Europe du stock des navires et des avoirs entreposés aux Indes, lors de cette longue anomalie positive du mouvement des Retours, a permis le maintien de l’expansion à un niveau très élevé. Ce comportement, éclairé et corroboré par d’autres séries, sera examiné plus tard29 Pour le moment, il suffit d’observer cette double distorsion : l’indépendance des séries Allers, Retours, Allers et retours, les unes, par rapport aux autres, (le retournement du mouvement unitaire Allers se place au début de la demi-décade 1591-1595, celui des Retours et des Allers et retours, à la fin seulement de la demi-décade 1606-1610), l’indépendance, en Allers, du moins, du mouvement unitaire vis-à-vis du mouvement en tonnage et des autres expressions de la vie économique de l’Atlantique espagnol. Le retournement se place au début de la demi-décade 1591-159530, soit quinze à vingt ans plus tôt que le rebroussement du mouvement en tonnage, qui a lieu, on s’en souvient, entre 1608 et 161031.

  • 32 Cela s’explique assez aisément, puisqu’il y a changement total et reconstitution à peu près complè (...)

40Autrement dit, la progression encore sensible, du mouvement volumétrique Allers, après cette date, est uniquement imputable à la seule progression du tonnage unitaire moyen32. Ces discordances entre mouvements unitaires et mouvements-tonnage n’existaient pas tout au long des trois grandes phases précédentes. Leur apparition constitue un indice, entre beaucoup, qu’il y a, désormais, quelque chose de nouveau.

2. Discordances entre Allers, Retours, Allers et Retours

41Ces discordances, cette absence nouvelle de parallélisme entre les différentes approches jusqu’ici, en gros, accordées du trafic, s’observent, désormais, à l’intérieur même des mouvements volumétriques.

  • 33 Cf. t. VI1, tables 139 et 143, p. 337, 341.

42On sera frappé, par exemple, de constater à quel point, les globaux en tonnages, Allers et retours, sont profondément et nouvellement désaccordés depuis 158533, environ, un peu avant, même, la phase de plafonnement qu’on a cru bon de distinguer.

  • 34 Cf. ci-dessus, p. 609-766.

43Il n’y avait pas, jusqu’à la demi-décade 1581-1585, de dissonance grave entre Allers et Retours. Les Retours suivaient, avec un léger décalage chronologique et avec des niveaux de 20 à 30 % inférieurs, la cadence des Allers. En 1581-1585, par exemple — on a vu comment et pourquoi34 — les Retours se sont rapprochés des Allers, avec près de 84 000 toneladas pour les Retours contre 90 500 toneladas pour les Allers dans le même temps de 1581 à 1585. A partir de ce moment, — il correspond très exactement, avec le grand drame conjoncturel des années 1586-1587, de l’incendie de Cádiz, de l'Invincible, des premiers gros revers de la guerre hispano-anglaise — les deux mouvements s’individualisent profondément et cela, pratiquement, pendant vingt à vingt-cinq ans, jusqu’au terme de la période de crise du renversement de la tendance majeure, au-delà de laquelle, dans la commune disgrâce du reflux de la phase B, l’accord réalisé, jadis, à la montée, se retrouvera.

  • 35 Cf. t. VI1, tables 139 et 143, p. 337 et 341, tables 159 et 160, p. 356 et 357 ; t. VII, p. 45 et (...)

44En effet, l’ascension des Allers se fait régulièrement, au rythme de cycles successifs, en gros, décennaux, commandant l’alternance d’une demi-décade élevée et d’une demi-décade en creux — elle porte les demi-décadaires Allers, entre 1581-1585 et 1606-1610, vingt-cinq ans plus tard, de 90 500 toneladas à 124 000 toneladas (de 85 000 à 150 000 tonneaux). Les Retours, par contre, vont témoigner d’une grande originalité. Entre 1581-1585 et 1606-1610, un creux profond s’y dessine. De 84 000 toneladas en 1581-1585, on descend à 74 500 toneladas entre 1586 et 1590 puis à 65 000 toneladas seulement de 1591 à 1595 ; les demi-décades 1596-1600 et 1601-1605 restent encore autour de 78 000 toneladas, à un niveau bien inférieur au niveau atteint lors de la poussée de 1581-1585. En tonneaux de jauge supposés constants, le creux, un peu moins vigoureusement dessiné que sur la série exprimée en toneladas brutes non pondérées est tout aussi profond, sinon par rapport aux Retours eux-mêmes, du moins par rapport aux Allers exprimés en unités pondérées35. C’est entre 1606 et 1610 que les deux mouvements se retrouvent. Les vingt dernières années de l’ascension ont été emmenées entre 1595 et 1605, par le seul mouvement Allers ; au-delà, de 1606 à. 1620, la marée est maintenant étale, sur quinze, voire vingt années, par la reprise des Retours qui se substituent, en quelque sorte, progressivement, aux Allers, peu à peu, défaillants. C’est alors l’effort des Indes qui ralentit la descente sur le chemin de la décadence, un effort décalé ou retardé, dans le temps, par rapport à celui de l’Espagne.

  • 36 On trouvera une très belle et irréfutable confirmation de cette situation : alors que les moyennes (...)

45La dissonance apparaîtra, dans sa deuxième partie, tout particulièrement sur les mouvements en unités pondérées ; le niveau des Retours, au cours de la demi-décade 1626-1630 (97 000 tonneaux), pourtant très en retrait par rapport à 1621-1625 et, a fortiori, 1616-1620 (111 000 tonneaux), presque à égalité avec 1606-1610 (121000 tonneaux), est encore très au-dessus des 86 000 tonneaux des demi-décades 1596-1600 et 1601-1605. Et 1631-1635, 1636-1640, 1611-1645 (63 000, 61 000 et 64 000 tonneaux) ne sont inférieurs que de 1,5 à 7 % au niveau de 1591-1595 (65 000 tonneaux). Telle est la caractéristique profonde du mouvement Retours, dont le décalage est bien marqué par rapport aux Allers. Les Retours n’ont pas contribué à l’ascension du dernier échelon gravi par le trafic de la Carrière des Indes, mais ils ont contribué d’une manière décisive, par contre, au maintien du mouvement sur cet échelon, jusqu’au saut dans le néant des années 3036.

  • 37 Cf. ci-dessous, p. 1326-1332.

46Ces remarques et la contre-épreuve que l’on peut faire sur les moyennes mobiles permettent de dégager une des originalités les plus certaines de la période 1592-1622, par rapport plus à ce qui la précède, qu’à ce qui la suit, l’autonomie du mouvement global des Retours, par rapport aux Allers, la profonde indépendance des deux courbes, ce que l’on pourrait appeler un peu l’hétérogénéité du mouvement, traduction, en profondeur, on le verra37, du déplacement du centre de gravité de l’Atlantique espagnol et hispano-américain de la côte européenne au profit de la côte américaine.

3. Hétérogénéité des mouvements au sein du complexe portuaire

47Il existe, à l’intérieur des départs du complexe portuaire andalou-canarien, des articulations géographiques qui ont, c’est bien connu, une très grande signification économique.

  • 38 Cf. t. VIII1, p. 290-329.
  • 39 Cf. t. VI1, tables 182-183-184, p. 384-392, table 186, p. 398 et t. VII, p. 72, 73, 74, 75.

48a. Mouvement sévillan. — La principale opposition est celle, sans aucun doute, qui s’établit, entre les navires marchands partant de Séville (presque toujours en gros convois) et ce que l’on peut appeler les marginaux du complexe38 : armadas, caditains, négriers, canariens. Le rapport le plus important — l’analyse détaillée du mouvement l’a souvent fait ressortir — est celui qui lie les départs marchands de Séville à l’ensemble des départs du complexe, ou, ce qui revient au même, à l’ensemble des marginaux39.

  • 40 Et, a fortiori, au cours de la première. Il n’est pas malheureusement possible, faute d’une docume (...)

49Au cours de la seconde phase longue d’expansion40, les deux mouvements fondamentaux, mouvement global et mouvement des navires marchands de Séville — ils peuvent tous, à l’intérieur de la fluctuation cyclique, faire preuve les uns à l’égard des autres, d’une grande indépendance — progressent, approximativement, à la même allure. En gros, du moins, comme le graphique le prouve, jusqu’à la demi-décade 1581-1585 inclusivement. Au-delà, l’écart s’accentue : de 18 000 (1581-1585), il passe brusquement à 48 000 toneladas (1586-1590), de 18 à 40 %. Une fois, encore, on retrouvera, ici, la très importante cassure des années 1587-1588, terme, avec l’incendie de Cádiz et l'Invincible Armada, d’une période de facilité qui ne reviendra plus.

501587-1588, n’est-ce pas, précisément, la vraie frontière, le véritable terme de cette phase longue d’expansion du second XVIe siècle, au-delà duquel commence quelque chose qui n’est, certes, pas la décrue du XVIIe siècle, mais qui n’est plus, pourtant, l’irrésistible croissance d’antan ?

51Le niveau de la demi-décade 1601-1605 (1601-1605 et non 1606-1610) dépasse légèrement celui de 1581-1585 : 74 000 toneladas au lieu de 73 000 en unités non pondérées, mais, si on tient compte de l’environnement et, plus spécialement, des équilibres internes du complexe, on s’apercevra que la position de 1581-1585 en unités non pondérées, du moins, est plus forte. Des moyennes mobiles situeraient le renversement de la tendance majeure de la courbe des départs des navires marchands de Séville, en toneladas, unités non pondérées, autour de 1585-1586. Au-delà, un plateau creusé, puis une tendance majeure à la baisse, après 1602-1603. En unités pondérées, tonneaux de jauge supposés constants, on aurait une configuration analogue, d’un plateau déprimé bordé par deux crêtes, avec une crête des années 1602-1603, un peu plus élevée, peut-être, que le point précédent de rebroussement de 1585-1586.

52Quoi qu’il en soit, cette expression extrêmement importante de la réalité économique de l’Atlantique espagnol, la courbe en volume (toneladas ou tonneaux de jauge) des navires marchands partant de Séville en direction des Indes, semblable jusqu’à la fin de la demi-décade 1581-1585 à l’ensemble du mouvement Allers, s’individualise à partir de la crise structurelle des années 1586-1588. Du point de vue qui est présentement le nôtre, celui de la justification d’une longue phase intermédiaire entre l’expansion séculaire et la contraction plus que demi-séculaire, c’est cette distorsion des comportements qui importe. La grande crise structurelle de 1586-1591 s’ouvre pour la série des navires marchands de Séville, au départ du complexe, sur un plateau légèrement descendant qui, au-delà de 1620, s’effondre beaucoup plus tôt et beaucoup plus brutalement encore, que la courbe générale.

  • 41 L’originalité, si on veut, de la série marchande de Séville, par rapport à la série globale résult (...)

53En raison du rôle économique, très longtemps pilote, toujours essentiel, des navires marchands partant de Séville : ils constituent la partie riche, la partie dense du trafic ; pendant longtemps, ils ont bloqué la quasi-totalité du mouvement-valeur ; sur ce mouvement, si important, la rupture décisive de pente se situe un peu avant 1592, entre 1586 et 1588. La période de trente à trente-cinq ans, qui va de la crise des années 80/90 jusqu’à 1622, correspond à un plateau, fortement creusé et légèrement déprimé, qui fait transition entre une phase ascendante plus tôt terminée et une phase descendante, sinon fondamentalement anticipée par rapport à son homologue du mouvement global ; du moins beaucoup plus vigoureusement creusée41.

54Il est inutile de souligner l’importance tout à fait exceptionnelle et le caractère tout à fait nouveau de cette discordance. Elle montre, en effet, que dans le Guadalquivir, proprement dit, il y a eu quelque chose de cassé, à la hauteur de la très grande crise structurelle des années 1586-1588.

55Les mouvements désormais discordants des zones et trafics marginaux du Monopole, donneront, cela va sans dire, confirmation de cette vérité.

  • 42 Cf. t. VI1, tables 181, 183, 184, p. 380-392 et t. VII, p. 72-73.

56b. Mouvement caditain. — Le comportement des Caditains42, tout d’abord, est extrêmement instructif. Les exportations de Cádiz par des navires appartenant à des armateurs caditains et partant de Cádiz viennent, en effet, par leur importance économique, immédiatement après ceux de Séville. Au début, si les exportations de Cádiz peuvent être considérées comme de moindre valeur relative que celles de Séville, un moment viendra, peut-être, à une époque qu’il est difficile de préciser, au cours de la première moitié du xviie siècle où il en ira, au contraire, tout à l’opposé. La courbe d’ensemble (semi-décadaire, surtout) des sorties de tonnage marchand proprement caditain présente donc un grand intérêt.

57Or, là encore, la coupure fondamentale ne se situera pas en 1608-1610, mais au début de la période de plafonnement que l’on s’est proposé de retenir. À partir des dernières décades du xvie siècle — on le constatera, non sans étonnement —, la courbe du mouvement caditain est beaucoup plus semblable, dans ses démarches, à la courbe des départs marchands de Séville qu’à celle des Allers globaux.

58Après une montée rapide et saccadée, le mouvement caditain culmine au cours de la demi-décade 1586-1590 (17 000 toneladas), il arrivera à un niveau presque analogue, en 1596-1600 (16 500 toneladas) ; 1606-1610, 1611-1615, 1616-1620 sont sur un plateau presque horizontal, autour de 12 500 toneladas. Une descente vient ensuite, moins rapide, que celle des totaux, d’une allure semblable, toutefois.

59Le retournement de la tendance majeure ici comme pour les navires marchands de Séville, se situe plus tôt que pour les globaux. Des moyennes mobiles donneraient deux points de flexion, autour des années 1586 à 1590, un autre de 1596 à 1600. Entre les deux, un creux. On peut hésiter entre 1586-1590 et 1596-1600. Une chose, par contre, est certaine, 1608-1610 ne signifient rien sur l’expression volumétrique du mouvement caditain, pas plus qu’il ne représentait quelque chose sur la série des marchands sévillans. De 1586-1590 à 1620, le mouvement caditain s’établit sur un plateau légèrement descendant, plus proche, par son allure d’ensemble, de la marche des navires marchands de Séville que de l’ensemble des Allers.

60Deux conclusions, au moins, se dégagent de cette constatation.

61La première, sur la signification de cette grande crise structurelle de 1586-1588. On la retrouve bien ici, au moment attendu : elle marque — on le voit, une fois de plus —, une articulation de première grandeur. Elle ouvre la voie à une période qui n’est plus la phase longue d’expansion du xvie siècle. Cette constatation renforce le choix que l’on a fait de l’articulation du cycle de l’argent de Potosí et de l'Invincible, d’une part et du cycle de la reconstruction, d’autre part, frontière cyclique qui est celle, en outre, d’une grande coupure dans la vie de l’Atlantique.

62La seconde conclusion dépasse également le cadre du mouvement de Cádiz. La défaillance presque simultanée, à la fin du xvie siècle, le renversement dans le même sens des deux articulations commerciales les plus importantes du complexe andalou-canarien renforcera l’impression déjà exprimée : un événement extrêmement important affecte, alors, non pas seulement quelque branche, mais bien l’ensemble du trafic. Entendez le passage de la seconde phase longue d’expansion à une période de stabilisation de consolidation, de progrès partiels et d’essoufflement.

  • 43 Ibid.
  • 44 Ibid., table 186, p. 378.

63c. Mouvements marginaux. — Des Canariens43 et des négriers44, il est difficile de déduire quelque chose dans la mesure où des facteurs extra-économiques viennent jouer.

  • 45 Non sans que cette législation — on a déjà eu l’occasion de s’expliquer sur ce point — ne soit ell (...)

64Les Canariens sont, en effet, soumis à une législation contrariante qui vient troubler le fibre déroulement du mouvement45. La chute du mouvement de 1576 à 1585 est d’ordre législatif, elle traduit un durcissement de Séville à l’égard d’une concurrence jugée dangereuse, au moment où les pondéreux alimentaires d’Andalousie trouvent plus difficilement preneurs sur le marché des Indes. Le point haut de 1591-1595 (très légèrement inférieur, pourtant aux points hauts précédents de 1561-1565, 1566-1570, 1571-1575), correspond à la grande crise du tonnage, entendez le moment où Séville a dû accepter la collaboration de ce marginal du complexe, l’archipel canarien. La fermeture des Canaries au commerce officiel, de 1601 à 1605, traduit-elle une difficulté de Séville en phase de contraction cyclique ? La chute, à partir de 1611-1615, puis la quasi-disparition, au delà de 1626-1630, scande, bien sûr, les plus grosses difficultés de Séville sur l’axe essentiel du mouvement.

  • 46 On pourrait appliquer un raisonnement, en partie, analogue aux Négriers. Là, plus encore, que dans (...)

65Si on admet — ce qui ne fait guère de doute — que l’acceptation des Canaries traduit, en gros, santé économique, prospérité et facilité à Séville, tandis que leur rejet du trafic officiel dénote une crise de difficultés, la période des grandes facilités et des euphories lénifiantes est close au-delà de 1575. De 1575 à 1620, voire 1625-1630, s’ouvre une ère de difficultés croissantes, tandis qu’au-delà, il n’y a plus, à l’intérieur du complexe, que rejet, durcissement et fermeture dans la catastrophe. Le diagnostic est à retenir46.

  • 47 Cf. t. VI1, tables 181-184, p. 380-392 et t. VII, p. 72-73.

66d. Mouvement d’armada. —La courbe des armadas47, véritable négatif des autres mouvements, va donner la clef des précédentes et apparentes contradictions. À ce propos, d’ailleurs, les conséquences que l’on est susceptible de tirer de l’évolution du mouvement d'armada ne sont pas, forcément, tout à fait identiques, d’une période sur l’autre.

  • 48 Cf. t. II à V.

67Deux éléments utiles à la compréhension, sont, toutefois, des données sûres. Dans l’ensemble, les navires d'armada à l’Aller — premier élément — ont une portée économique sensiblement inférieure à la portée économique des autres navires, du moins des navires marchands quittant Séville, en convoi. La signification économique des armadas — second élément — augmente d’une manière à peu près continue depuis le milieu du xvie siècle jusqu’à la fin de notre période. Cette évolution se confond un peu avec celle de l'Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias48, dont le rôle militaire n’aura cessé de céder le pas, relativement devant un rôle économique croissant.

68Un premier coup d’œil sur la courbe des armadas au départ, donne la clef de l’apparente contradiction qui oppose l’évolution des marchands sévillans et caditains à la courbe globale des exportations en direction de l’Amérique : c’est la montée presque continue de la ligne d’armada qui comble le hiatus (un moment viendra, où, entre 1641 et 1645, avec 27 000 toneladas sur 57 000, les armadas représenteront plus de 47 % du mouvement total Allers, alors qu’au même moment, les Allers marchands du Guadalquivir, avec moins de 24 000 toneladas, ne représentent plus guère que 41 % du total). Quelle que soit l’amélioration continue de la densité économique des armadas, il faut considérer, quand même, qu’il y a remplacement quantitatif, certes, mais que ce remplacement n’est pas acquis par une matière qualitativement comparable.

69Jusqu’à la demi-décade 1596-1600, la montée du mouvement d'armada suit, grossièrement, la montée générale du mouvement et l’on peut considérer que ses fluctuations plus courtes expriment assez bien une sorte de coefficient de sécurité dans l’Atlantique espagnol. Soit, par exemple, les deux grandes poussées de 1586-1590 et de 1596-1600, avec, respectivement, un peu moins de 24 000 et de 34 000 toneladas, contre 12 000 toneladas de 1581 à 1585, 19 000 toneladas de 1591 à 1595 et 21 000 de 1601 à 1605. Ces poussées quantitatives du mouvement d'armada correspondent, évidemment, à des périodes de grande insécurité et de pression maximale de la guerre sur la Carrera. Le creux très relatif qui se dessine jusqu’en 1615, voire 1625, est un peu aussi un creux de sécurité relative. Malgré tout, une moyenne très longue, dégageant seulement les grandes tendances, retiendrait le schéma de montée jusqu’à la fin du xvie siècle, de descente, à partir de 1630 seulement. Entre les deux piliers du mouvement (les 34 000 toneladas de 1596-1600 et les presque 40 000 toneladas de 1626-1630), un palier concave et pourtant fondamentalement ascendant, dont le point bas se trouve entre 1611 et 1615 (moyenne semi-décadaire, 18 000 toneladas).

70Là encore, on retrouve entre les deux grandes tendances de l’histoire de l’Atlantique espagnol et hispano-américain, ascendante jusqu’à la fin du xvie siècle, décroissante à partir de 1630, une période intermédiaire d’hésitation et de palier. Il importe, finalement, assez peu que l’on retrouve, ici, entre 1596-1600 et 1620-1630, mais sur 30 ans, ce que l’on retrouve, d’ordinaire, entre 1590 et 1620, cinq ans plus tôt, l’essentiel, c’est, évidemment, que le palier existe. Les armadas, avec toute la ventilation au départ du complexe portuaire, confirment bien la légitimité de la période intermédiaire proposée.

71D’autant plus qu’elle trouve ailleurs encore d’autres titres de noblesse, dans une exportation clef, celle du mercure, dans la répartition du mouvement, notamment, entre grandes directions et provenances fondamentales.

4. Le palier du mercure49

  • 49 Cf. ci-dessous, appendice, p. 1958-1978.
  • 50 t. VIII1, p. 431-434.
  • 51 Cf. ci-dessous, p. 1953-1978.
  • 52 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit, p. 34.

72Il est inutile de redire ce que signifie le mercure50 dans l’économie hispano-américaine. La courbe de consommation globale, telle que nous la proposons51, approche, peut-être, plus encore que la courbe maîtresse des importations officielles des trésors52, la dynamique la plus profonde de l’économie hispano-américaine.

73Or, que dit-elle ? Si on additionne production locale de Huancavelica, importations d’Almadén et, quand l’appoint est nécessaire, d’Idria, on obtient la série décisive. On cherchera vainement sur cette série une articulation quelconque, à la hauteur du retournement de la tendance majeure des globaux totaux, entendez de 1608 à 1610. Deux frontières fondamentales, par contre, la première, au terme de la demi-décade 1586-1590, la seconde, au terme de la demi-décade 1621-1625.

741586-1590 marque le terme incontestable de la première phase longue d’expansion, le point culminant de la consommation mercurielle quinquennale, 52 600 quintales, ne sera plus égalée avant 1611-1615. Une fois encore, nous retrouvons le tournant significatif de la crise des années 1586-1588. Il s’agit donc bien d’un accident, qui dépasse largement le domaine conjoncturel, pour atteindre les structures profondes du trafic.

  • 53 C’est elle qui commande, avec les cinq armées d’anticipation normale, le sommet des importations o (...)

75Mais le sommet bi-séculaire de la consommation mercurielle des Amériques se situe plus tard, entre 1621 et 1625, avec 66 500 quintales ; entre les deux, un vaste plateau concave, dont le creux se situe entre 1601 et 1605, dans les toutes premières années du xviie siècle et dont la tendance majeure est, quand même, descendante, de 1605 surtout, d’une part, première crête de la consommation mercurielle53, 1621-1625, d’autre part, seconde crête et record absolu d’un ensemble bi-séculaire.

76Hétérogénéité, donc, entre l’indice d’activité mercuriel et les volumes globaux des trafics.

5. Hétérogénéité des mouvements au sein des directions et provenances fondamentales

77Cette hétérogénéité nouvelle, au sein d’un groupe de séries qui avaient témoigné, en effet, dans la période précédente, d’une parfaite synchronisation, d’une parfaite homogénéité dans leurs mouvements, va se retrouver dans bien d’autres domaines, à partir de la période distinguée, de plafonnement et de consolidation. C’est évidemment le cas des rapports, au sein du couple Nouvelle Espagne - Terre-Ferme, où l’on pourra dégager quelques-uns des traits les plus intéressants.

  • 54 Cf. t. VIII1, p. 471-474, t. VI1, tables 165-176, p. 364-375. Cf. surtout, table 177, p. 376 et t. (...)

78a. Iles. — Les îles, en effet, pour des raisons qu’on a déjà analysées54, constituent une espèce de volant, une semi-constante.

  • 55 Cf. t. VIII1, p. 472.

79Avant d’en dégager quelques leçons, valables pour une conjoncture même très large, il convient de ne pas perdre de vue cette caractéristique du mouvement du complexe avec les îles : l’infériorité apparente des Allers au profit des Retours, tout simplement, parce qu’une grande partie de la desserte des îles se fait, à partir du milieu du xvie siècle, au moins sur la route du retour, on a vu comment55, par cabotage depuis le continent. Il en résulte que, seul le mouvement Allers des îles est vraiment spécifique, tandis que les Retours incorporent un nombre considérable de navires qui se seront bornés à faire escale aux îles.

  • 56 Cf. t. VI1, tables 165-167, p. 364-366 et t. VII, p. 76, 77, 78, 79.

80À l’Aller, c’est après la grande descente structurelle seulement de 1506-1510 à 1566-1570, que le mouvement des îles va épouser la ligne générale du mouvement global et révéler une certaine conformité aux amplitudes quelque peu atténuées avec la conjoncture la plus large des Allers globaux56.

81Or, — mais ceci sera, tout au plus, à mettre à l’actif du rôle de volant des îles —, depuis 1566-1570, date du terme du mouvement d’effacement des Antilles devant le continent américain dans la vie de l’Atlantique, le trafic des îles calque très étroitement celui des globaux, avec ses points hauts de 1586-1590, de 1596-1600, de 1606-1610. Deux points de rebroussement possibles : 1596-1600, au seuil d’une respiration en creux, 1606-1610 ou plutôt 1606-1615, avec une accentuation assez sensible sur 1611-1615. Malgré tout, ce qui domine, c’est bien la rencontre de deux tendances contradictoires qui se soudent un peu après 1610.

  • 57 Cette impression serait, en gros, confirmée par les Retours (cf. t. VI1, tables 168-170, p. 367-36 (...)

82Cette conformité57, cette très large homogénéité des îles avec la résultante du mouvement soulignera plus vigoureusement la signification des hétérogénéités qui viennent. Elle n’infirme pas la loi d’hétérogénéité des mouvements que l’on a voulu poser pour tenter de définir la période 1588-1592/1619-1622, parce que le trafic des îles, d’une part, n’est qu’un trafic secondaire, parce que cette homogénéité, d’autre part, implique une hétérogénéité avec les deux autres directions et provenances combien plus fondamentales.

83b. Le Couple Nouvelle Espagne - Terre Ferme.

  • 58 Cf. t. VI1, tables 165 à 173, p. 364-372 et t. VII, p. 76, 77, 78, 79.

84Ici, l’hétérogénéité ne se situe plus, entre Allers et Retours d’un même axe de navigation et d’échanges — tout au plus, signalerait-on quelques-uns de ces inévitables décalages dûs au rythme très étiré de rotation des convois — l’hétérogénéité réside entre les directions et les provenances du couple Nouvelle Espagne-Terre Ferme58.

85Les plus grandes distorsions entre les deux mouvements se placent, incontestablement, au cours de notre époque.

86Au cours des trois premières demi-phases longues, les deux directions fondamentales, Nouvelle Espagne et Terre Ferme, avaient suivi un cheminement, en gros, concordant qu’elles imprimaient aux globaux. Au delà de 1585, il n’en va plus, brusquement, de même.

  • 59 Pour les Retours, la situation présente beaucoup d’analogies. Comme à l’Aller, le synchronisme est (...)

87Jusqu’en 1585, en effet, — jusqu’à la grande crise structurelle des années 1586-1588, en réalité, à laquelle il faut, toujours, revenir —, les deux mouvements ont contribué à la seconde phase longue d’expansion du second xvie siècle, d’une manière inégale, certes, et pourtant conforme. La marche ascensionnelle a été emportée par une Nouvelle Espagne de plus en plus motrice. En 1581-1585, par exemple, juste à la veille de la crise structurelle des années 1586-1588, les Allers en direction de la Terre-Ferme ne représentent plus guère que 56,5 % de ceux dont bénéficie, alors, la Nouvelle Espagne. Quoiqu’il en soit, jusqu’à ce point de rupture et de divergence essentielle, les deux mouvements avaient été animés, en gros, par un trend de même direction, sinon de gradient comparable59.

88Or, aussi bien sur les Retours que sur les Allers et, a fortiori, sur les Allers et retours, la cassure, le point de divergence se place autour des années 1586-1588.

  • 60 Même rupture, encore qu’atténuée, en Retours. Les Retours de Nouvelle Espagne passent de 39 500 à (...)

89Entre la demi-décade 1581-1585 et la demi-décade 1586-1590, les Allers en direction de la Nouvelle Espagne passe de 54 000 toneladas à 45 000 toneladas, soit un repli de plus de 16 %, de 1581-1585 à 1586-1590, dans le même temps, par conséquent, les Allers en direction de la Terre Ferme passent de 31 000 toneladas à 57 000 toneladas. Autrement dit, de 56,6 % du trafic de la Nouvelle Espagne, le trafic de la Terre Ferme passe à 126,6 %. Il y a donc plus que doublement du trafic de la Terre Ferme par rapport à celui de la Nouvelle Espagne60, tandis qu’on retrouve le même comportement, un peu atténué, sur les Retours et sur les Allers et retours.

  • 61 En unités non pondérées, du moins, la pondération, toutefois, n’infirmerait pas le reste de notre (...)
  • 62 De l’ordre de vingt-cinq à trente ans.
  • 63 On a observé qu’à une particularité près, le dessin de cette courbe — la série légèrement rabotée (...)
  • 64 Il représente, sur l’ensemble du siècle d’histoire envisagé, pour 40 % de poids, environ, de 58 à (...)

90La seconde distorsion majeure qui apparaîtra sur les mouvements Allers tient à la localisation paradoxale du point culminant des départs vers la Terre Ferme : le point culminant du mouvement Allers-Terre Ferme se situe sur la demi-décade 1586-159061. Une moyenne mobile très longue62 situerait entre 1586 et 1590 le renversement de la tendance majeure des Allers vers la Terre Ferme. Des moyennes plus courtes, serrant donc de plus près la réalité, dessineraient entre 1586-1590 et 1626-1630 un plateau concave légèrement déclinant, creusé autour de 1615, mais curieusement redressé entre 1626 et 1630, sans que cette crête terminale n’arrive à égaler les positions de 1586-159063. Aussi, le mouvement Allers en direction de la Terre Ferme — le mouvement en valeur le plus important64 — se désolidarise, au cours de ces années, du mouvement global. On voit très clairement se dessiner un mouvement en trois grandes phases : jusqu’à la crise structurelle des années 1586-1588, phase ascendante, plateau concave légèrement descendant de 1590 à 1630, brusquement redressé vers la fin, phase descendante rapide, mais à partir de 1630, seulement.

  • 65 En unités non pondérées.
  • 66 Cf. t. VI1, table 129, p. 327.

91Le comportement de la Nouvelle Espagne, depuis la crise de 1586-1588, s’est totalement désolidarisé de celui de la Terre Ferme, avec lequel il se tenait, jusqu’à cette date, pourtant, en union étroite. On retrouvera, ici, une évolution parfaitement conforme à celle des globaux qu’elle commande, manifestement, avec renversement de la tendance majeure, entre 1608 et 161065 et, si on fait intervenir la pondération66, arrêt de l’expansion, encore, entre 1608 et 1610, mais plateau et descente, dix ans plus tard, seulement, après la crise des années 1619-1622. C’est, très exactement, la marche des Allers globaux.

  • 67 On observera, une fois de plus, ta conformité de ccs constatations avec tes données tirées des imp (...)

92Si on pousse l’analyse un peu plus loin encore, on notera, plus précisément, l’étonnante défaillance de la Nouvelle Espagne, entre 1585-1586 et 1595. La Terre Ferme entre alors en ligne de compte. Le coup d’épaule du mouvement global de 1586 à 1590, surtout, les niveaux records de la fin du xvie siècle sont dus à l’action de la Terre Ferme67. Mais la Terre Ferme se dérobe, tout de suite et c’est alors qu’intervient, d’une manière décisive, le grand jeu de la Nouvelle Espagne.

93S’il existe un paradoxal prolongement de la prospérité de l’Atlantique espagnol et hispano-américain, — paradoxal peut-être pas dans un cadre européen, mais, certainement, dans son cadre plus étroitement ibérique — au-delà du terme précis d’un xvie siècle qui déborde largement, ici, sur le xviie siècle — c’est à la Nouvelle Espagne, seule, que ce prolongement est imputable. C’est en Nouvelle Espagne qu’il faudra, donc, le cas, échéant, en chercher les causes.

  • 68 Cf. t. VII, p. 67 et p. 86-87.

94Une courbe semi-décadaire68 exprime, mieux qu’un long discours, cette réalité. Elle détache, en effet, avec beaucoup de vigueur, entre 1595-1596 et 1621-1625, une masse puissante de haut trafic, sur laquelle toute la vie de l’Océan est amarrée. Entre les 35 000 toneladas de 1591-1595, les 44 500 toneladas de 1621-1625 et, a fortiori, le niveau un peu inférieur à 30 000 toneladas de 1626-1630, la masse des hauts niveaux de départs en direction de la Nouvelle Espagne (57 500 toneladas de 1596-1600, 60 000 toneladas de 1601-1605, 61 500 toneladas de 1606-1610, 54 500 toneladas et 58 500 toneladas encore, de 1611-1615 et 1616-1620). C’est cette masse qui est responsable du maintien du mouvement de 1596 à 1620 au très haut niveau que l’on sait.

95Au-delà de 1619-1622, quand, de quelque manière qu’on l’aborde, le mouvemat global des Allers reflue, en résistant pourtant et en ne cédant que pied à pied, la Nouvelle Espagne aura décliné toute responsabilité, laissant, pour dix ans, à la Terre Ferme, le soin de le soutenir à des niveaux très proches des réussites passées. Ainsi donc, pour former entre 1586 et 1630, entre 1596, surtout et 1630, ce pilier de hauts trafics jamais égalés, Terre Ferme et Nouvelle Espagne alternent leurs efforts, sans plus jamais les conjuguer, pourtant, comme elles le firent, jadis, au temps de la deuxième demi-phase longue d’expansion du second xvie siècle : la Terre Ferme est responsable des extrémités, de la verticale montée de la fin du xvie siècle, du report de la débâcle, prévisible dès 1619-1622, au delà de 1630. La Nouvelle Espagne, par contre, contribue à construire la solide ossature de la grande prospérité de 1596 à 1620.

96Ce déphasage des deux trafics est, sans conteste, le fait dominant de la période que l’on s’est efforcé de définir. Il en fixe les limites. Peut-être, est-il commandé, entre autres facteurs, par une espèce de limite physique de la capacité de transport de ce très vieil Atlantique, limite qu’il n’aura pas été possible de dépasser.

97On trouvera une large confirmation de ce point de vue dans les provenances fondamentales. L’extraordinaire indépendance de la Nouvelle Espagne et de la Terre Ferme, vigoureusement soulignée dès la fin de la seconde demi-phase longue d’expansion y est, peut-être, plus claire encore que sur les séries correspondantes des Allers.

98La dépendance des globaux Retours à l’égard des Retours de la Nouvelle Espagne est prodigieuse : toutes les caractéristiques des globaux se trouvent sur les Retours de la Nouvelle Espagne, renversement de la tendance majeure en 1606-1610, dessin vigoureusement appuyé d’un creux, après la crise des années 1586-1588, entre 1581-1586 et 1601-1605. Ce creux imperceptible sur les Retours de Terre Ferme est la simple transposition sur les globaux d’un accident spécifique de la Nouvelle Espagne.

  • 69 On ne pourra qu’être frappé, enfin, de la manière dont se détache le point haut de la demi-décade (...)

99Dépendance tout aussi étonnante qu’est grande, par contre, l’indépendance de la Terre Ferme, vis-à-vis des Retours globaux. Le renversement de la tendance majeure, après une pente ascendante, finalement, d’une grande régularité, ne se produit pas avant 1626-163069. À l’intérieur de la série des Retours globaux, Nouvelle Espagne et Terre Ferme agissant, alternativement, comme elles le font en Allers, sans jamais se rencontrer, se répartissent donc la tâche ainsi, à la tête du mouvement : la Nouvelle Espagne commande le creux de vingt ans qui va de 1586 à 1605, elle est responsable de la localisation de la tendance majeure et des hauts niveaux jusqu’en 1625 ; la Terre Ferme contribue à reculer de vingt ans le commencement de la grande débandade — cette débandade dont, en Retours comme en Allers, la crise des années 1629-1630-1631 donne le signal.

  • 70 Cf. t. VII, p. 76-77.
  • 71 La tendance majeure sur les Allers et retours de Terre Ferme, comme pour les provenances de cet ax (...)

100Sur les Allers et retours, si on se reporte aux graphiques70, on lira immédiatement les corrélations et on en fixe, du même coup, les limites suivantes : entre les courbes des Allers et retours de la Nouvelle Espagne et de la Terre Ferme, indépendance complète ; entre le trafic global en volume avec la Nouvelle Espagne et les globaux Allers et retours, dépendance très étroite, par contre. La courbe générale du trafic reproduit, en l’atténuant quelque peu, le creux 1585-1596-1601 du trafic global avec la Nouvelle Espagne. Elle emprunte à la Nouvelle Espagne le renversement de la tendance majeure, après la crise de 1608-1611. Le trafic global avec la Nouvelle Espagne imprime encore au trafic global Allers et retours cette autre caractéristique, le maintien jusqu’en 1620 d’un palier très élevé. La courbe de Terre Ferme — celle des Allers et retours de Terre Ferme est beaucoup plus calquée sur les Retours que sur les Allers, elle commande sur le trafic global Allers et retours les événements des années 1620. C’est à la Terre Ferme71 que le mouvement global Allers et retours doit de se maintenir, au cours des demi-décades 1621-1625 et 1626-1630, à un niveau élevé, très proche encore du palier record 1606-1620. Au-delà de la catastrophe des années 1629-1631, quand on est vraiment entré au cœur de la phase B du xviie siècle dans l’espace Atlantique hispano-américain, à nouveau, les deux axes fondamentaux du trafic retrouvent une démarche analogue dans ses grandes lignes.

  • 72 On voit facilement sur un graphique (cf. par exemple t. VU, p. 50-51) la différence qui sépare les (...)

101La conclusion, pour les globaux, sera, donc, la même que tout à l’heure, pour les Allers et les Retours des deux grandes divisions continentales du trafic : primat, en gros, de la Nouvelle Espagne, motrice du rythme à plus grande échelle ; indépendance réciproque des deux grands trafics. Les limites chronologiques de cette longue période de déphasage : 1586 et 1630, bordées par les crises structurelles de 1586-1588, d’une part, 1629-1631, d’autre part72, sont celles-là mêmes, à peu de choses près, un peu plus larges, que l’on préconise pour la période longue d’hésitation et de plateau que l’on propose d’insérer entre la dernière phase longue d’expansion et la phase longue de contraction.

L’ALLURE GÉNÉRALE DU MOUVEMENT

102On a proposé de placer la période centrale, qui couvre la fin du xvie siècle et le début du xviie, sous le signe des hésitations et de la dispersion des indices. La résultante de ce comportement est une rupture de pente, un freinage dans l’évolution des mouvements généraux. Ce ne sont point tant d’ailleurs, les niveaux entraînés par une partie seulement des composantes du mouvement, souvent contrariés par les autres éléments constitutifs, que les accélérations qui sont en cause. Même si, entre l’accident initial des années 1588-1592 et le renversement, entre 1608 et 1611, de presque toutes les tendances majeures, le mouvement ascensionnel reprend, ce ne sera plus, désormais, à la même cadence. Il y a quelque chose de brisé dans le dynamisme du trafic et cela, il faut bien le reconnaître, bien avant le renversement vrai de la masse globale du trafic, dix ans, quinze ans, vingt ans plus tôt, déjà. Si bien qu’à la place d’une tendance ascendante vigoureusement marquée, on n’a plus, désormais, qu’un gros bombement hésitant et quelque peu essoufflé.

103Cet essoufflement résulte, on l’a vu, de l’indépendance nouvellement acquise des principaux éléments constitutifs du mouvement, à l’intérieur du trafic. Mais cette période de trente ou de quarante ans, suivant le critère adopté, a d’autres raisons d’être, elle est bien délimitée par des accidents irrécusables, parce que les mouvements globaux y sont presque étales et que l’accélération de la pente, tant ascendante, d’abord, que descendante, ensuite, demeure très faible.

1. Les limites de la période

104Elles sont, hâtons-nous de le dire, suffisamment marquées pour n’être pas sujettes à caution, aussi nettement dessinées au début qu’à la fin.

a. Le creux initial

105Au début de la période centrale du renversement des tendances que l’on a proposée d’ajouter aux quatre grandes articulations conjoncturelles évidentes de ce siècle et demi d’histoire, un creux extrêmement bien dessiné constitue une frontière sûre.

  • 73 Cf. ci-dessus, p. 527-672.

106Le creux initial des années 90 est, à peu de choses près, de l’ordre presque de la récession intercyclique du demi xvie siècle. Par ordre d’importance, il vient immédiatement après la récession, avant même le simple ralentissement de la décade 1572-1583073.

  • 74 Cf. ci-dessus, p. 257-352.

107À la différence, toutefois, de la récession intercyclique des années 1551-156274, la récession initiale du plateau central est imputable, seulement à la brusque déroute du tonnage unitaire des navires, elle n’apparaîtra pas, par conséquent, sur l’expression unitaire du mouvement, mais seulement sur les tonnages.

  • 75 Cf. ci-dessus, p. 767-840.

108L’existence et l’importance de cet accident ne sont pas absolument neufs pour nous, puisque nous en avons rencontré quelques formes, lors de l’étude de la dernière fluctuation primaire (de 1588 à 1592) du cycle de l’argent du Potosí et de l'invincible Armada75.

109L’accident en creux est d’importance fort inégale suivant qu’on se tourne vers les Allers ou vers les Retours.

  • 76 Cf. t. VI1, table 139, p. 337.
  • 77 Cf. t. VI1, table 143, p. 311.
  • 78 Cf. les 13 000 et les 12 710 toneladas des Allers globaux de 1506-1510 et 1511-1515, moins de 10 0 (...)
  • 79 Il n’en est pas moins vrai que tant en chiffres absolus qu’en valeurs relatives, on ne retrouverai (...)
  • 80 Le décrochement est uniquement imputable (cf. t. VI1, table 13 et 139, p. 168 et 337, cf. t. V II, (...)

110Allers. — Il peut être commode de commencer par le découpage semi-décadaire76. Il est rassurant, en raison même de son caractère arbitraire, parfaitement à l’abri de toute manipulation ou pré-supposition d’histoire conjoncturelle. Le décrochement qui oppose la demi-décade 1591-1595 à la demi-décade de 1586-1590 est un décrochement record, sans précédent, en chiffres absolus. Le repli de 17 000 toneladas (de 114 500 tonneaux à 97 500 tonneaux77, est exactement du même ordre en unités pondérées. Le terrain perdu, d’une demi-décade sur l’autre, n’excède-t-il pas le niveau même du mouvement des premières années78 ? En chiffres absolus, il dépasse même les deux seuls précédents possibles, un peu moins de 15 000 toneladas de 1546-1545 à 1551-1555, au début de la grande récession intercyclique du demi-xvie siècle, les 12 000 toneladas de 1551-1555 à 1556-1560. L’avantage serait plus net encore, si on faisait intervenir la pondération. On n’aurait plus, alors, face à un repli de 17 000 tonneaux qu’à aligner, respectivement, des reculs de 10 000 et 9 000 tonneaux au cours de la récession intercyclique du demi-xvie siècle, prise comme terme de référence. Pour rendre au creux des années 50 sa véritable prééminence sur tout autre accident comparable, il faudrait faire intervenir des décrochements non plus en valeurs absolues mais en valeurs relatives. Le décrochement de 1591-1595 par rapport à 1586-1590, de l’ordre de 14,75 %, est, dans ces conditions, en effet, sensiblement inférieur au décrochement relatif de 20 % qui oppose 1546-1550 à 1551-1555 et les 18,75 % de 1556 à 156079. Le décrochement de la récession des années 1590 est moindre que le terme de référence du demi-xvie siècle si on considère non plus seulement le rapport 1546-1550/1551-1555, mais si on lui substitue le rapport 1546-1550/1556-1560. On aurait ainsi, face aux 17 000 tonneaux et aux 14,75 % du creux de 1591-1595, les 21 000 tonneaux et les 38 % de décrochement relatif de la grande récession. Il n’en demeure pas moins, que même sur les Allers, le décrochement qui se produit, à contre courant, de la demi-décade 1586-1590 à la demi-décade 1591-1595, est le plus important, immédiatement après celui de la grande récession des années 5080.

  • 81 Cf. t. VI1, tables 144 sq., p. 342 sq. et t. VII, p. 50 sq.
  • 82 Cf. moyennes de treize ans et de onze ans en pondérés et en non pondérés.
  • 83 Cf. t. VI1, tables 151 sq., p. 348.
  • 84 Cf. ci-dessus, p. 827-840.
  • 85 À cheval entre le cycle 1529-1592 et 1593-1604.

111La plupart des moyennes mobiles81 accusent un net temps d’arrêt dans leur rythme ascensionnel, un plateau de 6 à 7 ans, à la hauteur attendue des années qui suivent la grande débâcle de 1588. Ce plateau est particulièrement sensible, dans la gamme des moyennes longues82, sur la moyenne de onze ans en unités non pondérées. Les moyennes plus courtes83, par contre, cinq ans et au-dessous, accusent non plus un simple plateau, mais un véritable creux et une vigoureuse contre-pente qui ne laisse pas de doute sur la réalité objective de l’accident. La position des années 1591 et 159284 entraîne dans son mouvement toute la dépression85.

  • 86 Cf. t. VI1, table 139, p. 337.

112Retours. — Sur le mouvement Retours, en volume, par contre, l’accident revêt une ampleur qui égale en tous points la grande récession du demi-xvie siècle (en unités non pondérées, du moins)86.

113Plus encore que sa profondeur, c’est l’épaisseur, l’étendue dans le temps du creux qu’il faut considérer.

  • 87 1586-1590 : 77 000 toneladas ; 1591-1595 : 65 000 toneladas ; 1596-1600 : 77 000 tonetoneladas ; 1 (...)

114Sur ce point, le découpage semi-décadaire — dont on a dit, souvent, la signification, en raison même de son arbitraire, qui le met parfaitement à l’abri de toute présupposition involontaire —, fournit un témoignage irrécusable. Sur la courbe des volumes exprimés en unités brutes, soit 84 000 toneladas, le niveau atteint entre 1581 et 1585 (entendez au cours de cette demi-décade, qui précède juste les accidents en chaîne de la guerre hispano-anglaise, incendie de la flotte de Nouvelle Espagne par Drake à Cádiz, énorme ponction causée par l'Invincible Armada) ne sera pas dépassé avant le laps de temps d’un quart de siècle, très exactement de 1606 à 1610 (100 500 toneladas)87

115Ainsi, — ces chiffres le montrent —, le creux des années 1586-1605, sur le mouvement Retours l’emporte sur la récession du demi-xvie siècle. En valeur absolue, bien entendu, mais, ce qui est plus important encore, en valeur relative, dénivellation négative de près de 23 % d’un côté (position de 1581-1595 par rapport à 1581-1585), moins de 18 % de l’autre (position de 1556-1560 par rapport à 1546-1550) et, ce qui est presque plus important encore, par la largeur du creux : quatre demi-décades en contrebas après le niveau record de 1581-1586, contre trois, seulement, après 1546-1550. Même compte tenu de la pondération, le creux des Retours, de 1586 à 1605, serait encore à égalité avec celui des années 50. Un accident de cette ampleur constitue une limite conjoncturelle majeure tout indiquée.

  • 88 La prise en compte ou non de la pondération modifie beaucoup plus sensiblement, en Allers et retou (...)

116Allers et retours. — Les Allers et retours ont, comme toujours, une position intermédiaire88. La demi-décade 1591-1595, de toute manière, se situe brutalement en contre-bas, à 29 000 toneladas ou 29 000 tonneaux, soit 15,25 % en moins. 1595-1600 et 1601-1605, en toneladas, surtout, avec 199 500 et 197 500 toneladas (191 000 toneladas en 1586-1590 et 162 000 en 1591-1595), sont très en retrait par rapport au trend de tout ce siècle d’expansion.

117Le creux initial de la zone de plafonnement de la fin du xvie siècle et du début du xviie y est donc un peu moins violemment dessiné que sur les Retours. Mais il est absolument sans autre équivalent dans tout le mouvement, exception faite de la grande récession du demi-xvie siècle.

  • 89 Cf. t. VI1, tables 146-147 à 158, p. 344 à 355 et t. VII, p. 50-51.

118La confirmation des moyennes mobiles. — Ceci est tellement vrai que l’accident en creux persistera, quelles que soient les méthodes de rabotage du mouvement employées89.

  • 90 Cf. t. VI1, tables 144 sq. ; t. VII, p. 50 sq.
  • 91 Cf. t. VI1, tables 154-155, p. 351-352, t. VII, p. 50-51.
  • 92 L’expérience a révélé qu’elle fournissait le rabotage le plus efficace ; en outre, la pondération (...)

119Pour les Retours, par exemple, un trou extrêmement profond est dessiné, d’autant plus profond, bien sûr, que la moyenne sera plus courte, mais qui résiste à des moyennes de onze et treize ans90. Sur une moyenne de treize ans en unités pondérées91 — la moins contestable, peut-être92 — : la montée se fait hésitante dès 1581, la série passe par un sommet en 1583, se place sur un plateau bas en retrait de plus de 10 % de 1587 à 1595 et le niveau haut précédent effleuré en 1596 n’est vraiment dépassé qu’en 1598.

  • 93 Ces vérifications ne sont pas limitatives.
  • 94 Cf. t. VI1, table 145, p. 343 et t. VII, p. 50-51.
  • 95 Cf. ci-dessus, p. 773-776.

120Toutes les autres moyennes mobiles confirment ces résultats93. On peut, en se reportant au tome VI, le constater, sur des moyennes de onze ans et de treize ans, en unités pondérées, ou non pondérées. Il y a hésitation dans une pente, jusqu’ici, uniformément ascendante, à partir de 1581, point culminant en 1583. 1581 et 1583 ne sont plus égalés avant 1601. Le fond du creux de 1592 est de près de 30 % en contre-bas, par rapport à 1581 et 158394. Convient-il de rappeler, enfin, que la moyenne annuelle en tonnage des Retours95, lors de la fluctuation primaire (1588 à 1592) ne représentait plus que 49 % de celle de la fluctuation précédente 1584-1587 ?

  • 96 Cf. t. VI1, tables 154-155, p. 351-352, t. VII, p. 50-51.
  • 97 Cf. t. VI1, tables 157-158, p. 354-355 et t. VII, p. 50-51.
  • 98 Presque aussi profond en écarts relatifs, car en valeurs absolues, il la dépasse, amplement, cela (...)

121Les Allers et retours occupent, évidemment, une position intermédiaire. La contrepente que l’on observait partout sur la série des Retours est remplacée par un plateau sur la série des Allers et retours en tonnage traitée par les moyennes les plus longues. Sur les moyennes de treize ans en unités pondérées, moyennes les plus longues. Sur les moyennes de treize ans en unités pondérées96, par exemple, la pente ascendante est très faible, presque nulle ; elle est marquée de nombreuses hésitations et contre-courants de 1582 à 1593, elle fait contraste avec les dix ans qui précèdent. Sur les moyennes de onze ans (unités non pondérées) : le palier est absolument horizontal. Le ralentissement dans l’accélération est sensible depuis 1574, le palier commence en 1581, la contre pente en 1584, elle est descendante jusqu’en 1594, le point haut de rebroussement de 1584 n’est dépassé qu’en 1596. C’est évidemment, sur les moyennes les plus courtes qu’on saisira le mieux l’ampleur de l’accident, les moyennes de cinq ans sur unités pondérées, par exemple97. Le creux qu’y dessinent les années 90 est presque aussi profond98 que celui des années 50. 1592 (écart record dans ce sens pour toute la période : il est dépassé seulement, lors de la catastrophe séculaire, par la position de 1640 par rapport à 1636) est à plus de 27 % en retrait par rapport à 1587, le précédent point haut — contre 38 % pour 1555 par rapport à 1550. D’un ordre relativement comparable pour la profondeur du creux, la dépression des années 90 est toutefois moins large. Après huit ans, 1596 égale 1587 ; dix ans après, 1598 le dépasse. Il avait fallu dix-huit ans pour qu’il en fût de même, lors de la grande récession du demi-xvie siècle.

122Quoiqu’il en soit, toutes ces mesures confirment le fait suivant. La profonde dépression des années 90, n’est pas une dépression cyclique ordinaire, c’est un accident de toute première grandeur, une crise de structure. Ne brisent-elles pas des équilibres anciens, n’amènent-elles pas le remplacement, de fond en comble, du matériel naval et la substitution, pour un temps, de la Nouvelle Espagne à la Terre Ferme au tout premier rang des axes du trafic ? Une crise aussi importante que celle des années 90 contribue fortement à détacher la période postérieure de la seconde phase longue d’expansion qui la précède.

b. La rupture de pente finale

123Le terme de la phase centrale du renversement de la tendance est aussi clairement marqué sur les différentes expressions volumétriques du trafic dans l’Atlantique que son point de départ : l’expression seule en est différente. Il ne s’agit plus, ici, d’un vaste creux dessiné à contre courant sur une phase ascendante, mais d’un véritable renversement de la tendance majeure, d’un prodigieux effondrement, tout d’un coup, du niveau des volumes. Tout au plus, peut-on hésiter sur le terme à choisir : crise de 1619-1622, crise de 1629-1631. Entre ces deux dates, quelque chose s’est produit, la grandeur du plus vieil Atlantique de Séville est révolue.

124L’effondrement le plus spectaculaire ne se place pas à la même date, selon les axes du trafic envisagés. Il est plus tardif pour les Allers et les globaux que pour les Retours.

125Retours. — Pour les Retours, dont la tardive montée a prolongé, au-delà de 1608-1610, l’apparente prospérité de l’Atlantique hispano-américain, l’effondrement est annoncé entre la première et la deuxième partie du cycle 1622-1631. En effet, en vertu de l’alternance qui a présidé, jusque-là, au cheminement du mouvement, on serait en droit d’attendre de la demi-décade 1626-1630 qu’elle dépasse la demi-décade 1621-1625, de même que 1616-1620 l’avait fait de 1611-1615 et 1606-1610, de 1601-1605. 1626-1630 est nettement décroché, par contre, par rapport à 1621-1625.

  • 99 Cf. t. VI1, table 139, p. 337 ; t. VII, p. 47.
  • 100 Cf. t. VI1, table 13, p. 168, de 247,1 toneladas à 318,82 toneladas, de 296,3 tonneaux à 382,5 ton (...)

126Sur le mouvement unitaire99, le décrochement tourne à la débandade, de 317 navires mis en cause, sur le chemin des Retours de 1621 à 1625, ou passe à 246 unités de 1626 à 1630, soit le plus faible depuis quatre-vingt-dix ans, (227 en 1536-1540). Le repli est de l’ordre de plus de 25 %. Il sera en partie masqué par une augmentation sensible du tonnage moyen des navires100. Pourtant, de 1621-1625 à 1626-1630, les Retours passent de 88 000 toneladas à 80 000 (de 105 000 à 97 000 tonneaux), soit un recul de 10 %. On est ramené, déjà — en tonnages exprimés en unités non pondérées, du moins — à la hauteur du creux des années 90 et l’incident prend toute sa valeur en raison de la rupture d’alternance qu’il implique. Sur le mouvement des Retours, à la différence des Allers, la demi-décade de 1626-1630 annonce déjà très clairement la défaite qui, là comme ailleurs, est consommée, cinq ans plus tard, entre 1626-1630 et 1631-1635.

127Le recul, entre 1626-1630 et 1631-1635, du mouvement unitaire est un peu inférieur à celui qui sépare 1626-1630 de 1621-1625, de 246 à 192 unités, soit 18,9 % au lieu d’un recul de 25,2 %, précédemment. En tonnage, par contre, c’est bien, cette fois, le véritable anéantissement, de 80 000 à 52 500 toneladas, de 96 000 à 63 000 tonneaux, le décrochement négatif de plus de 33 % est, la chose va sans dire, le décrochement record, sur les Retours, de toute la Carrière des Indes. En dix ans, entre la demi-décade 1621-1626 et la demi-décade 1631-1635, la descente a été de près de 40 %. On voit nettement où se place la flexure. Le tonnage des Retours de 1631-1635 exprimé en toneladas est inférieur à celui de 1566-1570, voire à celui de 1546-1550. Le mouvement Retours s’est installé, virtuellement, sur un palier qu’il ne quittera plus, désormais, jusqu’en 1650 (moyenne semi-décadaire de la période 1636-1650 : 53 000 toneladas), soit comparable au niveau de la demi-décade 1631-1635 et partant, des vingt années qui vont de 1631 à 1650.

128Allers. — La débandade des Retours, si elle ne se produit pas avant la charnière de la crise 1630-1631, était préparée déjà, une demi-décade plus tôt. Il n’en va pas de même des Allers, qui résistent avec un certain succès, très exactement, jusqu’à la crise des années 1630-1631.

  • 101 Cf. t. VI, table 139, p. 337 ; t. VII, p. 47.

129Comme pour les Retours, la débandade aura été masquée, pendant un temps, par l’accroissement du tonnage unitaire des navires. Seule, d’ailleurs, une grosse augmentation du tonnage unitaire, entre 1616-1620 et 1626-1630, retarde l’avènement d’une catastrophe dont les mécanismes sont bien mis en place depuis la grave crise des années 1619-1622. De 1616-1620 à 1621-1625, en effet, le mouvement unitaire des Allers101, passant de 533 à 458 unités, baisse d’un peu plus de 14 % de 1621-1625 à 1626-1630, on est à l’instant de la débandade maximale, de la rupture par excellence ; de 458 unités, le niveau unitaire des Allers passe à 342, soit un repli de plus du quart, puis de 1626-1630 à 1631-1635, un repli moindre, cette fois, de près de 12 %.

  • 102 En unités non pondérées, 1631-1635 est très en dessous du creux 1591-1595, en dessous même de 1576 (...)

130Mais, c’est entre 1626-1630 et 1631-1635, seulement, qu’un fléchissement passager du tonnage unitaire, s’ajoutant à une légère chute cumulative du nombre des navires, provoque la grande brisure structurelle de la crise des années 1630-1631, avec une chute de 22 000 toneladas (de 104 000 à 82 000 toneladas, de 125 000 à 95 000 tonneaux), soit un décrochement volumétrique de plus de 21 %102. Il sera suivi d’un effondrement plus important, encore, entre 1636-1640 et 1641-1645. À la différence de ce qui se produit pour les Retours, où la descente se fait d’une seule pièce, elle a lieu, ici, en deux temps.

131Allers et retours. — La situation est analogue pour les globaux. Là aussi, le mouvement unitaire cède avant les tonnages, en raison de l’action contrariante du gonflement poursuivi du tonnage unitaire moyen. Le véritable effondrement du mouvement unitaire se place au milieu du cycle 1622 1631, entre la première et la seconde partie de la fluctuation. Certes, il y avait déjà eu repli, de 1616-1620 à 1621-1625 de l’ordre de 10,6 % sur le mouvement unitaire (de 867 navires à 775 unités), certes, il y aura encore repli de 1626-1630 à 1631-1635, de l’ordre d’un peu moins de 14 % (de 579 navires à 494 unités), mais la véritable rupture se place plus tôt, entre 1621-1625 et 1626-1630, avec un décrochement négatif de l’ordre, cette fois, de 25 % (repli de 775 navires à 579 unités).

  • 103 La première moitié de la décade donnait le niveau bas, tandis que la deuxième moitié constituait l (...)

132Cette brisure symptomatique se retrouve sur l’évolution des tonnages, en raison du comportement particulier déjà souligné du tonnage unitaire, quelque cinq ans plus tard. Entre 1621-1625 et 1626-1630, on assiste, quand même, à un léger tassement des tonnages, d’autant plus probant qu’il vient rompre une alternance, entre niveau bas et niveau élevé103 qui semblait prévaloir, sous forme de loi, dans la Carrera, depuis 1586-1590. Le passage de 190 500 à 184 500 toneladas est, dans ce sens, beaucoup plus insolite — partant, significatif — qu’il y pourrait paraître tout d’abord (soit un recul relatif, 3,3 % seulement, de 230 000 tonneaux à 221 000 tonneaux). Il prépare à la rupture définitive, au changement structurel de niveau qui se produit entre la demi-décade 1626-1630 et la demi-décade 1631-1635. De 184 500 toneladas, on passe à 137 000 toneladas après une chute jamais égalée, sur les Allers et retours, de l’ordre de plus d’un quart, confirmée par le maintien, pendant dix ans, du trafic sur le même niveau. Un dernier gradin descendant est franchi entre 1636-1640 et 1641-1645, mais combien plus modeste, de 17,3 % seulement.

  • 104 Cf. t. VI1, tables 144 sq. p. 342 sq. ; t. VII, p. 50-51.

133L’examen des différentes moyennes mobiles confirmerait cette impression ; il permettrait même de préciser davantage. En effet, les moyennes longues de 13 et 11 ans, sur unités pondérées ou sur unités non pondérées104, laissent apparaître nettement deux grandes articulations : un premier point de rebroussement délimité, ce que l’on pourrait appeler la fin du haut plateau, il engage ce mouvement sur une pente délibérément descendante. Il est situé aux alentours de la crise 1619-1622, pour les Allers et les Allers et retours, quelques années plus tard peut-être, pour les Retours. Après une pente descendante moyennement accélérée sur quelque sept à huit ans, se produit autour de 1630, — correspondant donc, à la crise des années 1630-1631, — un nouveau point de rebroussement. A la pente modérée des années 20, succède désormais la pente extraordinairement glissante des années 30 et 40.

134La masse centrale du mouvement, que nous avons voulu séparer de la seconde phase longue d’expansion, nous est apparue se caractériser, d’abord, par une dispersion interne des principales tendances des éléments constitutifs. Raison de plus, elle apparaît sur les courbes volumétriques les plus importantes et les moins subjectives, nettement détachée du reste du trafic. Le premier terme n’est pas douteux. Tout au plus, pouvait-on hésiter, pour en marquer la fin, entre 1619-1622 et 1630-1631. La première des deux dates possibles a semblé préférable pour des raisons qui apparaîtront clairement dans les analyses ultérieures du mouvement. Mais il y a bien d’autres raisons encore, tout de suite évidentes, qui pouvaient inciter à la division choisie et, tout d’abord, le fait que dans les limites que nous lui avions assignées, cette période de trente ans, de 1592-1622, est tout entière placée sous le signe du plafonnement.

2. Essoufflement, plafonnement et rupture d’accélération

135Unité de la période 1592-1622, avions-nous proposé. On aurait pu tout aussi bien arguer de ses contradictions, revendiquant 1592-1608-1610 pour la seconde phase longue d’expansion ; 1608-1610-1622, par contre, pour la phase longue de contraction du xviie siècle. La démarche serait légitime, à plus d’un égard. Et pourtant, si on substitue à la notion de niveaux vrais, celle de croissance, aux courbes, leurs dérivées, on s’apercevra que ce dernier tronçon d’une phase longue ascendante et ce premier tronçon d’une phase longue descendante se retrouvent sur un point : leur très faible pente, l’accélération médiocre des mouvements qui les animent. Cette simple constatation risque, par elle-même, de nous mettre, déjà, sur la voie d’une explication.

136On pourrait fournir de cette assertion une variété presque infinie de démonstrations. Les mouvements semi-décadaires constitueront, à cet égard, une première prise de position commode. Il suffit de comparer, par exemple, la pente de la phase ascendante de notre période (1588-1592/1608-1610), avec celle de la seconde phase longue d’expansion. Avec la seconde phase longue d’expansion, de préférence à la première que l’on pourra toujours récuser, puisqu’elle bénéficie, a priori, de la période d’ascension facile à l’exponentielle qui caractérise toujours une activité économique à ses débuts. La comparaison valable entre 1592-1608-1610 et 1560-1592, entre 1608-1610/1619-1622 et 1619-1622-1650 pour la phase de contraction montrera, sans difficulté, l’ampleur du changement de pente.

  • 105 Première méthode, grossière, mais peu contestable : comparer, par exemple, la pente des mouvements (...)

137On peut dire, en gros et en simplifiant à l’extrême — toutes les méthodes employées (comparaisons sur semi-décadaires, moyennes mobiles, mouvements vrais en toneladas, en tonneaux, mouvements unitaires105) donnant des résultats analogues — que l’accélération des mouvements Allers, Retours, globaux Allers et retours, en volume, est de plus de moitié inférieure, aux pentes respectives du mouvement, avant et après, ascendante, pendant la seconde phase longue d'expansion du xvie siècle, descendante au cours de la phase B du xviie siècle.

  • 106 Ces crises cycliques qui sont, aussi, on l’a.vu, de véritables crises de structures.

138Et c’est là, sans doute, que réside la caractéristique majeure de la période. En face des phases de modifications rapides qui l’encadrent, la marée du mouvement est étale au cours des trente ans qui vont de 1590 à 1620. Cette notion d’étalement permet de préciser les limites de cette phase médiane que l’on propose d’introduire dans l’histoire de la Carrière des Indes : elle conseille, en effet, pour demeurer fidèle à cette notion de pente uniformément faible, d’éliminer la période 1622-1631 et de limiter la phase centrale du mouvement aux termes marqués par les crises cycliques respectives de 1592 et 1622106. Seule, la combinaison de plusieurs facteurs permet, en conséquence, de fixer, avec certitude, les limites chronologiques d’une phase. Quand on s’est trouvé placé en face de ces accidents que sont les crises de 1619-1622 et de 1630-1631, on a pu hésiter : on aurait pu préférer, en effet, 1630-1631, parce que de plus grande ampleur, comme terme de la phase centrale du mouvement. C’est alors qu’un second facteur est intervenu : l’accélération. Si on accepte, en tant que principe d’unité de cette quatrième grande phase, la quasi-annulation de la pente des mouvements, ou, si l’on préfère, une simple succession de fluctuations cycliques presque interchangeables à la résultante pratiquement nulle, la crise de 1622 constitue un terme meilleur.

II. — ESSAI D'INTERPRÉTATION

139On s’est borné, jusqu’ici, à constater, définir, et délimiter. Il importe, désormais, reliant entre elles ces diverses constatations, de poser les bases d’un essai d’interprétation.

LES FACTEURS POLITIQUES

140Les trente ans que les crises de 1592 et de 1622 délimitent, dans l’Atlantique espagnol, correspondent, en gros, à une période de conflits finissant, suivie d’une période de paix relative. C’est dans cette période de paix relative que l’apogée du trafic, d’un trafic privé de ses forces entraînantes, vient logiquement s’inscrire.

  • 107 F. Braudel, Méditerranée, op. cit., p. 495.

1411585 a marqué, on s’en souvient, le début de la grande bataille de l’Atlantique, tout comme elle est l’année des premières velléités de fermeture de la Péninsule au commerce hollandais107. A la course endémique française, musulmane — courses localisées, au vrai — au conflit avec les « Gueux », est venue s’ajouter, alors, la grande guerre maritime contre l’Angleterre. Ce n’est pas pur hasard, si le conflit — les causes en étaient anciennes et, juridiquement, elles dataient de loin — a passé par un paroxysme au moment même où le trafic atteignait les points culminants de tout un siècle. Sans doute, les énormes richesses véhiculées entre Séville et l’Amérique auront-elles exercé une séduction irrésistible. Et ce n’est pas pur hasard, non plus, si, après avoir résisté, de longs mois, au poids de la guerre, cette prospérité du second Atlantique espagnol s’écroule, plusieurs années durant, après l’effort malheureux de 1588.

  • 108 Ibid., p. 496-498.

142Mais en 1592, le plus gros du conflit est dépassé. Certes, il y aura encore les gros raids dévastateurs de 1596, il y aura le long développement du conflit hispano-néerlandais, qui glisse de plus en plus de la terre sur la mer. Ce sont les mesures de 1595 et de 1599108. Au vrai, pour maritime qu’elle soit, l’attaque hollandaise se déploie, ailleurs, dans l’océan Indien, en dehors des limites de l’espace de Séville et de l’Amérique. C’est plus tard, beaucoup plus tard, après 1621 seulement, que l’attaque hollandaise de l’océan Indien se sera déplacée en direction de l’Atlantique.

  • 109 Dès 1596, on notait déjà à travers les faits discutés par la correspondance de la Casa de la Contr (...)

143La série des traités qui marquent la fin du règne de Philippe II et les premières années du règne de Philippe III : traité de Vervins (2 mai 1598), traité de Madrid (août 1604), la Trêve de Douze ans (9 avril 1609) entérinent l’événement, qu’ils suivent presque toujours d’assez loin. Jacques Ier, par exemple, n’aura fait pratiquement que liquider un conflit qui, depuis huit ou neuf ans109 déjà, était désamorcé, par suite de la fatigue des belligérants.

144Il existe entre le ralentissement du trafic, d’une part et l’exaspération des conflits, d’autre part, une corrélation certaine. Il existe, également, une corrélation non moins certaine entre la reprise du trafic et la décroissance des conflits ou, si on veut, l’installation de l’Atlantique dans une période de paix relative... qui se produit dès la fin du XVIe et dans les toutes premières années du xviie siècle. Les corrélations sont évidentes, leur sens exact est plus difficile à démêler.

  • 110 Cf. ci-dessus, p. 767-810.
  • 111 Cf. ci-dessus, p. 808-810.

145A priori, tout paraît simple : les énormes destructions et les pertes considérables causées par la guerre maritime, tout d’abord, ont été la cause essentielle de la grande chute du trafic qu’on a observée dès la dernière fluctuation primaire du cycle de l’argent du Potosí et de l'Invincible Armada110. C’est dans ce sens, que nous avons insisté, nous-mêmes le moment venu, c’est dans ce sens aussi que la relation est la plus évidente. Elle ne se sera pas exercée pourtant, à sens unique. Elle aura joué, aussi, en sens inverse. L’extraordinaire altitude du mouvement atteint autour de 1585 — on peut l’avancer presque légitimement — aura été une cause de guerre par les convoitises que la réussite espagnole, active et décidée, a suscitées en Angleterre, par les facilités que ces hauts niveaux de prospérité auront offert à la guerre. Contre-épreuves, en quelque sorte, de cette assertion : la guerre amène moins une chute qu’une transformation du trafic111. La mise en parallèle des mouvements, en volume et en valeur, le prouve. Ainsi donc, la guerre, en partie provoquée, ou, du moins, rendue possible par les niveaux-records du trafic autour de 1585, contribue d’une manière décisive, en tête de plusieurs facteurs, à creuser le grand creux frontière des années 90. Schéma plausible d’interréactions entre le « politique » et « l’économique ».

  • 112 Cf. t. VI2, table 611, p. 871 et ci-dessus p. 1253-1352.

146Ce schéma est valable pour les toutes premières années, seulement, de la période du plateau des trafics. Un autre schéma doit être proposé pour les années suivantes. Le retour progressif à la paix, les conditions particulièrement favorables, sous cet angle, des vingt premières années du xvie siècle auront permis la reprise du mouvement ascendant du trafic. Il est à noter que les niveaux records se placent à un des instants les plus calmes, à un moment de navigation particulièrement sûre et tranquille112.

147Le plateau record 1608-1610 correspond à la liquidation du dernier conflit susceptible d’avoir une incidence sur l’Atlantique, la conclusion avec les « rebelles du Nord » de la Trêve de Douze ans en 1609. Officiellement — cela ne lui est pas arrivé depuis de nombreuses années — et, en fait, l’Espagne est en paix avec tout le monde chrétien, l’Atlantique bénéficie, c’est certain, de cette situation juridique nouvelle. Si la poussée guerrière a contribué à la chute du trafic, il est difficile de ne pas admettre que le retour à la paix ait facilité la reprise du mouvement ascensionnel. On dirait plus volontiers que des conditions politiques et militaires exceptionnellement favorables ont facilité la reconstitution de niveaux élevés, malgré des conditions économiques moins bonnes, d’un mouvement qui continue sur sa lancée, coupé, peut-être, déjà, de ses moteurs, mais favorisé par un terrain brusquement dégagé. Ce schéma — celui qui contient, vraisemblablement, la plus grosse part de vérité— prolonge le schéma précédent de la guerre, cause de l’effondrement et des transformations, de 1588 à 1592.

  • 113 Conjonctures moyennes. Affirmation paradoxale si on se réfère aux niveaux, les niveaux records de (...)

148Là encore, la corrélation joue dans les deux sens. Si la paix a favorisé la reprise, l’effondrement qui la précède, le poids, finalement, d’un commerce difficile aura facilité la paix, en contraignant, entre autres, l’Espagne à quelques concessions dont la reconnaissance implicite des « Rebelles » est la plus spectaculaire. La guerre, à la limite, s’accommode, en cet ancien régime aux structures si différentes de celles de notre temps, ou bien d’un excès de prospérité, ou bien d’un excès de marasme. Elle se complaît difficilement dans les conjonctures moyennes113 de ces années du tout premier xviie siècle. De même que la paix est une condition inséparable de cette reprise de prospérité, prospérité mitigée, avec rythme de croissance bloqué et mouvement en valeur décevant, le demi-marasme de ces années, finalement difficiles, aura favorisé la conclusion en chaîne de ces traités qui liquident un passé, sans ouvrir un véritable avenir.

149La paix est, peut-être, le principal secret de ce très paradoxal maintien du trafic, au-delà de 1608-1610 jusqu’en 1619-1622, de ces plus de dix ans qui séparent en une longue hésitation le terme certain de la phase ascendante d’une prospérité révolue, du point de départ sûr de la phase descendante de l’Atlantique espagnol.

150On a accepté la paix dans ce schéma grossièrement explicatif, moins comme un facteur interne, que comme une circonstance. Les facteurs politiques et militaires, quelle que soit leur importance, sont impuissants à rendre compte du comportement en profondeur de la vie dans l’Atlantique. N’a-t-on pas vu, souvent, au xvie siècle, à l’époque de son plus grand dynamisme, le trafic déjouer, comme à plaisir, les handicaps apparemment les plus insurmontables ? Une fois de plus, donc, on cherchera sinon des causes, du moins des corrélations significatives, dans l’histoire bien connue des prix espagnols et dans cet indice merveilleux de présomption d’activité aux Indes : les importations officielles d’argent à Séville.

LES PRIX

151La corrélation, qui unit entre eux les trafics aux indices globaux des prix espagnols, constitue une de nos hypothèses de travail les plus fécondes. Une fois de plus, l’observation attentive des séries de Hamilton va nous placer au cœur d’une bonne compréhension des trafics dans l’Atlantique.

1. 1601-1604-1605-1608

  • 114 E. J. Hamilton, op. cit., p. 403.
  • 115 Ibid., p. 215.
  • 116 Ibid., p. 403. Indice de 1601 : 143,55, chute en 1602 : 138,40 puis remontée jusqu’en 1605, 138,70 (...)

152Une première constatation s’impose. C’est entre 1592 et 1622, très exactement en 1608, que se situe, dans l’histoire des mouvements exprimés en volume, dans l’Atlantique espagnol et hispano-américain, ce qu’il est convenu d’appeler le renversement de la tendance majeure. C’est entre 1592 et 1622, très exactement en 1601, sept ans plus tôt, que se trouve situé le renversement de la tendance des prix-argent pour l’ensemble de l’Espagne114. C’est entre 1592 et 1622, très exactement trois ans plus tard, en 1604, que se situe, selon toutes apparences, le renversement de la tendance majeure des prix sur la série andalouse115, celle qui, d’après nos hypothèses, affecte, vraisemblablement, de la manière la plus directe, le trafic dans l’Atlantique espagnol et hispano-américain. Au-delà de 1601, les indices des prix-argent pour l’ensemble de l’espace espagnol s’établissent, d’ailleurs, sur un plateau concave qui se dresse à nouveau en 1605116. Au vrai, si la tendance majeure des prix cesse d’être ascendante jusqu’en 1601, elle ne devient nettement descendante qu’au-delà de 1605.

  • 117 Cf. ci-dessous, p. 1252-1335.

153Quant au hiatus qui subsiste entre 1604-1605, d’une part, date du renversement effectif de la tendance majeure des prix andalous et 1608, date du renversement de la tendance majeure du mouvement Allers, l’analyse détaillée du trafic117 en rend compte aisément. Le décalage considéré comme normal, entre les pointes du mouvement Allers et celle des prix andalous, est, on s’en souvient, de l’ordre de 18 mois à deux ans, dans le cadre d’une conjoncture courte. En vertu de ce qui vient d’être dit, la pointe cyclique du mouvement Allers du trafic correspondant au sommet des prix andalous de 1604 serait donc attendue, normalement, en 1606. Le retard à porter au compte de l’accidentel et dont l’analyse détaillée du mouvement aura à rendre compte, n’est plus que de deux ans. Cet écart vrai est d’autant plus infime qu’il ne s’agit plus, ici, d’un simple accident cyclique, mais d’un phénomène de tendance. C’est alors que les bienfaits de la paix, la marche rapide vers le règlement du conflit hollandais... entrent en ligne de compte, sans parler du gros volant de navires neufs d’un stock désormais bien reconstitué. Tout ceci étant, on ne peut qu’admirer, une fois de plus, l’affolante perfection de la concordance prix-trafic dont l’hypothèse nous a tant de fois guidé au cours de cette recherche.

2. 1608-1622. Prix et résistance du trafic

  • 118 Frank C. Spooner, L’économie mondiale et les frappes monétaires en France (1493-1630), op. cit., p (...)

154En vertu des hypothèses admises, on sera moins frappé, peut-être, par la localisation du renversement de la tendance majeure des trafics — puisqu’elle est conforme, à deux ans près, très exactement, à la date commandée, a priori, par La série des prix andalous —, que par le maintien du trafic dans l’Atlantique à un très haut niveau, certes, très légèrement en retrait, jusqu’à la crise de 1619-1622, voire même par le maintien d’une partie de ses positions anciennes du trafic, dans l’Atlantique espagnol et hispano-américain, jusqu’à la crise de 1631. C’est, donc, de ce décalage qu’il faut, d’abord, rendre compte. D’autant plus, peut-être, qu’en matière de dynamique économique, le rythme de croissance importe plus encore que les niveaux exprimés en chiffres absolus. Primat de3 accélérations sur les niveaux absolus, on ne peut, sur ce point, que pleinement souscrire aux idées souvent développées par Fernand Braudel et par Frank C. Spooner, dans un livre récent et, justement, classique118.

155Mais l’apparente contradiction de ce décalage est facilement dépassée par la prise en considération des pourcentages de croissance. Cette prise en considération tend à réduire, d’ailleurs, l’écart qui subsiste entre le fait monétaire espagnol et la vie dans l’Atlantique de Séville. Au-delà de 1608, le rythme de croissance, déjà ralenti depuis le commencement de la période de plafonnement, cesse d’être positif pour devenir négatif. On passe, si on préfère, d’un plafonnement faiblement ascendant à un plafonnement presque imperceptiblement descendant.

156En fait, le renversement de la tendance majeure du mouvement — qu’on vient de situer, au prix d’une simplification excessive, en 1608 — s’opère en quatre temps au moins.

157À la hauteur de la crise de structure des années 1588-1592, on assiste — première dégradation — à une réduction de moitié au moins du rythme tendanciel de croissance relative soutenu jusqu’ici depuis près d’un siècle sur le mouvement des navires et leur capacité de transport.

1581608, — c’est la date apparemment la plus importante, avec certain recul. On s’empressera d’ajouter que les contemporains n’en ont aucunement conscience. Et cela, peut-être, condamne, historiquement, un primat tiré d’une trop grande fidélité aux courbes. 1608 marque, en effet, de nos points de vue, le renversement de la tendance majeure du mouvement. La pente change de sens : de positive, elle devient négative ; mais elle reste, dans un sens comme dans l’autre, faible et hésitante. Après le creux cyclique qui correspond, en gros, à la demi-décade 1611-1615, il y a — fait plus important peut-être, encore — reprise de l’expansion, une reprise qui a bien pu, sur le moment, faire illusion. 1616-1620 est, à bien des égards, pratiquement à égalité avec 1606-1610. 1611-1615 aurait fort bien pu n’être encore qu’un rapide essoufflement passager. La crise de 1622 aura détrompé ceux qui avaient pu, peut-être, nourrir confusément cet espoir sans savoir l’exprimer.

1591619-1622, voilà bien la troisième date à retenir — et non pas, il s’en faut de beaucoup, la moins importante : on l’a choisie pour fixer le terme de la période d’essoufflement et de plafonnement, — elle marque la fin des hésitations, une première accentuation, la plus décisive, peut-être, de la pente descendante du mouvement.

160La quatrième date, enfin, 1631, marque — c’est la catastrophe, l’effondrement de l’Atlantique de Séville, — le passage d’une accélération à la baisse encore faible à une pente décroissante, extraordinairement rapide. Ce n’est pas autour de la seule date de 1608 qu’il convient, par conséquent, d’établir d’éventuelles corrélations entre les séries les plus représentatives des prix espagnols et le trafic, mais avec chacune de ces quatre grandes articulations.

161En vertu de quoi, on peut légitimement considérer qu’au sens le plus large, c’est sur un espace de plus de quarante ans que s’échelonnent les phénomènes dont la résultante constitue ce que l’on a dénommé le renversement de la tendance majeure des trafics.

  • 119 T. I, p. 28 et 29.
  • 120 Si on se cantonne dans la seule Europe occidentale méridionale et centrale. Si on fait intervenir (...)

162Les prix européens, tels que leur histoire apparaît aujourd’hui119, émergeant d’études aussi nombreuses qu’heureusement conduites, sont loin d’être, on le sait, entre 1592 et 1634, parfaitement homogènes. Il y a, d’un pays à l’autre, mieux, d’une province à l’autre, de très grosses différences. C’est entre 1592 et 1634120 que, partout, dans la moitié occidentale de l’Europe, se produit le renversement de la tendance majeure des prix, mais — et c’est là une preuve, entre autres, d’une économie mondiale incomplètement réalisée encore —, les séries nationales dans cet espace relativement homogène, pourtant, ne dépassent pas encore, à cette époque, le stade d’analogies très grossièrement dessinées.

163Or, au cours de cette large période de plus de quarante ans, — elle va des trois dernières demi-décades du xvie siècle aux quatre premières décades du xviie — au cours de laquelle les différentes courbes des prix des différents espaces nationaux ou provinciaux de l’Europe, autant qu’on le sache, les unes après les autres, hésitent, s’essoufflent puis passent finalement de la hausse à la baisse ou du moins de la hausse certaine à une période de tendance incertaine et hésitante, les indices d’activité les plus sûrs, à l’intérieur de l’espace relativement un de l’Atlantique espagnol et hispano-américain donnent les signes non équivoques que l’on sait, d’essoufflement, puis de contraction. A chacune des grandes crises de l’Atlantique, — ce n’est, vraisemblablement, pas le fruit d’une simple coïncidence —, correspond, dans le laps de temps défini, une crise de structure devinée grâce au renversement de la tendance majeure des prix, sur un point ou sur un autre de l’espace de l’Europe d’alors : France, Espagne, Italie, Allemagne, Angleterre, Pays-Bas.

164On ne saurait s’en étonner. Séville et l’Atlantique ne mettent pas seulement en cause, il s’en faut de plus en plus, des marchandises, des hommes, des navires, des capitaux espagnols ou, a fortiori, andalous. Leur part, au contraire, ne cesse de décroître avec le temps. Séville est le poumon par lequel l’Amérique communique avec l’Europe entière et par derrière elle, avec de larges franges d’Afrique et d’Asie. Rien de surprenant, dans ces conditions, qu’un accident ressenti quelque part en Europe s’y répercute rapidement. C’est bien cette vérité qu’expriment, entre 1588 et 1640, commerce et navigation dans l’Atlantique de Séville. Les coïncidences, par conséquent, qui s’établissent, ne sont pas imputables au hasard. Elles traduisent, au contraire, l’importance des liens organiques qui unissent l’Atlantique aux différents secteurs de l’économie européenne.

  • 121 Cf. ci-dessus, p. 776-784.
  • 122 Ibid.
  • 123 Henri Hauser, Recherches sur les prix et Frank C. Spooner, op. cit., p. 297 et 300.
  • 124 F. C. Spooner, op. cit., graphique no 23, p. 297.

165a. 1590. — Le tournant des années 90, on l’a vu121, coïncide, en gros, avec le retournement de la tendance majeure des prix français. Bien d’autres facteurs sont entrés en ligne de compte122, mais celui-là paraîtra d’autant moins douteux qu’il vient s’inscrire dans une série. Si on considère le prix du setier à Paris comme étant particulièrement représentatif du comportement d’ensemble des séries de prix français, on est frappé par l’exceptionnelle importance de la crise de la fin du siècle. C’est en 1592 que se situe plus précisément le retournement décisif de la tendance123. Entre 1592 et 1606, les prix argent rabotés par une moyenne mobile de onze ans, connaissent une chute de 60 %124. Un accident de cette ampleur ne peut être imputé à un phénomène cyclique — en raison, notamment, de la longueur de la moyenne mobile — mais uniquement à un facteur de longue durée.

  • 125 F. C. Spooner, op. cit., dépliant, p. 337.

166Frank C. Spooner fournit pour la France, avec les frappes monétaires125, un indice d’activité de premier plan, susceptible de venir étayer les leçons des prix. Sur cette série de renfort, une date importante : 1587/1588 : la masse globale des métaux précieux frappés au cours de ces deux années, constitue un record qui n’est pas égalé avant cinquante ans. La tendance majeure des quantités de métaux précieux frappés en France se renverse, incontestablement, au-delà de 1587, elle reste déclinante jusqu’aux alentours de 1625.

  • 126 Cf. ci-dessus, p. 767-840.
  • 127 Cf. ci-dessus, p. 800 sq.
  • 128 Cf. Albert Girard, Le commerce français à Séville.

1671587-1588, d’un côté, 1592, de l’autre, telles seraient, pour l’espace économique français, les limites chronologiques d’une période au-delà de laquelle il est raisonnable de supposer une importante modification du tonus de la vie économique française. 1587-1588-1592, on se tourne vers l’Atlantique, pour rencontrer la dépression primaire effondrée de 1588 à 1592126, la puissante dépression des années 90 sur laquelle il a été trop dit, déjà, pour qu’il vaille d’y revenir127. Il est difficile d’écarter totalement l’hypothèse la plus simple, presque simpliste, d’un lien physique entre les deux ordres de phénomènes. On sait la part énorme128 des Français à Séville. Les faits français ont eu, par ce biais, des répercussions à Séville et dans l’Atlantique hispano-américain. Dans l’autre sens, aussi, de Séville sur la France, l’onde de choc passe facilement. Il y aurait quelque naïveté à trop insister. On admettra, du moins, qu’il existe entre le marasme passager de l’Atlantique et le marasme persistant de l’économie française, quelques causes communes..., ou, plus vraisemblablement, comme toujours, de nombreuses interréactions.

  • 129 N. W. Posthumus, Inquiry into the history of Prices in Holland, Leiden, E. J. Brill, 1946, gr. in (...)

168Le malaise ressenti en France semble avoir eu des échos dans d’autres secteurs de l’économie européenne. Amsterdam, en l’occurrence, est un merveilleux poste d’observation129. Dans la mesure où Posthumus, admirable de précision, après 1620, permet de se prononcer, beaucoup de séries, semble-t-il, traduisent, à la fin du xvie siècle, le plus souvent, entre la demi-décadel585-1589 et 1590-1594, soit un plateau, soit l’ébauche d’un creux... qui serait, un peu, le premier raté sérieux dans une pente ascensionnelle qui se prolonge, pour l’essentiel, jusqu’aux alentours de 1635.

169La première grande crise de l’espace hispano-atlantique de la phase du renversement des tendances a donc trouvé de sérieux répondants en Europe et, plus particulièrement, en France. Elle serait l’expression atlantique d’un malaise général qui se serait manifesté avec une acuité toute spéciale à l’intérieur de l’espace français.

  • 130 Cf. ci-dessus, p. 853 sq.
  • 131 Que la crise du renversement de la tendance des prix espagnols soit bien, avant tout, une grave cr (...)

170b. La crise de 1608. — Écho atlantique du renversement des prix espagnols, elle est, sous l’angle qui nous intéresse, — pourquoi y revenir ?130 — la plus importante des quatre. On ne saurait s’en étonner, puisque l’espace affecté, l’espagnol et, plus particulièrement, l’andalou — celui avec lequel la coïncidence est la plus étroite (1604-1608) — est, naturellement, le morceau d’espace qui, de toute manière, exerce l’action la plus directe sur le trafic dans l’Atlantique espagnol et hispano-américain131.

171c. 1619-1622. — La troisième se situe, on s’en souvient, à la hauteur de la crise cyclique 1619-1622, d’une part et au cours des années 20, d’autre part. N’est-ce pas dans la décade 1621-1630, en effet, que le trafic commence à voir ses positions s’effriter avant l’anéantissement qui suit immédiatement la crise cyclique de 1631 ?

  • 132 Parenti et, à ce propos, J. Meuvret, Annales E.S.C., 1953, no 2, p. 215-219.
  • 133 Elsas, op. cit.
  • 134 F. C. Spooner, op. cit., dépliant, p. 337.
  • 135 En quantité de métal frappé, compte tenu de la dévaluation de la livre tournois pendant toute la p (...)

172Or, 1619 marque, on le sait132, une date majeure dans l’histoire des prix italiens, tandis que 1622133 est, sans conteste, d’après Elsas, le grand point de rebroussement des prix allemands. Là encore, l’incident grave qui affecte la vie de la Carrière des Indes ne lui est pas propre. Peut-être serait-on simplement en présence d’un des aspects d’un grand événement européen, aux composantes italienne et allemande particulièrement vigoureuses. Les prolongements, au vrai, en sont visibles et nombreux. En France, par exemple, les frappes monétaires134, cet indice d’activité de choix, passent, entre 1620 et 1630, par le niveau le plus bas135 de toute la période 1493-1680.

  • 136 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 96-97.
  • 137 Cf. ci-dessous, p. 1614-1615,.. 1633-1634, 1651-1652, 1663..
  • 138 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403, point le plus bas 119,48 en 1626.

173Mais, mieux, c’est en Espagne même que la crise s’affirme d’une manière très sûre : la décade des années 20 et, plus particulièrement, la seconde partie de la décade de 1625 à 1629, est secouée par deux signes graves de mauvaise santé financière et économique : la première, des deux grandes poussées dévastatrices d’inflation billonniste136. Elle culmine en 1626 et maintient sur deux ans, entre 1626 et 1628, des primes énormes de l’argent métal en terme de billon, entendez de plus en plus de cuivre. Corollaire presque fatal de cette situation — les brusques flambées des prix dues à l’inflation du cuivre peuvent avoir, mais à très court terme seulement, on le verra137, une action tonique sur le commerce Atlantique ; à moyen terme, l’effet est déprimant — un véritable effondrement des prix-argent138 s’en suit.

174L’inflation billonniste des années 1622-1629-1630 n’est pas seulement un signe de mauvaise santé économique, elle incorpore, aussi, une part considérable de facteur politique. Contrastant avec le caractère pacifique des années 10, les reprises d’hostilité des années 20. 1621 marque la fin de la trêve de douze ans. La Hollande fera désormais glisser le centre de gravité de la guerre navale, de l’Indien, où la puissance portugaise est virtuellement liquidée, à l’Océan Atlantique, tandis que l’Espagne, fait décisif, porte à bout de bras la guerre allemande que le conflit tchèque a relancée (1617-1619), après soixante-cinq ans, pratiquement, de paix boiteuse.

175Quand le poids du politique se solde par une destruction de l’appareil monétaire, il est fatal qu’il en vienne rapidement par ce biais à perturber le déroulement de la vie économique. C’est évidemment le cas pour l’Atlantique espagnol des années 20 : il s’essouffle à porter les nouvelles flambées militaires de la guerre de Trente Ans. Sa santé ne lui permettra plus de s’en tirer comme il a fait, jadis, du financement de la grande politique de Philippe II. Il n’y parvient, cette fois, qu’au prix d’une destruction évidente, mesurable, de sa propre substance, au prix d’une auto-destruction.

  • 139 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 215-216.
  • 140 Avec des passages par les indices 80,67 en 1611 ; 82,46 en 1612 et 81, 43 en 1615.
  • 141 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403 ; t. VI1, table 164, p. 363.

176On peut voir, en quelque sorte, une espèce de contre-épreuve concernant la nature de la relation, inflation billonniste/trafic, dans le comportement du trafic, au cours de la période 1601-160-1/1622 qui correspond, en gros, à une période de contraction des prix nominaux dans l’espace andalou-espagnol. La reprise des prix nominaux139 ne s’effectue pas avant 1619, après une belle et régulière descente qui amène les indices andalous de 99,23 en 1604 et 98,22 en 1605 à 82,79 en 1619140 et sous l’effet, uniquement, d’une inflation larvée qui brusquement s’aggrave. À plus forte raison encore, cette période est une période de contraction des prix argent141, qui passent des indices 143,55 en 1601 et 142,50 en 1605, aux indices 127,68 de 1609, 125,72, 125,35, 126,55, en 1611, 1612 et 1613, 127,86 en 1615 et 127,86 en 1619. Malgré ce très grave fléchissement, le plus important, somme toute, de toute la période de stagnation du xviie siècle, le trafic se sera maintenu, avec une constance surprenante. Certes, on peut imputer — ce facteur joue au premier chef — la vitesse acquise d’un mouvement qui continue sur sa lancée... Il n’en demeure pas moins que le mouvement a remarquablement résisté à la dépression des prix, tant que le règne de l’argent aura duré. L’inflation, par contre, le déclenchement du cycle du cuivre lui aura été fatale, dans la mesure peut-être — on le verra — où le cuivre se sera révélé, particulièrement impropre à soutenir des échanges à long rayon d’action.

3. La débandade des années 30

177Mais c’est au delà, seulement, de la crise de 1631, que se produit, on s’en souvient, cette chute libre qui anéantit la plus grosse partie de la prospérité de la Carrière des Indes.

178a. Apogée de l’Espagne. — Établir entre cette catastrophe et l’environnement politique et militaire d’une période extraordinairement chargée, des liens étroits de cause à effet, serait, évidemment, extrêmement tentant. Là encore, il faudra parler, d’abord, d’inter réactions, l’essoufflement économique de l’Atlantique ayant handicapé l’effort de guerre de l’Espagne, compromis, à la longue, ses réussites, dans la guerre sur mer, d’abord, ses réussites sur terre, ensuite, mais beaucoup plus tard. L’insécurité croissante dans l’Atlantique et le poids de plus en plus lourd des prélèvements fiscaux et militaires sur la Carrera, la part toujours croissante de forces prélevées sur l’Atlantique espagnol, à d’autres fins que d’assurer son fonctionnement et sa croissance, aura contribué à paralyser l’Atlantique. Plus que dans la seconde voie, celle du politique vers l’économique — celle, apparemment, du bon sens —, c’est dans la première, de l’économique vers le politique, que s’est exercée l’influence la plus sensible.

179Une des conditions de la causalité étant l’antériorité, les chiffres donnent leur réponse. L’apogée de la puissance politique de l’Espagne — de la seconde puissance politique de l’Espagne, serions-nous tenté d’écrire, celle d’Olivarès et du siècle d’or, qui fait pendant à la puissance plus saine et, pourtant, moins envahissante, moins clinquante de Philippe II — se situe entre 1630 1635 et 1636. Période de grands et décevants triomphes, qui ont nom Ratisbonne, Lutzen, la paix de Prague (30 mai 1635) et surtout Corbie.

180Août 1636 : l’Espagne, apparemment, passe par l’apogée de sa puissance politique. Après l’Allemagne protestante, après la Suède, la France s’écroule. On sait qu’il a manqué, entre autres, un peu d’argent au Cardinal Infant Ferdinand, pour pousser ses avantages. Et ce n’est, certes, pas diminuer le mérite du Grand Cardinal que de souligner l’ampleur du péril et la gravité de l’enjeu, mais bien se replacer dans l’atmosphère du temps. Richelieu eût, sans doute, été surpris mais non rassuré d’apprendre en ce mois d’août 1636 que l’Espagne, sa vieille rivale depuis un siècle, s’enfonçait — dans une inéluctable décadence et qu’elle n’était plus, alors, que l’ombre d’un cadavre. Plutôt qu’aux généralisations hâtives d’historiens à la vue faussée par la connaissance qu’ils ont, hélas, — gros handicap — de la suite des événements, on s’en tiendra, — beaucoup plus proches de la réalité et combien plus clairvoyantes —, aux étouffantes angoisses, énormes, des contemporains.

181Oui, août 1636, le mois de Corbie, marque bien l’apogée de la puissance politique espagnole : jamais, sans doute, plus de conditions n’auront été réunies pour lui assurer la domination de ce que la présence turque laissait subsister d’Europe. La rapidité de la chute, la fantastique ampleur de la catastrophe de 1610 ne changent rien au fait. Or, la débandade Atlantique se place à la hauteur de la première demi-décade des années 30 et non pas de la seconde. Le politique ne peut être imputé, l’économique, ici, précède, partant, il commande, diront certains. Pas nécessairement, puisque le Hollandais, sur mer, frappe à coup redoublé depuis le milieu des années 20 : Matanzas date de septembre 1628. Les corrélations qui unissent facteurs politiques et économiques sont, une fois de plus, des corrélations multiples. Elles appartiennent à un même monde, l’humain, toujours global, toujours rebelle aux découpages superficiels de l’analyse formelle.

182b. Trafic des Indes et économie européenne. — En fait, il est tentant, aussi, de replacer l’effondrement du trafic de la Carrière des Indes dans le contexte de l’histoire économique européenne, tel que les prix permettent de l’établir.

  • 142 William H. Beveridge, Prices and usages in England, op. cit.
  • 143 Charles Verlinden, Jan Craeybecks, E. Scholliers, Mouvement des prix et des salaires en Belgique a (...)
  • 144 N. W. Posthumus, Inquiry into the history of Prices in Holland, op. cit.
  • 145 Ibid., p. cix.

183C’est au cours de la quatrième décade du xviie siècle, en effet, que se produit, généralement, en Europe, dans un grand nombre de cadres nationaux et provinciaux, le renversement de la tendance majeure des prix. C’est le cas de l’Angleterre142 c’est le cas de la Belgique143 — avec certaines précautions —, c’est le cas, surtout, de la Hollande144. Étant donné la nature des séries — pour l’essentiel, produits d’importation, soit du Nord, en très grosse quantité, soit denrées coloniales — qui sont représentés dans les « Wholesale prices at the exchange of Amsterdam » de Posthumus, étant donné aussi la stabilité relative de la monnaie de compte hollandaise145, le gulden, au cours de cette période, on peut placer, avec certitude, le renversement de la tendance majeure des prix de gros, en Europe, entre les demi-décades 1630-1634 et 1635-1639,... voire, d’une manière plus précise, autour de 1632.

  • 146 Cf. t. VI1, table 138, p. 336 et t. VII, p. 44-45.
  • 147 Quelle est la signification exacte de cette date de 1632, à laquelle nous avons attribué, un peu v (...)

184Or, si on se reporte à la courbe des globaux Allers et retours146 du commerce, en volume, dans l’Atlantique. espagnol et hispano-américain, on sera obligé de situer entre 1631 inclusivement et 1634 inclusivement, sur quatre ans, le front de rupture et d’effondrement maximal de toutes les prospérités passées. Cette concordance est d’autant plus significative, est-il besoin de le rappeler, que la bourse d’Amsterdam constitue, sans doute, le miroir idéal de toute l’activité européenne et extra-européenne au cours de ces années147.

185Si on tient compte des indications, plus difficiles à interpréter, au vrai, que Posthumus donne pour la période antérieure à 1620 et si on tient compte de la dévaluation du gulden, il semblerait qu’à travers le miroir de la bourse d’Amsterdam, les prix de gros européens aient été animés par un mouvement qu’on pourrait schématiser ainsi : phase ascendante jusqu’aux alentours de 1590, phase descendante à partir des premières des années 30. Soit, avec une précision véritablement déconcertante, le schéma du volume des échanges dans l’Atlantique espagnol. Tout cela incline, naturellement, en faveur de corrélations prix-trafic, de très grande portée, à l’échelle de la phase longue entre l’espace européen pour les prix et, plus particulièrement, celui de la Mer du Nord et l’espace atlantique hispano-américain pour les trafics.

186c. Trafic des Indes et faits monétaires espagnols. — La concordance des comportements du trafic Atlantique hispano-américain, à la hauteur des années 30, avec la marche des prix de gros, tels qu’ils apparaissent à travers la bourse d’Amsterdam, n’exclut pas des corrélations tout aussi évidentes avec les faits monétaires espagnols.

  • 148 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 96-97.

187L’inflation du billon148, partiellement jugulée, un court instant, au cours du premier semestre de 1629, va reprendre son mouvement ascensionnel presque linéaire, depuis la fin de 1629 jusqu’à l’été 1642, au cours duquel la prime de l’argent métal en terme de billon passe par des niveaux records jamais égalés au xvie siècle, et au cours de la première moitié du xviie siècle. La grande chute du trafic — la grande période de détérioration de l’Atlantique espagnol —, tout comme la première marche descendante des années 20, correspond donc à une phase de dégradation monétaire en Espagne.

188La corrélation, une fois posée, paraît renforcée, entre monnaie de cuivre et incapacité à promouvoir cette économie d’échanges à grand rayon de courbure, l’économie transatlantique de Séville. Que l’inflation billonniste de ces années dramatiques soit, en partie, la conséquence des énormes charges militaires qui pèsent sur elle, face aux obligations sur mer des attaques hollandaises, face, sur terre, aux gigantesques exigences de la guerre de Trente Ans, cela n’est pas douteux. Et c’est, précisément, par l’intermédiaire de cette dégradation monétaire, que les facteurs politiques et militaires auront pesé, de la manière la plus efficace, sur la vie économique de l’Atlantique de Séville.

  • 149 F. C. Spooner, op. cit., dépliant de la p. 336 et p. 533-534.

189Et pourtant, l’inflation billonniste a, certainement, d’autres causes que les charges militaires. L’inflation du cuivre doit être considérée comme un facteur spécifique de dégradation. Les travaux récents de Frank C. Spooner149 montrent bien, a contrario, en effet, la spécificité du cas espagnol. Placée devant les lourdes échéances de la guerre couverte de 1624 à 1635, puis celles, plus lourdes encore, de la guerre ouverte au delà de 1635, la France — attitude diamétralement opposée — ouvre un cycle de l’or. Une inflation d’or « politico-militaire » répond au cours des années 30 et 40, à l’inflation du cuivre « politico-militaire » de l’Espagne.

190Olivarés n’était, sans doute, pas maître de son choix. L’option cuivre exprime, donc, crise et malaise. Crise et malaise, à l’échelle du monde, certes, le renversement de la tendance majeure des prix de gros à Amsterdam, nous le dit, mais plus particulièrement, à l’échelle d’une Espagne rongée par ses propres maux. Ce sont ces propres maux qui, par l’intermédiaire de l’inflation billonniste, s’expriment dans l’Atlantique des années 30 et 40. A moins, bien sûr, que ce ne soient les malheurs atlantiques qui se répercutent sur l’équilibre monétaire espagnol. Une fois de plus, la sagesse consiste moins à opter, qu’à constater d’importantes concomitances et des jeux évidents d’interréaction.

191Ainsi, trafic atlantique et mouvement européen des prix, à l’échelle d’une conjoncture que l’on qualifiera volontiers de « demi-longue », baignent dans une atmosphère commune et sont mus par des mouvements identiques. Ces identités, ces synchronismes sont à porter à l’appui d’une première ébauche déjà fortement nouée d’économie mondiale dès les xvie et xviie siècles.

LES TRÉSORS

  • 150 E. J. Hamilton, op. cit., p. 34 et 33.

192Immédiatement après les prix — avec lesquels, d’ailleurs, il est intimement lié —, c’est face à cet admirable indice d’activité, les importations officielles des trésors d’Amérique à l’intérieur du complexe portuaire andalou150, qu’il faut placer l’évolution du trafic.

1. Trésors et trafics : les faits

193Cela aboutit à poser, une fois de plus, sans prétendre, pour autant, le résoudre, le problème des rapports entre la masse des trésors exportés de l’Amérique sur l’Europe et le volume global des trafics dans l’Atlantique officiel de Séville.

194Pour tâcher, sinon de le résoudre, du moins d’en débrouiller les approches, il importe, d’abord, de bien poser les faits. Ce sont, à première vue, d’évidentes concordances qui s’imposent aux plus sceptiques et des discordances, au moins superficielles, fructueuses, à résoudre.

  • 151 Entre ces deux dates, les niveaux semi-décadaires sont compris entre 23 832 630,5 pesos, chiffre l (...)
  • 152 Ces chiffres se trouvent loin encore du niveau semi-décadaire le plus bas du plateau cinquantenair (...)

195a. Concordances. — Les concordances, tout d’abord, sont évidentes : c’est entre 1581 et 1630 (exactement dans les mêmes limites chronologiques que le trafic) que les quantités recensées de métaux précieux culminent. Entre ces deux dates, aucun total semi-décadaire n’est inférieur, pratiquement, à 24 millions de pesos151, en dehors de ces limites chronologiques, aucun total semi-décadaire recensé n’atteint, et de très loin, au minimum de la période centrale (1576-1580, par exemple avec 17 251941 pesos et 1631-1635 avec 17 110 854 pesos, représentent les niveaux les plus élevés des périodes antérieures et postérieures, au plateau central du mouvement152). On appréciera, d’autant mieux, l’écart qui oppose les années du plateau central au reste du mouvement.

  • 153 Cf. ci-dessous, p. 1025-1684.

196On peut faire apparaître d’autres concordances, encore, celles, notamment, qui s’établissent à l’intérieur de la fluctuation plus courte. On soulignera, à son heure153, la parfaite identité qui existe entre le rythme court du trafic et celui des trésors de 1596 à 1630.

197b. Discordances. — Mais à côté des concordances — elles sont, bien sûr de très loin, les plus importantes — il y a aussi les discordances : elles sont, tout autant, significatives.

198Le point de rebroussement de la tendance majeure de trésors précède, apparemment, de quinze ans le point de rebroussement du trafic global exprimé en volume. La demi-décade 1606-1610 — la plus élevée, à tous égards, du trafic en volume — ne vient qu’en troisième position pour le niveau des trésors importés, avec 31 405 207 pesos contre 34 18-1 862, 5 pesos en 1591-1595 et 34 428 500, 5 pesos en 1596-1600. Et la demi-décade 1591-1595 représente un point exceptionnellement déprimé sur le volume des Retours.

199Ces apparentes contradictions sont assez facilement réductibles.

2. Essai d’interprétation

200Une fois de plus, ces apparentes contradictions vont se révéler, pour une bonne compréhension de l’Atlantique de Séville, plus fructueuses que de trop évidentes concordances.

  • 154 Cf. t. IV et V, notes aux tableaux, cf. t. VI1, tables 198, 199, 200 et 201 surtout, p. 414 à 420, (...)

201a. Contrebande et courbe vraie. — Les importations de trésors, de toutes les marchandises, sont celles qui se prêtent le mieux à la contrebande. Contrairement à ce qu’affirme, un peu vite, Earl Jefferson Hamilton, la marge de la contrebande et, plus particulièrement, la contrebande qui affecte les métaux précieux, parce que la plus commode, la plus rentable, la plus tentante, n’est pas, ne peut pas être constante. Il suffit, pour s’en convaincre, de suivre attentivement154 la marche des taux de l'ad valorem, le mécanisme des impôts ad valorem et les aveux des officiers de la Casa de la Contratación.

202Outre la moindre efficacité des contrôles, à l’intérieur du Monopole, il faut tenir compte, au xviie siècle, surtout, d’une moindre efficacité du Monopole et de la croissance des autres Atlantiques.

  • 155 Cf. t. V, notes aux tableaux et t. VI, table 201, p. 420.

203En règle générale, on peut supposer que les marges d’écart, entre la totalité des trésors effectivement transportés et ceux qui sont saisis par la statistique officielle, va en s’accroissant depuis le milieu, en gros, de la deuxième phase longue d’expansion jusqu’en 1660. On peut même affirmer, chiffres en mains et aveux des organismes espagnols responsables à l’appui155, qu’à partir des années 1630, 1610, la fraction des trésors qui échappent aux contrôles de la Casa de la Contrataciôn, partant, à l’historien statisticien, excède sensiblement celle qui est effectivement comptée.

204Ces remarques, certes, n’infirment en rien, la valeur du travail unique réalisé par E.J. Hamilton. On peut dire qu’il n’y a jamais eu, pour l’histoire économique des xvie et xviie siècles, d’œuvre plus fructueuse. Tout au plus, la courbe vraie — elle restera toujours en dehors de nos prises — doit-elle se situer assez sensiblement au-dessus de celle de Hamilton, l’écart allant croissant de 1570-1580 jusqu’en 1660. Même rythme, même tendance, mais une descente moins rapide et un point de rebroussement, peut-être, un peu plus tardif qu’il n’apparaît sur la série des données brutes établies par Hamilton. La courbe des trésors se rapprocherait ainsi un peu plus encore de celle des tonnages du trafic..., sans qu’il soit, d’ailleurs, ni souhaitable, ni plausible d’imaginer une parfaite identité. Une trop parfaite identité risquerait, au contraire, de soulever de légitimes méfiances, en suggérant quelques possibilités de distorsion systématique à la base.

205En outre, les légères corrections que l’on proposerait volontiers d’apporter à la courbe des trésors calculés par E.-J. Hamilton (simple grille permettant de passer d’une vérité officielle à une vérité moins officielle, plus proche, peut-être, d’une objective et inaccessible réalité), ont moins d’importance qu’on ne pourrait le croire pour l’histoire de la Carrière des Indes. Ce sera bien à la courbe d’Hamilton non pondérée qu’il faudra s’en tenir. Les trésors susceptibles, en effet, d’avoir échappé aux contrôles officiels — il y en a, puisqu’on ne peut écarter l’aveu de ceux qui étaient chargés d’organiser les contrôles et de faire respecter la loi — sont ceux-là, plus particulièrement, qui échappaient, le plus rapidement, à la Carrera et à l’Espagne. Argent en fuite directe vers le Nord, destiné à rémunérer des services occultes, destiné à couvrir les capitaux et les services engagés, en quantité de plus en plus grande, par les non Espagnols dans la vie économique de l’Atlantique. Jusque vers les années 20 du xviie siècle, la courbe des arrivées officielles se confond, donc, avec celle des arrivées d’argent utile pour la vie même de l’Atlantique espagnol, réinvesti dans la grande aventure de la Carrera.

206La distorsion proposée serait susceptible, par contre, d’éliminer certaines interdictions qui peuvent subsister entre l’allure des arrivées officielles de métaux précieux en Espagne, partant, en Europe et les courbes des prix de gros de la bourse d’Amsterdam. Sans admettre, bien sûr, telle quelle, une théorie quantitative simpliste des prix et de la monnaie qui n’incorpore, de toute manière, même pour les xvie et xviie siècles, qu’une partie bien modeste d’une réalité plus complète, il est certain qu’un lien non négligeable réunit niveaux généraux des prix, tonus de l’activité économique et quantité de métal monétaire disponible, dans le cadre du système monétaire de l’Ancien Régime.

207Le Nord de l’Europe, l’Europe non espagnole, participe, beaucoup plus que l’Espagne, à la manne des métaux de contrebande non comptés dans la statistique officielle, qu’ils soient véhiculés ou non par la Carrière des Indes.

208On peut donc poser que l’Europe du Nord a été moins bien approvisionnée que l’Espagne au xvie siècle en métaux précieux. D’où un certain retard dans le cadre assez souple d’un quantitativisme acceptable, de la révolution des prix du Nord sur la révolution ibérique. À la fin du xvie siècle, toutefois et au xviie siècle, surtout, ce désavantage tend à s’estomper, au fur et à mesure, sans doute, que la part des métaux importés en fraude à l’intérieur du complexe ou en contrebande, en dehors du complexe, s’accroît par rapport aux métaux importés officiellement à l’intérieur du complexe. Le simple jeu du couple trésors officiels/trésors extra-officiels à l’intérieur du trafic transatlantique aide donc à comprendre la disparité logique des comportements des prix espagnols et nord-européens, au moment du renversement de la tendance majeure. Les prix du Nord de l’Europe, par une moindre réceptivité aux incitations dépressives tendent donc à rejoindre les niveaux des prix espagnols.

209Une descente moins rapide au xviie siècle, à certains égards, même, un simple palier, un retournement de la tendance plus hésitant et un peu moins précoce cadreraient beaucoup mieux avec ce que l’on peut savoir par Posthumus du comportement de la plupart des prix de gros européens..., cadrent bien avec ce que l’on peut raisonnablement espérer d’après les sources espagnoles elles-mêmes de la croissance de la contrebande. La correspondance de la Casa de la Contratación et les données chiffrées sur la Carrera aident à réduire une difficulté mineure Pour l’explication du comportement des prix de gros à Amsterdam, entre autres, dans le cadre d’un lien logique souple prix/trésors, c’est à la courbe pondérée des arrivées de trésors telle que nous la proposerions volontiers, qu’il sera avisé de se référer. Pour la compréhension de la dynamique interne de la Carrera, c’est aux chiffres bruts officiels qu’il est le plus avisé de se reporter. Il fallait, pourtant, d’entrée de jeu, soulever, pour mieux les résoudre, ces légitimes, ces quelques réserves.

  • 156 Cf. ci-dessus, p. 808-840.
  • 157 Cf. t. VI1, tables 226-228, p. 471-473.

210b. Antériorité des trésors par rapport au trafic global. — Une certaine indépendance et, plus particulièrement, une certaine antériorité des trésors par rapport au mouvement global en volume soulignerait, tout simplement, les disparités souvent rencontrées, par ailleurs, des mouvements en volume et en valeur. N’a-t-on pas observé, par exemple, des exportations en valeur records156 en 1590-1591-1592, totalement indépendantes des volumes effectivement mis en cause. Ces chiffres qui ne sont, peut-être, jamais vraiment égalés157 — ils ne sont certainement jamais dépassés — se répercutent tous, en Retours, partant, sur les exportations de trésors d’Amérique lors de la demi-décade 1591-1595, celle-là même que les calculs de Hamilton placent au point haut du mouvement, au renversement de la tendance majeure des trésors.

211Dans l’ensemble de la période, il n’est pas douteux qu’il y ait eu accroissement plus rapide des valeurs que des volumes..., par suite de l’élimination progressive, nous avons vu, maintes fois, comment, des pondéreux alimentaires. Ceci n’exclut pas, bien sûr, des fluctuations particulières, plus courtes, dans le comportement à l’intérieur du couple valeurs-volumes. 1601-1610, période de reconstitution du stock des navires, d’un stock de plus gros navires donc aptes à transporter plus de marchandises, relativement plus pondéreuses, à moindre prix, après les destructions de la guerre anglaise, doit, normalement, se comporter et se comporte effectivement comme une période d’alignement relatif de la valeur unitaire des produits transportés. C’est ce que prouve en effet, la mise en parallèle des valeurs, des volumes et des trésors.

  • 158 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 33-34 et François Chevalier, Revista de Indias, 1943, arti (...)
  • 159 Cf. t. VI1, tables 130 sq., p. 328 sq., tables 218 sq., p. 446 sq. et t. VII, p. 58-49.

212c. Vers une modification de la nature des cargaisons au Retour. — Une conséquence doit se dégager, d’ailleurs, de cette relative indépendance : la part croissante dans les exportations des Indes de produits autres que les trésors. E.-J. Hamilton et François Chevalier l’ont bien montré déjà158. Il est inutile de souligner l’importance d’une telle modification. Elle se dégage d’une mise en parallèle attentive des séries valeurs, volumes et des trésors de Hamilton159. Elle implique — et cette modification est parfaitement plausible a priori — une transformation en profondeur de l’économie des Indes.

  • 160 W. Borah, Mexico’s Century of depression.

213La première exploitation, celle qui a rendu possible la paradoxale conquête menée à un rythme infernal, celle qui a maintenu à travers l’océan Atlantique un commerce d’un volume déraisonnable, incorporant une proportion anormale de pondéreux que leur vil prix aurait dû éliminer, va, peu à peu, en se dégradant, laisser la place à une forme d’exploitation plus équilibrée, moins paradoxalement tournée vers une production minière à peu près exclusive. D’une part, la population coloniale qui s’accroît à un rythme rapide — W. Borah l’a bien souligné pour le Mexique160 —, tend de plus en plus à satisfaire ses propres besoins, en dehors d’une liaison transatlantique aussi peu commode qu’inutilement coûteuse, mais elle cherche dans des spéculations agricoles d’autres moyens que les métaux précieux pour soutenir l’entreprise d’occupation des Indes et solder les importations dont elle a besoin.

  • 161 Cf. t. VI1, table 139, p. 337.
  • 162 On avait noté les évaluations divergentes des Allers et des Retours. Décroissance des pondéreux à (...)

214Le décalage de la courbe volumétrique de quinze ans, par rapport à la courba des importations officielles de métaux précieux en Espagne, constitue une preuve supplémentaire en faveur de cette progressive transformation des exportations américaines vers l’Europe. L’argent et l’or y conserveraient, jusqu’à la fin, une place transcendante. À côté, toutefois, un secteur de pondéreux ou de demi-pondéreux s’ouvre de plus en plus. La tendance qu’ont les Retours, à s’aligner, de plus en plus161, — sans jamais y parvenir, bien sûr — sur le tonnage des Allers, implique — autre contre-épreuve — une transformation des exportations de l’Amérique sur l’Europe, dans le sens évoqué162.

215Ce faisceau d’indications concordantes, tirées des sources et des méthodes de raisonnement les plus variées, concourt à emporter la conviction.

216d. Niveaux. — Toujours pour comprendre le décalage chronologique des arrivées officielles des trésors par rapport au tonnage global du mouvement, il convient de constater à quel point les différences de niveaux à l’intérieur des cinquante années médianes de 1581 à 1630 sont peu de chose par rapport aux niveaux qui les précèdent et à ceux qui les suivent.

217La véritable cassure, si on accorde aux trésors un rôle moteur dans l’économie (il vaudrait mieux dire, sans doute, un rôle de signe, de traduction, d’expression), ne se place pas avant 1630. C’est entre ce qui précède et ce qui suit 1630 que se situe la véritable modification de nature. Mais n’est-ce pas un peu après 1630 que se brisent les courbes des prix, un peu partout, en Europe, n’est-ce pas dans la demi-décade 1631-1635 et plus précisément, de 1631 à 1634, que s’effectue le grand décrochage du trafic ?

218Entre 1581 et 1630, la moyenne semi décadaire des importations officielle d’or et d’argent s’élève à 28,5 millions de pesos à 450 maravedis. De 1616 à 1630, elle est encore de 27,1/3 millions. Le niveau des trois dernières demi-décades du pilier central du mouvement des trésors, compte tenu de l’augmentation de la fraude, est donc largement comparable à celui de l’ensemble de la période. Il suffit de comparer ce niveau aux niveaux respectifs des moyennes semi décadaires pour les périodes postérieures, pour la période 1631-1645, d’une part, les quinze années suivantes, 1631-1660, d’autre part. La moyenne quinquennale atteint, respectivement 15 2/3 millions et 11 1/2 millions pour les quinze années et les trente années qui suivent. On voit, dans ces conditions où se trouve la rupture de pente sur la ligne d’importation des trésors. C’est elle qui importe. Il importe de même qu’elle soit conforme à la rupture de pente des prix européens et à la plus grande rupture de pente du trafic.

219Mais Séville permet d’aller plus loin, encore et, pratiquement, d’expliquer l’étonnante distorsion qui paraît exister entre prix espagnols et prix français, d’une part, prix hollandais et prix du Nord, d’autre part. Entre 1600 et 1630, la part des importations occultes qui ne bénéficient en aucun cas à l’économie espagnole ou hispano-atlantique s’accroît par rapport aux autres, tandis que l’argent reste de moins en moins longtemps dans l’espace économique de la péninsule ibérique. D’où la distorsion grandissante entre prix espagnols et prix français d’une part (la France participant le plus directement aux pactoles hispano-atlantiques) et prix du Nord. La débandade de 1630, par contre, emporte tout dans une commune disgrâce.

220Séville, l’Espagne et l’Atlantique hispano-américain accusent, dès le premier choc, un coup que les parties les plus éloignées de l’Europe accuseront plus tard, seulement.

  • 163 F. C. Spooner, op. cit., p. 326-327.

221J’ajoute qu’une méthode plus raffinée, mais pas nécessairement plus sûre163 la méthode du report des augmentations appliquée par Frank C. Spooner à la courbe des importations officielles des trésors donnerait des résultats analogues. L’accélération du mouvement qui passe par un maximum entre 1560 et 1570, à l’époque de l’ébranlement qui sera responsable, peut-être, de toute la seconde phase longue d’expansion, reste positive jusqu’en 1600..., pratiquement jusqu’au renversement de la tendance majeure des prix espagnols et, à très peu de choses près, jusqu’au renversement de la tendance majeure des trafics dans l’Atlantique transversal de Séville.

222Mais il convient d’observer, toujours d’après le calcul de Spooner, qu’il ne devient vraiment négatif, qu’après 1630. Ce presque maintien des arrivées officielles des trésors cadre avec le maintien du trafic..., encore croissant, d’abord sur sa lancée, puis en perte de vitesse, légère seulement.

223De cette constatation se dégage l’idée — elle ne procède pas d’un raisonnement, a priori, mais bien d’une inévitable constatation du rapport existant entre les importations des métaux précieux en Espagne et les indices économiques les plus valables dont on dispose pour cette période : différentes séries géographiques des prix, indice d’activité du trafic transatlantique — du maintien, au-delà de 1595, de la possibilité d’un rythme ascensionnel atténué dans l’espace économique de l’Atlantique hispano-américain.

224e. Trésors du Roi, trésors des particuliers.

225Il est, enfin, une dernière remarque qui s’impose sur les trésors d’Hamilton, dans leurs rapports avec les volumes transitant dans l’Atlantique de Séville : l’importance qu’il convient d’accorder au mouvement des trésors des seuls particuliers.

226La première règle à poser sur ce point s’énoncera ainsi : la corrélation prix-trésors peut se faire, compte non tenu de la distinction, « public, private » ; une corrélation trésors-trafic, par contre, s’établira, de préférence avec les seuls trésors des particuliers. Eux seuls sont, en effet susceptibles d’être réinvestis immédiatement dans le trafic, eux seuls, pratiquement, peuvent agir en tant que facteurs directs d’expansion du commerce.

227Trésors du Roi. — Or, la marche des importations des trésors du Roi et des importations du négoce sont assez différentes, à partir, du moins, de la phase culminante des trafics. Jusque là, les deux séries avaient évolué sans autres divergences importantes que des divergences de courte durée, à l’échelle, tout au plus, de la simple fluctuation cyclique.

228La courbe des trésors publics est, nécessairement, exacte. À une époque où, selon toute hypothèse raisonnable, la part de la fraude va croissante, on se rendra aisément compte de l’importance de cette remarque préliminaire. Contrebande et fraude ne jouent, par définition, que pour les trésors privés. Les agents du Roi n’ont ni intérêt, ni le moyen de se tricher à eux-mêmes. On peut, d’ailleurs, compter sur les marchands pour faire verser au Roi la bonne part de l'avería qu’ils mettent, pour eux-mêmes, si peu d’enthousiasme à payer.

229La tendance majeure des importations officielles des trésors du Roi — la série se confond avec la réalité objective des importations — se retourne, apparemment, cinq ans plus tard, que ne le fait la courbe des exportations totales publiques et privées de 1596 à 1600. De cinq ans plus tardif, le retournement, par contre, est sans hésitations, le décrochement, brutal et sans rémission. De 10 023 348,5 pesos en 1591-1595, de 10 974 318 pesos entre 1596 et 1600, on tombe brusquement à 6 519 885,5 de 1601 à 1605, soit une chute de près de 40 %, légère et éphémère remontée de 1606 à 1615, avec 8 549 679 et 7 212 921,5 pesos, puis long plateau à peine supérieur à 4 millions de pesos, de 1616 à 1645, avant de nouvelles chutes à 1 million 6, 2 millions 2, et 600 000 pesos seulement, de 1616 à 1650, 1651 à 1655 et 1656 à 1660.

  • 164 Les trésors publies ne sont pas affectés par fa fraude, les trésors privés le sont, par contre, da (...)

230La chute paraîtra d’autant plus rapide, l’écart entre le niveau des trésors publics et celui des trésors privés, entre l’accélération négative des trésors publics — faut-il dire la décélération des trésors publics ? — et le plafonnement des trésors privés, d’autant plus grand, que la croissance de la fraude tend, au contraire, à le masquer164. Ce phénomène exprime, notamment, un accroissement du coût de l’administration, de la défense des Indes, peut-être même des investissements d’État aux Indes. Une tendance des Indes à vivre davantage sur elles-mêmes, à diminuer leurs liens de dépendance, à l’égard de l’Europe, à moins participer au financement de l’entreprise globale de l’empire espagnol. Cet indice est, de toute manière, à porter à l’actif d’un repli sur soi-même qui caractérise, selon notre optique, le xviie siècle par rapport au xvie siècle. Cette chute plus rapide des trésors du Roi à Séville exprime, à sa façon, le fait que les Indes fixent, désormais, une fraction plus importante de l’argent extrait de leurs mines pour les besoins de leur administration, de leur défense, de leur économie. L’accentuation de l’écart qui oppose trésors privés et trésors publics, si elle est responsable de lourdes difficultés pour la grande politique européenne de l’Espagne, présente beaucoup d’avantages, sans doute, pour l’humanité coloniale des Indes elles-mêmes.

231Trésors des particuliers. — Le négatif d’une telle évolution se retrouve, naturellement, sur les arrivées officielles des trésors destinés aux particuliers. À la différence des premiers, ceux-ci sont, nécessairement, sous-évalués et d’autant plus sous-évalués qu’on s’éloigne dans le temps : les indications de la courbe de Hamilton n’en ont que plus de prix. Il suffit, pour l’heure, de les accepter telles quelles.

232Le renversement de la tendance majeure des trésors des particuliers est plus tardif que celui des globaux et des trésors du Roi : 1616-1620, au lieu de 1591-1595 pour les globaux ou 1596-1600 pour les trésors publics. La moyenne semi-décadaire des importations officielles des trésors destinés à des particuliers, négociants surtout, s’élève, pendant la période centrale de 1581 à 1630, à 21,5 millions de pesos, la moyenne semi-décadaire des trois dernières demi-décades, à 22,7 millions de pesos. Étant donné l’évolution raisonnablement présumable de la fraude, cet écart de 1,2 millions constitue un minimum, vraisemblablement assez loin en dessous de la réalité.

  • 165 F. C. Spooner, op. cit., graphique 32.

233Il s’ensuit donc que si on applique à la série des importations des trésors particuliers au négoce — même à la série des chiffres officiels, on a vu contre quel danger il fallait se prémunir — les reports des augmentations, ou des augmentations pour cent de la décade précédente165, on aura des graphiques analogues à ceux de Frank Spooner, mais légèrement décalés dans le temps, avec un axe de changement de signe un peu plus tardif.

234Si les importations de métal précieux disponible pour le négoce constituent un bon signe de la prospérité des échanges, une sorte de baromètre de la santé de l’Atlantique de Séville, on comprend combien la courbe des arrivées « même officielles » des métaux précieux destinés au négoce cadre bien, beaucoup mieux encore que la courbe générale, avec la courbe du mouvement volumétrique des échanges à travers l’océan Atlantique. On comprend, notamment, l’importance et le plongement du mouvement à un niveau très élevé. Sur les trésors des particuliers, comme sur les expressions les plus générales du trafic dans l’Atlantique, on ne peut qu’être frappé de la durée du hiatus qui sépare le terme de la progression, du commencement de la chute... Entre les deux, un immense palier, plein d’interminables repentirs. Telle est la structure de ce très long plateau, entre la prospérité du xvie siècle et le repli du demi xviie siècle, de cette période absolument indispensable à une saine compréhension de la première modernité.

LA NATURE DES RELATIONS TRÉSORS - PRIX - CONJONCTURE

235Une fois de plus, voici posée la paradoxale corrélation qui unit la production des mines disponible pour l’utilisation à des fins monétaires, les niveaux des prix et cet autre indice d’activité, le volume des échanges, à travers l’Atlantique, entre Europe et Amérique, le plus important de tous les trafics de la première modernité. Ces corrélations n’auront jamais été aussi évidentes qu’entre 1590 et 1620-1630, au moment, où, avec un ensemble étonnant, on voit toutes les tendances s’infléchir dans le même sens.

236La corrélation positive trésors-prix, la corrélation positive prix-trafic, parlant, la corrélation positive trésors-trafic, n’est pas du domaine des hypothèses, elle est du domaine des évidences sensibles. Il faut donc s’y soumettre. La nature des liens logiques qui commandent la marche synchrone de ces phénomènes, par contre, reste et restera toujours du domaine des hypothèses.

  • 166 Cf. ci-dessus, p. 374-395.

237Au seuil de la seconde phase longue d’expansion166, le problème avait été abordé avec les éléments disponibles. Une première fois déjà, la tentation quantitativiste s’était présentée. Celle qui, depuis Bodin et dans la ligne vénéneuse de la pensée de Bodin, consiste à placer au centre de ces grands déséquilibres de la vie économique, partant, ce qui est infiniment plus grave de la vie tout court, la production des métaux précieux.

238Tentative séduisante : la courbe des arrivées des métaux précieux à Séville, telle que E. J. Hamilton l’a dessinée, dans la mesure, précisément, où il a fallu partir de l’hypothèse commode, en gros, mais erronée, dans le détail, d’une contrebande constante, alors qu’elle est manifestement croissante, ne paraît-elle pas tout commander ? Son mouvement n’est-il pas un peu antérieur aux prix, un peu antérieur au trafic ? De l’antériorité, comment ne pas passer à la relation de causalité ?

  • 167 F. C. Spooner, op. cit., p. 332.

239La tentation est si forte qu’un des plus brillants historiens de l’économie dans un très grand livre, tout récemment encore, écrivait, non sans humour, rappelant la tentation plus qu’il n’y succombait à propos de l’échec constaté sur plusieurs points du « glorieux xvie siècle »167 : « Un peu plus de métal jaune dans les alluvions des fleuves, un peu plus d’argent dans les entrailles du Mexique et du Potosf, et le miracle aurait pu se produire, qui a tardé, et peut-être tarde encore... ». Pour s’empresser, d’ailleurs, d’ajouter, avec combien de raisons : « ... Mais le problème n’a pas été aussi simple. »

240Aussi simple ! Certainement pas.

241La présomption de causalité ne pourrait s’étayer, tout d’abord, en dehors, bien sûr, d’une présupposition non scientifique, que sur l’antériorité de la courbe des trésors. Cette antériorité, on l’a, certes, dans l’hypothèse hamiltonienne de contrebande et de fraude constante ; dans l’hypothèse, par contre, — et c’est, pourtant, l’évidence —, d’une fraude croissante, l’antériorité du phénomène, importation des métaux précieux, sur les deux autres, prix et trafics, est beaucoup moins nette et beaucoup moins sûre. Il est difficile, dans ces conditions, de dépasser le stade des concomitances pour s’aventurer sur le chemin de la causalité.

242Seul, le rythme de la prise de possession des espaces géographiques, — les prises de possession d’espaces jouent, dans les économies anciennes, aux origines des fluctuations les plus longues de la conjoncture, le rôle que les rugosités de la marche du progrès technique jouent dans l’économie mondiale du Nouvel Age — nous est apparu susceptible, on en a émis ailleurs l’hypothèse, de fondre dans une explication globale les différents indices d'activité qui sont proposés à notre réflexion. Le progrès géographique ayant été, aux origines de la construction d’un espace économique mondial, l’ancêtre, dans son rôle moteur, de ce qu’est, aujourd’hui, le progrès technique.

243Cette réserve une fois faite, il ne s’agit nullement de dépouiller trésors et prix de leur rôle primordial dans cette économie ancienne... à la condition, toutefois — elle est seule susceptible de réconcilier des attitudes intellectuelles apparemment opposées — d’y voir, moins une cause, quelque mystérieux primum mobile, qu’un signe.

1. Économie ancienne et insuffisance monétaire. Ébauche d’une théorie générale

  • 168 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 42. Le raisonnement est valable, quelle que soit la marge (...)

244La thèse du primat des fluctuations de la production des métaux précieux, comme moteur de la conjoncture économique, se heurte à une objection de bon sens. Que représentent, par rapport à l’ensemble de la production, ces 16 887 tonnes d’argent et ces 181,3 tonnes d’or, venues d’Amérique à Séville168 ? Que représentent ces chiffres, même doublés, pour tenir compte de ce qui a pu rester aux Indes ? Par rapport au volume global d’une production qu’il ne nous sera jamais possible d’approcher, que représentent ces valeurs ? Une part infime, bien certainement.

245Par rapport à la production négociée, au volume beaucoup plus réduit, partant, de l’économie d’échanges, que signifient ces valeurs ? Beaucoup plus certes, mais infiniment peu encore.

246Est-il raisonnable, dans ces conditions, d’attribuer un rôle déterminant comme moteur conjoncturel à un secteur, tout bien pesé, minime de l’économie ? Qu’est, finalement, toute la production de toutes les mines d’Amérique, face à la production céréalière de l’Europe ? Mais l’argument, à la limite, pourrait être tourné contre la signification que nous entendons donner à la masse globale des échanges à travers l’Atlantique.

247L’argument, il est vrai, perd de sa valeur, si on veut bien voir dans l’ensemble des faits : prix, mouvements des métaux précieux et mouvements des grands échanges internationaux, dont les variations concordantes à long terme sont responsables de ce que l’on appelle phases A et phases B, moins des causes que des conséquences, les signes des à-coups dans la prise de possession par l’économie d’échanges européenne, d’espaces nouveaux. Pendant un siècle, le xviie, il faudra à l’occupation européenne à composante ibérique — dans le Nouveau Monde — un temps d’arrêt pour être à même à nouveau de reprendre sa marche en avant. La prise de possession de nouveaux espaces amène, à peu près automatiquement, la découverte et la mise en exploitation de nouveaux filons superficiels, donc de haute rentabilité. C’est le cas typique de l’or brésilien au début du xviiie siècle, conséquence de l’exploration, sur une grande échelle, de l’intérieur du pays par les chasseurs d’esclaves.

248Mais la valeur des métaux précieux, en tant que signe de conjoncture, est liée aux structures mêmes des économies anciennes, dans la mesure où les métaux précieux sont étroitement liés au phénomène monétaire, à un point que nous imaginons mal.

  • 169 R. de Roover, Gresham on Foreign Exchange, an essay on early English Mercantilism with the text of (...)

249Première règle à poser : de tous les moyens monétaires, le primat de la monnaie métal. L’existence de la lettre de change ne doit pas faire illusion. D’une part, elle reste étroitement liée à l’existence d’une couverture métallique, elle ne se substitue encore, d’autre part, à la monnaie métal que dans un nombre restreint de transactions. Elle affecte, tout au plus, le volume global de monnaie métal disponible d’un certain coefficient relativement faible qui en multiplie quelque peu l’efficacité. Il faut attendre, on le sait, les grandes transformations techniques de la première moitié du xviie siècle169 en Angleterre d’abord et en Hollande, pour que le rôle de la monnaie scriptuaire soit accru par rapport à la seule monnaie métal. Ajoutons que cette mutation, la plus importante dans ce domaine depuis le xive siècle, se place, naturellement, au seuil de la période de difficultés de la contraction des prix, favorable au progrès technique sous toutes ses formes. Elle ne touche pas l’Atlantique de Séville avant la seconde moitié du xviie siècle, elle ne supprime pas même alors le primat de la monnaie métal sur toutes les autres formes de monnaie.

  • 170 Tout au long de sa remarquable étude consacrée à L’économie mondiale et les frappes monétaires en (...)

250Les possibilités monétaires dépendent, donc, dans cette économie ancienne, du stock des métaux précieux, à un point qu’on a peine à imaginer. Or, et c’est une règle à peu près absolue, on peut affirmer qu’en économie ancienne, le besoin monétaire est un besoin tel qu’on peut bien considérer qu’il n’est jamais saturé. Frank C. Spooner, tout récemment encore170, rapporte un nombre considérable de témoignages décisifs. À plusieurs reprises, des contemporains aussi compétents que les techniciens de la Cour des Monnaies et combien d’autres, dénoncent l’effet paralysant, pour l’économie et pour les grands desseins politiques du Royaume, de l’insuffisance monétaire. Ces plaintes justifiées se situent, paradoxalement, en pleine révolution des prix, en pleine inflation métallique. Plus proche encore du pactole, au cœur bien davantage du cyclone de la révolution des prix, la Casa de la Contratación fait souvent écho, de Séville, à des plaintes analogues à celles que les documents mis en œuvre par Frank C. Spooner expriment du côté français. S’il en va ainsi, au plus fort de la révolution des prix en France, en Andalousie, dans les deux secteurs les mieux irrigués de l’Europe, qu’en irait-il, loin des grands courants monétaires, en période de déflation ?

  • 171 Au moment où nous relisons les épreuves, un article de Guy Thuillier (Annales E.S.C., no 1, p. 65- (...)

251Il n’en irait pas autrement, bien sûr, et les témoignages seraient faciles à fournir. En fait, comme Law devait si fortement le souligner au début du xviiie siècle, on manque toujours de signes monétaires. J’ajouterais, dans les structures de l’économie ancienne, disons, si on veut, jusque très tard dans le cours même du xixe siècle171. Le célèbre diagnostic de Keynes ne rejoignait-il pas, sur ce point, au début des années 30 du xxe siècle, le jugement du génial écossais ?

252Manque structural de signes monétaires, ce n’est que trop évident, en période de déflation métallique. Mais en période d’inflation métallique, également — en période d’inflation, d’argent, surtout, ce métal moins noble, monétairement, moins lourd, moins propre que l’or, à porter aisément les systèmes d’échanges les plus ambitieux et les plus vigoureux — puisque aussitôt la hausse sentie, elle est anticipée, psychologiquement exagérée, partant annulée. Si l’on admet, par conséquent, comme une règle des structures anciennes, elle s’appliquerait particulièrement bien dans la Carrera au long plateau du renversement des tendances — on pourrait presque l’énoncer sous forme de loi — que l’appareil physique et humain de production n’atteint presque jamais au plein emploi, par insuffisance à peu près constante de signes monétaires, on comprend quelle importance quasi vitale a pu revêtir, au sein des économies anciennes, la production des métaux précieux. Elle y est, certes, un moteur, mais plus encore, peut-être, un signe de santé, un signe qui permettrait d’augurer du plus ou moins bon emploi des moyens de production et d’échange physiquement existants et théoriquement disponibles.

253La marge qui sépare une économie ancienne du plein emploi est, naturellement variable. Ce plein emploi des hommes et des choses est peut-être plus commode à approcher en phase d’or qu’en phase d’argent, au début du xvie siècle, donc, qu’en ces décades médianes du mouvement. On peut s’en approcher sans jamais l’atteindre — il faudrait parler, ici, d’asymptote — dans certaines phases du cycle, dans les phases ascendantes, plutôt que dans les phases descendantes, en expansion mieux qu’en contraction.

254Tout cela reste à préciser. Il faudrait, pour risquer une démonstration, un appareil statistique dont on n’a même pas l’ébauche. Il n’en demeure pas moins que la compréhension de cette composante majeure des anciennes économies restitue logiquement à la production de l’or et de l’argent, partant à la frappe monétaire, le rôle qu’empiriquement l’établissement et la mise en parallèle des indices d’activité tendait à lui conférer.

255On pourrait, à l’appui de cette insuffisance structurelle des moyens monétaires en économie ancienne, aligner un dernier argument dont on n’a pas su, à ma connaissance, tirer un profit suffisant.

256La dévaluation de presque toutes les monnaies de compte qui se poursuit, paradoxalement, en dépit de l’inflation métallique du xvie siècle. Elle est particulièrement sensible en France. Entre 1470 et 1638, la surélévation de la monnaie réelle par rapport à la livre est de 350 %. Le rythme en est même — voilà qui n’ira pas sans surprendre — plus rapide en phase A d’inflation métallique que lors de la phase B de contraction métallique du xviie siècle. Pour expliquer cette détérioration constante de la monnaie de compte française, Frank C. Spooner fait intervenir les échanges internationaux et la faiblesse de l’économie française dont le territoire ouvert à tous vents est dépourvu de ressources minières, et, techniquement, inférieure dans le domaine des affaires à ses puissants voisins. Une fraction, seulement, de la réalité a été saisie, dans cette explication.

  • 172 Avec l’équivalent d’argent fin de 0,094 g seulement, 200 fois moins, en moyenne, que la pourtant p (...)
  • 173 N. W. Posthumus, op. cit., p. CIX-CV.
  • 174 Ibid., p. CIX. Fait, d’autre part, d’une exceptionnelle signification, comme pour la livre tournoi (...)

257En sa faveur, on pourra évoquer, certes, face à la lente détérioration de la livre tournois, la rigidité, de 1501 à 1602, du maravedí, il a tellement perdu, déjà, il est vrai, lors des siècles antérieurs, qu’il n’a plus grand chose à perdre et qu’il est beaucoup plus faible qu’aucune autre monnaie de compte172. En gros, à l’exception de la monnaie de compte espagnole — et pour un siècle seulement, de 1501 à 1602, — la livre tournois ne se comporte pas autrement que toutes les monnaies de compte européennes, que la livre sterling, que le gulden flamand173 (de 1575 à 1620 ne glisse-t-il pas de 14,28 à 10,28 grammes d’argent pur174 ?). Même les monnaies réputées les plus stables, expression d’économie de pays techniquement forts dans le domaine des affaires, n’échappent pas, en pleine inflation métallique, à la dévaluation universelle.

258Qu’est-ce à dire, sinon que, face aux énormes échéances des grandes politiques, aux fantastiques besoins d’économies d’échanges qui se montrent, de plus en plus ambitieuses, de plus en plus exigeantes, le moyen monétaire reste toujours en deçà des besoins ?

259La monnaie est liée alors par une relation très étroite au stock métallique ; elle constitue un besoin jamais saturé. Elle occupe nécessairement, de ce fait, une position marginale qui en décuple les effets.

260Ces relations complexes nécessiteraient une étude pour laquelle, malheureusement, les données sont difficiles à obtenir. Ces quelques lignes suffisent, sans doute, à justifier l’importance des fluctuations des arrivées des trésors, et, plus particulièrement, en ce qui concerne le trafic, des arrivées des trésors destinés aux seuls particuliers, entendez au seul négoce, sur toute la conjoncture du grand trafic Atlantique.

261Ces constatations — ce schéma grossier, oserons-nous dire — permettent au-delà des covariations prix/trésor/trafic, de comprendre, peut-être, à l’intérieur de la fluctuation plus courte, cette curieuse et, tout compte fait, combien paradoxale relation qu’on a toujours constatée, même au niveau de la fluctuation courte, entre prix et trafics. Elle est logiquement bien liée, si on suppose, conséquence de structures monétaires anciennes, l’économie Atlantique de Séville empêchée, presque toujours, d’atteindre au plein emploi de ses moyens physiques et humains, à l’utilisation maximale de ses navires, de ses marins, de ses grossiers moyens de chargement et de déchargement, d’embarquement et de débarquement, de ses possibilités d’exportation, par insuffisance quasi permanente des moyens monétaires.

262Ces moyens monétaires sont plus grands, quand il y a hausse de prix, en période ascendante du cycle, en période d’abondance, au moins apparente, de signes monétaires. On sait la rigidité, en effet, de ces marchés, où le passage d’une pénurie extrême à une pénurie un peu moindre crée de fausses impressions d’abondance. Sous l’angle monétaire, les périodes ascendantes du cycle, qu’est-ce, sinon, sous l’effet, entre autres, d’une arrivée plus abondante d’Amérique, soit d’une série de moins bonnes récoltes, une moins grande pénurie monétaire ? Si le goulot d’étranglement se dilate, si, pendant quelques années, on se rapproche, sans l’atteindre, bien sûr, des conditions monétaires du plein emploi des moyens physiques, nous aurons hausse de trafic. Dans l’hypothèse obligatoire d’une insuffisance structurelle des moyens monétaires, les covariations positives prix-trafic apparaissent comme une conséquence logique. La constance, plus d’un siècle durant, de ces covariations positives vérifiables pour un secteur économique aussi important, quand même, vient s’ajouter aux affirmations des textes littéraires, pour accréditer et renforcer une hypothèse avancée, d’abord, comme simple moyen de travail, corroborée, ensuite, par l’analyse des séries chiffrées.

263Ce schéma, loin de se substituer aux schémas qu’on a déjà proposés, autour de la paradoxale covariation positive des trafics et des prix, se superpose aux dessins précédents que, loin d’exclure, il présuppose.

2. Production métallique et renversement de la tendance (1590-1631)

264On appréciera mieux, désormais, le mécanisme profond des renversements de la tendance dans cette vaste période d’hésitations qui va de 1592 à 1622 et sous certains angles, au-delà, jusqu’en 1631.

265Le mouvement cesse peu à peu d’être soutenu par l’expansion monétaire et par l’abondance des trésors. A nouveau, le goulot de l’insuffisance monétaire se resserre d’autant plus vite qu’entre 1600 et 1630, les arrivées des métaux précieux, qui cessent de croître, irriguent de plus en plus directement l’Europe, sans, autant qu’auparavant, se soumettre au crochet par la péninsule. D’où le décalage noté entre les prix espagnols et français, d’une part, les prix non ibériques et français, d’autre part. Le mouvement continue par vitesse acquise, à progresser, d’abord, à un rythme plus lent, à se maintenir, ensuite, sur ses positions anciennes, mais la vague n’est plus guidée, elle cesse aussi d’être entraînée.

266Le maintien de l’expansion des trafics supposait une production métallique croissante, entre autres facteurs. Seule, en effet, la production de ce produit marginal, d’une densité extrême, dont il y eût, quelle que fût sa production, toujours pénurie, pouvait maintenir le paradoxe de masses énormes de produits demi-pondéreux passant l’eau pour assurer le ravitaillement de l’Europe en ce produit-miracle. L’or, seul, d’abord, puis l’argent, moins parfait, aura pu réaliser, au siècle des caravelles, le paradoxe de pondéreux, parcourant dix et douze mille kilomètres à travers l’Atlantique, le passage de l’isthme, le Pacifique et les chemins muletiers des Andes. Cette production entretenait la hausse des prix, qui nous rapproche, en économie ancienne, par réduction du goulot monétaire, d’un meilleur, sinon du plein emploi des possibilités physiques d’utilisation du médiocre appareil économique existant. Ces périodes d’abondance — il vaudrait mieux dire, de moindre pénurie monétaire — permettent, sur une grande échelle, la constitution de ces gigantesques circuits d’échanges dont l’Atlantique de Séville est comme le prototype. Leur plein fonctionnement étant une condition, d’ailleurs, du maintien de la hausse des prix et de l’approvisionnement croissant en métal miracle.

267Le rythme de croissance ne peut se maintenir qu’au prix d’une multiplication toujours plus rapide de l’approvisionnement, en métal, en raison, précisément, de l’inflation, une inflation nécessaire puisqu’elle est une condition de l’élargissement du goulot monétaire, sans lequel il n’y aurait pas d’expansion. Qu’on veuille bien tenir compte, en outre, qu’au fur et à mesure de l’expansion des prix, le rendement de l’industrie minière diminue progressivement, à condition d’exploitation égale. À l’usure physique de la mine s’ajoute son usure économique. Comme pour la colonisation, sa propre réussite est, à l’exploitation minière, à long terme, une condition de sa perte. Entre le début et la fin du xvie siècle, par le quadruplement du niveau des prix-métal, la valeur de l’or et de l’argent, marchandise, aura décru des 3/4. Pour que le mouvement de hausse se prolonge, il importe donc que le rythme de croissance de la production minière soit supérieur au rythme de croissance des prix et des trafics.

268Cette condition ne peut être réalisée qu’au prix de l’annexion constante de nouveaux espaces, dans le cadre où nous sommes de techniques constantes (par rapport à certaines techniques allemandes de la fin du xve et du début du xvie siècle, il vaudrait presque mieux dire, dans le cadre, à assez long terme, de techniques décroissantes). Toute la croissance de l’économie européenne au xvie siècle, aura, donc, de ce fait, été dans une certaine mesure, conditionnée par l’annexion de nouveaux espaces, plus spécialement au Nouveau Monde. Et cela, d’autant que l’épuisement des installations minières est plus rapide, en période d’expansion des prix qu’en période de contraction, puisque toutes choses étant égales, la rentabilité en est ipso facto décroissante, du simple fait même du recul du pouvoir d’achat de l’or et de l’argent.

269On peut donc, affirmer, que le maintien d’une phase d’expansion comporte, à peu près nécessairement, une production métallique rapidement croissante. Qu’une telle production ne peut se maintenir que grâce à l’exploration d’espaces nouveaux condition même de la découverte de richesses nouvelles ; dont l’invention permet seule la réalisation de rentabilité croissante. L’accroissement de la rentabilité minière devient, de ce fait, condition nécessaire du maintien du rythme de croissance en période de hausse des prix, ou, si on préfère, de baisse du pouvoir d’achat de la matière monétaire.

270Un cycle neuf dure à peu près trente ans ; on a vu, déjà, combien le xvie siècle s’articulait en un premier cycle de l’or qui correspond à la découverte des îles et à l’orpaillage des rivières ; un premier cycle de l’argent, à l’occupation des plateaux aztèques et incas, un second cycle de l’argent, conséquence d’un double bond en avant, spatial, un meilleur inventaire du domaine géographique indien, technique, une adaptation à des minerais nouveaux de vieilles techniques allemandes, l’amalgame.

271En 1590, une poursuite de la marche en avant des économies aurait nécessité une nouvelle découverte, soit technique, soit géographique, d’autant plus difficile que le niveau des prix était plus haut, le niveau du pouvoir d’achat du métal, plus bas, le maintien de la marche en avant n’aurait été possible qu’au prix d’une nouvelle surélévation et d’un nouvel abaissement.

272Circonstance plus grave, la conquête espagnole du Nouveau Monde a, en 1590, épuisé le domaine qu’elle peut espérer saisir, sans renouveler ses méthodes. La conquête espagnole ne s’exerce pas immédiatement, mais toujours par le truchement d’une société intermédiaire, par le moyen d’une forte population indienne dominée. À la fin du xvie siècle, tout l’espace américain n’est, certes, pas circonscrit, moins encore saisi, mais tout l’espace fortement peuplé par des sociétés indiennes ayant déjà atteint un fort degré d’organisation est bien délimité, voire en voie d’épuisement.

273Un grand temps d’arrêt doit nécessairement être marqué. Au stade de la fuite en avant, d’une organisation au bout de la pique uniquement centrée sur Séville, selon l’axe des besoins de la Métropole, suivant les besoins de l’économie européenne, va succéder une période d’organisation sur place, en profondeur. Cette prise plus profonde de possession du sol est la conséquence d’une évolution démographique divergente : montée rapide de la population coloniale dominante, protégée par sa position de dominant, contre les risques de surmortalité conjoncturelle, baisse de la population indienne dominée. D’où la nécessité d’une organisation moins ambitieuse, plus terre à terre, moins paradoxalement extravertie. À partir de l’Amérique — car c’est de là que le contre-choc est venu — le monde, comme Fernand Braudel l’a bien montré, va se morceler. C’est l’heure, selon sa belle expression, des états moyens, le terme de la fortune des trop grands empires.

274La reprise s’effectuera, près d’un siècle plus tard, mais suivant des modalités différentes, ce sera encore l’Amérique, mais non l’Amérique espagnole, la jeune Amérique française et anglaise, le Brésil de l’intérieur, le Brésil de l’or, entendez des conquêtes organisées pour se passer de l’instrument d’une forte société indienne intermédiaire.

275Dans toute cette gymnastique l’homme commande dans son comportement face à l’espace. Mais le signe, pour nous, commode, reste la monnaie et son support métallique. À condition de bien savoir qu’elle n’est pas beaucoup plus qu’un signe.

276L’Atlantique de Séville plafonne, reprend une montée essoufflée, bascule, s’étale, perd du terrain, puis s’effondre, parce que des trésors, mieux, parce que des espaces nouveaux, cessent de l’alimenter. Un Atlantique fortement sillonné, en progrès, traversé par des circuits d’échanges prodigieusement étirés, a été le signe, au xvie siècle, d’un monde en expansion, non clos. Que l’espace américain se ferme, pour un siècle, l’Atlantique de Séville cessera de croître, d’abord, puis déclinera.

277L’Atlantique de Séville, de 1592-1622,1592-1631, peut être une masse puissante, mais dont les sources de prospérité et de croissance se ferment, un monde destiné à péricliter quand il aura achevé d’épuiser l’énergie accumulée qu’il est, désormais, incapable de renouveler.

278Ces trente années sont capitales tant pour l’histoire de l’Atlantique que pour une meilleure compréhension de la dynamique économique des sociétés anciennes. Il importe d’en pousser l’analyse le plus loin possible. On dispose, pour y parvenir, d’un atout non négligeable, la richesse documentaire et la densité des séries grâce au hasard de la conservation des archives, mais grâce aussi au labeur d’une administration admirablement maîtresse, désormais, de ses moyens. Un rapide exposé en sera donné, au niveau de chacune des trois grandes fluctuations cycliques qui constituent ce grand intercyclique du retournement des tendances.

Notes

1 Cf. ci-dessus, p. 827-840.

2 Cf. ci-dessous, p. 1515-1525.

3 Cf. ci-dessous, p. 1276 à 1296 et surtout 1282 sq.

4 t. VI1, table 129, p. 327.

5 En 1514, 1536, 1551, 1587, 1595, 1600, 1602, 1630. Cf. t. VI1, tables 162-164, p. 361-363 ; t. VII, p. 52-53.

6 Compte non tenu de la pondération par la modification de l’unité et des méthodes de jaugeage, elle accroîtrait simplement l’écart, en faveur du groupe-record de 1608-1610, le portant à près de 40 %. Cette différence est très visible sur les graphiques, t. VII, p. 44-45.

7 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403. T. VI 1, tables 162-164, p. 361-363.

8 Cf. t. VI 1, table 144, p. 342.

9 Une élémentaire prudence exige de tenir compte, avec une égale attention, au cours de cette période particulièrement délicate, du renversement de la tendance majeure, des séries évidemment très voisines, avec ou sans la pondération. La pondération, malgré sa grande vraisemblance, n’est qu’une possibilité, plus proche de la réalité que la non-pondération. La vérification d’une loi sur les deux séries confère une plus grande certitude à son contenu. Elle met son objectivité, au-dessus de toute contestation ultérieure possible.

10 Cf. t. VI 1, tables 145, p. 343.

11 Cf. ci-dessous, p. 1252-1525.

12 Cf. t. VI1, tables 148-149, p. 345-346.

13 Ou notera, par exemple (cf. t. VI, table3l39, p. 337 et 143, p. 341), qu’en semi-décadaire, même en unités non pondérées, les Retours des demi-décades 1611-1615, 1616-1620, 1621-1625, 1626-1630, dépassent les niveaux des demi-décades, 1601-1605 et 1596-1600, qu’ils dépassent même le point haut antérieur de 1576-1580 (c’est vrai, à la seule exception de 1626-1630, un peu au-dessous pour les termes de référence postérieurs de 1611-1615, 1616-1620, 1621-1625). Sur le découpage semi-décadaire du mouvement Retours en unités pondérées, l’ensemble de la période 1606-1630, forme une masse haute qui dépasse, globalement, tout ce qui précède et 1616-1620, est, exactement, à la même hauteur que 1606-1610.

14 Cf. t. VI1, tables 154-155, p. 351-352.

15 Cf. t. VI1, tables 148-149, p. 345-346.

16 Une autre approche de la répartition des masses du mouvement est donnée par la série demi-décennale. Le couple des demi-décades élevées 1606-1610 et 1616-1620 (même exprimées en unités non pondérées, cf. t. VI1, table 139, p. 337), l’emporte sur le couple symétrique des demi-décades élevées, 1596-1600 et 1606-1610. On comprend donc sans peine que, sur une moyenne mobile, 1612 constitue un meilleur point de rebroussement que 1605. En unités pondérées (Cf. t. VI1, table 143, p. 341), les demi-décades 1606-1610 à 1626-1630, inclusivement, l’emportent sur tout ce qui précède.

17 Cf. t. VI1, tables 154-155, p. 351-352.

18 Des moyennes arrière plus conservatrices et plus atténuatrices, que certains historiens préfèrent aux médianes, donneraient exactement les mêmes résultats décalés chronologiquement de deux ans, pour les moyennes de cinq ans, de cinq ans pour celles de onze, de six ans pour celles de treize. 1603 devient 1610 ; 1612, 1617 ; 1614, 1620.

19 Cf. t. I, p. 88.

20 Cf. t. VI1, tables 226-227, p. 471-473.

21 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403.

22 4 140 206 451 mrs (cf. t. VI1, table 227, p. 473). Semblable niveau ne peut être que très partiellement imputable à la poussée des prix sous l’inflation du billon, voire à une modification sans lendemain du système fiscal. Il montre, ce niveau record, avec beaucoup d’autres éléments, la longue, puissante et efficace résistance du trafic de la Carrera jusqu’à l’ultime et définitif retournement, l’effondrement total de 1640.

23 Cf. ci-dessous, p. 1289 sq. et 1381 sq.

24 Cf. t. VI1, table 201, p. 420, table 228, p. 474 et t. VIII, p. 58-59.

25 Cf. t. VI1, table 139, p. 337.

26 Cf. ci-dessus, p. 355-522.

27 556 unités, au départ de 1586 à 1590, au lieu de 504, seulement de 1546 à 1550, lors du précédent record, soit un progrès de 10 %.

28 Cf. ci-dessus, p. 609-766.

29 Cf. ci-dessous, p. 1353-1525.

30 À noter que l’avería (cf. t. VI1, table 226, p. 471) donne, à la même hauteur (1590-1594), une forte présomption de point de rebroussement — au moins, d’un premier point de rebroussement éventuel — des exportations en valeur.

31 Cf. ci-dessus, p. 853-859.

32 Cela s’explique assez aisément, puisqu’il y a changement total et reconstitution à peu près complète du matériel naval après la ponction de l’Invincible Armada qui avait entraîné, on s’en souvient, un recul paradoxal et passager du tonnage unitaire. Il y a donc, dans ce mouvement, outre la prolongation normale d’une tendance, un large effet de récupération.

33 Cf. t. VI1, tables 139 et 143, p. 337, 341.

34 Cf. ci-dessus, p. 609-766.

35 Cf. t. VI1, tables 139 et 143, p. 337 et 341, tables 159 et 160, p. 356 et 357 ; t. VII, p. 45 et 53.

36 On trouvera une très belle et irréfutable confirmation de cette situation : alors que les moyennes mobiles longues (onze et treize ans. Cf. t. VI1, tables 148-149, p. 345-346 et t. VII, p. 50-51) construites sur les Allers, que ce soit en unités non pondérées ou en unités pondérées, décrivent une trajectoire régulière à peu près continue, assez régulièrement ascendante de 1560 aux premières années du xviie siècle, avec deux ralentissements à la hauteur des années 70 et vers la fin, les moyennes mobiles établies sur les Retours dans les mêmes conditions (cf. t. VI1, table 145, p. 343, et t. VII, p. 50-51), dessinent un creux beaucoup plus net encore que celui du demi xvie siècle, sur vingt ans, au moins, depuis 1583-1584 jusqu’au début du xviie siècle (1603-1604), le creux de la dépression étant situé juste au milieu, autour de 1592-1595 (moyennes de onze ans sur unités non pondérées) ; en unités, pondérées, même situation avec un creux un peu atténué, toutefois. À noter que les moyennes des années 1640 sont encore à un niveau plus élevé que celui du creux des années 1590. On appréciera mieux, ainsi, la prodigieuse originalité du mouvement Retours par rapport aux Allers.

37 Cf. ci-dessous, p. 1326-1332.

38 Cf. t. VIII1, p. 290-329.

39 Cf. t. VI1, tables 182-183-184, p. 384-392, table 186, p. 398 et t. VII, p. 72, 73, 74, 75.

40 Et, a fortiori, au cours de la première. Il n’est pas malheureusement possible, faute d’une documentation plus précise, de mesurer la part exacte des Sévillans-marchands, au cours de la première moitié du xvie siècle. On peut affirmer, toutefois, avec une quasi-certitude que, au cours des quarante-cinq premières années du mouvement, les deux mouvements, global et marchand de Séville... se confondent presque, la catégorie marchands de Séville représentant de 85 à 90 % du total. (Cf. t. VII, p. 72-73.)

41 L’originalité, si on veut, de la série marchande de Séville, par rapport à la série globale résultante, au moment décisif du renversement des tendances, réside moins, dans l’avance chronologique du déclenchement que dans l’accentuation immédiate de l’amplitude négative de la récession.

42 Cf. t. VI1, tables 181, 183, 184, p. 380-392 et t. VII, p. 72-73.

43 Ibid.

44 Ibid., table 186, p. 378.

45 Non sans que cette législation — on a déjà eu l’occasion de s’expliquer sur ce point — ne soit elle-même, sans subir l’influence de la conjoncture. On peut donc retrouver derrière cette législation, la conjoncture, mais au prix d’une analyse délicate. On ne peut la mener à coup sûr, qu’à la condition d’être déjà éclairé par ailleurs, sur elle.

46 On pourrait appliquer un raisonnement, en partie, analogue aux Négriers. Là, plus encore, que dans le cas des Canariens, la courbe est influencée par des facteurs extra-économiques : des navires négriers ne sont pas toujours connus comme tels. Dans l’ensemble, le mouvement des Négriers reproduit assez fidèlement l’allure générale de la courbe du mouvement Allers global, avec un point de retournement à la hauteur de la demi-décade 1606-1610, séparant, en gros, une phase ascendante d’expansion d’une phase longue de contraction.

47 Cf. t. VI1, tables 181-184, p. 380-392 et t. VII, p. 72-73.

48 Cf. t. II à V.

49 Cf. ci-dessous, appendice, p. 1958-1978.

50 t. VIII1, p. 431-434.

51 Cf. ci-dessous, p. 1953-1978.

52 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit, p. 34.

53 C’est elle qui commande, avec les cinq armées d’anticipation normale, le sommet des importations officielles du métal précieux dans le complexe portuaire que E. J. Hamilton place à la hauteur de la demi-décade de 1591-1595 (op. cit., p. 31).

54 Cf. t. VIII1, p. 471-474, t. VI1, tables 165-176, p. 364-375. Cf. surtout, table 177, p. 376 et t. VII, p. 82-83.

55 Cf. t. VIII1, p. 472.

56 Cf. t. VI1, tables 165-167, p. 364-366 et t. VII, p. 76, 77, 78, 79.

57 Cette impression serait, en gros, confirmée par les Retours (cf. t. VI1, tables 168-170, p. 367-369 et t. VII, p. 78-79) et, a fortiori, par les Allers et retours (cf. t. VI1, tables 171-173, p. 370-372 et t. VII, p. 76-77). Les Retours, par exemple, témoignent d’une assez large originalité vis-à-vis des Allers (on l’a vu déjà, cf. t. VIII1, p. 472) ; mais cette originalité n’affecte pas, sensiblement, le raisonnement précédent. De 1550 à 1605, un plateau animé de lourdes ondulations (un creux comme celui de la demi-décade 1576-1580, ferait assez penser à une présomption de corrélation négative, entre les Retours des îles et l’importance du mouvement en valeur), et d’une horizontalité presque parfaite. 1606-1610, par contre, est vigoureusement détachée (plus de 25 000 toneladas), 1611-1615, très fortement (24 500 toneladas). C’est donc à la fin de la demi-décade 1606-1610, autour des années 1609-1611, point de rebroussement du mouvement global Retours, que se situe, pour les îles, aussi, la zone du renversement de la tendance majeure du mouvement.
Pour les Allers et retours, position de compromis, plus proche, peut-être, pourtant, dans son allure générale, des Allers que des Retours, on retrouve, étant exclues les hésitations des toutes premières décades, elles sont dues, pour l’essentiel, au caractère partiel de la documentation, la chute structurelle des îles de 1551 à 1571-1575, sur laquelle il n’y a pas à revenir, ici. Au-delà, si on fait abstraction de l’anomalie négative de la demi-décade de 1601-1605, on retrouve avec pas mal d’hésitations, une sorte d’ébauche en deux tendances, une tendance très faiblement positive, timidement dessinée (elle est un compromis entre le plateau lourd des Retours et la puissante ascension des Allers) une tendance à la baisse vigoureusement tracée, par contre, au-delà de 1609-1611.
Dans ses grandes articulations, donc, le mouvement des îles semble infirmer la loi d’hétérogénéité que nous posions, tout à l’heure, pour définir la période 1588-1592/1619-1622. Cette homogénéité des îles avec les globaux, aura pour rançon il est vrai, leurs dissonances beaucoup plus significatives avec les grands trafics continentaux, ceux de la Nouvelle Espagne et de la Terre Ferme.

58 Cf. t. VI1, tables 165 à 173, p. 364-372 et t. VII, p. 76, 77, 78, 79.

59 Pour les Retours, la situation présente beaucoup d’analogies. Comme à l’Aller, le synchronisme est parfait vers 1580, voire même jusqu’en 1586-1588 : deux trends ascendants, avec des gradients inégaux. Pour les Allers et retours, a fortiori, même remarque.

60 Même rupture, encore qu’atténuée, en Retours. Les Retours de Nouvelle Espagne passent de 39 500 à 31 500 toneladas de 1581-1585 à 1586-1590, dans le même temps, les Retours de Terre Ferme passent de 24 500 à 25 000 toneladas. Repli de 17 % d’un côté, progrès de 2 % de l’autre. La part des Retours de la Terre Ferme par rapport à ceux de la Nouvelle Espagne passe de 62 % à 78 %.
En Allers et retours, bien sûr, on retrouvera, une situation analogue, un peu atténuée par rapport aux seuls Allers, très accentuée par rapport aux seuls Retours. De 1581-1585 à 1586-1590, le niveau du mouvement total de la Nouvelle Espagne passe de 93 000 toneladas à 76 000 toneladas, soit un décrochement négatif de plus de 18 %. Les Allers et retours de Terre Ferme passent, dans le même temps, de 55 000 à 82 000 toneladas, soit un décrochement positif de près de 50 %. Le mouvement de la Terre Ferme passe donc d’une demi-décade sur l’autre, exprimé en terme de Nouvelle Espagne, de 67 % à 108 %, de part et d’autre, donc, de la crise structurelle décisive des années 1586-1588. Une fois de plus, c’est elle qui fait frontière.

61 En unités non pondérées, du moins, la pondération, toutefois, n’infirmerait pas le reste de notre raisonnement.

62 De l’ordre de vingt-cinq à trente ans.

63 On a observé qu’à une particularité près, le dessin de cette courbe — la série légèrement rabotée des départs en direction de la Terre Ferme — démarque le dessin capital de la consommation mercurielle globale de l’économie hispano-américaine. Même encadrement du plateau médian entre 1586-1590, d’une part (pour la Terre Ferme et le mercure) et 1621-1625 (pour le mercure), 1626-1630 (pour la Terre Ferme) d’autre part. Mais c’est là la différence, le plateau également concave dans les deux cas est légèrement croissant pour la consommation globale du mercure, légèrement décroissant pour le trafic sur l’axe Allers entre le complexe andalou-canarien et la Terre Ferme.

64 Il représente, sur l’ensemble du siècle d’histoire envisagé, pour 40 % de poids, environ, de 58 à 60 % des valeurs sans doute. Tout cela assez approximativement, bien sûr

65 En unités non pondérées.

66 Cf. t. VI1, table 129, p. 327.

67 On observera, une fois de plus, ta conformité de ccs constatations avec tes données tirées des importations officielles de trésors des Indes (E. J. Hamilton, op. cit., p. 34). On retrouve la poussée de ta Terre Ferme de la demi-décade 1586-1590. C’est aussi, on s’en souvient, le moment d’une flambée exceptionnelle de la consommation du mercure (cf. ci-dessus, p. 869), de 1591-1595 sur les importations officielles des trésors, dans le complexe, avec les trois à cinq ans de décalage qu’on a coutume de retrouver dans ce cas. D’une demi-décade sur l’autre, la part des importations d’argent et d’or de la Terre Ferme par rapport à l’ensemble (Terre Ferme + Nouvelle Espagne) passe de 60 % à 68,5 %. Plus tard, même phénomène, pour la grosse reprise de la Terre Ferme entre 1620 et 1635. Entre 1620-1625 et 1626-1630, puis 1631-1635, la proportion des Allers de Terre Ferme à l’ensemble indien passe de 60 % (1620-1625) à 79 % (1626-1630) et 78,5 % (1631-1635).

68 Cf. t. VII, p. 67 et p. 86-87.

69 On ne pourra qu’être frappé, enfin, de la manière dont se détache le point haut de la demi-décade 1626-1030 sur les Retours de Terre Ferme (cf. t. VI1, table 179, p. 378 et t. VII, p. 67) : 46 000 toneladas contre 34 500 toneladas, entre 1621 et 1625, 1e précédent niveau-record, soit un décrochement positif de 30 %.

70 Cf. t. VII, p. 76-77.

71 La tendance majeure sur les Allers et retours de Terre Ferme, comme pour les provenances de cet axe fondamental, se renverse, après la demi-décade record 1626-1630 (101 000 toneladas sur 185 000 toneladas, 54 % du total), après la grande crise structurelle des années 1629-1631).

72 On voit facilement sur un graphique (cf. par exemple t. VU, p. 50-51) la différence qui sépare les deux accidents. La récession intercyclique des années 70 est plus étalée, mais beaucoup moins profonde que la récession des années qui suivent l'Invincible. La récession des années 70 est imputable, surtout, à un accident négatif des Aliers, celle des années 90, à un accident des Retours. La récession intercyclique des années 70 (cette particularité est bien visible sur les graphiques du t. VII, p. 46-47) est surtout une anomalie du mouvement unitaire, la récession intercyclique des années 90 est uniquement une anomalie, mais quelle anomalie, on s’en souvient (cf. ci-dessus, p. 808-840), du tonnage unitaire moyen.

73 Cf. ci-dessus, p. 527-672.

74 Cf. ci-dessus, p. 257-352.

75 Cf. ci-dessus, p. 767-840.

76 Cf. t. VI1, table 139, p. 337.

77 Cf. t. VI1, table 143, p. 311.

78 Cf. les 13 000 et les 12 710 toneladas des Allers globaux de 1506-1510 et 1511-1515, moins de 10 000 tonneaux en unités pondérées.

79 Il n’en est pas moins vrai que tant en chiffres absolus qu’en valeurs relatives, on ne retrouverait rien de comparable, hormis 1611-1615 par rapport à 1603-1610 (de l’ordre de 20 %) et les deux effondrements par lesquels se fait l’anéantissement de la phase B, 1631-1635, par rapport à 1625-1630, 1641-1645 par rapport à 1636-1640.

80 Le décrochement est uniquement imputable (cf. t. VI1, table 13 et 139, p. 168 et 337, cf. t. V II, p. 46-47), à la brusque réduction de tonnage unitaire moyen de 24 % de 1591-1595 à 1586-1590, de 33 % de 1591-1595 à 1581-1585 ? Le tonnage Unitaire moyen passe dans le même temps de 266,87 toneladas à 216,24 toneladas et 177,95 toneladas, tandis que le nombre des départs continue à s’accroître de 556 unités (de 1586-1590) à 612 unités (1591-1595), le niveau de la demi-décade 1591-1595, soit 612 unités, marquant assez paradoxalement le sommet du mouvement semi-décadaire des Allers.

81 Cf. t. VI1, tables 144 sq., p. 342 sq. et t. VII, p. 50 sq.

82 Cf. moyennes de treize ans et de onze ans en pondérés et en non pondérés.

83 Cf. t. VI1, tables 151 sq., p. 348.

84 Cf. ci-dessus, p. 827-840.

85 À cheval entre le cycle 1529-1592 et 1593-1604.

86 Cf. t. VI1, table 139, p. 337.

87 1586-1590 : 77 000 toneladas ; 1591-1595 : 65 000 toneladas ; 1596-1600 : 77 000 tonetoneladas ; 1601-1605 : 77 000 toneladas. La pondération (cf. t. VI1, table 143, p. 341) atténue un peu cette situation. 1596-1600 et 1601-1605 dépassant, alors très légèrement la position de 1581-1586 (86 500 tonneaux contre 80 000). L’augmentation reste, toutefois, très inférieure à celle qu’on observe en moyenne au cours du xvie siècle.

88 La prise en compte ou non de la pondération modifie beaucoup plus sensiblement, en Allers et retours qu’en Retours.

89 Cf. t. VI1, tables 146-147 à 158, p. 344 à 355 et t. VII, p. 50-51.

90 Cf. t. VI1, tables 144 sq. ; t. VII, p. 50 sq.

91 Cf. t. VI1, tables 154-155, p. 351-352, t. VII, p. 50-51.

92 L’expérience a révélé qu’elle fournissait le rabotage le plus efficace ; en outre, la pondération tient compte, peut-être, excessivement, des modifications de l'arqueamiento qui aboutissent à une plus grande parcimonie (fructueuse pour le négoce) dans l’attribution du tonnage des navires.

93 Ces vérifications ne sont pas limitatives.

94 Cf. t. VI1, table 145, p. 343 et t. VII, p. 50-51.

95 Cf. ci-dessus, p. 773-776.

96 Cf. t. VI1, tables 154-155, p. 351-352, t. VII, p. 50-51.

97 Cf. t. VI1, tables 157-158, p. 354-355 et t. VII, p. 50-51.

98 Presque aussi profond en écarts relatifs, car en valeurs absolues, il la dépasse, amplement, cela va presque sans dire.

99 Cf. t. VI1, table 139, p. 337 ; t. VII, p. 47.

100 Cf. t. VI1, table 13, p. 168, de 247,1 toneladas à 318,82 toneladas, de 296,3 tonneaux à 382,5 tonneaux. Ces niveaux, dans l’ensemble ne seront pas maintenus, sauf apparemment de 1641 à 1645.

101 Cf. t. VI, table 139, p. 337 ; t. VII, p. 47.

102 En unités non pondérées, 1631-1635 est très en dessous du creux 1591-1595, en dessous même de 1576-1580. En unités pondérées, le niveau 1631-1636 est encore un peu en dessous de 1591-1595. La masse centrale du mouvement est, ainsi, parfaitement encadrée, parfaitement isolée. Cette situation renforce, bien sûr, son incontestable originalité.

103 La première moitié de la décade donnait le niveau bas, tandis que la deuxième moitié constituait le niveau élevé.

104 Cf. t. VI1, tables 144 sq. p. 342 sq. ; t. VII, p. 50-51.

105 Première méthode, grossière, mais peu contestable : comparer, par exemple, la pente des mouvements prise entre la demi-décade la plus déprimée de la dépression précédant la demi-phase d’expansion et la demi-décade record terminale de ladite demi-phase.
Pour les Allers, on aboutit à une comparaison entre la pente de la deuxième demi-phase longue d’expansion calculée entre 1556-1560 et 1586-1590, d’une part, la pente de la partie ascendante de la zone centrale de plafonnement, calculée entre 1591-1595 et 1606-1610, d’autre part. Pour les Retours : 1551-1555 et 1581-1585 ; 1586-1590 et 1606-1610 et 1616-1620. Pour les Allers et retours : 1556-1560 et 1586-1590, 1591-1595 et 1606-1610.
Pour éviter les risques possibles d’erreurs, il sera aisé d’étendre l’observation aux trois séries des mouvements tonnages en unités pondérées, tonnages en unités non pondérées et aux mouvements unitaires.
Autres combinaisons utiles : la comparaison des pentes calculées entre le record de la première vague d’expansion et celui de la deuxième vague d’expansion, d’une part, le record de a seconde vague d’expansion et de la période de plafonnement d’autre part.
Cette méthode doit être complétée par une méthode plus précise, celle qui consiste à calculer des pentes sur les moyennes mobiles de onze, treize et cinq ans, en prenant toujours, comme termes de comparaison... les périodes 1560-1590 d’une part, 1590/1608-1610 d’autre part, 1608-1610/1619-1622 d’une part, 1619-1622/1610-1650 d’autre part. Avec, en vue d’éliminer les risques d’erreurs, une triple vérification sur les tonnages en unités non pondérées, en unités pondérées et sur les mouvements unitaires.
Dernière méthode, commode, enfin, celle qui consiste à comparer aux extrémités respectives des phases envisagées, la moyenne des creux cycliques et la moyenne des pointes cycliques calcifiées toujours sur les triples séries d’Allers, Retours, Allers et retours, (en mouvements unitaires, tonnages pondérés et non pondérés).
Fournir le détail de ces calculs qui sont, au demeurant, fort simples, serait inutile et fastidieux. Il importe, seulement, de retenir la constance et l’homogénéité des résultats obtenus. La multiplicité même des méthodes et l’identité, en gros, des résultats auxquels elles permettent d’aboutir constituent un excellent moyen d’enlever la créance.

106 Ces crises cycliques qui sont, aussi, on l’a.vu, de véritables crises de structures.

107 F. Braudel, Méditerranée, op. cit., p. 495.

108 Ibid., p. 496-498.

109 Dès 1596, on notait déjà à travers les faits discutés par la correspondance de la Casa de la Contratación (cf. t. IV, p. 18), que le conflit hispano-anglais agissait plus par les souvenirs cuisants qu'il avait laissés que par une réalité présente, encore vivante.

110 Cf. ci-dessus, p. 767-810.

111 Cf. ci-dessus, p. 808-810.

112 Cf. t. VI2, table 611, p. 871 et ci-dessus p. 1253-1352.

113 Conjonctures moyennes. Affirmation paradoxale si on se réfère aux niveaux, les niveaux records de tout ce siècle, plausibles, si on tient compte moins des chiffres vrais que de la pente des mouvements (cf. ci-dessus, p. 385-886).

114 E. J. Hamilton, op. cit., p. 403.

115 Ibid., p. 215.

116 Ibid., p. 403. Indice de 1601 : 143,55, chute en 1602 : 138,40 puis remontée jusqu’en 1605, 138,70 (1603), 140,38 (1604), 142,20 en 1605. Cf. t. VI2, tables 163-164, p. 362-363.

117 Cf. ci-dessous, p. 1252-1335.

118 Frank C. Spooner, L’économie mondiale et les frappes monétaires en France (1493-1630), op. cit., p. 326-327 sq.

119 T. I, p. 28 et 29.

120 Si on se cantonne dans la seule Europe occidentale méridionale et centrale. Si on fait intervenir l’Europe slave, le décalage s’accentue encore et le renversement de la tendance peut se placer au milieu du xviie siècle, voire même entre 1650 et 1660.

121 Cf. ci-dessus, p. 776-784.

122 Ibid.

123 Henri Hauser, Recherches sur les prix et Frank C. Spooner, op. cit., p. 297 et 300.

124 F. C. Spooner, op. cit., graphique no 23, p. 297.

125 F. C. Spooner, op. cit., dépliant, p. 337.

126 Cf. ci-dessus, p. 767-840.

127 Cf. ci-dessus, p. 800 sq.

128 Cf. Albert Girard, Le commerce français à Séville.

129 N. W. Posthumus, Inquiry into the history of Prices in Holland, Leiden, E. J. Brill, 1946, gr. in 4°, CXVIII, 32, 600 p.

130 Cf. ci-dessus, p. 853 sq.

131 Que la crise du renversement de la tendance des prix espagnols soit bien, avant tout, une grave crise qui affecte l’ensemble de l’espace atlantique, on en a comme une preuve supplémentaire dans l’évolution du prix du blé aux Açores. Autant qu’on en puisse juger par une série quelque peu tronquée, c’est entre 1600 et 1607 que se situe le renversement de la tendance majeure du prix du blé. L’analogie de comportement avec les grands axes du trafic transatlantique est, pour le moins, troublante. Cf. Étude sur le blé aux Açores, dans Arquivo dos Açores, I, p. 524 à 535 (1878) B.N.P. Oq. 188 (1)4. Valor do trigo na ilhe de S. Miguel. Ce travail pionnier dans l’historiographie des prix est peu connu. Nous devons d’avoir pu le consulter à l’obligeance de M. J. Gentil Da Silva. Qu’il veuille bien trouver, ici, l’expression de notre gratitude.

132 Parenti et, à ce propos, J. Meuvret, Annales E.S.C., 1953, no 2, p. 215-219.

133 Elsas, op. cit.

134 F. C. Spooner, op. cit., dépliant, p. 337.

135 En quantité de métal frappé, compte tenu de la dévaluation de la livre tournois pendant toute la période embrassée par F. C. Spooner, de 1493 à 1680.

136 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 96-97.

137 Cf. ci-dessous, p. 1614-1615,.. 1633-1634, 1651-1652, 1663..

138 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403, point le plus bas 119,48 en 1626.

139 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 215-216.

140 Avec des passages par les indices 80,67 en 1611 ; 82,46 en 1612 et 81, 43 en 1615.

141 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403 ; t. VI1, table 164, p. 363.

142 William H. Beveridge, Prices and usages in England, op. cit.

143 Charles Verlinden, Jan Craeybecks, E. Scholliers, Mouvement des prix et des salaires en Belgique auxvie siècle, Annales E.S.C. 1955, no 2, p. 173-198.

144 N. W. Posthumus, Inquiry into the history of Prices in Holland, op. cit.

145 Ibid., p. cix.

146 Cf. t. VI1, table 138, p. 336 et t. VII, p. 44-45.

147 Quelle est la signification exacte de cette date de 1632, à laquelle nous avons attribué, un peu vite, penseront certains, la valeur d’un renversement de la tendance majeure des prix en Europe, partant d’un changement capital d’atmosphère ? On est un peu gêné, par la prudence même — louable, bien sûr — de N. W. Posthumus, qui s’est interdit, bien que les premières indications relevées à la bourse d’Amsterdam commencent en 1585, de calculer et de graphiquer des indices généraux avant 1620. Il n’est peut-être pas interdit, de penser, au prix d’une extrapolation hardie et, de toute manière, fragile, en partant des données continues dans l’ouvrage de Posthumus lui-même, que les prix montant, en gros, jusque vers 1590, ont dessiné, sur la bourse d’Amsterdam, entre 1590, en gros et 1632, un grand plateau concave, avec deux rebords, 1590, d’une part, 1632, d’autre part. En monnaie métallique constante, il n’est pas exclu même que 1590 puisse entrer en compétition avec 1632. Il suffit, pour s’en convaincre, de se reporter à la table V de N. W. Posthumus (op. cit., p. CIX), de 1575 à 1650, l’équivalent du gulden passe de 14,28 grammes à 10,28 grammes d’argent fin (il est à noter, à cet égard, que de 1575 à 1630, la dévaluation du goulden réputé, monnaie stable, par excellence, est plus rapide que celle de la livre tournois, la livre tournois réputée, type même de monnaie fondante, telle que la donnent les tables de Natalis de Wailly. Le gulden de 1575 à 1632 perd 28 % de son équivalent en argent fin.

148 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 96-97.

149 F. C. Spooner, op. cit., dépliant de la p. 336 et p. 533-534.

150 E. J. Hamilton, op. cit., p. 34 et 33.

151 Entre ces deux dates, les niveaux semi-décadaires sont compris entre 23 832 630,5 pesos, chiffre le plus bas, pour la demi-décade 1586-1590 et 35 184 862,5 pesos pour la demi-décade record de 1591 à 1595. Il s’agit de pesos à 450 maravedis.

152 Ces chiffres se trouvent loin encore du niveau semi-décadaire le plus bas du plateau cinquantenaire central, entendez les 23,8 millions de 1586 à 1590.

153 Cf. ci-dessous, p. 1025-1684.

154 Cf. t. IV et V, notes aux tableaux, cf. t. VI1, tables 198, 199, 200 et 201 surtout, p. 414 à 420, IIIe colonne.

155 Cf. t. V, notes aux tableaux et t. VI, table 201, p. 420.

156 Cf. ci-dessus, p. 808-840.

157 Cf. t. VI1, tables 226-228, p. 471-473.

158 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 33-34 et François Chevalier, Revista de Indias, 1943, article cité.

159 Cf. t. VI1, tables 130 sq., p. 328 sq., tables 218 sq., p. 446 sq. et t. VII, p. 58-49.

160 W. Borah, Mexico’s Century of depression.

161 Cf. t. VI1, table 139, p. 337.

162 On avait noté les évaluations divergentes des Allers et des Retours. Décroissance des pondéreux à l’Aller, croissance aux Retours..., mais la disparité est telle au départ que l’équilibre n’est pas atteint encore en 1650. La valeur unitaire des cargaisons Retours, en raison de l’élément distordant des trésors, restera toujours supérieur à la valeur unitaire des cargaisons Allers. Mais l’écart tend à se résorber.

163 F. C. Spooner, op. cit., p. 326-327.

164 Les trésors publies ne sont pas affectés par fa fraude, les trésors privés le sont, par contre, dans une mesure toujours plus large, par conséquent, le simple jeu de la fraude croissante tendrait à accroître dans le décompte officiel la part des trésors publics dans l’ensemble. Et puisque c’est l’inverse qui se produit, on peut difficilement douter de l’objective réalité de la décroissance relative des trésors publics.

165 F. C. Spooner, op. cit., graphique 32.

166 Cf. ci-dessus, p. 374-395.

167 F. C. Spooner, op. cit., p. 332.

168 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 42. Le raisonnement est valable, quelle que soit la marge que l’on veuille bien accorder aux importations de contrebande, 10 %, selon Hamilton — le chiffre, selon nous, est trop faible — 100 % d’après Carande (cité d’après J. Vicens Vives, Historia económica de España, Ire partie, Éditorial Teide, Barcelone, 1956, 332 pages in-8°, p. 283). Dans ce cas, il faudrait, pratiquement, doubler le chiffre de Hamilton, l’interprétation nous paraît un peu pessimiste. Nous proposerions volontiers, tout en distinguant les périodes, un pourcentage global de fraude plus proche, toutefois, de l’interprétation de Hamilton, que de celle de Carande. Même s’il fallait admettre 250 tonnes d’or (la fraude sur l’or a été beaucoup plus importante) et un peu plus de 20 000 tonnes pour la production d’argent exportée l’extrême modicité de ces valeurs subsiste, face à l’ensemble de la production négociée de xvie et xviie siècles.

169 R. de Roover, Gresham on Foreign Exchange, an essay on early English Mercantilism with the text of Sir Thomas Gresham’s the morandum for the understanding of the Exchanges Cambridge (Mass.), 1949, in 8°, XX-348 pages.

170 Tout au long de sa remarquable étude consacrée à L’économie mondiale et les frappes monétaires en France, op. cité.

171 Au moment où nous relisons les épreuves, un article de Guy Thuillier (Annales E.S.C., no 1, p. 65-90) nous apporte un précieux renfort pour la France de la fin du xixe siècle.

172 Avec l’équivalent d’argent fin de 0,094 g seulement, 200 fois moins, en moyenne, que la pourtant peu brillante livre tournois.

173 N. W. Posthumus, op. cit., p. CIX-CV.

174 Ibid., p. CIX. Fait, d’autre part, d’une exceptionnelle signification, comme pour la livre tournois, la dévaluation de la monnaie compte se révèle beaucoup plus rapide en période d’inflation métallique qu’en période de déflation métallique. Elle est de 28 % de 1575 à 1625, de 5,2 % de 1625 à 1675.

© Éditions de l’IHEAL, 1959

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