Chapitre VIII. Les oasis du sud
p. 165-169
Texte intégral
1Au milieu des vastes déserts qui s’étendent du Sud de Nazca à la frontière chilienne, les surfaces irriguées n’occupent que peu de place : de 60 à 70 000 ha. Ce sont de minces bandes vertes qui sinuent au fond de vallées profondes comme celles du Majes et du Sihuas, des carrés verdoyants d’irrigations récentes comme à la Joya qui tranchent sur les tons fauves et rouges des glacis désertiques, flanqués à l’Est de moutonnements granitiques et dominés par d’immenses volcans. Ces oasis du Sud n’ont qu’une population limitée : de 350 à 400 000 habitants, dont plus de la moitié résident dans des villes. Arequipa, qui est la seconde agglomération du pays, comptait, en 1961, 130 000 habitants, faubourgs compris.
A. — AREQUIPA
2Arequipa, construite à 2 400 m, sur les épanchements volcaniques au pied du Chachani et du Misti, dont l’un dépasse 6 000 m et l’autre s’en approche, est une étape entre l’océan et l’altiplano. C’est une ville coloniale qui conserve de nombreux vestiges de son passé : églises, couvents, vieilles demeures édifiées en tufs blancs, mais que des tremblements de terre successifs, dont les derniers remontent à janvier 1958 et à janvier 1960, ont détérioré. Dès 1876 la ville était atteinte par la voie ferrée venant de Moliendo. Elle comptait alors plus de 30 000 habitants et possédait une bourgeoisie où les familles d’origine espagnole se mêlèrent avec celles d’origine anglaise, venues pour construire le chemin de fer ou pour se livrer au commerce des laines. L’augmentation de sa population, au cours des vingt cinq dernières années, qui se marque par le doublement du nombre d’habitants, ne traduit pas un dynamisme urbain et régional ; elle reflète une immigration de misère ; des habitants de l’altiplano descendent à Arequipa dans l’espoir d’y trouver de meilleures conditions d’existence, ils s’entassent dans les « barriadas » de Miradores qui s’étalent sur les premières pentes du Misti, mais ils sont le plus souvent sans travail. La « campina » d’Arequipa, oasis d’une douzaine de milliers d’hectares qui ceinture la ville, a déjà son plein de main-d’œuvre ; l’industrie n’est guère développée à part quelques ateliers artisanaux où se fabriquent des tapis, et de petites usines textiles.
3Les fonctions d’Arequipa étaient essentiellement tertiaires : administratives (c’est le siège d’une préfecture), militaires, religieuses, universitaires (l’université d’Arequipa est l’une des plus anciennes du pays). Le commerce avec l’altiplano a assuré longtemps la prospérité de la ville et l’on y trouve encore des dynasties de négociants en laine1. Malgré la relative stagnation des affaires, liées à l’absence d’une région importante autour de l’agglomération et la mélancolie qui s’est abattue sur la ville à la suite des deux tremblements de terre successifs. Arequipa reste encore le deuxième foyer de transactions commerciales et financières du Pérou et de nombreuses haciendas de l’altiplano y ont leur compte en banque. Ceci explique qu’en 1961 le montant des dépôts bancaires atteignait 400 millions de soles, tandis que celui des prêts accordés par les mêmes établissements n’était que de 238 millions, ce qui traduit l’absence de dynamisme économique de la ville.
4En dehors d’Arequipa, les oasis du Sud ne possèdent que de petites villes ou des bourgades. Tacna avait, en 1961, 26 000 habitants (11 000 en 1940) et Moquegua 7 700 (3 700 en 1940).
5Si l’on fait exception des récentes activités liées à la pêche, à Ilo notamment, et des importantes mines de cuivre de Toquepala, qui sont, en quelque sorte, étrangères à la vie du pays, ou de celles de fer d’Acari et de Marcona, l’activité régionale est surtout agricole.
B. — LA MISE EN VALEUR AGRICOLE
6Le faible développement actuel des surfaces irriguées est dû à des raisons physiques. Dans le Sud, par suite de l’importance de la surrection quaternaire affectant aussi bien le bourrelet côtier que les glacis désertiques, les vallées sont encaissées, leur fond est étroit et, sauf pour une ou deux d’entre elles à proximité de Tacna, elles ne s’élargissent pas en arrivant vers la mer. D’autre part, leurs bassins versants, même lorsqu’ils sont étendus, sont situés dans les Andes sèches ; seules les grandes rivières, naissant sur les plateaux de la puna, en arrière des volcans, ont des débits acceptables. C’est le cas pour le Majes (débit annuel 2 913 hm3), pour le Tambo (1 113 (1 114 hm3) tandis que le Caplina et le Sama, près de Tacna, n’atteignent qu’une cinquantaine d’hm3. Cependant, l’existence de vastes pampas désertiques, doucement inclinées vers l’ouest et dont certaines ne sont que faiblement disséquées, permet d’envisager l’extension de nouveaux périmètres d’irrigation en utilisant l’eau des rivières principales ou des nappes souterraines. Aussi, plusieurs projets visent à mieux utiliser une partie du capital hydraulique ; ces réalisations, se heurtent à des difficultés techniques : longueur des canaux d’amenée, présence de barkhanes poussées par le vent et difficiles à stabiliser, salinité des sols des pampas arides.
7Actuellement, 13 000 exploitations se partagent les 70 000 ha irrigués, mais 75 % d’entre elles ont moins de 3 ha, 23 % de 3 à 30 ha, 1 % de 30 à 100 ha, et 1 % sont supérieures à 100 ha. Les conditions agricoles, les systèmes de culture, varient assez largement selon les vallées, selon aussi leur étagement en altitude : le coton et le riz n’occupent que les parties basses, chaudes, tandis que la luzerne, pour l’élevage des vaches laitières, et les cultures vivrières, couvrent la majeure partie des terres dans les secteurs moyens des vallées.
8Ainsi, dans la « campina » d’Arequipa qui se trouve à plus de 2 000 m, les terrasses de cultures, très vertes, limitées par des murettes de pierre et par quelques saules, tranchent sur les tons fauves du désert. La luzerne occupe 35 % des terres, le blé 21 %, le maïs 10 % et le reste est consacré aux fruits et aux légumes. La luzerne nourrit des bovins ; les animaux sont achetés dans la sierra et mis à l’embouche sur les luzernières, avant d’être abattus. Leur poids peut être le double de ceux des animaux de la sierra. D’autres vaches fournissent du lait qui est partiellement traité dans une usine construite par Gloria. Cependant, le ramassage du lait chez quelque 3 000 petits producteurs qui ne fournissent que de 5 à 25 1 chacun pose de délicats et coûteux problèmes.
9La campina d’Arequipa, irriguée grâce aux eaux du rio Chili, subit fortement l’influence de la ville. Les exploitations sont de petites dimensions et sont morcelées en une multitude de parcelles : 4 000 se partagent la douzaine de milliers d’hectares. On peut noter l’importance du fermage : 42 % des terres sont louées à des propriétaires qui sont pour la plupart des citadins. La pression sur la terre est très forte et contribue à la fois à renchérir le prix de la terre et son loyer. Ainsi le loyer peut atteindre jusqu’à 5 000 soles par an et par hectare, alors qu’il n’est que de 1 200 soles sur la pampa de la Joya, et de 1 000 soles dans la moyenne vallée du Majes. Aussi l’obligation pour les agriculteurs de rechercher les plus hauts rendements financiers à l’hectare les conduit-elle à une agriculture qui s’apparente par bien des aspects à un jardinage intensif.
10Dans la vallée du Majes on note la juxtaposition de quelques grandes haciendas, localisées surtout dans la partie basse de la vallée, de quelques moyennes exploitations et d’une poussière de « minifundias » ; ainsi 4 000 ha sont partagés entre deux haciendas, l’une couvrant 1 000 ha, l’autre 700 et le reste se divise entre une dizaine d’exploitations comprises entre 30 et 100 ha et plusieurs centaines de petits fundos. Les deux haciendas sont possédées par de grandes familles d’Arequipa ; on y cultive du coton, de la canne à sucre, un peu de riz et des arbres fruitiers. L’élevage y est très limité, à la différence des petits « fundos ». Dans ces derniers on retrouve également des champs de coton dont les récoltes sont achetées par les haciendas qui possèdent des égraineuses, mais aussi de la vigne, un carré de luzerne pour les vaches. A l’époque coloniale, la vallée était une grande région viticole, la plus importante du Pérou. A la fin du xixe siècle, le phylloxéra ravage les vignes qui cèdent la place au coton. Cependant, pour laver les sols des remontées salines, liées à des irrigations trop abondantes effectuées en amont, on aménage des rizières et, quand cela est possible, on plante de la luzerne. Par suite de la salinité des terres, d’un moindre emploi d’engrais aussi, le rendement des cultures industrielles (coton, canne à sucre et riz) est d’environ la moitié de celui des cultures analogues dans les oasis du centre et du Nord du Pérou. En revanche, les conditions sont favorables pour les arbres fruitiers : pommes, poires et pêches. D’autres ressources sont tirées de la pêche aux écrevisses (camarones). Du 15 juin au 15 septembre, on sort du Majes de 2 à 5 t de « camarones » par jour qui se vendent à Arequipa et à Lima.
11Au paysage encaissé du fond de la vallée du Majes, où la dimension des petites parcelles des « minifundia » établit un contraste avec le quadrillage plus ample des champs appartenant aux haciendas, s’oppose le paysage plus ouvert de la Joya, où une irrigation récente couvre une pampa autrefois désertique. Les champs sont réguliers et s’appuient sur un réseau de canaux et de chemins ; les bâtiments des exploitations se répartissent au milieu des terres qui sont en majorité occupées par de la luzerne. Cette dernière contribue à l’enrichissement en azote des terres neuves et sert d’aliment aux vaches. Il ne s’agit là que d’une première étape dans l’irrigation des pampas. Au cours de la prochaine décennie, les surfaces cultivables doivent augmenter dans de fortes proportions, aussi bien autour des vallées du Majes et dans celles situées plus au sud, dans les départements de Tacna et Moquegua, où une dizaine de milliers d’hectares sont actuellement cultivés.
Notes de bas de page
1 Le rôle du négoce de la laine ne cesse de décliner. En revanche l’implantation d’un « parc industriel » aux portes de la ville s’est accompagnée, depuis 1966, de l’installation de plusieurs industries légères de transformation.
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