1Les régions du nord du Pérou (département de Tumbes, Piura, Lambayeque, Libertad, Cajamarca, certaines provinces d’Ancash, Amazonas et San Martin) ont une forte croissance démographique qui est double de celle du sud du pays ; Elle a atteint 55 % entre 1940 et 1961. En 1940, on y dénombrait environ 2 200 000 habitants ; en 1961, le recensement en mentionne de 3 300 000 à 3 400 000 ; les estimations pour 1965 indiquent que 3 700 000 Péruviens sur les 11 110 000 que doit alors compter le Pérou y vivent. La croissance démographique du Nord est surtout vigoureuse sur la côte et repose sur le développement de grandes oasis agricoles, développement qui s’est accompagné du gonflement des villes principales : la côte nord possède quatre agglomérations dépassant 50 000 habitants, dont trois ont plus de 100 000 habitants en 1965 : Chiclayo, Trujillo et Chimbote.

2A la frange désertique qui s’élargit progressivement vers le Nord en devenant plus steppique, s’opposent des Andes plus basses, plus arrosées et étroites, mais aussi plus fragmentées que celles du Centre ou du Sud. Tandis que sur les grand plateaux ou sur l’altiplano on voit au loin et que la circulation est relativement aisée malgré l’altitude, dans le Nord, la profonde coupure longitudinale du Maranon et celles, transversales, de ses affluents ou des vallées qui s’enfoncent de chaque côté d’une voûte andine cassée à son faîte, rendant malaisé l’accès de ces montagnes pourtant peuplées mais où la vie urbaine est réduite. Cajamarca n’est qu’une grosse bourgade de 23 000 habitants en 1961, au centre d’une large vallée verdoyante entre des montagnes plus austères. Si, comme partout dans les Andes, les montagnes déversent une partie de leurs hommes vers la côte, plus « moderne », plus urbaine, bien que la source des richesses y soit surtout agricole, les relations entre la côte et la sierra sont réduites. La montagne, trop pauvre, n’a pas grand chose à offrir, sinon ses hommes. La croissance démographique s’y enregistre dans une société où les structures sociales et économiques sont archaïques.

3Dans les régions du Nord, la source de la production est principalement rurale. Il n’y a pas, ou pas encore, de richesses minières exploitées, comme dans le district minier du centre, à Junin et à Pasco, ou dans le Sud, à Toquepala. Il n’y a pas celles du grand commerce ou de l’industrie comme à Lima. Ceci permet d’opposer avec davantage de netteté les revenus moyens, par individu, dans les départements de la côte, des Andes ou de la forêt : les rapports entre ces revenus traduisent assez bien la différence dans la productivité agricole enregistrée entre ces trois ensembles géographiques.

4Ainsi, pour 1960, la Banque Centrale de Réserve, indique que le revenu moyen par habitant était de 1 483 soles dans le département de Cajamarca (sierra), de 4 969 soles dans celui de Lambayeque (côte), de 4 872 pour Piura, et de moins de 1 000 soles dans San Martin (ceja de montana), où une forte partie de la production est consommée sur place et n’est pas comptabilisée. Tandis que (toujours d’après la Banque de Réserve), le revenu moyen par Péruvien était, la même année, de 3 754 soles, celui de l’ensemble des départements côtiers et de la sierra du Nord était de 3 364 soles, contre seulement 2 503 pour ceux du Sud, mais 5 225 pour ceux du Centre, ceci, surtout grâce à la présence de Lima.

5Dans la Renta Nacional del Peru 1942-1960 (Banco Central de Reserva, p. 34 et 36) on trouve mentionnée une ventilation par grands secteurs d’activité : pour Cajamarca (547 000 habitants), l’agriculture et l’élevage sont comptabilisés pour 680 millions de soles, les mines et carrières pour 86 millions, l’industrie et l’artisanat pour 135, le commerce pour 136 et les services pour 21 millions. Dans le département côtier de Lambayeque, qui compte 346 000 habitants, parmi lesquels ceux de Chiclayo, les revenus de l’agriculture atteignent 927 millions, ceux des mines et carrières 4,7 millions seulement, l’industrie (industrie sucrière exclue) 116 millions, mais les services figurent pour 120 millions et le commerce pour 215 millions. Par tête d’habitant, le montant des services, dans le département de Lambayeque, est 7 fois supérieur à celui du département de Cajamarca. Ceci traduit clairement l’inégal degré de développement économique entre ces deux unités administratives voisines, dont l’une s’étend dans les Andes et l’autre sur la côte.

6Les rapports entre la sierra et la ceja de montaña sont réduits : aucune route ne reliait, en 1964, les bourgades andines aux noyaux de colonisation du piémont amazonien. On n’a pas dans les Andes du Nord, sauf à proximité de la frontière amazonienne, d’échanges analogues à ceux qui existente entre le Cuzco et la vallée de la Convencion, ou même entre Huancayo et les vallées de Chanchamayo et de Satipo. Ceci est probablement lié à la faiblesse des villes dans les Andes du Nord, qui, sauf pour Cajamarca, ne déterminent pas la formation d’un réseau routier. Cependant, l’absence de moyens de communication modernes n’empêche pas les paysans andins de s’établir dans les plaines du Huallaga ou de s’installer le long de la route qui se construit, dans la forêt, le long du Marañon. Bien qu’autrefois des pistes pour mules et piétons permettaient de gagner la côte depuis le département de San Martin, l’essentiel du commerce des régions du Huallaga s’effectuait par les fleuves. C’est l’aviation qui, depuis deux décennies, a « réincorporé » San Martin à la côte pacifique, tandis que la route Olmos-Chachapoyas permet, depuis quelques années, des liaisons entre le département d’Amazonas et les oasis du Nord. La route qui franchit les Andes au col le plus bas de la chaîne, traverse une région montagneuse, peu peuplée. Elle est, en quelque sorte, étrangère aux Andes. Ainsi, sans qu’il y ait de relais andin, Trujillo et Chiclayo profitent du développement des échanges avec le piémont forestier, et servent de grandes villes à la « ceja de montaña ».

7Le nord du Pérou, plus prospère que le sud du pays, grâce à sa côte, et peut-être demain grâce à la colonisation de la « ceja de montaña » et du Huallaga central, doit faire face à un accroissement démographique qui depuis 1960, approche de 3 % par an. Tout en aménageant au moins mal ses villes qui se gonflent, il doit essayer de mieux intégrer les trois ensembles géographiques de la côte, de la sierra et des Andes. Les projets ou les réalisations en cours ne manquent pas, mais ils visent presque tous à accroître la surface cultivée de la côte et à ouvrir de nouvelles terres à la colonisation de la « ceja de montaña ». Plus que dans le Sud et dans le Centre, les Andes paraissent délaissées. Le financement de la plupart de ces travaux est assuré par des crédits étrangers au Pérou.

A. — LES GRANDS AMÉNAGEMENTS AGRICOLES DANS LE DÉSERT

8Chaque département a, en cours d’étude ou de réalisation, un ou plusieurs aménagements agricoles basés sur l’irrigation.

Tumbes

9Dans ce département steppique et frontalier, où, pour des motifs politiques les gouvernements péruviens successifs s’efforcent, comme dans l’extrême Sud, à Tacna, de promouvoir le développement, même dans des conditions coûteuses, le principal projet est basé sur l’irrigation des steppes arborées de la rive gauche du rio Tumbes.

10Le périmètre prévu doit couvrir 18 000 ha, mais il est probable qu’une quinzaine de milliers d’hectares seulement pourront être irrigués. L’eau ne manque pas dans la rivière, alimentée par les précipitations abondantes qui tombent sur les Cerros du Caucho, couverts de forêt cependant, l’irrigation complète par gravité sera difficile, d’où la nécessité de pompages. La topographie du futur périmètre est ondulée et offre une alternance de petites buttes érodées et de cuvettes, délicates à drainer, et où s’accumulent les sels, surtout à proximité du delta. Ainsi, compte tenu de la difficulté des travaux, le devis de l’œuvre était, en 1960, supérieur à 400 millions de soles et l’investissement unitaire par hectare atteignait alors 27 000 soles.

Le Piura et la région d’Olmos

11Dans le Piura on trouve, d’une part un projet à l’étude (celui de l’irrigation des pampas d’Olmos qui est en grande partie sur le département de Lambayeque où se trouve d’ailleurs Olmos), de l’autre, une réalisation en voie d’achèvement (l’irrigation de San Lorenzo).

12San Lorenzo. L’irrigation de San Lorenzo est la principale réalisation accomplie dans ce domaine, au cours de la dernière décennie. Une fois terminé, le périmètre couvrira 45 000 ha de terres nouvelles. Les travaux contribuent également à l’amélioration de l’irrigation sur 33 000 ha dans les vallées du Piura et du Chipillico. Le projet repose sur la dérivation dans la vallée du Piura des eaux du Quiroz, affluent du Chira, qui dispose d’importances ressources hydrauliques. Le barrage de San Lorenzo, dont la capacité de retenue est de 250 millions de mètres cubes permet la régularisation du débit des canaux du périmètre.

13L’exécution du projet est déjà largement avancée. La première étape, commencée en 1949 et achevée en 1953, consiste dans la réalisation des travaux dérivant les eaux du Quiroz vers le Piura. Elle a permis de régulariser l’irrigation de 31 000 ha dans la vallée du Piura, contribuant par là au développement de la culture du coton.

14La deuxième étape débute en 1955 et s’achève en 1959. Elle comprend la construction du barrage de San Lorenzo et d’un réseau de canaux. La troisième étape démarre en 1961 et se marque par la concentration des différents services sous une seule autorité, par la mise en ordre des titres de propriété dans le périmètre, l’attribution et la vente des lots, la construction des bâtiments collectifs et de l’agglomération qui servira de centre à l’irrigation.

15En 1963, un peu plus d’un milliard de soles avait déjà été investi. Le montant total de l’œuvre a atteint 1 784 millions en 1966 dont plus de 500 millions consacrés au développement agricole proprement dit. Le financement est assuré en partie par des organismes extérieurs au Pérou : d’abord par la Banque mondiale dont ce fut la première grande entreprise financée dans le domaine agricole au Pérou, ensuite par l’AID.

16L’ampleur de l’œuvre et son coût sont considérables. Dès 1961, on commençait à attribuer les premiers lots, après s’être efforcé de recaser les occupants primitifs qui ont bénéficié de terres irriguées. En 1964, plus de 20 000 ha avaient été vendus. Le prix de vente est calculé en fonction du coût des travaux d’aménagement du périmètre, de la qualité de la terre et du rendement que l’on peut en attendre. Comme les qualités pédologiques et les conditions d’irrigation sont très variables, la valeur de l’hectare, en 1962, s’échelonnait •de 6 000 à 25 000 soles. Les exploitations ont de quelques hectares à plusieurs dizaines d’hectares. Les conditions d’acquisition sont avantageuses, grâce à des paiements échelonnés sur vingt ans et l’octroi de prêts à long terme et à un faible taux d’intérêt. Les dotations en •eaux sont abondantes : les nouvelles irrigations peuvent recevoir 15 000 m³ par hectare et par an, alors que, pour les terres du Piura, •elles ne dépassent pas 10 000 m³ par ha de coton.

17L’encadrement technique et social des nouveaux occupants est assuré par la présence de fermes modèles, des écoles, des centres de formation professionnelle et des dispensaires. Une ville, Cruceta, sera le centre urbain du périmètre irrigué où se concentreront les services.

18Les cultures sont consacrées au coton, à la luzerne, au maïs et à l’arachide. Quand le périmètre entrera pleinement en production, on compte que la valeur de sa production agricole représentera de 350 à 400 millions de soles (en monnaie constante 1960).

19Cette œuvre, commencée sous le régime du général Odria, pour » suivie sous la présidence Prado, s’achève sous le mandat de l’architecte Belaunde. Elle a été poursuivie malgré les difficultés, malgré des erreurs et l’accroissement des devis.

20Les études pédologiques et topographiques préalables ont été insuffisantes. Les terres se sont révélées moins planes et de moins bonne qualité qu’on ne l’escomptait. L’eau du Quiroz est moins abondante qu’on ne le pensait et les pertes dans les canaux ont été, pendant un temps, très élevées par suite d’un défaut dans leur revêtement. La question de la propriété des terres et du remboursement des valorisations apportées par l’irrigation n’a été réglée que tardivement, quand l’eau circulait déjà dans les canaux. L’attribution des sols a suscité bien des jalousies. Il s’agit là d’un problème délicat : ou bien les lots sont vendus assez cher et seules les familles possédant un certain capital peuvent accéder à la propriété, ou bien des conditions avantageuses sont faites aux acquéreurs et on peut voir dans l’attribution des terres la marque d’un favoritisme. Il faut savoir également si l’on cherche à « caser » le plus d’occupants sur le périmètre, ou bien à créer des exploitations d’une certaine dimension (par exemple, d’une cinquantaine d’ha), rentables, où la mécanisation est possible, mais qui s’accompagnent d’une plus faible densité humaine.

21Enfin, les haciendas et fundos du moyen et du bas Piura, qui, lors de la création de la dérivation du Quiroz, avaient bénéficié d’une large allocation en eau, n’apprécient guère un contingentement plus strict par suite de la mise en valeur progressive de nouvelles terres.

22On peut se demander s’il était nécessaire de construire une ville, Cruceta, spécialement destinée à « l’irrigation », alors qu’à proximité existe une bourgade qui stagnait, Sullana, et que Piura aurait été à même d’assurer la desserte des services supérieurs. Cela aurait permis de mieux intégrer l’irrigation nouvelle dans la vie régionale, au lieu d’en faire un secteur un peu à part.

23Ces remarques, très brèves, ne doivent pas masquer l’intérêt de cette irrigation, la première lancée sur une grande échelle par les gouvernements successifs du Pérou, grâce à l’aide extérieure. Sa réalisation a permis d’autre part de former des ingénieurs et techniciens qui seront utiles dans les autres grands aménagements agricoles de la côte.

24Olmos. Le projet d’irrigation des pampas d’Olmos à partir des eaux du bassin du rio Chamaya est l’un des plus importants prévus au Pérou, l’un des plus délicats et des plus coûteux à réaliser. Dans son extension maximale, qui ne sera probablement jamais atteinte, le périmètre irrigué devrait couvrir 150 000 ha. On prévoit la déviation des eaux des rios Chamaya et Huancabamba qui s’écoulent vers le Marañon au moyen, soit d’un tunnel d’une cinquantaine de kilomètres de longueur traversant les Andes dans un secteur particulièrement broyé, soit au moyen de deux tunnels, qui permettraient de procéder par étapes. Le percement d’un aussi long tunnel, dans un secteur géologiquement peu connu, rend aléatoire tout pronostic portant sur le coût du projet, et même sur ses possibilités de réalisation. Les études faites par une entreprise italienne et financées par le fonds spécial des Nations-Unies permettront de connaître les débits des rivières et leurs charges solides. Elles évaluent aussi la qualité des terrains à irriguer. Il est possible que, dans un première étape, on commence par irriguer une trentaine de milliers d’hectares en utilisant les ressources des eaux souterraines et des petites rivières du versant pacifique.

Lambayeque : le projet Tinajones

25Une soixantaine de milliers d’hectares sont actuellement irrigués, grâce aux eaux du rio Chancay (qu’il ne faut pas confondre avec le rio Chancay qui se jette dans l’océan, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Lima). Malgré la dérivation, en 1956, d’une partie des eaux du Chotano dans le bassin du Chancay, les conditions de l’irrigation restent aléatoires. Une vingtaine de milliers d’hectares sont consacrés à la canne à sucre et pratiquement autant à la riziculture. La culture de la canne à sucre, on le sait, se pratique presque exclusivement dans le cadre de grandes exploitations ; ces dernières ont profité de l’accroissement du débit du Chancay, grâce aux eaux du Chotano, pour augmenter leur production, mais sans se soucier des difficultés de drainage provoquées en aval, chez de petits exploitants. Progressivement, la salinité des terres remonte d’aval en amont, et ceci malgré l’extension des rizières qui s’accommodent d’une certaine salure et permettent le nettoyage du sol.

26La population augmentant, les problèmes sociaux deviennent de plus en plus aigus. Aussi est-il apparu nécessaire d’améliorer les conditions de l’agriculture locale, en augmentant, mais surtout en régularisant le capital hydraulique et en réaménageant le système des canaux d’irrigation et de drainage. L’augmentation de la masse d’eau disponible doit s’effectuer par la dérivation des eaux du Llaucano, qui coulent vers l’Atlantique, dans le Chotano, et ensuite dans le Chancay. La régularisation des débits se fait grâce à deux grands réservoirs : l’un dans la montagne, dans le bassin du Llaucano, aura une capacité de 150 millions de mètres cubes, l’autre de 300 millions de mètres cubes se trouvera à Tinajones, immédiatement en amont du périmètre. L’ensemble, une fois achevé, permettra l’irrigation régulière de 83 000 ha au lieu des 60 000 actuels. L’aménagement est étudié par une entreprise allemande, la Salzgitter, et une partie du financement de la première étape est assurée par un prêt allemand de 540 millions de soles, garanti par le gouvernement de la République fédérale.

27La réalisation du projet s’effectue par étapes ; le montant total des dépenses, selon des estimations faites en 1963, mais qui paraissent pour une fois surélevées, devrait atteindre 2 131 millions de soles, chiffre dépassant largement les premiers calculs qui n’indiquaient que 1 247 millions.

28La construction du barrage de Tinajones figure pour 585 millions, la mise en place des prises d’eaux, les travaux de nivellement comptent pour 410 millions ; la première étape se monte donc à 1 395 millions de soles. Les étapes suivantes, techniquement plus incertaines, consistent dans le creusement des tunnels de déviation du rio Llaucano et dans la construction du barrage dans la montagne.

29Ce projet est l’un des plus coûteux de ceux envisagés sur la côte péruvienne. Cependant, l’importance de l’oasis du Chancay, où vivent actuellement 300 000 personnes, justifie la réalisation complète de cet aménagement.

La Libertad et le Nord d’Ancash : l’utilisation des eaux du Santa

30Le Santa est le fleuve le mieux pourvu d’eau de la côte péruvienne avec un débit d’étiage de 60 m³/s. Il était, jusqu’en 1956, l’un des plus mal utilisés et ne servait qu’à l’irrigation d’une dizaine de milliers d’hectares.

31La décision d’installer la première aciérie péruvienne à Chimbote fut prise en fonction de l’approvisionnement abondant et à bon marché en électricité des fours par la centrale de Huallanca, inaugurée en 1958. Mais ce n’est qu’en 1960 que l’on commence à irriguer les pampas se trouvant au dessus de Chimbote et que, d’autre part, se précise le projet de la mise en valeur des plaines désertiques qui s’étendent de l’embouchure du Santa à la région de Trujillo et qui ne sont traversées que par les deux oueds du Chao et du Vira.

32La « Compagnie irrigadora » de Chimbote est une entreprise privée, partiellement financée par des capitaux vénézuéliens et italiens. Elle mettra en valeur 27 000 ha dont 22 000 par gravité, à partir d’une prise d’eau sur le Santa, et 5 000 par pompage. L’État se réserve 20 % de la surface irriguée sur laquelle il installe des colons pourvus de lots d’une dizaine d’hectares. De son côté, la compagnie rétrocède à des particuliers les terres à irriguer, à des conditions d’ailleurs avantageuses (de 10 à 20 000 soles l’hectare).

33Le projet du « Chao-Viru » concerne les terres du département de la Libertad qui sont déjà irriguées, mais dans des conditions médiocres, ou qui sont à gagner pour l’agriculture sur des pampas encore désertiques. Cet aménagement, déjà envisagé par Sutton dans l’entre deux guerres, prévoit l’irrigation d’une soixantaine de milliers d’hectares de terres nouvelles, une meilleure dotation en eau de 50 000 ha insuffisamment pourvus et la mise en culture régulière de 25 000 qui ne le sont que de façon épisodique.

34L’aménagement utilisera les eaux du Santa, qui actuellement se perdent dans la mer, mais sans que cette utilisation nuise, bien au contraire, à la production hydroélectrique.

35L’ensemble du bassin sera aménagé : un premier barrage de régularisation est prévu dans la haute vallée du Santa, à Conocancha, à 4 000 m d’altitude. A la sortie du « cañon del Pato », à Huallanca, on construira un canal dont le débit maximal pourra atteindre 85 m³ /s ; une partie des eaux seront « moulinées » dans les turbines de la centrale de « los Pancitos » (30 000 kW), installée à l’entrée du périmètre d’irrigation. Le grand canal aura 200 km de longueur, mais son débit doit diminuer progressivement jusqu’à n’être que de 10^m3 en fin de parcours. Six cents kilomètres de canaux latéraux s’y brancheront.

36Dans les années 60, le montant total des investissements était évalué à près de 2 400 millions de soles, soit plus de 88 millions de dollars. Les premiers travaux ont commencé en 1965. Il est prévu que quatre ans et demi après leur début, des améliorations devraient s’enregistrer dans les vallées du Chao et du Viru et qu’en six ans l’ensemble des ouvrages devrait être terminé.

37Pendant la construction, de 3 à 6 000 personnes travailleront sur les chantiers ; la colonisation permettra l’installation de 34 à 38 000 familles. Les bénéfices attendus de l’irrigation, c’est-à-dire des améliorations dans la production des terres déjà cultivées et la différence entre la valeur et le coût de production des terres nouvelles, sont estimées à 572 millions de soles (1960).

38Un des avantages de cet aménagement sera de pourvoir Chimbote d’un arrière-pays agricole et de créer une bande de prospérité, s’appuyant au sud sur Chimbote, au nord sur Trujillo, alors qu’actuellement, du Santa au Moche, on ne traverse pratiquement que le désert.

***

39Même si le périmètre d’Olmos n’atteint que 35 000 ha, les travaux en cours et les projets qui seront exécutés pendant la prochaine décennie augmenteront la superficie cultivable d’environ 200 000 ha de terres nouvelles dans les départements du Nord et amélioreront la production sur 160 à 170 000 ha. Ces chiffres donnent l’ampleur de ces programmes d’irrigation qui permettront à ces régions de poursuivre leur croissance agricole qui est déjà la plus forte de la côte depuis une trentaine d’années. Ces nouvelles irrigations créeront de nombreux emplois nouveaux (à raison d’un emploi pour 2 ou 3 ha de terres nouvelles, si on cherche à favoriser au maximum l’utilisation de la main-d’œuvre, ce qui fait une densité rurale d’une personne à l’hectare). Chaque emploi agricole entraîne la création d’un emploi dérivé.

40Bien qu’il soit difficile de déterminer avec prévision le coût de l’emploi ainsi créé, on peut estimer que le coût de l’aménagement « moyen » d’un hectare approche de 25 000 soles, soit un peu moins d’un millier de dollars. L’investissement nécessaire en travaux d’aménagement, à la création d’un emploi agricole, serait alors d’environ 2 à 3 000 dollars par emploi, c’est-à-dire qu’il reste notablement inférieur à l’investissement nécessaire à la création d’un emploi industriel, qui s’abaisse rarement en dessous de 8 000 dollars au Pérou, mais qui peut s’élever jusqu’à 20 000 dollars.

41D’autre part, par le seul fait des nouvelles irrigations, la production agricole de la côte nord devrait doubler d’ici une quinzaine d’années, ceci sans tenir compte de l’amélioration des terres déjà irriguées et des progrès que l’on peut attendre dans la productivité des terres actuellement en culture.

42Au moment ou s’effectuent ces grands travaux d’aménagement, la réforme agraire commencera à s’appliquer sur la côte. La loi prévoit une redistribution de la propriété et une aide financière et technique accrue accordée aux petits exploitants.

43La loi de réforme agraire mentionne que les grandes entreprises sucrières qui possèdent une sucrerie seront considérées comme des exploitations industrielles et de ce fait, placées hors du cadre de la réforme. En revanche, il est prévu une redistribution des terres selon un taux progressif, pour les propriétés dépassant 150 ha de terres irriguées. Le barème est le suivant : pour les propriétés comprises entre 150 et 500 ha, 350 ha sont touchés par la réforme et 30 % de leur surface devra être rétrocédée. Pour la tranche entre 500 et 1 000 ha, sur 500 ha concernés, 50 % sera redistribué (soit 250 ha pour une exploitation de 1 000 ha). De 1 000 à 1 500, 70 % des 500 ha concernés seront expropriés. 90 % des 500 ha des exploitations entre 1 500 et 2 000 ha. Au-dessus de 2 000 ha, toutes les terres seront redistribuées. Cependant, comme de nombreuses exploitations sont possédées par plusieurs familles, il est possible de diviser l’exploitation en autant de parts qu’il y a de propriétaires, mais en conservant la possibilité de maintenir en commun des services d’exploitation. La valeur de la terre expropriée sera payée en bons tandis que le matériel de culture et l’équipement sera payé au comptant.

44Les fermiers louant moins de 15 ha, les « yanacones », les divers métayers exploitant une surface inférieure à 15 ha deviennent, contre un paiement échelonné, propriétaires de leurs terres. La formation de coopératives de production sera envisagée.

45Cependant, si dans la sierra les opérations de redistribution des terres sont déjà commencées, il n’en va pas de même sur la côte où, à ses débuts tout au moins, la « réforme agraire » consistera davantage en une aide technique et financière à la petite exploitation, à la régularisation de certains titres de propriété ou au passage d’une situation de locataire à celle de propriétaire, qu’en une redistribution d’ensemble de la terre cultivable et en un bouleversement des structures foncières.

B. — L’INDUSTRIALISATION DU NORD

46En 1958, les premières tonnes d’acier ont été coulées à Chimbote, dans des fours construits par des entreprises françaises mais appartenant à la SOGESA, société de gestion qui dépend de la Corporation du Santa, la première corporation fondée au Pérou qui est chargée de la mise en valeur régionale à partir des ressources du bassin du Santa. Le minerai de fer vient de Marcona et est rendu à Chimbote dans des conditions particulièrement avantageuses. La première étape a consisté dans la mise en route d’une aciérie produisant une soixantaine de milliers de tonnes par an ; malgré des conditions favorables d’approvisionnement, tant en minerai qu’en électricité, l’usine a une gestion financière en déficit. On prévoit cependant d’accroître la capacité de production de l’aciérie à 350 000 t. Le coût de l’extension, en cours de réalisation, est de 3 525 millions de soles, soit 130 millions de dollars qui sont partiellement financés par des prêts allemands et suisses. La construction des hauts-fourneaux, d’une aciérie à oxygène et d’un train de laminoirs s’effectue sous le contrôle technique et avec un matériel fourni par des entreprises allemandes. On peut se demander si ce type d’investissement est de première urgence pour le Pérou, alors que, sur le marché mondial, ce pays pourrait, à meilleur compte, se procurer les variétés d’acier dont il a besoin. Un investissement de cet ordre représente la mise en valeur de 100 000 à 150 000 ha de terres nouvelles sur la côte, c’est-à-dire des ressources assurées pour cent à deux cent mille personnes, au minimum. Mais il faut observer que la décision de se doter d’une industrie sidérurgique se place dans un contexte politique plutôt qu’économique.

47L’extension des aciéries de Chimbote se fait en même temps que la mise en place de nouveaux groupes dans la centrale de Huallanca. La puissance installée doit passer de 58 000 kw (dont 38 000 sont destinés à la sidérurgie) à 220 000 kw par l’addition de six groupes supplémentaires de 27 000 kw chacun. La première étape (construction de la centrale, mise en place des 58 000 kw et l’établissement de la ligne de force) est revenue à 17 700 000 dollars (soit un peu plus de 300 dollars par kw installé) ; la deuxième étape (installation de deux groupes de 27 000 kw chacun) coûtera un peu moins de 8 millions de dollars, couverts à 60 % par des prêts américains (le kw installé revient à peu moins de 150 dollars).

48L’autre grande ressource de Chimbote qui, par son chiffre d’affaires (60 millions de dollars en 1964), et le personnel employé, est la première de ce port, est la farine de poisson.

49Dans le Piura, les perspectives industrielles portent surtout sur l’industrie chimique : utilisation du gaz de pétrole pour les fabriques d’engrais, pétrochimie et éventuellement transformation sur place, en superphosphates, des minerais phosphatés du gisement de Sechura. Mais, tandis qu’à Chimbote, les réalisations industrielles s’inscrivent dans le paysage, à Piura on en est encore aux études préliminaires et à la recherche du financement, cependant qu’à Trujillo et à Chiclayo de petites entreprises se montent pour répondre aux besoins des villes et à l’existence d’une clientèle régionale.

C. — LA MISE EN VALEUR D’AMAZONAS ET DE SAN MARTIN

50Aux réalisations de la côte font pendant les projets de développement des régions forestières. Ils reposent sur la construction d’une infrastructure routière et notamment sur la grande artère Olmos-Bagua-Yurimaguas (747 km), avec une bretelle à partir de Bagua vers le Marañon. Actuellement la route relie la panaméricaine à Olmos, à Pomacocha, près de Chachapoyas (338 km). Le tronçon Tarapoto-Yurimaguas est en voie d’achèvement. Le principal investissement doit porter au cours des prochaines années sur la route entre Pomacocha et Tarapoto (273 km) ; cette route traverse un terrain accidenté (Pomacocha se trouve dans les Andes, à 2 280 m) et souvent couvert de forêt ; Tarapoto est dans la plaine du Huallaga. Le coût de l’ouvrage était estimé en 1964 à 1115 millions de soles, soit 41 325 000 dollars dont 35 millions seront fournis par l’Eximbank et l’AID. Cependant, quand l’appel d’offre a été lancé, en décembre 1964, les devis présentés par les entreprises de travaux publics ont été supérieurs à 70 millions de dollars, ce qui remet en question, sinon la route, du moins son gabarit. Il était en effet prévu de construire une route large, bitumée, comportant de nombreux ouvrages d’art.

51La route actuellement construite dessert la partie méridionale du département d’Amazonas, soit une vingtaine de milliers d’hectares cultivés. Dans le département de San Martin (région de Tarapoto), une cinquantaine de milliers d’hectares sont exploités par l’agriculture.

52On estime que plusieurs centaines de milliers d’hectares sont susceptibles d’être consacrés à l’agriculture et à l’élevage dans les régions de Tarapoto, du Biabo (affluent du Huallaga) et du Nieva (affluent du Marañon).

53Une mission, financée par le Fonds spécial des Nations-Unies, s’efforce de faire l’inventaire des ressources et de dresser un plan de développement. Il semble qu’une des premières tâches à accomplir sera de régulariser la propriété foncière dans ces régions, pour éviter des spéculations au moment de la mise en place de l’infrastructure des communications, de façon également à pouvoir dresser un programme cohérent de colonisation. Les études préliminaires indiquent qu’actuellement la route d’Olmos à Yurimaguas desservirait 80 000 ha de terres cultivées, mais que la surface cultivable représente 445 000 ha et que celles des terres à vocation pastorale couvrent 300 000 ha. C’est dans cette région que le gouvernement péruvien, probablement à raison, fonde ses plus grands espoirs pour ouvrir de nouveaux espaces à la colonisation agropastorale.

54Les estimations du bureau d’études Brown et Root indiquent que la valeur de la production dans la zone à desservir par la route atteignait 130 millions de soles en 1960, 146 millions en 1964 (estimations probablement inférieures à la réalité) ; si la route se construit, la production devrait passer de 227 millions de soles en 1972 à 436 millions en 1982. Ce dernier chiffre est intéressant. Ce bureau d’études considère que le gain de production à attendre de la route s’élèverait, entre 1964 et 1982, de 340 millions de soles. Or, on peut estimer que les nouveaux aménagements agricoles, du Santa au rio Tumbes, auront, dans le même laps de temps, contribué à augmenter la production d’environ 3 milliards de soles. Ceci montre l’écart des ressources que l’on peut attendre des aménagements effectués dans le désert côtier, et de ceux nés de la conquête de la forêt par l’agriculture et l’élevage.

55En face de ces perspectives, les Andes du Nord paraissent singulièrement abandonnées. On utilisera leurs ressources hydrauliques pour la mise en valeur de la côte ; éventuellement, les hommes pourront s’employer dans les régions basses. Mais les population » montagnardes du Nord ne bénéficient pas de la sollicitude des pouvoirs publics au même titre que celles de l’altiplano ou même du centre du Pérou. Elles restent aussi ignorées des chercheurs que des autorités.

D. — LES VILLES ET LEURS AIRES D’INFLUENCE

56La croissance agricole de la côte s’est marquée par le gonflement, déjà noté, des villes principales. Le cas de Chimbote est unique au Pérou ; c’est la seule ville champignon dont l’essor ait été provoqué par l’industrie, sidérurgie d’abord, pêche ensuite. Il n’est pas douteux que Chimbote ne confirme sa vocation industrielle, à la fois par suite des plans d’extension des aciéries et par la progression des pêcheries. La fourniture du courant électrique à bon marché, l’abondance de la main-d’œuvre pourraient y attirer d’autres activités industrielles. Mais ce qui est nouveau, c’est le développement d’une fonction locale et peut-être régionale en rapport avec les irrigations effectuées au voisinage de la ville et celles du Chao Viru. Chimbote qui n’est actuellement qu’un agglomérat de barriadas et d’usines autour d’un centre médiocre, doit se transformer en une ville, où les fonctions régionales prendront un poids qu’elles n’ont pas actuellement.

57Collin Delavaud (Annales de Géographie 1965) a montré quelques-unes des caractéristiques urbaines de Piura, Chiclayo et Trujillo ; ces trois villes régionales ont connu un développement qui n’a pas été étouffé par Lima. Ces trois villes ont une histoire différente. Trujillo est fière de son histoire coloniale et pourrait revendiquer aussi son passé de capitale chimu dont les ruines parsèment le désert. Chiclayo a grandi depuis un siècle. Les trois villes ont progressé comme centres de services et comme foyers commerciaux pour les régions rurales environnantes.

58Piura est, sans discussion possible, la tête de son département. Peuplée en 1961 par 76 000 habitants, la perspective d’installer des industries chimiques devrait lui permettre de différencier ses fonctions en y ajoutant l’industrie qui lui fait actuellement défaut. L’irrigation de San Lorenzo, malgré la création de Cruceta, ne peut que contribuer au développement du rôle commercial et administratif de Piura. La ville est bien située, à proximité des différents périmètres d’irrigation du département et à un carrefour routier dont la qualité s’améliore par la transformation des pistes sableuses en routes carrossables. Un bon aéroport, utilisable en tout temps, facilite les liaisons avec Lima, Chiclayo et Trujillo que l’on rejoint en quelques heures par la route. Piura peut servir de capitale régionale pour Tumbes. Cependant Piura manque d’eau pour développer des industries ; Sullana, sur le Chira, est à ce point de vue mieux lotie. En 1980, la population de ces deux départements dépassera un million d’habitants. Cependant, il est douteux que son dynamisme puisse s’étendre sur les départements situés au sud et à l’est par suite de l’existence de Chiclayo.

59Chiclayo est bien placée entre Piura et Trujillo, au centre de la plus grande oasis du Pérou, que les travaux de Tinajones vont valoriser. La ville profite également du développement de la « ceja de montaña ». La direction des entreprises et des États Majors des unités travaillant dans les régions du Marañon se trouve généralement à Chiclayo ; les grossistes de la ville, les représentants en véhicules et en matériel mécanique de Chiclayo desservent les départements d’Amazonas et de San Martin.

60Trujillo, au sud-est est plus que Chiclayo en rapport avec la sierra. Elle communique avec les bourgades d’Otuzco, de Huamachuco et avec Cajamarca. L’ouverture de la route transandine, unissant Trujillo à Janqui, sur le Huallaga, devrait confirmer cette orientation andine de Trujillo. Enfin les irrigations du Chao-Viru, l’énergie électrique née des chutes du Santa, pourront apporter à Trujillo un développement au moins équivalent à celui que Tinajones donnera à Chiclayo. Enfin la transformation des grandes haciendas sucrières en « agglomérations » accroît la clientèle de Trujillo et est l’une des raisons de l’essort actuel de cette ville.

61Aussi peut-on, à l’issue de cette brève énumération, se demander, comme le font notamment les responsables de l’aménagement du territoire au Pérou, s’il est nécessaire de choisir une « métropole régionale », capitale de l’ensemble des zones du nord du Pérou. La côte nord a eu la chance de posséder quatre agglomérations qui ont pu se développer sans entraves, en s’appuyant sur leur environnement agricole (Piura, Chiclayo), ou sur des activités industrielles (Chimbote). Ces quatre agglomérations, dont trois sont des villes d’oasis et la quatrième est un port qui deviendra aussi ville d’oasis, sont facilement reliées entre elles, aussi bien par la route que par l’avion. On voit mal les avantages de promouvoir une capitale régionale dans ce contexte géographique, marqué par un centralisme liménien qui est bien moins étouffant que celui de Montevideo ou même de Buenos Aires. Il est aussi vain pour le Pérou de se référer à l’exemple colombien, où Medellin et Cali ont pu devenir de grandes villes (à l’échelle du pays), relativement indépendantes de Bogota, que de comparer la géographie des grandes villes françaises commandées par Paris, à la situation de l’Allemagne fédérale, polycentriste.