Alexandre de Humboldt
|IV. Humboldt et l'Indien américain
3. La population indienne. Démographie et statistiques
Texte intégral
Une humanité indienne nombreuse
1Comme on peut habituellement le remarquer à la lecture de Humboldt, les très nombreux et très précis renseignements statistiques qu’il fournit sur la « nation indienne » sont dispersés dans ses œuvres : il est indispensable d’en opérer un classement rationnel si l’on désire tirer un enseignement utile d’une substance si complexe et si touffue.
- 1 Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome I, pp. 148-159, à propos de la population primitive des An (...)
- 2 Relation historique, Sur les peuples indiens, livre III, chap. ix.
- 3 Tableaux de la Nature, chapitre intitulé : Steppes et déserts, Chapitre XII. Particularités, Préju (...)
2On peut trouver des données intéressantes sur la population primitive de l’Amérique, et notamment des Antilles, dans l’Essai Politique sur l’Ile de Cuba1, dans la Relation Historique du Voyage2, surtout au chapitre IX du livre III consacré à la description des Chaimas ; des considérations générales sur l’ancienneté et l’importance du peuplement peuvent être relevées aussi dans un petit écrit publié en 1806 dans le Berliner Monatsschrift et dont le fragment le plus important est reproduit dans la dernière édition française des Tableaux de la Nature3 ; il faut aussi parcourir l’Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, les Vues des Cordillères, le Cosmos et même la correspondance.
- 4 « Un préjugé très répandu en Europe fait croire qu’un très petit nombre d’indigènes à teint cuivré (...)
3La première réflexion générale de Humboldt sur la population indienne est extrêmement importante par la nouveauté qu’elle introduit dans les études américanistes de son temps. Humboldt constate avec un certain étonnement et une grande satisfaction que le nombre des Indiens de l’Amérique espagnole est considérablement plus élevé qu’on ne le pensait alors en Europe. C’est pourquoi il tient tout d’abord à combattre le préjugé communément répandu « ...selon lequel les Indiens auraient été entièrement exterminés par les Conquérants et le régime colonial ». Cette première constatation va l’obliger à reconsidérer de fond en comble le problème de la Conquête et de la colonisation espagnoles. Si aux Antilles l’extermination des aborigènes ne fait aucun doute, en revanche, « on n’est point parvenu à cet horrible résultat sur le continent de l’Amérique »4.
- 5 La proportion des Indiens était considérable dans certaines parties de l’Amérique espagnole. Le de (...)
4Cela ne signifie pas que les Indiens n’aient pas beaucoup souffert de l’exploitation à laquelle ils furent soumis dans les temps coloniaux. On verra plus loin le jugement de Humboldt sur cette période. Mais la statistique générale qu’il dresse est assez éloquente pour prouver que non seulement la population indienne ne diminue pas, qu’elle ne se maintient pas au même niveau, mais qu’elle augmente, en cette fin de siècle, « ce qui, ajoute-t-il, est plus consolant encore ». Pour arriver à une si intéressante conclusion, qui renverse les légendes accumulées depuis la Conquête sur la destruction de la population indigène par les Espagnols, Humboldt s’est fondé sur les registres de la capitation ou du tribut et sur les recensements de population menés depuis les cinquante dernières années, à partir de 1750-1760 jusqu’aux statistiques les plus récentes, notamment le recensement fait sous le gouvernement du célèbre vice-roi du Mexique, Revillagigedo, pour l’année 17935. Robertson, le dernier historien sérieux avant Humboldt, ne disposait que de données très fragmentaires, dont les plus récentes remontaient à 1760 environ.
- 6 Humboldt adresse les plus grands éloges au comte de Revillagigedo, qui fut vice-roi du Mexique ent (...)
5Il ressort des tableaux de la population indienne reproduits par Humboldt6, pour les années 1820-1822, que le chiffre total des Indiens purs pour tous les territoires espagnols, s’élève à 7 530 000, qui se répartissent ainsi :
6Mexique : 3 700 000 ; Guatemala : 880 000, Colombie : 720 000 ; Pérou et Chili : 1 030 000 ; Buenos-Aires et provinces de la Sierra : 1 200 000 (voir tableau, p. 368).
7Ces Indiens représentent 45 % de la population totale de l’Amérique espagnole, que Humboldt estime à 16 910 000 pour 1820-1822. Les 7 530 000 Indiens vivant en territoires gérés par l’Espagne, représentent 87,46 % du total des Indiens vivant en Amérique.
8Pour qui avait pu lire, dans les œuvres philosophiques ou historiques du xviiie siècle, que l’Amérique était sans doute, avant la Conquête, un continent très peu peuplé, le problème d’une aussi importante population indienne prenait des aspects nouveaux. De deux choses l’une : ou bien le Continent était quasi-désert, et il fallait supposer alors que la population indienne s’était accrue considérablement au cours des siècles coloniaux, ou bien il était très peuplé, et le régime colonial en avait exterminé un grand nombre. Dans les deux cas, les systèmes « philosophiques » s’effondraient mais sur des points différents. Dans la première hypothèse, un accroissement notable des Indiens infirmait totalement la croyance en la fureur exterminatrice des Espagnols. Dans la deuxième hypothèse, un très dense peuplement précolombien ruinait irrémédiablement la supposition de l’apparition plus tardive du Nouveau Continent, ou le postulat buffonien de la renaissance d’une humanité indigène sur un nouveau continent aussi ancien, du point de vue géologique, que le Vieux Monde, mais submergé plus tard. Humboldt, en historien consciencieux, ne se hasarde pas à avancer des chiffres hypothétiques sur la population indienne primitive.
- 7 Ibid, note infrapaginale, p. 297.
« Il est tout aussi difficile, écrit-il, d’évaluer avec quelque certitude le nombre des habitants qui composaient le royaume de Montezuma, que de se prononcer sur l’ancienne population de l’Égypte, de la Perse, de la Grèce ou du Latium »7.
- 8 « Mais en réfléchissant combien il en coûte de nos jours pour parvenir à des idées exactes sur la (...)
9Il suppose, en se fondant sur le grand nombre de ruines « ...de villes et de villages que l’on observe sous les 18° et 20° degrés de latitude dans l’intérieur du Mexique », une population indigène supérieure à celle qu’on peut y compter au début du xixe siècle ; mais il ne donne aucune précision chiffrée. Il se reporte aux lettres de Cortés à Charles Quint, et aux « ...observations judicieuses de l’Abbé Clavigero... dirigées contre Robertson et l’Abbé Pauw (Storia antica de Messico) ». Cependant, comme dans la plupart des cas où il n’est pas en mesure de fournir des précisions fondées sur des documents sérieux, il préfère s’abstenir, en rappelant qu’il « ...ne faut pas s’étonner de l’ignorance dans laquelle nous laissent les auteurs du xvie siècle sur l’ancienne population des Antilles, sur celle du Pérou et du Mexique »8.
- 9 Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, op. cit.
10Il ne reproche pas aux Espagnols, comme l’a fait Robertson, leur manque d’instruction qui les rendait incapables de comptes rendus sérieux sur les populations nouvellement conquises ; car dans l’Europe de son temps « ...les statistiques de population sont très imparfaites et... l’on ignore encore le nombre exact des habitants de certains pays connus »9.
- 10 Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, op. cit., pp. 298-299.
Alfred Métraux, Les Incas, op. cit. (...)
11Dans un raccourci assez peu original, il oppose, comme l’avait fait Robertson, les conquérants, « ambitieux de faire valoir les fruits de leurs exploits », et « l’évêque de Chiapa (sic) et un petit nombre d’hommes bienfaisants qui employaient avec une noble ardeur, les armes de l’éloquence contre la cruauté des premiers colons ». Certains missionnaires ont exagéré « ...l’état florissant des pays nouvellement découverts », et il rapporte comme un exemple frappant de cette surestimation manifeste de la population indienne les relations des franciscains, qui « se vantaient d’avoir baptisé, depuis l’année 1524, jusqu’en 1540, plus de six millions d’indiens, et (qui plus est) d’indiens qui n’habitaient que les parties les plus voisines de la capitale » ! [Au Mexique]. Au Pérou rappelle-t-il, l’archevêque de Lima, Fray Gerónimo de Loaysa avait compté 8 285 000 Indiens en 1551. « Ce résultat devait affliger ceux qui savent qu’en 1793 dans le dénombrement très exact ordonné par le vice-roi Gil Lemos, les Indiens du Pérou actuel (après la séparation du Chili et de Buenos-Ayres) ne montaient pas au delà de 600 000 individus. Voilà 7 600 000 Indiens que l’on pouvait croire disparus sur le globe. Heureusement l’assertion de l’auteur péruvien s’est trouvée dénuée de vérité... Le père Cisneros, en fouillant dans les archives du xvie siècle, a découvert que le vice-roi Toledo, regardé à juste titre comme le premier législateur espagnol du Pérou, ne compta, en 1575, dans la visite du royaume qu’il fit en personne depuis Tumbez jusqu’à Chuquisaqua (ce qui est à peu près l’étendue du Pérou actuel), que 1 500 000 Indiens »10.
12Les réflexions de Humboldt sur les évaluations quelque peu fantaisistes des missionnaires ou de prélats, montrent son style de travail, qui est bien celui d’un historien des plus sérieux ; il sait faire parler les textes consultés, en les examinant avec un esprit critique aiguisé. La confrontation des témoignages divers, l’interprétation du moindre renseignement digne de foi, lui permettent de découvrir, sous l’apparente inertie des textes, la réalité palpitante et de se rapprocher d’une façon remarquable de la vérité.
La population primitive des Iles et son extermination
- 11 Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome I, pp. 148-149. Humboldt ajoute : « Dans les colonies espa (...)
- 12 Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome I, p. 149, note 1. Il s’agit de l’ouvrage de Albert Hüne, (...)
- 13 Ibid., pp. 149-150.
13La disparition quasi-totale de la population primitive des Antilles lui a posé des problèmes fort épineux. Le fait est que celle-ci a entièrement disparu « laissant la place aux blancs et aux nègres ». Le processus de métissage n’a même pas eu le temps de prendre naissance aux Antilles, où, « ...à de rares exceptions près, les nouveaux colons ne se mêlèrent pas plus aux indigènes que ne le font aujourd’hui les Anglais du Canada »11. Mais dès l’abord, Humboldt conteste les affirmations de Las Casas. « Il n’existe plus, écrit-il, aucun moyen de juger de la population de Cuba ou d’Haïti du temps de Christophe Colomb ». Il se refuse à admettre le chiffre avancé encore, en 1820, par Albert Hüne, qui, comptait, en se fondant sur Las Casas, un million d’aborigènes à Cuba avant 1492, pour n’en enregistrer que 14 000 en 151712 ! Et il se lance aussitôt dans la recherche de documents de l’époque, pour y retrouver des chiffres plus vraisemblables. Il conteste tout d’abord la prédiction du bon religieux dominicain Fray Luis Beltrán, qui fut persécuté par les encomenderos, « comme le sont de nos temps les méthodistes par quelques planteurs anglais ». Saint-Louis Bertrand avait annoncé, à son retour en Espagne, en 1569, « la destruction des 200 000 Indiens que renferme l’Ile de Cuba ». Mais il est impossible qu’il en ait été ainsi, car ce chiffre prouverait que la population aborigène n’était pas éteinte entre 1555 et 156913.
14Or, dès 1553, rappelle Humboldt, Gómara écrit qu’il n’y a plus d’indiens à Cuba, et il n’était pas loin de dire vrai, puisque nous savons, grâce à des études récentes, qu’en 1540, il n’en restait que 5 000 et 1 000 en 1570.
- 14 Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome I, pp. 150-151.
15Humboldt, en fait, croit que la population de Cuba était nettement inférieure à 200 000, et, faute de chiffres contrôlables qu’il pourrait extraire des textes, il essaie de prouver, en recourant à d’autres critères, « ...combien doivent être vagues les évaluations faites par les premiers voyageurs espagnols à une époque où l’on ne connaissait la population d’aucune province de la Péninsule »14. C’est ainsi que, par exemple, la population de Tahiti a été évaluée d’une façon fort fantaisiste, avec des écarts qui vont de 1 à 5.
- 15 Humboldt reprend, dans l'Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, tome I, livre II, chap. iv, p. 2 (...)
« Cook, précise-t-il, évalua le nombre des habitants de l’île de Tahiti à 100 000 ; les missionnaires protestants de la Grande-Bretagne, n’y supposent qu’une population de 49 000 âmes ; le Capitaine Wilson la fixe à 16 000 ; M. Turnbull croit prouver que le nombre des habitants n’excède pas 5 000 »15.
16Il en est de même pour les estimations de la population des îles Sandwich, qui vont de 740 000, selon Hassel (1824), à 400 000, ou à 264 000 selon M. de Freycinet.
- 16 Essai Politique sur l'Ile de Cuba, tome I, pp. 156-167.
« Les premiers voyageurs, précise-t-il pour expliquer ces différences remarquables, se laissent tromper facilement par les rassemblements que l’apparition de vaisseaux européens fait naître sur quelques points d’une côte »16.
- 17 Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome I, pp. 155-157.
17Il se réfère en particulier aux réactions des Anglais qui en 1762 trouvèrent Cuba très peuplée, comme Colomb et Velázquez l’avaient vue très peuplée entre 1492 et 1520. Or, en 1762, Cuba avait moins de 200 000 habitants. Et il est impossible qu’un million d’indiens, en 42 ans, entre 1492 et 1534, aient complètement disparu sans laisser de traces, même si l’on tient compte de l’esclavage auquel ils ont été soumis, de la « déraison et de la brutalité des maîtres, de l’excès de travail, du manque de nourriture et des ravages de la petite vérole ». Il est donc vrai que les aborigènes des Antilles ont totalement disparu, mais il est probable que leur nombre devait être assez réduit17.
18Ces suppositions de Humboldt sont toujours valables aujourd’hui. La consultation des ouvrages les plus récents sur la population primitive des Antilles ne nous éclaire pas davantage que les hypothèses de Humboldt. Felipe Pichardo Moya, qui étudie dans un livre publié en 1956 la population aborigène des Antilles, fournit des chiffres fort semblables à ceux de Humboldt. Rosenblat, pour toutes les Antilles, estime à 300 000 la population aborigène en 1492, et à 65 000 en 1570. Humboldt calculait la perte annuelle de la population esclave noire à 8 ou 10 % par an, dans les années 1810-1820. Si l’on suppose le même taux (de 8 à 10 %) pour calculer la perte totale, entre 1492 et 1570, de la population primitive des Antilles, celle-ci aurait complètement disparu au bout de 30 ans, c’est-à-dire en 1522. Il faudrait donc conclure que le rythme de destruction de la population des Antilles était légèrement moins rapide que celui de la population esclave 250 ans plus tard !
- 18 « Tout ce que l’on trouve de données statistiques dans les écrits de l’évêque de Chiapa est rempli (...)
- 19 Menéndez Pidal s’est beaucoup intéressé à ce problème. Voir à ce propos, el Padre Las Casas y Vito (...)
19Humboldt, malgré tout, ne fournit aucun chiffre précis, mais il est important de souligner qu’il n’accepte aucunement les chiffres fantaisistes de Las Casas sur la destruction des Indiens des Iles18. Humboldt est assurément le premier européen non espagnol qui, après Voltaire, n’utilise pas les affirmations de Las Casas, qui ont tellement troublé les esprits pendant trois siècles ; le dernier livre de M. Menéndez Pidal est le témoignage le plus probant que la tempête soulevée par Las Casas est loin d’être apaisée19.
20Il est d’ailleurs assez difficile aujourd’hui de se faire une idée précise du chiffre de la population primitive des Antilles. Pour la Española (Haïti et Saint-Domingue actuels), O. Peschel (Geschichte der Erdkunde) évalue la population, en 1492, entre 200 000 et 300 000. Elle serait tombée à 60 000 en 1508, à 20 000 en 1512 et à 14 000 en 1514. Rosenblat donne le chiffre de 300 000 pour toute la population des Antilles.
- 20 Felipe Pichardo Moya, Los Aborígenes de las Antillas, F.C.E., Mexico - Buenos-Aires, 1956, pp. 88- (...)
21Felipe Pichardo Moya, dans son étude ethnographique fort intéressante, suppose que le peuplement des Antilles s’est fait à partir des régions nordiques du Continent sud-américain. Il fournit des évaluations hypothétiques. « Nous ignorons le nombre (des aborigènes) qu’il y avait dans chacune des quatre grandes Iles, et l’on ne peut prendre en considération les chiffres exagérés qu’avancent certains historiens ; mais à Cuba, avec une surface équivalente à la Espanola (Haïti et Saint-Domingue), à Puerto-Rico et à la Jamaïque, un calcul prudent fondé sur des données historiques et sur celles de l’archéologie que suggèrent l’ampleur et l’épaisseur de quelques gisements, permet de supposer que la population indienne ne devait pas dépasser 200 000 âmes ». L’estimation de Pichardo Moya pour les quatre îles principales des Caraïbes est encore inférieure à celle de Humboldt. La justesse du point de vue de Humboldt ne laisse pas d’être étonnante20.
22Parmi les causes de la dépopulation de l’Amérique indienne, Humboldt tient compte en outre de la fréquence des suicides dans les premiers temps de la colonisation espagnole. Il a lu dans l’Inca Garcilaso que les Indiens, au début de la Conquête, se pendaient par familles entières dans les cabanes et les cavernes. Voici son commentaire sur cette « manie de se pendre » qui « était sans doute l’effet du désespoir ».
- 21 Ile de Cuba, tome I, pp. 155-156, note infrapaginale.
« Cependant, au lieu de gémir sur la barbarie du xvie siècle, on a voulu disculper les conquistadores, en attribuant la disparition des indigènes à leur goût pour le suicide. Voyez Patriota, tome II, p. 50. Tous les sophismes de ce genre se trouvent réunis dans l’ouvrage qu’a publié M. Nuix sur l’humanité des Espagnols dans la conquête de l’Amérique (Reflexiones imparciales sobre la humanidad de los Espanoles contra los pretendidos filósofos y pollticos, para ilustrar las historias de Raynal y Robertson, escrito en Italiano por el Abate Don Juan Nuix, y traducido al castellano por Don Pedro Varela y Ulloa, del Consejo de S.M., 1782) »21.
- 22 Ile de Cuba, tome I, pp. 151-152.
23Enfin, Humboldt emploie un argument de poids pour réduire à des proportions raisonnables son évaluation de la population primitive des Antilles, et notamment de Cuba. Bien qu’on puisse concevoir, écrit-il, « ...que l’île de Cuba, environnée de côtes poissonneuses, auroit, d’après l’immense fécondité de son sol, pu nourrir plusieurs millions de ces Indiens, sobres, sans appétit pour la chair des animaux, et qui cultivaient le maïs, le manioc et beaucoup d’autres racines nourrissantes », il n’est pas possible de croire qu’une telle accumulation de population n’ait pas donné naissance à « une civilisation plus avancée que celle qu’annoncent les récits de Colomb »22. C’est ainsi que Humboldt déduit du niveau culturel relativement bas une population peu nombreuse. Les analyses ethnographiques de Felipe Pichardo Moya confirment cette opinion. Ces populations indiennes des Caraïbes étaient encore cannibales et elles n’avaient pas réussi à atteindre un stade de civilisation relativement avancée.
Sens et portée des études statistiques de Humboldt
24Que signifient, en fait, les chiffres allégués par Humboldt ? S’il laisse entendre que la population indienne de l’Amérique précolombienne était sans doute plus nombreuse qu’en 1810, la comparaison entre les tableaux qu’il a dressés et les chiffres que nous connaissons après les études récentes de Rosenblat, fait clairement apparaître que cette population, au début du xixe siècle, était revenue, en valeur absolue, à peu près au même niveau qu’en 1492.
- 23 Rosenblat A., La población indlgena y elmestizaje en América, Buenos-Aires., 1954,, 2 volumes.
- 24 Mario Hernández Sánchez Barba, Historia Universal de América, 2 volumes, Madrid, 1963.
25Rosenblat, par exemple, évalue à 11 285 000 Indiens la population des colonies espagnoles en 1492, pour n’en compter que 9 275 000 en 157023. En 1825, Humboldt trouve 7 530 000 Indiens purs, mais il n’oublie pas de mentionner l’existence de 5 328 000 métis (mulâtres, mestizos, zambos et mélange de mélanges). Ce qui signifie, comme l’a remarqué Mario Hernández Sánchez Barba dans un ouvrage récent, que la masse des métis vient équilibrer, à l’aube du xixe siècle, la population indigène de 1492, et même que la somme des Indiens et des métis la dépasse légèrement : 12 858 000 Indiens et sang mêlé en 1800, contre 11 285 000 Indiens purs en 149224.
26Cette constatation est certes fort intéressante, mais elle pêche, à notre sens, par optimisme excessif. Car M. Mario Hernández Sánchez Barba oublie de tenir compte que le maintien, en chiffre absolu, sur un espace de 300 ans, d’une population, suppose une grave perturbation des processus de développement purement végétatif.
27Si l’on admet, en effet, un accroissement possible de 1 % par décade, l’Amérique aurait dû compter en 1800 un nombre considérablement plus élevé d’habitants. Si la constatation du maintien du chiffre absolu est fort importante, elle ne doit pas nous dissimuler l’énorme mortalité relative de la population indigène au cours des siècles coloniaux, sur laquelle Humboldt n’oublie pas d’insister.
- 25 C. Parra Pérez, Miranda et Madame de Custine, Paris 1950, p. 100.
- 26 Examinant les causes de la dépopulation de l’Amérique indienne, W. Robertson critique les écrivain (...)
28On retiendra cependant le fait le plus important à nos yeux : Humboldt est le premier historien de l’Amérique qui infirme la conviction de ses contemporains d’une totale destruction des Indiens par les Espagnols. Parra Pérez, se référant à la célèbre phrase de Montesquieu, « Qu’on ne cite point l’exemple de l’Espagne : elle prouve plutôt ce que je dis. Pour garder l’Amérique, elle fit ce que le despotisme même ne fait pas : elle en détruisit les habitants », écrit que ce dernier aurait été bien étonné d’apprendre par Humboldt combien il se trompait. A l’appui de cette citation, Parra-Pérez ajoute : « Si Montesquieu n’était pas mort en 1755, il aurait appris, avec quelque étonnement sans doute, par quelqu’un d’aussi savant et baron tout comme lui, que, vers la fin de son xviiie siècle, il y avait au Mexique plus d’indiens qu’à l’arrivée de Cortés »25. Robertson avait déjà fait les premiers pas vers le rétablissement de la vérité. Il critique Montesquieu, en fournissant des évaluations fort intéressantes qui attestent la présence d’un nombre considérable d’indiens et de métis26. Ses calculs ont été établis à grand-peine, puisque, écrit-il, « ...dans l’Amérique espagnole, où les connaissances sont encore au berceau et où peu d’hommes ont le loisir de se livrer aux recherches de pure spéculation, on a fait peu d’attention à cet objet ».
- 27 W. Robertson, ib., note 169, à la page 720 (p. 850).
Dans cette note, Robertson résume les résultat (...)
29Il cite, en particulier, le Teatro americano de Villaseñor y Sánchez, rédigé sur l’ordre de Philippe V, et qui rassemble les chiffres relatifs à la Nouvelle Espagne. Il tient compte du nombre de foyers enregistrés par Villaseñor et en supposant cinq personnes par familles Robertson conclut : « ...que le nombre des Indiens dans l’Empire du Mexique, va au-delà de deux millions » (en 1780 environ)27.
- 28 TV. Robertson, op. cit., p. 851, note 169 de la p. 720.
30Pour le Pérou, l’auteur a découvert des chiffres moins précis. Mais d’après un manuscrit de 1761, il ressort que le protecteur des Indiens, dans la vice-royauté, comptait qu’il y en avait « ...612 780 qui payaient le tribut au Roi ». En ajoutant les femmes et les mineurs, exemptés de cette taxe, « on doit supposer, écrit Robertson, que le nombre des Indiens montait a 2 449 120 ». Enfin, pour les Espagnols et les sang mêlé, Robertson utilise les statistiques ayant trait au nombre de copies de la bulle de la Croisade, vendues surtout à ces deux catégories de la population ; il dénombre 1 711 953 copies distribuées au Pérou et 2 649 326 au Mexique. Et il en déduit que « ... le nombre des Espagnols et des races mêlées monterait au moins à trois millions »28.
31D’après Robertson, l’Amérique espagnole devait compter au total 7 millions et demi d’habitants, dont 2 millions d’indiens dans la Nouvelle Espagne et 2 millions et demi au Pérou. Bien que ces chiffres soient très partiels, puisqu’ils ne mentionnent ni le Guatemala et l’Amérique Centrale, ni la Nouvelle Grenade et le Venezuela, ni Buenos Aires et les provinces de la Sierra, il est certain que Robertson a assez bien évalué la population indienne des deux principaux centres coloniaux.
32Il n’en est pas moins évident que les chiffres de Robertson sont très en deçà de la réalité, puisque les 7 millions et demi d’individus (toutes races réunies) supposés vivre en 1780 dans l’Empire colonial espagnol deviennent 16 910 000 dans la statistique fort exacte que Humboldt produit en 1820.
- 29 Villaseñor y Sánchez se recommande à notre souvenir par son Teatro Americano, Descripcion General (...)
33Telle est l’énorme contribution de Humboldt à la connaissance précise de la population indienne qui était, malgré le sérieux de l’investigation de Robertson, nettement sous-estimée. Il est vrai que le Teatro americano dont s’inspire l’auteur écossais pour le Mexique est un ouvrage d’une facture bien archaïque pour le temps ; son auteur Villaseñor y Sánchez, n’a pas su se dégager du carcan rigide où l’enfermait son travail d’administrateur colonial de la Régie du Mercure (Ramo de Azogues)29.
- 30 Raynal, Histoire philosophique et politique..., op. cit., tome X, livre XIX, p. 298. Raynal croit, (...)
34Enfin, si l’on examine rapidement le livre de Raynal, on ne trouve que des chiffres fort dispersés et très fragmentaires. Raynal suppose une très faible densité de peuplement en Amérique due surtout à des causes d’ordre géologique. Les hommes ont vécu, dans le Nouveau Continent, sur une terre encore mal affermie, exposés aux « convulsions des éléments, au milieu des volcans, dans des régions la plupart submergées ». Un milieu physique aussi précaire opposait à leur subsistance des obstacles très difficiles à franchir, aggravés par leur nudité et l’absence de demeure, la rareté et l’imperfection de leurs instruments de pierre ou de bois, leur ignorance des plantes utiles et une grande pauvreté dans les « arts les plus nécessaires », aussi bien que dans « ceux de pur agrément »30.
- 31 Raynal, op. cit., tome X, p. 298 et suivantes.
35Malgré cette faiblesse numérique, ces premiers habitants ont été sauvagement massacrés : « Contre toute raison et contre tout intérêt, on précipita dans la nuit du tombeau, la plupart des malheureux qui erraient sur ce sol sauvage »31.
- 32 Ib. tome, X, p. 299.
36Et tandis, que dans l’Amérique du Nord s’édifiait une société libre ( ?) et industrieuse, formée de blancs et de noirs, dans l’Amérique du Sud, soumise aux « ...vices de l’administration espagnole et portugaise », elle stagnait misérablement. Raynal ne se contente pas de cette opposition commode ; après avoir dénoncé les atrocités espagnoles, il excuse celles des Anglo-saxons. Car si ces derniers ont massacré leurs Indiens, qui d’ailleurs végétaient dans cette partie du monde comme des « automates plongés dans l’ennui, dans l’insouciance et dans l’inertie », en s’installant dans le Nord de l’Amérique, ils « l’ont mille fois dédommagé de quelques pêcheurs, de quelques chasseurs qu’il avait perdus »32.
- 33 Hans Wolpe, op. cit., pp. 49-50.
37Enfin, Raynal ne dit pas un mot de la présence de très nombreux aborigènes dans les possessions espagnoles et portugaises. Il passe sous silence l’existence de ces quatorze millions d’indiens ou de métis qui vivaient dans l’Amérique espagnole à la fin du xviiie siècle. Dans le Tome 4 de son Histoire, on trouve quelques chiffres épars : 400 000 habitants pour le Venezuela, dont 100 000 affranchis ou gens de couleur et 40 000 esclaves (p. 119), 16 233 hab. à Santa-Fé de Bogotá en 1774 (p. 135), quelques « villes peuplées » dans la province de Quito (p. 138) et des chiffres très fragmentaires sur la population du Pérou. Hans Wolpe a fort justement remarqué l’incohérence de Raynal, qui se manifeste à travers les trois éditions de l’Histoire Philosophique et politique... (celle de 1770, la première, et celles de 1774 et 1781), à propos de la population de l’ancienne Mexico. Dans la première édition, Mexico « ...contient vingt mille maisons et deux cent mille canots. En 1774, le nombre des maisons est maintenu, mais celui des canots est réduit de moitié ; en 1781 (III, p. 254), trente mille maisons s’élèvent à Mexico. Pour compliquer les choses, Raynal en 1770 accepte comme vraies les descriptions et les statistiques des Espagnols ; dès 1774 (III, p. 58) il les rejette : « La fausseté de cette description pompeuse peut être mise aisément à la portée de tous les esprits ». Il insiste en 1781 : « La fausseté de cette description pompeuse, tracée dans des moments de vanité par un vainqueur naturellement porté à l’exagération, ou trompé par la grande supériorité qu’avait un état régulièrement ordonné sur les contrées sauvages dévastées jusqu’alors dans l’autre hémisphère, cette fausseté peut être mise aisément à la portée de tous les esprits »33.
- 34 C. Levi Strauss, Tristes Tropiques, Paris, 1955, p. 224.
38Il n’est pas douteux que les dénombrements fantaisistes des philosophes français ou des polémistes du xviiie siècle n’ont pas peu contribué à épaissir le mystère de l’évaluation de la population primitive. M. Levi-Strauss rappelle fort justement que les savants tâtonnent encore dans la nuit la plus noire lorsqu’ils essaient de comprendre l’origine de l’homme américain, la succession des diverses civilisations dans le Nouveau Monde, et en général tous les problèmes que pose à l’historien l’existence des nations indiennes précolombiennes34.
- 35 Rosenblat, op. cit.
- 36 W. S. Woytinsky et E. S. Woytinsky, World Population and Production, Trends and Outlook, New-York, (...)
- 37 Reinhard et Armengaud, Histoire générale de la population mondiale, Paris, 1961, pp. 110-111.
- 38 Pierre Chaunu, Pour une « géopolitique » de l'espace américain, dans Jahrbuch für Geschichte von S (...)
- 39 John Colliers, Los indios de las Américas, F.C.E., Mexico-Buenos Aires, 1960, pp. 161-162.
39Les évaluations de la population primitive de l’Amérique présentent des différences frappantes selon les auteurs. On a vu que Rosenblat donne le chiffre de 11 285 000 indiens à la veille de la Conquête35. W.S. Woytinsky et E.S. Woytinski, dans leur très sérieuse et volumineuse étude sur la population et la production dans le monde, estiment à dix millions la population amérindienne au moment du voyage de Colomb (3 millions au Mexique et en Amérique Centrale et 4 ou 5 millions en Amérique du Sud)36. MM. Reinhard et A. Armengaud écrivent que l’Amérique devait compter environ 15 à 20 millions d’âmes. Mais ils rappellent que l’une des plus récentes estimations « préfère 40 millions »37. Il s’agit sans doute de l’évaluation de Paul Rivet, que M. Pierre Chaunu mentionne dans un travail récent38. De son côté, John Colliers écrit que la population indienne totale devait être avant la Conquête de trente millions d’âmes39.
- 40 Pierre Chaunu, L’Amérique et les Amériques de la Préhistoire à nos jours, A. Colin, Paris, 1964, p (...)
40Dans une œuvre plus récente encore, M. Pierre Chaunu remarque que l’intuition de Paul Rivet, qui attribuait à l’Amérique précolombienne une quarantaine de millions d’habitants, n’est pas tellement exagérée. « Une masse gigantesque de ruines cyclopéennes sur tout le continent, malgré les larges possibilités du maïs, donne sa vraisemblance à une évaluation forte. Chaque monographie d’un secteur de l’espace américain avance un niveau plus élevé que celui couramment admis hier. Aujourd’hui, l’intuition la plus généreuse d’hier est dépassée : c’est 70 millions, 80 millions qu’on nous convie à compter »40.
TABLEAU I. tableau de la population indienne de l’amérique
41(Indigènes, hommes rouges : race cuivrée américaine ou primitive, sans mélange de blancs et de nègres).
Mexique |
3 700 000 |
Guatemala |
880 000 |
Colombie |
720 000 |
Pérou et Chili |
1 030 000 |
Buenos Aires avec les provinces de Sierra. |
1 200 000 |
Total |
7 530 000 |
42soit 45 pour cent de la population totale des possessions espagnoles et 87,46 % de la population indienne de l’Amérique (N.A.)
distribution des races dans l’amérique continentale et insulaire
43(Indiens)
Amérique espagnole |
7 530 000 |
Brésil (Indiens enclavés du Bio Negro, Rio Blanco et de l’Amazone) |
260 000 |
Indiens indépendants à l’Est et à l’Ouest des montagnes rocheuses, sur les frontières du Nouveau Mexique, des Mosquitos, etc... etc...) |
400 000 |
Indiens indépendants de l’Amérique du Sud |
420 000 |
Total |
8 610 000 |
44soit 25 pour cent de la population totale de l’Amérique (Iles comprises) (N.A.).
Tableaux extraits de l’Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome II, p. 396, et de l’Essai Polit, sur la Nouv. Esp., tome I, pp. 320-321.
Notes
1 Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome I, pp. 148-159, à propos de la population primitive des Antilles.
2 Relation historique, Sur les peuples indiens, livre III, chap. ix.
3 Tableaux de la Nature, chapitre intitulé : Steppes et déserts, Chapitre XII. Particularités, Préjugés répandus sur la jeunesse du Nouveau Continent (pp. 177-180).
4 « Un préjugé très répandu en Europe fait croire qu’un très petit nombre d’indigènes à teint cuivré ou de descendants des anciens Mexicains, se sont conservés jusqu’à nos jours... Le3 cruautés des Européens ont fait disparaître entièrement les anciens habitants des iles des Antilles. Heureusement, on n’est point parvenu à cet horrible résultat, sur le continent de l’Amérique », Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, tome I, livre II, chap. vi, p. 345, Paris, 1825.
5 La proportion des Indiens était considérable dans certaines parties de l’Amérique espagnole. Le dernier recensement du vice roi du Mexique, le comte de Revillagigedo, faisait apparaître que les intendances de Guanajuato, Valladolid, Oaxaca et Puebla avaient en 1793, 1 073 000 indiens pour une population totale de 1 737 000 âmes. « Il résulte de ce tableau que, dans l’intendance d’Oaxaca, on compte sur 100 individus, 88 indiens ». Dans ces quatre intendances, les Indiens constituaient les trois cinquièmes de la population, et pour tout le Mexique, les deux cinquièmes, Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, tome I, p. 345 et suivantes.
6 Humboldt adresse les plus grands éloges au comte de Revillagigedo, qui fut vice-roi du Mexique entre 1789 et 1794. S’il fait allusion à certains vice-rois qui « ...ont extorqué, en peu d’années, près de huit millions de livres tournois », il tient à ajouter « ...on en a vu aussi, et l’on se plaît à le répéter qui, loin d’augmenter leur fortune par des moyens illicites, ont déployé un désintéressement noble et généreux. C’est parmi ces derniers que les Mexicains citeront longtemps avec reconnaissance le comte de Revillagigedo et le chevalier d’Asanza (sic), deux hommes d’état également recommandables par leurs vertus privées et publiques, et dont l’administration leur aurait été plus bienfaisante encore, si leur position extérieure leur avait permis de poursuivre librement la carrière qu’ils s’étaient tracée », Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, tome IV, livre VI, chap. xiv, p. 245.
A propos du recensement de 1793, Humboldt remarque que le vice-roi, comte de Revillagigedo. « malgré son zèle et sa grande activité n’est point parvenu à terminer son ouvrage. Le dénombrement qu’il avait entrepris ne fut point achevé dans les intendances de Guadalaxara et de la Vera-Cruz et dans la province de Cohahuila ». Après avoir consulté les archives du vice-roi, Humboldt fournit un tableau de la population de la Nouvelle Espagne « ...d’après les notices que les intendans et les gouverneurs de province ont transmises à la vice-royauté jusqu’au 12 mai 1794 ». Le résultat approximatif du recensement de 1793 donne : 4 483 559 habitants. En tenant compte des oublis et des habitants qui se sont soustraits volontairement au recensement, Humboldt suppose pour 1804, 5 837 000 habitants. Voir Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, op. cit., tome I, livre II, chap. iv, pp. 301-305.
7 Ibid, note infrapaginale, p. 297.
8 « Mais en réfléchissant combien il en coûte de nos jours pour parvenir à des idées exactes sur la statistique d’un pays, il ne faut pas s’étonner de l’ignorance dans laquelle nous laissent les auteurs du xvie siècle sur l’ancienne population des Antilles, sur celle du Pérou et du Mexique ». Ib., p. 297 et note infrapaginale.
9 Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, op. cit.
10 Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, op. cit., pp. 298-299.
Alfred Métraux, Les Incas, op. cit., retient ce dernier chiffre et il rappelle qu’on estime à 50 % la destruction de la population indienne au Pérou dans les trente années qui suivirent la Conquête (p. 158),
11 Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome I, pp. 148-149. Humboldt ajoute : « Dans les colonies espagnoles du continent on retrouve les descendans des indiens qui disparoissent parmi les mestizos et zambos, mélanges d’indiens avec les blancs et les nègres ; cette idée consolante ne se présente pas dans l’archipel des Antilles... Les Indiens de Cuba ont disparu comme les Guanches des Canaries, quoiqu’à Guanabacoa et à Tenériffe, on ait vu se renouveler, il y a 40 ans, des prétentions mensongères dans plusieurs familles qui arrachoient de petites pensions au gouvernement, sous le prétexte d’avoir dans leurs veines quelques gouttes de sang indien ou guanche », ib.
12 Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome I, p. 149, note 1. Il s’agit de l’ouvrage de Albert Hüne, intitulé : Historisch-philosophische Darstellung des Negersclavenhandels, 1820.
13 Ibid., pp. 149-150.
14 Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome I, pp. 150-151.
15 Humboldt reprend, dans l'Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, tome I, livre II, chap. iv, p. 299, les mêmes arguments qu’il développe dans l’Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome I, p. 151, et note 1.
16 Essai Politique sur l'Ile de Cuba, tome I, pp. 156-167.
17 Essai Politique sur l’Ile de Cuba, tome I, pp. 155-157.
18 « Tout ce que l’on trouve de données statistiques dans les écrits de l’évêque de Chiapa est rempli de contradictions », Ile de Cuba, tome I, p. 149.
19 Menéndez Pidal s’est beaucoup intéressé à ce problème. Voir à ce propos, el Padre Las Casas y Vitoria, con otros temas de los siglos XVI y XVII, Buenos Aires, collect. Austral, no 1286, et plus récemment, El Padre las Casas, Madrid, Aguilar, 1963.
20 Felipe Pichardo Moya, Los Aborígenes de las Antillas, F.C.E., Mexico - Buenos-Aires, 1956, pp. 88-89.
21 Ile de Cuba, tome I, pp. 155-156, note infrapaginale.
22 Ile de Cuba, tome I, pp. 151-152.
23 Rosenblat A., La población indlgena y elmestizaje en América, Buenos-Aires., 1954,, 2 volumes.
24 Mario Hernández Sánchez Barba, Historia Universal de América, 2 volumes, Madrid, 1963.
25 C. Parra Pérez, Miranda et Madame de Custine, Paris 1950, p. 100.
26 Examinant les causes de la dépopulation de l’Amérique indienne, W. Robertson critique les écrivains qui pensent que les Espagnols « ...convaincus qu’il leur serait impossible d’occuper les vastes régions qu’ils avaient découvertes et de maintenir leur autorité sur des nations infiniment plus nombreuses que leurs conquérans, résolurent pour se conserver l’Amérique d’en exterminer les habitans et de faire un désert du Nouveau Monde, plutôt que d’en perdre la possession ». Parmi eux, il cite Montesquieu « Montesquieu, écrit-il dans une note, a adopté cette idée (liv. VIII, chap. xviii, de l’Esprit des Lois) : mais le désir qu’avait ce grand homme d’établir un système, l’a rendu quelquefois peu attentif dans ses recherches et son génie trop ardent lui a fait négliger plusieurs causes aussi évidentes que solides ». (page 719 et note 165), p. 850 de l’Histoire d’Amérique, op. cit., tome II, Paris 1837.
27 W. Robertson, ib., note 169, à la page 720 (p. 850).
Dans cette note, Robertson résume les résultats obtenus par Villaseñor y Sánchez.
28 TV. Robertson, op. cit., p. 851, note 169 de la p. 720.
29 Villaseñor y Sánchez se recommande à notre souvenir par son Teatro Americano, Descripcion General de los Reynos y Provincias de la Nueva España y sus jurisdicciones, dédié au Roi Ferdinand VI, 2 tomes, Mexico, 1746-1748.
Villaseñor y Sánchez était « Contador General de la Real Contaduria de Azogues y Cosmographo del Reyno de Nueva España ». Dans l’édition publiée à Mexico par Francisco Gonzâlez Cossío, Édit. Nacional 1952, le Teatro Americano est présenté comme le premier essai d’une description générale, statistique, politique, géographique, historique et économique de la Nouvelle Espagne. Le Teatro Americano renferme des renseignements très détaillés sur l’état du Mexique au milieu du xviiie siècle, et tout d’abord une description générale du pays avec mention des distances, des climats, ensuite un tableau de l’administration coloniale : Évêchés, Alcaldías Mayores et Curatos. On y trouve le récit de la fondation de Mexico, la liste de ses principaux monuments, (églises, tribunaux, administrations, etc...). L’auteur fournit quelques données chiffrées, notamment le nombre des familles indiennes. Enfin, il donne des détails sur l’état des missions au Mexique à cette époque. Villaseñor y Sánchez était également mathématicien, et il a calculé le calendrier de la Nouvelle Espagne pour l’année 1739 et 1752, etc...
Le Teatro Americano a été écrit sur ordre de Philippe V, qui, en 1740, avait demandé au vice-roi du Mexique, le comte de Fuenclara de dresser un état général des provinces de la Nouvelle Espagne. Villaseñor a rédigé seul le Teatro Americano, son collaborateur, Juan Francisco Sahagún de Arévalo y Ladrón de Guevara, premier chroniqueur de la ville de México, s’étant désisté. Humboldt n’ignore pas, naturellement l’œuvre de Villaseñor y Sánchez, mais il trouve que son évaluation est vague et incomplète. Essai Politique sur la Nouvelle Espagne, tome I, livre II chap. iv, p. 301.
30 Raynal, Histoire philosophique et politique..., op. cit., tome X, livre XIX, p. 298. Raynal croit, comme Buffon, que le continent américain « est sorti longtemps après l’Ancien du sein des ondes », qu’il était... « mort sous les eaux, inculte sous les marécages, désert sous les ronces et sous les forêts », le roi de la Nature était par conséquent « ...faible, ignorant et peu multiplié », lorsque les Européens « ...abordèrent à ces plages naguère submergées ».
31 Raynal, op. cit., tome X, p. 298 et suivantes.
32 Ib. tome, X, p. 299.
33 Hans Wolpe, op. cit., pp. 49-50.
34 C. Levi Strauss, Tristes Tropiques, Paris, 1955, p. 224.
35 Rosenblat, op. cit.
36 W. S. Woytinsky et E. S. Woytinsky, World Population and Production, Trends and Outlook, New-York, 1953, p. 34.
37 Reinhard et Armengaud, Histoire générale de la population mondiale, Paris, 1961, pp. 110-111.
38 Pierre Chaunu, Pour une « géopolitique » de l'espace américain, dans Jahrbuch für Geschichte von Slaat, Wirtschaft und Gesellschaft Lateinamerikas, 1964, pp. 12-13.
39 John Colliers, Los indios de las Américas, F.C.E., Mexico-Buenos Aires, 1960, pp. 161-162.
40 Pierre Chaunu, L’Amérique et les Amériques de la Préhistoire à nos jours, A. Colin, Paris, 1964, p. 21.
© Éditions de l’IHEAL, 1969