Chapitre I. La croissance économique
p. 203-223
Texte intégral
1Malgré l’incertitude des statistiques, tant économiques que démographiques, il est à peu près certain que le produit national brut péruvien1 ait augmenté entre 1950 et 1964 selon un taux annuel moyen, voisin ou supérieur à 5 % ; ce taux était probablement le double de celui de la croissance démographique. Il ne peut pas être question dans une étude géographique de se livrer à une analyse fouillée de la croissance économique et de ses données. On se contentera ici de présenter, en les confrontant au besoin, les renseignements que fournissent les économistes péruviens, ceux du « Banco nacional de Reserva » comme ceux de « l’Instituto nacional de planificacion ».
A. — LES TAUX DE CROISSANCE ET LA RÉPARTITION PAR SECTEURS
2La Banque centrale de Réserve, l’Institut national de planification et Jorge Grieve2 fournissent des chiffres différents concernant la progression du produit national brut entre 1950 et 1964 et indiquent des taux de croissance distincts.
3D’après Grieve, le produit national brut de 31 364 millions de soles en 1950, passe à 45 325 millions en 1955, atteint 57 544 millions en 1960 et près de 66 milliards en 1962 (les calculs sont effectués en « sol constant 1960 », déflaté, sur la base des prix établis par le service statistique du Ministère des finances). En sol courant, le PNB était évalué à 80 milliards de soles en 1964. La Banque centrale de Réserve (cf. tableau 8 du Plan) part d’un PNB de 33 milliards en 1950, de 42 en 1955 et qui atteint 51 en 1960. Le taux de croissance aurait été, entre 1950 et 1955 de 5 % (7,6 % pour Grieve), de 3,9 % de 1955 à 1960 (4,9 % pour Grieve). L’Institut national de planification, qui utilise dans ses calculs le Produit brut interne (PBI, voir note), signale que son taux de croissance annuel était de 5,1 entre 1950 et 1955, de 4,8 entre 1955 et 1960, mais que si l’on prend les cinq années de 1958 à 1962, on arrive à un taux de 7,5 %. En 1962, le quotient du PNB par habitant aurait été, d’après l’Institut de planification, de 5 964 soles ou de 225,5 dollars, tandis que pour Grieve, il se serait élevé, la même année, à 7 000 soles, soit 262 dollars3.
Tableau de la composition du produit national péruvien par secteur (d’après Grieve)
(valeur en millions de soles 1960 — en chiffres et en pourcentage)
1950 | 1955 | 1960 | 1962 | |
Agriculture et élevage | 11.754 (37,5 %) | 14.863 (32,8 %) | 18.920 (32,9 %) | 22.908 (34,7 %) |
Mines et pétrole | 3.425 (10,9 %) | 5.829 (12,9 %) | 7.935 (13,8 %) | 8.923 (13,5 %) |
Industrie et artisanat | 4.959 (14,9 %) | 6.760 (14,9 %) | 8.758 (15,2 %) | 9.861 (14,9 %) |
Services | 1.723 (5,5 %) | 2.276 (5 %) | 3.454 (6 %) | 3.856 (5,8 %) |
Commerce | 5.274 (16,8 %) | 9.099 (17.5 %) | 9.171 (15,9 %) | 10.060 (15,3. %) |
Finances | 526 (1,7 %) | 1.065 (2,3 %) | 1.497 (2,6 %) | 1.722 (2,6 %) |
Divers | 1.075 (3,4 %) | 1.097 (4,2 %) | 2.431 (4,2 %) | 2.695 (4,1 %) |
Gouvernement | 2.928 (9,3 %) | 4.670 (10,3 %) | 5.378 (9,3 %) | 5.900 (8,9 %) |
Total | 31.364 | 45.322 | 57.544 | 65.926 |
4On remarque dans ce tableau que l’agriculture et l’élevage interviennent pour un peu plus ou un peu moins du tiers dans le montant total du PNB4. Il faudrait cependant distinguer entre les ressources agropastorales destinées à la vente sur le marché, et la production consommée dans le groupe familial ou dans un cercle restreint. Il est à peu près certain que la valeur de la production « autoconsommée » est généralement sous-estimée, à la fois par suite d’une mauvaise estimation des surfaces mises en culture, qui est généralement supérieure à celle qu’indiquent les statistiques et par une sous-évaluation des rendements. Pourtant, la plupart des économistes péruviens considèrent que la production agricole qui n’est pas vendue sur le marché stagne, sinon décroît, depuis une quinzaine d’années, ce qui tendrait à accréditer la thèse d’une paupérisation absolue d’une grande partie du paysannat, et surtout du paysannat andin. Grieve, pour sa part, estime que, entre 1950 et 1955, la production du secteur agropastoral a augmenté de 4,5 %, mais que celle de l’agriculture d’exportation a cru à un rythme annuel de 11,9 %, tandis que la production « autoconsommée » n’aurait augmenté qu’à raison de 2,65 % par an, soit à un taux très légèrement supérieur à celui de la croissance démographique pour la même période. En revanche, cet auteur se base, pour la période 55-60, sur un taux de 2,5 % pour l’agriculture d’exportation (coton, canne à sucre, café) et de 4,6 % pour la production destinée à la consommation locale.
5Dans le premier volume des « Actividades productivas » publié par la Banque Centrale de Réserve, on lit qu’entre 1950 et 1960 le secteur agropastoral n’aurait progressé que de 29 %, soit moitié moins vite que les autres grands secteurs d’activité, ce qui conduirait à faire passer le pourcentage en valeur, de la production agropostorale, de 29 % en 1950 à 25,9 % en 1960. Dans le même ouvrage, on note que l’augmentation de la production agricole destinée à la consommation locale n’aurait été que de 14 % en dix ans (cf. tableaux 8 et 9 du Plan nacional de desarollo), tandis que pour Grieve l’augmentation aurait été de 45 %. Ces divergences sont graves, venant de deux études qui sont parmi les plus sérieuses effectuées au Pérou, l’une par les économistes de la principale institution de crédit péruvien, l’autre par un ancien ministre du développement qui fût l’un des neufs sages de l’OEA. Dans le premier cas, le niveau de vie des paysans de la sierra et de la ceja de montaña se serait abaissé en dix ans (par suite de l’augmentation de la population), dans l’autre on noterait une amélioration sensible de leur situation alimentaire. Des observations personnelles, faites entre 1957 et 1964, sur l’ensemble du territoire péruvien, m’incitent, sur ce point, à adopter les données de Grieve, de préférence à celles de la Banque de Réserve5.
6On enregistre aussi une forte augmentation du produit des mines et du pétrole (taux annuel, d’après Grieve et la Banque, compris entre 8,5 et 8,6 %), mais il s’agit là d’un domaine où les statistiques sont plus aisées à établir. Le taux de la croissance industrielle aurait été de 6,45 % entre 50 et 60 et se serait élevé à 12,2 % par an entre 60 et 62.
7Quoi qu’il en soit de ces discussions sur les taux de croissance globaux et par secteurs, qui portent aussi bien, pour les économistes, sur des questions méthodologiques (estimation de la valeur du « sol 1960 » déflaté, incorporation de certaines productions dans l’une ou l’autre rubrique ou même sur la façon de procéder aux calculs) que sur la qualité des statistiques utilisées, il est certain qu’au cours des quinze dernières années le produit national brut péruvien a augmenté plus rapidement que la population, plus rapidement aussi que dans la plupart des autres pays d’Amérique latine6.
8Cette croissance économique semble, à première vue, entraînée par la progression du commerce extérieur due à l’accroissement rapide des exportations péruviennes.
B. — LE COMMERCE EXTÉRIEUR ET SA SIGNIFICATION
L’augmentation du commerce extérieur
9La courbe ci-jointe indique la progression du montant total, en dollars, de l’ensemble des exportations. D’un peu plus de 65 millions en 1940, il atteint la centaine de millions de dollars en 1945 (103 millions) ; 193 millions en 1950, 270 millions en 1955, 433 millions en 1960 et 667 millions en 1964. Cette augmentation en valeur des exportations est l’une des plus fortes enregistrées en Amérique latine. En 1950, le Pérou exportait pour 21 dollars de produits par habitant, en 1964 ce chiffre était de 64 dollars.
10Corrélativement à l’augmentation des exportations, les importations progressent : 51 millions de dollars en 1940, 84 en 1945, 186 en 1950, 300 millions en 1955, 374 en 1960, 580 en 1964. On peut noter que le commerce extérieur se solde par un excédent en faveur du Pérou depuis plusieurs années, ce qui est assez remarquable pour un « pays en voie de développement ». Cependant, l’excédent de la balance commerciale n’implique pas forcément un excédent de la balance des paiements. Le Pérou doit faire face aux dépenses de frêt, d’assurances, payer l’amortissement et l’intérêt des prêts extérieurs, l’ensemble figurant, dans le calcul des paiements pour 50 à 80 millions de dollars selon les années depuis 1958. Ainsi, le Pérou pourrait avoir une balance des paiements déficitaires s’il ne continuait pas à recevoir des prêts extérieurs, publics et privés, utiles à son développement, mais qui accroissent à terme sa dette extérieure7.
L’orientation des échanges
11Le pays, pour sa croissance et son développement, est donc largement tributaire de l’extérieur. Son économie moderne est branchée sur les échanges internationaux. Ces derniers s’effectuent principalement avec les pays riverains de l’Atlantique nord. En 19668, pour un montant total d’importations de 21 900 millions de soles, les produits en provenance de l’Amérique du Nord (USA et Canada) figurent pour 9 208 millions, ceux d’Europe pour 7 112 millions tandis que les marchandises importées des diverses républiques des Amériques latines n’atteignent que 2 500 millions. Aux exportations, dont la valeur pour la même année se montait à 20 500 millions de soles, l’Amérique du Nord venait encore en tête, relayant l’Europe occidentale qui était encore en 1964 le principal importateur de produits péruviens : l’Amérique du Nord achetait en 1966 au Pérou pour 8 752 millions de soles tandis que l’Europe occidentale (pays du Marché commun et de l’AELE) n’importait que pour 6 559 millions de soles de marchandises péruviennes.
12Le poids et le rôle des États-Unis restent déterminants dans le domaine des investissements. Le financement des grands travaux d’équipement, qu’ils soient routiers, énergétiques, ou qu’ils concernent la politique du logement ou l’assainissement des villes, est assuré en grande partie grâce à des crédits accordés par des institutions américaines ou panaméricaines, ceci malgré le développement des investissements allemands et, dans une moindre mesure, anglais, italiens et japonais.
13L’orientation du commerce extérieur et des échanges financiers vers les puissances industrielles n’a rien d’original. C’est l’une des caractéristiques des économies des pays en voie de développement. Ces derniers ne commercent guère entre eux et leurs ressources sont généralement plus concurrentes que complémentaires. A cette remarque très élémentaire, il faut ajouter une autre constatation : les frontières politiques, au Pérou, ont encore toute leur valeur. Elles la conservent en raison d’une histoire souvent proche. On note également que la pression des échanges, de part et d’autre de la ligne frontière, est très faible, soit en raison de la pauvreté des économies voisines (par exemple entre le Sud du Pérou et la Bolivie), soit parce qu’un désert économique sépare deux pays, comme c’est le cas, pour le moment, entre le Pérou et le Brésil.
14Cependant, ces observations n’impliquent pas, bien au contraire, que la recherche d’une meilleure intégration des économies voisines soit inutile. Une coordination dans les investissements industriels, un abaissement des tarifs permettant la constitution de plus vastes marchés, l’harmonisation des productions agricoles et la défense du marché des produits sont susceptibles de favoriser le développement de l’économie péruvienne. Néanmoins, avant de chercher à se fondre dans un ensemble plus vaste, le Pérou doit s’efforcer d’adapter au moindre coût sa société aux transformations entraînées par les croissances, et de mettre en place une infrastructure permettant une meilleure « intégration » régionale.
La ventilation des exportations
15L’une des caractéristiques des exportations est d’être basée sur un large éventail de produits. En 1964 pour un montant global d’exportations de 17 888 millions de soles aucune production ne représentait plus de 30 % du total ; en tête venait la farine de poisson (et les produits dérivés dont l’huile) pour 4 475 millions, puis le cuivre (2 762 millions), le coton (2 450 millions), le sucre (1 715 millions) et, avec un peu plus ou un peu moins d’un milliard de soles, l’argent, le zinc, le fer et le café. En 1965 la part de la farine de poisson est encore plus importante par suite du déclin du coton et du sucre.
16Diverses remarques peuvent être faites à la lecture de ces données. Les exportations, diversifiées, concernent essentiellement des matières premières ayant déjà subi un premier traitement sur place : fibres de coton, sucre, huiles, et farine de poisson, concentrés de minerais et surtout métaux raffinés à 99 %. Ces produits subissent les fluctuations des cours du marché mondial. Cependant, jusqu’à présent, les fluctuations finissaient par s’équilibrer : dès qu’une production fléchissait, soit par épuisement, soit par suite de l’abaissement des prix de vente, un ou plusieurs autres produits venaient prendre le relais et soutenir la croissance des exportations. Au cours des dernières années, les progrès les plus spectaculaires proviennent des ressources tirées de la pêche à « l’anchoveta », de l’ouverture de nouvelles mines de cuivre et de fer, du développement de la production du café dans la « ceja de montaña » (cf. graphiques). Ainsi, la quantité de fibres de coton exportées passe de 73 000 t en 1950 à 85 000 t en 1955, à 100 000 t en 1960 et à 115 000 t en 1964 ; celle du café, qui n’était que de 1 000 t en 1950 atteint 42 000 t en 1964. La progression de la farine de poisson est particulièrement spectaculaire : 18 000 t en 1955, plus de 500 000 t en 1960, 1 577 000 t en 1964, et, résultat presque inattendu : 1 400 000 t en 1964. Le prix de la tonne, contrairement aux prévisions, s’élève, entre 1963 et 1964, de 113 à 140 dollars.
17En revanche, on enregistre une diminution des exportations de pétrole et de ses dérivés, par suite de l’effet conjoint de la stagnation, sinon de la diminution, de la production et de l’augmentation rapide de la consommation intérieure (5 000 000 t exportées en 1950, moins de 500 000 t en 1963). La progression des exportations de zinc et de plomb, extraits dans les mines du centre des Andes, a plus que doublé : pour le plomb, 60 000 t en 1950, 107 000 t en 1955, 117 000 t en 1960, 144 000 t en 1964. Le Pérou ne produisait pas de fer avant 1953 ; il en exportait un million de tonnes en 1955, 3 150 000 t en 1960, 3 709 000 t en 1963, grâce aux exploitations en minières situées à proximité de la mer, à Marcona, et, dans une moindre mesure, à Acari.
18On constate que dans les pourcentages, établis sur des exportations en hausse, la part de la production minière reste pratiquement égale : 42, 2 % en 1950 et 42,9 % en 1962, tandis que celle de l’ensemble des produits de l’agriculture et de l’élevage, pendant la même période, s’abaisse de 53 à 35 %, la différence étant comblée par la farine et l’huile de poisson9.
19La signification, tant géographique que sociale, de ces productions destinées aux marchés extérieurs n’est pas la même. Par exemple, l’accroissement de la production de café valorise la colonisation du piémont amazonien et concerne une cinquantaine de milliers d’exploitations ; elle est souvent un effet dérivé des investissements effectués dans les voies de communications. On peut estimer à 500 millions de soles, soit moins de 25 millions de dollars, le montant des investissements effectués dans les plantations de café au cours des quinze dernières années ; la plupart de ces investissements effectués, à force de travail, par de petits planteurs n’ont d’ailleurs pas été comptabilisés.
20Sur la côte et en quelques points de la ceja de montaña (San Martin), le coton est cultivé sur 250 000 ha ; il donne du travail à autant de personnes. S’il constitue la plus grande partie des revenus des haciendas du Piura et de la côte centrale, il est aussi, on l’a vu, une ressource appréciable pour les petits exploitants. En revanche, la canne à sucre, qui constitue une monoculture dans un certain nombre de basses vallées de la Libertad et de Lambayeque, procure de l’emploi à plusieurs dizaines de milliers de peones et d’ouvriers, mais enrichit surtout une vingtaine de grosses sociétés.
21Il est difficile de calculer le montant des investissements qui ont permis et qui permettent ces productions : ils s’effectuent sur un capital foncier qu’il est possible d’évaluer à une cinquantaine de milliers de soles par hectare, soit, pour l’ensemble des cultures de la côte, à un peu plus de 25 milliards de soles, soit un milliard de dollars.
22On a vu que les activités nées de la pêche le long de la côte centrale du Pérou fournissent une cinquantaine de milliers d’emplois directs et autant d’emplois dérivés. Elles ont mobilisé, entre 1957 et 1964, environ 300 millions de dollars d’investissements.
23La plupart de ces productions sont entreprises par des Péruviens et sont, en majeure partie, financées par le capital national. Elles entraînent un fort emploi ; il n’en est pas de même de la production minière.
24Les minerais qui entrent pour 42 % dans les exportations n’emploient que 2 % à peine de la population active et ce pourcentage a tendance à diminuer par suite de l’accroissement de la productivité dans les mines. Entre 1950 et 1960, les mines ont figuré pour 43,4 % dans le montant total des investissements étrangers et le pétrole pour 13,9 %, soit pour les deux rubriques 57,3 % des investissements privés étrangers à long terme qui se seraient élevés, selon le département de commerce des USA à un peu plus de 400 millions de dollars.
25La production, tant minière que pétrolière, dépend, en grande majorité, des firmes étrangères au Pérou, même si pour des raisons psychologiques ou fiscales certaines entreprises, comme la « Cerro de Pasco », sont domiciliées à Lima. Pour cette société, la dépendance de la maison mère du Delaware reste étroite. Seule, jusqu’en 1965, fait exception dans le domaine pétrolier, l’Empresa petrolera fiscal, entreprise publique qui exploite de médiocres gisements à proximité de la frontière équatorienne. On note aussi quelques mines péruviennes de métaux non ferreux (mines du « Consorcio minero », Compania minera Atacocha, Minas de Cercapuquio, Sindicato minero Rio Pallanca, etc.) ; si les revenus de ces sociétés sont à la base de la fortune de quelques grandes familles (Wiese, Boza, Fernandini, Rizo Patron), dont on retrouve les membres dans les conseils d’administration, la production globale de ces mines est très inférieure à celle de la Cerro de Pasco ou même de la Compagnie française des Mines de Huaron.
26Une autre série d’observations découle de l’analyse de ces productions destinées à l’exportation. Leur remarquable augmentation au cours de la dernière décennie n’a guère entraîné le développement d’investissements publics destinés à les favoriser. Elle s’est faite au moyen d’investissements privés assez limités, sauf dans le domaine minier, et en utilisant une infrastructure déjà existante qui se trouvait ainsi valorisée.
27La progression des cultures de canne à sucre et de coton dans les oasis de la côte a été rendue possible par une amélioration des cultures, une augmentation de l’usage des engrais, des insecticides ou au prix d’une extension modérée des surfaces irriguées, grâce à de petites irrigations ou à l’installation de pompes sur des puits. Ceci n’exclut pas cependant, à partir de 1960, le gain de nouvelles terres ou l’amélioration d’anciens périmètres, grâce aux travaux de San Lorenzo dans le Piura, de Choclococha pour la vallée d’Ica ou de la pampa de la Joya, dans le département d’Arequipa.
28Entre 1955 et 1962, le réseau routier public ne s’est guère étendu dans la « ceja de montana » et pourtant la production du café a sextuplé à la suite des défrichements suivis de leur plantation à proximité des pistes déjà existantes (Tingo Maria, Péréné, Convencion) ou bien dans des vallées isolées comme celle de Tambopata.
29Les industries nées de la pêche ont largement profité de l’équipement installé : ports, routes, adductions, réseau électrique. Certes, des ports se sont créés de toutes pièces, comme Samanco, et dans une certaine mesure comme Chimbote ; des usines ont réalisé leurs propres adductions d’eau et des forages. Cependant, pour l’essentiel, l’infrastructure primaire préexistait avant le développement de la pêche à l’anchois.
30Il n’en est pas de même pour l’industrie minière. Dans les Andes centrales, les mines et les haciendas, au cours des quarante dernières années, ont créé, à leurs frais, des routes qui sont branchées sur le réseau public et ont utilisé le potentiel hydraulique des rivières dont elles se servent pour produire leur électricité (la Cerro de Pasco par exemple) et dont elles usent en priorité, sinon en exclusivité ; ces embryons de réseaux privés peuvent ou pourraient s’intégrer dans un réseau régional. En revanche, l’ouverture des nouvelles mines, par suite de leur localisation, s’est accompagnée de la mise en place de l’infrastructure à usage spécifique et exclusif, dont on profite pas l’ensemble de la région. Le fer de Marcona, extrait d’un plateau désertique proche de l’océan, a entraîné la création d’une route à grand débit reliant la carrière au port de San Juan, installé pour l’exportation du minerai, mais qui n’a aucun autre usage. La Southern mining Corporation a investi près de 200 millions de dollars pour pouvoir exploiter le cuivre de Toquepala : voie ferrée montant à 3 000 m, usines de concentration de cuivre, centrales électriques, port d’embarquement du métal à Ilo, etc. Mais, comme pour San Juan-Marcona, Ilo-Toquepala constitue une enclave minière, implantée dans le désert du Sud, mais située à l’écart des régions peuplées du Pérou. La société n’emploie que quelques milliers de travailleurs. Le bénéfice de cette exploitation réside, pour le pays, dans les redevances versées par la Compagnie et dans l’apport en dollars lié à la vente du cuivre aux USA.
31Ainsi, on peut dès à présent noter que la croissance économique née de l’augmentation des productions orientées vers l’exporation a, soit contribué à saturer les réseaux existants (transports, énergie, télécommunications), soit entraîné la création de réseaux privés à usage exclusif. En revanche, un programme de développement qui tiendrait à pallier les conséquences des déséquilibres régionaux, nés de la croissance, implique des investissements publics importants dont le rendement économique, à court terme, est moindre que celui des investissements privés, qui s’efforcent d’exploiter au meilleur compte des ressources naturelles. Ainsi, la décennie 1955-1964 s’est caractérisée par un excellent rendement des investissements privés qui ont contribué de façon importante à l’accroissement des exportations, et par là du PNB. Il est certain, par contre, qu’un plan de développement pour la décennie suivante, 1965-74, sera financièrement beaucoup plus coûteux, notamment pour le secteur public, sans que l’on puisse pour autant maintenir le rythme de la croissance globale. Cependant, la croissance globale sert de moteur au développement en assurant la couverture des importations et en donnant confiance aux investisseurs.
Les importations
32La capacité d’importer est, dans une large mesure, fonction des possibilités d’exporter. Entre 1960 et 1965, pendant quatre années le Pérou a connu une balance commerciale excédentaire et durant deux années elle fût déficitaire. En 1964, le solde favorable se montait à 87 millions de soles ; en 1965 le déficit enregistré en fin d’exercice atteint 60 millions de dollars.
33La répartition des importations par rubriques montre, d’après les statistiques douanières, qu’entre 1950 et 1960, le pourcentage des biens de consommation a légèrement décru, passant de 41 % du total (dont 14 % de biens de consommation durables, 27 % de biens de consommation non durables) à 38 % (15 % de biens de consommation durables, 23 % de « non durables »). Le pourcentage de combustibles et de lubrifiants ne cesse de progresser : 2 % en 1950, 5 % en 1960, celui des matières premières également : 16 et 21 %. En revanche, celui des biens d’équipements décroît, ce qui traduit, dans une certaine mesure, les progrès de l’industrie nationale : il passe de 41 % en 1950 à 36 % en 1960, dont 18 % pour les machines et outils, 10 % pour le matériel de transport, 5 % pour le matériel de construction et 3 % pour l’équipement technique et scientifique. Si l’on considère le taux d’accroissement des différents chapitres de produits importés entre 1950 et 1962, on voit que pour un taux annuel global de 7,7 % le taux d’accroissement des biens de consommation progresse de 5,7 %, les biens d’équipement de 7,9 %, les matières premières de 8,8 %, les combustibles de 13,5 %10.
34La Banque Centrale de Réserve a dressé un tableau de la capacité d’importation du Pérou au cours des dernières années (tableau 5 du Plan nacional de desarrollo economico), en tenant compte des exportations, du coût des services de la dette extérieure, des services non financiers (frêt, assurances), etc. En soles constants, la capacité d’importation du Pérou double entre 1950 et 1958. Elle a dû doubler également entre 1959 et 1964. Cette capacité d’importation est liée, avant tout, au progrès des exportations (23 % entre 1963 et 1964).
C. — LES INVESTISSEMENTS
35Il est infiniment plus délicat de déterminer avec précision le montant exact des investissements ainsi que leur ventilation par secteurs que de calculer les progrès du commerce extérieur.
36Les économistes péruviens, signalent que, dans les années 60, le pourcentage des investissements par rapport au produit national brut excède 20 %. Pour l’Institut national de planification il aurait été de 22, 5 en 1962 et de 25 % en 1963. Cette proportion I/PNB apparaît élevée, mais il fait tenir compte de la sous-estimation d’une partie de la production agricole et artisanale. Cependant, au cours des quinze dernières années, le taux d’investissement reste fort, mais il s’agit surtout, du moins entre 1950 et 1963, d’investissements privés. La Banque Nationale de Réserve fournit les indications suivantes : pour un PNB (en soles constants 1960) de 33 milliards en 1950, le total des investissements atteint 7 626 millions (dont 6 808 privés) ; en 1960, pour un PNB de 51 182 millions, les investissements se montent à 10 408 millions dont 9 453 millions pour le secteur privé, sur lesquels plus de 4 200 sont consacrés à l’acquisition de machines et de nouveaux équipements, et près de 4 milliards à des constructions nouvelles11.
37Une partie des investissements, notamment dans le domaine minier, est tenue par les crédits étrangers. Entre 1950 et 1960, on calcule (département du commerce USA) que 78,7 % des investissements bruts étrangers s’orientent vers les secteurs privés (43,4 % dans les mines, 13,9 dans le pétrole, 9,4 % dans l’industrie, 6,6 % dans les services et transports, 2,9 % dans le commerce, 1,4 % dans l’agriculture) ; sur les 21,3 % destinés aux actions publiques on relève que 4,8 % se placent dans l’agriculture (surtout dans les irrigations), 3,8 dans l’industrie (sidérurgie) et 1,8 % pour les routes. De 1950 à 1960, les crédits sont essentiellement accordés par des grands organismes bancaires américains ou internationaux ; 48,6 % par l’Eximbank, et 12,3 % par la Banque mondiale.
38Les éléments favorables aux investissements et notamment aux investissements étrangers, au cours des quinze dernières années, n’ont pas manqué. Dans certains secteurs, le rendement du capital est excellent : dans la pêche d’abord où il peut, certaines années, atteindre jusqu’à 50 %, dans la construction d’immeubles (de 12 à 14 %), dans des mines possédant des gisements importants et faciles d’accès, comme Marcona et Toquepala.
39La liberté des changes, la possibilité de rapatrier sans contrainte les revenus du capital investi, l’absence de troubles sociaux prolongés sont des facteurs favorables. Enfin, depuis 1950, le taux du change du sol par rapport au dollar a été plus stable que celui de la plupart des autres monnaies d’Amérique latine ou même d’Europe. Après la dévaluation de 1949, au cours de laquelle le taux de change passe de 6,50 à 15,53 soles pour un dollar, on assiste à un lent glissement de la monnaie péruvienne jusqu’en 1957 où le change s’établit à 19 ; il passe à 23 en 1958. De 1960 jusqu’au début de 1967, il est stabilisé entre 26,80 et 27 soles pour un dollar. Les conditions favorables de la balance commerciale expliquent en partie cet équilibre qui s’accompagne de la reconstitution des réserves de dollars de la Banque de Réserve qui, au début de 1965, atteignaient 144 millions de dollars, soit environ un trimestre d’importations12 ; cependant, la stabilité du sol par rapport au dollar s’accompagne d’une hausse du coût de la vie. Sur la base d’un indice de 100 (établi pour la moyenne des années 1934-36), on atteint 481 en 1950, 682 en 1955, 1 021 en 1960, 1 453 en janvier 1965, 1568 en octobre 1965. Ainsi, tandis que le taux du change reste stable entre 1960 et 1965, le coût de la vie augmente, d’après les statistiques officielles, de 50 % ce qui entraîne certains déséquilibres intérieurs et favoriser des demandes fortes et régulières d’augmentation de salaires.
40Depuis 1963, l’origine et la nature des investissements se modifient. En 1960, plus de 90 % des investissements se destinaient aux différents secteurs privés ; en 1964, sur un total d’investissements, en soles courants, de près de 18 milliards de soles (17 901 millions), l’investissement privé figure pour 9 876 millions et l’investissement pour les secteurs publics, passant par le canal d’organismes gouvernementaux et des administrations, s’élève à 8 025 millions (tableau 5, p. 13, du premier volume du programme d’investissements préparé en avril 1964 par l’INP). En 1965, il est probable que les investissements « publics » seront supérieurs aux investissements privés. De plus en plus les prêts extérieurs, à la demande du gouvernement péruvien, s’orientent vers la réalisation d’un programme routier, la mise en place d’une infrastructure de télécommunications, des travaux d’irrigation, d’électrification, des constructions d’habitations à bon marché. Bien qu’il soit difficile de déterminer avec précision le rapport entre les prêts accordés et les investissements réalisés effectivement avec ces prêts, on peut estimer qu’en 1964 environ 70 millions de dollars ont été investis par l’étranger au Pérou et que le montant des prêts à long terme accordés la même année dépasse largement la centaine de millions de dollars ; ils ont pratiquement tous été accordés au secteur public : 37 millions de dollars pour la réalisation de la route Tarapoto-Pomacocha (AID et Eximbank), 18 millions de dollars par l’Eximbank pour l’extension de la centrale du Canon del Pato, dans la vallée du Santa, qui fournit l’électricité aux aciéries de Chimbote ; il convient également de mentionner des prêts pour la construction de maisons à bon marché au Callao et dans d’autres villes du Pérou ainsi que pour des travaux d’assainissement urbain.
41Les investissements tendent à s’orienter d’une façon différente à celle des derniers douze ans. Avant 1962, les investissements, surtout privés, s’efforçaient de promouvoir la croissance économique la plus forte et immédiate possible. Ils y sont remarquablement parvenus, mais au prix d’une aggravation des déséquilibres sociaux et régionaux. Les investissements actuels, surtout publics, sont au service d’une politique de développement régional dont on analysera plus loin le coût, les effets, ainsi que les difficultés de la mise en œuvre.
D. — LES MOYENS FINANCIERS DE LA CROISSANCE
42Cette croissance s’est effectué moyennant une augmentation du coût de la vie, qui, pour un pays en voie de développement, n’a pas été exagérée : doublement des prix entre 1950 et 1959 et hausse de 50 % de 1960 à 1964. L’augmentation de la production et des échanges s’est traduite par un accroissement important des moyens de paiement mis à la disposition du pays. Les moyens de paiement (billets, dépôts divers, etc.) passent de 2 206 millions de soles en 1950 à un peu plus de 4 milliards en 1955, à 8 milliards en 1960, à un peu plus de 12 milliards de soles en 1964, à 14 milliards en 1965.
43L’activité des banques commerciales privées progresse très rapidement : le montant des prêts passe de 1 700 soles en 1950 à 4 252 millions en 1955 ; il est de 6 785 millions en 1960 et dépasse les 12 milliards à la fin de 1964. Sur ces 12 milliards, 1 154 millions sont destinés à l’agriculture, 274 millions à l’élevage, 196 millions aux mines, 670 millions à la pêche, 3 milliards aux différentes industries et près de 4,5 milliards au commerce.
44Cependant, des banques spécialisées, semi-publiques, créées par le gouvernement, ont pour tâche d’aider au développement de l’agriculture, de l’industrie, des mines et maintient du logement. Ainsi, les prêts du Banco de Fomento Agropecuario, qui étaient de 118 millions de soles en 1950, passent à 770 millions en 1955, 1 600 millions en 1960 et atteignent 2,5 milliards à la fin de 1964. Mais, jusqu’à présent, ils ont aidé principalement les exploitations sûrement solvables et capables de payer 12 % d’intérêts annuels sur des crédits de traite, mais ils n’ont guère aidé au développement de la petite entreprise agricole. Les activités du Banco industrial sont plus réduits 1,6 milliards de prêts en 1964. Ils contribuent surtout au financement des moyennes entreprises. Les prêts du Banco Minero passent de 200 millions de soles en 1960 à 334 millions en 1964. Les principaux investissements miniers sont au Pérou effectués par des entreprises étrangères et certains groupes miniers, comme le « Consorcio Minero » qui dépend étroitement d’une grande banque commerciale, la banque Wiese.
45Le Banco Hipotecario concentre l’essentiel de ses activités à Lima ; ses prêts à la fin de 1964 étaient de 740 millions de soles contre 500 millions en 1960. Cet organisme prend des hypothèques qui peuvent représenter jusqu’à 45 % du prix des constructions contre les prêts amortissables en vingt ans.
46A la fin de 1964, le montant des prêts des banques spécialisées représentait environ 40 % de celui des banques commerciales privées dont le rôle est déterminant dans la vie économique du pays.
47Le budget compte de plus en plus dans l’économie et les finances du pays. Pendant la décennie 50-59, la niasse budgétaire représente environ le 1/7e du produit national brut. En 1961, elle figure pour 10 milliards de soles, pour un PNB de 54 milliards et en 1964 le budget s’élève à une vingtaine de milliards pour un PNB en soles courants évalué entre 77 et 80 milliards. On assiste donc à un gonflement rapide du budget, qui croît plus vite que le produit national. Le lancement d’une politique de développement s’accompagne de l’augmentation du rôle des finances publiques, d’un poids plus lourd du budget qui, à la fois, couvre certaines dépenses d’équipement, tout en essayant de mieux payer des fonctionnaires plus nombreux. Cette politique s’accompagne d’une accentuation de la pression fiscale, bien que « l’impasse » se soit élargie à 3 milliards de soles en 1964. On peut se demander si l’administration des finances publiques est suffisamment préparée à diriger l’économie et à contrôler le développement, alors qu’elle n’exerçait auparavant que des tâches de gestion.
E. — QUELQUES ASPECTS DE LA RÉPARTITION RÉGIONALE DE LA CROISSANCE
48Au cours des différents chapitres, on a pu constater que la croissance s’est effectuée, au cours des dernières décennies, au profit presque exclusif de la côte. C’est vers la côte que se sont surtout dirigés les émigrants des Andes ; c’est dans les villes des oasis et en particulier à Lima que l’on enregistre le gonflement le plus important de la population urbaine. Les villes s’étendent en surface, auréolées de leurs barriadas et de nouveaux quartiers résidentiels, le centre des agglomérations se transforme avec la construction d’immeubles où s’installent les maisons de commerce et les services administratifs. Le Pérou côtier vit de plus en plus en laison avec l’extérieur. Cependant, les liens avec la sierra se maintiennent : mouvements de population, avec un solde négatif pour les Andes, drainage d’une partie des revenus des montagnes sous forme de rente foncière, de revenus miniers et de bénéfices bancaires et commerciaux. Mais maintenant c’est à partir de la côte que s’irradie le développement et que se mettent en place les réseaux d’infrastructure.
49Les économistes de la Banque centrale de Réserve, comme ceux de l’Institut national de planification, ont essayé de chiffrer l’écart des revenus et des niveaux de vie entre les habitants de la sierra et ceux de la côte. Ils sont parvenus à des données très différentes.
50La Banque Centrale de Réserve (Actividades productivas del Peru 1961) a tenté de construire un tableau carré permettant de calculer la valeur de la production brute de la sierra et de la costa en 1959 et d’analyser les échanges entre ces deux ensembles géographiques. Elle indique que la valeur de la production brute était cette année de 59 460 millions de soles sur la côte, de 13 887 millions de soles dans les Andes. Ce tableau est à bien des égards discutables : ainsi par exemple la valeur globale des importations péruviennes est inscrite dans la colonne « services » au bénéfice de la côte, ce qui consiste à admettre que les importations ne servent exclusivement qu’à la côte. D’autre part, en se basant sur des estimation faites à l’époque, la population de l’ensemble du pays était surestimée (la Banque indique 10 millions d’habitants en 1957 et 11 millions en 1960) ; le nombre d’habitants de la côte était sous-estimé, celui de la sierra, surévalué. C’est ainsi que dans les « Actividades productivas » on indique que la valeur brute de la production, par habitant, se montait à 16 160 soles pour celui de la côte et à 2 370 seulement pour celui de la sierra. Cependant, dans un autre ouvrage, publié par la même institution, mais recherchant le produit net par personne active, on aboutit à des données notablement différentes. Dans le « Plan nacional de desarrollo », le produit net, en sol constant 1960, était, sur la côte et par personne active, de 12 231 soles en 1950 et de 13 570 soles en 1960 ; en revanche, dans la sierra, la moyenne par personne active s’abaisse de 7 762 soles en 1950 à 7 154 soles en 1960. Il y aurait donc un appauvrissement absolu de la sierra, particulièrement net dans le domaine agricole, où le produit par travailleur se serait effondré de 5 878 soles à 3 833 soles en 1960. Mais l’on connaît l’incertitude des statistiques agricoles dans la sierra qui servent de bases à ces calculs. La situation serait encore plus dramatique dans la selva, d’après les mêmes économistes : le produit par personne active y passe, de 1950 à 1960, de 11 863 soles à 7 000 soles et, pour l’agriculteur, il descend de 8,615 à 5 624 soles, ce qui paraît curieux quand on connaît l’essor pris par la culture du café au cours de cette décennie.
51Cependant, quelles que soient les erreurs entachant ces calculs, ce que l’observation des paysages humains du Pérou montre au premier abord, c’est la concentration de la population et d’une certaine forme de richesse dans certains secteurs privilégiés de la côte.
52Si la croissance économique a été aussi forte entre 1955 et 1964, c’est grâce à l’exploitation de nouvelles ressources naturelles (poissons, minerais de cuivre et de fer), et au développement d’activités agricoles comme le coton, la canne à sucre et le café ; c’est grâce aussi au gonflement des activités urbaines, commerce, service et industries. Cette croissance économique est corrélative de l’accélération du processus d’urbanisation du Pérou. Mais, de même que l’essor économique des secteurs côtiers a pu s’effectuer en utilisant l’infrastructure existante, de même l’urbanisation s’est faite au moindre coût avec l’entassement d’une grande partie des nouveaux habitants des villes dans les « barriadas », forme d’adaptation urbaine de la pauvreté en face de l’absence d’urbanisme officiel, du moins jusqu’en 1962. La mobilité de la main-d’œuvre, sa facilité d’adaptation à des milieux écologiquement très différents, ont été également des facteurs favorables à une croissance économique obtenue au moindre coût pour les pouvoirs publics.
53Les structures qui encadrent la société péruvienne se sont révélées flexibles aux changements, elles ont fait preuve d’une grande souplesse sans être modifiées pour autant. Cependant la croissance comme tout mouvement dynamique entraîne des tensions, crée des oppositions. Opposition entre une sierra qui se sent délaissée et de plus en plus marginale et une côte qui pèse sur le pays par le poids de ses villes qui le commandent, de ses activités qui s’intègrent dans une économie commerciale qui est plus internationale que nationale ; tensions entre ceux qui profitent de la croissance, c’est-à-dire, naturellement l’oligarchie qui possède les moyens de production et qui tient le crédit, mais également les « cadres » du pays, les salariés dont l’emploi est garanti, en face desquels la situation des « laissés pour compte » de la croissance apparaît d’autant plus misérable : paysans des Andes à l’étroit sur leurs terroirs, prolétariat urbain ou rural qui ne travaille qu’épisodiquement et pour de courtes durées tout en étant coupé de ses assises traditionnelles et en subissant durement les exigences d’une économie monétaire que menace l’inflation.
54Par les tensions qu’elle provoque, la croissance, à partir d’un certain stade, appelle le développement, c’est-à-dire le lancement d’une série d’actions visant à rétablir un nouvel équilibre. Développer le Pérou, c’est essayer de faire participer l’ensemble de la population à la vie du pays, c’est rompre l’isolement, non pas seulement géographique mais aussi social ; c’est mieux assurer la formation et l’essor des différentes régions dont l’armature est constituée par des réseaux animés par les villes. Mais développer le Pérou ce n’est pas rechercher une impossible parité régionale ; c’est sur le plan de l’aménagement du territoire, choisir les axes et les centres susceptibles de provoquer la formation de richesses au moindre coût, sans aggraver à l’extrême les tensions, ni multiplier les « abandonnés de la croissance ».
Notes de bas de page
1 Le produit national brut (PNB) se calcule en additionnant la valeur de la production agricole, de la production industrielle et des services (au sens large). Son utilisation finale se répartit entre la consommation des ménages, la consommation du gouvernement, les investissements bruts, publics et privés, et les exportations. Il faut en soustraire les importations et le résultat net des paiements extérieurs. L’institut national de planification mentionne dans ses publications le produit brut interne (PBI) dans lequel on ne fait pas intervenir le résultat net de » paiements extérieurs, qui, pour le Pérou fut, dans son sensemble, négatif entre 1950 et 1963. Le PBI est alors supérieur au PBN.
2 Les indications concernant la croissance économique péruvienne et son taux annuel se trouvent dans :
— « Plan nacional de desarollo economico y social del Peru, 1962-1971 », t. I, Banco central de Reserva, Lima, 1962.
— « Analisis de la realidad socio-economica del Peru », vol. I, Instituto nacional de planification (Lima, juillet 1963, document de travail).
— « Programa de inversiones publicas 64-65 », avril 1964 (document de travail) et dans la deuxième version de ce programme publiée en juin 1964 par l’Instituto nacional de planification.
— « La economia nacional crecio a ritmo no igualado en America latina », conférence de Jorge Grieve, reproduite dans « Doce aportes a la tarea de desarollo en El Peru », Lima, octobre 1963.
Ces essais de détermination du taux de croissance du Produit National brut et de sa ventilation par secteurs d’activités sont intéressants. Cependant, il faut tenir compte des déficiences de l’appareil statistique péruvien au cours de ces dernières années. On en a déjà vu des exemples en ce qui concerne la production agricole de la sierra. Mais, tout en reconnaissant les marges d’erreurs statistiques qui, dans certains cas, peuvent être considérables, il n’est pas moins utile d’essayer de procéder à des estimations. C’est ce qu’ont fait les économistes péruviens dans des travaux dont on présente ici un résumé qui doit permettre d’éclairer la connaissance du Pérou actuel.
3 En 1965 le PNB aurait dépassé la centaine de milliard de soles ou son équivalent de 3 700 000 000 de dollars. Le quotient individuel pour une population de plus de 11 millions serait alors supérieur à 300 dollars. Mais cette conversion en dollars exprime médiocrement la réalité des choses pour les Péruviens : depuis 1950 le taux du change est pratiquement stable ; en revanche l’indice officiel du coût de la vie marque une progression de 50 % entre 1960 et 1965.
4 D’après une étude publiée par la Banque centrale de Réserve en août 1966, la part de l’agriculture dans le revenu national serait passée entre 1950 et 1963 de 35 % à 20 %, celle de l’industrie se serait élevée de 15 à 17 %, du commerce de 11 % à 16 %, du gouvernement de 7 à 10 %.
5 Il n’entre pas dans le propos de cette étude de discuter la valeur et le bien-fondé des calculs statistiques. Une analyse méthodologique rigoureuse serait indispensable et le plus souvent ses résultats seraient décevants en raison de la faiblesse des statistiques péruviennes dans un passé récent.
Il est à peu près certain qu’en 1965 le produit de l’agriculture et notamment du secteur orienté vers l’exportation a décliné par suite de la baisse des ventes de sucre (moins de 40 % sur l’année précédente) et du coton (moins de 12 %). Aussi, compte tenu de l’augmentation des ventes de farine de poisson (+ 30 %), du cuivre (+ 15 %), du développement de l’industrie et de l’équipement, de la progression des services, la part de l’agriculture a représenté moins du 1/4 et peut-être moins du 1/5e du PNB en 1965.
6 Dans les « Cuentas nacionales del Peru 1950-1965 publiés en août 1966 par la Banque centrale de Réserve, on lit que le taux de croissance annuel du PNB au cours de la période considérée a été de 5,7 %. En sol déflaté au taux de 1963 le PNB, par tête, serait passé de 4.828 soles en 1950 à 7.532 en 1965.
7 En 1965 la tendance se renverse et le déficit de la balance commerciale atteint 60 millions de dollars. Les exportations ne progressent que faiblement, malgré la poursuite de vente de farine de poisson (augmentation de 30 % par rapport à l’année précédente) mais qui est compensée par la baisse des cours du coton, et de la canne à sucre. En revanche les importations dépassent 740 millions de dollars, conséquence de l’effort d’équipement entrepris mais aussi d’une plus forte demande de produits alimentaires. Mais la balance des paiements reste favorable, malgré le fret, les assurances et le service financier de la dette (environ 156 millions de dollars). Les avances obtenues par la Caisse des Dépôts auprès des banques américaines, les investissements en capitaux et les prêts effectués par l’étanger expliquent l’aspect légèrement positif de la balance des paiements pour 1965. Mais cette situation fait dépendre plus étroirement que jamais le Pérou de ses bailleurs de fonds.
8 En 1966, exportations : 764 millions de dollars ; importations : 817 millions. Les prêts et avances obtenus à l’étranger compensent encore le déficit de la balance commerciale et le coût des services extérieurs.
9 En 1965, sur un montant total d’exportations de 667,3 millions de dollars, le coton entre pour 87,5, le sucre pour 37,5, le café pour 29, la laine pour 9, les produits dérivés du poisson pour 186,7, c’est-à-dire notablement plus que l’ensemble des produits agricoles ; le cuivre pour 121,2, le plomb, zinc et argent pour 112 et le fer pour 47.
10 En 1965 le montant total des importations atteint 733 millions de dollars. Les biens de consommations non durables passent à 85 millions (dont 55 pour les produits alimentaires, les biens de consommation durables figurent pour 63 millions, 31 pour les voitures particulières), les combustibles pour 16 millions, l’importation de matière pour les industries : 264 millions dont 60 au titre des industries alimentaires, 169 millions de biens en capital pour l’équipement et et les industries.
11 En 1965 les investissements auraient atteint près de 24 milliards de soles courants pour un PNB de 115 milliards de soles. Sur ces 24 milliards, un peu moins de 11 ont été consacrés aux constructions.
12 En janvier 1967 elles étaient du même montant (145 millions de dollars).
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