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7. Les projets et les propositions de Humboldt
p. 505-512
Texte intégral
1Avant de proposer les solutions les plus propres à résoudre le problème de l’esclavage, Humboldt, qui a étudié la différence de condition de vie des esclaves suivant leur répartition géographique, pense qu’il est possible d’améliorer l’existence de l’esclave, en accroissant en premier lieu le nombre des femmes. Il a remarqué que, jusqu’à la fin du xviiie siècle, celles-ci étaient très peu nombreuses dans les plantations où elles devraient précisément être placées en priorité ; car elles y seraient très utiles par les soins qu’elles donnent à leurs maris et à leurs compatriotes malades.
2Humboldt dénonce le « scrupule religieux » qui s’opposait à l’entrée des femmes esclaves à Cuba : « On forçoit, s’exclame-t-il, les esclaves au célibat, sous prétexte d’éviter le désordre des mœurs ». On est étonné, en compulsant les diverses lois sur les esclaves promulguées au cours de siècles coloniaux, de l’insistance avec laquelle le législateur revient sur l’interdiction des relations entre les sexes. Cette préoccupation prend une telle place dans les textes espagnols qu’elle prêterait à sourire en couvrant de ridicule les auteurs de ces élucubrations faussement moralisantes si par ailleurs de telles interdictions n’avaient entretenu et nourri la traite, contribuant à l’extermination rapide d’une énorme quantité d’êtres humains. Humboldt note que seuls « les Jésuites et les moines Bethlémites... avoient renoncé à ce funeste préjugé ; eux seuls souffraient les négresses dans leurs plantations »1.
3En 1755, selon un dénombrement imparfait, il y avait à Cuba 15 562 femmes contre 29 366 hommes esclaves.
4En vue de « rendre l’accroissement de la population servile plus indépendant des variations de la traite », le Consulado de la Havane, dans un rapport de Don Francisco de Arango, de 1795, préconisait une « taxe sur les plantations qui n’avaient pas un tiers de négresses parmi leurs esclaves. Il voulait aussi qu’on levât un droit de 6 piastres par chaque nègre introduit dans l’Ile, droit dont les femmes (negras bozales) seraient exemptées »2.
5Ces mesures n’ont pas été adoptées, mais une Cédule royale du 22 avril 1804 recommanda ces objets « à la conscience et à l’humanité des colons ». Malgré tout, la proportion des femmes par rapport aux hommes, qui était de 1 pour 1,9 en 1777, n’était toujours que de 1 à 1,7 en 1817. Ce n’est qu’à partir de cette date que le nombre des négresses a augmenté notablement, mais la situation dans les ingenios de azúcar et les cafetales est toujours aussi mauvaise : 4 à 8 hommes pour une seule femme.
« ...La petitesse de ce changement, écrit-il, doit être attribuée à l’énorme quantité de negros bosales (sic) introduits depuis 1791, l’introduction des négresses n’ayant été considérable que de 1817 à 1820, de sorte que les nègres esclaves qui servent dans les villes sont devenus une plus petite fraction de la masse totale. Dans le partido de Batabano, qui renfermait, en 1818, une population de 2078 avec les 13 ingenios de sucre et 7 cafetales, il y avait 2226 nègres, et seulement 257 négresses esclaves (rapport = 8 :1). Dans la juridiction de San Juan de los Remedios (qui comptoit, en 1827, une population de 13 000 avec 17 sucreries et 73 cafetales, il y avoit 1 200 nègres et 660 négresses esclaves (rapport : 1,9 = 1). Dans la juridiction de Filipinas qui comptoit, en 1819, une population de 13 026, il y avoit 2 494 nègres et 997 négresses esclaves (rapport : 2,4 = 1) ; et si, dans toute l’Ile de Cuba, les esclaves noirs mâles sont aux femelles 1,7 = 1, ils sont, dans les seules sucreries, à peine 4 = 1 »3.
6Outre l’introduction de femmes noires dans les plantations, Humboldt propose que celles-ci soient exemptées de travail pendant la grossesse, que les enfants soient mieux soignés, et surtout que les nègres soient établis par familles dans des cases séparées. Cette dernière exigence confirme l’importance qu’attachait Humboldt au logement ; il demande enfin une alimentation meilleure, la multiplication des jours de repos et un travail modéré4.
7Enfin, dans une note infrapaginale, Humboldt mentionne la tentative du général Lafayette « dont le nom se lie à tout ce qui promet de contribuer à la liberté des hommes et d’améliorer leur sort par des institutions ». Il avait projeté, en 1785, de s’installer à Cayenne, d’y acheter « ...une habitation pour la partager entre les noirs qui la cultiveraient, et dont le propriétaire renoncerait, pour lui et ses descendants, à toute espèce de gain ». Il s’était entendu avec les missionnaires du Saint-Esprit, et avait eu l’accord de « l’infortuné Roi Louis XVI » qui, « étendant ses intentions bienfaisantes jusque sur les noirs et les libres de couleur, avait ordonné de faire des essais semblables aux frais du gouvernement ».
8Ces suggestions très modestes et le rappel de l’initiative sans lendemain du général Lafayette nous laissent comprendre que les colons des plantations ne suivaient pas les règles élémentaires d’humanité ou même de simple conservation expressément stipulées par les lois espagnoles. Outre ces premiers projets destinés à adoucir la vie des esclaves, Humboldt propose un ensemble de lois destinées à mettre fin à l’esclavage.
9Il souhaite que soit fixé un rapport entre le nombre de femmes et d’hommes esclaves dans les sucreries, que l’esclave soit libéré au bout de 15 ans de travail, et que l’affranchissement soit accordé à la négresse ayant élevé 4 ou 5 enfants. L’affranchissement serait assorti de l’obligation pour l’esclave « de travailler un certain nombre de jours au profit de la plantation ». On retrouve ici l’idée du comte de Tovar. Enfin, Humboldt pense qu’il serait bon d’associer l’esclave aux bénéfices de la plantation, par une prime accordée sur le produit net et il conclut en affirmant la nécessité de prévoir dans le budget de l’État « une somme destinée pour le rachat des esclaves et pour l’amélioration de leur sort ». Ces projets de réforme sont fort modérés, ils doivent assurer l’abolition graduelle de l’esclavage. Humboldt veut éviter à tout prix des « commotions sociales » et des révolutions violentes.
10Il est curieux que Humboldt ne mentionne pas, parmi les ennemis de l’esclavage et de la traite, le Père Félix Varela, député aux Cortes. En 1822, il avait présenté devant le Parlement une Memoria que demuestra la necesidad de extinguir la esclavitud de los negros en la isla de Cuba, atendiendo a los intereses de sus proprietarios.
11Le Père Varela remarque tout d’abord qu’après la destruction des premiers habitants des Antilles, on n’a pas favorisé leur peuplement par des blancs. La traite des noirs s’est alors organisée ; les Anglais, qui maintenant veulent abolir l’esclavage, ont été parmi les premiers négriers. Le Père Varela remarque qu’il y a, à Cuba, en 1821, 1 blanc pour 3 mulâtres et noirs (libres ou esclaves). Les esclaves sont dans l’agriculture, les libres sont surtout artisans. Il n’y a qu’un artisan blanc pour 10 artisans libres de couleur (mulâtres ou noirs). Dans ces conditions, l’agriculture et les métiers dépendent exclusivement des noirs. Ils pourraient, s’ils le voulaient, en arrêtant tout travail, obtenir par la violence ce qu’on leur doit : la liberté et le droit au bonheur.
12Le Père Varela propose une émancipation progressive. Les noirs actuellement esclaves seraient libérés au bout de 15 ans de service. Les noirs criollos seraient déclarés libres. Il faudrait aussi créer une Junta filantrópica qui réunirait fonds publics et privés pour le rachat des esclaves. On voit que ces propositions sont très proches de celles de Humboldt. On ne peut que regretter que Humboldt ne cite pas le Père Varela parmi les amis espagnols des noirs. En tout cas, le Père Varela était beaucoup plus libéral que le « philosophe » Arango y Parreño5.
13L’une des premières mesures qu’il préconise pour arriver par ces modifications progressives à l’extinction définitive de l’esclavage est l’interdiction de la traite. Nous avons déjà étudié son influence sur les mouvements internes de la population noire à Cuba et sur les taux énormes de mortalité dans les plantations. Au moment où il écrit ses ouvrages américains, entre 1808 et 1825, le problème est loin d’avoir été résolu. Humboldt y consacre un grand nombre de pages et fait le point de la question.
14Humboldt ne se livre pas à une étude numérique complète de l’importation des noirs africains en Amérique. Il fournit des chiffres précis uniquement sur le nombre des noirs amenés à Cuba et dans les Antilles anglaises6.
15Il rappelle que « la première introduction de nègres dans la partie orientale de l’île eut lieu en 1521, elle n’excéda pas le nombre de 300 »7. Les Portugais étaient surtout intéressés par ce commerce. Le privilège, pour toute l’Amérique espagnole, a été successivement acheté, en 1596, par Gaspar de Peralta ; en 1595 par Gomez Reynel ; en 1615, par Antonio Rodriguez de Elvas. Il évalue à 3 500 par an l’introduction totale d’esclaves dans les possessions espagnoles d’Amérique, soit 1 050 000 en 300 ans (1520-1820)8. En 1763, il n’y avait, dans toute l’île de Cuba, que 32 000 esclaves. Après 1763, date à laquelle le commerce des esclaves est déclaré libre, le nombre des déportés s’accroit sensiblement, à tel point que « ...par l’activité toujours croissante de la traite, les 15 années qui ont suivi celles de 1790 ont fourni plus d’esclaves que deux siècles et demi qui ont précédé l’époque du commerce libre. Cette activité a redoublé surtout lorsqu’il fut stipulé entre l’Angleterre et l’Espagne que la traite seroit prohibée au nord de l’équateur depuis le 22 novembre 1817, et qu’elle seroit entièrement abolie le 30 mai 1820 »9.
16Et Humboldt conclut :
« Le roi d’Espagne accepta de l’Angleterre (la postérité aura un jour de la peine à le croire) une somme de 400 000 livres sterling, comme compensation des dommages qui pourraient résulter de ce commerce barbare »10.
17Les tableaux11 que publie Humboldt livrent les chiffres des esclaves importés entre 1790 et 1820, enregistrés par l’administration des douanes de la Havane et des autres ports de l’île. La moyenne annuelle des nègres débarqués en 30 ans est de 7 520, soit un total de 225 574. Encore faut-il tenir compte du commerce illicite. Humboldt obtient ainsi une chiffre de 372 449 esclaves déportés d’Afrique à Cuba, entre 1791 et 1820. Au total, Cuba a reçu d’Afrique depuis la Conquête : 413 500 esclaves et, en 1825, on n’y trouvait que 390 000 noirs. Humboldt, tout en contestant les chiffres fournis par les députés cubains aux Cortes de Cadiz, qui tendaient à prouver que le nombre des noirs vivant à Cuba en 1811 était supérieur de 97 000 à celui fourni par la traite, démontre au contraire que ce trafic aurait pu être évité, si les propriétaires avaient traité humainement leurs esclaves. Il est certain que les 90 875 esclaves qui se trouvaient à Cuba en 1790 auraient pu, s’ils avaient bénéficié de conditions de vie normales, se multiplier suffisamment, sans qu’il fût nécessaire de recourir à la traite. Il est vrai « qu’en comparant l’île de Cuba à la Jamaïque, le résultat de la comparaison semble être à l’avantage de la législation espagnole et des mœurs des habitants de Cuba ». En effet, la Jamaïque, dans 300 ans, a reçu d’Afrique 850 000 noirs, « et cependant cette île ne possède aujourd’hui pas 380 000 noirs et mulâtres libres et esclaves ! ». Toutes les colonies anglaises des Antilles, qui ont reçu d’Afrique 2 130 000 nègres (entre 1680 et 1786) ne comptent, en 1820, que 700 000 nègres et mulâtres (libres et esclaves) !
18Étudiant les chiffres d’accroissement de la population noire des États-Unis, Humboldt constate dans ce pays un doublement en 27 ans. Et il conclut : « je dirai... que si les esclaves à la Jamaïque et à Cuba s’étoient multipliés dans le même rapport, ces deux îles auraient, l’une depuis 1795, l’autre depuis 1800, presque leur population actuelle, sans que 400 000 noirs eussent été chargés de fer sur les côtes d’Afrique et traînés à Port Royal et à la Havane ».
19Par cet exemple, Humboldt renvoie dos à dos les colons de Cuba et de la Jamaïque, qui discutent « ...lequel d’entre eux a fait périr, en trois siècles, le moins d’africains en les réduisant à l’esclavage »12 !
20Les arguments mis en avant par les colons cubains ne le convainquent pas. Mais il reconnaît malgré tout que la situation à Cuba était moins effroyable que dans les colonies anglaises. Discutant les chiffres fournis par les représentants de Cuba aux Cortès de Cadix, il écrit :
« Un calcul semblable, fondé sur des élémens numériques peu différens a été adressé aux Cortes d’Espagne le 20 juillet 1811. On a tâché de prouver par ce calcul que l’Ile de Cuba a reçu, jusqu’en 1810, moins de 229 000 nègres africains, et qu’elle les représente, en 1811, par une population servile et libre de nègres et de mulâtres, qui s’élève à 326 000, de sorte qu’il y a un excès de 97 000 sur l’importation africaine. Oubliant que les blancs ont eu leur part à l’existence de 70 000 mulâtres, oubliant l’accroissement naturel qu’auraient dû avoir tant de milliers de nègres introduits progressivement, on s’écrie : « Quelle autre nation ou société humaine peut rendre un compte si avantageux des effets de cette funeste traite des noirs (desgraciado trafico) ». Je respecte les sentimens qui ont dicté ces lignes. Je répète qu’en comparant l’Ile de Cuba à la Jamaïque, le résultat de la comparaison semble être à l’avantage de la législation espagnole et des mœurs des habitans de Cuba »13.
21Il aborde enfin le problème qui préoccupait fort les colons et les commerçants intéressés à la culture et à l’exploitation du sucre. « La culture de la canne est sans doute un des motifs les plus puissants pour vivifier le commerce des noirs »14.
22Il veut combattre « des préjugés fondés sur de fausses évaluations numériques ». En effet, il a calculé que le sucre exporté par l’Ile de Cuba pourrait être produit seulement par 100 000 ouvriers. Il faut 150 noirs pour fabriquer 184 000 kilogs de sucre terré, soit un noir pour 1 200 kilogs.
« Une production de 440 000 caisses n’exigeroit par conséquent que 66 000 esclaves. Si l’on ajoute à ce nombre, pour les cultures du café et du tabac dans Ile de Cuba, 36 000, on trouve que des 260 000 esclaves qui y existent aujourd’hui, près de 100 000 suffiraient pour les trois grandes branches de l’industrie coloniale sur lesquelles repose l’activité du commerce »15.
23Par ses calculs ingénieux et en préconisant la concentration des exploitations « dans des cultures réunies en grands ateliers », Humboldt démontre :
« La traite n’est pas seulement barbare, elle est aussi déraisonnable, parce qu’elle manque le but qu’elle veut atteindre. C’est comme un courant d’eau qu’on a amené de très loin, et dont plus de la moitié dans les colonies mêmes est détournée des terrains auxquels il étoit destiné »16.
24L’archipel des Antilles, qui possède 1 148 000 esclaves, n’en utilise dans les cultures coloniales que cinq à six cent mille. Le Brésil, avec 1960 000 noirs et mulâtres n’en occupe que le quart. Ainsi, la traite n’est « comme on l’assure gravement, ni un mal nécessaire, ni un crime politique inévitable »17.
25Humboldt fait appel autant aux sentiments humanitaires qu’à l’intérêt personnel des colons. En évoquant à plusieurs reprises la révolte de Saint Domingue, il essaie de les convaincre, par la menace d’une révolution sanglante. En démontrant, par une analyse économique serrée, que les esclaves sont en surnombre, il espère pouvoir emporter l’adhésion des hésitants. Enfin, il met en lumière un phénomène sociologique qui n’a cessé de se manifester depuis le début du xixe siècle : le surpeuplement agricole de régions sous-développées, ou soumises à une exploitation de type colonial ou semi-colonial. L’accroissement de la population rurale et l’absence corrélative d’industries capables d’absorber l’excédent de main d’œuvre, stagnante dans les campagnes de ces pays, est l’un des problèmes essentiels du xxe siècle. C’est dire que les observations de Humboldt acquièrent aujourd’hui une singulière résonnance18.
26Nous ajouterons à ces conclusions une réflexion qui nous a été inspirée par la lecture d’un passage fort intéressant de l’économiste anglais Adam Smith (1723-1790) qui, dans son célèbre ouvrage La richesse des Nations, dont le titre exact est : An inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations (1776) (Essai sur la nature et les causes de la richesse des nations) écrit que seules les plantations de canne à sucre et de tabac peuvent supporter le travail servile, car les esclaves sont très coûteux. Adam Smith écrit à ce propos :
« C’est aux dépens du maître, a-t-on dit, que les esclaves s’usent et vieillissent, tandis que les serviteurs libres s’usent et vieillissent à leurs propres dépens. Cependant, cette espèce d’usure et ce vieillissement est pour les uns comme pour les autres une charge ou une dépense qui doit être également supportée par le maître. Les salaires qu’on paye à des gens de journée et domestiques de toute espèce, doivent être tels que ceux-ci puissent, l’un dans l’autre, continuer à maintenir leur population, suivant que peut le réquérir l’état croissant ou décroissant, ou bien stationnaire, de la demande qu’en fait la société. Mais quoique le maître paye également ce qu’il faut pour remplacer un jour le domestique libre, il lui en coûte bien moins que pour un esclave. Le fonds destiné à remplacer et à réparer pour ainsi dire cette usure résultant du service dans la personne de l’esclave, est ordinairement sous l’administration d’un maître peu attentif ou d’un inspecteur négligeant. Celui qui est destiné au même emploi, à l’égard du serviteur libre, est économisé par les mains mêmes du serviteur libre. Dans l’administration du premier s’introduisent naturellement les désordres qui règnent, en général, dans les affaires du riche ; la frugalité sévère et l’attention parcimonieuse du pauvre s’établissent aussi naturellement dans l’administration du second. Avec une administration différente, il faudra, pour remplir le même objet, des degrés de dépense fort différents. En conséquence, l’expérience de tous les temps et de tous les pays s’accorde, je crois, pour démontrer que l’ouvrage fait par des mains libres revient en définitive à meilleur compte que celui qui est fait par des esclaves. C’est ce qui se voit même à Boston, à New-York et à Philadelphie, où les salaires du travail le plus simple sont si élevés »19.
27Humboldt pense, quant à lui, que même les plantations de canne à sucre et de tabac ne justifient pas l’esclavage. Son opinion est donc beaucoup plus libérale et humanitaire que celle du fondateur anglais de l’économie politique. Enfin, on peut légitimement penser que les créoles cubains n’avaient pas encore parfaitement connaissance de la nouvelle théorie économique d’Adam Smith. Les lenteurs de l’émancipation des esclaves à Cuba sont sans doute l’expression la plus significative de la difficulté avec laquelle les esprits hispano-américains acceptent alors les idées nouvelles. On pourrait y voir aussi peut-être le résultat de la remarquable résistance des structures économiques coloniales aux courants de pensée et aux transformations imposées par les exigences du développement capitaliste au xixe siècle.
Notes de bas de page
1 Ile de Cuba, tome I, p. 165.
2 Ile de Cuba, tome I, pp. 165-166.
3 Ile de Cuba, tome I, pp. 166-167.
4 « ...l’exemption du travail pendant la grossesse, la sollicitude pour les enfants, l’établissement des nègres par familles, dans des cases séparées, l’abondance des provisions, la multiplication des jours de repos et l’introduction d’un travail modéré à tâche, voilà les moyens les plus susceptibles de prévenir la destruction des noirs », Ile de Cuba, tome I, p. 179.
5 On trouvera le Mémoire de Varela dans le volume IV de José Antonio Saco, pp. 5 à 31, Eistoria de la esclavitud de la raza africana en el nuevo mundo y en especial en los países américo-hispanos, con documentas y juicios de F. Arango y Parreño, Felix Varela, Domingo del Monte, Felipe Poey, José de la Luz y Caballero, José Silverio Jorrin, Enrique José Varona y otros, Prólogo por Fernando Ortiz, 4 volumes, la Havane, 1938.
6 Nous savons aujourd’hui que le nombre des noirs transportés d’Afrique en Amérique est d’environ 15 millions. « Le nombre d’esclaves noirs importés dans les Amériques est estimé approximativement à 15 millions : à peu près un million au seizième siècle, près de 3 millions au dix-septième, 7 millions au dix-huitième et 4 millions au dix-neuvième ». Woytinski, op. cit., p. 09.
7 Ile de Cuba, tome I, pp. 107-174.
8 Il faut remarquer ici la proportion vraiment très faible que représentent ces 1 050 000 noirs transportés en trois siècles d’Afrique en Amérique espagnole ; elle constitue la quinzième partie du trafic général, si l’on tient compte du nombre des noirs transportés jusqu’à la fin du xixe siècle, soit 6 % et la onzième partie du total transporté, si l’on s’arrête au début du xixe siècle, soit 7,2 %.
9 Humboldt souligne ici un caractère assez curieux du xviiie siècle qui fut appelé « le siècle des Lumières ». C’est alors que le trafic esclavagiste connaît son apogée ! Sept fois plus d’esclaves transportés au xviiie qu’au xvie siècle, et plus du double qu’au xviie !
10 Ile de Cuba, tome I, p. 169.
11 Tableau reproduit dans l'Essai Politique sur Vile de Cuba, tome I, p. 170.
12 Ile de Cuba, tome I, p. 175.
13 Ile de Cuba, tome I, pp. 173-174.
14 Ile de Cuba, tome I, p. 241.
15 Ile de Cuba, tome I, pp. 242-243.
16 Ile de Cuba, tome I, p. 244. « C’est par une erreur assez généralement répandue, en Europe, et qui influe sur la manière d’envisager les effets de la cessation de la traite que, dans les Antilles, appelées colonies à sucre, on suppose la majeure partie des esclaves employés dans les sucreries... mais un calcul très simple prouve que la masse totale des esclaves que renferment les Antilles est presque trois fois plus grande que le nombre attaché aux sucreries ; Ile de Cuba, t. 1, p. 241.
17 Ile de Cuba, tome I, pp. 244-245.
« Ceux qui répètent sans cesse que le sucre ne peut être cultivé que par des noirs esclaves, semblent ignorer que l’Archipel des Antilles renferme 1 148 000 esclaves, et que toute la masse des denrées coloniales que produisent les Antilles n’est due qu’au travail de cinq à six cent mille. Examinez l’état actuel de l’industrie du Brésil, calculez ce qu’il faut de bras pour verser dans le commerce d’Europe le sucre, le café et le tabac qui sortent de ses ports ; parcourez ses mines d’or si foiblement travaillées de nos jours et répondez : si l’industrie du Brésil exige qu’on tienne en esclavage 1 960 000 noirs et mulâtres. Plus des trois quarts de ces esclaves brésiliens ne sont occupés ni de lavages d’or ni de la production de denrées coloniales, de ces denrées qui, comme on l’assure gravement, rendent la traite un mal nécessaire, un crime politique inévitable ».
18 Ce phénomène no prendra toute son ampleur tragique qu’à partir du milieu du xixe siècle. La clairvoyance de Humboldt est étonnante dans ce cas. Il a pu voir sur place les prodromes de cette « révolution » démographique, de cette mutation biologique, auxquelles s’intéressent aujourd’hui les spécialistes les plus avertis, M. Gaston Bouthoul ou A. Sauvy.
Gaston Bouthoul fait remarquer à juste titre que l’industrialisation des pays sous développés n’est peut-être pas la solution idéale. « Pour paraphraser la célèbre phrase de Napoléon à propos du Blocus continental, ces pays (sous-développés), lorsqu’ils seront industrialisés, risquent de « crever de quincaillerie et manquer de pain ». G. Bouthoul, La surpopulation, p. 85.
19 The Wealth of Nations, 2 volumes, Londres 1902, tome I, pp. 72 et 345-346.
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Alexandre de Humboldt
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