1Cette belle fluctuation de douze années, nettement délimitée entre le creux du mouvement global de 1510 (2 700 toneladas) et le creux, non moins bien proportionné, de 1522 (5 010 toneladas)1, ouvre la porte à une incontestable géographie cyclique des trafics. Les Indes voient, au cours de ces années capitales, s’ébaucher, à grands traits, quelques-uns de leurs contours durables. Le bord de la Mer des Antilles, tout d’abord : entre Yucatan et Venezuela, l’isthme est maîtrisé ; mais il faut attendre quinze ans encore, la réussite de Pizarro et Almagro sur les hauts plateaux andins, pour que la Terre Ferme entre, avec sa véritable épaisseur, dans l’histoire américaine. La Nouvelle Espagne, enfin, est annexée dans les toutes dernières années et la Carrera doit alors — et pour la première fois — compter, sur une grande échelle, avec l’ennemi du dehors : la course française. Ces deux derniers facteurs sont d’un tel poids, qu’ils pèsent lourdement sur la dynamique du cycle. Un cycle pour l’explication duquel il faudra avoir recours, donc, à des facteurs exogènes.

I. CARACTÈRES GÉNÉRAUX

LES BASES DOCUMENTAIRES

2Les conditions très sombres évoquées pour la première tranche chronologique de 1504 à 1510 restent, malheureusement, toujours valables. Les améliorations de notre connaissance, pour cette période, sont considérables, certes, insuffisantes, toutefois, pour modifier radicalement les conditions du travail d’élaboration. Ces conditions médiocres sont plus proches de la première décade du siècle que des périodes plus favorisées de la fin du xvi ^e et du xvii^e siècles. La précision de la connaissance des mouvements volumétriques s’est à peine améliorée par rapport aux premières années du xvi^e siècle.

1. Les mouvements volumétriques

3a. Conditions inchangées. — Le mouvement global aller et retour des navires entre Espagne et Amérique au cours de ces douze années est estimé à 83 780 toneladas non pondérées ; or, la proportion des évalués reste de l’ordre de 96 %, 80 590 toneladas contre 2 900 toneladas connues indirectement et 290 connues directement, trop peu pour serrer étroitement et annuellement la réalité. La proportion est, bien sûr, un peu plus forte, pour les Allers2 : 290 toneladas connues directement, 2 350 toneladas connues indirectement, 44 410 toneladas évaluées pour un total de 47 050 toneladas, soit 56,2 % du mouvement global. Elle est nettement plus faible pour les Retours : sur 36 730 toneladas (43,8 % du mouvement global), pas de connues directement 550 connues indirectement, par contre, 36 180 évaluées.

4Cette situation, il est vrai, ne porte pas trop dangereusement à conséquence, parce que le matériel de la Carrera reste de petite dimension et demeure très homogène. Aucun signe, aucune trace de modifications sensibles : tant que les Indes demeurent ce qu’elles sont, entendez essentiellement insulaires — la conquête de Cortès entreprise en 1519 est encore trop récente, la Nouvelle Espagne fera sa véritable entrée dans l’Atlantique lors du cycle suivant seulement — il n’y a pas de raisons majeures pour justifier des transformations majeures ; tout au plus, quelques modifications de détail. Les données recueillies — sur le matériel de découverte notamment3 — attestent cette relative constance.

5b. Un problème nouveau : le gonflement du tonnage unitaire. — Un problème, néanmoins, s’est posé, auquel On s’est efforcé d’apporter des solutions empiriques, les seules possibles : il fallait tenir compte de l’amorce du phénomène de gonflement du tonnage unitaire, dont on a, plus tard, tant de preuves tangibles4 (Ce phénomène s’est ébauché, semble-t-il, à la fin de ce premier cycle, avec l’apparition sensible de la « pré-Terre Ferme » et de la Nouvelle Espagne. Le tout petit matériel des premières années a dû, l’usure venant, céder la place à un matériel un peu plus gros. On a, pour essayer de respecter, globalement, au moins, les résultats de ce phénomène, suivi dans les évaluations les règles suivantes :

1. Jusqu’en 1517, on évalue, comme au cours de la première décade, à 100 toneladas tout navire sur lequel on ne possède aucun renseignement décisif (catégorie des évalués).

2. A partir de 1518, on introduit une première différenciation, en attribuant un tonnage plus fort de 120 toneladas aux navires nouveaux connus pour aller en Terre Ferme, directement ou par les îles. Ce tonnage leur est conservé, par la suite, que l’on connaisse ou non leurs directions et provenances ultérieures.

3. A partir de 1521, dans le désir de saisir de plus près ce phénomène de transformation que l’on suppose se précisant, on introduit une nouvelle division : 100 toneladas pour les navires desservant les îles, 120 pour ceux desservant le continent, 110, enfin, pour les indéterminés. Le Yutacan est considéré au même titre que les îles en raison de sa proximité et de la médiocrité de ses côtes. Les navires qui le desservent sont donc, comme ceux des îles, évalués à 100 toneladas.

4. On s’est cru, enfin, en droit d’attribuer à la nao de la première ébauche d’Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias, en 1521, 250 toneladas, tonnage record pour l’Atlantique hispano-américain d’alors.

6Procédé empirique, voire même artificiel et irrationnel. La catégorie des directions et provenances inconnues — leur proportion est importante — compte, nécessairement, des navires faisant la ligne de Terre Ferme ou de Nouvelle Espagne. Mais il a l’avantage de marquer, aussi progressivement que possible, le très léger gonflement du tonnage unitaire moyen provoqué par l’intégration, peu à peu, de ce nouveau matériel au corps de la Carrera. Unitairement inexact, il traduit, néanmoins, d’une manière commode et d’aussi près qu’on peut l’espérer, la réalité volumétrique globale à l’échelle du mouvement annuel.

7c. Les conditions d’une connaissance meilleure. — Un facteur, par contre, améliore nettement la précision de l’approche quantitative réalisée au cours de la seconde décade, par rapport à celle obtenue au cours de la première : le nombre plus réduit des expéditions de découverte5. D’une manière absolue et plus encore, d’une manière relative, par rapport au mouvement du trafic normal inclus dans les tableaux. La correction de pondération6 proposée qui tient compte — on l’a vu — entre autres facteurs, dans les premières décades, d’une sous évaluation possible due à la non inclusion du volume négociable compris dans les expéditions de découverte, atteint, très vraisemblablement, dès cette seconde décade, sa pleine efficacité.

8On peut, en effet, se fonder d’autant plus solidement sur les données de la table 1407 qu’il n’y a pas encore à craindre l’interférence du facteur armada venant relayer le facteur expéditions de découvertes. Les armadas en sont encore à leur début8. Si on ne les a toutes, elles restent encore très cantonnées dans leurs fonctions militaires. La fuite possible, hors de nos prises, de quelques navires d’armada, ne compense pas le colmatage progressif de la fuite due aux expéditions de découvertes. Dans un mouvement volumétrique traduit en unités pondérées9, on peut donc considérer ces deux facteurs maîtrisés — en gros, certes, ou en voie de l’être — mais au prix, on l’a déjà dit10, d’une certaine épaisseur du trait, d’une grossièreté de la courbe, peu propre à la sensibilité exigée par une étude de conjoncture.

2. Les autres séries

9Pour toutes les autres séries qui sont ultérieurement intimement intégrées à la conjoncture, les lacunes déjà énoncées subsistent.

10Les navires utilisés ne sont encore, le plus souvent, désignés dans nos tableaux que sous l’appellation imprécise de nao ou navίo11. Sur un mouvement de 834 unités (469 aux Allers, 365 aux Retours), les types de 27 navires seulement sont clairement spécifiés, soit moins de 4 %12. Faible amélioration, au vrai et il s’agit uniquement de tout petits navires : 25 caravelles (23 en Allers, 2 en Retours), une barque, un brigantin (tous deux en Allers).

11Aucune indication, comme pour la première décade, ni sur le mouvement en valeur, ni sur les mouvements d’Inde en Inde des différents ports. Rien qui permette de décomposer valablement le mouvement des marchandises en nature, autrement que d’une manière qualitative par simple échantillonnage13. Résultat honorable dans le domaine de la ventilation des directions et des provenances. Ces dernières ont pu être reconstituées à 33 %, richesse appréciable, vu la carence, sur ce point, du Livre de Registres, avant 1548 : 155 directions connues sur 469 entre 1511 et 1522, 122 provenances sur 365, 277 directions et provenances sur un total de 83414. Cette forte proportion permet de bien apprécier l’exacte importance des îles qui continuent à prédominer, malgré l’apparition timide encore de la Nouvelle Espagne et du fond du golfe d’Uraba, dans l’espace de l’Atlantique espagnol.

3. Les prix

12L’approche des prix espagnols, par contre, n’enregistre aucun progrès décisif par rapport à la première décade15. Ni le blé, ni l’orge — on a dit le rôle pourtant, des céréales dans le trafic à travers le premier Atlantique — ne sont incorporés encore dans les indices andalous. Cette carence de première gravité se trouve, il est vrai, eu partie couverte par la présence du biscuit de mer : biscuit brun et biscuit blanc16 figurent 4 et 5 fois dans les indices de ce second cycle. Elle est couverte aussi par la large représentation des céréales dans le domaines géographiques non andalous : pour la Nouvelle Castille, par exemple, l’orge ne manque que pour deux ans, le blé, pour un an. Or, il existe une corrélation étroite entre les conditions météorologiques dans ces deux espaces géographiques voisins, Andalousie et Nouvelle Castille. Les certitudes de la courbe nouvelle castillane pourront donc, sans trop d’arbitraire, étayer les insuffisances de la courbe andalouse. Quant aux séries Vieille-Castille-Léon17 (avec huit années connues sur 12 pour l’orge et le blé, et Valence, avec douze années sur douze pour le blé, elles offrent une garantie suffisante, sous cet angle. Le caractère excentrique de l’espace qu’elles recouvrent par rapport à l’Atlantique ne permet pas, malheureusement, d’en beaucoup attendre.

13Les quatre séries récapitulatives géographiques des indices de prix de Hamilton comportent encore un nombre assez considérable de lacunes. Cinq années calculées seulement sur douze pour la série motrice, l’andalouse, et ce qui est plus grave, mal répartie, puisque la zone de silence forme un énorme hiatus de dix ans, de 1519 à 1530. La série Vieille-Castille-Léon ; plus favorisée, couvre neuf années sur douze et les deux autres séries, Valence et Nouvelle Castille, sont complètes. Il faudra tenir compte de la faible représentation de l’Andalousie dans les indices globaux des prix-argent18. C’est pourquoi, on pourra, le cas échéant, lui préférer comme approche de la réalité, la série de la seule Nouvelle Castille, heureusement meilleure, où les céréales, élément moteur du premier trafic dans l’Atlantique, sont assez largement représentées.

PHYSIONOMIE GÉNÉRALE DU CYCLE

14L’imprécision de ces données n’interdit pas, pourtant, toute interprétation cyclique prudente.

1. Ses contours

15Les contours de cette seconde fluctuation de douze ans sont incontestables : elle est nettement délimitée par les creux des trafics globaux de 1510 et de 1522.

16a. 1510 se creuse profondément : 1 700 toneladas non pondérées (17 navires) en Allers, 1 000 toneladas (10 navires) en Retours, 2 700 toneladas (27 navires) en Allers et retours19. Décrochage énorme, puisque le mouvement de 1510 ne représente que 40 % des Retours, 81 % des Allers, et 60 % environ des Allers et retours de l’année précédente. Plus médiocre encore, la position de l’année 1510, comparée aux crêtes du cycle précédent et à plus forte raison, aux crêtes du cycle suivant20

17b. 1522 marque une frontière aussi nette. Mais ici — et pour des raisons qu’on précisera plus tard — le creux des Retours va se prolongeant, décalé de deux ans par rapport au mouvement moteur des Allers. Le creux de 1522, sur les Allers, est sensiblement égal à celui de 1510 : 18 navires, 1 940 toneladas contre 17 navires et 1 700 toneladas, soit un décrochage de 50 % par rapport à l’année précédente de 1521, le chiffre de 1522 ne représentant que 25 % du sommet de 152021

18Le phénomène se lit avec plus de rigueur encore sur le tableau de pourcentages du chiffre annuel vrai par rapport à la tendance majeure22^, 1522 apparaît pour les Allers comme l’année de la plus grande contraction cyclique et il en va de même pour les Allers et retours commandés pendant toute la période, par le mouvement Allers, plus lourd et plus expressif : les chiffres respectifs de 1522 ne représentent que 33,82 % et 48,703 % du trend dégagé par les moyennes mobiles. C’est bien, dans les deux cas, la plus forte contraction cyclique que l’on puisse noter avant 1554, entendez, la plus forte contraction cyclique en cinquante ans. Il n’en va pas exactement de même pour les Retours. Ce creux de 1522 ne se retrouvera que deux ans plus tard, en 1523 et en 1524 (43,388 % et 34,4875 % seulement), mais il est, par contre, plus exceptionnel, encore, puisqu’il faut attendre 1590, pour trouver un creux plus profond23.

2. Parallélisme des trafics et des prix

19a. Montée des trafics. — On notera, de 1510 à 1522, à l’intérieur des frontières bien délimitées de cette seconde fluctuation, la montée régulière et puissante du trafic, d’autant plus rapide que le point de départ est plus bas. On touche au vrai, à l’apogée, peut-être, de l’économie des îles dans l’Atlantique espagnole. Les îles, seules encore, soutiennent le trafic, puisqu’elles représentent 93 % du mouvement direct Aller entre Espagne et Amérique, 95 % des Retours, 94 % des Allers et retours24. Les expéditions régulières qu’elles alimentent en direction de la Terre Ferme et notamment de l’isthme25 n’ont pas achevé encore de les vider de leur substance : l’aventure cortésienne débute seulement en 1518 et les effets de l’introduction massive du continent dans l’espace colonial espagnol ne se feront sentir que plus tard.

20Entre 1516 et 1520, années sommets, pour l’économie des îles, vue de Séville, de terribles lézardes s’enfoncent dans la masse de l’économie dominicaine, — nous le savons par ailleurs26. Vue de Séville, pourtant, cette première prospérité antillaise ne semble pas encore contrariée — du moins, pendant la période ascendante de la fluctuation — par la ponction que le développement du continent américain effectuera, bientôt, sur la population coloniale des Antilles, ni par la totale disparition de la population indigène. On trouve la preuve de cette euphorie dans les exportations sur l’Espagne des métaux précieux. Elles atteignent — d’après les évaluations de la Casa mises en œuvre par E. J. Hamilton27, 9 153 220 grammes d’or, de 1511 à 1 520,4 889050, de 1521 à 1530, plus 148 739 grammes d’argent, soit 50 % seulement des exportations au cours de la décade précédente et moins, finalement, que de 1503 à 1510. Cette prospérité — ne pourrait-on pas parler du cycle de la première puissance des Antilles ? — suffit à expliquer l’importance de l’expansion au cours de ces douze années, une des plus fortes de l’allègre montée du xvi^e siècle28. Entre la cause, la prospérité antillaise et son expression sur le mouvement des navires et des marchandises dans l’Atlantique, un déphasage certain. Les points hauts des années 1517-1520 sont commandés par des réussites fossiles. L’équilibre des Allers et des Retours le montre.

21L’amplitude de la hausse du trafic, au cours de cette période, atteint, dans l’ensemble, 80 %, si on compare le mouvement à la hauteur des points d’expansion cyclique de 1508 et de 1520, pour les Allers et les Allers et retours, ceux de 1509 et de 1518, pour les Retours ; elle est un peu moindre, par contre, si on se reporte aux simples moyennes29.

22La rapidité de cette hausse en soi ne doit pas surprendre : l’accélération des mouvements est toujours plus forte au début qu’à la fin de l’expression sérielle d’un phénomène. L’apport supplémentaire de masse y est beaucoup moins grand qu’il ne l’est plus tard pour une accélération comparable. Le comportement du trafic Espagne-Amérique s’apparente plus, sous cet angle, à l’expression moderne d’une production qu’à celle d’un prix. Raison qui milite en faveur de l’assimilation trafic-production sur laquelle repose le pari, qui est à l’origine de ce livre.

23D’une manière générale, la fluctuation se construit ainsi :

24Une phase ascendante de 10 ans, dans le mouvement Allers, se répercute sur le mouvement global Allers et retours depuis le creux de la vague de 1510 jusqu’au sommet de 1520 (17 navires, 1 700 toneladas, 71 navires, 7 060 toneladas, d’une part : 27 navires, 2 700 toneladas, 108 navires 10 750 toneladas, d’autre part). Elle est suivie d’une période descendante rapide — n’est-on pas en période d’expansion générale ? —de deux ans, mais violemment creusée puisque — on l’a vu — 1522, pour les Allers, du moins, revient à la même position, à peu de choses près, que le creux cyclique précédent de 1510 avec des chiffres qui ne représentent plus que 33,82 % et 58,703 % du chiffre obtenu pour le trend par les moyennes mobiles rabotantes. Le mouvement Allers une fois de plus, donne, ici, la tonique à l’ensemble du mouvement.

25Le mouvement Retours, pour une fois, est sensiblement désynchronisé. R monte plus rapidement dans les premières années de la phase d’expansion30. Il s’agit, essentiellement — outre la traduction d’un état passager de santé et d’équilibre de l’économie des îles — d’un phénomène de récupération du profond déséquilibre en faveur des Allers, dans la demi-décade de 1506-151031. Il atteint prématurément son sommet, par contre, en 1518, et descend lentement mais longtemps, jusqu’en 1524, pendant six ans, au lieu de deux ans, pour parvenir avec 10 navires et 1140 toneladas, à 25 % seulement du chiffre de 1518. D’où l’alternance d’une anomalie positive de Retours suivie d’une anomalie négative de ces derniers — entendez l’expression, d’abord, de la période de prospérité fossile des Antilles qui commanide l’expansion Atlantique par désinvestissement, puis l’appel des forces des Antilles en direction du continent.

26b. Montée des prix. — L’allure générale des prix — mais on ne peut guère dans ce domaine et pour cette période, on a vu pourquoi, compter sur des éléments sûrs —, ne laisse pas d’être sensiblement parallèle à l’allure générale des trafics. Ce parallélisme traduit une covariation directe et simple. Une expansion sensible des prix espagnols, soutenue sur plusieurs années, précède, d’ordinaire, une période de prospérité sur le plan trafic. Les prix anticipant les trafics de un à deux ans, comme il est naturel, si on admet que les bénéfices réalisés au cours des bonnes années de prix élevés, s’investissent, ensuite, dans l’entreprise coloniale. On noterait, d’ailleurs, tout aussi bien, que la phase d’expansion rapide des prix a été précédée par une phase d’expansion rapide du trafic, Retours, surtout, avec le même déphasage normal de un à deux ans, d’abondants retours métalliques ayant, en vertu d’un quantitativisme limité, donc, de bon aloi, une incidence certaine sur l’accélération de la hausse des prix. La corrélation prix-trafic est ainsi nouée. Elle n’explique pas tout, bien sûr, des prix et des trafics, dont elle n’est qu’un élément d’explication, entre beaucoup. Cette double corrélation n’en est pas moins visible — cela est rassurant — sur la courbe, pourtant grossière et rigide des prix-argent.

27Les prix hauts de 1506, 1507 et 1508 commandent la pointe cyclique du trafic de 1508. La dépression des prix de 1509 à 1513, inversement, commande le creux du trafic des années 1509 à 1514-1515. De même, enfin, la grande poussée d’activité de la demi-décade de 1516-1520 marquée à la fois par l’ampleur des trafics et par la poussée colonisatrice en direction du continent semblerait liée à la reprise des prix dans la même période32.

28c. L’anomalie de 1522. — Une difficulté subsiste, qu’il n’est pas possible de résoudre, d’emblée, d’une manière pleinement satisfaisante. Comment raccorder au comportement du trafic — gros creux cyclique de 1521 et 1522 — celui des prix, tel du moins que les donne Hamilton ? Il y a, en effet, très vive reprise dans le domaine des prix dès 1521 et 1522 marque une pointe consolidée pour l’essentiel au cours de la demi-décade. Faut-il admettre que la contrepente des prix de 1519 à 1520 (97,5851 % et 93,228 % du Trend seulement) commande, avec deux années d’anticipation, la contre-pente du trafic de 1521 et 1522 ? Cette hypothèse valable, à la rigueur, pour 1521, ne suffit pas.

29Une seconde hypothèse n’est pas à écarter. 1522 est, en Nouvelle-Castille — l’espace le plus proche de l’Andalousie, pour laquelle nous n’avons rien durant cette période, — une année de crise agraire type d’Ancien Régime, avec une augmentation du prix du blé de 60 % par rapport à 1521 et de 120 % par rapport à 152033. Les prix de l’espace vieux castillan et ceux des céréales notamment, présentent, en moins accentué, les mêmes caractéristiques. La crise agraire de 1522 — à supposer, ce qui est souvent le cas, qu’elle se soit trouvée, sans doute, aggravée en Andalousie — a pu avoir des effets paralysants, en rendant pratiquement impossible les exportations. Mais le recours s’impose, en outre, à un facteur exogène, la guerre.

30La guerre, le facteur explicatif décisif peut-être. Les hostilités commencent entre la France et l’Espagne, au printemps 152134. La menace française pèse au maximum sur l’Atlantique espagnol en 1522, avant qu’Henri VIII n’ait pu, par son intervention (déclaration de guerre à la France, le 29 mai 1522), détourner la plus grosse part des forces française de leurs objectifs espagnols.

31L’anomalie du creux des trafics en 1522 expliquée par l’effet cumulatif des prix dépressifs de 1520, de la disette en céréales de 1522 et de l’intervention militaire française sur mer, on peut constater une corrélation prix-trafics certaine, à l’échelle, du moins, de la fluctuation largement décennale, tout au cours de ce second cycle.

32Dans l’autre sens, la corrélation s’établit plus rapidement et plus incontestablement encore. La période d’expansion cyclique maximale des Retours de 1517 à 1522 — elle est précédée d’une grosse anomalie positive des Retours par rapport aux Allers de 1511 à 1515 et, évidemment, de gros retours métalliques —1511-1520, apogée autour de 1515 — commande en partie la flambée d’accélération maximale des prix ibériques de 1521 à 152335.

3. Détermination de deux fluctuations primaires

33Cette grossière analyse écrase volontairement les détails et ne tient pas compte de la réalité la plus proche. La grande fluctuation de 12 aimée qui, on l’a vu, s’articule autour de 1520, peut se décomposer elle-même en deux articulations plus courtes dont les contours varient, toutefois, comme il est naturel, suivant que l’on envisage le trafic Allers, Retours ou le global Allers et retours.

34a. Élimination des résultats obtenus par la méthode des points de rebroussement. — L’application étroite de la méthode des points de rebroussement pour l’analyse des mouvements, conduirait, en vérité, à des résultats sensiblement différents. Soit trois fluctuations plus courtes dans le mouvement Allers : 1510 point bas, 1512 point haut de rebroussement, 1513 point bas relatif ; 1513 à 1517 montée, 1517 point haut de rebroussement, 1518 point bas relatif ; puis 1518-1520, montée, 1520, point haut maximal de rebroussement (71 navires, 7 050 toneladas), 1522 point bas du grand cycle (18 navires, 1 940 toneladas)36. Deux fluctuations, seulement, par contre, de toute façon, sur les Retours, beaucoup mieux individualisées : 1510-1514-1515 et 1516-1518-1524. Le mouvement global Allers et retours, par ses hésitations, reflète cette distorsion : 1510-1512-1513 ; 1513-1514-1516 ; 1516-1516-1518-1519 ; 1519-1520-152237.

35Mais cette analyse, par excès de fidélité, en arrive à être superficielle et fausse. Un point de rebroussement, comme celui de 1517 sur les Allers, par exemple, doit être contesté : inférieur à 20 %, il peut être imputable aux hésitations de la mesure propre à cette période : 1512 et 1518, sur le mouvement global Allers et retours (54 navires, 5 380 toneladas en 1512, 53 navires, 5 160 toneladas en 1513, 87 navires, 9 700 toneladas en 1518, 94 navires, 9 410 toneladas en 1519)38 provoquent encore plus de réticences. Ces rides presque imperceptibles traduisent, peut-être, une réalité ; elles doivent être portées au compte de l’imprécision de nos mesures.

36b. Caractères respectifs des deux fluctuations. — La sagesse, dans ces conditions, invite à se borner à distinguer, au sein du grand cycle de 12 ans, deux fluctuations qui, en s’emboîtant, l’engendrent : 1510-1512-1513 et 1513-1520-1522 pour les Allers, 1510-1514-1516 et 1516-1518-1524 pour les Retours, 1510-1514-1516 et 1516-1520-1522 pour les Allers et retours.

37Ce découpage appelle deux observations :

1. Deux fluctuations se retrouvent sur les trois mouvements, mais puissantes et bien dessinées sur la courbe des Retours, elles sont plus confuses sur le global Allers et retours, et surtout sur les Allers. Autrement dit, la grande fluctuation décennale est mieux fondue sur le mouvement Allers et sur le global qu’elle ne l’est sur les Retours.

2. Les Retours — fait exceptionnel, on le verra, dans la Carrera —, donnent la tonique au global, dans la première moitié de la période (1510-1514-1516 sur les Retours, 1510-1514-1516 sur les globaux). Au-delà, par contre, la dominante revient, comme il est naturel, aux Allers (1513-1520-1522 aux Allers, 1516-1520-1522 au global). L’anomalie du premier cycle dictée par le mouvement des Retours s’explique par leur mouvement particulièrement accusé, par le volume inusité des Retours au cours de ces années39. En raison de l’effet différé de la prospérité des îles, 20 ans de colonisation déjà et l’aventure coloniale sur le continent ne les absorbe pas encore tout entières — en raison de la récupération du gros excédent des Allers, au cours de la période précédente, de 1506 à 1510.

38L’hypothèse raisonnable des deux fluctuations primaires a l’avantage, en outre, de s’insérer dans un cadre historique compréhensif.

II. — LA PREMIÈRE FLUCTUATION PRIMAIRE (1510-1516)

391510-1516 constitue le cycle court proprement dit des îles. C’est un cycle de désinvestissement pour l’Amérique et de restitution, avec anomalie positive maximale des Retours et des exportations officielles des trésors.

LE CREUX CONJONCTUREL DE 1510-1511 ET LA REPRISE DE 1512-1513

1. 1510-1511

40a. Corrélation des trafics et des prix. — 1510 marque le creux le plus bas atteint par le mouvement, depuis que nous le mesurons (à l’exclusion de 1504), tant en Allers qu’en Retours. L’année correspond, il est vrai, à une dépression record des prix peu favorable à l’esprit d’entreprise, et plus nette, semble-t-il, malgré l’insuffisance des mesures, en Andalousie qu’ailleurs40.

411511, malgré une légère amélioration, demeure encore très déprimée : inférieure en Allers (21 navires, 2 080 toneladas) à toutes les années, même les plus basses de la première demi-décade, très faible aussi en Retours (13 navires, 1 300 toneladas), à peine supérieure au creux conjoncturel del506 (12 navires, 1180 toneladas). Les Allers et retours, s’alignant sur les Allers, sont inférieurs à toutes les années de la première demi-décade (34 navires, 3 380 toneladas, contre 35 navires et 3 390 toneladas, lors du creux conjoncturel de 1506).

42b. Difficultés, — Fonseca, en 1510, précisément — dans une cédule datée, il est vrai, du 22 janvier — réitère ses appels en faveur d’un contrôle plus efficace41. Y aurait-il corrélation entre cet appel et la vague conjoncturelle qui se creuse ? La Casa, l’année suivante, toujours au creux de la vague, se heurte à de sérieuses difficultés à propos de l’approvisionnement des navires42. Le Roi doit intervenir. Ce fait, en structure, est bien naturel : on sait la hantise de la famine au cœur de toutes les collectivités de l’Ancien Régime, et surtout, des collectivités méditerranéennes. Il peut surprendre, par contre, en conjoncture43. N’est-on pas en année de bas prix44 et de grains bon marché ?45. Cette contradiction, au vrai, n’est qu’apparente. La provision royale de 1511, en effet, évoque, nécessairement, des difficultés antérieures à l’année.

43La poussée cyclique des grains, d’autre part, en Nouvelle Castille, a été extraordinairement violente au cours des années 1506-1507, voire même 1508. La pointe de 1506, par rapport à 1504, est à 201 %. Les séries de Nouvelle Castille peuvent être substituées, au prix d’un minimum d’arbitraire, à celles d’Andalousie, plus nerveuses, et souvent assez étroitement concordantes. Elles seraient l’écho substituable d’une réalité andalouse plus violente encore. Il suffit, pour apprécier la poussée relative des grains de la dernière expansion cyclique, de rappeler que le point haut de 1506 ne sera pas égalé, malgré la montée séculaire, avant 1542. Les années de disette de 1506 et de 1507, de gêne alimentaire de 1508, ont sans doute, dans ces conditions, sensibilisé à l’extrême les consommateurs : ce sont bien des collectivités urbaines — le texte du 20 octobre 1511 en fait état — qui provoquent les résistances parce qu’elles sont devenues hyper-réactives aux hantises de famine.

44Après la chute libre des prix des grains de l’année 1509, (l’indice 21,68 de 1509 n’est, en Nouvelle Castille, qu’à 29 % du prix record de 1508 74,65) ; la forte reprise de 1510, — reprise normale, saine, mais qui n’en représente pas moins, par rapport à l’effondrement de 1509, un décrochement en plus de 51 % — a pu réveiller la hantise des années 1506-1508 et susciter les résistances qui conduiront par delà les démarches de la Casa, à la provision royale du 10 octobre. Ainsi, cette mesure, même en conjoncture, n’est nullement paradoxale. A condition de ne pas perdre de vue que les corrélations ne sont pas, nécessairement, des corrélations simples et qu’elles ont besoin, toujours, pour se dérouler, d’une forte épaisseur de temps.

2. 1512-1513

45a. Les trafics. — En 1512, le creux conjoncturel des trafics est dépassé, la reprise nette, l’accroissement par rapport à l’année précédente de 53 % sur les Allers, de 65 % sur les Retours, de 57 %, 58 % sur le trafic global. 1512 s’égalise sensiblement en Allers et en Retours, sur 1507 et 1508, entendez sur les années qui précèdent la pointe cyclique de la première fluctuation, et le mouvement global reste, encore, en-deçà de celui de 1507. La guerre, la grande coalition antifrançaise à laquelle l’Espagne participe n’a pas d’incidence immédiate46 sur la vie de la Carrera. Les Français, il est vrai, ont trop à faire pour peser lourdement. Le politique ici ne joue pas, pour une fois, si peu même que 1512 constitue, pour le mouvement Allers, la pointe relative d’une fluctuation brève de quatre ans47.

46b. Les prix. — La reprise de 1512 apparaît, d’ailleurs, à peu près aussi indépendante des prix qu’elle ne l’est du déroulement de la grande politique européenne. La corrélation, du moins, qui lie les deux phénomènes, est, si elle existe, une corrélation complexe et relativement peu astreignante. La reprise de 1512 doit être portée à l’actif d’un mouvement plus vaste, qui porte en avant l’ensemble des mouvements Espagne-Amérique pendant tout le xvi^e siècle, expression particulière du dynamisme propre de tout un siècle, conséquence normale, au cours de ces premières décades, d’un espace colonial, dont les frontières mouvantes, au-delà de l’Atlantique, ne cessent de reculer. Dans ces conditions, ce sont moins les reculs que les avancées qui méritent explication au cours de ce premier intercycle d’expansion. Il suffit donc, pour comprendre la poussée de 1512, malgré la guerre avec la France, d’admettre que les facteurs dépressifs des années 1510 et 1511 ont cessé de jouer. Or, le facteur dépressif n’est point tant constitué par la baisse que par le décrochement du mouvement à la baisse. Les prix, une fois installés pour plusieurs années sur un plancher bas, cessent d’avoir le pouvoir déprimant que l’on sait. Le grand décrochement se place entre 1508 et 1509. Il est sensible sur toutes les séries de Hamilton et même sur les indices composés des prix-argent48. Les prix de 1507 sont à 116,224 % du trend, ceux de 1508, à 110,581 %, tandis que 1509 passe à 96,255 %. Ils demeurent pendant six ans en dessous du trend de 1509 à 1514, 1512 marquant le creux de la vague. On pourrait faire la même observation sur toutes les autres séries, particulièrement, sur les indices généraux de Nouvelle Castille et sur les indices des prix des grains du même secteur. En 1512, les prix sont installés depuis trois ans sur un plancher bas et cessent donc d’avoir une action déprimante. Une corrélation inverse peut même, sans qu’il y ait contradiction, s’établir, brièvement, au terme d’un palier déprimé.

47c. Corrélation inverse. — C’est ce qui se produit entre le mouvement global Allers, et les prix, les « index numbers of grain prices », notamment49. 1512 correspond à un des points déprimés sur toutes les séries des prix50, tandis que 1513, sans atteindre les points hauts de 1506-1507-1508, accuse une très sensible remontée (augmentation du prix des céréales de 85 % d’une année sur l’autre en Nouvelle Castille). 1512 se trouvant sur un palier de prix bas, l’effet dépressif du grand décrochement de 1508 passé, rien de surprenant qu’une surproduction passagère de céréales ait eu sur les Allers, sur les exportations en direction du Nouveau Monde, un effet favorable. Une gêne passagère, par contre, peut-être, d’abord, entraînée par une reprise des prix dont l’effet, à long terme, sera favorable51. Or, c’est bien ce qui se produit sur le commerce d’Allers : 1512 (33 navires et 3 280 toneladas en partance) est le point haut de la première fluctuation courte, 1513 (21 navires et 2 060 toneladas) marque un repli de 35 %. La corrélation inverse est parfaite et immédiate. On peut le supposer, du moins52.

LA DISTORSION DES ALLERS ET DES RETOURS (1513-1516)

48Ces brefs incidents, qui affectent prix espagnols et mouvement des exportations d’Espagne en direction du Nouveau Monde sont sans effet immédiat sur les Retours, très indirectement liés, seulement, aux prix de la Péninsule ibérique, à travers l’épaisseur d’un intervalle de temps de plusieurs années. Ces derniers poursuivent, en effet, leur mouvement ascendant, au cours d’une demi-décade où les Retours l’emportent sur les Allers.

1. Les faits

491512 est en très net progrès par rapport à 1511 (80 %), 1513 continue l’ascension, en progrès de 65 % par rapport à 1512. C’est donc en 1513 que commence la grande distorsion qui va séparer, pendant plusieurs années, Allers et Retours53. Le creux conjoncturel de 1513 disparaît sur les mouvements Retours, comme il disparaît, pratiquement, sur le mouvement global, Allers et retours54. Mais la distorsion s’aggrave encore en 1514. Certes, les Allers, nous le verrons, reprennent en 1514, tandis que les Retours continuent à accentuer encore leur avantage, par un progrès de plus de 50 % sur l’année 1513, avec 47 navires et 700 toneladas, soit, en 1514, un niveau à 220 % du niveau de 1512. En Allers, par contre, 1514 ne représente guère plus de 90 % du chiffre de 1512. Cette distorsion se traduit dans le mouvement global par le maintien, pendant deux ans, en 1513 et en 1514, d’un rapport insolite entre Allers et Retours55.

50Le reflux des Retours ne commence qu’après 1514. Le premier cycle court, en revanche, s’y dessine beaucoup plus nettement qu’il ne le fait en Allers. Chute verticale, si l’on songe que 1516 est, exactement, au même niveau que 1510, soit une chute prodigieuse à 21 % seulement du niveau atteint en 1514. La rupture de pente située entre 1514 et 1515 (4 700 toneladas et 2 840 toneladas) est plus considérable encore entre 1515 et 1516 (2 840 toneladas et 1 000 toneladas). La chute est telle qu’elle suffit à commander la fluctuation du mouvement global (Allers et retours)56 qui devient entre 1510 et 1516 une fluctuation de six ans, reproduction atténuée de la fluctuation observée sur le mouvement Retours.

2. Tentative d’explication

51a. Prospérité des îles. — Comment justifier cette profonde anomalie des Retours, qui constitue, incontestablement, le gros problème de la période ? Il ne saurait être question d’en appeler, dans notre ignorance des prix américains, aux prix espagnols. Ces derniers ne peuvent jouer dans un laps de temps aussi bref.

52L’importance anormale des Retours peut être vraisemblablement attribuée à l’importance et à la prospérité de l’économie des îles au cours de cette période. La prise de possession d’Espanola, de Cuba, de Puerto Rico et de la Jamaïque est grossièrement achevée. La population indigène, nécessaire à la mise en valeur, n’a pas encore été totalement décimée. Avec le sucre, un cycle de plantation s’ébauche. L’exploitation féroce de l’ère fernandinienne, tant de fois dénoncée, après Las Casas et récemment encore, dans son beau livre, par Manuel Giménez Fernández57, porte ses fruits, avant que les effets destructeurs ne s’en fassent sentir, à moyen terme.

53Production et exportations de métaux précieux sont une preuve — entre autres58 — de cette prospérité. 1511-1515 marque, en effet, d’après Hamilton, l’apogée du premier cycle métallique, le cycle de l’or américain. Il faudra attendre 1531-1535 pour que les chiffres de 1511-1515 soient à nouveau égalés, puis dépassés. L’excédent des exportations, au cours de cette demi-décade, peut-être simplement porté à l’actif d’une grande prospérité des îles. Moins prospérité du jour que celle de la veille, Quand l’anomalie positive des Retours se produit, les îles sont déjà malades et la colonisation espagnole, entrée sur son plan de liquidation. Cette flambée s’explique, précisément, par ce plan de liquidation et la politique de désinvestissement qui la marque.

54C’est l’époque où l’Espagne récupère, en quelque sorte, les investissements des premières années, avant que l’économie des îles ne soit sollicitée par d’autres travaux.

55b. Nouveaux investissements en direction du « Continent ». Ces travaux — entendez l’occupation du continent, à la hauteur de l’isthme —, on les rendra volontiers responsables, pour l’essentiel, du décrochement des années 1515-1516.

56Certes, d’autres facteurs ont pu jouer. Les années 1515-1516 payent, peut-être, sur la courbe des Retours, le niveau relativement faible des Allers dans la demi-décade de 1511-1515 : le décalage du mouvement Retours par rapport au mouvement Allers, s’il est plus atténué, au cours des premières décades, qu’il ne le sera plus tard — lors du système des convois, lors du recul des îles, au profit du continent et des délicates jonctions de l’isthme —, n’en est pas moins manifeste. Mais ce facteur, ici, est secondaire. On ne peut, d’autre part, faire valoir, sans plus, un brusque ralentissement de la prospérité des îles, puisque l’économie des îles est malsaine, bien avant l’événement. La gêne que la pression barbaresque semble avoir fait peser sur les Retours, au cours de ces années, a dû jouer59, mais la poussée qui marque, au delà de 1513, la réussite de l’entreprise Vasco Nuñez de Balboa, est bien, avant tout, le facteur décisif.

57En fait, les îles, à bout de souffle, ont, avant de s’effondrer, donné une double flambée, d’abord en direction de l’Espagne, puis, en direction du continent, ou plus exactement, une seule et vaste flambée, que nous mesurons, successivement, sous ses deux aspects différents, en direction de l’Espagne, d’abord, du continent, ensuite. Les revenus des îles se dirigent, désormais, en direction de l’isthme, absorbés par les entreprises de colonisation du continent60 : le matériel naval a dû être détourné au profit de la découverte, de son trafic normal de retour. Ainsi s’expliquerait le recul spectaculaire des Retours entre la pointe de 1514 et le creux très marqué de 1516 et par delà, le prodigieux renversement, au sein du trafic global, de l’équilibre Allers et retours, au profit des Retours, avec, en 1516, un des pourcentages d’Allers les plus forts du siècle61.

58Le système des Retours, au cours de ce premier cycle primaire, est donc indépendant du système des Allers, puisque ces derniers, depuis le creux de 1513, ont repris leur mouvement ascendant. On assiste, de 1513 à 1517, à un triplement du trafic62, puis après un recul de 15 %, en 1518 et 1519, 1520 culmine, avec 71 navires (7 050 toneladas), soit à 340 % environ du creux relatif de 1513.

III. — LA SECONDE FLUCTUATION PRIMAIRE

59Cette première fluctuation mérite, seule, vraiment le titre que nous proposons pour l’ensemble, « grandeur et fin du monopole des îles ». La seconde fluctuation, c’est, déjà, la première vague d’un long train d’ondes engendré par le choc sur le continent de l’expédition de Cortès.

LA PHASE ASCENDANTE DU TRAFIC ALLER ET DES PRIX (1514-1520

1. La montée (1514-1519)

60Le départ des trafics, à partir de 1514, paraît indissociable du mouvement des prix, malgré la médiocrité de nos renseignements dans ce domaine.

61a. 1514-1517. — Après la dépression de 1512 représentée sur le creux des Allers de 1513, la reprise des prix paraît sensible. La courbe la plus anonyme63, celle des indices combinés des prix-argent, par exemple, marque une brusque reprise des prix, en 1513 et en 1514. Les prix-argent globaux restent encore en-dessous du trend en 1514, mais le saut est énorme, puisque l’indice vrai passe, par rapport à l’indice raboté, de 91,3955 à 95,634 %, puis de 95,038 % et de 99,033 % à 100,380 %. Or, ce qui compte, c’est moins la position vis-à-vis du trend, puisque la décade est, dans l’ensemble, en zone de dépression relative64, que le brusque déclenchement des prix au seuil de cette période. Les positions acquises après lui seront conservées, sans plus, tandis que les indices globaux des prix passent, à nouveau, en-dessous du trend, en s’installant sur un plateau. Mais l’impulsion que le déclenchement des prix semble avoir donné, se prolonge... et engendre le deuxième cycle primaire de hausse qui nous conduit au sommet des trafics Allers de 1520.

62Les grains de Nouvelle-Castille65, — dont on a dit déjà le rôle de « haut-parleur » de la conjoncture Atlantique, en l’absence de données suffisantes pour l’espace andalou — donnent le mécanisme conjoncturel moteur. Le déclenchement majeur, entre 1512 et 1513, se situe à 80 % (indices 24,20 et 41,61) ; cet état se maintient en 1514 et 1516 (indices : 41,61, 37,94, 44,99, 37,25). Ce palier en hausse, brusquement porté à 80 % au-dessus du creux précédent, rend compte, dans une assez large mesure, sans doute, du tronçon ascendant de quatre ans des trafics Allers de 1514 à 151766.

63Montée assez lente, d’abord, et qui ne saurait, avant longtemps, effacer le souvenir du creux profond de 1513. Le mouvement Allers n’est-il pas descendu à 17 ou 18 % seulement au-dessus du creux conjoncturel majeur de 1510 (1510 : 17 navires et 1 700 toneladas ; 1513 :21 navires et 2 060 toneladas) ? Les mesures contre les faillis, contre leur éventuelle fuite aux Indes, la poussée xénophobe de 1515 pourraient être la séquelle de ce creux de 1513, — trop marqué pour ne pas avoir déchaîné les habituels réflexes d’angoisses et d’autodéfense agressive67, — le reliquat, décalé dans le temps, de l’atmosphère psychologique de la crise.

64b. 1518-1519. — Dans la montée du second cycle primaire qui couvre 7 ans, de 1513 à 1520, sur le trafic des Allers, 1518 et 1519 marquent un stade d’essoufflement.

65Essoufflement presque normal. Il est peu d’exemple, en effet68 qu’une période d’expansion continue soit aussi longue, aussi soutenue. 1518 et 1519, dans ces conditions, peuvent être considérées comme marquant l’articulation de deux cycles primaires. On a hésité, on s’en souvient69, entre une division binaire générale de la période et une division tripartite pour les Allers. La respiration des années 1518 à 1519 est peu sensible, en raison, surtout, de la marge relativement élevée d’imprécision de nos mesures ; le recul de 1518 par rapport à 1517 est de 18 %, celui de 1519 par rapport à 1517, de 16 % seulement. Sur la courbe des pourcentages des chiffres vrais au trend70 du mouvement Allers, 1518 et 1519 apparaissent encore comme des années de contraction très relative71, plus exactement de moindre expansion. L’essoufflement, en soi—il ne s’agit, en l’occurrence, que d’un essoufflement — peut se justifier par la simple longueur démesurée de la phase ascendante, par l’éloignement du déclenchement moteur des prix.

66On peut faire intervenir, aussi, en supposant un décalage de deux ans entre mouvement des prix et mouvement du trafic Allers, qui semble prévaloir au cours de cette période — ce délai n’est pas invraisemblable72 — la lourdeur, en fin de palier, des prix de 1516 et de 1517. A deux ans d’intervalle, — cet intervalle logique que l’on retrouve tout au cours de la période73, — l’essoufflement des prix74 se retrouve dans l’essoufflement des trafics. On peut faire intervenir, surtout la ponction distordante des préparatifs de Cuba en direction de la future Nouvelle-Espagne.

67Ce ralentissement relatif n’empêche pas, au cours de ces aimées, les préparatifs de l’expédition de Magellan. Cette entreprise vient donc s’inscrire en fin d’une longue inspiration, à une époque où le vent, à Séville, souffle à l’optimisme. Il n’est pas exclu, — dans l’extrême fragilité de cette économie naissante — que, malgré la faiblesse bien connue des moyens mis en œuvre75, l’expédition de Magellan, en détournant des capitaux normalement investis, sans elle, dans le trafic avec les îles du Nouveau Monde, ait contribué, dans une mesure non négligeable, à la légère récession des années 1518-1519. Elle aurait un peu joué, ainsi, — mais d’une manière infiniment atténuée — le rôle des expéditions en direction de l’isthme76 et de l’expédition cortésienne sur les Retours, au-delà de 1518. Rôle infiniment atténué, dans la mesure où les masses économiques mises en œuvre dans l’expédition de Magellan n’ont rien à voir avec celles, plus puissantes, de la ruée colonisatrice en direction de la Nouvelle-Espagne, dans la mesure, surtout, où le support des nouvelles colonisations, l’économie des Iles d’Amérique n’est en rien comparable à l’épaisseur économique de l’Espagne andalouse, support de la grande entreprise magellanique.

2. L’apogée (1520)

68Et c’est aussi, après ce ralentissement passager, que se place, en 1520, l’expansion maxima des Allers, pointe du second cycle primaire de la période 1510-1522 et pointe maximale cyclique de la seconde fluctuation décennale des mouvements Allers. Le point haut de 1520, dont on a souligné, ailleurs, l’importance77, est en progrès de 25 % (71 navires, 7 050 toneladas) sur l’année 1519 (53 navires, 5 290 toneladas, soit à 350 % du creux de la fluctuation primaire de 1513, à 420 % du creux de la fluctuation décennale (de 1510) et — ce qui est plus important — à 55 % de la pointe du précédent cycle, en 1508, pour les Allers).

69Cette forte pointe du trafic Allers, en 1520, n’est pas pour surprendre. L’important déclenchement des prix, entre 1517 et 1518, semble l’avoir provoquée. Le ressaut de 1518, même sur un indice aussi peu sensible que celui des prix-argent composés78 est spectaculaire : de 40,26 à 43,46. Et les gains de 1518, avec 43,24, sont conservés en 1519. On passe, entre 1517 et 1518, de 94,4183 % à 100,2537 %. Il importe, pour apprécier l’ampleur exacte du phénomène, d’éliminer la série Valencienne79, en l’occurrence, totalement aberrante, qui risquerait, en contrecarrant le mouvement des séries castillanes, d’atténuer l’amplitude de la rupture de pente. Le déclenchement est, en effet, beaucoup plus net, si l’on se borne aux séries de l’Espagne Atlantique, les seules, au demeurant, qui interviennent ici. 1518 sur les séries des deux Castilles, marque un énorme bond, incomplètement consolidé en 151980. La série tronquée d’Andalousie révélerait un drame encore plus grave, si on en juge par les positions respectives des deux seules années connues, 1517, 1519, avec 74,29 et 85,16. Le déclenchement, entre 1517 et 1518, en Andalousie, a dû être de 15 points, au moins, si on suppose aux prix andalous une évolution identique à celle des autres séries connues de l’Espagne Atlantique. Montée d’autant plus, considérable qu’il semble difficile — malgré la redoutable faiblesse documentaire — de la porter entièrement à l’actif d’une poussée météorologique des céréales.

70On est en présence d’un processus devenu classique. Les hauts profits des années 1518-1519, en s’investissant dans les affaires sévillanes en 1520, sont responsables de la pointe cyclique record de l’année (71 navires, 7 050 toneladas). Ils s’y investiront d’autant plus volontiers que les marchandises exportées au cours de cette année — pour l’essentiel, des produits alimentaires — auront été acquises à meilleur compte, grâce au creux qui suit le palier haut. Cette dernière condition est parfaitement réalisée en 1520 : Le creux de 1520 suivant immédiatement le palier haut—en l’occurrence, 1517-1519 —, est admirablement marqué, sur toutes les courbes. On notera sur les prix-argent — malgré la faible sensibilité de cet instrument —, la position très en creux de 1520, dont l’indice vrai ne dépasse pas 93,228 % de la tendance majeure. Cette position est plus marquée encore sur les courbes des prix de Nouvelle-Castille, la plus valable en l’absence des prix andalous : l’indice de 1520 en recul de 11 % sur l’indice de 1519, de 14 % sur la pointe de 1518. Les céréales, en particulier, sont très déprimés cette année81 — à supposer un comportement analogue des prix d’Andalousie — et notamment des prix andalous82 des céréales — on comprendra la forte position, en cette année record de 1520, du trafic Allers qui représente 65,58 % du mouvement global Allers et retours.

LE COMPORTEMENT DES RETOURS

71Cette forte proportion s’explique par le comportement très particulier des Retours, dont l’indépendance à l’égard des Allers est totale au cours de ce second cycle primaire.

1. Dissymétries

72On est en présence d’une des distorsions Allers, Retours, la plus complète, la plus étonnante de ce siècle et demi.

73On notera l’insolite continuité, l’extraordinaire longueur de ce cycle primaire de 8 ans, venant après un autre cycle de 7 ans, et surtout la dissymétrie de l’ensemble. Deux ans, à peine, d’expansion et 6 ans de contraction, sans que le point haut de 1518 n’égale tout à fait le volume de 1514. Au vrai, il n’y a pas, sur le mouvement Retours de 1510 à 1524, de grande fluctuation. La belle fluctuation des Allers et celle qu’elle commande sur les Allers et retours ne s’y retrouve, en aucune manière. Deux fluctuations d’égale intensité, parfaitement articulées, sur les creux profonds de 1510, 1516 et 1524. Mais là s’arrête l’analogie, car l’allure des deux fluctuations est aussi différente que possible.

74La dissymétrie de la première fluctuation primaire est, on l’a vu, une dissymétrie normale en période d’expansion, quatre années d’expansion de 1510 à 1514, et deux années de contraction, de 1514 à 1516. La dissymétrie de la seconde fluctuation est plus troublante, car c’est une dissymétrie exactement inverse. A la phase de contraction de 1514 à 1516 correspond une phase d’expansion exactement analogue : descente en deux ans, de 4 700 toneladas à 1 000 toneladas, montée en deux ans, de 1 000 toneladas à 4 580 toneladas. Mais, au-delà de 1518, commence une pente d’une étonnante amplitude, 6 ans de 1518 à 1524 : un palier descendant (1518-1520), une chute libre (1520-1523), un gouffre (1523-1524). Cette dissymétrie à contre-pente nécessite réflexion. Il suffit, pour en apprécier l’exacte ampleur, de suivre le trend du mouvement, tel qu’il se dégage des différentes moyennes mobiles83. L’expansion tendancielle est continue sur les Allers, elle l’est aussi sur les Allers et retours, que la tendance soit obtenue par un rabotage plus ou moins long de onze ou de treize ans. Les Retours sont affectés, par contre, d’une véritable flexure tendancielle. La contre-pente sur les moyennes mobiles de 11 ans (non pondérées)84 part de 1517, se prolonge jusqu’en 1520, et atteint 12 % en trois ans. La montée en 1522 n’est, d’ailleurs, qu’un leurre, et il faut attendre 1528, soit 11 ans, pour que le point haut de 1517 soit vraiment et durablement dépassé. La récession est telle qu’elle arrête pour dix ans la tendance majeure ascendante du trafic, en la désolidarisant totalement de celles des Allers et du mouvement global. Il faut pour se heurter à une rupture de pente comparable, aller jusqu’à la grande récession de la décade 1551-1560 qui casse en deux le mouvement séculaire.

2. Tentative d’explication

75Un phénomène de cette ampleur ne peut qu’exprimer d’importantes modifications : une rupture partielle des structures. C’est bien le cas, en effet, avec l’irruption massive du continent américain dans l’espace de l’Atlantique espagnol.

76Cortès débarque sur la côte du « Yucatan » en février 1519. Les six et sept années qui suivent sont celles de la ruée des colons des îles, à la conquête du nouvel espace continental. La première colonisation espagnole de l’Amérique, c’est, d’abord, on s’en souvient, une série de translations. La première translation majeure au profit du continent, commence à la fin de la seconde décade du xvi^e siècle, elle vide les îles de leur substance, plus vite que l’Espagne ne parvient à les remplir. Un peu plus tard, en 1531, commencera, au-delà de l’isthme, l’assaut contre les hautes terres du Pérou. L’essentiel de la mainmise sur le continent s’effectue en quelques années. Le fait est bien connu mais il n’est pas sans intérêt de pouvoir en mesurer les répercussions sur les structures profondes du trafic dans l’Atlantique et sur l’équilibre, notamment, des Allers et des Retours85. Ces flambées conquérantes occupent des époques au cours desquelles la péninsule ibérique investit beaucoup, sans retours immédiats, où les bénéfices, au lieu de revenir sous forme de Retours, s’enfoncent plus à l’Ouest, où les colonies existantes payent la métropole moins en trésors et en services qu’en promesses sur l’avenir. Les Retours se font, alors, paradoxalement, en entreprises de découverte et de conquête que nous ne saisissons pas, puisque leur base de départ est aux Indes. Les îles payent, alors, en créances continentales.

77Au cours de la première décade 1506-1515, le rapport des Retours par rapport à la masse globale du mouvement est à peine inférieur à 45 % ; pour l’ensemble des 145 ans qui nous intéressent, ce rapport se tient autour de 42 %. Ce déséquilibre est normal, on en a démonté les mécanismes ailleurs86 1516-1520 se tient déjà très en dessous de cette proportion, avec 37,7 %, 1521-1530 n’est plus qu’à 34,4 %, (1521 : 25, 34,1 % et 1526 : 30, 34, 7 %). Cette rupture d’équilibre traduit incontestablement l’énorme ruée de colonisation des îles en direction de la Nouvelle-Espagne, tout comme le 35,8 % de 1531-1535, exprime le même phénomène en direction des plateaux andins. En se reportant à la table 160 du tome VI, ces principes posés, c’est à près de 20 000 toneladas que l’on peut, au minimum, évaluer la ponction représentée par la conquête du continent sur un trafic qui eût été normalement destiné à l’Espagne. L’historien pourra, au gré de ses humeurs, admirer, ou bien, à l’échelle de l’Atlantique d’alors l’énormité du phénomène ou bien, à l’échelle de nos mesures et à l’échelle plus peut-être encore des résultats obtenus, la modestie des forces mises en œuvre.

3. Une preuve : l’amorce du reflux sur le mouvement Retours

78La sensibilité du mouvement des Retours au phénomène, est étonnante, puisque le reflux commence dès 1519. Reflux insolite : il précède de deux ans celui des Allers et celui des globaux, alors qu’il retarde, à l’ordinaire, d’un an, au moins, sur le mouvement des Allers87. Il ne fallait rien moins que la conquête mexica de Cortès, pour justifier anomalie aussi exorbitante. Le départ de l’aventure cortésienne avance de trois ans le renversement de la fluctuation des Retours. Si on cherche à éliminer l’action distordante supposée du facteur cortésien, on se crée une fluctuation idéale presque normale, avec une pente ascendante de cinq ans et une phase descendante de trois ans. Navires, cargaisons, ressources, destinés, d’ordinaire, à l’Europe, auront — le fait est compréhensible — pris, en direction du continent américain, un chemin inhabituel88. La date de 1519 constitue, à elle seule, une preuve.

LA CONTRE PENTE

79Une analyse plus attentive de la phase descendante de la seconde fluctuation primaire des Retours, 1516-1518-1524, permet d’approcher la part de chaque facteur.

1. Les Retours

80Le recul qui suit 1518 — plateau descendant de 1519-1520 et chute, même, plus précise de 152189 — est imputable, au premier chef, vraisemblablement, au détournement des richesses du Nouveau Monde par l’entreprise de Nouvelle-Espagne, à l’auto-colonisation américaine.

811519, l’année du départ de Cortès. Il est bien tôt encore, pour que l’appel du nouveau continent puisse tout expliquer. On peut faire intervenir, aussi, le contrecoup du palier des Allers de 151890, ce palier d’essoufflement qu’on s’est efforcé de justifier déjà. Mais 1520 et surtout, 1521, en très gros repli, par rapport à la pente d’Aller de 1520 (les Retours de 1521 ne représentent guère que 45 % des Allers de 1520), ne peuvent s’expliquer que par la translation économique et humaine des îles en direction du continent de la Nouvelle-Espagne.

82A partir de 1522, par contre, il y a action cumulative du phénomène décrit et de la récession normale des Allers. 1522 accuse l’énorme décrochage des Allers de 1520 à 1521. 1523 se ressent, nécessairement, du creux de 1522. 1524 cumule le repli des Allers sur deux ans et l’effet maximum, peut-être, des appels du continent.

83L’inégale longueur de la vague en Allers et en Retours n’est pas, le moins étonnant de cette fluctuation. Un décalage d’un an est normal et logique, mais un décalage de deux ans, justement étrange. Il renforce encore l’impression de rupture que dénote le comportement anormal, dans l’ensemble du mouvement Retours.

2. Les Allers

84Le retournement du mouvement Allers, au-delà de 1520, est plus rapide. Une descente, de deux ans, au lieu de six ans. On la retrouve un peu atténuée sur les Allers et retours. Plus rapide, elle n’en est pas moins profonde. 1522 est à 25 %, seulement, du chiffre de 1520 sur les Allers, 1524 à 25 %, à peu près, du chiffre de 1518 sur les Retours.

85Ce reflux impressionnant doit être attribué à une double influence interne conjoncturelle et externe, politique et militaire. 1520-1522 : il est impossible de ne pas penser à la guerre avec la France. C’est en 1521 et 1522, que la pression française risque d’avoir pesé le plus lourd. L’entrée en guerre de l’Angleterre et son action aux côtés de l’Espagne, la contrebat et l’élimine, partiellement, à la fin de 1522.

3. Les prix

86Les prix constituent le facteur endogène de la dynamique cyclique. Sans minimiser l’influence dépressive de la guerre avec la France, à une époque où la Carrera ne s’est pas encore, comme elle le fera plus tard, installée dans la guerre, les prix auraient, sans doute, suffi à dessiner et à situer une dépression que le facteur politico-militaire s’est, vraisemblablement, borné à accuser. La situation de 1521 et 1522 peut aisément s’expliquer, en Allers, par l’effet dépressif combiné des prix descendants de 1519 à 1520, joint au brusque ressaut de 1521 et 1522. On a expérimenté, déjà, les effets de semblable situation : alors que les bas prix de 1519 et 1520 ont été peu favorables à la formation d’un profit, les exportations aux Indes ont été gênées en 1521 et 1522, par la brusque poussée des prix. Les documents littéraires, il est vrai, viennent ici puissamment au secours des chiffres parfois insuffisants. On sait la longue lacune, de 1520 à 1529, des indices andalous : — famine et peste ravagent, en 1521-1522, l’espace « homogène » de la péninsule ibérique et du Maghreb occidental91) (C’est ce qu’exprime, sans doute, l’indice 109,09 de la série Nouvelle-Castille92) (L’accident des trafics correspond, donc, à un accident des prix, du type catastrophe météorologique doublée d’une catastrophe sanitaire. C’est un exemple valable de co-variation négative trafic prix, en pointe extrême, catastrophique du prix.

87A ces deux facteurs, il convient peut-être d’ajouter, en 1522, du moins, au terme du repli cyclique, l’amplitude de la contraction de Retours anormalement faibles, pour les raisons sus-analysées. Une partie des Retours attendus un moment, pour 1522, par le négoce sévillan, se sera trouvée virtuellement réinvestie, avec ou sans son autorisation explicite, en direction d’une entreprise plus lointaine, non immédiatement rentable. La série anormalement longue de ces différents effets économiques, dépressifs convergents, joints à la guerre, explique le creux anormalement profond de 1522.

88Les prix ont dû, dans ce complexe causal, jouer, certainement, un rôle important. Même la courbe fruste des indices composés des prix-argent le prouve. On observe, successivement, le tassement de 1518 à 1519 (de 43,46 à 43,24, soit, par rapport à la moyenne, un mouvement accentué de 100,25 % à 97,58 %), la chute de 1519 à 1520 (de 43,24 à 42,06, soit, par rapport à la moyenne, une récession relative de 97,58 % à 93,23 %), puis la formidable montée en flèche de 1520 à 1522, prolongée sur deux ans de 42,06 à 46,48, d’abord, puis à 50,51, de 93,23 % à 100,85 % et 107,79 % du trend, soit un progrès respectif de 9 % de 1520 à 1521 et encore de 8 % de 1521 à 152293. Mais, là encore, on préférera les prix de Nouvelle-Castille, le moins mauvais substitut, pour longtemps, des prix andalous : entre 1520 et 1522, l’expansion est de 35 % environ (1520 : 73,99 ; 1521 : 87,85 ; 1522 : 109,89)94. Nulle part ailleurs, elle n’est comparable à la pointe de 1522, égale, à 0,64 près, à celle de 1506 qui commande, on l’a vu, le bas niveau du trafic de 1506, et les points hauts de 1508.

89Les effets de cette flambée catastrophique, si on suppose semblable comportement en Andalousie95 — hypothèse raisonnable, puisque la guerre avec la France aura, éventuellement, gêné le ravitaillement par mer — sont, avec la guerre, responsables de la coupure de 152296.

90Mais c’est dans la mesure, précisément, où la coupure a été plus profonde et plus extérieure, qu’il faut s’attendre à une reprise plus vigoureuse. Le cycle suivant le montrera. Ce cycle incontestable qui, de 1522 à 1531, va marquer, entre l’aventure cortésienne et l’aventure pizarrienne, dix ans de vie d’une Amérique, dont les îles ont déjà mordu sur la Terre Ferme. Le cycle du premier trafic régulier avec les Indes de Castille encore incomplètes.