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Le Pérou : introduction géographique à l’étude du développement

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Olivier Dollfus

Présentation

Texte intégral

1Le Pérou se classe par sa surface et son chiffre de population dans la famille des « moyennes républiques » des Amériques latines. Il couvre 1 285 215 km2 et sa population, en 1967, doit dépasser douze millions d’habitants. Ainsi ses problèmes d’aménagement du territoire sont, par leurs dimensions, d’un ordre de grandeur analogue à ceux qui se posent au Vénézuela ou en Colombie, abstraction faite des différences de milieu géographique. Mais ils ne sont pas de même nature que ceux qu’affrontent à l’échelle nationale le Brésil ou même le Mexique, ni du même ordre que ceux du Honduras ou du Nicaragua.

2Pays tropical, le Pérou s’étale sur 2 000 km du nord au sud ; de la ligne de l’équateur à la frontière de la Colombie et de l’Ecuador, jusqu’au sud du 18° de latitude, à la frontière chilienne près de Tacna. Sa plus grande largeur d’ouest en est, est de 1 250 km.

3Bien que les Andes ne couvrent qu’un peu plus du quart du territoire, la grande dorsale montagneuse qui traverse le Pérou, de la Bolivie à l’Ecuador, joue un rôle essentiel dans le pays dont elle est le château d’eau. L’existence de ce grand volume montagneux contribue à multiplier les milieux géographiques en fonction de l’étagement et de l’exposition.

4Les hauts plateaux, troués de bassins et dominés par de grandes montagnes ont plus de 350 km de large dans le Sud du pays. A la latitude de Lima, sous le 12°, les Andes ont un peu moins de 200 km de large mais aucun des cols ne s’abaisse à moins de 4 500 m. Dans le Nord, la barrière est plus basse et plus étroite et le col de Porcullo à 2 400 m constitue le point de franchissement le plus bas des Andes péruviennes. Le climat permet d’opposer radicalement les deux piémonts : à l’Est, les collines boisées, baignant dans un climat tropical humide annoncent la grande plaine amazonienne revêtue d’une forêt dense qui s’étale sur 60 % de la surface du pays. A l’Ouest, un long désert s’étire du Chili jusqu’au 4° de latitude sud entre la retombée des Andes et un rivage pacifique rafraîchi par la remontée de masses d’eaux froides, à proximité de la côte. Le désert est traversé par des oasis qui bordent les rivières alimentées par les pluies tombées dans la Sierra et parfois par la fonte des glaciers dans la haute montagne. Mais ce désert littoral, malgré une relative homogénéité thermique n’offre pas les mêmes paysages du nord au sud ; du « bassin » de Sechura où les sables, mobiles près de l’océan, sont couverts, au pied des Andes, par une steppe arborée jusqu’aux glacis rougeâtres du Sud d’où l’on peut apercevoir de grands volcans dépourvus de neige à 6 000 m par suite de l’extrême sécheresse de l’air.

5Ainsi, le Pérou, au relief vigoureusement contrasté, présente une infinie variété de « milieux naturels », de la forêt toujours verte au domaine périglaciaire et glaciaire et aux différents types de déserts littoraux et d’altitude. La variété des conditions écologiques et l’existence de grandes étendues inhospitalières à l’homme, expliquent la répartition de la population en archipels habités, plus ou moins circonscrits et plus ou moins densément occupés. Cette disposition, qui, en elle-même n’a rien d’original, est accentuée au Pérou par la géographie.

6Dans les régions côtières, le canal d’irrigation établit la limite entre le désert et les terroirs irrigués qui ont partout des densités agricoles supérieures à 200 habitants au km2. Les vallées fertiles, où le vert prend des tonalités distinctes en fonction des cultures, sont séparées les unes des autres par des dizaines de kilomètres d’étendues sablonneuses, de collines rocheuses ou de vastes remblaiements détritiques, nus, mis en place pendant les périodes plus arrosées du Quaternaire. Mais, si environ 40 % de la population habite dans ces oasis qui constituent les secteurs les plus riches du pays, près de la moitié des Péruviens vit encore à plus de 2 000 m.

7Les zones de peuplement de la « sierra » sont très différentes les unes des autres, des secteurs densément occupés autour du lac Titicaca à plus de 3 800 m, aux bassins des Andes du Cuzco et aux versants verdoyants des Andes du Nord. Cependant, dans la montagne, les limites des noyaux de peuplement sont moins nettes que sur la côte : entre les terroirs où 100 habitants et plus se pressent sur chaque kilomètre carré et les grands espaces désolés des plateaux où la densité « tombe » parfois à moins de 1 habitant au km2, on note souvent des franges de densité décroissante.

CARTE 1 : Carte des départements. Les préfectures sont indiquées. Quand le nom du département est le même que celui de la préfecture, cette dernière est mentionnée par son initiale.

CARTE 2 : Localisation des « îles et archipels » humains. Les taches noires correspondent généralement sur la côte à des densités supérieures à 200 habitants au kilomètre carré, tandis que dans la sierra elles figurent les densités supérieures à 50 habitants au kilomètre carré. Chaque point correspond à environ 2.000 habitants.

8Un survol des collines boisées et des plaines de l’Amazone ou du Madre de Dios fait apparaître l’extrême faiblesse de l’occupation humaine, disposée en petits « confettis » trouant la forêt, généralement alignés le long des rivières. Moins de 10 % de la population du Pérou se répartit sur 60 % de la surface du pays.

9L’étagement en altitude, mais aux latitudes intertropicales, permet à presque toutes les cultures des domaines tempérés et tropicaux de pousser au Pérou ; on retrouve cette donnée dans la plupart des républiques andines et au Mexique. Mais la terre labourée chaque année ne représente qu’une très faible partie de la surface totale du pays : 2 %, ou plus probablement 3 %.

10Le maïs est récolté dans plus de la moitié des exploitations agricoles ; on trouve ses champs jusqu’à 3 500 m. La pomme de terre pousse encore à 4 000 m sur de petits lopins où la steppe herbeuse de la « puna » est retournée à l’araire ou à la bêche. Des bovins paissent l’herbe rare des hauts plateaux à 4 500 m, mais on rencontre des « Charolais » mâtinés de zébus dans les clairières ouvertes dans la forêt et des vaches laitières sont nourries en étable aux environs de Lima. Des troupeaux de moutons, de lamas et d’alpacas vont chercher leur pâture à proximité des éboulis cryonivaux actuels ou de langues de glace moribonde. Le coton et la canne à sucre constituent la base de la prospérité agricole de la côte, tandis que le café et, dans une moindre mesure, le cacao et le thé, sont jusqu’à présent les principales ressources des terres défrichées du piémont forestier.

11La même variété se note dans les ressources minières. Si le Pérou n’est pas l’Eldorado que recherchaient les Conquistadores, et si l’or du Pérou a plus de valeur archéologique que de signification économique, les gisements d’argent, de zinc et de plomb qui accompagnent les stocks intrusifs tertiaires des Andes centrales sont exploités depuis fort longtemps. Les Espagnols ont su extraire le mercure des mines de Huancavelica ; dès la fin du XIXe siècle, le bassin sédimentaire du Nord-Ouest est foré de puits d’où jaillit le pétrole ; au milieu du XXe siècle, les grandes compagnies recherchent le pétrole dans les structures sédimentaires de l’Amazonie. Le minerai de fer est extrait des séries primaires à Marcona et Acari, tandis que comme au Chili, des gisements de cuivre, à basse teneur, sont exploités en minières à Toquepala, dans d’immenses amphithéâtres creusés au flanc de la montagne. La localisation des mines explique la création de petits noyaux habités, situés dans des milieux inhospitaliers : désert, montagnes désolées à plus de 4 500 m, ou forêt dense. Cependant, bien que l’exploitation minière appartienne à l’histoire du Pérou et que la production des mines ait représenté, au cours de la décennie 1950-1959, 50 % des exportations du pays et y figure encore pour 40 %, les archipels nés des mines n’hébergent qu’une fraction infime de la population péruvienne : moins de 2 %.

***

12Ces archipels, agricoles et miniers, qui se localisent dans des régions très différentes, sont séparés les uns des autres par des obstacles naturels difficiles à franchir, d’où le coût des baisons entre ces « îles » habitées. Les obstacles sont formés :

  • par le désert littoral,
  • par le relief et les grandes altitudes des Andes où les plateaux qui s’étagent de 3 500 à 4 500 m sont surmontés de cordillères neigeuses ou de volcans culminant à 6 000 m, et tranchés de vallées profondes comme celle du Marañon,
  • par la forêt revêtant des pentes fortes dans la « ceja de montaña » (sourcil de la montagne),
  • par les vastes étendues boisées et souvent marécageuses des plaines de l’Amazonie ou du Madre de Dios.

13Cependant, ces obstacles, plus ou moins difficiles à vaincre selon les techniques du moment, n’ont jamais constitué des barrières absolues. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire et la préhistoire, on note des contacts, des échanges de produits, des migrations de population entre les oasis de la côte, les vallées andines et les colbnes forestières. Les « nappes de peuplement » des périodes précéramiques ont couvert à plusieurs reprises les sites de la côte, privilégiés soit par la richesse biologique des bords de mer, soit par la présence de « lomas », oasis nées des brumes. Dans les tombes précolombiennes de la côte on trouve des graines de la forêt. La fragmentation des domaines écologiques n’a pas empêché la formation de grands empires : empire Chimu sur la côte nord, qui utilisait un réseau d’irrigation bien agencé ; empire Inca, centré au Cuzco, mais qui en un peu plus d’un siècle s’étend sur la montagne et ses piémonts, du Chili à la Colombie, grâce à une solide organisation administrative, à l’usage d’une langue unique, le quetchua, et à des voies dallées parcourues par des coureurs à pied. Les Andes n’ont pas arrêté la chevauchée de la troupe de Pizarre, débarquant à Tumbes et s’emparant de la capitale de l’Empire après avoir décapité l’Inca Atahualpa à Cajamarca.

14Une des constantes de l’histoire péruvienne, au moins jusqu’à présent, a été l’existence d’une organisation politique centralisée, régentant les « archipels » de la côte, des Andes et de la forêt. Les Vice-Rois ont remplacé les Incas ; au centralisme des princes du Cuzco, s’est ajoutée la tradition monarchique espagnole. La tête du Pérou s’est alors déplacée des Andes vers la côte. Le centralisme politique, s’il a empêché le développement de mouvements autonomes vigoureux, ne s’est pas accompagné d’une organisation administrative directe et efficace. A un mois de cheval de Lima, les autorités locales, nommées par le pouvoir central, jouissaient d’un grand pouvoir de décision, influencé davantage par les notables locaux, les « caciques », que par les fonctionnaires ou le gouvernement de Lima. Cependant l’espace géographique, pour l’homme circulant à pied ou à cheval, est singulièrement plus homogène que pour celui voyageant en train ou en automobile. La distance vraie compte plus que les aspérités du relief. Les Andes sont devenues une barrière coûteuse à franchir à l’époque du train et de la voiture ; elles l’étaient beaucoup moins pour la caravane de mules. La route et le rail, en créant des axes privilégiés mais plus espacés et en permettant des liaisons plus rapides entre des secteurs bien déterminés, accentuent par contraste l’isolement des régions qu’ils ne desservent pas.

15Ces échanges, les brassages des hommes et des idées ont fait et font du Pérou un pays métis. Les « mitimaes », déplacements organisés de population à l’époque incaïque, contribuèrent à mêler les différents groupes indiens entre eux, les « colonisateurs » espagnols s’unirent aux populations locales tandis que sur la côte, noirs venus d’Afrique et des Antilles, jaunes importés d’Asie dans la seconde moitié du XIXe siècle ajoutèrent des gènes nouveaux. Cependant, le stock de sang indien est, de beaucoup, le plus important, mais des études sont encore à faire pour déterminer les caractéristiques de la métisation biologique. Mais le métissage est autant, sinon davantage, culturel. La marque de l’Espagne reste vigoureuse chez les habitants et imprègne les paysages humains. Le folklore et les vêtements indiens présentent la juxtaposition du fond indien et de l’apport castillan ; il suffit de penser à la composition des orchestres de la sierra où violons et harpe ne sont pas autochtones ; les chapeaux plats des femmes du Cuzco, sont venus directement d’Espagne. La Castille se retrouve dans les agglomérations de la côte et des Andes, où se répète le plan en damier s’ordonnant autour de la « Plaza de Armas », bordée par l’Église et les bâtiments municipaux. Les règles juridiques romaines de la propriété du sol viennent interférer avec les anciens droits collectifs ou communaux préhispaniques, ce qui n’est pas sans entraîner des conflits. Autour des maisons des Andes, le long des chemins, des buissons de genêts, venus d’Espagne, fleurissent presque toute l’année tandis que, jusqu’à près de 4 000 m, les eucalyptus, importés d’Australie dans la seconde moitié du XIXe siècle, font maintenant partie des paysages andins. Enfin et surtout, si dans les Andes et dans le piémont amazonien, le bilinguisme espagnol et quetchua s’est étendu au détriment des anciennes langues aborigènes au début de l’époque coloniale, la route, l’école et la radio font maintenant progresser le « castillan » et se résorber les aires des parlers indiens.

***

16Pour l’observateur des années 60, le Pérou apparaît comme un exemple particulièrement intéressant de pays sous-développé. Quelques données globales, incertaines par suite de l’imprécision des statistiques, présentent des valeurs indicatives.

17La population s’accroît à un rythme rapide qui n’a pas cessé d’augmenter au cours des dernières décennies. Le taux de croissance naturelle est probablement supérieur à 2,5 % ; il serait en 1965 de 3 % ; or il était compris entre 1 et 1,5 % dans les années précédant la Deuxième Guerre mondiale. Il dépasse 3,5 % dans de nombreuses régions du pays : dans les oasis de la côte nord et à Lima notamment. 52 % de la population a moins de 20 ans.

18L’agriculture occupe encore la moitié de la population active (même si les statistiques de l’emploi sous-estiment le pourcentage de travailleurs agricoles), mais elle présente deux secteurs différents. A un secteur dynamique, localisé sur la côte, où toute la production est commercialisée et orientée en majeure partie vers l’exportation (coton et canne à sucre) s’oppose un secteur dont les productions, surtout vivrières, sont destinées à la consommation locale. Les cultures à faibles rendements sont pratiquées dans des exploitations familiales exiguës où le travail des champs n’occupe les paysans que pendant quelques mois de l’année, malgré la très basse productivité du travail humain. 880 000 exploitations agricoles et pastorales occupent une superficie d’une vingtaine de millions d’hectares, dont 3,2 millions sont labourés ; mais 1 100 grandes propriétés, de plus de 2 500 ha, possèdent les deux tiers des terres « privées », et le tiers environ des terres arables, en particulier dans les oasis de la côte.

19L’industrie (mines exclues) n’occupe encore que peu de travailleurs : 150 000 en 1962, surtout concentrés dans l’agglomération liménienne.

  • 1 1 sol = 0,18 F ; 1 dollar US = 26,80 ou 27 soles jusqu’au 1er septembre 1967.
  • 2 en sol déflaté de 1963.

20En 1962 le produit national brut péruvien était estimé à 65 milliards de soles1, (en monnaie constante de 1960) ; en 1965 il atteignait, selon les premières évaluations, 3,3 milliards de dollars, ce qui, pour une population de plus de 11 millions d’habitants représenterait un peu moins de 300 dollars par individu et par an2. Ce chiffre n’a d’ailleurs aucune signification réelle, d’une part en raison des différences régionales, entre une côte où se concentre la richesse et les Andes où les revenus individuels sont plusieurs fois inférieurs à ceux des oasis, d’autre part à cause des écarts entre une petite minorité, puissamment riche, qui détient les instruments de production, une classe moyenne, surtout urbaine et liménienne dont l’importance ne cesse de croître et une masse paysanne et ouvrière généralement misérable.

  • 3 D’après la Banque de Réserve ce taux moyen de croissance annuel du PNB aurait été en 1950 et 1965 (...)

21Ce produit national brut, qui est, somme toute, équivalent au chiffre d’affaires d’une très grande firme internationale et notablement inférieur à celui de grands groupes mondiaux comme la General Motor, l’United Steel, la Shell ou l’American Telephone, a progressé et progresse rapidement. Sans entrer dès à présent dans les discussions portant sur le taux de croissance, il est certain qu’il a été supérieur à 5 % dans la décennie 50-59 et que, depuis, il s’approche de 7 % par an3 ; il dépasse ainsi largement le taux de croissance de la population.

  • 4 En 1965 les exportations ne progressent que très faiblement tandis que les importations en raison (...)

22Cette croissance s’est faite, au moins jusqu’en 1962, à l’intérieur d’un système « libéral », s’efforçant de favoriser les investissements étrangers, l’État n’intervenant guère dans la politique économique, sinon par le biais des actions tarifaires et fiscales. La croissance est liée au développement des échanges commerciaux entraîné par le gonflement des exportations qui passent de 247 millions de dollars en 1954, à 433 en 1960 et atteignent 764 millions en 1966. Depuis 1959 le Pérou a une balance commerciale équilibrée ou excédentaire ; l’excédent était de 87,4 millions de dollars en 19644. C’est un privilège dont peu de pays sous-développés peuvent se prévaloir, à l’exception de ceux dont les exportations sont basées sur les produits pétroliers. Un autre privilège du Pérou est d’avoir des produits d’exportation différents. Les exportations reposent sur l’exploitation localisée de richesses naturelles : mines de cuivre de Toquepala, zinc, plomb, argent des Andes centrales, fer de Marcona et d’Acari, coton, sucre, café et, depuis 1959, farine de poisson. Aucun de ces produits ne figure pour plus de 30 % dans le total des exportations mais, selon les années, c’est l’un ou l’autre qui vient en tête : coton, cuivre, et maintenant farine de poisson.

  • 5 La dévaluation du « sol », entamée le 1er septembre 1967, modifie ces données.

23Une balance commerciale équilibrée, la liberté des changes et, depuis 1959, la stabilité du « sol » par rapport au dollar (stabilité qui s’accompagne néanmoins d’une hausse des prix intérieurs) sont autant d’éléments favorables aux investissements étrangers5. L’afflux de capitaux compense largement, pour le moment, les charges de la dette, le prix des services payés à l’extérieur (frêt et assurances) qui pourraient contribuer à la détérioration de la balance des paiements, même avec un solde du commerce extérieur favorable.

24Pourtant, en face de cette série de données positives, une question se pose : cette croissance économique entraîne-t-elle un développement de l’ensemble du pays ? Le Pérou, pays sous-développé, est-il un pays en voie de développement ? Comment se marquent, géographiquement et socialement, les effets de la croissance économique, et comment s’irradie l’enrichissement global ? La concentration de la richesse en quelques points privilégiés (vallées de la côte, capitale, et dans quelques îlots des Andes et de la forêt) tandis que de vastes régions s’affaissent démographiquement et socialement, est-elle inéluctable ? Cette croissance, qui est la conséquence de progrès continus dans la mobilisation des ressources naturelles les plus facilement exploitables, n’entraîne-t-elle pas inévitablement la formation de noyaux de richesse où la prospérité côtoie la pauvreté, à côté de grandes régions progressivement désertées ?

25Lors de son investiture en juillet 1963, le Président Belaunde déclarait vouloir faire sienne la parole de l’Évangile sur les derniers qui seront les premiers. Ce souhait est-il réalisable, en conservant les structures actuelles et sans freiner la croissance, moteur du développement ? L’« inarticulation » régionale et sectorielle est un des traits caractéristiques du sous-développement. Le Pérou n’y échappe pas. L’opposition est classique entre la « prospérité » des régions côtières et la « pauvreté » de la sierra et de la ceja de montaña ; mais la prospérité du littoral pacifique s’accompagne de l’afflux d’une main d’œuvre rurale qui ne trouve plus guère à s’employer sur les terres irriguées, du gonflement des populations urbaines qui se caractérise par la prolifération des « bidonvilles », des « barriadas », ceinturant les grandes agglomérations ou se construisant en lisière des grandes exploitations agricoles.

26La croissance, au cours des quinze dernières années, a été liée à l’action d’entreprises privées, travaillant en « économie libérale », sous l’impulsion de capitaux généralement étrangers cherchant le plus fort rendement, tandis que l’État s’efforçait d’arbitrer les éventuels conflits, de faire régner l’ordre et de maintenir la monnaie. Mais la progression des produits destinés à l’exportation s’est effectuée en profitant d’une infrastructure déjà installée, ou construite pour les fins propres de l’entreprise, sans que, pour des raisons de localisation géographique (par exemple dans le cas des mines de Toquepala), le pays puisse profiter de cet équipement. Ainsi la croissance a pu s’effectuer au moindre coût. Mais en accentuant les mutations à l’intérieur de la population péruvienne, en accélérant les migrations, elle rend plus aiguë les tensions et oblige l’État à intervenir. Or l’appareil de l’État n’était pas équipé pour répondre à ces nouvelles tâches où l’action prospective s’ajoute aux activités traditionnelles de gestion. Le gouvernement doit agir pour pallier les conséquences d’une concentration économique qui risque de déboucher sur la congestion, pour satisfaire les besoins d’une population atteinte par le souffle de la consommation, non seulement des biens usuels et alimentaires, mais d’une consommation scolaire et médicale. Le développement de la scolarisation, sous le double effet de la croissance démographique et du besoin accru d’instruction, mobilise 25 % du budget de l’État, qui lui-même augmente de 33 % entre 1963 et 1964 et représente, pour 1964 plus du 1/4 du produit national brut. D’autre part, les investissements publics prennent le relai des investissements privés, surtout en ce qui concerne les apports de capitaux étrangers, les prêts internationaux. En 1964, le Pérou se serait vu accordé 177 millions de dollars de prêts américains, dont 50 seront consacrés à l’agriculture, 49 millions aux transports et 46 à l’éducation. Mais cet accroissement des dépenses d’infrastructure d’équipement, dont la rentabilité est à long terme, qui excède, et de beaucoup, le taux de croissance, sera-t-il supportable, à moyen terme, pour l’économie péruvienne ?

27A cet ensemble de questions, l’analyse géographique ne peut répondre seule. Cependant, la description des milieux géographiques, suivie de l’étude des principales caractéristiques de la croissance, permet d’analyser les éléments favorables, mais également de déceler les freins au développement ; les projets en cours de réalisation contribuent et contribueront à l’élaboration de nouveaux ensembles régionaux dont les grands traits seront esquissés. Mais il ne s’agit que d’une étude préliminaire, d’une trame provisoire que des analyses plus poussées, conduites en liaison avec d’autres disciplines, devront compléter.

Notes

1 1 sol = 0,18 F ; 1 dollar US = 26,80 ou 27 soles jusqu’au 1er septembre 1967.

2 en sol déflaté de 1963.

3 D’après la Banque de Réserve ce taux moyen de croissance annuel du PNB aurait été en 1950 et 1965 de 5,6 %.

4 En 1965 les exportations ne progressent que très faiblement tandis que les importations en raison de la politique d’équipement entreprise par le gouvernement augmentent très rapidement : l’excédent de 1964 se transforme en un déficit qui atteint une soixantaine de millions de dollars. En 1966 le déficit se maintient : 817 millions de dollars d’importation et 764 pour les exportations.

5 La dévaluation du « sol », entamée le 1er septembre 1967, modifie ces données.

Table des illustrations

Légende CARTE 1 : Carte des départements. Les préfectures sont indiquées. Quand le nom du département est le même que celui de la préfecture, cette dernière est mentionnée par son initiale.
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Légende CARTE 2 : Localisation des « îles et archipels » humains. Les taches noires correspondent généralement sur la côte à des densités supérieures à 200 habitants au kilomètre carré, tandis que dans la sierra elles figurent les densités supérieures à 50 habitants au kilomètre carré. Chaque point correspond à environ 2.000 habitants.
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© Éditions de l’IHEAL, 1968

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